" chent sur les problěmes de la traduction littéraire. Marianne Lederer décrit les problěmes pratiques du traducteur ainsi que les problěmes théoriques de la traduction du culturel. Jean-Pierre Goudaillier et Alena Podhorná-Polická se concentrent sur les pratiques langagiěres dites « périphériques », á savoir 1'argot et le verlan. Jaromír Kadlec s'interesse á la situation linguistique dans les anciennes colonies beiges en Afrique, Renáta Listíková explique les suites ďun contresens latin concernant le nom de notre pays (Bohéme) et de nos habitants (Tchěques). Zuzana Malinovská-Salomonová démontre combien il est parfois difficile de bien interpreter la terminologie juridique de maniěre univoque dans une traduction, et le prouve avec le texte de la Constitution slovaque. Jitka Smičeková parle des rapports de la linguistique avec la traductologie, de Texplicite et de Timplicite au niveau de la langue, du discours, de la culture et de la termino-logie. Radka Skardová, Marie Dohalská et Jana Vlčková présentent un article qui prouve que la prononciation des noms propres peut étre un piěge non seulement pour celui qui les prononce, mais aussi pour celui qui les écoute et qui doit les déchiffrer pour pouvoir les comprendre. Slavomíra Ježková analyse les proverbes, citations, dic-tons et allusions, et leur traduction. Et enfin, Marie Fenclová réflé-chit á la didactique du plurilinguisme comme outil innovant dans des modules de formation en traduction et interpretation. Ivana Čeňkova Institut de Traductologie, Faculté des Lettres, Universitě Charles, Prague 6 LA TRANSMISSION DU CULTUREL -PROBLÉM ES PRATIQUES DU TRADUCTEUR, PROBLĚMES THÉORIQUES DE LA TRADUCTION i Marianne Lcdeier Depuis le XXC siěcle, la transmission du culturel est devenue un sujet incontournable lorsqu on parle de traduction. Avec 1'essor des études traductologiques, on rencontre heureusement de moins en moins souvent des simples critiques de 'fautes de traduction, des relevés ďerreurs sans souci de classification entre ce qui est dů á divers types ďignorance du traducteur et ce qui relěve directement ďune théorie de la traduction. Or il est important, lorsque Ton s'occupe de théorie, de faire la distinction entre les problěmes purement pratiques et ponctuels aux-quels peuvent se heurter des traducteurs individuels et les problěmes de traduction á proprement parler qui, eux, sont théoriques dans la mesure oil, poses par un cas particulier, ils sont généralisables. Nous verrons que les premiers correspondent essentiellement ádes problěmes de connaissance et de comprehension, alors que les seconds relěvent généralement du domaine de la reformulation. 1. La difference entre les langues n'est pas un probléme de traduction Avant d'entrer dans le vif de mon sujet, je vais ďemblée éliminer, au risque de choquer certains, tout ce qui a trait aux differences entre les langues. Les étudiants en Master Recherche de traductologie ont souvent du mal á admettre que le fait que les langues soient diřférentes ne représente pas un probléme de traduction. Bien au contraire, c'est parce quil y a difference quil y a traduction. Si tou-tes les langues étaient semblables, la traduction serait inutile. Il faut done prendre cette difference comme une donnée et non comme un probléme: que le turc soit une langue agglutinante et pas le franfais, que les structures de l'arabe, langue sémiťique et du fra^ais, langue indo-européenne, ne soient pas superposables, qu en serbe n existe 7 pas lc plus-que-parfait ni le passe compose du francais, ne peut pas etre considere comme un obstacle a la traduction. Si un traducteur ou un apprenti-traductologue sy heurte, cest probablement qu ils nont ni Tun ni Pautre suffisamment reflechi a ce qu est la traduction: Danica Seleskovitch a deja recuse ce type de problemes en 1976, a propos de Tobservation faite par Jakobson (1971, 260) qu il etait difficile de traduire en russe la phrase « I hired a worker », vu l'absence de precision sur le genre de 'worker en anglais puisque le russe exige un masculin ou un feminin. Seleskovitch fait remarquer quon ne traduit jamais une phrase isolee de son contexte ou de sa situation ; «Jai, dit-elle, imagine une situation reelle: je voulais debarrasser mon jardin des mauvaises herbes qui Venvahissaient, fat 'pris quelquundont le sexe ne decoulepas du genre grammatical du terme, mais du type de travail, de Vendroit ou le travail seffectue, etc. Dans une autre situation, «I hired a worker » trouvera une autre traduction... » (Seleskovitch, 1976, 82) Les soit-disant problemes linguistiques decoulent en fait toujours de Tignorance de ce quest la traduction. 2. Les problemes pratiques auxquels peuvent se heurter des traducteurs individuels On les rencontre lors de la premiere phase de la traduction, celle de la comprehension du texte. 2.1. La connaissance insuffisante de la langue de depart Je me place pour le moment dans le cas de traducteurs travaillant de leur langue etrangere vers leur langue maternelle. Nous verrons sous le 2.1.3. quelques uns des problemes pratiques mais aussi theoriques que peut entrainer la traduction vers la langue etrangere. 2.1.1. Les problemes des etudiants en langue Un certain nombre de publications traitant de Tenseignement de la traduction s'attardent longuement sur les erreurs de langue faites par des etudiants qui ne seraient pas admis dans des ecoles de traduc- 8 i tion si Ton accepte l'affirmation qu une bonne maítrise de la langue étrangěre est un préalable á l'apprentissage de la traduction (ajou-tons qu en apprenant á traduire, 1'étudiant continuera á afřiner et a approfondir sa comprehension de la langue). Le probléme des faux-amis auquel se heurtent ceux qui ne connaissent pas suffisamment une langue étrangěre est bien connu et ne devrait pas se poser a des traducteurs professionnels, méme s'il se pose aux étudiants en cours d'apprentissage ďune langue étrangěre. Michel Ballard en donne de nombreuses illustrations dans divers écrits. Je lui emprunte deux exemples (Ballard, 1998, 34 et 37-38) : « A great many tenements had shop-fronts; but these were fast closed and mouldering away. » 'Fast' est traduit par un étudiant de 2C an-née ď universitě par « celles-ci furent vite fermées », Tétudiant ne connaissant pas la difference de signification entre les homonymes : 'fasť, 'rapidemenť et 'fasť, 'fermement, solidemenť. Aprěs cette erreur lexicale, Ballard cite une erreur syntaxique : « Charles [...] would not have been too surprised had news reached him out of the future of the aeroplane, the jet engine, television, radar. » La traduction donne : ťsi des informations apropos de lave-ntr del 'avion, de Vengin a reaction, de la television, du radar...' Ne relevons pas que engine donne engin, ce nest pas ce qui importe ici. Létudiant a relié future tt 'aeroplane ; il na pas vu que 'out of the futureétait un tout, en Toccurrence un complement circonstanciel; il na done pas compris le sens de la phrase, qui aurait pu donner en traduction quelque chose comme « si Ion était venu luiparler de 1' invention á venir de l'aeroplane, du moteur a reaction, etc. » 2.1.2. Les problěmes des traducteurs Laissons de cóté ces erreurs ďétudiants apprenant Tanglais et arri-vons en aux lacunes linguistiques du traducteur. Nous savons tous, bien que nous ne l'avouions pas toujours, que méme dans notre langue maternelle, il nous arrive ďavoir certaines lacunes. Cela est vrai a fortiori de la langue étrangěre. Ce que fait le traducteur dans ce cas depend de sa conscience professionnelle, de son experience et, last but not least, de la formation qu il a re9ue. Normalement, il sera conscient de son ignorance lorsqu il rencontre un passage qu il 9 ne peut déchiffrer, le cas le plus flagrant étant celui des textes techniques. Ses lacunes lexicales lui sautent alors aux yeux et le traducteur professionnel sait que, pour les combler, il va lui falloir passer, consé-cutivement ou simultanément selon les cas, par une acquisition de connaissances thématiques et terminologiques pour y remédier. Je ne parlerai pas des lacunes syntaxiques, car un traducteur digne de ce nom n'en aura pas. S'il lui semble détecter une ambiguité de structure, il saura la mettre sur le compte ďune ignorance du sujet traité. Je reviendrai sur ce cas sous le 2.2. Pourquoi peut-on dire quune connaissance ponctuelle insufři-sante de la langue étrangěre est un probléme strictement pratique et particulier á un traducteur donné ? simplement parce que deux traducteurs n auront jamais les mémes connaissances et les mémes ignorances, quil s'agira de combler au cas par cas, et que F unique generalisation possible ici est de souhaiter que seules s'attaquent á la traduction des personnes qui connaissent suffisamment bien la langue du texte á traduire et que les traductologues fassent la distinction entre l'enseignement de la langue et celui de la traduction. 2.13. Les problěmes de la traduction en langue étrangěre Les problěmes posés par la traduction en langue étrangěre ne pro-viennent pas d'une mauvaise comprehension de la langue de depart, puisque celle-ci est maternelle. Ce sont done des difficultés d'expres-sion que le traducteur devra surmonter. Les obstacles qui s'opposent á une bonne transmission sont le manque d'intuition linguistique (de ťFingerspitzengefúhP comme disent les Allemands) dans la langue ď arrivée. Dans la mesure oil le traducteur comprend parfaite-ment la langue de depart, il se sent á Taise et risque de ne pas se rendre compte qu il ne fait pas passer ce qu il a lui-méme assimile sans peine. Problěmes lexicaux et syntaxiques, insuffisante maitrise de Temploi des connecteurs, utilisation trop fréquente d'expressions toutes faites qui lui semblent rendre son texte idiomatique, innom-brables sont les obstacles á la clarté ďexpression qui permet une lecture agréable. Mais, encore une fois, il nesagit pas la ďun probléme théorique, car chaque individu a ses propres faiblesses et commet done des erreurs et des maladresses qui ne seront pas forcément ré- 10 pétées par un autre (voir Lederer 1994, 147-160). La traduction vers la langue étrangěre1 est bien souvent une nécessité pour les Iangues non véhiculaires, et une traduction mediocre vaut mieux que pas de traduction du tout. Conscients de leurs problěmes ď expression, les traducteurs en langue étrangěre feront reviser leur travail par un locuteur de langue maternelle. En revanche, ľadaptation aux ré-cepteurs de la traduction en langue étrangěre est bien un probléme théorique (voir 3.3.2.).__j 2.2. Ľignorance thématique Aprěs les Iangues, le second probléme que je propose de considé-rer comme un probléme pratique du traducteur et non comme un probléme théorique de la traduction est la méconnaissance du sujet abordé par Ie texte, ou ignorance thématique. Ici encore, le texte technique est le révélateur le plus clair ďéventuelles ignorances thé-matiques. Un traducteur qui aborde pour la premiére fois un texte traitant par exemple de ľextraction du pétrole, est conscient du fait quil va devoir assimiler toute une série de données qui lui sont au depart étrangéres. La difficulté pour lui sera de se rendre compte de ce qu'il ignore, afin de combler ses lacunes. Les étudiants en traduction ont, au debut de leurs études, tendance ä se plaindre que les tex-tes ne sont pas clairs, sans se rendre compte que cest leur ignorance qui les empéche de comprendre un texte parfaitement clair pour les experts du domaine. C'est la raison pour laquelle un cours de mé-thodologie de la recherche documentaire intervient děs la premiére année ďapprentissage de la traduction, qui enseigne aux étudiants ä combler leurs ignorances ponctuelles. S'agissant du domaine culturel, celui qui nous intéresse ici, oú le poids de ľimplicite est souvent grand (nous y reviendrons sous le 3.3.), il est plus difficile au traducteur de détecter son ignorance. Vbici un exemple pour illustrer mon propos, un minuscule extrait ďun roman de Vikram Seth,2 Indien ďorigine écrivant en anglais, Voir LEDERER, Marianne. La traduction aujourďhui — le modele interprétatíf, pp. 147-160. 2 VIKRAM, Seth. A Suitable Boy. Londres : Phoenix, 1993, traduit par Francoise ADELSTAIN sous le titre de Ungargon convenable. Paris : Grasset, 1995. 11 roman a mes yeux excellemment traduit en francais, ce qui n exclut pas certaines petites erreurs, dont voici une :*[...] a judge, the very last Englishman to remain on the bench of the Brahmpur High Court after Independence » est traduit par « un juge, le seul Anglais it sieger encore au banc de la Haute Cour de Brahmpur ». Manifestement, la traductrice ne s'est pas rendue compte de la signification de on the bench\ qui en anglais designe P ensemble des juges ou la cour, et s'est laissee aller a simplement transcoder par 'au banc de\ alors qu en francais, on parle du banc des accuses, du banc des avocats, mais jamais du banc des juges. Dans la mesure ou la traduction du roman dans son ensemble fait preuve d'une excellente maitrise de la methode, on peut considerer quil s'agit lad'une erreur ponctuelle, qu'un autre traducteur n'aurait probablement pas faite. Quant aux textes anciens, qui opposent souvent a la traduction une grande opacite, ils ne posent la encore que des problemes d'ordre pratique, ceux de Faeces (impossible) aux donnees extra-linguistiques qui permettraient de comprendre plus que la seule langue du texte. 3. Les problemes theoriques de la traduction Ceux-ci se rencontrent au stade de la reexpression, et de la methode qui lui est appliquee. Dans la mesure ou les phenomenes culturels sont specifiques a une collectivite linguistique donnee, ils posent aux traducteurs toute une serie de questions, dont la traductologie doit s emparer pour essayer de leur offrir des solutions theoriques qui, quoique ge-. nerales, peuvent leur servir de guide pour la resolution de problemes particuliers. 3.1. Traduction litterale ou traduction libre Un mouvement de pendule peut etre detecte au cours des siecles en-tre deux tendances, quon a appelees (la traduction litterale' et *la traduction libre. Si jeconserve volontiers le terme 'traduction litterale, je remplacerai l'expression 'traduction libre', qui semble preter a to us les debordements, par celle de traduction 'interpretative', car cette traduction n est libre que par rapport a la langue de depart. Chacun 12 connait les mots de Saint Jerome si souvent repris, preconisant de traduire librement les textes profanes mais de rester litteral pour les textes sacres, ainsi que ceux de Luther s'elevant contre la facon peu comprehensible pour le profane dont, jusqua lui, la Bible avait ete traduite. Pendant longtemps, en effet, on a pu croire que c'etait la langue qu'il fallait traduire, alors quaujourd'hui, avec les progres de la lin-guistique et des etudes de communication, on a pris conscience que les langues sont irreductibles les unes aux autres et que ce sont les textes et non les langues qu il faut traduire. Le transcodage, ou litteralite, n est done pas toujours du a une ignorance du traducteur. II peut s'agir d'une position theorique qui, lorsqu elle est consciente, se repercute tout au long des textes. Ce-pendant, la litteralite, premier des problemes theoriques de la traduction,/aont les plus beaux exemples en fran^ais contemporain sont la traduction de la Bible par Chouraqui et celle de lEneide par KlossowskC)n'a plus guere cours aujourd'hui. Lorsque litteralite il y a, elle porte de fafon limitee sur des mots ou des expressions, et non sur les textesj 3.2. Ethnocentrisme ou etrangeite en traduction Nous sommes la au coeur du sujet, la reexpression du culturel, qui pose les problemes theoriques les plus aigus de la traduction. La langue et la culture sont-elles indissociables ? Une controverse sevit depuis des siecles entre traducteurs et, plus recemment, entre tra-ductologues sur la facon de traiter l^trangete du texte original. Berman, le chantre francjais de Tetrangete en traduction, s'est longuement et brillamment eleve contre ce qu il appelle Tethnocen-trisme des traducteurs. Par ethnocentrisme, il entend la tendance qui « ramene tout a sa propre culture, k ses normes et valeurs, et considere ce qui est situe en dehors de celle-ci — VEtranger ~~ comme negatif ou tout juste bon h etre annexe, adapte, pour accroitre la richesse de cette culture » (1999, 29). Il considere, et nombreux sont les theoriciens (je dis bien theoriciens, et non praticiens) qui partagent son avis, que la traduction doit « accueillir letranger dans sa corporeite char-nelle [...] Fidelite et exactitude se rapportent a la litteralite charnelle du 13 texte. En tant que visie ethique, lafin de la traduction est daccueillir dans la langue maternelle cette litteralite. » (1999, 77-78)3 A mon sens, Berman fait erreur sur deux plans, quoique differem-ment: sur le plan de la langue d'abord, car la langue du texte original n est en rien etrange pour ses lecteurs et Ton ne voit done pas la raison pour laquelle il faudrait injecter la langue de depart dans la langue d'arrivee, ce qui la ferait sonner elle-meme etrangere aux oreilles de ses lecteurs. Berman se trompe en prönant des methodes qui ont, certes, pu etre utiles ä certains moments de Phistoire de cer-taines langues, pour les enrichir et leur redonner vie mais qui, pour la plupart des langues ä 1'heure actuelle, n'ont plus de raison d'etre. Transposer telle quelle la forme de Poriginal, e'est le plus souvent rendre la traduction illisible. Il semble plus efficace de rechercher dans la langue d'arrivee un effet equivalent a Teffet premier produit par cette forme. Sur le plan culturel ensuite, il me semble que Berman se trompe aussi en considerant que toutes les traductions sont aujourd'hui eth-nocentriques. C'est aller trop loin dans la critique. II existe certes parfois une tendance ä Tadaptation trop poussee du texte etranger aux lecteurs cibles. Une traduction n est pas fidele si eile transforme le fait culturel etranger en quelque chose qui semble naturel aux lecteurs de la traduction, et leur cache les faits etrangers. Voyons ä ce propos un exemple tire d'une petite experience que j'ai faite il y a quelques annees avec des etudiants du Master Recherche en traductologie.4 Six etudiants de langue maternelle frangaise ont traduit un court texte du celebre humoriste americain Art Bu-chwald portant sur les difficultes d'une femme qui travaille tout en ayant des enfants. Celle-ci dit: «I couldn't work if it weren't for her [la bonne] and the fact the Safeway stays open until nine ». Les diverses traductions de Safeway faitcs par les etudiants sont representatives des solutions methodologiques qui peuvent etre ap-portees ä la transmission des 'termes culturels', en Toccurrence Safeway. L'un des traducteurs s'est borne ä conserver Safeway tel que, 3 Sans entrcr dans le detail des idees de Berman, il faut ajouter que si, pour lui, « la traduction est traduction-de-la-lettre, du texte en tant quit est lettre » (1999, 25), « tra-duire la lettre dun texte ne revient aucunement ä faire du mot ä mot» (p. 13). 4 Jadis intirule Diplome d'Etudes Approfondies (DEA). 14 traitant implicitement le lccteur francais comme s il connaissait Its Etats-Unis. Un autre est passe ä Thyperonyme et a écrit 'le super-marché\ considérant que le nom du magasin était sans importance. Quant au troisiěme, il a faussé la réalité américaine en rendant Safeway par Monoprix. Ce type de reaction peut ä juste titre etre quali-fiée ďethnocentrique, car eile donne ä penser au lecteur francais que 1'enseigne francaise Monoprix existe aux Etats-Unis. Les traducteurs restants ont rendu Safeway par % supermarchéSafeway. Je considěre quils ont bien fait de conserver le nom propre américain, montrant ainsi aux Francais qu ils lisent un texte étranger, tout en utilisant une technique indispensable ä la transmission du culturel, l'expli-citation. 3.3. Non-dit et explicitation Au debut de leur apprentissage de la traduction, les étudiants ex-priment souvent une idée préconcue que les formateurs ont du mal ä leur faire abandonner: le traducteur naurait pas le droit d'ajou-ter ni ďomettre un seul mot de l'original. Or, lorsquon admet que non seulement les langues sont différentes mais encore que chacune « découpe dans le reel des aspects difTérents » (Mounin, 1963, 48), on se rend compte que, bien que Ton ne voit sur le papier que la partie explicite de chaque mot et de chaque segment de texte, on comprend toujours plus que cet explicite. C'est 1'ensemble compose de cet explicite et de l'implicite que chaque lecteur apporte á sa lecture, qui renvoie aux choses, concepts ou idées vises.5 J'ai développé cette idée, que j'ai appelée le principe de la synecdoque, dans plu-sieurs publications (Lederer 1976, 1978, 1994) ; Assurance maladie et 'health insurance renvoient au méme concept; mais ils nomment, le premier le risque cohtre lequel on s assure, la maladie, le second la santé que ť assurance vous permettra de recouvrer, chacun ne repre-nant explicitement quun aspect du tout. Au plan des mots ou des expressions figées renvoyant ä des objets ou concepts qui existent dans deux cultures données, il suffit au traducteur de connaitre ou de trouver la correspondance dans Pautre langue. Lorsque, en re- 5 On peut rapprocher cela du concept ďinférence développé par la Theorie de la pertinence (Relevance Theory) de Sperber et Wilson. 15 vanche, on a affaire a un terme culturel dont le concept n existe que dans une seule culture, l'expliciter devient une obligation. De brefs exemples montreront que, au plan du discours, le principe general de la synecdoque justifie amplement Texplicitation. 3.3.1. L'explicitation dans la transmission du culturel 3.3.1.1. Les termes culturels 'Les noms de batiments qui renvoient a une fonction, tels que VElysee qui designe la Presidence de la Republique Fran^aise, ou Bercy qui renvoie au Ministere des Finances, les toponymes tels que Quartier Latin ou rue du Faubourg Saint Honore a Paris, qui eveillent chez tous les Parisiens des connotations (done des implicites) bien precises, exigeront pour etre compris par le lecteur etranger, une breve explicitation au fil du texte ou une note plus fournie en bas de page, selon le contexte. Le traducteur ecrira done pour PElysee par exem-ple 'le siege de la Presidence de la Republique Franfaise. Remarquons au passage qu il n est plus question ici de meconnais- sance du traducteur, mais de la fa^on dont des donnees familieres aux lecteurs de Poriginal et fort bien comprises par le traducteur, peuvent etre transmises le plus completement possible au lecteur de la langue d'arrivee. i 3.3.1.2. Les faits culturels (Les termes culturels ne sont pas les seuls a exiger une explicitation. Doivent egalement en faire l'objet, lorsqu ils ne sont pas eclaires par le contexte, quantite de faits qui ne dependent pas de la langue, et qui sont a priori inconnus du lecteur de la traduction^ Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple dans une nou-velle de Tecrivain coreen Hwang Sunwon,6 intitulee « Une veuve ». Cette veuve re<;oit chez elle une vieille amie. La traduction litterale de la phrase qui nous interesse, telle que fournie par une etudiante coreenne, « Elle fit coucher Mme Han a la partie basse », n est pas comprehensible pour un non-Coreen. Pour les Coreens, le passage 6 HWANG, Sun-Won. La chienne de Moknomi, traduit du coreen par CHOI Mi- Kyung, KO Kwang-Dan ct Jean-Noel JUTTET. Paris : Zulma, 1995. 16 est parfaitement clair. lis savent tous en effet qu'en Coree, les mai-sons individuelles etaient jadis chauffees par le sol, grace a un systeme deconduits qui refroidissaient a mesure quils seloignaient du foyer sitae dans la cuisine. La partie de la chambre la plus proche de la cuisine, et done la mieux chauffee, etait denommee 'partie basse'de la chambre. Le traducteur doit-il faire passer dans sa traduction de la nouvelle tou-tes ces caracteristiques ? Nous verrons sous 3.4. que, selon la fonction de la traduction, la question peut se poser. En Poccurrence, si le lecteur lit pour le plaisir de la lecture, la demarche adoptee par les traducteurs, qui ont ecrit: « elle fit coucber Mme Han a Vendroit le mieux chauffe de la chambre », s'explique : ils ont considere que Timportant etait de mettre Taccent sur le respect avec lequel la veuve traite sa visiteuse et non pas d'attirer Tattention sur le mode de chauffage des maisons coreennes. Methodologiquement, les traducteurs de cette nouvelle ont eu raison d'une part de ne pas retenir la traduction litterale qui naurait pas renseigne le lecteur, et d'autre part de ne pas ajouter une longue explication en note ou dans le texte, qui aurait ete a sa place dans une traduction erudite. 3.3.2. Les limites de Texplicitation L'explicitation est parfaitement justifiee dans la mesure oil la traduction a pour objectif de faire comprendre et ressentir a son lecteur, par definition peu ou pas familier de la civilisation d'origine, ce que le lecteur de Toriginal a compris et ressenti. II n'empeche que le traducteur doit savoir faire preuve de doigte et n ajouter au texte que tout juste ce qui est necessaire pour conserver la force et la saveur de Torieinal. Cer-tains traducteurs se laissent en trainer a rediger, a propos d'un nom de lieu par exemple, des notes en bas de page qui relatent toute Thistoire ou la geographie du lieu ou se passe Taction, au risque de detourner du texte Pattention du lecteur. Cette tendance se remarque plus particu-lierement chez ceux qui traduisent en langue etrangere. lis ont en effet souvent a coeur de faire partager pleinement leurs connaissances et la civilisation de leur pays aux lecteurs de Tautre langue et perdent de ce fait en partie de vue la fonction du texte traduitj II est bon de mediter a ce propos la remarque deTaber (1980, 424) : « Contempt for receptors competence leads to transgressing the fine line between making explicit just enough of the implicit information from the original, and making too much explicit. » • L'explicitation n est pas toujours nccessairc, ni méme recommandée. II existe des cas oil Ton pcut (et parfois méme oú Ton doit) laisser implicite ce qui a été dit par 1'auteurJJe n'cn veux pour exemple que la traduction en fran^ais d'une phrase du Louis XI de Thistorien anglophone Kendall :7 « Cest a Paris que siégeaient lesprincipaux or-ganes du gouvernement, le Parlement et la Chambre des Comptes qui correspondait approximativement a VEchiquier anglais ». Le lecteur fran^ais s'interrogera sur la raison pour laquelle le systéme fran9ais d'alors est compare au systéme anglais, ce qui d'ailleurs ne l'eclaire pas véritablement, car il ne sait pas forcément ce quest TEchiquier anglais ! Le traducteur aurait été mieux inspire de supprimer cette mention, certes utile aux lecteurs anglophones, mais incongrue dans un texte s'adressant á des Fran^ais. En fin de compte, la táche (delicate) du traducteur est de conser-ver ďun texte á Tautre, le méme équilibre entre explicite et implicite, Tun ou l'autre pouvant gonfler plus ou moins ou se réduire, selon la fa^on dont chaque langue exprime les choses, et selon la connais-sance supposée qua le lecteur cible de la civilisation dans laquelle baigne le texte original. Le traducteur doit done ne pas perdre de vue le lecteur auquel il sadresse et les raisons pour lesquelles celui-ci lit sa traduction. 3.4. La fonction de la traduction J'ai dit sous le 3.3.1.2. a propos de « la partie basse de la chambre », que les traducteurs avaient eu raison de ne pas donner longuement lexplication de la fsujon dont les Coreens se chauffaient jadis. J*ai ajoute.„que cette explication aurait peut-etre ete asa place dans un autre type de traduction, une traduction erudite s'adressant a des specialistes qui veulent tout savoir de la langue et de la civilisation d'ou provient Toeuvre. Ceux-la ne lisent pas seulement pour le plai-sir mais pour apprendre. La traduction se doit done d'etre differente et de montrer non seulement l'etrangeite de la culture, mais aussi 7 Paul Murray KENDALL, Louis XI, traduir par Eric Diacon, Fayard 1974. • 18 celíc de la langue. Le traducteur, de son cote, sc doit de tenir compte de la fo notion que remplit sa traduction aupres du lecteur. 3.4.1. Les formules de politesse Ellcs existent dans toutes les langues ; chaque collectivité linguisti-que a cependant ses propres rituels et sa propre maniěre d'exprimer cette politesse. Dans des circonstances normales, il serait ridicule de traduire littéralement en anglais les formules souvent ampoulées qui terminent les lettres en francais, telles que « Veuillez agréer, Monsieur le Directeur et cher collegue, ^assurance de ma meilleure consideration », formule qu'il vaut mieux remplacer par « Sincerely » ou « Best regards ». De méme, lorsque le make de Shanghai' s'adresse en francais au Consul de France, et l'appelle « Rtspectueux Monsieur le Consul», les Francais presents auront-ils tendance á sourire. En revanche, s'il s agit de montrer dans la traduction ďun roman espagnol, italien ou arabe, que les Espagnols, les Italiens ou les Arabes utilisent des formules de politesse infiniment fleurics, une traduction littérale sera de mise. Les deux types de traduction ne visent pas le méme but.^ 3.4.2. La traduction des allusions Vbila un autre probléme qu il faut envisager a paxtir de la fonction de la traduction. § Une these de doctorat soutenue á TESIT,8 consaerée á la retraduc-tion, étudie les différentes traductions de Lafille du capttaine, de Pouchkine (1836). Je n en retiens ici quun terme 'NiedorosV. L'un des traducteurs donne en note P explication suivante : « terme qui designe lejeune noble qui n a pas 15 ans, age dentrer au.service, et reste aupres des sieriš; cest le titre dune célébre comédie de Fonvizine, jouée en 1782. » Cette allusion intertextuelle est-elle encore comprise de nos jours par les lecteurs russes? La comédie de Fonvizine est-elle encore connue, est-elle encore jouée au theatre ? Si les Russes répondent non, il ny a aucune raison d'essayer de faire passer en francais une 8 RDUX-FAUCARD, Genevieve. Traduction et rctraduction des textes narratifs. A paraitre aux Presses du Septentrion, Lille. 19 allusion qui n est plus perdue par les lecteurs actuels de I'original. Ma reponse sera la mcme s'ils repondent oui, mais pour une autre raison : cette allusion (qui nest pas reprise dans la suite du texte, ce qui aurait justifie un effort de transfert), nest en quelque sorte qu'un clin d'ceil au lecteur de Toriginal (celui de 1836, et nous sommes en 2006), qui detournerait plus de la narration le lecteur francos actuel, qu elle ne lui apporterait de connaissances utiles a la suite du texte. f~ Les allusions culturelles les plus fines de roriginal ne sont d'ailleurs souvent comprises que par des lecteurs erudits. On peut done se de-mander s'il faut a tout prix les transmettre, en les explicitant pour ceux de la traduction. II va de soi que si leur comprehension est indispensable pour la suite du texte, il faudra, d'une maniere ou d'une autre, essayer de les faire comprendreM 3.5- La coherence du texte / L'essentiel, pour resoudre les problemes theoriques du genre de ceux que j'ai mentionne (et je suis loin d'avoir ete exhaustive), est de Tester coherent dans les choix de traduction, compte tenu des connaissances du lecteur et de la fonction de la traduction en question. Je me suis abstenue d'avancer ici la theorie de la traduction dont je me » W; reclame, la Theorie Interpretative de la Traduction. Que Ton preco-nise, comme Berman (1985, 36) « le travailsur la lettre - ni caique ni (problematique) reproduction, mais attention portee sur le jeu des signifiants », ou comme la Theorie interpretative qui, dans une large mesure, recoupe les trois phases gagneuse (prostituée), guincher (danser), mouquěre (femme), re-niflette (cocaine), riff (feu), ruban (rue), thune (ou tune) (argent) ; - argot des bouchers (loucherbem) : larjobem (barjot, idiot), leuf-bem (boeuf), leumikesse (commis), liprem (prix), loimess (moi), loulbem (boules), loulépem (poulet), loutokesse (couteau); - argot de la prostitution : biche = bourdon = bourrin = cocotte (prostituée), cocotte-minute (prostituée pratiquant Tabattage), kan-gourou (client hesitant), merlan (proxéněte), morue (prostituée), ra-dasse (prostituée oeuvrant dans un bar); - argot commun (issu de différents argots anciens, dont l'argot traditionnel) : bagnole (voiture), came (drogue), flic (policier), flin-gue (arme a feu), fric (argent), fringue (vetement), mec (homme), pompe (chaussure), tronche (visage); - argot contemporain5 (francais contemporain des cites) : askeum = asmeuk (comme 5a), carte bleue (jeune fdle sans poitrine), coincer de la maille ou coincer de la jeuma [verlan de maille] (gagner de Tar-gent), étre dosé de quelqu un (étre amoureux de quelqu un), lascar (gars de cité), pécho [ou péoch] (attraper), reum (měře), reup (pere), teuffeur (retard), teuteu (drogue). 4 Les exemples de loucherbem sont tires de ROBERT L'ARGENTON, Francoise. Larlepem largomuche du louchébem (Parler l'argot du boucher). In Parlures argotiques, Langue frangaise, 90 (mai 1991), p. 113-125. Voir aussi ace sujet PLENAT, Marc. Morphoiogie du largonji des loucherbcms. In Langages, 78, 1985, p. 73-122, Tous les autres exemples sont extraits de recherches personnelles relatives aux divers types d'argot en francais et de leur difTérenciation cn termes de linguistique synchronique dynamique, y compris ceux d'argot traditionnel, qui proviennent de Tanalyse de Circonstances atténuantes (film francais de Jean Boyer [1939] avee, entrc autres, Arletty et Michel Simon. 5 Cet argot contemporain des cites ou francais contemporain des cités (F.C.C.) alimente lui-méme l'argot commun contemporain, qui comporte des termes tels meuf {femme)> (policier), differ (aimer), etc. 29 Les argots modernes, contcmporains présentcnt un grand avan-tagc pour le linguiste, qui peut travailler cette fois-ci autrement qu en simple lexicographe, puisquil peut analyser Ies pratiques langagiě-res et linguistiques en situation. L'analyse nen est pas pour autant moins compliquée. En effet, méme si Ton retrouve ce qui a été pré-senté pour les argots traditionnels, on constate cependant: - 1'apparition d'un nouvel argot commun (existence d'un brassage de populations plus important quauparavant, impact des média, quelle qu en soit la nature et plus nombreux que par le passé, etc.), dont il s'agit ďétudier les conditions socio-économiques de Fappari-tion (urbanisation, phénoméne des banlieues, mobilitě sociále) ; - le développement de nouveaux parlers spécifiques, qui sont eux aussi du ressort de Targotologie ; - 1'existence de liens entre les argots contemporains et des grou-pes unis non pas socio-professionnellement mais par des modes de vie similaires (avec recherche ďune particularisation délibérée par la langue), ce qui n est pas sans repercussion sur les méthodes d'analyse que les linguistes doivent élaborer. Si Ton restitue les pratiques argotiques contemporaines dans le temps, on est amené á constater que, en France, au cours du XX° siěcle les argots de metiers cedent progressivement la place á des argots sociologiques, avant méme que ne se développent a la fin des années 1970 et au debut des années 1980 des argots « ban-lieusards », des formes linguistiques utilisées plus spécifiquement dans les cites et quartiers, que Ton designe désormais par fran^ais contemporain des cités. Les definitions sociolinguistique et fonc-tionnelle se rejoignent alors. Ala fonction crypto-ludique vient s'ajouter une fonction conniventielle, puisque F argot fait groupe (fonction grégaire des pratiques argotiques). D'oii la nécessité, pour ce qui est des pratiques argotiques contemporaines, de travailler sur les fonctions conniventielle (recherche délibérée d'une particularisation) et indexante. Les deux types ďargots, traditionnels et contemporains, se diffé- rencient entre eux par Timportance relative des fonctions quils exer- cent: pour les argots de metiers, les fonctions sont essentiellement cryptiques, voire crypto-ludiques ; les fonctions identitaires, quant á elles, n occupent quune place secondaire. Une veritable inversion 30 de rapport intervient dans le cas des argots sociologiques des cités. Les formes linguistiques dégagées par 1*analyse du fran^ais argoti-que contemporain, quil s'agisse, entre autres, des mots d'emprunts ou des formes verlanesques (cf. plus loin dans le texte) sont autant de marqueurs, de stereotypes identitaires ; elles exercent pleinement leurs fonctions ďindexation. Linstillation d'un grand nombre de traits spécifiques, qui proviennent du niveau identitaire des locuteurs de cités, dans le systéme linguistique dominant correspond ä une volonte permanente de créer une diglossie, qui devient la manifestation langagiěre ďune revoltě avant tout sociale. L'environnement socio-économique immédiat des cités et autres quartiers vécu au quotidien est bien souvent défavorable et parallělement ä la fracture sociale une autre fracture est apparue : la fracture linguistique. Les fonctions identitaires jouent pleinement leur role et la revendication langagiěre de jeunes et de moins jeunes qui « se situent en marge des valeurs dites legitimes [...] est avant tout Pexpression d'une jeunesse confrontée ä un ordre socio-économique de plus en plus inégalitaire, notamment en matiěre ďaccěs au travail ».6 Ceci est récapitulé dans le tableau ci-apres, qui montre que les fonctions crypto-ludiques n'occupent plus désormais la premiere place. - ..... ..... argots de metiers (traditionnels) argots sociologiques (contemporains) 1 fonction crypto-ludique fonction identitaire 2 fonction identitaire fonction crypto-ludique 6 MELLIANI, Fabienne. La Langue du quartier. Appropriation de Vespace etidentités urbaines chez des jeunes issus de ['immigration maghrébine en banlieue rouennaise. Paris : L'Harmattan (Collection "Espaces discursifs"), 2000, 220 pages, p. 50. Ceci « nécessite cepcndant des locuteurs qu'ils se situent sur un autre marché, plus restreint, que celui sur lequel évolue la varieté legitime » (p. 50). 31 Importances des fonctions linguistiques exercees Argots de metiers / argots sociologiques contemporains » 4 Dans une perspective synchronique dynamique, l'analyse linguis-tique des variétés argotiques contemporaines permet de rendre compte de revolution linguistique du francais. Ainsi, les travaux de recherche menés á propos des pratiques langagieres et des formes linguistiques argotiques dites « périphériques » contribuent a une meilleure connaissance des modes de fonctionnement du francais et de son evolution. L'emploi important du verlan dans cette forme de francais contemporain montre que les variétés langagieres rele-vées dans les cites francaises ont un mode de fonctionnement « en miroir » par rapport á ce que Ton constate généralement dans la langue franfaise. Ainsi, le verlan de type « monosyllabique » permet de créer des mots qui, du point de vue syllabique, sont autant de miroirs (structure de type VC) des mots avant méme que ne s'opere la verlanisation (structure de type CV) : 9a > ac, moi > oim, chaud > auch, bien > ienb, chien > iench, pied > iep, etc.. Cette inversion de l'ordre syllabique n est pas fortuite ; il est aussi le reflet de la position de refits de la société fran^aise et de ses rapports ďexclusion par les locuteurs, jeunes ou moins jeunes, des cites et quartiers, ceci dans les « limites des marches francs » (cf Pierre Bourdieu). L'emer-gence de Taphérěse, peu fréquente en francais, au detriment de Tapocope est un autre exemple de ce fonctionnement « en miroir » des parlers contemporains, contrairement á ce que Ton constate en langue « standard », qui procěde, quant a elle, en regie generále par apocope pour abréger les motšTce qui est de moins en moins le cas en argot contemporain. Dwich (< sandwich), leur (< contró- leur), rien (< algérien), vail (< travail), zien (< tunisien), blěme (< probléme), die (< indicateur de police), teur (< inspecteur de police) sont autant ďexemples ďaphéréses utilisées de nos jours et qui nexistaient pas en argot traditionnel. D'autres faits viennent encore conforter 1'hypo these de ce fonctionnement « en miroir ». Les mots verlanisés, sunout ceux qui sont formes par une verlanisation comprenant une phase dissyllabique, ne présentent dans la majeure partie des cas quun seul timbre de voyelle, á savoir [ oe ] : femme [ fam ] > [ fame ] > [ m0fa ] > [ moef ] meuf; flic [ flik ] > [ fliko ] 32 > [ lc0fli ] > [ koef ] keuf. Une neutralisation de l'ensemble des timbres vocaliques s'opere dans de tels cas au benefice de cette voyelle [ oe ]. Ceci ne correspond en aucune maniere aux regies habituelles du fonctionnement phonologique du francais et met en valeur plu-tot les schemes consonantiques, de route evidence au detriment des voyelles. Par ailleurs, d'un point de vue accentuel, on note de plus en plus frequemment un deplacement systematique de l'accent de mot vers la premiere syllabe, ce qui encore une fois ne correspond evidemment pas aux regies accentuelles communement utilisees en francais. Toujours dans une perspective synchronique dynamique, l'ana-lyse des emprunts met en valeur aussi revolution linguistique des formes argotiques du francais, puisque Ton constate de nos jours un apport de plus en plus important de termes provenant de lan-gues etrangeres. Meme si Targot traditionnel a emprunte des termes etrangers, il le faisait dans des proportions moindres. Un facteur, d'ordre social, particulierement determinant est intervenu depuis et s'est amplifie : celui de i'immigration. De ce fait, l'argot des cites ou francais contemporain des cites utilise largement l'emprunt aux par-lers de I'immigration, ainsi que le montrent les quelques exemples suivants : - mots d'origine arabe, berbere : arhnouch (policier), bzazel (sein), choune (sexe feminin), doura (viree [en voiture] dans la cite), ha-ram (peche), hralouf (pore), mesquin (pauvre type), shitan (dia-ble), zeda (haschisch), zouz (fille, femme) ; - mots d'origine africaine : go (fille, jeune femme), gorette (fille). - mots d'origine tsigane : bedo (cigarette de haschisch), craillav (manger), marav (battre, frapper, tuer), rodav (regarder), Schmitt (policier).7 Ce phenomene d'emprunt aboutit äla constitution d'un stock de mots « metisses », dont quelques exemples sont mentionnes ci-apres: 7 Mot allcmand « importc » par la mouvancc tsigane. De faux mots tsiganes tels bedav (fumer) (< bedo), couillav (tromper quelqu'un) (< couiller), pourav (sentir mauvais) (pourri), tirav (voler [ä la tire]) (< tircr) sont aussi utilises. 33 bledard m bledman = blexios = bledien : celui qui arrive de son bled, 1'ignorant, le paysan (= rustre). II s'agit de la suffixation « standard» en -ien, « argotique» en -os, -ard de bled (substantif argotique d'origine arabe). L arabe classi-que bilafid a donne en arabe maghrebin bled avec le sens de terrain, ville, pays. C'est par l'intermediaire de l'argot militaire d'Afrique du Nord a la fin du siecle dernier (epoque du colonialisme) que ce terme est passe en argot. gorette: fille, femme. Ce terme vient du wolof go:r (homme), auquel a ete ajoute le suffixe -ette. II s'agit ici d'un procede de suffixation identique a celui qui a partir de beur au masculin donne beurette au feminin. hetiste : personne desoeuvree (sans travail, generalement au cho-mage). Ce mot est construit a partir d'un terme qui designe le mur en arabe dialectal maghrebin (argot algerois) et du suffixe -iste. Le hetiste est par consequent celui qui est adosse au mur, passant son temps a ne rien a faire, parce qu il n'a pas de travail. 4 kiffer : aimer. A rapprocher d'une part de l'arabe kiff (melange de cannabis et de tabac) et du fait, par consequent, d'aimer le kiff. raclette : fille, femme. II s'agit du diminutif en -ette de racli (forme feminine correspond a raclo (dialecte kalderash (tzi-gane) : rakl-o, gar^on non Tsigane) et designant une femme non Tsigane. scarlette : fille, femme. C'est la suffixation en -ette de scarla, verlan de lascar pour designer un gars de cite (avec connotation de ruse, de force, autant de qualites attendues de la part d'un soldat8 ou de quelqu un qui doit faire face aux exigences de la vie). ■ Compte tenu de Pensemble des faits qui ont ete presentes il convient done de reconnaitre que le travail du linguiste descripti- 8 Ce mot arabe vient du persan laskhar et signifie rhomme valeureux, rhomme preux, le soldat. 34 viste, lorsqu il porte sur des varietes linguistiques dites peripheriques, contribue effectivement ä une meilleure connaissance des modes de fonctionnement linguistique en general et de revolution des lan-gues. Bibliographie BÜRDET, Joelle. Les « jeunes de la cite ». Paris: Presses Universitaires de France, Collection « Le sociologue », 1998 DECUGIS, Jean-Michel; Zemouri, Aziz. Paroles de banlieues. Paris : Plön, ] 995 BOURDIEU, Pierre. Vous avez dit« populaire ». In Actes de la Recherche en Sciences Sociales, N° 46. Paris : Minuit, p. 98-105 BOURDIEU, Pierre. Ce que parier veut dire. Leconomie des exchanges linguistiques. Paris: Fayard, 1982 FRANgOIS-GEIGER, Denise; GOUDAILLIER, Jean-Pierre. Parlures argotiques. In Langue francaisc, N° 90, Mai 1991 GADET, Fran9oise. Le francais populaire. "Que Sais-je ?", N° 1172. Paris: Presses Universitaires de France, 1992 GOUDAILLIER, Jean-Pierre. Les mots de la fracture linguistique. In La Revue des 2 Mondes, Mars 1996, p. 115-123 GOUDAILLIER, Jean-Pierre. Comment tu tchatches ! Dictionnaire du francais contemporain des cites. Paris : Maisonneuve & Larose, 1997, 24mt edition, 1998, 3ime edition, 2001. GOUDAILLIER, Jean-Pierre. De Targot traditionnel au francais contemporain des ciris, Argots et Argotologie (ss. la direction de J.P. Goudaillier). In La Linguistique, Volume 38, 2002-1, p. 5-23 GOUDAILLIER, Jean-Pierre. Largotdes citesfrancaises ou francais contemporain des cue's (FCC). Encyclopedia Universalis, 2002 LEPOUTRE, David. Coeur de banlieue. Codes, rites et langages. Paris : Editions Odile Jacob, 1997 MELLIANI, Fab ienne. La langue du quartier. Appropriation de Vespace et identites urbaines chez des jeunes issus de Immigration maghrebine en banlieue rouennaise. Paris: L'Harmattan (Collection "Espaces discursifs"), 2000 PLENAT, Marc. Morphologie du largonji des loucherbems. In Langagest 78, 1985, p. 73-122 ROBERT L'ARGENTON, Francoise. Larlepem largomuche du louchebem (Parier l'argot du boucher). Parlures argotiques. In Langue francaise, 90 (mai 1991) ■ 35 SEGUÍN, Boris; TEILLARD, Frédéric. Les céfrans paríent aux jřangais. Chroniqtu de la langue des cités. Paris : Calmann-Lcvy, 1996 Abstract Using a number of specific examples of French argot, the author illustrates the importance of the work of linguists who, through a description of "peripheral" language variants, contribute to a better understanding of the way the language works in general as well as of its individual development stages. Resumé Autor stati na řadě konkrétních příkladů z oblasti francouzského argotu dokazuje, jak důležitá je práce lingvistů, kteří se věnují popisu těchto tzv. periferních jazykových variant a přispívají tím k lepšímu poznání fungování jazyka obecně, ale i jeho vývojových etap. 36 LES ASPECTS STYLISTIQUES DE LA VERLANISATION Alena Podhorná-Polická 0. Introduction Pour un Tcheque, il est presque inimaginable qu un procede ludi-que d'un langage a clef, consistant, a premiere vue, en une simple interversion des syllabes, puisse devenir un phenomene depassant le simple jeu d'enfant. Pourtant, le verlan ne cesse d'impressionner les linguistes, et surtout les sociolinguistes fran9ais, par sa fonctionna-lite et sa complexity. Certes, ce phenomene argotique est avant tout lie a l'age, au statut social et au lieu de residence, mais on observe une certaine consolidation lexicale qu on pourrait associer a T« argot commun des jeu-nes » ou, sur le plan encore plus general, a 1'« argot commun » tout court. Cet article tentera de decrire les aspects sociolinguistiques puis stylistiques de ce phenomene en s'appuyant sur notre recherche, sur la langue spontanee des jeunes, et sur des romans contemporains. 1. Les origines du verlan : de Fargot a clef a Vargot sociologique Le mot verlan resulte de la metathese de « (a) Tenvers » > (a) vers-l'en > verlan, il s'agit d'un « argot a clef », tout comme le « louchebem » ou le « largonji ». « J'ai introduit le « verlen » en litterature dans « Rififi chez les hommes » en 1954. « Verlen » avec un « e » comme « en vers » et pas « verlan » avec un « a » comme ils 1'ecrivent to us... Le verlen, e'est nous qui Tavons cree avec Jeannot du Chapiteau, vers 1940-41, le grand Toulousain, et un tas d'autres » proclame Auguste Le Breton en 1985 dans Le Monde.1 Quoi quen dise ce celebre argotier, ce phenomene argotique semble beaucoup plus ancien. Le 1 Citation reprise de COLIN, Jean-Paul; MfiVEL, Jean-Pierre ; LECLfiRE, Christian. Dictionnaire de Vargotfrancais etdeses origines. Paris : Larousse, 2002, p. 657. 37 Dictionnairc de P argot note sa premiere apparition en Bonbour pour Bourbon date de 1585 déja. P. Guiraud2 atteste la premiere apparition du verlan en argot traditionnel en 1842 avec le toponyme Lontou utilise pour dénommer en argot « le bagne de Toulon » et il ajoute que le verlan n a jamais cessé ďétre parle depuis. A Tépoque étudiée, le verlan na pas encore la valeur identitaire quil a depuis de son essor contemporain dans les années 80. Dans le « vieil argot», la creation de Lontou était simplement cryptique, utilisant une cle de cryptage tout ä fait identique ä celle du largonji, du loucherbem, mais plus facile a decrypter (asavoir #syllabe 1, syllabe 2# =>#syl- labe 2, syllabe 1#). devolution sociolinguistique a vu naitre ce procédé de cryptage et Fa considéré comme un simple procédé parmí ďautres, limite en fonctions et en usages, qui est devenu au fur et ä mesure le symbole langagier de la « culture de rues ». Les chercheurs s'accordent sur l'idee que le verlan n a jamais cessé d'exister depuis l'epoque du « vieil argot », mais son nouvel essor date des années 1970 dans les grands ensembles de la banlieue parisienne oü les jeunes issus de Timmigra-tion s en saisissaient pour marquer leur production argotique. Forte-ment mediatise dans les années 80 ä ťépoque « des Ripoux » (film de Claude Zidi de 1983) et des premiers tubes de Renaud (son fameux « laisse beton » pour « laisse tomber »), la mode de la « verlanisation » ludique se propage grace aux médias et le verlan est parle (et souvent parodie) par tous les Fran^ais - voir les datations dans le tableau ci-dessous. Cette « gymnastique linguistique » se propage dans toutes les couches de la société, notamment dans le « fran^ais branché », tout en étant alimenté par les publicités en verlan et par les creations ad hoc journalistiques. A la fin de cette periodě médiatique, la mode de la verlanisation est abandonnée petit ä petit par tous ä l'exception des jeunes des cites franciliennes pour lesquels ce procédé formel na pas cessé de servir comme une source inépuisable ďinnovation lexicale et de renforcement de leur identité interstitielle. Apres une periodě de mépris systématique de ce procédé exprimé dans la bou-che de beaucoup de « Frances de souche », on observe que certains mots dépassent les barriěres regionales et sociales et entrent dans 2 GUIRAUD, P. Largot. Que sais-je?, n° 700. Paris : PUF, 1973, p. 45. 38 le lcxiquc de tous les jeunes Fran^ais, dans Y« argot commun » des jeunes, si Ton emprunte la terminologie de Denise Francois-Geiger. Or, si Ton feuillette des dictionnaires ď usage courant (nous avons fait cette recherche pour le Petit Robert de 2001), on s'apenjoit qu il y a un nombre non négligeable de lexemes en verlan qui sont passes dans T« argot commun » en general. On assiste alors á la stabilisation de certains lexemes verlanisés á Péchelle nationale, notamment grace aux médias. Tableau n° 1 : Lexemes verlanisés recensés par Le Petit Robert élec-tronique, éd. 2001 lexeme / location * da tat i on sens 1 o notes bar jo, adj. debut XXC fam. fou, farfelu dingue, félé, fondu, siphonné abré-viation barge beur, n. et adj. vers 1980 fam. jeune Maghrébin né en France des parents immigrés fém. beur ou beure, beurette | feuj, n. 1988 fam. juif keuf, n.m. 1978 fam. agent de police, po-licier keum, n.m. vers 1970 fam. mec, garcon ineuf, n.f. 1981 arg. ; I fam. femme, jeune fille épouse, compagne nana ouf, adj. inv. vers 1990 fam. fou relou, oue, adj. 1994 fam. lourd, depo urvu de finesse 39 ripou, adj. et n.m. 1985 fam. 1) corrompu, n.m. policier corrompu 2) pourri, en mauvais , etat teuf, n.f. 1995 1 fam. fete zarbi ou zarb, adj. vers 1980 ram. bizarre, erränge (des personnes et des choses) laisse beton vers 1970 L- fam. laisse, laisse tomber (invitation ä aban-donner un projet, une attitude, etc.) Notes : • Le Petit Robert definit lc verlan comme « argot conventionnel consistent ä in-verser les syliabes de certains mots (ex. laisse beton pour laisse tomber, fica (cafe), trome (metro), ripou (pourri) et, avec alteration, meufpout femme) », meme si « trome » et « feca » ne figurent pas parmi les entrees du dictionnaire. Ceci confirme l'idee que seulement les expressions repandues au niveau national ont ete recensees. • La marque metalinguistique la plus frequente (fam.) range ces expressions au niveau de langue familiere (ce qui fait preuve du passage de ces mots ä l'argot commun). Paradoxalement ä la definition du verlan, seule l'entree « meuf» porte une marque arg.fam. qui correspond ä un « mot d'argot ou emploi argotique passe dans le langage familier ». Or, to us ces lexemes (ä Texception des entrees ouf, teuf et laisse beton) apparaissent egaiement dans le Dictionnaire de l'argot de Larousse qui recense les mots d'origine argotique, y com-pris la production verlanesque. • Les glissements semantiques frequents n'ont pas etc suffisamment pris en compte par les lexicographes: « meuf» signifie plutot une « jeune fille » quune « femme », « rebu » signifie plutöt « ennuyeux » que lourd. 2. Fonctions et usages actuels du verlan II faut distinguer deux niveaux dans la production verlanesque : le niveau geographique et le niveau fonctionnel. 40 Depuis les annees 70, ce procede a eu du succes aupres des jeunes adolescents des grands ensembles, uniquement de la pdripherie parisienne. II s'en est suivi une penetration du vocabulaire verlanise dans le parler des jeunes banlieusards d'autres villes franchises qui s'est effectuee par Pintermediaire des medias, sans oublier Papport de la musique rap et du mouvement hip hop. Or, Nathalie Binisti3 remarque que le verlan, en empruntant le vocable cree en region parisienne, sert aux jeunes Marseillais des quartiers difficiles comme moyen de revendication de 1'appartenance au groupe plus large des jeunes fran^ais dits de « Banlieue ». Pourtant, le centre de production et de dissemination des nouveaux lexemes en verlan reste, selon toute vraisemblance, Papanage de jeunes de Plle-de-France (voir ci-dessus le point 3). L'importance de la fonction identitaire du verlan dans les conditions actuelles de la fracture sociale et linguistique a ete menacee par Pinteret des medias pour cette particularite linguistique. « La pub leur a pique faux verlanophones] leur patrimoine linguistique », constate L.-J. Calvet.4 L'emploi consequent du verlan dans les lycees parisiens et la profusion de lexemes verlanises dans 1'ar-got commun n assume que la fonction ludique et conniventielle aupres des « Francais de souche », sans avoir besoin de s'identifier par le biais du verlan avec la culture des rues. Or, apres la vague moderne de creation verlanesque dans les annees 80, les inventions crypto-ludiques dans ces milieux se sont arretees, et, comme dans le cas mentionne de Marseille, les jeunes ne font que des emprunts au vocable, s'inspirant dans ces enormes centres de production que sont les banlieues ou la fonction identitaire reste toujours primor-diale. Le verlan fait partie de 1'argot au moins par sa fonction cryptique (nous preferons de parler plutot de la fonction crypto-ludique). Pour rendre le decryptage plus difficile, le verlan emprunte souvent des mots au vieil argot comme points de depart pour la verlanisation, 3 BINISTI, Nathalie. Les marques identitaires du « parler interethnique » de jeunes marseillais. In Leplurilinguisme urbain. Actes du colloque de Libreville. Paris : Didier erudition, 2000, p. 293. 4 CALVET, L.-J. L 'argot en 20 lecons. Paris : Payor, 1993, p. 154. 41 ce dont témoigne Vivien ne Mela5 dans les exemples pratiques : « on ne verlan ise pas pantalon mais futal ou jute, chaussures mais pomp es, moto mais bécane, etc. ». Cette tendance apparait également dans notre corpus de toponymes, oil P expression « 4 keus » utilise pour la verlanisation le mot de vieil argot sac qui veut dire 1000 francs anciens. Les « Quatre-Mille » est un grand ensemble de 4000 loge^ ments de la ville de La Courneuve en region parisienne. Ces loge-ments ont été métaphoriquement rapprochés de Targent > 4000 sacs, ce qui s'est transformé en 4sacs aprěs la reforme monétaire > 4keus aprěs la verlanisation. Le verlan se manifeste done comme une sortě de signe linguistique du mouvement des « banlieues ». Ii permet aux jeunes de s'integrer, de s'auto-identifier entre-eux et surtout de s'auto-differencier par rapport ä d'autres jeunes et ďautres generations. Dans la region parisienne, au moins, ce sont de véritables puits de nouvelles inventions qui assument, en plus du cóté crypto-ludique, une fonction initiati-que dans le rituel social ď adhesion ä des réseaux de communication entre les pairs. Comme le soulignent Ch. Bachman et L. Basier en 1984 déja, c est « la tentation, pour les petits, ďimiter la langue des grands et d'experimenter le pouvoir qu eile confere. Cest Taffirma-tion, par les grands, de leur superioritě sur les petits ».6 II faut ajouter ä ce point que, pour une acceptation (et une eventuelle reprise) d'un néologisme verlanisé au sein d'un groupe de pairs, il y a une condition psycho-sociologique trěs importante : celle d'etre au sommet dans la hierarchie du groupe. Nos entretiens confirment une relative liberie dans la creation verlanesque au niveau des « micro-argots », tout depend du contexte et de la sonorité du mot verlanisé. Dans les cas extremes, cela peut aller vers des idiolectes bien particuliers. Voici quelques exemples de nos entretiens : - 1. (entretien avec un jeune ďune cité de la banlieue parisienne, 22 ans — designe F, nous Q) — il réagit ä notre question concernant un mot en verlan qui lui est inconnu 5 MELA, Vivienne. Parier verlan, regies et usages. In Langage etsociete, n° 45, sep-tembre 1988, p. 71. 6 BACHMAN, Ch.; BASIER, L. Le verlan : argot d'ecole ou langue des Keums? In Mots, n° 8, mars 1984, p. 172. F: mais c'est possible franchement / tout est possible tu sais (petit rire) / mais moi j'ai jamais entendu quoi Q: done le verlan +> tu peux faire n'importe quoi en verlan F: tu peux faire nimporte quoi mais apres c'est la sonorite qui fait si 9a sera accepte ou pas / e'est-a-dire si 9a a une bonne sonorite peut-etre qu on va le reutiliser mais si 9a fait pas terrible / tu vois peut-etre si le son est pauvre ou s'il y a des mauvaises intonations le mot ne s'utilisera pas [....] F : de toute fa$on t'as un champ Enorme de possibility parce que / tu prends un mot tu le mets a l'envers / 9a te sonne bien quoi 2. (entretien avec un jeune d'une cite de la banlieue parisienne, 20 ans — designe A, nous Q) A: mais // dans le contexte on se comprendra / c'est-a-dire que meme +> e ::: / 9a marche pas quand tu prends l'arbre Q: ouais A: ne pas faire comme c'est bre-ar / 9a 9a passe pas / tsais ce que je veux dire Q: ouais A: e ::: / pour dire pantalon / y a pas / chais pas (petit rire) /// tu peux toujours inventer les mots Q: ouais . A : tu sais ce que je veux dire / (i)l faut que ce soit <+ si tu les sors naturellement / 9a passera dans la conversation Malgre ce cote crypto-ludique inepuisable du verlan mentionne par nos enquetes, les thematiques dont le lexique peut etre touche par le verlan s'averent cependant limitees. Meme si, dans un reseau de communication bien coherent, la verlanisation peut toucher pres-que tout le lexique tout en restant comprehensible, on observe une consolidation de la plupart des mots verlanises. Une anecdote de Louis-Jean Calvet confirme quon ne peut pas se permettre de ver-laniser n importe quel mot a l'epoque actuelle : « Un jour que je dis-cutais avec des jeunes de la region parisienne qui pratiquaient le verlan, je leur ai dit au moment de les quitter : « Bon, c'est l'heure d'aller febou ». Immediatement, j'ai ete repris par Tun d'eux : « On 43 dit pas fébou, on dit géman ». »7 Lc verlan nest pas un phénoměne recent, il y a non seulement les regies de formation des mots, mais également tout un lexique regie, déjá consolidé et peu variable quoi quen disent nos enquétés. Plus on séloigne du niveau des « micro-argots » des différents groupes de pairs pour aller vers « Pargot com-mun des jeunes (des cités) », moins nombreuses sont les creations ad hoc qui peuvent étre observées. Or, le cóté purement sociologique du verlan mérite également ďétre mis en relief. II semble que les tout jeunes apprennent les mots verlanisés en bloc, sans se rendre compte du procédé utilise. Dans une classe de lycée professionnel a Paris, nous avons observe les pratiques ďun jeune immigré qui a été familiarise avec les mots verlanisés beaucoup plus qu avec leurs equivalents non-verlanisés du franfais standard. C'etait pour lui une nécessité de s'adapter au langage de son réseau de communication le plus frequent et le plus important dans la construction de sa nouvelle identité qui est influencée bien évidemment par ďautres jeunes bien plus que par autorité scolaire. Paradoxalement, rien n empéche quun jeune issu de Pimmigration récente, ďune famille non francophone et qui passe son enfance en bas de Pimmeuble avec « ses potes » ver-lanisants puisse apprendre la forme véhiculaire — verlanisée plus tót que son equivalent francais standard (p. ex. téma / —verlan de « mater » plus tót que regarde /). La verlanisation est également un moyen de combat contre les connotations stigmatisantes que la société majoritaire peut se créer pour certains termes. J.-P. Goudaillier remarque á ce propos : « ... le verlan est une pratique langagiěre qui vise á établir une distan-ciation effective par rapport a la dure réalité du quotidien, ceci dans le but de pouvoir mieux la supporter. Le lien au referent serait plus láche et la prégnance de celui-ci moins forte, lorsque le signi-fiant est inverse, verlanisé : parler du togué, de la téci, du tierquar et non pas du ghetto, de la cite, du quartier, oil Pon habite, serait un exemple parmi ďautres de cette pratique ».8 Les referents geogra-phiques aussi bien que les denominations ethniques sont souvent 7 CALVET, L.-J. L'argot en 20 lecons, op. cit., p. 156. 8 GOUDAILLIER, J.-P. Dc 1* argot traditionncl au francais contemporain des cites. In La linguistique, vol. 38, fasc. 1, Paris 2002, p. 18. 44 porteurs de connotations sociales défavorables (notamment avec les épithětes euphémiques « quartier sensible », etc.) ce que les jeu-nes ressentent amérement. Le verlan permet d'effacer ces connotations, au moins pour une certaine periodě. Nous pouvons observer cet effet sur le célěbre triple Arabe > Beur > Rebeu (ou reubeu). Le beur, forme verlanisée de Yarabe, reprenant de plus en plus des connotations negatives dans certains discours, a servi comme mot de depart pour la reverlanisation en rebeu I reubeu qui est déba-rassée de toute connotation pejorative et qui sert ä Tidentification ethnique des jeunes Arabes issus de l'immigration. Hormis cette fonction « assainissante » de la reverlanisation, il reste également un simple cóté crypto-ludique dans la creation des néologismes : meuf est reverlanisé en feumeu pour augmenter 1'expressivité de ť expression qui est passée en argot commun et qui ne révěle plus le caractěre « jeune ». Dans les discours épilinguistiques, on voit souvent apparaltre des commentaires stigmatisant les verlanophones de la part des « Francis de souche » (notamment l'expression zyva ! - verlan de vas-y! est devenu presque emblématique pour le dénigrement des jeunes de banlieue) tout en exagérant et parodiant certaines expressions verla-nisées (p. ex. Texpression nimporte ria wak < nimporte quoi semble étre trěs stigmatisante selon nos enquétes aupres des jeunes des cites, si elle est prononcée par les «Cefrans »). Simple categorisation sociale et/ou Xenophobie ? II paraít que ce phénoméne cache des peurs presque puristes au nom de la defense des lois grammaticales du francais standard. « Personnellement, je naime pas beaucoup le verlan car $a nous éloigne de nos origines... » affirme un jeune enquété (16 ans, habitant en Campagne, d'origine francais). Vivienne Mela observe des reactions encore plus dramatiques : « le verlan est ressenti comme une agression par ceux qui ne le pratiquent pas parce qu il parait comme une violence fait ä la langue qui pour-rait se traduire en violence physique ».9 Le verlan se raťtache alors fortement aux préjugés sociaux. Certes, avec son debit rapide, la comprehension de la « tchatche » des jeunes banlieusards devient difficile pour beaucoup d'adultes, 9 MELA, Vivienne. Verlan 2000. In Langue frangaise, n° 114, juin 1997, p. 31. 45 mais c'est surtout la modification de l'apparence phonique de la langue grace aux formes verlan isees qui contribue a ce sentiment de « violence linguistique ». Sur le plan formel, on observe une haute frequence des mots avec la voyelle [ce] qui est un resultat de la prononciation du e muet pour former la seconde syllabe des mots monosyllabiques et done pour que la permutation de syllabes de- vienne reguliere (p. ex. le monosyllabique Black [blak], un emprunt aPanglais pour designer « un noir » > *[blak9] > [kabla], est note le plus souvent [koebla] keubla, terme non connote designant un noir). ^hesitation entre la notation [oe] ou a], timbres phonologi-quement tres proches, mene a la variation graphique {rebeu - reubeuy etc.) et cela amene certains linguistes (p. ex. J. Billiez) aprivil£gier la transcription [n] pour eviter l'ambiguite concernant ce « schwa » verlanesque. Si Ton ajoute que Papocope y est tres frequente, tout com me en argot general pour des raisons economiques (jrere > refre > reuf, parents > renpas > renpsy etc.), on s apenjoit que « ceci a pour consequence de mettre essentiellement en valeur plutot les schemes consonantiques, au detriment bien entendu des voyelles », comme le remarque J.-P. Goudaillier.10 En revanche, en ce qui concerne Tapherese, on nest jamais sur sil s'agit du mot ou la partie initiale a ete tronquee ou bien s'il ne s'agit pas plutot de Tapocope d*une forme d'abord verlanise (p. ex. caille peut etre aussi bien Tapherese de racaille que l'apocope du mot verlanise caillera> garette est soit Tapherese de cigarette, soit l'apocope de garetteci, etc.). Ce qui choque le plus les puristes est sans doute 1'invariabilite des formes verbales. La conjugaison des verbes dans le present ou dans le passe ne prevoit pas de flexion ou de participe passe, il y a une tendance vers Panalytisme absolu (Je peta, tu pita, on a pita, verlan de taper = voler). On observe egalement une absence de liaison pour les mots verlanises commencant par une voyelle (p. ex. dans notre corpus : les sapes de ouf= les vetements de fou). Selon Vivienne Mela, le verlan privilegie les dissyllabiques qui representent 90 % du corpus,11 mais la permutation plus complexe s opere sur les monosyllabiques (ouf, oinj < joint, zen < nez — verlan intrasyllabique) que sur les trisyllabiques (Ca- 10 GOUDAILLIER, J.-P. Comment tu tchatches !Dictionnaire du francais contempo-rain des citis. Paris : Maisonncuve & Larose, 2001 (3C eel), p. 33. 11 MELA, Vivienne. Parier verlan, op. cit., p. 70. 46 maro < Marocain, etc.).12 Le verlan touche surtout les substantifs et les verbes, beaucoup plus rarement les mots grammaticaux (toi > oit, mot > oim, celui-la > lacui), la verlanisation des noms propres est egalement tres riche (notre corpus d' « argotoponymes » en faisant preuve).13 En analysant le corpus d'un point de vue semantique, on observe que les glissements de sens des noms verlanisds sont frequents. Pour D. Szabo, « un procede essentiellement formel comme le verlan n'est pas toujours depourvu de tout aspect semantique, un mot comme meufy par exemple, signifiant non pas « femme » mais plutot « fille » ou beur ayant un sens plus restreint que arabe, le mot de depart de la verlanisation ».14 Ceci touche notamment Taspect pragmatique : les mots verlanises sont charges d'expressivite, ce lexique devenant marque. La verlanisation est done un procede qui permet une « ar-gotisation » des expressions standards, quelle que soit la marque me-talinguistique dans les dictionnaires (fam., pop., arg., vulg.). 3. L'argot common des jeunes observe par le biais du verlan Nous avons deja remarque que le verlan est limite geographiquement aux banlieues de TIle-de-France. C'est le centre de production des nou-velles variantes lexicales dont les plus reussies passent, grace aux medias et a la musique rap et hip hop, les frontieres franciliennes pour etre absorbees par les jeunes banlieusards dautres villes comme le signe d'appartenance virtuelle a la « culture des rues ». C'est une reprise sociale a cote de laquelle coexiste une reprise generationneUe, e'est-a-dire que les lexemes charges de Texpressivite adherente sont assimiles dans le lexique de tous les jeunes Fran^ais - on pourrait eventuellement parler d'une « culture jeune » oil les medias difrusent les expressions momentanement a la mode qui sont reuti-lisees (ou au mo ins retenues passivement) par Tensemble des adolescents. 12 Les regies du verlan ont été déjä bien décrits dans les travaux de BACHMAN et BASIER, de MELA ou de GOUDAILLIER, voir bibliographic 13 PODHORNA, Alena. Parlers argotiqucs : comparaison morpho-sémantique et formelle — exemple des « argotoponymes ». In KYLOUSEK, P. (éd.) Rencontres franchises — Brno 2003- Actes du 6e seminaire international ďétudes doctorales (Brno, 5-8 février 2003). Brno : Masarykova univerzita v Brně, 2004, pp. 287-294. 14 SZABO, D. L argot commun des étudiants budapestois. These sous la direction de Jean-Pierre Goudaillier, Université René Descartes, Paris 2002, 2 vol, p. 169. * 47 Pour pouvoir se permettre de tirer des conclusions sur cet « argot commun des jeunes », nous avons effectue une petite analyse du corpus obtenu dans un lycee professionnel a Yzeure (03, Allier), une petite ville au centre de la France. Ici, les lexemes verlanises semblent fonctionner comme des emprunts expressifs tout faits, il ne s'agit point de la production verlanesque spontanee dont parlent nos en-quetes a Paris. Lors d'un entretien dans une classe divisee en deux groupes selon leur orientation professionnelle (ferronniers / structures metalliques), les futurs ferronniers revendiquent qu ils utilisent beau-coup moins le verlan que leurs collegues des structures metalliques en expliquant que c est du au fait que, a P exception d'un eleve, ils n'ecoutent pas de rap (« nous cest plutot Paccordeon, bal-musette ») et qu il ny a pas de jeunes issus de Timmigration parmi eux. i (Q — nous, interviewer ; B,C,D,E - interviewes, les lettres corres-pondant au noms chiffres dans le tableau suivant) D : mais / en tout cas en ferronnerie on parle pas beaucoup comme ^a // les structures metalliques ceux qui £taient avec nous ce matin / i(ls) parlent plus le verlan Q: okay (plusieurs voix superposees) : XXX C : c est des rebeus (avec imitation de I accent) (rires) Q: done done 9a fait 9a fait / qui sont qui sont de differentes ori- gines qui parlent le verlan ? c est lie a 9a / a Timmigration ? (plusieurs voix superposees) : XXX B : la racaille D : i(ls) font style qu ils / qu'i(ls) veulent se donner en fait / parce que : un certain chanteur qu'ils aiment bien qui parle comme 9a / done i(ls) parlent comme 9a C : ils ecoutent le rap Q: du rap ? justement je voulais vous demander vous ecoutez le rap / ou pas (plusieurs voix superposees) : non non Q: toi / oui ? // et et 9a done 9a te motive les mots quils sont utilises dans le rap ? E : ouais / non 48 Pour verifier ce sentiment de differentiation linguistique ä travers l'usage du verlan dans les deux groupes de cette méme classe, nous avons analyse les formes verlanesques des questionnaires remplis auparavant par ces élěves. Sur 60 questions concernant les expressions qu ils utilisent entre copains, 6 ferronniers indiquent 31 expressions en verlan au total, tandis que dans les structures mé-talliques, on recense 55 termes sur 6 enquétés (voir le tableau sui-vant) dont deux sont issus de Timmigration maghrébine. Tableau n° 2 : Relevés verlanisés dans les questionnaires ďune classe ä Yzeure I—i O ■a a .a o c z ■a o í 48 o y ju d o O w •g v 8 I "á'S 7-r **** w o ti 8 ^ J o o c o 6 3 -1 s pecho, peucho < choper, etc.). Nous avons categorise les reponses selon la frequence cooccurrence (> 10 occ, < 10 occ.) dans le lycee entier (le meme questionnaire aete rempli par 3 classes differentes). Dans la premiere categorie, nous avons mis a part les lexemes qui figurent deja dans le Petit Robert electronique et qu on peut designer par le terme d'argot commun generalise (meme si les actualisations telles que « keums en bleu » pour les policiers ou le redoublement « teufieuf» appar-tiennent a ce reseau de communication etroit). Les expressions de plus de 10 occurrences dans le lycee peuvent etre considerees comme tres frequentes, formant une partie active de « Targot commun des jeunes ». La situation de la seconde categorie (< 10 occurrences) est beaucoup plus interessante. Si Ton re-garde les expressions fournies dans cette colonne par les ferronniers, la moitie des 6 termes verlanises sont des expressions designant les drogues {techi < « chite » < de l'anglais $hit> « haschisch » ou, par extension, « drogue » ; petri < « trip », extasis; beuze < resuffixa-tion de « beuher » < « herbe, cannabis »), il s'agit alors de Targot cryptique utilise par Fensemble des jeunes pour coder leur discours illicite devant les autorites. Les eleves des structures metalliques, en revanche, marquent les expressions quon pourrait classer dans T« argot commun des jeunes des cites », le verlan servant a affirmer leur identite qui fait reference a la culture « des banlieues » dont les vecteurs sont immigration, residence dans les cites, musique rap et hip hop. Meme si ces jeunes remarquent souvent dans les entretiens que le verlan est un proc^de de codage, les mots verlanises arrivent 51 en province déjá lexicalisés (nous en avons une preuve par Tignorance des jeunes de la provenance du mot deks « policiers » qui est un verlan de kisdé ou condé de méme sens). La liste des mots en verlan qui sont réellement utilises en province ne s'arrete pas du tout á cette liste, mais il nous parait pourtant que méme cette liste donne un aperc;u déjá bien complexe du statut de verlan en France en general. 4. Reflexion sur les aspects stylistiques du verlan Le verlan sert aux écrivains de romans ou de scenarios des films comme un outil trěs significatif pour la caractérisation des per-sonnages. II s'agit des personnages jeunes résidant en region pa-risienne, plus particuliěrement dans les « cites » de banlieues ou dans les quartiers populaires de Paris. Or, Tabondance du verlan dans la bouche ďun jeune menait souvent á la presentation tout á fait caricaturale d'un jeune « lascar » et c'est pourquoi, á Tépo-que actuelle, on peut observer plus de délicatesse, notamment de la part des scénaristes, car la question linguistique est socialement trěs sensible en France. Pour mettre en evidence la valeur stylisti-que de la verlanisation, nous avons choisi deux auteurs décrivant, dans des objectifs differents, la vie des jeunes issus des couches sociales défavorisées de la region parisienne : Rachid Djaidani et Thierry Jonquet. Djaidani est un écrivain jeune d'origine algero-soudanaise, issu lui-méme du milieu banlieusard, dont le debut romanes-que, Boumkosur (Seuil, 1999)7 a connu un grand succěs. Quant á Jonquet, c'est un écrivain ďáge moyen, renommé pour ses romans policiers qui s'est mis, dans quelques-uns de ses ouvrages — La vie de ma mere ! (Gallimard, 1994) et Le Témoin (In : Pages noires, 1996), ala narration des histoires des jeunes (plus ou moins délinquants) « de la rue » dans leur langage quil a su observer brillamment. Les deux auteurs racontent Thistoire á la lěfe personne, de la position d'un jeune, dans un ton neutre, voire familier. Jonquet fait parler le narrateur le plus spontanément possible avec une syntaxe proche du discours oral : 52 « Parcc que Djamel il m'a expliqué que Besbar, 9a a Pair cool comme coin mais il faut faire gaffe, c*est plein de keufs qui matent partout. » (La vie..., p. 63) Les elements verlanisés sont insérés pour augmenter Pexpressivité du discours spontané, de la maniěre identique á la réalité langagiěre des jeunes qui tendent á se différencier de la generation plus adulte par un recours plus frequent aux argotismes : « Ma reum, elle lui a filé ses vingt keusses, pour pas faire ďem-brouille, et aprés, elle m'a pécho avec une des ceintures que le ieuv il a laissé a la maison avant de se tirer. » (La vie..., p. 14) Or, Jonquet n abuse pas du verlan comme procédé libře pour la creation des néologismes, il nutilise que les termes récurrents : la grande majorité du lexique verlanisé dans son oeuvre peut étre designe par notre etiquette d'argot commun des jeunes « des cites » ou encore d'argot commun des jeunes tout court; ■ « Les reubeus, je sais pas pourquoi, ils traitent tout de suite, lis ont vite fait de se véner, mais des fois, vaut mieux garder son calme. Un des copains de Djamel a pécho le sac á main de la meuf, mais elle le tenait par la laniěre et elle a gueulé encore plus fort. » (La vie..., p. 42) 1 Rarement, dans le cas oú le terme argotique est susceptible de ne pas étre comprehensible pour to us les jeunes, Jonquet se sert des notes de bas de page : « Je le sais parce que Béchir, le grand frěre á Farid, il a un copain reurtf qu a pris six mois ferme. » (* Reurti: verlan de tireur, vo-leur). (La vie..., p. 46) La stylisation des personnages s'opere aussi bien par la frequence relativement haute des lexemes verlanisés (mais pas comme un pro-cede exclusif de la stylisation ce que d'autres auteurs font bien sou-vent) avec l'intention d'augmenter Fexpressivité du discours que par 53 le choix des thematiques qui impliquent des mots en verlan mo ins connotes comme p. ex. la question ethnique : « Je teste peinard, chez oim, a £couter NTM ou IAM. J'me prends pas la tete avec des plans shit ou caillou, comme y a plein de keums qui font, dans la cite. J me branche pas non plus avec les bandes, les reubeus, ou les Blacks, d'abord j'aurais du mal, vu qu j'uis ce-fran, clean. » {Le Temoin, p. 53) « J'ai rien compris, parce que lui aussi il etait cistra, si on raisonne comme 9a! La preuve, c'est qu il a engueule Steve en lui disant qu il avait pas a sortir avec une cefran meme si c'etait Nathalie ! » (La vie..., p. 20) En revanche, Djaidani fait parler son jeune narrateur, Yaz, dans le francais standard pour montrer que le but de celui-ci est d'echap-per a la stigmatisation langagiere et d'echapper a la vie dans une cite pauvre tout court. Le narrateur se met ainsi en opposition lin-guistique avec son meilleur ami Grezi qui, au contraire, ne reussit pas a. echapper aux tentations dangereuses et finit en prison. Les dialogues oil Grezi prend la parole sont satures par le verlan qui sert pour la caracterisation directe d'un jeune « racaille », c'est-a-dire d'un jeune appartenant a la culture des rues. Pour exacerber cette opposition, le narrateur se met chaque fois a « coder » ou « decoder » le discours de Grezi, dans le but d'expliquer aux lec-teurs non verlanisants les mots qui sont, a la difference du verlan « commun »deJonquet,souvent des termes appartenant a unreseaude communication restreint: « Les policiers ont interpelle mon pere pour le ramener au poste, pour une garde a vue. On nVa denonce, 9a devient dangereux, la police va me mettre la main dessus. Phrase non decodee: Les keufs, ils ont pecho mon reupe pour le menra au stepo, en garde a uv. On rn a lanceba, c'est trop auch, les steurs vont mserrer. » (Boumkceur, p. 69) 54 Le narrateur lui-meme est issu egalement de ce milieu et connait done, au moins passivement, les expressions, mais il n utilise le Verlan quau moment oil il est oblige de s'exprimer de maniere plus expressive. Cest le moment oil il perd le controle sur sa langue (et sur sa prosodie I)15 et s'exprime spontanement, mais tout de suite apres, il justifie ce comportement aux lecteurs: « Je monte le volume : - Grezi! ouvre, c est Yaz.... Zi va, vrirou la teport e'est Yaz que j'te dis, fais pas le baltringue. Phrase dicodee: Grezi ouvre, c est moi Yaz, je suis de retour, fais pas Timbecile, ouvre. J'aurais du m'enregistrer: avec le rythme endiable du pivert et mon flot de paroles, j'ai improvise quelque chose de cool, je suis un requin assassin grace ä la morsure de mon phrase;. Pourtant je in efforce de ne plus tchatcher verlan, mais quand je suis enerve il reinvestit ma langue. Mon verlan compare a celui des mecs comme Grezi, cest niveau CP. Leur verlan ä eux cest niveau bac +10 dans Tuniversite de l'ecole de la rue. » (Boumkomn p. 58) m Ces quelques lignes sont une breve analyse extraordinaire de ce que les sociolinguistes decrivent difficilement. Le verlan de Grezi peut-etre designe comme « identitaire » etant donne que ce procede joue un role primordial dans la construction du marquage expressif et neologique de son discours et quil lui permet de s'identifier avec son groupe de pairs. Yaz se rend compte que la fermeture des jeunes par rapport aux autres reseaux de communication peut mener ä l'ex-clusion sociale. A la fin du roman, Grezi merne, ecrivant a Yaz de la prison, confirme cette id6e en y ajoutant Texclusion intellectuelle : « C'est mon pote de cellule qui ecrit ce que je lui dicte avec le moins de verlan possible pour que tu puisses com prendre le sens profond de toutes mes phrases. » {Boumkoeur, p. 126) 15 A savoir, Taccent phrastique des jeunes « des cites » remonte de la derniěre syl-labe sur la pénultiéme ce qui est, ensemble avec la verlanisation, un des emblěmes (souvent caricatures par lc reste de la société) de ces jeunes. 55 Ceci est sůrement exagéré, mais Djaídani montre ainsi ses pires craintes de la Stigmatisation des jeunes des cites par le biais de la langue. Utilise dans ses extrémités, le Verlan peut fonctionner comme un outil de creation des vrais idiolectes pour ceux qui aiment faire des experiences avec la langue et qui sont bien places dans la hierarchie des groupes de pairs pour pouvoir se permettre d'introduire des ha-pax. Cest le cas de Grézi qui semble utiliser le verlan si abondam-ment que fa semble poser des problěmes méme ä ses copains : « II me questionne, alors je mets en fonction mon décodeur de verlan, la phrase en clair correspond ä fa» (Boumkaeur, p. 20) « Excuse-moi, Yaz, mais je te parle et tu ne me réponds jamais. Estu bien sůr que ton mal de téte sest dissipé ? Dans le cas contraire, je ne vois aucun probléme ä ce que tu dormes quelques heures. » La méme réplique sans décodeur : « Scuse ouam. J'te ťépare depuis ťheure touta et tisgra tu me mets dans le enve. T'es sůr que 5a va ieum dans ta chetron Yaz ? Y a pas de blěme sinon j'te laisse mirdor. » (Bownkceur, p. 113) Ce dernier exemple montre bien que ce n est que le verlan qui sert ä la stylisation expressive du discours (les argotismes : emprunt tronqué scuse, aphérése bleme). Le narrateur fait semblant de « decoder », mais en fait, il traduit en modifiant les mots, méme les locutions figées {tu me mets dans le vent = tu ne fais pas attention ä moi). Djaídani amuse les lecteurs avec des permutations que le verlan per- met sur un premier plan, mais son insertion ď elements verlanesques est présente notamment pour dévoiler les aspects sociologiques qui sont lies ä ce phénoméne linguistique bien particulier. ■ 5. Comment traduire les lexemes verlanisés ? N'etant pas traductologue, nous nosons répondre ä cette question que par certains remarques sur le sujet. Tout d'abord, le traducteur 56 devrait étre conscient du caractěre argotique (ou familier) des expressions verlanesques en general. Cette competence devrait étre acquise lors de ses etudes universitaires dans le cadre de la lexico-logie, de la sociolinguistique ou par ses experiences personnelles en France. Si Ton feuillette les dictionnaires bilingues franco-tchěques, les expressions verlanisées ny sont présentes que trěs rarement. Plus particuliěrement, le grand dictionnaire académique de Neuman et Hořejší (2émc edition de 1992) ne recense aucun lexeme verlanisé. Le plus recent, á notre connaissance, le dictionnaire électronique Lingea Lexicon de 2002 mentionne deux termes : « meuf» avec la mention arg.fam. traduit faussement comme « ženská » (ceci correspond a la jeune fille grace á un glissement sémantique) et « ripou » avec la mention fam. et traductions « 1. Adj.- podmaz-nutý (zkorumpovaný), 2. Nm — podmáznuty policajt», apparem-ment a cause du succěs du film « Ripoux contre Ripoux » (qui a été, d'ailleurs, traduit de maniěre tout á fait neutre, non marquee par « Prohnilí proti prohnilým »). L insertion des lexemes verlanisés dans les dictionnaires ď usage courant unilingues est également assez ré-cente et cest pourquoi la lexicogr aphie tchěque n a pas encore su réagir a cette tendance. On a pu voir que méme les dictionnaires unilingues ne donnent pas beaucoup de synonymes á ces lexemes et alors le traducteur a peu ďappuis pour bien saisir le niveau de lan-gue (ou registre) approprié. De maniěre generále, les marques mé-talinguistiques qui sont attribuées aux lexemes en verlan (fam. ou bien arg.fam.) devraient corresponds au choix adéquat de registre non-standard du tchěque qui correspond le mieux - et cest en general le terme marqué comme « příznakové expresivní ». Néanmoins, ceci est valable pour les lexemes passes en argot commun — en ce qui concerne les expressions appartenant á Pargot commun des jeu-nes (ou des jeunes des cités), il faudra se référer plutót a Pargot des jeunes tchěques (« slang mládeže ») tout en prenant en compte F equivalence pragmatique de la traduction. Or, notamment quand il s'agit du milieu de la banlieue, la traduction doit contourner les connotations socio-culturelles qui s'ajoutent á tout dialecte local16 16 cf. PODHORNÁ, Alena. La Šoupe aux choux a-t-elle la méme saveur en tchěque et en francais ? (probléme ďinterculturalité et de traducibilité). In SOURDOT, M. (éd.). René Falíet, vinpans aprěs. Paris: Maisonneuve & Larose, 2005, pp. 71-83. 57 — ici un dialecte social — par une explicitation de la realite socio-eth-nique des sujets parlants. Pour illustrer en pratique nos remarques a propos de la traduction d'un texte argotique, nous allons nous servir d'extraits du scenario du film Rat (1994 de Thomas Gilou) racontant Phistoire d'une cite de la banlieue parisienne. Dans le cadre du seminaire de sociolinguis-tique a PUniversite Masaryk, nous proposons chaque annee a nos etudiants de traduire les passages les plus interessants de ce film. Ce- lui-ci est destine aux jeunes et contient done beaucoup d*expressions d'argot commun des jeunes. Or, les argotismes qui peuvent poser des problemes de comprehension pour les jeunes Franc^ais (car ces mots appartiennent plutot a Pargot commun des jeunes « des cites ») sont tres souvent reformules par des synonymes plus courants dans les dialogues : « Beinh...on Pa ramene chez ses rem-pas. On a depose le tapis de-vant la porte de chez ses vieux » L'expression verlanisee « rem-pas » pour « les parents » etant trop liee a la langue des jeunes des cites, les scenaristes proposent un syno-nyme familier plus commun de « vieux » dans le cadre d'une seule replique. « ...on Pa attache sur le toit de la vago. Sur le toit de la voiture ? Ouais, sur la galerie, avec les tendeurs. » L'expression argotique «vago » (verlanisee d'ailleurs souvent en « gova ») risque de ne pas etre comprise par Pensemble des jeunes Fran9ais et e'est pourquoi les scenaristes utilisent pour la reformulation le terme neutre de « voiture » prononce par le partenaire du personnage principal dans ce dialogue. Ces deux exemples, ainsi que ceux du roman de Rachid Djai'dani que nous avons presentes ci-des-sus, montrent bien que le travail d'un traducteur est souvent facilite par les auteurs eux-memes qui utilisent Pargot (dont le verlan) pour styliser les discours des personnages tout en proposant des equivalents synonymiques. Dans le cas d'une absence d'explicitation de la 58 part de Pauteur, la traduction peut poser de véritables problěmes de comprehension si le traducteur n est pas suffisamment familiarise avec les regies du verlan. Voici un petit extrait du film Rai relative-ment bien sature en expression verlanisées : « T sais que Poisson s'est fait un' overdose Pautre jour ? -TVas pas rndire quťas pas d'gen-ar ? - Poisson, il est mort, Malik! Poisson, il est mort! - Poisson ? - Ouais, Poisson, on était chez les parents de Zarz, il était aux techio, on Pentendait gueuler 'j'arriv' pas ä pisser, j'arriv pas ä pis-ser\ II est sorti, il s est écroulé. Il avait encore la ceinture avec la peu-pom dans Pbras... et il est tombé, reumo...J'sais pas cquil a fait, c p'tit bátard. On a touché de la cheublan la s'maine der-niěre, il a dů en garder pour lui » En observant les traductions de cet extrait proposées par nos étu-diants, il s'avere que Pabsence d'un procédé lexical semblable en tchěque exige de faire un choix parmi les expressions argotiques propres aux jeunes (p. ex. les argotismes « háky, keše » pour traduire « gen-ar » referent plus aux jeunes que p. ex. « prachy », Pexpression de Pargot commun ; Pemprunt a Panglais « death » qui peut rempla-cer « reumo » mieux que p. ex. « kaput» qui est moins lié généra-tionnellement, etc.). Or, les étudiants ont tendance ä exagérer cette regle en utilisant les expressions qui renvoient ä des micro-argots locaux, propres a leurs milieux de jeunes car ces expressions sont généralement plus nouvelles et done chargées de plus d'expressi-vité que les termes de Pargot commun (obecné slangové ou obecné expresivní výrazy). Iis augmentent ainsi inconsciemment le caractěre cryptique du discours. L'absence de recherches lexicologiques sur ce sujet en République tchěque et notamment la vitesse néologique de la creation lexicale des jeunes empéche de synthétiser les connais-sances et de savoir sil y existe réellement (et en temps réel) un argot commun des jeunes dont le lexique pourrait contourner ce type de problěmes. Nous nous sommes concentrée jusquici uniquement aux lexemes qui, en francais, sont presque les seuls porteurs de Pexpressivité. L'ex- 59 pressivité en tchěque, en revanche, est moins concentrée (eile sétale sur les lexemes aussi bien que sur les marqueurs morpho-syntaxi-ques), c'est-a-dire que le tchěque a un inventaire de moyens plus ample que le francais pour exprimer ťexpressivité inhérente.17 L*absence ďéquivalents lexicaux peut alors facilement étre compensée par d'autres marques ďoralité sur le pian morpho-syntaxique (p. ex. un étudiant traduit: « Byli sme u Zarzovejch rodičů, von byl na hajzlu, slyšeli jsme ho hulákat: ,Nemůžu se vychcat, nemůžu se vychcať » oů F absence ďéquivalent expressif de « techio » propre aux jeunes a été compensé par la traduction plus expressive du verbe « pisser » et par les morphemes sub-standards - qui y sont obligatoirement, car il s'agit d'un discours oral spontane). Or, le besoin ď augmenter Ťexpressivité měne souvent ä l'augmentation de la vulgaritě ce qui est surtout ä éviter pour ne pas dénaturer le style du texte. Conclusion Les linguistes parlent, quant aux pratiques verlanesques, de la « re-lexification endogene» du francais (L.-J. Calvet)18 ou bien ďun « langage en miroir » (J.-R Goudaillier)19 pour pouvoir décrire ce phénoměne issu des pratiques langagieres des jeunes. Indéniable-ment, le verlan commence ä faire partie de la langue francaise, méme si ce n est que sur les niveaux sub-standards (argotique ou familier). Son evolution sociolinguistique dans les vingt derniěres années est étonnante et mérite sans aucun doute 1'intérét des chercheurs. Le traducteur de films ou de littérature destines aux jeunes se trou-vera done certainement confronté au verlan et se posera la question de sa traduction adequate. Grace ä l'analyse des aspects sociolinguis-tiques et stylistiques, nous avons essayé de proposer quelques hypotheses sur Téquivalence pragmatique de ce procédé avec les moyens lexicaux dont dispose le tchěque et sur son statut dans « la nébuleuse argotique » francaise tout court. 17 cf. KNITTLOVÁ, Dagmar. K teorii i praxi překladu. Olomouc : FF UJEP, 2003, 215 p. 18 CALVET, L.-J. Pour une écologie des Ungues du monde. Paris : Plon, 1999, p. 45. 19 GOUDAILLIER, J.-P. Comment tu tchatches /, op. cit., p. 33. 60 Convention de transcription • Intonation interrogative [...] Chevauchemcnt 1,11,111 Pauses <+ Hetero-interruption +> Auto-interruption • • * « Allongement MAJ Accentuation id) Segment non realise XXX Element non reconnu Bibliographie BACHMAN, Ch.; BASIER, L. Le vcrlan: argot d ecole ou langue des Keums?. In Mots, n° 8, mars 1984, pp. 169-187 BINISTI, Nathalie. Les marques identitakes du « parier interethnique » de jeunes marse illais. In Le plurilinguisme urbain. Actes du colloque de Libreville. Paris : Didiet Erudition, 2000, 483 p., pp. 281-299 CALVET, L.-J. Pour une écologie des Ungues du monde. Paris : Plön, 1999, 304 p. CALVET, L.-J.: Largoten20 lecons, Payot, Paris 1993, 214 p. COLIN, Jean-Paul; MÉVEL, Jean-Pierre ; LECLĚRE, Chris tian. Dictionnaire de l argot francais et de ses origines. Paris : Larousse, 2002, 901 p. GOUDAILLIER, J.-P. Comment tu tchatches l Dictionnaire du francais contemporain des cités. Paris : Maisonneuve et Larose, 2001 (3e éd.), 304 p. GOUDAILLIER, J.-P. De Targot traditionnel au francais contemporain des cites. In La linguistique, vol. 38, fasc. 1, Paris 2002, pp. 5-23 GUIRAUD, P. Largot. Que sais-je? N° 700. Paris: PUF, 1973, 126 p. KNITTLOVÁ, Dagmar. K teorii i praxi překladu. Olomouc : FF UJEP, 2003, 215 p. Le Petit Robert électronique. Edition 2001 MELA, Vivienne. Verlan 2000. In Langue francaise, n° 114, juin 1997, pp. 16-34 MELA, Vivienne. Parier verlan, regies et usages. In Langage et societě, n° 45, sep- tembre 1988, pp. 47-82 PODHORNÁ, Alena. La Šoupe aux choux a-t-elle la méme saveur en tchěque et en francais ? (probléme ďintercukuralité et de traducibilité). In SOURDOT, M. (éd.). René Fallet, vingt ans apres. Paris : Maisonneuve & Larose, 2005, pp. 71-83 61 PO D H ORNÁ, Alena. Parlers argotiques: comparaison morpho-sémantique et formelle - cxemple des « argotoponymes ». In KYLOUŠEK, P. (éd.). Rencontres francaises — Brno 2003. Actes du 6C séminaire international ďétudes doc-torales (Brno, 5-8 février 2003). Brno : Masarykova univerzita v Brně, 2004, pp. 287-294 SZABÓ, David. Ľargot commun des étudiants budapestois. These sous la direction de Jean-Pierre Goudaillier. Paris : Universitě René Descartes, 2002, 2 vol., 425 p. Abstract This article presents a sociolinguistic analysis of an encoding process in informal French, called "verlan", which is used for the creation of neologisms in French youth as the emblem of the marginalized multiracial youth culture of French suburb areas. By analysing common dictionary items, youth slang from country areas as well as two slang. Its evolution was gready influenced by the media, which stereotyped this process novels, this study tries to break these stereotypes and prove that this process is progressive, complex, and an unfortunate victim of social fracture in contemporary French society. Finally, a small reflection on the equivalence of youth slang translation is presented. Resumé Příspěvek přináší sociolingvistický rozbor slovotvorného procesu nazývaného verlan (kódování pomocí přesmyček), který využívá francouzská mládež k vytváření slangových neologismů. Tento proces prošel dramatickým vývojem, který byl značně ovlivněn zájmem médií, která napomohla zrodu mnohých klišé. Verlan se tak stal symbolem marginální kultury mládeže z předměstských čtvrtí, převážně potomků přistěhovalců. Pomocí analýzy verlanizovaných tvarů ve slovnících, v mluvě venkovské mládeže a ve dvou románech se pokoušíme překonat tato klišé a prokázat, že tento proces je dynamický, velice komplexní, a že je pouze nevinnou obětí současného sociálního rozkolu ve Francii. V závěru je nastíněna možnost překladu slangových výrazů mládeže mezi francouzštinou a Češtinou. 62 ř TRADUIRE ECHENOZ : UNE AVENTURE / LINGUISTIQUE Jovanka Sotolová ■ I. Introduction Dans le roman Au piano (Ed. Minuit, 2003), 1'écrivain franfais contemporain de renom, Jean Echenoz, décrit sa version de la vie posthume. Précisons : un musicien, célěbre mais incessamment stresse et névrosé, séchappe dans un délire alcoolique et, une fois assassiné, passe une courte periodě dans ce qui pourrait étre la variante modeme du Purgatoire appelée Centre pour, aprěs qu une decision bureaucratique soit prise, se voir envoyé aux Enfers. Purgatoire et Enfer, les mots clés de la civilisation chrétienne ne sont pas dits á haute voix, il reste au lecteur de découvrir ce jeu ďallusions et ďanalogies. La lecture des romans echenoziens nest ďailleurs qu une suite de découvertes ininterrompues, et toujours y est présente cette énigme de la possibilité de decoder ce qui est cache dans le texte, et dans les mots-mémes. Pour le lecteur, cest un jeu, un divertissement, voire une poursuite. Pour le traducteur, un cauchemar. 1.1. Echenoz et la traduction Le traducteur croise dans les textes de Jean Echenoz deux sortes de problěmes. Premiěrement se pose la problématique textuelle, la question du style. Le meta texte echenozien est caractérisé par des phénoměnes de base : Tomniprésence du lexique de tous les niveaux de langue, des expressions archaiques et néologismes, mots familiers et soute-nus, elements typiques de divers styles « fonctionnels »,1 ces infi-mes clin-d'oeil complices du milieu technique, medical, politique, scolaire et méme littéraire. Les enumerations, les suites ďexpres- 1 D'aprcs la terminologie de la stylistique tchěque. 127 sions de signification proche, les parallélismes bases sur l'util isa-tion du lexique specialise, détaillé, inhabituel, et imprégnés ďune imagination surprenante. Mais aussi le contraste entre les procédés étonnamment riches et une fa^on concise de s'exprimer : Ténoncé restreint oil seuls quelques mots en disent plus. Le rythme parfois mélodieux, parfois sec. Les alliterations, les assonances, parfois les vers timidement caches au sein des phrases ou des paragraphes. L'in-terruption immediate du phrase. Et en plus, la structure inventive du roman : tout est lie au tout, rien n est accidentel. Laventure de premier abord un peu banale dégage á la lecture attentive des codes ďinterprétation inattendus. Tout cela, une fois découvert, se mon-tre traduisible. En outre, il y a un autre aspect dans les romans de Jean Eche-noz. II s'agit surtout de la créativité echenozienne au niveau lexical et stylistique. Les métaphores, les comparaisons, souvent inattendues, innovantes et surprenantes de ťauteur, typiques pour son écriture et trěs originales. Et l'autre specialitě echenozienne, Putilisation de cliches verbaux en expressions inhabituelles, en contexte nouveau, non stereotype. Et les figures : zeugma, chiasme... Georges Mounin décrit le danger de procédés pareils pour un traducteur dans son oeuvre Les Belles infideles} Pourquoi ? Parce qu'une fois ces procédés expressifs contenus dans le texte, le traducteur a tendance á les voir, et a envie de les décrypter partout. II cherche ce qui n est pas á cher-cher. Et il finit par trouver quelque chose... D'oii la nécessité de consulter toutes ces « trouvailles », tous les mots et phrases a double sens, avec sinon Tauteur, un Fran^ais : tester sa capacité de voir ce que le traducteur pretend décrypter. II nest pas difficile de décrire laventure du roman Au piano : Max, musicien de renommée internationale, passe sa vie á donner 2 MOUNIN, Georges. Les Belles infideles. Presses Universitäres de Lille, 1994. p. 32: « ...l'expressivite d'un mot etranger consiste en la nouveautc de 1'image verbale quil offre par difference avec le francais ; mais pour le sujet parlant dans cette langue etrangere, cette image verbale est generalemcnt aussi usee, aussi inapcrcuc que les images verbales francaises qui reveillent une oreille etrangere [...]. II ne faut d'ailleurs peut-etre pas s'exagerer l'expressivite en soi de tant de mots ou tournures : ils sont expressifs a cause du sens qu'ils evoquent autant qu ä cause des mots par lesquels ils evoquent ce sens. » 128 des concerts. Presque tous les soirs, il joue au piano dans les grandes salles. Sous Temprise du trac, il ne sait pas comment endurer les apres-midi avant le concert sinon en buvant enormement de Tal-cooL 0*011 Tinvention de son impressario de lui procurer un « an-ge gardien », une sorte de bodyguard et secretaire en la personne de Bernie, qui Paccompagne et le guette afin qu*il n abuse pas de Palcool. Bref, la vie ennuyeuse et un peu genante d'une star. Sauf qu a la suite d'une attaque inattendue et incomprehensible, pas important^ pour le lecteur, semble-t-il, au moins aux yeux de Fauteur, Max est assassine. Mais sa vie ne finit pas pour autant. On n est d'ailleurs qu a la page 89. La deuxieme partie du roman raconte le sejour de Max au Centre d'orientation specialise. Et d'apres le verdict d?une certaine commission, son orientation a « sa » destination, choisie entre section urbaine et pare. Un court voyage de Max au Paraguay, histoire de recuperer sa nouvelle identite, est suivi du dernier episode : sa « vie » posthume dans la « section » (Paris, son Paris d'antan), mais dirigee par des regies strictes infernales : plus d'amis, plus de piano, plus d'alcool, plus de nom propre. Vie paradoxale-ment un petit peu plus gaie, plus agitee, plus interessante qu avant — mais limitee a son existence en forme d'ombre, n oublions pas que Max est mort. Alors la rencontre finale avec son idole, la femme de ses reves est en meme temps incroyable, irreelle et irrealisable, car vite efFacee. Au Piano est, dans 1'oeuvre de Jean Echenoz, un roman qui semble marquer un tournant. Au point que Tecrivain a pu dire qu il s'agis-sait la de son « troisieme premier roman ». Dans ce qui constitue les ruptures par rapport aux romans precedents, on notera une nouvelle forme de composition du recit ainsi que Tabandon du travail sur le genre. Autre changement, qui agit de fagon plus souterraine et plus discrete : le traitement deTespace urbain. Echenoz semble avoir delaisse uri certain nombre de themes ou de motifs qui lui etaient chers : du cote du jeu mimetique, e'en est fini du geste qui confon-dait dans un meme mouvement la ville et le spectacle (qu il soit ci-nematographique ou theatral). Du cote de Tenjeu ethnographique, ce sont les non-lieux qui reculent. 129 La « scction urbaine »3 reste un thěme fort du roman qui offre la possibilité de voir Paris de deux cótés. En premiére partie (la vie de Max), la poursuite chaotique et incessante par Max de « sa » Rose á travers la ville, et justement au réseau métropolitain. Les parcours habi-tuels avec Bernie, avant les concerts : surtout le pare Monceau, mais aussi les traversées en taxi, en metro, de la ville. En deuxiěme partie (la « vie » de Max aprés sa mort), Paris plus intime et parcouru ďune fa^on encore plus stéréotypée, car la musique, la vie de rinterprěte, se voit échangée contre une sortě de vie conjugale, familiale. Paris est chez Echenoz typiquement représenté par Tabondance de non- 3 JERUSALEM, Christine. Sections urbaines> laller et le retour, la nostalgie dans Au Piano de Jean Echenoz : « On tentera done ici de mettre en rapport ccs deux notions pour definir, selon un terme ernprunte a Mikhail Bakhtine, le chronotope du ro-man echenozien. Section urbaine, Taller. C'est un espace ou les reperes topographi-ques aussi bien que scripturaux s'organisent autour de la notion centrale de point. On verra comment une ecriture pointillcuse ct pointilliste vaporise les lieux en une constellation de points epars. La section urbaine est bien le lieu du desappointement. Mais on verra aussi comment le temps revisite ces memes lieux pour agrandir 1'espace entre ces pointilles et tracer, dans le vide interstitiel, la volatile existence de fant6mes errants. II s'agit la du retour qui engendre non plus settlement la deception mais la nostalgie. La geographie 6chenozienne est terrible, qui, entre Taller et le retour, Tici et le la-bas, ne laisse place quau desespoir. II existe cependant une forme de retour qui semble conjurer discretement la beance du monde. C'est le retour de la voix romanesquc, le recours a une ecriture « fractale » , qui, par son art de la modulation, dela reprise dialogique, privilegie le lien, le pivot, la continuite dynamique. Section urbaine : soulignons d'abord la polysemie de Texpression empruntee au roman de Jean Echenoz puisque Tespacc ainsi designs est tout a la fois Tespace du reel (plus que la ville, la zone urbaine) et Tespace romanesque (une certaine maniere de nom-mer Tenfer). Au croisement de ces deux espaces (mais peut-£tre nen formcnt-ils quun) Tidee de coupure, de division, contenue dans le mot « section ». II y a du tran chant, du coupant dans le dernier livre de Jean Echenoz, quelque chose d' ace re qui inflechit le roman vers une certaine forme de tragique, ou, pour etre plus precise et pour reprendre le titre de mon expose, vers un certain mode nostalgique. La nostalgie implique a la fois une dimension topographique (e'est, au sens etymo-logique, le mal du pays) et temporelle (ccst le retour au pays, au passe, qui permet-tra peut-etre de la guerir). Cette correlation entre le temps du retour et Tespace de Texil, on la retrouve dans Au Piano. Ce roman peut se lire en effet comme la version moderne de Todyssee d'Ulysse, le h£ros antique du nostos. Cest dire si Tanalyse de Tespace urbain, de la « section urbaine » est inseparable de celle du temps. » 130 lieux, moins frequents qu auparavant, apparaissant souvent presque improbables. Tandis que le bref episode ä Iquitos, lieu exotique et interessant mais en fin de compte fort ennuyeux, est caractérisé par une écriture poétique avec ľallusion aux procédés jadis si utilises par Echenoz, surtout la creation d'images innovantes, novatrices, originales. 1.2. Un des thěmes-clé du roman Au piana La ŕuite, la vitesse, le besoin incessant de se déplacer, ďagir, et sinon, alors au moins de penser, le thěme de cette meditation pouvant varier deľ enumeration des moyens d'utiliser un ticket jusquaux reflexions sur ľ absurditě de la vie des Parisiens, des habitants de banlieue, des gens au monde - c'est une des notions clé du roman Au piano de Jean Echenoz. Ne pas s arréter devient le fondement de notre activité, de notre vie. II ne s'agit pas d'une devise, personne ne nous a donne ľordre de ne pas rester sur place. Au contraire, c'est nous qui ne pou-vons pas vivre sans bouger. Au moins Max, le protagonisté du dernier roman echenozien, connait ce probléme. Et le style de ľouvrage mentionné en est imprégné. Le roman souvre par une phrase banale mais qui implique ľat-tente ďun mouvement: Deux hommes paraissent au fond du boulevard de Courcelles, en provenance de la rue de Rome. (chap. 1/p. 9) Ľattente du lecteur ne sera pas longue. En plus le narrateur profite de ces quelques moments avant ľarrivée des deux hommes pour les caractériser. Certes, on connait la facon echenozienne de décrire les personnages. Jamais plus de deux, trois phrases: details vestimen- taires, traits essentiels de visage, stature. La psychologie va de soi ou n est pas du tout importante. Juste aprěs avoir recu ces premieres données indispensables, on entend deja les bribes de conversation des deux hommes... La thématique de la marche accélérée, du déplacement constant devient partie intégrante de la personne de Max, protagonisté, mais aussi du roman comme tel. Le lecteur, tiré par le narrateur et ľauteur, 131 se déplace 1'espace ďun seul chapitre sur le vaste territoire parisien, il croise différentes lignes de metro, maintes fois il prend le taxi, il poursuit des kilometres á pied. Parfois, le cadre du déplacement est beaucoup trop restreint: un pare, un bátiment, un appartement - ce qu est justement le petit studio de Max. Dans la deuxiěme partie du roman, quand Max passe un certain temps au Centre, les parcours se limiteront au couloir: ďinterminables traversées de couloir en couloir. Mais comme il venait ďapercevoir á gauche un édicule (...) il marcha fertnement vers cet établissement. Bernie ťayant suivi, dépassé, precede vers la carte des consommations affichée pres de la caisse, consulta rapidement cette carte avant que Max 1'eut rej o in t — pas ďalcool, tout va bien. (1/12) Hélas en arrivant á sa hauteur, soudain surpris de 1'entendre par-ler toute seule, il s'aper^ut quelle s'entretenait avec un telephone mobile. Pas question de Taborder dans ces conditions, aussi la dépassa-t-il ďun pas vif comme si de rien n était, sans se retour-ner ni bien savoir oú il allait, bien oblige de faire semblant ďy aller, improvisant un objectif qui serait justement le square de la Villette, á trois angles plus loin. [...] Puis, arrive au square, son plan trěs simple était fixe : il allait rebrousser chemin pour croiser cette personne et cette fois il lui parlerait [...] Téte baissée, considérant le bout de ses chaussures, il la croisa le plus vite possible avant de filer se réfugier chez lui - elle a dů remarquer mon petit numero [...] arrive chez lui, il jeta son impermeable en vrac sur le divan du studio, sans s'y attarder un peu comme ďhabitude, passant directement dans sa chambre oú il óta ses vétements avec rage pour aller se coucher avec rage. Mais, aprěs un instant ďimmobilité, voici qďil les renfile á toute vitesse et peut-étre á 1'envers, retraverse le studio en sens inverse et ressort préci-p i tam ment (8/51-52) La musique, le fait de jouer du piano, exécuter une oeuvre musicale devient lui aussi la fuite nerveuse vers une certaine fin, et seuls les applaudissements donnent un moment de repos : 132 On tousse encore un peu puis c'est le troisieme [mouvement], un allegro vivace elegant, tu vas voir comment je vais t'expedier 9a, aie une deuxieme fausse note vers la mesure 200, je derape toujours au meme endroit dans le final, mais la encore c'est pris dans le mouvement, ils nont toujours rien vu, on y arrive, on y est presque, descente et montee chromatiques, quatre ponctuation d'or-chestre, deux accords conclusifs et voila, c'est regie, bravo, sa-lut, bravo, rideau, bravo, pas de rappel, fin de Phistoire. (2/18) {Remarquons I'ejfet de Vacceleration oppose au ralentissement, voire ^interruption.) La fuite ne prend pas fin, on ne se repose pas meme grace au som-meil: Le comprime fit son effet au bout de vingt minutes, et vingt minutes plus tard le sommeil devint paradoxal: pendant une poignee de secondes, un reve sans interet agita 1'esprit de Max alors que ses yeux s'agitaient aussi rapidement sous ses pau-pieres. (3/26) Nous venons de le mentionner, le mouvement incessant ne reste nullement 1'afFaire des protagonistes du roman. Le lecteur lui-meme ne sera pas oublie : Une semaine s'etant ecoulee depuis le concert de la Salle Pleyel, il restait done a Max une quinzaine de jours a vivre et nous roulions a vive allure de bon matin dans le TGV qui le ramenait a Paris depuis Nantes ou, la veille au soir, il s'etait donne en spectacle a POpera Graslin avec un programme Faure\ (6/37) - ..... Parfois, la fuite s'arrete tout d'un coup : ...Elle a du rentrer chez elle mais on ne sait jamais, toujours aucune idee de ce que je pourrais lui raconter mais au fond qu est-ce que je risque. Et qu'est-ce que je vois : elle est la. Elle est la, le chien est la, ils sont la. (8/52) (Remarquons au passage quentre «je risque » 133 et «je vois », on peut trouver un des pivots possibles du texte: le protagonisté passe la parole au narrateur, ou le narrateur prend la parole directement de la bouche du protagonisté.) Parfois, la fuite, le stress, le besoin constant de se déplacer sont res-sentis par le personnage comme inutiles et insensés : Max se mit ä courir le long du quai vers les couloirs de correspondance, avalant quatre a quatre les escaliers pour rejoindre le quai adverse oü il attendit Parrivée de la rame suivante. Ce qui lui prit un temps fou. L'entreprise est absurde. On ne suit pas un metro. Mais au fond pourquoi pas. (10/68) Certes, il faut tirer profit de chacun des moments libres : En attendant, pour accéler le temps, il relut fiěvreusement le rěglement intérieur du metro - vérifiant que parmi les cinq categories d'usagers pour lesquels c'est gratuit figuraient bien toujours, quoique en dernier, les amputés des deux mains non accompagnés. (10/68) Dans Pattente de ce verdict, Max entreprit de faire ä nouveau le point sur sa vie... (19/146) Et parfois, c'est le narrateur en personne qui croit quil est nécessaire de nous parier, le..temps d'une scěneuromanesque trop lente, trop hésitante: Comme il ne se passe pas grand-chose dans cette scene, on pourrait Poccuper en parlant de ce ticket. C'est quil y aurait pas mal de choses ä dire sur ces tickets, sur leurs usages annexes... (10/71) ■ A Popposé, un dimanche peut devenir une periodě vraiment infernale : 134 Le debut de la journee suivante serait assez deprimant. C'est aussi qu'on serait dimanche et que, meme dans un lieu sem-blant aussi coupe du monde que le Centre, le dimanche pro-duirait comme toujours et partout son effet de lenteur et de vide, d'etirement pale, de resonance creuse et navree. Ce serait d'abord une interminable matinee... (16/118) Et il faudra une patience incommensurable pour endurer un voyage des plus lents : Esau roulait extremement peu vite, a une moyenne de trente- cinq kilometres horaires avec pas mal de pointes avingt. (20/160) 1.3- La finite, la vitesse du point de vue des pro cedes linguistiques Passons la thematique, le contenu, rintrigue qui engage le lecteur a parcourir le texte au plus vite pour avoir des details de la suite de l'aventure. On pourrait citer differents procedes linguistiques creant Pillusion de l'acceleration, de mouvement plus ou moins spontane au niveau du texte. L'enumeration de mouvements, d'actes accomplis, de lieux par- courus, de details entrevus. Des phrases courtes, breves, vite pro-noncees : On entra. Escaliers, corridors, passages, portes qu'on ouvrait. et refermait jusqu'a parvenir dans un vaste espace sombre en- combre de cordages, de poulies, de grandes caisses ouvertes et de meubles deplaces. (1/15) Urgence. (10/67) Mais souvent, meme si les phrases typiquement echenozienncs sont depouillees de tout ce qui semble surabondant - paradoxalement, il ne s'agit pas de phrases breves. 135 II. Parcours détaillé, non exhaustif, de precedes divers, typiques ä Fecriture echenezienne ■ ILL Lexique hyperspécialisé, savant, technique, archaique ou soutenu aux collocations de valeur neutře ou de niveau stylistique contraint ou oppose : - i Et détournant son attention en louant la varieté, l'abondance et la polychromie de la vegetation, précisant le grand age de Térable-sycomore et la circonférence du platane ďOrient. (1/13) ...le chien continua ďobserver Max en train de descendre du taxi: e'etait une bete vraiment volumineuse, de format terre-neuve ou mastif (7/49) fe '. ■ S i n.2. Jeu de mots, comique base sur des images ou des constatations aty-piques, innovantes: Dans Fair flottait une rumeur de houle ou de foule. II etait alors vingt heures trente pile, Max venait d'oter son impermeable et soudain, quand il s'attendait le moins, Bernie le poussa vivement dans le dos au-dela d'un rideau, et la houle se transfbrma aussi-tot en tempete et il etait la, le piano. (1/13) ...il a autant de sens artistique qu'un yaourt. (6/42) ...ses oreilles ne servent qu'a tenir les branches de ses lunettes. (5/42) g Sous les effets conjugues de la pluie et du vent, rien ni personne a signaler dans la rue, sauf que l'on pratiquait comme d'habi-tude 25 % sur les rouleaux de linoleum ahgnes sur le trottoir, que le neon vert d'une croix de pharmacie clignotait comme toujours et qui la friperie voisine tout etait a dix francs comme avant. Sur ce parut Alice qui portait un plateau. (8/56) 136 IL3. Images oniriques, surréalistes, poétiques...: II était lä, le terrible Steinway, avec son large clavier blane pret ä te devorer, ce monstrueux dentier qui va te broyer de tout son ivoire et tout son email, il t'attend pour te déchiquetter. (1/15) Chaque demi-ton lui parle, chaque soupir est juste, les suites d'ac-cords se posent comme des oiseaux danseurs... (2/17) ...Max vit s amplifier dans le miroir la silhouette massive et dégar- nie de Parisy, physique de loukoum retractile a grosses lunettes, costume croisé, transpiration chronique et tessiture de tenor léger. (2/19) ...le sous-sol de ľétablissement oú se morfondaient comme tou- jours le telephone et les toilettes. (6/42) ...ľair était lourd avec des coups de fraicheur, de petites gifles in-termittentes qui entraient par les vitres baissés du taxi. (6/44) ...il souleva le cylindre du piano (25) {nota bene: le cylindre est normalement associée au moteur, on ouvre le capot pour voir le cylindre du moteur. Ici, cest comme stl ouvrait le « capot» du piano) n.4. Description anthropomorphe : Elle se trouve élaborée surtout dans le cas de quelques « héros » du roman : le piano, le bouton. II était lä, le terrible Steinway, avec son large clavier blane prét ä te dévorer, ce monstrueux dentier qui va te broyer de tout son ivoire et tout son email, il ťattend pour te déchiquetter. (1/15) ...le clavier ne rut plus comme d'habitude un simple maxillaire mais une authentique paire de máchoires qui s'appretaient cette 137 fois, le plus serieusement du mondc, a Fabsorber pour le dis- loquer en le mastiquant. (6/47) Et comme il defaisait le bouton du haut, celui-ci sauta dela chemise pour aller se loger dans le desordre de la console. (2119) Toujours sans se retourner, tout en cherchant le bouton fugitif, Max... (2/19) ...signala Max, toujours sans se retourner, finissant par coincer le bouton franc-tireur entre deux-vases vides. (2/20) ...il semblait decidement:, qua cette epoque tous ses boutons se mettaient a tomber Fun apres 1'autre, ses chemises ayant vecu le montraient. (5/31) La* perception anthropomorphe des objets, leur description de- taillee a Tencontre de personnages du roman (quelquefois vus seulement de dos et decrits de ce point de vue), dont la ca- racterisation breve se limite a quelques details vestimentaires, avec description schematique de leur visage ou du regard, au maximum. ...il semblait decidement, qu ä cette epoque tous ses boutons se mettaient a tomber Fun apres Fautre, ses chemises ayant vecu le montraient. (5/31) ---------- ------- Ces sourires, cependant, se revelerent d5 amplitudes et de mo deles variables. (8/54) H.5. Mots « recycles », dont la collocation utilisée dans le roman n est pas courante ou neutře ou bien nexiste pas - les locutions, les cliches one subi une disrorsion echenozienne : II détenait une cinquantaine ďannées (11) (verbe un peuprécieux pour éviter le cliche de « avoir 50 ans ») 138 ft ...le monde est trěs bien éclairé (13) (lapolysémie du mot éclairé — ily a suffisamment de lumiére au pare, et le monde est au courant de ce qui se passe) ...un vaste espace encombré de meubles dep laces (15) (déplacé, pas a sa place ou pas idoine, on dit aussi un mot déplacé) Quest-ce que je pourrais bien faire pour rn occuper? Haussant des épaules intérieures, ce fut la premiere des petites bouteilles d'alcool que Max alia chercher dans sa poche. (40) (hausser des épaules veut dire hésiter. Ici, jolie image poétique: au lieu d'ecrire * haussant mentalement des épaules », Echenoz éerit « épaules intérieures ») n.6. Abus de cliches rhétoriques ou de certains moděles de communication (automatismes divers), la stylistique « ludique » : ...Bernie descendait a pied le boulevard Barběs á la recherche ďune quelconque brasserie. L'ayant trouvée, une fois le plat du jour commande, il gagna le sous-sol de Tétablissement oil se mor- fondaiem comme toujours le telephone et les toilettes. Ayant use de celles-ci, il décrocha celui-lá et composa le numero de Parisy. Alors, s'inquietait celui-ci, il est comment ? (6/42) {la melodie, le rythme) ~ Résigné, Bernie suivit Max plus qu il ne lc précéda vers le por-. tail sud du pare, prenant quand méme soin ďcviter, par principe, le monument dédié á Chopin - oil Ton voit celui-ci, sculpté en pleine action a son piano, martelant on ne sait quelle mazurka pendant que Tinevitable jeune femme assise au-dessous de l'ins-trument, les cheveux recouverts d'un voile et curieusement dotée de trěs grands pieds, á 1'évidence trěs concentrée, se couvre les yeux ďune main sous Pemprise de Pextase — Putain mais e'est pas vrai comme e'est beau, cette musique — ou de 1'exasperation - Putain mais e'est pas vrai comme j'en peux plus, de ce mec. (6/46) {ironie) 139 II.7. Repetition de mots ä effet stylistique, surtout la gradation (passons ici la repetition de motifs, de mots ou phrases cle ä travers tout le texte) : Rose possěde une Fiat blanche un peu grande pour eile et dont elle descend chaque jour ä la meme heure devant la méme terrasse de bar oil, toujours ä la méme table, eile ne parle quavec un méme type barbu ä Fair farouche qui n a pourtant pas Fair ďétre son amoureux pour parier vite. (4/27) ...il est déshonorable ďavoir pu seulement envisager une pareille hypothěse, oublie tout ca, oublie tout ca. (4/28) ...cette chambre d'aspect clinique navait rien pour égayer Thu-meur de Thomme seul, et spécialement de Partiste seul, et parti- culiěrement de Fartiste seul épouvanté. (5/38) t 11.8« Enumerations, gradation parfois sans autre lien visible entre ses elements que rythmique, sonore, surprenant voire choquant, un petit peu surrealisté (récriture automatique) ou plutót ďun realisme dé-calé: Et détournant son attention en louant la varieté, l'abondance et la polychromie de la vegetation, précisant le grand age de 1'érable-sycomore et la circonférence du platane ďOrient. (1/13) ...gardant ses paupiěres closes sans accéder ä une vraie vigilance, il était traverse ďidées absurdes, de raisonnements bancals, d'in-. ventaires sans but et de calculs sans fins, avec de breves replon--gées dans le sommeil mais trop brěves. (3/26) ...dans un etat febrile ďexcitation, de découragement et ďan-xiété mélés... (5/32) Elle était une grande femme émouvante et brune et douce et tragique et profonde... (5/34) 140 II.9. Enumerations cosmopolites : ...un nez ďimpératrice égyptienne, ďaristocrate espagnole ou ďoiseau de proie, bref un nez. (4/27) ...le quartier oü le brassage ethnique avait fait naitre une proliferation de restaurants africains, tunisiens, laotiens, libanais, indiens, portugais. balkaniques ou chinois. II y avait aussi un japonais correct... (5/33) ILIO. Accumulation simple ďexpressions synonymes qui peut représenter T allusion ä la langue parlée, un jeu stylistique ou bien un procédé ďaccentuation : Max, ä cette nouvelle, est reste figé, en arret, en apnée, ne se rappelant qu au bout d'une minute que Thomme a besoin de respirer, de reprendre son souffle, spécialement quand il est envahi par une immense envie de pleurer. Mais oú est-elle ä present, comment la retrouver, existe-t-il une adresse ou la join-dre. (4/29) Depuis, Max passe une partie de sa vie ä croire, esperer, attendre de la rencontrer par hasard. (4/29) ...le bouton quittait sa boutonniere et tombait en feuille mo rte, fruit můr ou gland sec, rebondissant et tournoyant longuement sur le sol. (5/31-32) ^. «- -m * im. a . v mm, — _J. t mm-* 1 1 mm - ». mmm, mm m, • m «. ^ ■ ■» — - • « * * •«■.« - • • ~* mW * » * -mm» r m ' . . • " . ~ ' * * - • f\* i • mrm> - *» * il.ll. Zeugma, chiasme, autres figures stylistiques chatiées...: En derniěre année de classe de violoncelle et ďune beauté surnaturelle, Rose possěde une Fiat blanche un peu grande pour eile... (4/27) 141 1 Puis, r été venu, Rose s'est envolée vers les vacances et le violon-celle á vie, Max vacant dans Toulouse éteinte... (4/28) Ma foi non, lui a répondu f autre, elle est partie, maintenant, ses études achevees, pour toujours et va savoir ou. (4/29) Deux ou trois fois par semaine ces temps-ci, pour un oui pour un non, lavage ou repassage trop énergique de la femme de ménage ou de la machine á laver, étirement musculaire, faux mouvement ou chute spontanée, un fd trop use se défaisait, le bouton quittait sa boutonniěre et tombait en feuille morte, fruit můr ou gland sec, rebondissant et tournoyant longuement sur le sol. (5/31-32) Aprěs qu'on eutpris son café, que Parisy neutpas quitté Alice des yeux jusqu'a ce qu'elle se fiat retiree, qu'il eut alors fait observer que Theure avangait, qu'il était temps ďy aller, que sa voiture était garée rue de Clignancourt, Max sen fut revetir son uniformě de pianisté. (9/61) « 11.12. Datation atypique : Le jour de ce sourire connivent, Max... (8/56) 11.13. Temps verbaux: Le jeu echenqzien consiste au_p^sage.immédiat, stylistiquement incorrect ou inattendu d'un temps passé au present ou au futur sans suivre strictement les regies de la concordance des temps. Utilisation « originále » du conditionnel (voir III.5). 11.14. Fa<;on concise de s'exprimer : Juxtaposition de données, details ou motifs divers. Souvent, la phrase reste averbale, sans explicitation de relations entre les différentes notions mentionnées. Cest une sensation, un ressenti qui est mis en mots. 142 ...Max vit s amplifier dans le miroir la silhouette massive et degar-nie de Parisy, physique de loukoum retractile ä grosses lunettes, costume croise, transpiration chronique et tessiture de tenor leger. (2/19) ...avant de passer dans son studio : un grand piano, un petit bureau et un tout petit frigo comme on en voit dans les cham-bres d'hotel, des rayonnages pleins de partition et un divan. (3/24) II ne ferait sa toilette quen fin de journee avant de sortir dans le monde, pour aller jouer ou voir des gens. (5/31) 11.15. Versification, rythme, melodie de la phrase : En derniere annee de classe de violoncelle et d'une beaute sur-naturelle, Rose (4/27) n.i6. Perturbation du pacte de narration : Parfois, le role de narrateur ne se distingue pas de celui de Pau-teur - le pacte de narration est perturbe. Le personnage principal discute avec Pauteur (le lecteur), ce dernier interpelle le heros. Le lecteur lui-meme est presuppose participant ä l'aventure romanes-que. Mais bon, ny pense plus. Pense plutot a Rose un moment, comme chaque soir. Et puis tu as assez bu comme ca, rien ne t'oblige ä finir ce verre. II est tard, eteins la lumiere. Bien. Alle/,, dors, maintenant. Comment ca, ca ne marche pas ? Bon, d'accord, prends ton comprime. Avec un verre d'eau. J'ai dit: un verre d'eau. Voila. (3/26) Allez, debout, maintenant, il est dix heures passees. Al le/.. Bon, d'accord, pas toute de suite, mais pas au-dela de dix heures et demie. Mais oui, repense a Rose tant que tu 143 veux. Pas sür que ca te fasse du bien mais c'est ton affaire. (3/26) ...il est dishonorable d'avoir pu seulement envisager une pareille hypothese, oublie tout 5a, otiblie tout ca. (4/28) 11.17. Themes omnipresents : Silence (parfois Popposition silence / bruit), solitude, sou-rire, fatigue (« je suis fatigue »), mouvement (la polysemie de ce mot : le deplacement et aussi la partie composante d'une ceuvre musicale, parfois utilise aussi pour marquer le morcellement du temps). C'est lä quil passait le plus clair de son temps, relie ä Petage du duplex par un telephone interieur, isole du bruit de la rue par deux fenetres ä double vitrage. Comme tout etait phoniquement bien isole, Max pouvait faire autant de bruit qu il voulait sans risquer de reveiller Alice... (3/24) ■p . On ne peut pas mentionner tous ces details de Pecriture echeno-zienne sans mentionner - et accentuer — surtout les questions globales du roman : la philosophic de ce roman, la fa^on typiquement echenozienne de voir et de decrire le monde avec son instabilite et sa nervosite. Et aussi la maniere de cet ecrivain de voir et decrire la globalisation, la solitude, le destin, la croyance, de meme que les relations entre les cultures et les civilisations differentes, les relations interpersonnelles y compris. _IH. Traduction . . ..............\________.........„................... ..... Presque tous les phenomenes enumeres ci-dessus pele-mele sont tra-duisibles, c'est-a-dire transposables vers le tcheque sans appauvrir ou endommager ni la forme ni le contenu du texte. Mais quelques elements, transposables, restent problematiques - il s'agit surtout de pieges bases sur Texplicitation inadequate, la comprehension erronee, Tinterpretation exagerant le caractere cryptique ou ludique du texte. 144 En se referant au tcxte traduit cn tcheque4 - premiere version (I), parfois expliquee par un Francis « de souche »5, ou par l'auteur du present article (en italique), version revue par le premier (II) et le deuxieme (III) redacteur, puis version finale (IV) - nous presente-rons des exemples problematiques de traduction, et surtout les corrections proposees qui n ont pas toutes ete acceptees par la traduc- luons signaiees par un poussee a reeenre une autre variante. nu. Images et métaphores dont Implication, voire lexplicitation nest pas possible : Dans Pair flottait une rumeur de houle ou de foule. II était alors vingt heures trente pile, Max venait d'oter son impermeable et soudain, quand il s'attendait le moins, Bernie le poussa vivement dans le dos au-dela d'un rideau, et la boule se transforma aussitöt en tempéte et il était lä, le piano. (1/13) (Le public et ses applaudissements ne sont que sous-en-tendus. Lexplicitation nest pas possible. De plus, le jeu sur la sonorité des mots « houle » et «foule » qui riment entre eux et ont un coté mimetique, nous permet de ressentir le texte äplu-sieurs niveaux : il ne faut pas oublier Vallusion au mouvement des vaguesy comparable ä revolution, ä la croissance des applaudissements.) I - Hučelo tu moře lidí. Bylo přesně dvacet hodin třicet, Max si akorát svlékl svrchník, a když to nejméně čekal, Bernie ho za oponou směle šťouchl do zad, z lidského moře se zvedla bouře a vtom se objevil, byl tady. Klavír. II* - Hučelo tu moře. Moře lidí. Bylo přesně dvacet-hodin třicet, Max si akorát svlékl svrchník, a když to nejméně čekal, Bernie ho směle posťouchl před oponu, z lidského moře se zvedla bouře potlesku a vtom se objevil, byl tady. Klavír. IV - Hučely či hlučely tu davy. Bylo přesně dvacet hodin třicet, Max si akorát svlékl svrchník, a když to nejméně čekal, Bernie ho 4 La traduction tchéque a paru en mars 2006 aux editions Jitro. 5 M. Rémi Diligent. 145 zezadu směle poštouchl před oponu, z hučícího lidského moře se zvedla bouře a vtom se objevil, byl tady. Klavír. ...ľair était lourd avec des coups de fraicheur, de petites gifles in-termittentes qui entraient par les vitres baissés du taxi. (6/44) I - Na bulvárech, jež se střídaly za oknem, bylo nebe tmavě šedé, vzduch těžký se závany svěžesti, občasnými malými fackami, cpoucími se dovnitř staženými okénky taxíku. II* - Na bulvárech, jež se střídaly za oknem, bylo nebe tmavě šedé, vzduch těžký se závany svěžesti, občasnými drobnými poryvy, pronikajícími dovnitř staženými okénky taxíku. Par contre, on ne devra pas interpreter comme métaphore une expression qui ne ľest pas ďaprěs le contexte. Ce furent les sursauts désordonnés ďun hydravion qui ľéveille-rent, petit appareil jaune amerrissant dans la blancheur de ľaube au milieu ďun grand fleuve couleur mastíc. (20/157) (ils amer-rissent justement au milieu dun fleuve) I— Vzbudilo ho nepravidelné škubání hydroplánu: malý žlutý stroj přistával v bělosti svítáni uprostřed řeky barvy lentiškovc pryskyřice. II* - Vzbudilo ho nepravidelné škubání hydroplánu. Malý žlutý stroj přistával v jasu svítání uprostřed mohutné záplavy odstínů barev len tiskové pryskyřice. II faut cependant penser a traduj,re_d|urxe_fa9on adequate et comprehensible. ...on partit vers le 16c arrondissement qui, partant de Cháteau-Rouge, est pratiquement ä ľautre bout de Paris, ľéquivalent de la Nouvelle-Zélande intra-muros (9/61) {Paris intra-muros = Paris sans le bois de Boulogne qui depend de la commune de Paris, mais qui est tout de merne au-delä des anciennes limites définies Imurs de defense de la ville de Paris/. IcU Vimage est celle dune ville ayant une forme ronde comme un globe terrestre. Aller de Cháteau-Rouge jusquau I6e arrondissement représente unpeu ľéquivalent d'aller en 146 Europe pour un Néo-Zélandais ou au contraire. Aller ä ľautre bout du monde, ä ľautre bout de la viliek) I - vyrazili Parisyho Volvem k šestnáctému obvodu, který je od Chateau-Rouge na úplně opačném nci Paříže, daleko docela jak zpoza hradeb až na Nový Zéland II* — vyrazili Parisyho Volvem k šestnáctému obvodu, který je od Chäteau-Rouge na úplně opačném ko nci Paříže, tedy takový malý Nový Zéland intra m uros {le sens change, de plus la phrase reste trop énigmatiquepour le lecteur tchéque) IIL2. Registre de la langue : Echenoz $ amuse (et amuse son lecteur) en utilisant un lexique hyperspécialisé, savant, technique, archaľque. II melange des expressions familiěres ä celieš ayant un niveau de langue plus soutenu. (Attention ä ne pas niveller en traduisant.) Et détournant son attention en louant la varieté, ľabondance et la polychromie de la vegetation, précisant le grand age de ľérable-sycomore et la circonférence du platane d'Orient. (1/13) ...odlákával jeho pozornost chvalozpěvem na rozmanitost, hojnost a mnohobarevnost vegetace, odvolávaje se na letitost javoru klenu a obvod platanu západního. Max retourna silencieusement ses mains en supination mais, lors-quil risqua en douceur le bout-de ses doigts vers le-clavier pour soulever le cylindre, il apparut que celui-ci était fermé á clef, ren-dant les touches inaccessibles. (16/121) I — Max se k ní po špičkách dostal ještě blíž, ruce tiŠe uvedl do supinace, ale jakmile se opovážil pomaličku, konečky prstů ke klávesnici, aby zvedl víko, ukázalo se, že je zamčené a klávesy jsou nepřístupné. II* - Max se k ní po špičkách dostal ještě blíž, tiše obrátil dlane vzhůru, ale jakmile se opovážil pomaličku, konečky prstů ke klávesnici, aby zvedl víko, ukázalo se, že je zamčené a klávesy tudíž neořístUDné. 147 III.3. Fac;on concise dc l'cnonciation : ... imp ro vi s an t un objectif qui serai t j us temen t le square de la Villette, á trois angles plus loin (7/50) (Phrased la Echenoz,pure et ires « économique » dans ľabbréviation et Vagglutination des images. La phrase dans sa totalite serait: «II improvise un objectif/ä sa promenade/ et choisitpar exemple le square de la Villette qui se trouve trois rues plus loin la ľangle de la rue/. ») narychlo si vymýšlí cíl, jímž bude právě námestí de la Villette, 0 tři rohy dál Plus tard, dans ľascenseur : Alors, demanda Béliard, vous avez retrouvé du monde ? (17/136) 1 - Později ve výtahu: tak co, ptal se Béliard, pobavil jste se? II* - Tak co, pobavil jste se? zeptal se později ve výtahu Béliard. ...jeune type ä moustache linéaire, faciěs de marbre ocre et faus-ses Ray-Ban foncées traitées ä ťiridium (20/157) I — Iquitos, sdělil suše pilot, mladík s knírem do přímky, vzezřením okrového mramoru a s falešnými tmavými Ray-Ban v iridiu. II* - Iquitos, sdělil suse pilot, mladík s knírem do přímky, s pletí barvy okrového mramoru a falešnými tmavými brýlemi Ray-Ban s obroučkami z iridia. HL4. D'autres subtilités stylistiques : ■ ...Bernie descendait ä pied le boulevard Barběs a la recherche ďune quelconque brasserie. Ľayant trouvée, une fois le plat du jour commandé, il gagna le sous-sol de ľétablissement oú se mor-fondaient comme toujours le telephone et les toilettes. Ayant usé de celles-ci, il décrocha celui-la et composa le numero de Parisy. Alors, s'inquiétait celui-ci, il est comment ? (6/42) (figure stylisti-que, et utilisation ludique d*expressions anaphoriques) I — Když našel hospodu, objednal si denní menu a sešel do sklepa, kde se jako obvykle nudily telefon a záchody. Tamty použil, tuten 148 vyvesil a vytočil Parisyho číslo. Ten se znepokojil: Haló, tak jak vypadá? II* — Když našel hospodu, objednal si denní menu a sešel do sklepa, kde se jako obvykle nudily telefon a záchody. Záchody použil, telefon vyvěsil a vytočil Parisyho číslo. Ten se znepokojil: Haló, tak jak vypadá? IV — Když nasel hospodu, objednal si denní menu a sešel do sklepa, kde se jako obvykle nudily telefon a záchody. Ty použil, tuten vyvěsil a vytočil číslo na Parisyho. Ten se znepokojil: Haló, tak jak vypadá? Aprěs quon eutpris son café, queParisy neut pas quittéAlice des yeux jusqu'á ce quelle se fut retiree, qu'il eut alors fait observer que ľheure avanr;ait, quil était temps ďy aller, que sa voiture était garée rue de Clignancourt, Max s'en fut revétir son uniforme de pianisté. (9/61) (I utilisation excessive de « que », un procédé « stylis-tiquement incorrect») I — Když si dali kávu a když Parisy nespustil Alici z očí, dokud se nevzdálila, když pak poznamenal, že je dost hodin, čas jít, když parkuje až v ulici de Clignancourt, Max si musel odít svou uniformu klavíristy. II* — Když si dali kávu a když Parisy nespustil Alici z očí, dokud se nevzdálila, když pak poznamenal, že je dost hodin, čas jít, protože parkuje až v ulici de Clignancourt, Max si musel odít svou uniformu klavíristy. Au-delá, certains singes mal élevés se balancaient aux lianes en poussant leurs cris ä la con pendant que ďautres singes, plus calmes et mieux disciplines, cueillaient des fruits dans les poi-riers, ľanse ďun joli panier ďosier sagement coincée dans la saignée de leur čoude. (17/138) (panier-osier, coincée-saignée ri~ ment) I — V pozadí se na liánách houpaly nevychované opice a řvaly jak tuři, zatímco jiné, klidnější a disciplinovanější, trhaly hrušku za hruškou do proutěného košíku spořádaně za ucho neseného svou tlapou v lokti ohnutou. II* — V pozadí se na liánách houpaly nevychované opice a řvaly jak tuři, zatímco jiné, klidnější a disciplinovanější, trhaly hrušku za 149 hruškou do proutěného košíku, který mely spořádané zavěšený na v lokti ohnuté tlape. III.5. Temps verbaux: Ľalternance des temps passé / present sonne de maniere cacopho-nique en fran (Page consultée le 1.11.2005) MOUNIN, Georges. Les Belles infideles. Lille : Presses Universitaires de Lille, 1994 Abstract In this article we first describe Jean Echenozs novel Au Piano in terms of its content, then we attempt to identify the characteristic features of the authors style in order to define the problems likely to arise in translating it. While the (Czech) translator will doubtless have to solve a number of problems on the level of lexis and style, we believe the Czech text must above all render faithfully the author s playful allusions to traditional concepts of literature and literary style. It should therefore by stressed that any translation must be subservient to the original and - particularly in the case of a highly inventive and playful writer such as Echenoz — eschew the current trend of stylistic levelling and simplification, merely for the sake of creating a more 'readable' text. Resumé 0 V článku nejprve popisujeme román Jeana Echenozc Au piano z hlediska obsahového, poté se snažíme najít charakteristické prvky Echenozova autorského stylu, abychom mohli vymezit problémy jeho překladu. (Český) překladatel bude jistě muset řešit mnoho problémů na úrovni lexika i rázu stylistického, za nejdůležitější však považujeme, že český text musí být věrný zejména i tam, kde si originál pohrává s tradičním pojetím literatury a literárního stylu. Je proto třeba zdůraznit, že každý překlad se musí podřídit originálu - obzvláště v konkrétním případě textu autora Echenozova typu, který je velmi originální a značně hravý není možné podléhat současné tendencike stylistické nivelizaci a zjednodušování, jen aby byl výsledný text „čtivější". Cctte article a été realise dans le cadre du projet scientifique MSM 0021620824 153 / EXPLICITE ET IMPLICITE EN TRADUCTION : / LANGUE ET CULTURE Jitka Smičeková Les discours sont toujours elliptiques, faits de langue en partie settlement, évoquantplus de cognitif quils en expriment. D. Seleskovitch (2001, 183) L'objectif de notre communication est de presenter trois aspects de Texpression explicite et implicite en traduction, avec quelques illustrations, par Tétude comparative, des extraits du livre de Henriette Walter Lejrancais dans tous les sens (1988), traduit en tchěque sous le titre Francouzština známá a neznámá (1993) par Marie Dohalská et Olga Schulzová. Nous dirigeons notre attention sur les rapports de la linguistique avec la traductologie, sur Texplicite et 1'implicite au niveau de la langue et du discours, Texplicite et Timplicite au niveau de la culture et sur les problěmes de la terminologie. 1.1'expression explicite et implicite : langue et discours Uexactitude du sens et la clarté de Texpression en traduction et un objectif á atteindre et en méme temps un probléme de la traduction. Citons Marianne Lederer (1976): « Or, il ne suffit pas quune parole soit correcte par rapport aux normes pour étre claire ; il luifaut en outre étre conforme au génie de la langue* Il faut que les idées sassocient á des énoncés dont la composition corresponds la logique de la langue d expression. Pour que la traduction soit claire, elle do it done elle aussi se faire discours. » Le traducteur a toujours á sa disposition plusieurs outils pour atteindre cet objectif. Parmi eux, 1'explicitation ou Timplicitation sont les outils de grande efficacité. La communication, y compris la traduction, « est un processus continuel de la decision oú Ion est oblige de choisir entre deux poles : I expression explicite et I expression implicite » (Seleskovitch ; Lederer, 1984, 34). Lors de la traduction dans une autre langue, le texte ďar- 186 rivée (TA) comportera par rapport au texte de depart (TD) toujours un certain degré de changements de nature quantitative - des ajouts ou contrairement des suppressions, ceux-ci produisant ďautres changements, de nature qualitative. Puisque les notions de P explicite et Pimplicite sont propres á la langue et également au discours, elles sont un lieu de rencontre de la linguistique et de la traductologie, de la stylistique comparée et de la théorie de la traduction. II est bien evident que les approches adoptées par les comparatistes d'un cóté et les traductologues de Pautre, sont tout a fait diíférentes. Mais malgré toutes ces differences, il existe une relation ďinterdépendance entre la linguistique comparative et la théorie de la traduction. Selon D. Seleskovitch (1984) : « La stylistique comparée du francais et de I anglais de Vinay et Darbelnet et la théorie interpretative de la traduction [...] sont complement aires. » Au niveau linguistique, Pexplicitation et Pimplicitation peuvent influencer la bonne comprehension des expressions. Nous pouvons observer ces changements au niveau lexical, syntaxique et stylistique, Au niveau lexical, les ajouts ou les suppressions de mots peuvent étre obligatoires (exemples n° 1,2, 3) ou facultatifs (exemple n° 3,4) et ressortent du systéme de la langue ďarrivée. (1) HW, 290 : [...] on trouve ainsigalérer [...] -* [...] setkáváme se takto se slovem galérer [...] (2) HW, 296 : Le relatif dont se fait rare [...]-> Vztažné zájmeno dont je stále vzácnější [...] ...... - (3) HW, 301 : Comme ce sont celles que Ton en tend le plus sou-vent sur les ondes, elles ne peuvent pas manquer ďinfluencer le reste de la population. -> A vzhledem k tomu, že právě je slyšíme nejčastěji na rozhlasových vlnách či v televizi, je pochopitelné, že výrazně ovlivňují ostatní populaci. (4) HW, 281 : II suffit quune personnalité utilise un mot un peu oublié, ou en invente un [...] pour que chacun ait envie de le commenter [...] -> Stačí, aby nějaká osobnost užila poněkud zapomenuté slovo, nebo aby nějaké vymyslela [...] ale každý má chuť to komentovat, kritizovat [...] 187 Dans ľexemple suivant il s'agit de la suppression d'un noěme1 de retro activité. ■ (5) HW, 281 : Tout le monde se rappelle [...] le quarteron remis ä la mode par le general de Gaulle. Každý si vzpomene na [...] quarteron, který uvedl do módy general de Gaulle. Les changements syntaxiques et stylistiques sont trěs frequents. Les efforts du traducteur tendent souvent ä expliciter la relation logique qui relie les faits évoqués dans deux propositions. (6) HW, 301 : C'est parce que ľhabitude a été prise, depuis plus dun millénaire, de puiser dans le vocabulaire latin ou grec pour renouveler le vocabulaire fran^ais [...] Protože již tisíc let existuje zvyklost sáhnout po slovníku latiny nebo řečtiny, aby se slovní zásoba francouzštiny znovu obohatila [...] (7) HW, 295 : Désormais, on ne marquera plus la difference de sens entre un passé révolu (le passé simple) et un passé dont les erTets se poursuivent (le passé compose). Tak se pomalu ztrácel2 významový rozdíl mezi passé révolu, minulým časem ukončeným (passé simple) a minulým časem, jehož děj ještě trvá {passé compose). (8) HW, 284 : Tirant rationnellement parti des possibilités offer-tes par la langue franf aise [...] Tím, že využili racionálních možností, které nabízí francouzština [...] Par contre, au niveau discursif ľexplicite et ľimplicite ne sont pas faciles ä cerner, mais ils sont beaucoup plus importants pour la saisie du sens pendant la traduction et donnent souvent lieu aux changements du texte original. Dans le discours, ľorateur/scripteur n exprime qu une partie de son vouloir-dire. La partie laissée impli-cite correspond au savoir cense étre partagé par les interlocuteurs, et done aux complements cognitifs de ľauditeur/lecteur. * 1 Noéme est 1c terme de L. Prieto et J. Sabršula. 2 Vhodnější by bylo dokonavé vytratil se. 188 (9) HW, 285 : La langue francaise rnontre ainsi sa faculté d'adap-tation aux besoins de la technique [...] Francouzština na takovýchto příkladech ukazuje svou adaptační schopnost vůči potřebám techniky [...] (10) HW, 296 : Le relatif dont se fait rare et, quand il est utilise — il ne lest que par des personnes trěs scolarisées - cest souvent avec une certaine maladresse. Vztažné zájmeno dontyt stále vzácnější, a pokud se objeví - může je užít pouze velice vzdělaný člověk —, je toto vyjádření často považováno za značně neobratné. Marianne Lederer, puis Danica Seleskovitch ont appliqué á Pex-plicite linguistique des discours et des textes la notion de synecdoque. Elles ont associé cette notion au rapport existant entre le perceptuel et le conceptuel: au perceptuel que nous percevons visuellement ou auditivement et qui ne représente quune partie du tout, s'ajoute le conceptuel. La théorie du sens con^ue comme le vouloir-dire, et en particulier les travaux de Marianne Lederer sur la synecdoque, pos-tulent que la comprehension de Timplicite du discours se déroule sans heurt en raison de Texistence ďun savoir partagé du traducteur et du destinataire du texte. Cest ce qui impose au traducteur ďavoir des connaissances étendues du domaine dans lequel il travaille. Une bonne connaissance des sujets, dans notre cas des sujets linguistiques, s'exprime fréquemment par ťexplicitation et facilite la comprehension du texte: (11) HW, 300 : [...] les Parisiens de souche se laissent contaminer par les provinciaux pour ne garder que le a de patte, qu ils ne dis-tinguent plus du á de páte. [..,] současně se však rodilí Pařížané nechávají ovlivňovat těmito provinciálními tendencemi a ponechávají ve svém systému pouze přední /a/ ve slově patte, které už nerozlišují od zadního lal ve slově páte. Dans diíférentes langues le méme tout s'exprime dans un rapport implicite/explicite different. Autrement dit, les diíférentes langues opěrent des synecdoques diíférentes pour un méme designe et ainsi, 189 nous pouvons comprendre mieux, pourquoi on ne traduit pas les signifies en tant que tels, mais bien le sens (le vouloir-dire) qu ils per-mettent d'exprimer. Marianne Lederer (1998) souligne que « c est sur cette difference de synecdoque [...] que nous fondons la notion d'tqui-valence. Les synecdoques librement recomposees dans I autre langue par le traducteur sont autant d*equivalences qui restituent, pour chaque segment de discours et de texte, une identite de sens, » La theorie interpretative de la traduction de l'ESIT definit la traduction comme devant produire le meme effet cognitif et emotif sur ses lecteurs que le texte original sur les siens en soulignant la notion du complement cognitif. qui devient un aspect important pour P expression explicite ou implicite. Chaque discours a le caractere elliptique et la comprehension globale d'un discours, sa reexpression dans la traduction, inclut la comprehension et la reexpression de ses presupposes et ses sous-entendus. D'apres Catherine Kerbrat-Orecchioni (1998) les contenus implicites jouent un role decisif dans l'etablisse-ment de la coherence textuelle. Dans l'enonce « [...] Vimplicite est vehicule avec Vexplicite, constituant un complement cognitif qui fusionne k son tour en un sens pour le destinataire initie [...]. La proportion d explicite et d'implicite varie constamment dans la communication en function du savoir part age par les interlocutai- res; on voit les traductions en tenir compte, rendant explicite un implicite dont Vabsence empecherait la constitution du sens, suppri-mant aussi bien un explicite qui serait redondant» (Seleskovitch, 1980). — Puisque Tinterlocuteur complete le discours prononce ou ecrit par ses propres connaissances, le locuteur est oblige de le for-muler en fonction des connaissances qu il suppose chez lui. Par consequent, la longueur de l'enonce, le niveau de la precision de certains details de son discours et aussi le taux de Timplicite dans le texte d'arrivee varieront. Marianne Lederer signale l'existence d'un mouvement de condensation et d'expansion de Penonce : « un mouvement continu de systole-diastole dans le langage ». Les deux exemples suivants illustrent le souci des traducteurs d'atte-nuer l'effet des realites etrangeres et non connues dans la culture tcheque: 190 (12) HW, 281 : Tout le monde se rappelle [...] le remue-méninges inventé en 1965 par Louis Armand pour remplacer brain-storming, et qui est presque passé dans la langue courante. Každý si vzpomene na [...] remue-méninges vymyšlený v roce 1965 Louisem Armandem, aby nahradil anglicismus brain-storming (soustředění odborníků na řešení nějakého problému), a který téměř přešel do běžného jazyka. (13) HW, 290 : Le verlan. Verlan neboli o přesmyčkdch. Entre le francais — langue plutót analytique et le tchěque - langue plutót synthétique, au niveau grammatical, nombreuses diversités résultent de la difference de deux systěmes linguistiques. L'explicita-tion des pronoms conjoints dans le sens du tchěque vers le fra^ais est un des cas typiques: Přeplaval řeku —► // traversa la riviéře. 3Le francais étant une langue plutót nominale, dans la traduction, les transpositions syntagme verbal pour un syntagme nominal sont trěs fréquentes: (14) HW, 281 : Les mouvements dans le vocabulaire —* Kam se ubírá francouzština i * ■ 4 (15) HW, 293 : Aux oubliettes ou dans le dictionnaire? —► Nevšímat si jich nebo je dát do slovníku? D'autres differences, au niveau de ce que Ton dit ou de ce que Ton ne dit pas pour designer les choses, sont liées aux variations de structures lexématiques. A titre d'exemple: (a) les termes de base dans le champ komme: femme représen-tent une structure binaire en francais mais en tchěque on a la structure ternaire človék: muž: žena de méme qu en latin homo: vir: femina,4 (b) le méme objet est designe en fra^ais, en allemand et en tchěque, mais chaque mot en designe un aspect different: en francais tire-bouchon = en allemand Korkenzieher = en tchěque vývrtka. Les trois mots désignent bien le méme objet en explicitant sa fonction — 3 Exemplc ďaprěs ŠABRSULA, J. (1990, 37). 4 Exemple ďaprcs ŠABRSULA, J. (1990, 50). t d'extraire. Par contre, les aspects de l'explicite et de Pimplicite ne sont pas les mémes lorsqu'il s'agit de nommer ce qui est tiré : le fran-^ais explicite 1'objet á tirer (bouchon), rallemand prefere renseigner explicitement sur la matiere dont est fait l'objet á titer (Kork) et le tchěque n'a pas besoin d'autre explicitation. Les variations suivantes concernent les concepts : Sage comme une image —► Hodný jak beránek (agneau) ou les habitudes pour s'adresser aux autres : les Polonais s'adressent á leurs interlocutaires en utilisant la 3ime personne au lieu de la forme habituelle de la 2hme personne ou les Fran^ais qui ajoutent beaucoup plus fréquemment les qualificatifs « Madame, Monsieur, Mademoiselle » pour s'adresser á quelqu un. 2. L'explicite et Pimplicite culturel La traduction implique un transfert de la culture dans le sens le plus large du mot. La distance culturelle entre les peuples de deux langues differentes peut devenir source de certaines difficultés pour le traducteur, puisque de nombreux traits culturels et sociaux, pro-pres á un peuple, n'existant pas pour d'autres peuples en n'ont done, pour eux, aucune existence linguistique (cf. le verlan). Le traducteur doit étre conscient des non-équivalences culturelles et il doit étre capable de les relever dans la langue de depart. Pour combler des lacunes socioculturelles de sa langue ďarrivée, il peut choisir entre deux approches : ['adaptation, ou l'on remplace le trait manquant par un equivalent propre á la socioculture ďarrivée. Dans ce cas on peut parler de la naturalisation du texte darrivée (TA). L'autre appro-che, I'emprunt, repose sur la conservation des traits de la culture de depart, en les accompagnant ou non d'une explication ou de 1'expli-citation. Cette derniěre approche était appliquée dans la traduction ... du livre de H. Walter, traitant des problemes linguistiques, concer- nant le fran^ais. Le traducteur doit aussi trouver une traduction qui tienne compte de la fa^on dont ses destinataires percevaient les traits culturels étrangers á leur société et tenir compte de l'implicite auquel renvoie 1'énoncé en question pour bien le comprendre et pour cerner l'eflfet qu'il peut produire chez eux. 192 Dans l'exemple suivant, mcme si a premiere vue Ténoncé pouvait passer bien dans le milieu de culture tchěque et étre plus ou moins compris, la traduction avait introduit un faux-sens, dů á la mécon-naissance de la banlieue fran^aise. Ainé ne peut en aucun cas dans ce contexte étre parent. II s'agit ici d'une forte connotation sociocultu-relle au sens de grandJrére, de Y ellipse, frěre étant sous-entendu. Dans le contexte amis signifie des jeunes gens et des plus ágés d'eux qui peuvent étre leurs freres ou non. (16) HW, 293 : Les premiers á avoir pris conscience ďun décalage devenu insistant entre le langage des jeunes et celui de leurs aínés ont été les journalistes : dans 20 ans, Lire, Le Nouvel Observateur, Lexpress ou Le Quotidien de Paris, ils ont, děs le debut des années 80, présenté des listes de mots nouveaux, avec commentaires et explications. První, kdo si uvědomili naléhavost rozdílů mezi jazykem mladých a jejich rodičů, byli novináři: v 20 ans, Lire, Le Nouvel Observateur, Express nebo Quotidien de Paris, vydávali od počátku 80. let seznamy nových slov s komentáři a výklady. E. T. Hall (1981) distingue deux grands types de culture en se fondant sur les caractéristiques du contexte. Ainsi distingue-t-il des cultures h contexte faible et d'autres a contexte fort. Les premieres sont explicites car tout est dit ou écrit, ainsi en est-il par exemple de la culture américaine. Les autres, quant a sont dites implicites, car á la parole ou á Técrit, s'ajoutent des elements non-formulés, implicites, mais qui jouent un role capital dans la communication. Ainsi en est-il par exemple dans les cultures arabo-musulmanes. Notons bien que la distinction entre ces deux types de culture ne contient aucun jugement de valeur et ne justifie aucune hierarchie. Par ailleurs, ce sont les deux tendances extremes entre lesquelles se situent des gradations et des nuances. En effet, la culture de la langue de depart peut étre explicite par rapport á la culture de la langue ďarrivée, mais implicite par rapport á une troisiěme culture, ce qui peut jouer un role important dans la traduction. Maurice Pergnier (1978, 99) constate que l'analyse de la traduction releve de la 193 sociolinguistique, qui lui offre les moyens appropriés puisqu'elle définit les conditions de la communication linguistique. En tenant compte des aspects mentionnés, le traducteur doit rendre dans sa traduction explicite un implicite dont Tabsence empécherait la constitution du sens et supprimer un explicite qui serait redondant. Les solutions á adopter varient en fonc-tion du complement cognitif et aussi en fonction du type de texte concerné. Cest toujours et avant tout Pinterlocuteur/le destinataire qui fixe le but du traducteur. En fonction de son but, le traducteur emploie des différentes méthodes de traduction. 3. Une notice sur la terminologie Les travaux des linguistes et des traductologues s'interessant a Pex-pression explicite et implicite en traduction utilisent pour ces notions les denominations diverses. A titre d'exemple, nous presen-tons quelques uns. D'apres Jan Sabrsula, rexplicitation est [...] ale procede qui consiste ct introduire dans une tranche du texte darrivee des precisions qui restent implicites dans la tranche correspondante de texte de depart, mais qui se degagent du contexte ou de la situation ou, tout sim-plementy de la contrainte grammatical^\ »\ Bernard Pottier definit Pexplicite tout simplement comme «la partie de la communication qui apparait dans le message » et Pimplicite comme « la partie de la communication qui napparaitpas explicitement dans le message. »6 Maria Tenchea propose une definition plus- complexe : « sexploitation consiste a introduire dans le texte d'arrivee (TA) des elements dont le correspondant nest pas present dans le texte de depart (TD) : ilsagitsoit dune amplification au niveau formel (du signifiant), por-tant sur les termes constitutifs des unites de travail, soit d'un ajout de semes (niveau du signifie), realise par une simple substitution de termes. Ces operations ont pour resultat un enrichissement informationnel du TA par rapport au TD, permettant ^expression plus precise, plus claire, plus complete, done plus explicite du sens des unites linguistiques en 5 ŠABRŠULA, J. (1990,37). 6 POTTIER, B. (1974, 324-325), cite par HURTADO, A. (1990, 74). 194 jeu et/ou des relations entre celles-ci. »7 Marie-France Delport fait distinction « dune figure contrainte, quant a son contenu, quon ap-pellera explicitation, et dune figure libre, quant a son contenu, quon nommera amplification. »8 Différentes denominations sont utilisées pour designer T explicite et Timplicite linguistique avec des contenus différents. Pour démon- trer la divergeance existante, nous allons introduire, á titre ďexem- ple, quelques definitions du terme Vétoffement. Ce terme est consacré en traductologie pour signifier le dé-veloppement, T amplification, qui vise á enrichir, a donner plus de substance á des elements impliqués dans la traduction. D'apres Vinay et Darbelnet (1977), [...] « Vétoffement est le ren-forcement d3un mot qui ne se sujfit pas h lui-méme et qui a besoin d'etre épaulépar dautres [.-..]. Nullepart Vétoffement napparait plus clairement que dans le domaine des prepositions. » Sabrsula distingue Tétoffement lexicalisé (locution prepositive, locution conjonctive — cestující do Paříže/les voyageurs h destination de Paris) et Tétoffement contextuel - v zásuvce/au fond du tiroir) et il ajoute que Tétoffement implique souvent une surcaracterisation - v louzi/au creux d'une flaque. Uexemple suivant de surcaracterisation est tiré de notre corpus : i ,m (17) HW, 290 : II faut aussi dire un mot du verlan, qui a récem-ment été remis á la mode. Je třeba se zmínit o slově verlan, které se nedávno stalo módním výkřikem. Pour Jean Delisle (1993, 234) l^étoffiemeru est un procédé de traduction qui consiste á employer plus de mots que le texte de depart pour exprimer la méme idée. Pour lui, rétoffement est un générique s^ppliquant a toute addition de mots liée á des contraintes de forme ou de sens imposées par la LA. II distingue trois types ďétoffement : dilution (Tétoffement est dicté par des contraintes inhérentes á la langue), V explicitation (Tétoffement est dicté par la clarification du sens) et la péríphrase (Tétoffe- 7 TENCHEA, M. (2003, 110). 8 DELPORT, M.-C (1989, 90). 195 ment est dicté par des exigences de nature stylistique). Michel Ballard^défíni Tétoffement de facon suivante: « il y a étoffement ďune micro- ou ďune macrostructure lorsque sa traduction litté-rale ou restructurée nécessite Vinsertion ďun ou de plusieurs signes pour des raisons dordre morphosyntaxique, sémantique, stylistique ou idiomatique. » Nous pouvons rencontrer ďautres termes, mettant en lumiěre les différents aspects des deux phénoměnes en cause : (+) redondance, dilution, amplification, développement, expansion, périphrase, ajout, introduction, insertion, Faddition, allongement (-) dépouillement, contraction, éffacement, omission, suppression, économie, abrěgement et reduction. Maria Tenchea (2003, 110) propose une definition complexe de Timplicitation : « [,.,] procédé inverse de Texplicitation, sup-prime en TA certains elements presents en TD, au niveau du signi-fíant ou du signifié, laissant dans la sphere de simplicitě des informations qui portent sur le sens des termes ou sur les relations quils entretiennent entre eux. Ces types dopérations aboutissent a une expression plus concise, s imp lift ée, h un énoncé allege, supprimant certaines redondances ou certaines lourdeurs qui pourraient étre gé-nants dans TA. Est implicite ce qui nest pas formule, mais qui est contenu virtuellement dans le texte traduit. » Pour nous, les termes explicitation et implicitation sont géné-riques pour designer l'ensemble des procédés traductionnels qui répondent á des contraintes aussi bien linguistiques que discursi-ves. 4. Une traduction-érudition: Francouzština známá a neznámá Dans la situation oů le traducteur vise un public plus spéciale-ment intéressé par des references du texte original, il peut, et souvent il est méme oblige ďutiliser les adaptations, les paraphrases explicatives ou d'introduire des commentaires, tout en 9 BALLARD, U 2004, pp. 54-55. 196 restant fidele au sens du texte de depart. Danica Seleskovitch propose d'appeler ce type de traduction qui envisage le texte original en tant qu'objet d'etude traduction-erudition. La traduction-erudition doit privilegier l'exactitude du sens et veiller ä transmettre le vouloir-dire de l'auteur dans sa complexity, en respectant les moyens de la langue d'arrivee et des besoins du public vise. La traduction du livre de Henriette Walter Le frangais dans tous les sens en tcheque, peut servir d'exemple d'une traduction-erudition. Henriette Walter, professeur ä l'Universite de Haute-Breta-gne, est reconnue pour son aptitude ä presenter du serieux scien-tifique d'une maniere attrayante. Grace ä la traduction de son livre par Marie Dohalska et Olga Schulzova, les deux specialistes en linguistique francaise, les lecteurs tcheques avaient l'occasion de mieux connaitre la langue et la culture francaise. On peut localiser le destinataire du texte traduit en fonction du type de ce texte ou en fonction des recherches que nous pou-vons faire a son sujet : le texte traduit vise toujours son propre destinataire, parfois equivalent, parfois totalement different ä celui du texte original. Les specificites de notre corpus ressortent du caractere du livre de H.Walter, qui est destine aussi bien aux specialistes qu'au public beaucoup plus large, s'interessant ä sa langue matern eile-le francais. Le livre offre une image dynamique de la langue francaise, telle que les Francais la parlent et l'ecrivent dans les conditions et situations differentes. Mais le public vise par la traduction est tout a fait different : il s'agit avant tout des specialistes en linguistique francaise, des enseignants et des etudiants du francais langue etrangere. Une bonne comprehension du texte traduit est conditionnee par une connaissance süffisante de la. langue francaise que le traducteur ne peut pas toujours prevoir chez son destinataire. Les difficultes pour le traducteur ne s'ar-retent pas la. Un petit extrait de textes paralleles illustre bien que Texplici-tation au niveau de la langue mais aussi au niveau du discours est largement utilisee. 197 TD (HW, 289-291) TA Nouveaux sens dissimules sous d'an-ciennes formes [...] Cette facon de s'exp rimer a l'avan-tage (ou 1'inconvenient, selon le cote oü Ton se trouve) de fonctionner comme un langage secret mais, si Jose dire, doublement secret, puisqu il a Fair d'un langage tout ä fait ordinaire. Ainsi, une fille d'enfer na rien d'infernal, eile est seulement tres belle ou tres intelligente (1); une personne glauque est plutot « bizarre et equivoque », (2) ce qui entraine evidemment tres loin du sens premier (generalement inconnu) de glauque-. « de couleur verte tirant sur le bleu ». Ces innovations subreptices peuvent natureliement rester longtemps ina-pcrcues des non-inities et creer des situations confuses ou conflictuelles, en augmcntant les diflScnltes (3) du dialogue entre les generations. [...] En revanche, les creations qui s'appuient sur des changements de forme sautent aux yeux (4) (si Ton peut dire) et provoquent des reactions immediates. On trouve ainsi galerer, j dont le sens n est pas absolument transparent, mais oü Ton reconnait galere, ce qui permet d'entrevoir qu il s'agit « d'effectuer des de placements » (5) , ou de « faire des efforts considera- | bles, sans aboutir ä rien ». De meme, le passage a la forme pronominale dans seclater (pour une personne) \ exclut le sens de « exploser, voler en eclats », sans toutefois laisser deviner (6) qu il sagit en fait de « prendre un grand plaisir ». II faudra aussi dorena-vant se mefier de l'adjectif eclatant, qui peut prendre, lui aussi, le sens de « qui procure du plaisir» Pod starou formou se skrývají nové významy [..,] Tento způsob vyjadřování má výhodu (nebo nevýhodu, podle toho, na které straně stojíme), že funguje jako tajný jazyk, ale odvažuji se říci dvojnásob tajný, protože vyp adá zcela nenápadně. A tak tedy „une fille denfer" nemá v sobě nic pekelného, ale dotyčná dívka je jen nesmírně krásná nebo nesmírně inteligentní. Je-li někdo glauque, je spíše „bizzare et équivoque", což se velice vzdaluje původnímu významu (obvykle neznámému) slova glauque: „zelený s nádechem do modré". Tyto pokoutní inovace mohou samozřejmě zůstat nezasvěceným dlouho utajeny a vytvářet zmatečne i konfliktní situace tím, že znesnadňují dialog mezi příslušníky různých generací. [...] Naopak, tvoření slov, které se opírá o změnu tvarů, bije doslova do očí (lze-li to tak nazvat) a vyvolává bezprostřední reakce. Setkáváme se takto se slovem galérer, jehož smysl je velmi neprůhledný, ale najdeme v něm galéře, což nabízí předpoklad, že se jedná o jistou „možnost přemísťování" nebo „vynakládání nesmírného úsilí\ které k ničemu nevede". Podobně přechod prono-minální formy v séclater (jedná-li se o nějakou osobu) vylučuje význam „vybuchnout, vylítnout do povětří", aniž by se dalo předpokládat, že se vlastně jen jinak vyjadřuje „mít velkou radost". Je třeba dát si obdobně pozor na adjektivum éclatant> které samo o sobě může také znamenat cosi, co „způsobí radost". 198 Quant aux abreviations, accro, ado, appart, caric, cata, deb, doc, oc, p 'tit dejy pro ou pub, elles sont inoffensives tant qu elles ne creent pas d'ambigvute. Mais est-ce toujours le cas ? (7) Lc vcrlan II faut aussi dire un mot du Verlan (8), qui a recemment ete remis ä la mode (9) parmi les jeunes et qui a laisse des traces dans la vie quoti-dienne grace a quelques chansons ä succes comme Laisse beton et ä des films comme Les Ripoux. Aujourd'hui, ce procede de modification de la forme des mots a moins de succes. II consistait ä in verser les syllabes (10) d'un mot (de preference de moins de trois syllabes), mais les jeunes spe-cialistes nentcrinaient pas nImporte quelle innovation. Seuls etaient accept tes, au bout d'un certain temps, ceux qui avaient fait la preuve de leur efficacitc. (11) Le Verlan n'est pas une nouveaute. (12) C'est un procede de travestis-sement bien connu qui, jusqu ä une epoque assez recente, etait reserve aux argots de certaines professions. Pokud jde o zkratky acero, ado, appart, caric, cata, deb, doc, oc, p ftit dej, pro nebo pub jsou zcela neškodné, protože nemohou vyvolat dvojznačnost. Ale je to vždy to pravé? „Verlan" neboli o přesmyčkách Je třeba se zmínit o slově verlan, (přesmyčka: verlan Ivzrlál — lenvers IUverí), které se nedávno stalo módním výkřikem v mluvě mladé generace, zároveň však zanechalo stopy v běžném životě díky některým úspěšným písničkám jako Laisse beton {laisse tomber) a rumům jako je Les ripoux. Dnes je tento způsob změny formy už méně významný. Spočíval v tom, že zaměňoval slabiky jistého slova (raději méně než tříslabičného), ale mladí odborníci se nezastavili před žádnou inovací. Po nějaké době byly přijaty jen ty výraay, které měly schopnost se udržet. I Přesmyčky typu „verlan" nejsou | pro žargon novinkou, je to dobře známý maskovací prostředek, který byl donedávna vyhrazen pro žargon některých profesí. ------^-«(!)■ .] eile est seuleinent trěs belle ou trěs intelligente —> [...] ale dotyčná dívka je jen nesmírné krásná nebo nesmírně inteligentní. Augmentation del' intensitě de la qualité (dunefille ďenfer), liée ä l'erTet magique du mot enfer, eile peut étre adequate dans la situation ou cette expression pourrait étre utilisée. Dans la logique de cette énoncé il faudrait traduire plutöt: ...dotyčná dívka je vsak nesmíme krásná. (2,5) No tons que l'expression « bizarre et equivoque » reste intraduite, méme si dans le paragraphe suivant dans la situation semblable l'expression « d*éffectuer des déplacements » était traduite. (3) [...] et créer des situations confuses ou conflictuelles, en augmentant les diffi-cultés du dialogue [...] 199 [...] a vytvářet zmatečné i konfliktní situace tím, ie znesnadňují dialog [...] Dévcloppement ďune unite, accompagné ďune reorganisation syntaxique (lc gé- rondif —> proposition subordonnée circonstancielle), ayant pour résultat ľexpres- sion plus explicite et la cohesion syntaxique du texte renforcée. (4) [...] les creations... sautent aux yeux [...] —> ) [...] tvoření slov bije doslova do oči)[.,.] Ajout ďun terme (adv.) renforcant, explicitant un « accent » de la phrase. (6) [...] sans toutefois laisser deviner quil sagit [...] —V [...] aniž by se dalo předpokládat, že [...] Reorganisation syntaxique de la phrase (preposition avec ľinfinitif —> proposition subordonnée). (7) Mais est-ce toujours le cos řAle je to vzdy to pravé? Développement sémique de ľ unite. (8) [...] ilfaut aassi dire un mot du ver lan [...] —> Je třeba se zmínit o slově verlan, (přesmycka: verlan Iverla- 'envers /lave/ [...] Ajout ďun terme et ľexplication de la notion. (9) [...] qui a récemment été remis ä la mode, [...] které se nedávno stalo módním výkřikem, ÉtofFement par ľintroducrion ďun terme explicitant avec changement du statut syntaxique du terme-base. (10) II consistait ä inverser les syllabes ďun mot [...] Spočíval v tom, že zaměňoval slabiky jistého slova [...] Transposition syntaxique par expansion (infinitif —> proposition subordonnée). (11) [...] ceux qui avaitfaitpreuve de leur efficacité [,.,] [...] jen ty výrazy, které mely schopnost se udržet [...] Référentialisation (ceux —> ty výrazy). (12) Le verlan nest pas une nouveauté. Presmyčky typu verlan nejsou pro žargon novinkou. Introduction de termes en TA, sans reorganisation syntaxique. Conclusion Notre intention etait de souligner {'importance de l'explicitation et rimplicitation au cours du processus de la traduction. L'analyse de notre corpus, dont nous avons presente quelques modestes exemples, fait la preuve que dans les textes specialises le taux d'explicitation est tres haut ce qui est du au souci du traducteur d'etre le plus clair 200 possible. Marie-Claire Delport (1989: 95-96) constate que « les tra-ducteurs s'accomodent mal du non-dit, de I ellipse, de ľimprécision et que [...] la bonté du traducteur est sans limites. II ne veutpas que son lecteur soit trouble par des images audacieuses ou étranges. » Bibliografie de references DELPORT, M.- F. Le traducteur omniscient. Deux figures de traduction, Implication et ľamplification. In Canavaggio et Darbord (éds). In La traduction, Actes du XXIIIe Congrés de la Société des Hispanistes Francais (Caen, 13-15 mars 1987). Caen : Centre de Publications de ľUniversité de Caen, 1989, pp. 89-105 DUBSKÝ, J. Porovnávací stylistika a odborný překlad. In AUC Philologica n° 4-5, Slavica Pragensia XXIII., Praha, 1980, pp. 261-267 DURIEUX, CH. Les langues ont-e lies une longueur ? In Contrastes, n° 20-21, 1991, pp. 22-32 FOURQUET, J. La traduction vue ďune théorie du langage. In Langages n° 28. Paris: Larousse, 1972, pp. 64-69 HALL, E.-T. Le langage silencieux. Paris: Le Seuil, 1981 HURTADO, A. La notion de fidélité en traduction. Paris: Collection „Traductologie", n° 5, Didier Erudition, 1990 KERBRAT-ORECCHIONI, C. Ľimplicite. Paris : Armand Colin, 1998 PKUFNEROVA, Z. ; POLÁČKOVÁ, M. et al. Překládání a čeština. Praha : Nakla-I datelství H & H Vyšehradská, 2003 LAPLACE, C. Les concepts-clefi de trois auteurs: Kade (Leipzig), Coseriu (Tubingen), Seleskovitch (Paris). Collection „Traductologie" n° 8, Paris : Didier Erudition, 1994 LEDERER, M. Synccdoque et traduction. In ELA, n° 24, 1976 LEDERER, M. Implicite et explicite. In Interpreter pour traduire. Paris : Didier Erudition, 1984, 2001 LEDERER, M. La traduction aujourďhui. Paris: Hachette, 1994 LEDERER, M. La place de la théorie dans ľenseignement de la traduction et de ľ interpretation. In ISRAEL, F. (éd.) Quelle formation pour U traducteur de ľan 2000 ř Actes du Colloque International tenu a ľESIT, juin 1996. Paris: Didier Erudition, Collection de Traductologie n° 9, 1998, pp. 17-26 PEETERS, J. La mediation de letranger. Une sociolinguistique de la traduction. Ar-tois : Presses Universitc, Collection « Traductologie » (dir. Michel Ballard et Lieven D'Hulot), 1999 201 PERGNIER, M. Les fondements socio Unguis tiques de la traduction. Paris : Diffusion Librairie Honore Champion, 1978 SELESKOVITCH, D. ; LEDERER, M. Interpreterpour traduire. Paris: Didier Erudition, Coll. Traductologic, 2001 SELESKOVITCH, D. Pour la théorie de la traduction inspirée de sa pratique. In META, XXV, n° 4, 1980, pp. 401-408 SMIČEKOVA, J. Explicitation et ímplicitation : les demarches traductives symé- triques et complémentaires. In Etudes frangaises en Slovaquie. Actes du Colloque Lnternational ďétudes francaises, vol. IX, Nitra : Universitc Constantin le Philosophy 2004, pp. 257-270 SMIČEKOVA, J. Explicite et implicite en traduction. In: Studia romanistica. Acta Facultatis Philosophicae Universitatis Ostraviensis, Ostrava: Ostravská univerzita, 2005, pp. 71-78 SABRSULA, J. Redundance a ekonomie v češtině a ve francouzštině. In Acta Universitatis XVII. novembris Pragensis, n° 4. Sborník statí o jazyce a překládání. Praha : Universita 17. listopadu, 1974, pp. 186-209 ŠABRŠULA, J. Problémes de la stylistique comparée du frangais et du tchéque. Praha : Univerzita Karlova, 1990 TENCHEA, M. Explicitation et Ímplicitation dans ľopération traduisante. In BALLARD et EL KALADI (éds). Traductologie, linguistique et traduction. Arras: APU, 2003, pp. 109-126 VINAY, J.-P.; DARBELNET, J. Stylistique comparée du francais et de I anglais. Paris : Didier, 1977 Corpus -WALTER, H. Le francais dans tons les sens. Paris-r Robert Laffont, 1988, 384 p. ISBN 2-221-05254-4 WALTER, H. Francouzština známá a neznámá (traduit par Marie Dohalska et Olga Schulzová). Praha : Jan Kanzelsberger, 1993, 323 p. ISBN 80-85387-15-8 Abstract The paper discusses the problems of explicitness in the translation of specialised linguistic texts contrasting the French original with its Czech translation. To preserve the communicative value of the text anchored in a completely different cognitive and linguistic context, written in a different language and different cultural 202 background, the translator has to take into consideration not only the polysystern of the target language but also the new communicative situation as a whole. To achieve this objective he often employs an explicit way of expression and explication. The author concentrates on defining explicitation within linguistics and on the contribution of contrastivc stylistics to translation theory. In the translation theory it draws upon the theory presented by ESIT school in Paris represented by D. Seleskovitch and M. Lederers research. Resumé Příspěvek se zabývá problematikou explicitního vyjadřování v překladu odborných lingvistických textů. Autorka srovnává francouzský originál s českým překladem, Zdůrazňuj-e, že překladatel musí přizpůsobit text nejen polysystému cílového jazyka, ale i nové komunikační situaci tak, aby zachoval výpovědní hodnotu textu, vznikajícího ve zcela jiném kognitivním a jazykovém kontextu, v jiném jazyce a v jiném kulturním prostředí. K dosazení tohoto cíle často využívá expli- ■ citního vyjadřování a explikace. Autorka se zaměřuje také na vymezení místa explicitace v rámci lingvistiky a na přínos srovnávací stylistiky pro teorii překladu, V translatologické teorii se opírá o teorii pařížské školy ESIT, kterou představují práce Danice Seleskovitchové a Marianny Ledererové. 203 LA DIDACTIQUE DU PLU PJL INGUIS ME ET IMPLICATION EVENTUELLE DE SES ELEMENTS DANS LES MODULES DE LA FORMATION DES INTERPRĚTES FRANCOPHONES EN RÉPUBLIQUE TCHĚQUE Marie Fenolová Le plurilinguisme, le multilinguisme, la diversité ou la diversification linguistique sont les termes qui caractérisent, depuis presque deux décennies, le discours du domaine de la didactique des lan-gues étrangěres, de méme que celui des politiques linguistiques. Le multilinguisme et la multiculturalité, caractérisant Tidentité euro-péenne, sont souvent présentés comme les défis de Pavenir de TEu-rope. D'autre part, on assiste dans tous les pays européens a une réalité contrariée qui est Thégémonisation continue et progressive de Tanglais comme moyen universel de communication internationale. La polaritě « diversité-unité » se manifeste pareillement dans cer-taines reflexions des autorités de la linguistique et de la didactique des langues. Claude Hagěge, par exemple, pretend qu « il faut que le plus possible ďeuropéens apprennent le plus possible de langues d'Europe » (Hagěge, 1992, 270), tandis que Harold Weinrich est persuade qu« apprendre les langues européennes en série serait contraire ä toutes les regies de Téconomie » (Weinrich, 1993, 21). Cest sans doute ä mi-chemin, entre la these et Tantithěse, qu il est logique de chercher toujours un nouveau point de depart en ce qui concerne le probléme en question. Et cest pourquoi les politiques linguistiques des pays européens recommandent aujourd'hui 1'en-seignement/apprentissage de deux langues étrangěres dans le cadre de la scolarité obligatoire, tout en soutenant le role spécifique de la culture des langues maternelles les plus diverses. D'habitude, on recommande d'offrir aux élěves P anglais en tant que premiere langue étrangěre et, aprěs, une deuxiěme langue étrangěre au choix plus au moins libře. Néanmoins et en dépit de tous les efforts, les statistiques témoignent de la tendance continue vers P unification anglophone 204 qui marginalise d'autres langues etrangeres dans la societe, et dans les systemes £ducatifs en Europe. La situation est particulierement penible pour les romanistes et romanofiles et il nest pas etonnant alors que Pavenir, qui serait un nouvel epanouissement de la langue francaise ainsi que celui d'autres langues romanes, soit au centre de Pattention de la politique lin- guistique de la France. En meme temps, ce sont surtout (mais pas seulement) les linguistes et didacticiens franr;ais qui developpent des projets visant la diversification des langues ä maitriser par les jeunes citoyens de PEurope. Dans cet ordre d'idees, il est interessant de mentionner une Strategie, visant la diversite linguistique, qui a ete developpee par plusieurs equipes dans differents pays de langues romanes et qui repose sur une intercomprehension des locuteurs en langues apparentes, A cet egard, au d£but des annees 90, Umberto Eco remarquait dejä que rien ne prouve que pour communiquer les gens doivent n^cessaire- ment passer par la meme langue, mais qu ils peuvent aussi parier leur langue, et comprendre celle de P autre (Eco, 1994, 377). La meme these a ete* pareillement soutenue par L.-J. Calvet (Calvet, 1993). La conception de Pintercomprehension est la suivante : les inter-locuteurs, dans des echanges multilingues, peuvent s'exprimer dans leur langue maternelle sans recourir necessairement ä une troisieme langue, partagee par les deux comme langue etrangere. II s'agit alors de mettre ä profit une realite linguistique qui a ete largement etu-diee theoriquement, mais peu exploitee du point de vue didacti-que, c'est-a-dire mettre ä profit la proximite etymologique et typo-logique des langues. Apparemment, tout cela ne peut surprendre le public tcheque etant donne son experience intime de la langue slovaque qui, tres proche, est comprehensible pour les Tcheques, et vice-versa. Dans le contexte de TancienneTchecoslovaquie, les deux nations pratiquaient alors spontanement un bilinguisme receptif: on se comprenait mutuellement, sans parier activement la langue du partenaire. Aussi les concepteurs des projets de rintercompre-hension en langues latines soulignent que les locuteurs de langues romanes sont particulierement privilegies puisque leurs langues (fran^ais, italien, espagnol, Catalan, portugais, roumain et autres langues regionales) possedent de traits communs qui, souvent, leur 205 permettent de pratiquer spontanement un echange plurilingue sans avoir jamais etudie la langue de l'autre. La didactique de langues etrangeres s'est emparee de Poccasion dans la perspective d'attein-dre plusieurs objectifs. Grace aux activites d'intercomprehension des langues apparentees, les eleves prennent conscience d'un nou-vel espace de communication internationale qui leur est facilement accessible. II s'agit d'une experience authentique du plurilinguisme en pratique. Cette experience peut aider des eleves ä se debarras-ser de leur timidite devant l'apprentissage des langues etrangeres. Eventuellement, cette approche peut leur ouvrir une voie alternative qui facilite l'acces ä l'apprentissage serieux d'une de ces langues. La maitrise partielle des langues apparentees, centree sur la comprehension ecrite et orale, favorise le developpement d'une empathie communicative, Tart d'ecouter le partenaire. La connaissance de plusieurs projets axes sur rintercomprehen-sion de langues apparentees m'a conduite a l'id^e que cette approche pourrait offrir quelques elements didactiques ä la formation de fu-turs interpretes. La formation ambitieuse des interpretes leur fournit d'habitude un niveau tres eleve de competences en langue cible (langue etrangere), proche du niveau de competences des locuteurs natifs. Concernant la formation des interpretes tcheques pour la langue fran^aise, la methodologie de Tintercomprehension est mise ä leur disposition. Les activites basees sur Tintercomprehension peuvent developper des strategies qui sont utiles en particulier pour les interpretes : II s'agit de la comprehension globale du_texte,jdel'art danticiper, de rapproche approximative du sens, de la capacite de se debrouiller meme en cas d'ignorance ou d'incomprehension relative. La methode de Tintercomprehension peut satisfaire les ambitions de certains etudiants desireux d'approfondir Tetude comparative/ contrastive des langues qui est populaire parmi les traducteurs/in-terpretes. Le caractere ludique de Tapproche peut dissiper les stereotypes de la fascination de certains etudiants par « leur » langue etudiee, les degager d'une certaine isolation professionnelle dans le cadre de la langue concrete, d'elargir leurs horizons de vision. 206 Nous disposons dejä des resultats de plusieurs projets de l'inter- comprehension des langues romanes sur lesquels on pourrait s'ap-puyer: Itineraire roman, Eurom4, Galathea et d'autres (des informations concernant ces projets sont accessibles sur rinternet). II est facile d'y trouver les supports exploitables pour atteindre les objectifs pedagogiques mentionnes plus haut. Un etudiant francophone en traductologie tcheque pourra tres bien developper sa competence en comprehension globale du texte en traduisant un texte chtalien, done d'une langue qu il n a jamais etudiee : Un aereo da turismo si e schiantato ieri mattina nel quartiere di Bromme, alia periferia di Stoccolma, incendiando un apparta-mento : le tre persone che si trovano a bordo sono morte. Ou le texte suivant d'espagnol ; En septiembre de 1993, laTelevisa, SA. inaugurö las transmisio-nes del« Canal de las Estrellas » a Europa por medio del sistema de satelites Astra. De esta manera, las emisiones en espanol entraron en un universo potencial de 40 millones de hogares europeos. N'est-il pas facile de deviner ce que Ton interdit en Roumanie par Tinscription Parcarea interzisä ? Ou au Portugal par l'inscription Eproibido fumar ? Je me souviens combien il a ete difficile pour nous, anciens etu-diants de traductologie, de trouver un compromis en tre le sentiment de responsabilite durfait d'assurer üne interpretation la plus adequate que possible et le sentiment de « frustration » car il est impossible de « savoir tout». L'objectif de cet article n'etait que de signaler Texis-tence de cette approche en didactique des langues romanes, dont on pourrait profiter eventuellement dans le cadre de la formation des interpretes avec les buts choisis. Parce quelle est amüsante, cette nouvelle approche peut etre bien accueillie. L'approche de Tintercomprehension des langues apparentees peut devenir Fespace d'un « dialogue des cultures », et apporter alors des elements de reflexion aux problemes qui occupent les participants de ce colloque. 207 Bibliographic j BLANCHE-BENVENISTE, C. (cd.) Apprentissage simuítané de quatre Ungues ro-\ manes, Portugues, Espaňol, Italiano, Francais. Firenze : Nuova Italiána, 1998 BLANCHE-BENVENISTE, C. Accepter rapproximation dans Tapprentissage. Le Francais dans le Monde, N° 340, juillet-aout 2005, p. 25-26 ! CALVET, L.-J. LEurope etses Ungues. Paris : Plon, 1993 ECO, U. La recherche de U Ungue parfaite dans U culture européenne. Paris : Seuil, 1994 I FENCLOVÁ, M. D' une langue étrangěre ádes langues étrangěres (esquisse d'un projet de la formation continue). Bulletin Sdružení učitelů francouzštiny, 2000/33, p. 14-17 HAG EG E, C. Le souffle de la langue, Votes et destins des parlcrs ď Europe. Paris, 1992 Lintercompréhension : le cas des langues romanes. Le Francais dans le i ! Monde. Recherches et applications, Janvier 1997. Paris: Hachette EDICEF JAMET, M.-C. Lintercompréhension orale en experimentation. Le Francais dans le Monde, N° 340, juillet-aoút 2005, p. 31-34 \ TEYSSIER, P. Comprendre Us Ungues romanes, méthode ďintercompréhension. Chan-! deigne, 2004 / THEA, E. Lintercompréhension en langues latines : une histoire de vieille date avec ■ j un bel avenir... Bulletin Sdružení učitelů francouzštiny, 12/2002, 41, p. 54-63 1 PLOQUIN, F. Parler dans sa langue, comprendre celle de Tautre. Le Francais dans le Monde, N° 340, juillet-aoút 2005, p. 23-24 WEINRICH, H. Trois cordes á nos arcs. Le Monde des débats, juillet-aoút 1993 I' ' Abstract i i The Didactics of Plurilinguism and the Potential Inclusion of its Elements Into the Professional Training of Francophone Interpreters in the Czech Republic. This contribution to the discussion of the particularities of the dialogue of cultures in the work of interpreters and translators deals with the possible enrichment of the university training of interpreters with some elements of the method of the receptive recognition of akin languages. The latter method, originally intended for native speakers of the Romance languages area opens the path to the multilinguism and multiculturalism of high-school students through the reading and listening with comprehension of akin Romance languages (e.g. the Projects Eurom4, Ga-lathea). 208 It can be assumed that the method could be used in the professional training of interpreters: activities focused on the comprehension of languages akin to the specific language studied develop the capability for global comprehension, the capability to anticipate the general sense of the discourse, the capability to resolve situations of relative misunderstanding, etc.The method will satisfy those students of translato-logy and interpreting particularly interested in a comparative/contrastive approach to languages. Of benefit can be also the extrication of the student from the frequent fascination by the studied language/languages and the expansion of the dialogue into a polylogue of languages and cultures. Resumé Didaktika plurilingvismu a případné zapojení jejích prvků do profesionální přípravy frankofonních tlumočníků v České republice. Tento příspěvek k dialogu kultur v profesionálním vzdělání tlumočníků a překladatelů se zaměřuje na možnost obohatit jejich univerzitní přípravu některými prvky metody receptivního poznávání příbuzných jazyků. Metoda původně určená rodilým mluvčím románské jazykové oblasti otevírá cestu k multilingvismu a multikulturalismu středoškoláků četbou a poslechem s porozuměním příbuzných románských jazyků (např. projekty Eurom4, Galathea a další). * Lze se domnívat, že metodu by bylo možno využít v profesionální přípravě tlumočníků: Aktivity zaměřené na porozumění jazykům, které jsou příbuzné jazyku speciálně studovanému, rozvíjejí schopnost globálního porozumění, schopnost anticipovat smysl výpovědi, vyrovnat se se situací relativního nepochopení atd. Metoda uspokojí ty posluchače dumočnictví, pro něž je příznačný zájem o komparativní/kon tras tivní přístup ke studiu jazyků. Přínosné může být i vymanění posluchače z časté fascinace studovaným jazykem/jazyky a rozšíření dialogu na polylog jazyků a kultur. ■ •■»«•.- WmW *.|lř>l f----«-* — — ««. *-m . w •»» <+' *r ^•mwm mm a mi mm m t ■» i .» v 4 mm . *■» « *- * * Ibi é ■* m JBi •. •mj . /"» « •U" ». " . 'mm ■ ' i' 11. J i_ mm\ mm* m> n_~ . « «v mmmw 209