Charles PEGUY (1873-1914) -poesie Chateaux de Loire Le long du coteau courbe et des nobles vallées Les chateaux sont semés comme des reposoirs, Et dans la majesté des matins et des soies La Loire et ses vassaux s'en vont par ces allées. Cent vingt chateaux lui font une suite courtoise, Plus nombreux, plus nerveux, plus fins que des palais. Ils ont nom Valencay, Saint-Aignan et Langeais, Chenonceaux et Chambord, Azay, le Lude, Amboise. Et moi j'en connais un dans les chateaux de Loire Qui s'éléve plus haut que le chateau de Blois, Plus haut que la terrasse oú les derniers Valois Regardaient le soleil se coucher dans sa gloire. La moulure est plus fine et ľarceau plus léger. La dentelle de pierre est plus dure et plus grave. La décence et ľhonneur et la mort qui s'y grave Ont inscrit leur histoire au cceur de ce verger. Et c'est le souvenir qu'a laissé sur ces bords Une enfant qui menait son cheval vers le fleuve. Son äme était récente et sa cotte était neuve. Innocente eile allait vers le plus grand des sorts. Car celie qui venait du pays tourangeau, C'était la méme enfant qui quelques jours plus tard, Gouvernant d'un seul mot le rustre et le soudard, Descendait devers Meung ou montait vers Jargeau. (Librairie Gallimard, éditeur). La Tapisserie de Sainte Genevieve... Comme eile avait garde les moutons ä Nanterre, On la mit ä garder un bien autre troupeau, La plus énorme horde oú le loup et ľagneau Aient jamais confondu leur commune misěre. Et comme eile veillait touš les soirs solitaire Dans la cour de la ferme ou sur le bord de ľeau, Du pied du méme saule et du méme bouleau Elle veille aujourďhui sur ce monštre de pierre. Et quand le soir viendra qui fermera le jour, C'est eile la caduque et ľantique bergére, Qui ramassant Paris et tout son alentour Conduira d'un pas ferme et d'une main légěre Pour la derniěre fois dans la derniěre cour Le troupeau le plus vaste ä la droite du pere. Comme eile avait garde les moutons ä Nanterre Et qu'on était content de son exactitude, On mit sous sa houlette et son inquietude Le plus mouvant troupeau, mais le plus volontaire. Et comme eile veillait devant le presbytere, Dans les soirs et les soirs d'une longue habitude, Elle veille aujourďhui sur cette ingratitude, Sur cette auberge énorme et sur ce phalanstěre. Et quand le soir viendra de toute plenitude, C'est eile la savante et ľantique bergére, Qui ramassant Paris dans sa sollicitude Conduira d'un pas ferme et d'une main légěre Dans la cour de justice et de beatitude Le troupeau le plus sage ä la droite du pere. Elle avait jusqu'au fond du plus secret hameau La reputation dans toute Seine et Oise Que jamais ni le loup ni le chercheur de noise N'avaient pu lui ravir le plus chétif agneau. Lout le monde savait de Limours ä Pontoise Et les vieux bateliers contaient au fil de ľeau Qu'assise au pied du saule et du méme bouleau Nul n'avait pu jouer cette humble villageoise. Sainte qui rameniez tous les soirs au bercail Le troupeau tout entier, diligente bergére, Quand le monde et Paris viendront ä fin de bail Puissiez-vous d'un pas ferme et d'une main légěre Dans la derniěre cour par le dernier portail Ramener par la voůte et le double vantail Le troupeau tout entier ä la droite du pere. La Tapisserie de Sainte Genevieve et de Jeanne ď Arc (Gallimard). Charles PEGUY (1873-1914) -poesie Presentation de Notre-Dame á Paris Etoile de la mer voici la lourde nef OÚ nous ramons tout nuds sous vos commandements ; Voici notre détresse et nos désarmements; Voici le quai du Louvre, et ľécluse, et le bief. Voici notre appareil et voici notre chef. Cest un gars de chez nous qui siffle par moments. II n'a pas son pareil pour les gouvernements. II a la téte dure et le geste un peu bref. Reine qui vous levez sur touš les oceans, Vous penserez ä nous quand nous serons au large. Aujourd'hui c'est le jour d'embarquer notre charge. Voici ľénorme grue et les longs meuglements. S'il fallait le charger de nos pauvres vertus, Ce vaisseau s'en irait vers votre auguste seuil Plus creux que la noisette aprěs que ľécureuil Ľa laissé retomber de ses ongles pointus. Nuls ballots n'entreraient par les panneaux béants, Et nous arriverions dans la mer de sargasse Traínant cette inutile et grotesque carcasse Et les Anglais diraient: lis n'ont rien mis dedans. Mais nous saurons l'emplir et nous vous le jurons. II sera le plus beau dans cet illustre port. La cargaison ira jusque sur le plat-bord. Et quand il sera plein nous le couronnerons. Nous n'y chargerons pas notre pauvre mais, Mais de l'or et du blé que nous emporterons. Et il tiendra la mer : car nous le chargerons Du poids de nos péchés payés par votre fils. La Tapisserie de Notre Dame (Gallimard).