LA MALEMER JJhomme cherche sa densite et non pas son bonheur. Saint-Exupery Je descendrai jusque sous la malemer ou la nuit jouxte la nuit — jusqu'au creuset ou la mer forme elle-meme son mal-heur, sous cette amnesique nuit de la malemer qui ne se souvient plus de 1 etreinte de la terre, ni de celle de la lumiere quand les eaux naissaient au chaos flexueux de l'air, quand Dieu les couvrait du firmament de ses deux mains — avant la contradiction du Souffle sur les eaux, avant ce baiser sur la mer pour dessouder la mer d'avec la mer — avant le frai poissonneux de la Parole au ventre de l'eau la plus basse, avant la division des eaux par la lame de la lumiere — avant l'antagonisme des eaux par l'avarice de la lumiere. # * # Toute salive refoulee de silence — je regouterai aux eaux condamnees de ma naissance; eau fautive de la naissance cernant l'innocence du sang — et tu pends a la vie comme le fruit de l'arbre contredit; est-il nuit plus nouvelle que la naissance — est-il jour plus ancien que l'ame ? maternite mysterieuse de la chair — asile ouvert aux portes du premier cri, et la mort plus maternelle encore! # * # Face fiancee de la haute mer axee sur la spirale du souffle — malemer sequestree aux fosses marines de la fecondite; haute mer! ceil f arde du bleu des legendes — moire des images et des etoiles eteintes; eau joyeuse au trebuchet des ruisseaux — danseuse au non-chaloir des fontaines; chair plastique de ta danse — parole aventuriere de ta danse et phenix de ton esprit voyager par la flamme verte de la danse; amoureuse livree au vertige des cataractes et tes lentes noces au lit des fleuves — fidele a la seule alliance zodiacale comme a ta hauteur originelle; eau circulaire et sans autre joug que le jeu de tes voies rondes — c'est toi l'erre de nos fables et la secheresse de notre bouche; [12] á l'envers des nuages, nous avons vu tes metamorphoses — et ton sommeil de cristal, ó momie couchée sur les poles; eau ascensionnelle — j'ai entendu la rumeur de ton mensonge redescendre dans l'oreille étroite de la conque; tu joues aux osselets avec les coquillages — tes mains jouent sur toutes les grěves du monde avec le bois mort des cadavres; sur toutes les tables de sable — tu prends l'aunage de ta puissance et de ton déferlement; tentative du guet des falaises — j'ai vu 1'épaulée feminine de tes marées pour effriter leur refus de pierre; fiancee fluente des vents durs et précaires — comment te délieras-tu de la fatalitě de ton obéissance ? Purifiée par l'eau la plus lointaine — comment te Iaveras-tu de la salure des morts ? Haute mer! je refuse ta rose ďargent dispersée sur les sables — et ton essor disperse en écume; je ne serai plus la mouette de tes miroirs — ni l'hippo-campe droit de tes parnasses houleux; haute mer ! je saíue la croix du sud renversée sur ton sein — et je descends aměrement sous la nuit océanique de la malemer! # # [13] Malemer, mer stable et fermee a la foudre comme a l'aile — mer pregnante et aveugle a ce que tu enfantes, emporte-moi loin du courant de la memoire — et de la longue flottaison des souvenirs; hale-moi dans ta nuit tactile — plus loin dans ton opacite que la double cecite de l'oeil et de l'oreille; malemer, toi qui ne montes plus sur la touffe fleurie des pres — comme une pensee fatiguee des images, toi qui ne laboures plus les greves au cliquetis des cailloux — remuement de pensees au hasard des vocables, toi que n'enchaine plus la chaine des marees — ni le bref honneur des revokes verticales, que je sois en toi ce nageur rituel et couche — comme un secret aux plis des £toffes sourdes; sans foulee calculee — que je circule par tes chemins sans arrivages, malemer — rature mon visage et noie cette larme ou se refont des clartes, que j'oublie en toi les frontieres ambigues de mon propre jour — et la lucide distance du soleil. * # # [14] Naissance obscure du poeme Comme l'amante endormie dans l'ardente captivite — immobile dans la pourpre muette de l'amant, fluente et nocturne a la base du desk — obscurcie de som-meil et travestie d'innocence, ses cheveux ouverts a la confidence — telles les algues du songe dans la mer ecoutante, la femme omnipresente dans la fabulation de la chair — la femme fugitive dans la fabulation de la mort, et l'amant pris au sillage etroit du souffle — loin de l'usage viril des astres courant sur des ruines de feu, elle dort pres de l'arbre polypier des mots meduses — par l'etreinte de l'homme a la cassure du dieu en lui, par cette lame dure et droite de la conscience — voici l'homme dedouble de douleur, voici la seule intimite de la blessure — l'impasse blonde de la chair sans parite; voici l'evocatrice de ta nuit fondamentale, malemer — la nuit vivante et soustraite aux essaims des signes, malemer, mer reciproque a ton equivoque profondeur — mer inchangee entre les herbes ameres de tes paques closes, toute l'argile des mots est venitienne et mariee au limon yert — tout poeme est obscur au limon de la memoire; [15} malemer, lent conseil d'ombre grande nuit iconoclaste! efface les images 6 * * Malemer, aveugle-nee du mal de la lumiere — comment sais-tu ta nuit sinon par l'ceil circulaire et sans repos de pau-piere ? pierrerie myriadaire de l'ceil jamais clos — malemer, tu es une tapisserie de regards te crucifiant sur ton mal; comment saurais-tu ta lumiere noire et sans intimite — sinon par le poeme hermetique de tes tribus poissonneuses ? 6 rime puerile des etages du son — voici 1'assonance sinueu-se et la parite vivante, voici l'opacite ocellee par l'ceil et l'ecaille — voici la nuit veillee par l'insomnie et l'etincelle; entre les deux mers, voici le vivier sans servitude sillage effile du poeme phosphorescent, et le mime fantomatique du poeme inactuel — encore a distance de rose ou de reine, toute la race du sang devenue plancton de mots — et la plus haute memoire devenue cecite" vague; pierre a musique de la face des morts — frayere fremis-sante du songe et de la souvenance; malemer, quel schisme du silence a creuse ta babel d'eau — negation a quels eloges prophetiques ? [16) assises du silence sur le basalte et le granit — et sur les sinai's noirs de tes montagnes sans revelation, le vent n'a point de sifflement dans ton herbage — la pluie est sur toi suaire de silence, veille la parole séquestrée dans l'eclair — faussaire de tes silences catégoriques, tu l'entendras draguer tes étoiles gisantes, tes soleils tout démaillés — la haute mer lui portera ferveur, pleureuse de la peine anonyme — la nuit lui est remise á large brassée aměre, chanteuse encore mal assurée — et c'est toi socle et cothur-ne inspire, fermentation de la parole en bulles vives — roses hautu-riěres et blanches pour une reine aveugle. * * * Densité Qui done avant nous a fait vceu au large de la nuit — sans route ni courant vers le bruissement de l'aube ? qui done a fait vceu d'enfance et d'images — par la mer portante ? vceu de risque et de plenitude — par la mer submergeante ? 6R,\