Jean Richepin Sonnet ivre Pourtant, quand on est las de se crever les yeux, De se creuser le front, de se fouiller le ventre, Sans trouver de raison à rien, lorsque l’on rentre Fourbu d’avoir plané dans le vide des cieux, Il faut bien oublier les désirs anxieux, Les espoirs avortés, et dormir dans son antre Comme une bête, ou boire à plus soif comme un chantre, Sans penser. Soûlons-nous, buveurs silencieux! Oh! les doux opiums, l’abrutissante extase! Bitter, grenat brûlé, vermouth, claire topaze, Absinthe, lait troublé d’émeraude... Versez! Versez, ne cherchons plus les effets ni les causes! Les gueules du couchant dans nos coeurs terrassés Vomissent de l’absinthe entre leurs lèvres roses. Sonnet morne Il pleut et le vent vient du nord. Tout coule. Le firmament crève. Un bon temps pour noyer son rêve Dans l’océan noir de la mort! Noyons-le. C’est un chien qui mord. Houp! lourde pierre et corde brève! Et nous aurons enfin la trêve, Le sommeil sans voeu ni remord. Mais on est lâche; on se décide À retarder le suicide; On lit; on bâille; on fait des vers; On écoute, en buvant des litres, La pluie avec ses ongles verts Battre la charge sur les vitres.