[...] Aujourd'hui comme hier, l'observation me persuade que Ja seule fin saine d'un enseignement dramatique (comme de tout enseignement artistique, du reste) est de créer chez 1'élěve la disponibilitě la plus vaste possible. Rendre disponible, c'est-ä-dire, annihiler tous les états mo-raux et physiques qui entravent ou paralysent la libře activité de la vie sensible. Les obstacles moraux sont les conformismes de toutes sortes, les préjugés, les timidités, les humilités; les obstacles physiques sont les défauts de souplesse neuromuscu-laire [...]. Les matériaux positifs en art dramatique comme en tout art sont, eher Taraste, la presence ďun généreux et puissant désir. L'inspiration personnelle ne s'enseigne pas, méme si eile se dépiste et se designe. La force biologique ne s'inculque pas [...]. De la vie emotive ä la conscience, le passage est incommensurable. Bien des choses existent en une personne, pour la carac-tériser et la définir, et dont cette personne ne soupgonne pas la réalité. Les apports les plus personnels d'un étre lui sont généralement inconscients. Un professeur responsable doit provoquer, par quelque moyen, la manifestation de cette qualité ďécre mystérieuse. Une fois manifestée, il doit la designer ä la personne qu'elle révěle — sans se tromper. La täche la plus dure d'un professeur est certainement de mettre 1'élěve dans une ambiance favorable a l'exteriorisation de cette forme qui lui est propre. L'enseignement d'un professeur lucide se resume ä une critique a posteriori. Quand il est parvenu ä «compromettre» 1'élěve, c'est-ä-dire ä lui faire assumer un risque psychologique suffisamment émouvant pour qü'il se révěle malgré lui, le professeur doit faire 1'analyse de cette réalité singuliěre qu'on lui vient manifester. Destructeur d'inhibition d'abord et avant tout, le professeur devient ensuite révélateur ďauthenticité permanente. Si l'on considěre que la justesse d'une chose et d'un étre ne s'appre-hende que par la sensibilitě, on comprendra quelle acuité sensible est exigée d' un maitre [...]. Le professeur est un guide. II ne peut agir que sur une forme déja existante, a posteriori. Sa täche est de débarasser 1'élěve de ses hesitations arbitraires, de lui rendre accessible la bonne conscience primitive, ďépurer ses manifestations entachées ďa-priorisme, ďépanouir une justesse naturelle de plus en plus limpide. En art dramatique, comme ailleurs, l'arbitraire (la volonte habile, tyrannique et sěche) n'a de place nulle part. Le röle de la volonte est de servir scrupuleusement et rigoureusement l'accomplissement de l'inspiration authtntique. L'eleve doit comptendre, aussi, afin de ne s'amenuiser dans aucun préjugé sectaire, que tout est permis — pourvu que l'objet (forme ou en formation) soit la consequence d'un désir veritable et ardent. Les eritěres de jugement ne doivent pas étre conventionnels: il est obligatoire d'apprendre ä estimer un objet sur la justesse inscrite dans sa charge sensible, et non pas ďaprěs des regies décrétées par intention lache de simplification. Ä la longue, la forme sensible devra devenir le eritěre de jugement de 1'élěve: ainsi, il ne sera pris au dépourvu par aucun objet (aussi imprévu soit-il) qu'on lui présentera, car tout objet (méme le plus révolutionnaire) a toujours une forme sensible. Limite par aucune prevention esthétique, élargi par la conscience critique, assaini et rompu par une experience sensible, immense et multiforme, apaisé par la connaissance de soi, le jeune comédien sera devenu alors véritablement «disponible». La disponibilitě integrale est le seul but respectable de tout enseignement ďart'4.