FJIA005 — Introduction á la civilisation francaise II.b.) Institutions politiques — Document Population-Problemes ethniques PAGES RÉALISÉES PAR TŘATJQOIŠ■^^■^■^^'ejgÍllEŠ^AŇQUETíL Deux ans aprěs les erneutes de 2005, la République est toujours en panne ďintégration desjeunes des cités. Les menaces ďexplosion s'accumulent Banlieues: état ďurgence par Robert Castel Discrimination negative Deux ans déjá. A ľautomne 2005, les banlieues francaises furent le theatre ďémeutes urbaines. En dépit de cet électrochoc national, rien n'a vraiment change dans les banlieues. Les jeunes "issus de ľimmigration" y sont toujours « assignés á residence », tels des « étrangers de ľintérieur ». Les jeunes de banlieue accumulent les mémes contre-performances sociales : échecs scolaires, absence ďavenir professionnel, galéres quotidiennes et recours aux combines de ľéconomie souterraine. Ľétiquette tenace de ľinutilité sociale et de la dangerosité leur colle á la peau. La discrimination negative les frappe durement. Etre discriminé négativement, c'est étre assigné á un destin sur la base dune caractéristique que ľon n'a pas choisie, mais que les autres vous renvoient sous la forme ďun stigmate. Leur probléme majeur est celui de la reconnaissance. On refuse une citoyenneté effective á ces jeunes, pauvres, presque toujours ďorigine étrangěre et pourtant pour la majo- 16 • LE NOUVEL OBSERVATEUR rité ďentre eux de nationalité francaise. Ces jeunes des quarters ne sont pas totalement en dehors de la société (la cite n'est pas un ghetto) mais ils ne sont pas non plus dedans, puisqu'ils n'y occupent aucune place reconnue. Leur exil est un exil intérieur qui les conduit á vivre en négatif -en raison de promesses républicaines non tenues - leur rapport aux valeurs qu'est censée incarner la société francaise. Leur situation est paradoxale : ils sont citoyens, inscrits dans le territoire francais, et néanmoins ils subissent un traitement différentiel et discriminant qui les disqualifie. Indigenes de la nation Qu'on ne s'y trompe pas. Les problémes de la périphérie sont aussi les problémes centraux de la société francaise. Braudel montrait déjá que le capitalisme marchand fonctionnait dans une relation asymétrique ďun centre á ses peripheries. Les peripheries aujourďhui vont jusqu'aux plus lointaines frontiéres de ľéconomie-monde, mais s'installent FJIA005 — Introduction á la civilisation francaise II.b.) Institutions politiques — Document Population-Problemes ethniques PAGES RÉALISÉES PAR FRANCOIS ARMANET ET GILLES ANQUETIL aussi au sein des Etats-nations. Les marges sont au coeur de la nation et on pourrait ainsi dire que les banlieues, c'est notre « Sud » á nous. S'y condensent insécurité sociale - taux de chômage extrémement élevé - et, il faut avoir le courage den parier, exacerbation de la question raciale. La République, en contradiction avec ses propres principes, parait incapable ďintégrer ces jeunes Francais qui se vivent comme les indigenes de la nation, comme s'il y avait tou-jours une marque, une trace dune immigration lointaine qui pěše toujours sur eux. Les immigrés italiens ou polo-nais du debut du siěcle dernier se sont integres en une generation. Cela n'a pas toujours été facile, mais la République a su faire son travail. En France, les quartiers dits « sensibles » - ils concernent pres de 5 millions ďhabitants - ont été l'objet depuis le debut des années 1980 dun traitement social continu grace á la « politique de la ville ». II est done faux de dire que ces quartiers ont été laissés totalement á ľabandon. La puissance publique est présente en banlieue sous de multiples formes. II n'y a pas en France de ghettos de type nord-amé-ricain et le périphérique qui sépare Paris de ses banlieues n'est pas une frontiére. Le réve de promotion sociale n'est pas formellement interdit aux jeunes issus de ľimmigration. La France n'est pas une société de castes ou d'apartheid. Mais trop ďespoirs, tels ceux portés par la « marche des beurs pour ľégalité » de 1983, ont été décus. Insécurité sociale Une democratic doit certes assurer l'ordre public et la paix civile, mais aussi l'ordre social. L'Etat mobilise en banlieue I'essentiel de ses pouvoirs régaliens - la police et la justice - pour hitter contre ľinsécurité civile et la délinquance, mais laisse entre parentheses l'autre aspect de ľinsécurité : ľinsécurité sociale. II existe ainsi une tension, une contradiction entre l'affirmation de ľautorité sans faille de l'Etat répressif et son slogan de « tolerance zero », et un laxisme de l'Etat face á la degradation de la condition sociale de categories populaires. Les jeunes des cites sont ainsi les cibles privilégiées de la volonte de l'Etat á manifester son autorite et en méme temps les oubliés de la République sociale. Les erneutes de novembre 2005 ont été une revolte du désespoir. Les émeutiers, qui n'étaient inspires ou guides ni par les gauchistes ni par les islamistes, avaient le sentiment de ne plus avoir de place ni d'avenir dans notre société. II est bien sůr injustifiable de brüler des écoles, mais encore faut-il avoir ľhonnéteté de reconnaitre que ľécole ne rem-plit pas dans ces quartiers le mandát ďégalité qui est le sien. L'échec scolaire entraine ľéchec professionnel. Les jeunes s'insurgent contre les discriminations dont ils sont victimes pour ľemploi ou le logement. C'est déjá un malheur d'etre chômeur, mais pourquoi faut-il que s'y ajoute un sentiment ďinjustice parce que, lors ďun entretien ďembauché, on a été éliminé sur la base de son nom ou de sa couleur de peau ? Le cumul des handicaps rend ainsi explosive la question ethnique et raciale. Ethnicisation A l'automne 2005, la France n'a pas été á feu et á sang. Mais, visiblement, l'avertissement et ce cri de désespoir Directeur ďétudes á l'EHESS, Robert Castel est historien et sociologue. II est l'auteur de nombreux ouvrages dont récemment «les Metamorphoses de la question sociale » (Gallimard), "ľinsécurité sociale" (Seuil). Vient de paraitre : i la Discrimination negative. Citoyens ou indigenes ?" (Seuil/ La République des Idées). collectif n'ont pas été entendus. Le moment de peur passé, on s'est soulagé en se disant qu'au fond la France peut vivre avec quelques explosions urbaines de temps á autre. C'est encore oublier que les marges concernent directement le centre. Pourquoi y a-t-il aujourd'hui une telle Stigmatisation de la religion musulmane alors que 5 millions de musul-mans vivent en France ? Ce soupcon permanent d'isla-misme radical dirigé contre cette communauté, dans un contexte de guerre au terrorisme, empoisonne ľatmosphére et sonne comme une condamnation collective. Les enqué-tes sociologiques montrent pourtant fort bien que plus de 80% des jeunes musulmans ont un rapport assez distant avec leur religion. Leur Stigmatisation globale ne peut qu'accélérer le développement du communautarisme qui mettrait en danger ľunité de la nation. Actuellement, les banlieues ne sont pas encore des territoires ethniques, mais elles s'ethnicisent de plus en plus. Pourtant, on confond problěmes ethniques et problěmes avant tout sociaux. D'ou la tentation pour ces populations stigmatisées de retourner le stigmate, de s'affirmer arabe, noire ou musulmane, á dé-faut de pouvoir étre reconnues comme membres á part en-tiěre de la nation francaise. Force est de constater qu'une dynamique de separation est en train de s'installer et que se creuse progressivement une distance entre ces populations marquees par leur origine ethnique et le reste de la société francaise. Menace de secession La France est devenue un pays pluriculturel et pluri-ethnique. II le sera de plus en plus. II faut apprendre á accepter cette realite. II est done gravissime que la République ne soit plus capable ďintégrer des gens qui ont un heritage culturel different. Le Breton de souche que je suis est re-connaissant á la République. Grace á eile, la Bretagne s'est modernisée tout en restant fidéle á elle-méme. Pourquoi la République ne saurait-elle pas faire, comme eile ľa réussi pour de farouches Bretons, la méme chose pour des gens dont la seule tare serait que leur pere ou leur grand-pěre soient venus des anciennes colonies ? Quand on parle de jeunes de la « troisiěme generation », on en vient ainsi, comme le dit Etienne Balibar, á fabriquer « une catégorie sociale juridiquement et humainement monstrueuse, qui est la condition héréditaire d'immigrant». Immigré une fois, immi-gré toujours, de generation en generation, quelle que soit la nationalité acquise. Cette coagulation de discrimination raciale et de dislocation sociale fait peser sur ľensemble de la société une menace de secession. Ce n'est qu'en restaurant les conditions d'exercice dune pleine citoyenneté politique et sociale que l'on pourra la conjurer. La banlieue ne peut étre abandon-née á elle-méme parce que s'y jouent des défis qui concernent notre avenir commun. II n'y a pas de fatalitě á la derive des banlieues. Depuis une vingtaine ďannées, chercheurs et sociologues ont fait d'innombrables etudes de terrain et tiré á maintes reprises la sonnette d'alarme. Ce ne sont que des diagnostics. Les politiques ont tardé á experimenter des remědes. Le calme actuel est trompeur. Plus que jamais, les banlieues sont le chantier prioritaire. Propos recueillis par GILLES ANQUETIL 11-17 OCTOBRE 2007