Gérard de Nerval Fantaisie II est un air, pour qui je donnerais Tout Rossini, tout Mozart et tout Wèbre, Un air très vieux, languissant et funèbre, Qui pour moi seul a des charmes secrets. Or, chaque fois que je viens à l'entendre, De deux cents ans mon âme rajeunit... C'est sous Louis XIII — et je crois voir s'étendre Un coteau vert, que le couchant jaunit; Puis un château de brique à coins de pierre, Aux vitraux peints de rougeâtres couleurs, Ceint de grands parcs, avec une rivière Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs. Puis une dame, à sa haute fenêtre, Blonde aux yeux noirs, en son costume ancien Que dans une autre existence peut-être J'ai déjà vue et dont je me souviens! Charles Baudelaire Quand le ciel bas et lourd Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l'horizon embrassant tout le cercle Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits; Quand la terre est changée en un cachot humide, Où l'Espérance, comme une chauve-souris, S'en va battant les murs de son aile timide Et se cognant la tête à des plafonds pourris; Quand la pluie, étalant ses immenses traînées, D'une vaste prison imite les barreaux, Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux, Des cloches tout à coup sautent avec furie Et lancent vers le ciel un affreux hurlement, Ainsi que des esprits errants et sans patrie Qui se mettent à geindre opiniâtrement. — Et de longs corbillards, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir, Vaincu, pleure et l'Angoisse atroce, despotique, Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. La Mort des amants Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères, Des divans profonds comme des tombeaux, Et d'étranges fleurs sur des étagères, Écloses pour nous sous des cieux plus beaux. Usant à l'envi leurs chaleurs dernières, Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux, Qui réfléchiront leurs doubles lumières Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux. Un soir fait de rose et de bleu mystique, Nous échangerons un éclair unique, Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux; Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes, Viendra ranimer, fidèle et joyeux, Les miroirs ternis et les flammes mortes. Charles d’Orléans Le Printemps Le Temps a laissé son manteau De vent, de froidure et de pluie, Et s’est vêtu de broderie, De soleil luisant, clair et beau. Il n’y a bête ni oiseau Qu’en son jargon ne chante ou crie : « Le Temps a laissé son manteau De Vent, de froidure et de pluie ». Rivière, fontaine et ruisseau Portent en livrée jolie Gouttes d’argent d’orfèvrerie ; Chacun s’habille de nouveau : Le Temps a laissé son manteau. L’hôtellerie L’hôtellerie de Pensée ; Pleine de venants et allants Soucis, soient petits ou grands, A chacun est abandonnée. Elle n’est à nul refusée Mais prête pour tous les passants, L’hôtellerie de Pensée, Pleine de venants et allants. Plaisance chèrement aimée S’y loge souvent, mais nuisants Lui sont Ennuis gros et puissants ; Quand ils la tiennent empêchée L’hotellerie de Pensée.