Vývoj českého překladu z francouzštiny 0. L´Introduction L´histoire de la traduction fait partie intégrante de toute littérature nationale. La traduction tchèque avait toujours une position importante, car elle remplissait des fonctions clés. À l´époque de la renaissance nationale tchèque, les traductions contribuaient d´une façon non négligeable l´essor de la langue tchèque ou à la constitution de la langue tchèque soutenue, à la norme littéraire de la langue tchèque. Les traductions suppléaient aussi le manque de certains genres littéraires (le conte chevaleresque, les genres prosaïques s´inspirant dans les milieu de la noblesse). Les traductions servaient au rapprochement des peuples slaves organisés dans l´empire des Habsbourgs (pour traduire en tchèque, p. ex. Josef Jungmann puisait dans le lexique des autres langues slaves, le polonais, le russe, le serbo-croate etc.). Le traduction était le moyen de transmissions des connaissances parmi le peuple, car elle supprimait la frontière linguistique et ainsi, elle permettait la diffusion et démocratisation de l´éducation. La traduction contribuait l´émancipation nationale et renforçait les revendications politiques de la nation tchèque. Ceci est valable surtout pour la première étape de la traduction tchèque (1790-1850). Si nous voulions essayer de tracer une périodisation de l´histoire de la traduction tchèque moderne en général, nous pourrions distinguer ces étapes : La renaissance nationale (1790-1850, l´étape de J. Jungmann), la période de 1850-1890 (l´étape de J. Vrchlický), la période de 1890-1918 (H. Jelínek), l´entre-deux-guerres de 1918-1939 (K. Čapek, Jaroslav Zaorálek, Jindřich Hořejší, Pavel Eisner), et l´après-guerre (1945-2010). À partir de la deuxième étape (1850-1890), les fonctions de la traduction tchèque changent : la langue littéraire et scientifique tchèque est déjà constituée ; la fonction dominante de la traduction est maintenant surtout dans le rapprochement des connaissances et des valeurs culturelles différentes de la culture nationale. Les traductions deviennent sources d´inspiration pour la littérature nationale, elles influencent son évolution en inspirant la création littéraire en langue tchèque. Dans l´histoire de la traduction en général, deux tendances majeures alternent depuis des siècles : la traduction fidèle (le mot-à-mot, la traduction littérale) et la traduction libre (la traduction d´adaptation). Entre ces deux tendances opposées, il y avait toujours plusieurs tendances intermédiaires (parmi lesquelles, on pourrait classer les partisants de la traduction fonctionnelle, adéquate etc.). Le classicisme se réclamait de la traduction libre, parfois il s´agissait des adaptations qui étaient assez éloignées de l´oeuvre dont elles étaient censées être les traductions. Le romantisme par contre prônait la traduction fidèle, tant au contenu qu´à la forme de l´oeuvre originale ; cela menait parfois aux extrêmes qui étaient absolument incompréhensibles (certains traducteurs créaient leur propre langue qui était un mélange entre la langue de départ et la langue d´arrivée). La seconde moitié du XIX^e siècle (la génération de Vrchlický) revenait plutôt vers la traduction libre quant au contenu mais fidèle si possible à la forme. La génération de la Moderne (1890-1918) introduisait des exotismes et créolismes linguistiques en tchèques (gallicismes pour des traductions du français), pour créer la couleur locale, mais essayait d´être fidèle au contenu de l´original. La génération de 1918-1945 (Zaorálek, Eisner, Hořejší) se réclamait des traductions libres, créatrice, et faisait parfois des adaptations, localisations (Zaorálek : Zvonokosy – Gabriel Chevalier : Clochemerle). Le rapport entre le traducteur et le lecteur d´un côté et le traducteur et l´oeuvre originale de l´autre côté évoluait dès le début de l´activité traduisante. Au moyen âge, au X^e et XI^e siècles, la traduction concernait des mots isolés latins qu´il fallait expliquer au lecteur tchèque. La traduction recouvrait alors le seul domaine du lexique. Dans les couvents se développait plus tard l´insertion de gloses tchèques qui rappellent encore les traductions lexicales par leur rareté. À partir du XIII^e siècle datent des traductions en tchèques plus complètes. À cette époque, on traduisait uniquement la littérature religieuse, canonique ; il était courant de traduire ces textes mot à mot, en suivant les règles syntaxiques de l´original (du latin). On respectait plutôt la forme de l´original qui était jugée plus importante que le sens général du texte. L´objectif de la traduction était la reproduction du texte, l´égard au texte l´emportait sur l´égard envers le lecteur. Quant aux traductions profanes, la situation était complètement différente : le traducteur reste anonyme et a toute la liberté envers le texte original dont il s´inspire. Il n´est pas obliger de respecter rigoureusement l´original qu´il peut raccourcir, allonger, transformer, adapter, dont il peut changer le genre littéraire, la forme. Il peut aussi combiner plusieurs oeuvres dans une seule « traduction / adaptation ». Le traducteur de la littérature profane au moyen âge peut donc adopter différentes stratégies selon le public - s´il traduit pour un public populaire ou cultivé. Souvent, le traducteur fait deux traductions du même texte, l´une pour le public cultivé, l´autre (souvent plus courte) pour le milieu populaire. Ce n´est qu´à partir de la Renaissance que l´on commence à distinguer systématiquement la traduction (qui est désignée explicitement comme traduction) et l´original. Les traducteurs refusent le mot à mot courant jusqu-là et créent les théories de la traduction. On adopte la théorie traductologique de la Rome antique, dont la thèse de Horace (Ars poetica) : « Nec verbum verbo curabis reddere fidus interpres (traducteur fidèle, essaie de ne pas traduire mot à mot) ». Les traducteurs s´inspirent de Ciceron pour les questions de style, et respectent le principe de Saint Jérôme (patron des traducteurs) prononcé dans l´épître Ad Pammachium : « non verbum de verbo sed sensum exprimere de sensu (ne pas traduire un mot par un autre, mais la signification par une autre) ». Les traducteurs humanistes adaptent /traduisent souvent assez librement les oeuvres originales dans les langues nationales qui connaissent un grand essor. L´objectif des traductions est non seulement la reproduction de l´original mais aussi il s´agit de montrer la capacité de toutes les langues nationales d´exprimer les mêmes idées que par ex. le grec ou le latin. Le but est de renforcer la conscience nationale. Un autre objectif de la traduction est le rapprochement de la littérature étrangère au lecteur tchèque (la diffusion du livre augmente grâce à l´invention de l´imprimerie). Le traducteur tend à s´approcher du lecteur, il lui explique des passages compliqués. Pour cela, la méthode de l´«explication interne» c.-à-d. des mots insérés dans le texte par le traducteur, est appliquée souvent ; il s´agit des explications concernant une autre réalité inconnue au lecteur, de l´intention implicite de l´auteur; parfois, le traducteur ajoute des adjectifs, adverbes, paraphrases, pour expliquer et expliciter certains motifs contenus implicitement dans l´original. L´objectif de la traduction humaniste est de vulgariser les oeuvres littéraires, de les rapprocher au peuple. La fonction est donc d´éduquer et d´éclairer la population, ce qui sera semblable à l´époque de la renaissance nationale tchèque au XVIII^e et XIX^e siècles. Les traducteurs humanistes n´hésitaient à substituer, dans les traductions de la Bible, la civilisation antique /biblique par la civilisation tchèque. La bohémisation des textes liturgiques était un point d´accusation de Jean Hus et de Jérome de Prague au concile de Constance. Les connaissances linguistiques de l´humanisme tchèque sont appliqués dans la Grammaire tchèque de Jan Blahoslav (1571) sur les traductions tchèques du latin et du grec du Nouveau testament. Blahoslav postule le principe de l´asymétrie des unités lexicales de deux langues, ce qui a des repércutions stylistiques, il avertit contre les « améliorations » stylistiquement inadéquates des textes traduites. Avec la Contre-Réforme arrive une nouvelle tendance dans la traductologie. La traductologie est mise au service de l´idéologie catholique. Quant à la langue des traductions, elle est la plus proche possible du milieu populaire. Petit à petit, l´esthétique baroque se différencie en fonction du lecteur auquel telle ou telle oeuvre s´adresse : il y a le style formaliste, destiné au lecteur cultivé, et le style populaire. Comme les traductions en tchèques sont destinées surtout au peuple (le public cultivé, aristocratique au Pays tchèques lisant en latin ou en allemend), les traducteurs s´efforcent de s´approcher du goût du lecteur populaire : les traductions sont souvent adaptés, certains passages épiques ou à effet sont développés, hyperbolisés etc. Le style baroque persiste dans la littérature tchèque jusqu´au XVIII^e siècle. Dès le début du XIX^e siècle, nous pouvons observer deux tendance dans la traduction tchèque : le classicisme et le romantisme. Le classicisme accordait toute liberté possible au traducteur qui pouvait modifier, voire améliorer l´oeuvre originale ; le traducteur concurrencait l´auteur d´une certaine façon. L´attention était portée sur la forme, l´élégance, l´harmonie et l´universalité de l´oeuvre. Au nom de l´universalité culturelle de l´oeuvre, le traducteur pouvait supprimer certains détails spécifiques pour le milieu de la langue de départ. Il était possible d´éliminer les traits caractéristiques pour le style personnel de l´auteur de l´original. Par contre, la doctrine traductologique du romantisme était inverse. Les romantiques plaidaient pour la traduction absolument fidèle, voire pour le mot à mot. Ils exigeaient de transférer les traits spécifiques (nationaux, historiques, individuels) de l´original dans la traduction. Ils voulaient même inventer une langue traductologique spécifique qui était censée imiter partiellement la langue de départ et qui était donc différente de la langue d´arrivée. Dan le contexte tchèque, les traducteurs suivaient les objectifs patriotiques, ils voulaient communiquer au lecteur tchèque les oeuvres de la littérature européenne ; à la fin du XVIII^e siècle, ils devaient d´abord éduquer le lecteur tchèque et même créer la langue littéraire tchèque. Mais à partir du XIX^e siècle, les traducteurs s´oriente aux objectifs plus ambitieux, dont la communication des grands oeuvres contemporaines ou récentes de la littérature européenne. La conception de reproduction apparaît dans les années 1830-1840, les questions idéologiques l´emportent sur celles de langue, la langue tchèque littéraire étant déjà stabilisée. Parmi les problèmes traductologiques traités figurent l´interprétation du texte de départ, la fidélité l´original, les diverses possibilités d´adaptation (J. Nejedlý, J. Malý), la traduction créative (Fr. Palacký). L´école autour de la revue Máj (májovci) était pour la traduction libre (1840-1860), l´école de la revue Lumír (lumírovci) était pour la liberté du traducteur quant à la reproduction du texte de départ, mais pour la fidélité à la forme de l´original - l´objectif esthétique était important pour Vrchlický, tandis que l´école de Ruch (ruchovci, autour de Sv. Čech et Jos. V. Sládek était plutôt pour la fidélité au détail, au sens de l´original). Dans les années 1890, les représentants de la Moderne tchèque (F. X. Šalda), les réalistes (T. G. Masaryk), les décandents (Jiří Karásek ze Lvovic, Arnošt Procházka) se font de nouveau partisants de la traduction fidèle : la reproduction fidèle de l´oeuvre est importante ; les décandents prônent l´exotisation de la traduction et ils recommandent une langue spécifique de traduction pareille à celle des romantiques. La Moderne tchèque invente une nouvelle théorie de traduction, celle de l´affinité de génie entre le traducteur et l´auteur. L´entre-deux-guerre est de nouveau la période de liberté du traducteur. Apparaît la théorie de substitution : il faut trouver une équivalence entre les styles typiques pour une époque ou avec des styles fonctionnels, en respectant le fait que ceux-ci évoluent avec le temps. Rappelons au moins le principe de la clé linguistique de Bohumil Mathesius : pour bien traduire une oeuvre chronologiquement éloignée de notre époque, il faut s´inspirer d´une oeuvre indigène dont la langue est stylistiquement comparable avec l´oeuvre étrangère ou dont le style peut remplir plus ou moins les mêmes fonctions littéraires ou esthétiques dans la culture d´arrivée que remplissait l´original dans la culture de départ. L´école de O. Fischer se rendait compte du caractère passager de toute traduction : il recommandait alors de traduire pour le présent, ce qui menait parfois aux actualisations des oeuvres traduites. Parmi les objectifs des traducteurs de cette époque figuraient une approche globale de l´oeuvre, l´égard au lecteur et l´effort des effets de communication équivalents de l´original et de la traduction sur le lecteur. Par contre, J. Levý et Bohumil Ilek mettent en question ce dernier principe. Ils prônent la traduction adéquate, la traduction doit être une approche, mais une photocopie de l´original. Il n´est pas possible d´atteindre le même effet de communication sur le lecteur. Selon J. Levý, l´obejctif primordial de chaque traduction est la reproduction de l´oeuvre originale. Selon M. Hrdička fils, la virtuosité du traducteur consiste dans l´art d´harmoniser les deux facteurs décisifs dans le processus de la traduction : l´égard au texte de départ et au lecteur auquel la traduction est adressée. Pendant la seconde moitié du XX^e siècle, dans la traduction littéraire, plusieurs théories existent : celle de l´approche de communication, celle de la traduction adéquate, celle de l´équivalence fonctionnelle de la traduction etc. La traduction tchèque du français 1. La renaissance nationale (1790-1850) Les traductions de la langue française en tchèque existaient dès le début de la traduction tchèque moderne (fin de XVIII^e siècle). Mais jusqu´aux années 1830-1840, leur nombre était assez faible, surtout en comparaison avec les traductions de l´allemend. Dans les années 1830-1840, les traductions du français devancent par leur nombre les traductions de l´anglais. Au début du XIX^e siècle sont assez rares les traductions du français qui étaient publiées (sous forme d´un livre). Mais malgré leur nombre restreint, il s´agissait souvent d´oeuvres clées pour l´évolution de la traduction tchèque et de la production littéraire autochtone. Mentionnons la traduction d´Atala aneb láska dvou divochů na poušti (1805, refait 1832, 1841, 1873) de François René de Chateaubriand par Josef Jungmann en 1805, efectuée quatre ans seulement après la publication de l´original (Atala, ou Les amours de deux sauvages dans le désert, 1801). Par cette oeuvre, Jungmann commence l´étape de l´introduction de grands oeuvres romantiques français dans le milieu tchèque. Mais en même temps, on traduisait surtout les auteurs français du XVIII^e siècle. En 1804, Antonín Jaroslav Puchmajer traduit Chrám gnídský de Montesquieu (mais à partir de la traduction polonaise en vers, et pas de l´original), P. Ondrák traduit en 1836 le roman sentimental Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre (2. éd. 1855), F. B. Tomsa traduit Le diable boiteux (Kulhavý šotek ve Španělsku, 1850) de Alain-René Lesage, dont le roman Gil Blas traduit J. K. Zraslawský (Jan Kaška) en 1848. Les deux éditions de Paul et Virginie montrent l´intérêt avec lequel le public tchèque recevait une histoire sentimentale et moraliste qui illustrait l´effet néfaste de la civilisation sur l´homme. Le succès s´explique par une parenté typologique de la traduction avec la production tchèque prosaïque. Mais petit à petit, ces oeuvres (les romans réalistes de Lesage, de B. de Saint-Pierre) ont non seulement joué un rôle pareil comme dans la culture d´origine mais elles tendaient à remplacer la littérature autochtone auprès des lecteurs tchèques : les traductions étaient linguistiquement plus modernes parce que plus récents que les oeuvres tchèques typologiquement comparables (les récits sentimentaux du XVIII^e siècle) et elles se déroulaient dans un milieu exotique ce qui faisait augmenter leur attirance. Mais dans la première partie de la renaissance nationale, cette haute littérature avait son public parmi les classes les plus éduqué de la population tchèque, elle ne touchait donc que le public assez limité. Il fallait d´abord éduquer, former, créer le lecteur tchèque. La production littéraire qui concernait les classes les plus larges était la production dramatique. On faisait des traductions ou plutôt adaptations des oeuvres dramatiques, p. ex. des jeux de Molière, adaptés aux spectateurs de différents niveaux (Václav Thám : Don Žuán aneb Kamenná hostina, „probablement d´après Molière“; il n´était pas encore de rigueur de mentionner le nom de l´auteur de l´original). Souvent, à cette époque-là, on adaptait les traduction allemandes de pièces françaises. Les contes de fées françaises (p. ex. Finette Cendron dans la version de Mme d´Aulnoy, publiée dans le recueil Nouveaux contes de fées, Amsterdam, 1735) représentait une autre source d´inspiration pour les différentes adaptations tchèques et aussi pour la production littéraire autochtone surtout dans les années 1840 (Němcová, Tyl, Erben). On traduisit quelques oeuvres classiques du XVII^e siècle – L´Art poétique (1674) de Nicolas Boileau par Bohuslav Tablic (Umění básnířské, 1832), ce qui était motivé par l´effort de créer les règles prosodiques tchèques (système syllabique ou accentuel ?). Par contre, à cette époque on ne traduit pas encore les grands classiques dramatiques du XVII^e siècle. Faidre de Racine est traduit en 1877 par Bohumil Pelikán, par l´intermédiaire de la traduction allemende de Fridrich Schiller. Le Cid de Corneille est raduit par Věroslav Pražský en 1864, en 1882 par Václav Kalbáč, en 1886 par Bedřich Frida et la première traduction satisfaisante est celle de Jaroslav Vrchlický (1899). Les premières traductions tchèques de Molière n´apparaissent que dans les années 1860. Certains auteurs comme les philosophes du XVIII^e siècle étaient proscrits pendant longtemps pour des raisons politiques. Par exemple les traductions de Voltaire étaient signées par des traducteurs seulement à partir de 1874. Jungmann publia plusieurs poèmes de Voltaire dans la revue Slovesnost (1845, 1846) mais sans sa signature. De même K. H. Borovský traduisit (de l´allemand) des contes de Voltaire, publiés en 1851 (Některé pověsti), sans l´indication du nom du traducteur. La traduction d´Atala (1805) par Jungmann (1773-1847) annonce le principe de l´actualité qui deviendra l´un des principes décisif dans la traduction tchèque à partir des années 1860. Jungmann admirait beaucoup Voltaire et la philosophie des Lumières, rationaliste et anticléricale. Nous pouvons remarquer cette orientation idéologique dans sa traduction d´Atala : Jungmann omet systématiquement les passages de l´original qui ont un rapport direct avec la pratique religieuse catholique, et avec le culte de la Vierge. Il omet ou transforme sensiblement certains extraits du texte concernant le christianisme. Le texte tchèque est donc plus court que l´original, mais le lecteur ne connaissant pas l´original ne s´en apercevra pas. Jungmann pratiquait d´ailleurs la même approche en traduisant les philosophes allemands qu´il présentait dans son interprétation. Mais la plupart du texte d´Atala est une traduction fidèle presque conforme aux règles actuelles de la traduction adéquate. Jungmann était un traducteur polyglotte (il traduisait aussi de l´allemand, polonais, anglais) et créateur. Par ces traduction, il enrichit le vocabulaire tchèque littéraire. Il puisait les moyens lexicaux (dont le tchèque de son époque ne disposait pas) dans d´autres langues slaves (le polonais, le russe, mais aussi le vieux-slave), dans le tchèque biblique (celui de la traduction Bible kralická de la fin du XVI^e siècle, car cette époque était alors considérée comme l´âge d´or de la langue tchèque). Jungmann n´hésita pas à créer ces propres néologismes. 2. La génération de J. Vrchlický (1850-1890) La seconde moitié du XIX^e siècle marque un tournant important dans la traduction tchèque de la langue française. Leur nombre ne cesse d´augmenter au cours de cette période et pendant les étapes suivantes, pour atteindre son comble dans l´entre-deux-guerres. C´était lié avec les changements politiques des années 1860, la naissance du système parlementaire en Autriche et la démocratisation de la vie politique tchèque. La nation tchèque cherchait une alternative culturelle qui lui permettrait de s´émanciper de l´influence dominante germanique culturelle et scientifique ; c´est du côté de la France qu´une partie de la nouvelle génération littéraire se retournait à partir des années 1860 et surtout 1870. En tête de ce mouvement fut Jaroslav Vrchlický (et les hommes littéraires autour de la revue Lumír, dont J. Zeyer) qui est un des plus grand traducteur tchèque du français. Jaroslav Vrchlický (1853-1912, par son nom civil Émile Frida) était un auteur et traducteur extrêmement fécond. Dès le début de son activité littéraire, il se consacrait systématiquement aussi à la traduction. Il étudia les Lettres à l´université de Prague. Il apprit le français par Ernest Denis auquel il faisait apprendre le tchèque lors de son séjours à Prague (1872 ?). Ses études universitaires terminées, il entra comme précepteur chez le comte Montecuccoli-Laderchi. Avec ses élèves, il passa une année en Italie, à Livourne et dans les environs de Modène. Ainsi, il apprit l´italien. De retour à Prague, il exerçait pendant seize ans la fonction de secrétaire de l´École Polytechnique tchèque. En 1893, il fut nommé professeur de littérature comparée l´Université de Prague. Vrchlický fut fécond surtout dans les traductions de la poésie. Déjà en 1893, il avait traduit 383 poètes et 2356 poèmes (d´après H. Jelínek). Trois poètes surtout ont exercé leur influence sur l´oeuvre de Vrchlický : Dante, Goethe et Victor Hugo. Ce dernier, dans la première période, était son poète de prédilection. Le créateur de la Légende des siècles contribua beaucoup au développement de l´élément épique dans la poésie de Vrchlický. Vrchlický traduisit la Légende des siècles (Legenda věků), une longue série de rhapsodies épiques, mythes, ballades, odes, chansons, légendes et romances, embrassant toutes les étapes successives de l´histoire et de la pensée humaines, depuis le chaos primitif jusqu´à la Révolution française. Sous influence de Hugo, il composa son propre cycle épique, Zlomky epopeje. D´après Hanuš Jelínek, «il serait difficile de dire quelle est la partie de l´oeuvre de Vrchlický qui a le mieux servi la littérature tchèque : la partie originale ou ses traductions. Par ses traductions, il a accompli, à lui seul, une tâche que dans d´autres littératures a suffi à remplir la vie de générations entières. Il n´était plus nécessaire de recourir aux traductions allemandes pour connaître les chefs-d´oeuvre de la poésie universelle. Désormais les Tchèques pouvaient lire les classiques dans leur langue, dans des traductions qui ne font presque pas regretter l´original.» (La littérature tchèque contemporaine, Mercure de France, Paris, 1912, p. 178) Le premier livre publié par Vrchlický n´était pas une oeuvre originale, mais ce fut un Choix de poésies de Victor Hugo. L´admiration de Vrchlický pour V. Hugo ne l´a cependant jamais empêché de traduire d´autres poètes français. Il était un fervent admirateur et interprète dévoué de Théophile Gautier, Théodore de Banville, Alfred de Musset, Alfred de Vigny, Ch. Leconte de Lisle, Sully-Prudhomme. Il faut mentionner surtout deux grandes Anthologies de la poésie française, contenant près de 700 pièces, allant de Villon jusqu´au symbolistes. Il faut y ajouter encore un choix de Fleurs du mal de Baudelaire (en collaboration avec Jaroslav Goll), les traductions de l´Avare (Molière), de Cid (Corneille), de Hernani (V. Hugo), de Cyrano de Bergerac (Edmond de Rostand). Vrchlický traduisait aussi des oeuvres prosaïques dont quelques romans de Balzac, d´Anatole France et de Maupassant. Vrchlický, représentant le plus important des écrivains autour la revue Lumír, avait une place prépondérante dans les traductions de la poésie française, tant dans le choix que dans la stratégie traductologique, à partir des années 1870 jusqu´à la fin du XIX^e siècle. En 1874 paraît son tout premier livre, Básně de V. Hugo. Sur les pages de la revue Lumír, il publie ses deux anthologies de la poésie française, Poesie francouzská nové doby, 1877 et Moderní básníci francouzští, 1893. V. Hugo lui est particulièrement proche par son vers pathétique, la variété des sujets, la couleur des images poétiques, la foi en l´avenir de l´humanité. Mais Vrchlický admirait aussi les poètes parnassistes, Charles Leconte de Lisle, Théodore de Banville, José-Maria de Hérédia, Sully-Prudhomme et Mme Ackermann, avec lesquels il partageait l´opinion sur la position de l´art et qui appliquaient les mêmes exigeances formelles à la création artistique. Vrchlický accompagnait son activité traductrice par des critiques, recensions et essais littéraires, apportant les informations biographiques sur les auteurs traduits, les commentaires et les extraits de leurs oeuvres (Básnické profily francouzské, 1887, Studie a podobizny, 1892, Devět kapitol o novějším románu francouzském, 1900, Rozpravy literární, 1906.) La génération des écrivains des années 1890 allait reprocher à Vrchlický une certaine facilité et universalité de ces poésies traduites. Vrchlický s´efforçait de traduire la poésie en imitant le plus fidèlement possible la forme strophique et la versologie de l´original. Cela le menait à créer une sorte d´un type universel de vers traductologique qu´il employait pour traduire des poètes différents. Le vers pathétique qui sacrifiait les détails au profit du tout, avec la syntaxe modifiée, soumise au rythme de la strophe, des inversions fréquentes, le lexique plein de néologismes poétiques, créait une langue stylisée, de haut niveau artistique. Le côté positif de cette stratégie de traduction fut une très grande fécondité, le côté négatif un certain nivellement de stylisation des auteurs différents. Ajoutons que Vrchlický traduisait aussi de l´italien (Dante, La Comédie divine; Petraque, Les Canzones; Tasse, la Jérusalème délivrée etc.), de l´espagnol (pièce de Calderon, une pièce de Lope de Vega), du portugais (la vaste épopée de Camoens, les Lusiades), de l´anglais et de l´allemand. Avec Vrchlický, Julius Zeyer était un propagateur farouche de la littérature occidentale chez nous. Il a étudié à l´école réale à Prague, ensuite, il voyagea (Vienne, Francfort, Zurich, Paris). De retour à Prague, il entrprit ses études supérieures à la Faculté des Lettres. Il séjourna plusieurs fois en Russie. Il voyagea aussi en Italie, en Tunisie (1883). En 1889, il séjourna en France, Paris et en Bretagne et Picardie. De Paris, il voyage aussi en Espagne. La poésie de Zeyer était inspiré par le moyen âge français (l´Épopée carolingienne). Il a traduit La chanson de Roland (Píseň o Rolandovi, 1878) selon la version de L. Gautier. La Vie de Jésus (1863) de Ernest Renan est traduit en 1864. F. Bohumil Tomsa traduisit Les Trois mousquetaires de Dumas en 1851-1854. Vincenc Vávra Haštalský traduit Les Misérables et Notre Dame de Paris de Hugo (Bídníci, 1863-1864, réédition 1883), Chrám Matky Boží v Paříži (1864). Dans les années 1860 sont publiées les traductions de Dumas (Hrabě Monte Christo), des romans de Eugène Sue (1804-1857) et de Georges Sand. Les mystères de Paris (1842-1843) de Sue traduit probablement par Josef Čejka en 1864 (Tajnosti Paříže, traduction anonyme) introduisit dans la littérature tchèque le genre du roman-feuilleton et du roman social. Le roman-feuilleton comprenait souvent une intrigue policière, avec une enquête d´un crime. Ce genre s´est répandu parmi les classes les plus larges des lecteurs et est devenu sysnonyme de la littérature d´évasion, de consommation. Les romans de Georges Sand sont traduit par Žofie Podlipská – La Comtesse de Rudolstadt (Hraběnka z Rudolštadtu, 1864), Consuelo (Konsuelo, 1865). On traduisit Jules Verne Autour de la Lune (1870, Cesta kolem Měsíce), la traduction est publiée la même année que l´original. Le Tour du monde en quatre-vingt jours, 1873, est traduit en tchèque aussi la même année que l´original (Cesta kolem světa za osmdesát dní). C´était Jan Neruda qui s´engageait à faire connaître Verne chez nous, mais il ne le traduisait pas. Il en fut néanmoins influencé dans sa création poétique (Písně kosmické, 1878). On essayait de rattraper le retard en traduisant les grands classiques français – en 1873 est publié le recueil Čtrnáctero bajek de La Fontaine par B. Peška (réédition 1895), en 1874 Candide neboli Optimismus de Voltaire par Rudolf Krejčí. Ce n´est que dans les années 1880 qu´apparaissent les première traduction de Balzac ; Le Père Goriot (1835, Otec Goriot, 1885, Národní listy), La femme de trente ans (1831, Třicetiletá, 1886, J. Vrchlický), Plukovník Chabert (1886). À la même époque commencent les traductions des auteures réalistes et naturalistes, tel Alphonse Daudet : Les Aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon (1872) – Podivuhodná dobrodružství Tartarina z Tarasconu (1884) traduit par František Rosa. En 1885 est publié la traduction Krčma (Zabiják / L´Assomoir (1876) d´Émile Zola par Josef Černý. La lutte concernant l´eouvre de Zola commence : son grand propagateur fut Vilém Mrštík qui traduisit certains textes théorique de Zola pour des revues. La revue Lumír était pour, les revues Osvěta (Ferdinand Schulz) et Literární listy (Leandr Čech) étaient contre Zola (pour des raisons de moeurs). Ce n´est que dans les années 1890 et plus tard que les naturalistes, dont Zola, mais aussi Flaubert et Maupassant, sont traduit massivement en tchèque. Les traductions dramatiques du français sont représentées par les comédies d´intrigues d´Eugène Scribe (1791-1861), A. Dumas fils (1824-1895), Octav Feuillet (1821-1890), Victorien Sardou (1831-1908). Ces pièces qui introduisent ce nouveau genre dramatique sur les scènes tchèques sont jouées au Théâtre provisoire, dans les traductions de Emanuel Bozděch (1841-1889), lui-même auteur des comédies d´intrigues. Jakub Arbes, dramaturge du Théâtre provisoire (1876-1879), fut aussi le traducteur des pièces françaises de Molière, Balzac, Zola, Scribe, Dumas père et fils, Sardou, et Hugo. František Doucha (1810-1884) traduisit également pour le théâtre, des auteurs comme Dumas père, Sardou, Hugo : Ruy Blas (1861). Doucha respectait fidèlement le texte de départ. Sofie Podlipská traduisait Sribe dans les années 1870 et Bedřich Frida (1855-1918) traduisait pour le théâtre dans les années 1880-1890. 3. La génération de la Moderne tchèque (A. Procházka, H. Jelínek) (1890-1918) C´est une période dans l´histoire de la traduction tchèque que nous pourrions désigner comme la période des grands projets éditoriaux. D´un côté, on complétait des lacunes concernant les oeuvres plus éloignées dans le temps, dont Gargantua et Pantagruel. La traduction fut initée par P. M. Haškovec, professeur de la littérature française à la Faculté des Lettres tchèque à Prague. Parmi ses étudiants, un groupe de jeunes traducteurs s´est formé qui traduit cette oeuvre collectivement. La traduction, publiée en 1912 sous le nom Hrůzyplný život velikého Gargantuy, otce Pantagruela, složený kdysi panem Alkofribasem, filosofem quintessece. Kniha plná pantagruelismu, était signée par le pseudonyme Česká theléma. Ce groupe de dix traducteurs, qui adopta ensuite le nom de Jihočeská theléma, publia encore Život Gargantuův a Pantagruelův en 1931 (réédité en 1953 et 1962). Il s´agissait d´une traduction fidèle, précise et moderne, et surtout assez unifiée, malgré la traduction collective. Dans les années 1890 commence une période des grands projets éditoriaux concernant les traductions en général, y compris les traductions du français. L´objectif de cette activité éditoriale était de faire paraître dans les versions les plus complètes possibles les traductions des classiques, surtout des auteurs réalistes. Parmi les réalistes français, on traduisait, à partir des années 1890, Balzac, Flaubert (Jan Třebický, Paní Bovaryová, 1892; František Václav Krejčí, Salambo, 1896; Stanislav Mašek, Sentimentální výchova, 1898), les frères Goncourt (Pavla Moudrá, Germinie Lacerteuxová, 1898). Malgré l´intérêt pour les frères Goncourt parmi les auteurs autour de la Revue moderne (Arnošt Procházka, Vilém Mrštík), leur oeuvre ne fut jamais traduit dans la version complète. Parmi les auteurs traduits figuraient aussi V. Hugo (Vincenc Vávra Haštalský, Ubožáci, 1883; Emanuel z Čenkova, Bídníci, 1897-1899), Maupassant (Václav Hladík, Miláček, 1896). Maupassant était traduit systématiquement avant la Grande guerre (en 24 volumes, 1909-1913). Les grand projets éditoriaux continueront jusqu´à l´ère de la Première république tchécoslovaque. Ainsi, la Bibliothèque de Jan Otto (ediční řada Ottova knihovna) publiait des traductions de la prose – Zola, publié en 30 volumes entre 1908 et 1927, Balzac en 10 volumes entre 1910 et 1918, Flaubert en six volumes (1919-1929) et en 12 volumes (1930), Anatole France en 27 volumes (1925-1935) et bien d´autres. Ce n´est qu´à la fin du XIX^e siècle que l´on commence à traduire Stendhal, assez tardivement (Jindřich Vodák, Červený a černý, 1898. On continue à traduire Zola, dont le roman Germinal est traduit par plusieurs traducteurs (Jan Třebický, 1892, 1902 et 1903; Alois Šašek, 1904; J. Hraše, 1908; Otakar Kunstovný, 1911), Tereza Raquinová (Jaromír Borecký, 1892). J. Borecký traduisit d´autres réalistes et naturalistes, dont A. Daudet (Krásné Niverňanky, 1893), Flaubert (Pokušení sv. Antonína, 1897), frères Goncourt (Bratři Zemgano, 1894). À part les auteurs réalistes et naturalistes, les traductions de la poésie contemporaine étaient très nombreuses. On essayait de familiariser le lecteur tchèque avec les courants modernes, dont le symbolisme, l´impressionisme, la décadence. On continuait à traduire Charles Baudelaire, dont la poési fut introduite dans le contexte littéraire tchèque déjà par J. Vrchlický en 1875 dans la revue Lumír et plus tard dans ses deux anthologies, Poesie francouzská nové doby (1877) et Moderní básníci francouzští (1893). Vrchlický traduit le premier quelques-uns de ses Petits poèmes en prose (1877, Lumír). Les traductions de la poésie Baudelaire deviendront dorénavant la pierre angulaire des grands poètes tchèques dont Arnošt Procházka, Victor Dyk, Karel Čapek, V. Nezval, Svat. Kadlec, Fr. Hrubín, Vladimír Holan, et d´autres. Malgré que les représentants de la génération littéraire des années 1890 (J. Karásek, A. Procházka, les fondateurs de la Moderní revue (1894-1924) aient critiqué les traductions poétiques de Vrchlický, ses traductions restaient pendant des dizaines d´années vivantes et font partie intégrante de la poésie tchèque. La pièce néoromantique d´E. de Rostand, Cyrano de Bergerac, était joué à Prague en 1898, un an après la première représentation en France, grâce à Vrchlický; sa traduction était employée sans changement pendant 40 ans, et après une révision par Jindřich Hořejší (1948) et Gustav Francl (1958), elle fut utilisée par des théâtres encore au début des années 1970. Le criticisme exacebé de la génération de 1890 menait à quelques révisions des traductions existantes. Jindřich Vodák, professeur de la littérature française, traduit de nouveau Atala de Chateabriand en 1898. Sa traduction est, à la différence de celle de Jungmann, idéologiquement fidèle à l´original. C´est pourquoi la traduction de J. Vodák est devenue point de départ pour toutes les traductions suivantes d´Atala (celle de Jaroslav Fořt de 1927 et celle de Oskar Reindl de 1973). D´autres poètes symbolistes que Baudelaire étaient traduit, dont Stéphane Mallarmé, Paul Verlaine, Jean-Arthur Rimbaud, Guillaume Apollinaire. Sigismund Bouška et F. Sekanina traduisent Verlaine (Výbor z poezie Verlaina, 1905). S. K. Neumann traduisait par ex. Rimbaud (Opilý koráb, 1908), Verlaine, Baudelaire, Apollinaire, Verhaeren, mais aussi Fr. Villon. En 1900, il publie une anthologie Convivium, přehlídka moderní francouzské lyrické poezie. Emanuel z Lešehradu traduisait beaucoup Mallarmé, et en 1902 est paru son anthologie Moderní lyrika francouzská. Arnošt Procházka fait paraître deux recueils de la poésie française (Cizí básníci, 1916, 1919). La prose moderne, publiée et propagée par des articles théoriques sur les pages de la Revue moderne (A. Procházka, Jiří Karásek ze Lvovic) est représentée par J.-K. Huysmans (Naruby, Arnošt Procházka, 1905, 1913), Baudelaire (Malé básně v próze, H. Jelínek, 1901), Tristan Corbière (Žluté lásky), A. Jarry (Král Ubu, Bohuslav Chaloupka), P. Claudel, M. Maeterlinck, A. Gide et d´autres auteurs provoquant pour leur époque. Mais d´autres éditions publiaient la littérature française très actuelle. Le roman de Paul Bourget Le Disciple, 1889, traduit par Emanuel z Čenkova en 1890 (Žák, publié par la maison d´édition Nové proudy), rappelle par son ambiance le roman À rebours de Huysmans. Hanuš Jelínek (1878-1944) appartient parmi ces traducteurs assez rares qui ont contribué à la propagation de la culture de son pays par des traduction du tchèque en français. La traduction de la langue maternelle vers une langue étrangère exige la compétence bilingue du traducteur ou sa collaboration éventuelle avec un traducteur indigène. Hanuš Jelínek qui a parfaitement appris la langue française par ses nombreux et longs séjours en France, était bien préparé pour ce rôle et a consacré toute sa vie au développement des relations culturelles franco-tchèques. Il a aussi traduit du français vers sa langue maternelle. Ses dons de poète lui ont permis de traduire deux séries de chansons et ballades françaises (Zpěvy sladké Francie, 1925 et 1930). Il a traduit aussi des oeuvres en prose et des pièces de théâtre (Molière, Musset, Roger Martin du Gard, Henri Barbusse: Le Feu , 1917). En 1925 il a édité son recueil De la poésie française contemporaine (Ze současné poezie francouzské). Il a déployé un grand effort pour faire connaître la littérature tchèque en France. Il a écrit de nombreux articles sur la littérature tchèque dans différentes revues. En 1910, il a professé un cycle de conférences sur la littérature tchèque contemporaine à la Sorbonne qu´il a ensuite publiées (La littérature tchèque contemporaine, Mercure de France, Paris, 1912). On y trouve des traductions de la poésie de P. Bezruč, J. S. Machar, K. H. Mácha, J. V. Sládek, J. Neruda etc. Une autre oeuvre importante représentent ses trois volumes consacrés à l´Histoire de la littérature tchèque : I. Des origines à 1950 (Paris, 1930), II. De 1850 à 1890 (Paris, 1930), III. De 1980 nos jours (Paris, 1935). Jelínek a aussi traduit en français des pièces dramatiques (A. Jirásek : Un père, publiée dans la Gazette de Prague, 1924, ou R.U.R. de K. Čapek, publié à Paris en 1924). En 1930 on a édité à Paris son recueil Anthologie de la poésie tchèque. 4. La traduction dans l´entre-deux-guerres I - poésie (K. Čapek, V. Nezval, V. Dyk, H. Jelínek, Svat. Kadlec) La période de l´entre-deux-guerre représente l´époque la plus féconde de la traduction tchèque du français, puisque c´était en même temps l´âge d´or des relations franco-tchèques en général. L´intérêt croissant de la scène culturelle tchèque pour la culture française datait de la fin du XIX^e siècle. L´orientation politique très francophile de la première République tchécoslovque facilitait encore cette tendance. Le grand nombre de traductions du français avait d´autres causes : l´influence du critique littéraire F. X. Šalda dont les critères de valeur artistique étaient en grande partie inspirés par l´analyse des exemples français. Deuxièmement, l´entre-deux-guerre était une période riche en grands traducteurs de trois générations environ : Karel Čapek, Viktor Dyk, Arnošt Procházka, Jindřich Hořejší, Zdeněk Kalista, Otokar Fischer, Josef Palivec, Svatopluk Kadlec, Otto František Babler, Vítězslav Nezval, Karel Teige etc. Il faut mentionner surtout des anthologies des traductions de la poésie française. Ce n´est qu´ cette époque-là qu´un grand projet qui datait des années avant 1914 était réalisé : plusieurs traducteurs se réclamant de Vrchlický voulaient lui succéder en créant une grande anthologie de la poésie française. De ce projet, plusieurs anthologie plus petites étaient publiées : Francouzská poezie nové doby de K. Čapek (1920, 1929, 1936); Ze současné poezie francouzské. Od symbolismu k dadaismu de Hanuš Jelínek (1925, élargie sous le titre Má Francie, 1938); Cizí básníci (1919) de Arnošt Procházka; traductions de V. Dyk parues dans des revues, publiée dans un recueil posthume en 1957 (Francouzská poezie nové doby v překladech V. Dyka). V. Nezval participait par ces traductions aux livres Surrealismus (1936), et Moderní básnické směry (1937). Hanuš Jelínek faisait paraître ses anthologies Zpěvy sladké Francie (1925, 1938), Nové zpěvy sladké Francie (1930, 1938) et Starofrancouzské zpěvy milostné i rozmarné (1936); Jindřich Hořejší participait aux anthologies Ozvěny (1927) et Básně (1932, 1935). On traduisait beaucoup des poètes maudits, dont Baudelaire dans les traductions de Jaroslav Haasz, Svatopluk Kadlec (Květy zla, 1930, 1934, la première traduction complète de cette oeuvre) et V. Nezval; Mallarmé est paru en traduction de E. z Lešehradu ( Relikviář Stephana Mallarméa, 1919) et de V. Nezval (Vrh kostek, Poesie, 1931); Lautréamont était traduit par J. Zaorálek (pseudonym Vodehnal) et J. Hořejší (1929); Rimbaud par V. Nezval (Dílo J.-A. Rimbauda, 1930); Gérard de Nerval est traduit par V. Závada (1930), Villon par Otokar Fischer (1927), Verlaine par Bohuslav Reynek (1929). L´intérêt des poètes tchèques avantgardes aux poètes maudits (dont on considérait Villon comme précursuer, en France et chez nous) était encore accentué par des essais de F. X. Šalda (Z alchymie moderní poezie). Les traductions de Guillaume Apollinaire avait une position importante : en 1919 paraît La Zone (Pásmo) en traduction de Čapek, suivie des recueils de M. Hlávka (Básně, 1928, 1929, 1935), Z. Kalista (Alkoholy, 1930), traductions de Hořejší, Čapek, Kalista et Seifert dans la revue ReD 2 (1928-1929), dans le numéro spécialement consacré aux poèmes d´Apollinaire, et aussi dans le plus grand recueil d´Apollianire de cette époque, intitulé Guillaume Apollinaire. Básně. Souborné vydání českých překladů Karla Čapka, Jindřicha Hořejšího, Zdeňka Kalisty a Jaroslava Seiferta s předmluvou Karla Teiga (1935). D´autres poètes publiés à cette époque étaient Francis Jammes, Charles Cros (Vybouřený život, S. Kadlec, 1929), Paul Valéry (Hřbitov u moře, Josef Palivec, 1928), Jean Cocteau (Kohout a Veuše, M. Hlávka, 1927), Émile Verhaeren (Vzpoura, J. Hořejší, 1923), recueil de F. Villon par O. Fischer (1927), Paul Éluard (Veřejná růže, V. Nezval, 1936). Pour les traduction de la période d´entre-deux-guerre est typique l´effort de créer des anthologies représentatives, intégrant la poésie contemporaine et les oeuvres parfois éloignées mais que l´on commençait à découvrir en France, dont les poètes maudits et ceux qui étaient considérés comme leurs précurseurs, dont Fr. Villon. De la poésie française on traduit tout ce qui est digne d´être traduit, on remplit des lacunes dans la traduction d´oeuvres importantes que Vrchlický n´avait plus le temps de traduire lui-même. Les traductions de la poésie de cette époque étaient de très bonne qualité, car c´était des grands personnages littéraires qui créaient la plupart des traductions de cette époque. Rien d´étonnant de voir les traductions devenir partie intégrante du contexte littéraire tchèque. Par ex. Villon traduit par O. Fischer, Jehan Rictus et Tristan Corbière par J. Hořejší, Rimbaud en traduction de Nezval et La Zone d´Apollinaire par Čapek font partie de la poésie tchèque. Dans La Zone, Čapek intégrait les nouveaux procédés technique de la poésie tchèque moderne d´avant 1914, les vers libres, la syntaxe courante, le style proche de la langue parlée, alternance des registres etc. 5. La traduction dans l´entre-deux-guerres II – drame, prose (J. Zaorálek, J. Hořejší, Otokar Fischer, O. F. Babler) En 1917, Hanuš Jelínek traduisit le roman d´Herni Barbusse, Le Feu (1916), qui critiquait la guerre. Le roman, qui provoqua des polémiques politiques (propagation des idées socialistes) et littéraires en Tchécoslovaquie, représentait aussi un défi pour le traducteur ; il s´agissait de trouver des équivalents de la langue parlée, du français familier avec des expressions argotiques. Dans le domaine du théâtre, les traductions réussites jouait un rôle semblable à celui des traductions de la poésie. Les traducteurs des pièces de théâtre cherchait à renouer avec la traduction de Vrchlický. De même que dans la poésie, on révisait des traductions en vers de Vrchlický selon les nouveaux principes, formulés par K. Čapek dans le texte Český jevištní alexandrín (1921). Par exemple la version de Cyrano de Bergerac, corrigée par J. Hořejší, était jouée encore au débur des années 1970. J. Hořejší renouait avec la tradition des traductions dramatiques fondée par Vrchlický dans sa tradution de Faidra de Jean Racine (1926). Pour cette époque était typique l´adaptation des pièces dramatique plutôt que la fidélité rigoureuse l´original. À côté des classiques, on traduit abondamment les pièces modernes (Jean Giraudoux, Nová Elektra, 1938; les pièces de A. P. Antoine, Jean Anouilh). Les traductions du français occupaient une place prépondérante parmi les traductions dramatiques. Parmi les traducteurs pour le théâtre se faisait remarquer surtout J. Hořejší. Les traductions des pièces avantgardes étaient d´une qualité exceptionnelle, ce qui permettait leur emploi pendant de dizaines d´années. Mentionnons Prsy Tirésiovy d´Apollinaire traduit par J. Seifert (1926), Orfeus de Cocteau par Jiří Voskovec et sa traduction du Roi Ubu (Ubu králem, joué en 1928, publié en 1930). Toutes ces pièces étaient jouées sur la scène du Théâtre libéré. Les traduction de pièces françaises avantgardes, aisni que de la poésie avantgarde, inspiraient la production indigène ; par. ex. les poésies de Villon, traduit librement par Otokar Fischer (1927), inspirait Balada z hadrů de Voskovec et Werich. Les traductions de la prose étaient aussi très nombreuses. Plusieurs oeuvres classiques, dont Eugénie Grandet de Balzac, sont traduits en peu de temps par plusieurs traducteurs presque simultanément. Eugénie Grandet paraît ainsi en 1924 (Otokar Šimek, traduction plus ancienne de 1900), en 1923 dans la traduction de T. Březohorský, en 1927 dans la traduction de Zdenka Folprechtová, en 1928 dans la traduction de Jaroslav Poch, en 1929 dans la traduction de Jan Čep. L´effort de traduire les grands auteurs contemporains français le plus tôt possible mène à la traduction collective, effectuée par des traducteurs importants. Parmi les projets de ce type appartient surtout la traduction de Marcel Proust : À la recherche du temps perdu, 1913-1927, qui était traduit en tchèque dans la version intégrale et publiée chez Odeon entre 1927 et 1930, donc très vite après le dernier volume de l´original. Les traducteurs qui collaboraient à ce vaste projet étaient Jaroslava Vobrubová-Koutecká (1^e partie du 1^er volume), Miloslav Jirda (5^e volume), Bohumil Mathesius (une partie du 7^e voume) et Jaroslav Zaorálek qui traduisit tout le reste. En 1931 paraît finalement La Vie de Gargantua et Pantagruel de Rabelais, dans la version intégrale, dont la première partie (Gargantua) était publiée en 1912. Le collectif des traducteurs s´appelait Česká Theléma. Les maisons d´éditions continuaient à réaliser les grands projets éditoriaux concernant les classiques français ; ces projets n´ont pas d´équivalent jusqu´à nos jours. Chez Aventinum, dans le cadre de la Bibliothèque des classiques, paraissent en 1931 les oeuvres complètes de G. Flaubert, sous la rédaction du professeur Otokar Šimek, romaniste. Les traductions étaient l´oeuvre de Růžen Thonová, Otto Rádl, Stáša Jílovská, Jarmila Pospíšilová-čapková, Norbert Havel, Otokar Šimek, Arnošt Procházka, Jan Čep. Parmi les traducteurs importants de cette époque mentionnons Jaroslav Zaorálek, Josef Heyduk (Penězokazi de Gide, 1932, les romans de Fr. Mauriac), Jan Čep, Jindřich Hořejší (traducteur des romans et des dizaines de pièces de théâtre). Il s´agissait de traducteurs créateurs qui propageait des solutions originales des problèmes de traduction. Parmi les traductions qui continuent à être éditées encore aujourd´hui (après quelques révisions de la rédaction) appartiennent les romans de Romains Rolland (Jan Kryštof traduit par Josef Kopal, Colas Breugnon – Dobrý člověk ještě žije traduit pa Zaorálek), Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline (Jaroslav Zaorálek et Jindřich Hořejší, 1933, un an après l´original), ou Clochemerle de Gabriel Chevalier (Zvonokosy dans la traduction de J. Zaorálek). Il s´agisssait de traductions stylistiquement compliquées et exigeantes. Il fallait trouver des équivalents non seulement de la langue soutenue, mais aussi de la langue parlée. L´effort des traducteurs de cette époque s´orientait vers l´exploitation de tous les registres de langue. L´activité traductrice était considérée comme affaire de prestige. Les éditeurs voulaient collaborer avec les traducteurs renommés et expérimentés. Les journaux et revues littéraires consacraient une place importante aux recensions et critiques de la traduction. L´effort de publier des livres (y compris les oeuvres traduites) de qualité a mené à la fondation du Kmen (Klub moderních nakladatelů, 1926, Club des éditeurs modernes). Le Club Kmen réunissait les maisons d´édition suivantes : Aventinum, Fr. Borový, L. Bradáč, B. M. Klika, L. Kuncíř, F. Obzina, Čin, Družstevní práce, A. Dyk, Hyperion, Kvasnička a Hampl, K. Neumannová, Odeon, V. Petr, A. Srdce, Spolek českých bibliofilů, F. Svoboda, Symposion (R. Škeřík). La revue Kmen, dirigée par Julius Fučík, publiait en 1928 une enquête consacrée à la traduction, dans laquelle prononcèrent leur opinion sur les problèmes de la traduction les traducteurs importants, dont Bohumil Mathesius. L´abondance des livres traduits était telle qu´elle provoqua des critiques nombreuses, par ex. de K. Čapek, car les traductions d´auteurs étrangers concurenceaient les auteurs tchèques. La prévalence des traductions sur des publications tchèques résultait du fait qu´à cette époque-là, les éditeurs ne versaient aucune taxe à l´auteur de l´original, pour la traduction de son oeuvre en tchèque. Pour l´éditeur, le livre traduit revenait donc moins cher qu´une publication d´un livre de l´auteur tchèque qu´il fallait payer. Otto František Babler (1901-1984) était un traducteur polyglotte qui traduisait de toutes les langues slaves et aussi des langues romanes (de l´italien, du français, de l´espagnol) et certaines oeuvres de l´anglais. A part cela, il traduisait surtout du tchèque en allemand. Parmi ces traductions des langues romanes mentionnons surtout deux oeuvres du vieux français Le Roman de la rose et le Roman de Renart, ou la Comédie divine de Dante. Bibliographie : Český překlad 1945-2003, Ústav translatologie FF ÚK, Praha, 2003. Český překlad II 1945-2004, Ústav translatologie FF ÚK, Praha, 2005. Gromová, Edita, Hrdlička, Milan (eds.): Antologie teorie uměleckého překladu, FF OU, Ostrava, 2004. Hrala, Milan (ed.): Kapitoly z dějin českého překladu, Karolinum, Praha, 2002. Hrdlička, Milan ml.: Ke vztahu překladatel - čtenář z perspektivy diachronní, Gromová, Edita, Hrdlička, Milan (eds.): Antologie teorie uměleckého překladu, FF OU, Ostrava, 2004, p. 31 - 35. Ladmiral, Jean-René: Traduire : théorèmes pour la traduction. Gallimard, Paris, 2002 (1994). Levý, Jiří. České teorie překladu. Praha, Stát. nakladatelství krásné literatury, hudby a umění, 1957. Stavinohová, Zdeňka: Deux traducteurs tchèques importants et leur grand rôle culturel. AUC, Philologica 2, Translatologica Pragensia VI, Praha, 1995, p. 105-108. Jelínek, Hanuš: La littérature tchèque contemporaine, Mercure de France, Paris, 1912, p. 164-180.