qui hantait depuis un certain temps rimaginalion de Gurik. Avaiit de s'appeler Api 2967, dans sa seconde version, une de ses premieres pieces avait pour titre complet: Api or not Api, voild la question, jeu de mots hamletien a paitir de happy (heureux) et du grec apis (pomtne). Pour saisir 1'ori-ginalite' et le sens de l'entreprise de Gurik, il faut se rappeler que le Hamlet de Shakespeare date de 1602, dpoquc trouble et difficile ou, a la suite de la mort d'Elisabeth, 1' Angleterre quitte une ere joyeuse, conqudrante, triomphale, pour entrer avec les Stuarts dans une ere de doutc, d'interrogation angoissde, de lucidity douloureuse. Le tournant du XVIe au XVIP siecle correspond au cycle le plus noir, le plus pessi-miste de l'ceuvre de Shakespeare, qui va de Hamlet a Timon a" At hines. La distribution de Hamlet, prince du Quebec est assez semblable a celle du Chemin du Roy, mais plus complete et plus heureuse dans certains choix. Gurik ne fait figurer dans sa piece ni Daniel Johnson, qui mourra prcmaturemcnt, ni Diefenbaker, ombre des combats d'arriere-garde, ni Miss Lamarsh, retournee au Niagara et au journalismc. Par con-Lre, il ajoute un personnage essentiel, Pierre-Elliott Trudcau (pas encore chef du Parti liberal ni premier ministre), ainsi que des figures secondares pittoresques: Pelletier (Mar-chand 6tait seul dans le Chemin du Roy), Bourgault, officier du R(h)IN. Gurik suit d'assez pres et adapte habilement la , .-<• r piece de Shakespeare, dont il fait une «sotie tragique39». ,,' rf*-*- — le roi, dans Hamlet, prince du Quebec, reprdsente le Pouvoir anglophone, c'est-a-dirc aussi bien le capi- ,,' ' talisme amencain que la bureaucratie ontarienne''0. — la reine est l'Eglise catholique, la hierarchic, autre pouvoir assis a cote\ a 1'ombre du premier. — polonius, «radoteur futile et sentencieux» aux yeux de Hamlet, mais dont il faut honnetement signaler «la sagacite" et le bon sens4,», c'est Pearson: meme initiale, meme incomprehension comprehensive, meme ddsir sincere de conciliation qui se charge de menace lorsqu'il se sent menace. — La belle ophelie, fille de Polonius: Jean Lesage, «le plus bcl homme», fonné á Ottawa par Saint-Laurent et Pearson. — iaErte, fils de Polonius, logicien, courageux mais téméraire: Pierre-Elliott Trudeau,qui n'etait á 1'épo-que qu'un intellectuel devenu depute et ministre. — guii.denstern et RosENRANTZ, personnages jumelés et interchangeables, «éponges qui pompent les fa-veurs» (scion Shakespeare42), ce sont les deux autres «colombes» de la paix armée: Gerard Pelletier et Jean Marchand. — hamlet, seul personnage non masqué (peut-étre parce qu'il est le plus secret, le plus difficile á saisir), représente le Quebec. -— Horatio, ami de Hamlet: René Lévesque. — le spectre du pere, du roi, c'est 1'ombre de de Gaulle, de la France. — A ces protagonistes s'ajoutent deux paysans-fos-soyeurs: un indépendantiste et une «majorité silen-cieuse» a tendance créditiste, ainsi que trois comé-diens qui représentent «les grandes tendances du theatre actuel» sous les traits ď Yvette Brind'amour, Jean Gascon et Gratien Gélinas... A 1'ouverture du rideau, les fossoyeurs jouent aux cartes sur une colline (la «colline parlementaire»), pres de la statue retrouvée de Duplessis. «Travailler toute la journée parmi les morts, entouré de barriěres, c'est pas une vie», dit l'un d'eux. Mais que faire lorsqu'on n'a pas d'instruction et qu'on ne parle pas anglais? Alors, on enterre et on s'enterre. Dans la deuxiěme scene, Laerte-Trudeau supplie le Roi de le laisser aller á Ottawa parfaire ses connaissances juridiques. Puis Hamlet et Horatio reprennent contact. Le Spectre paternel apparaít á Hamlet du haut du balcon de l'hotel de ville: «Venge un meurtre horrible... le plus horrible commis depuis les jours d'Abraham». (p. 48) Ces «jours» d'Abra-ham renvoient aux plaines d'Abraham et á la victoire de Wolfe sur Montcalm en 1759. Hamlet «se souvient» — c'est Sa «fixation partielle» et temporaire fait-elle du Chemin du Roy un texte «pret ä etre dävorö par ces infatigables Iitterateurs», ces «voyeurs de I'esprit» que sont les profes-seurs et les critiques, alors qu'on aurait voulu en faire un document de travail, une feuille de route, «un outil pr£cieux pour les gens de mutier»? (Avertissement, p. 12) En quoi Tun empeche-t-il l'autre? L'outil qui a dejä servi devient ä son tour materiau pour des points de depart nouveaux, des transformations precises. La consommation peut etrc repro-ductrice (de sens, de connotations, d'energie). Par les spec-tateurs et les lecteurs, comme par les artisans et les artistes, le schema sera complete, prolongs, le spectacle monte, d6mont6, ses elements choisis, organises, accentuds. II s'agira dans tous les cas d'une interpretation, d'une adaptation, done d'une lecture (ä divers niveaux). Bien entendu, aueune explication definitive n'est possible ni souhaitable, pas plus que la mise en scene ideale, intemporelle et universelle. Le spectacle se fait sous nos yeux: sous les yeux du lecteur, du critique, comme des autres amateurs ou «gens de mutier». Ce qui est donne- et demeure inchangeable, selon Levac, e'est la structure, ou plutöt «l'aniiature d'un texte dramatique», le squelette qu'on peut nourrir, faire croltre, orienter, mouvoir. «Quand les dramaturges quöbeeois au-ront trouve" une armature, une structure theätrale qui nous soit propre, ä legale de notre epine dorsale collective, nous aurons non seulement une dramaturgic authentique et notre, mais aussi un pays», ajoute (p. 16) le dramaturge devenu critique social. Voici le canevas du canevas: Acte I MONTEE DE L'ENTHOUSIASME DES QUEHECOIS Prologue Reportage en traduction simultanen des reactions des politiciens ä la visite de de Gaulle. Engagement autour de la rondelle et aux pieds du general dont la statue (armature de fer) n'est pas deplacable: «C'est ca le fait fran- gais!» Commentaires toujours bilingues et contradictoires. Nouvelle mise en jeu: le n° 1 s'empare de la rondelle. Reprise au ralenti, comme á la television. Voix off: «Punition á René Lévesque pour refus de participer au jeu national». Scene 1 Jeu et hors-jeu. Sur le banc des joueurs et dans les gradins. Ottawa d'un cóté, Quebec de l'autre. Préparatifs de la visite, discussions politico-protocolaires, télégrammes. Johnson veut des arcs de triomphe et des feux de joie. Pearson: «Just wait and see». Scene 2 Joueurs et arbitres forment un regiment uni-lingue on parade. Le n° 1, seul francophone, a son rythme propre. Inspection par Judy Lamarsh, qui cherche un officier parlant frangais pour la ceremonie á la Citadelle: « — Learn it, man, learn it.—In two days?—Fake t'i!» Le n° 1 donne ses ordres, pour la premiere fois et avec un plaisir evident. Le compte: Quebec 1, Ottawa 0. Scene 3 Sur le chemin du Roy, á Repentigny, á Louise-ville, on peint des fleurs de lys sur l'asphalte. Á Donnacona, touristes et villageois discu-tent. Á Montreal, chant alterné et de plus en plus agressif, «comme si personne ne devait en sortir vivant», de Gentille Alouette. Scene 4 — «What does Quebec want? — Quebec! What does Ottawa want? — (Accent anglais) Quebec!» Accrochages interrompus par la voix du general. Quebec 2, Ottawa 0. Scene 5 Les notables en reunion mondaine: valse et natinage. Scene 6 A la Citadelle. Les soldats tendent aux offi-ciels diverses couronnes étrangěres qui se dé-gonflent devant l'immense couronne tricolore on apportde aux accents de la Marseillaise. Quebec 3, Ottawa 0. Scene 7 A Sainte-Anne-de-Beaupre\ tableau populaire a la Jerome Bosch, procession. Le gdndral communie: «Un homme de ineme, e'est prcs-que un miracle!» Scene 8 A Quebec, confidences 6inucs des badauds. Quebec 4, Ottawa 0. Scene 9 A Oonnacona, le clucur rcpete la Marseillaise: «Plus fort "les/traces soldats", pcuscz aux gars qui se battaient dans nos catnpagnes a nous autres en 1837...» Coups de tonnerre: ce n'est pas le g6i6ral (dont on rapporte les peti-tes phrases de plus en plus audaeicuscs), e'est un orage! Scene 1023 Pearson et Marchand «montent sur la plus haute marche de l'estrade Ottawa pour voir ce qui se passe a Qu£bec». Reportage radio sportif. Scene 11 Le balcon. La foule, masquec et anonyme, de-couvre son visage eniervcille\ Orgue, etc. Acte II Poussf-r. dm rack ims Canadians from coast to coas12* Prologue Sur la non-unite" canadienne. «Ca prouve que ce n'est pas assez de parler le franc,ais; il faut en plus le coniprendre» (Ldvcsquc a Pearson). Scene 1 Prises de position, a Quebec et a Ottawa, sur le discours de 1'hotel de ville de Montreal. Les deputes Gregoire et Aquin rejoignent L6vesque. Scene 2 Pearson mijote sa r6plique au genenil pendant que les Beatles chantent She's leaving home. Scene 3 Interviews-sondage dans la rue. La scene se termine en procession, avec cantiquc et litanie («B6ni soit le g£n£ral...»), derriere une coupe Stanley gdante. Scene 4 Scene 5 Scene 6 Scene 7 Scene 8 Scene 9 Scene 10 Demi-obscurité. Les radios du monde entier traduisent la profession de foi politique du general. Hockey de salon, division de classes: «Con-tent dans la rue, inquiet á Outremont, furieux á Westmount». Caucus federal. Injures. Exercices de vocabu-laire: inacceplable (parce que bilingue?) est retenu. Commentaires des lecteurs de journaux. De tous les coins de la salle, des haut-parleurs énuměrent la suite des événements jusqu'a 1'actualité immediate. Le Canada anglais cherche á escalader la statue du general et á atteindre sa téte, tout en vociférant sa propre superioritě numérique. Sur l'air de We shall overcome, hymne des Noirs américains, nos Něgres blancs chantent: «Le Quebec est á faire, nous le faisons. Nous serons nous-memes toujours.» A la recherche d'une «structure assez rigoureuse pour que toute cette actuality echappe au piege du spectacle genre revue» et accede a l'«histoire» (p. 7-9), Levac et Loranger font un vigoureux brassage de gestes, de mouvements, et surtout de phrases chocs, de traductions, de chansons, de coupures de presse25. Les 6v£nements sont verbalisms puis adaptds pour la scene: le voyage est un deTile\ le sport est un spectacle — «Tous sont conscients de s'adresser au peuple canadien devant lequel ils doivent deTendre leur honneur», (p. 30) — qui commence comme une harangue electorate ou le show d un night-club montrealais: «Ladies and Gentlemen... Mesdames et Messieurs...» Car la ceremonie a deux maitres qui se font rime et echo: Pearson, Johnson. Les autres joueurs num6rot6s sont L6vesque (n° 1), Lesage, Marchand, Diefenbaker et Judy Lamarsh. Au second acte, des figures £pisodiques esquissent quelques pas sur la glace: