Christophe CUSIMANO Eléments construits et non-construits ELEMENTS CONSTRUITS ET NON-CONSTRUITS La grammaire scolaire, qui a tendance à vouloir faire coïncider le plus possible la nature et la fonction syntaxique des éléments, a fini par " produire " une répartition entre les différents compléments : COD, COI, (COS), CC, pour ne citer que ceux-là, qui pose beaucoup plus de problèmes qu’elle n’en résout. Dans ce domaine aussi, la distinction entre les différentes dénominations fait appel à des critères multiples : – formels pour : direct, indirect, second, – sémantiques pour : objet, circonstanciel, essentiel. Pour se convaincre de la difficulté à les distinguer, il suffit de rappeler les définitions confuses, approximatives et, en définitive, inexactes que l’on peut relever dans les manuels, (cf. celui de Nathan) : – le COD suit directement le verbe et il est essentiel à la construction et au sens de la phrase ; il ne peut être ni déplacé ni supprimé. – le COI est un complément essentiel introduit par une préposition " à " ou " de " ; comme le COD, il est difficile de le supprimer ou de le déplacer. – le CC est généralement introduit par une préposition, il peut être supprimé et déplacé ; il est désigné selon sa signification : CC de lieu, de temps... Certes, certains manuels (cf. celui de Retz et de Hachette) mentionnent le problème posé par les verbes qui indiquent un déplacement (aller, venir, etc,..) et pour lesquels le CC " de lieu " a, de fait, des propriétés proches du COI ; certains manuels proposent même de parler, dans ce cas, de " complément indirect de lieu " (7). Mais, il en est peu qui mentionnent les problèmes, pourtant identiques, posés, entre autres, par les CC " de temps ", dans : – il est né en 1950 ou par les CC de " manière " dans : – il se comporte de façon grossière. Le chevauchement entre ces divers compléments reste donc un problème difficile à résoudre si l’on s’en tient aux dénominations traditionnelles ; Le Goffic (1994) essaie cependant de le faire en proposant une distinction du type : – complément indirect essentiel, pour : " je vais à Paris " – circonstant de prédicat, pour : " Paul travaille à Paris " – circonstant de phrase, pour : " hier, j’ai vu Paul " En fait, la linguistique contemporaine a, depuis longtemps, fait voler en éclats ces différentes étiquettes, qui n’ont apparemment comme raison d’être que le seul maintien de celle du COD, si utile pour expliquer les accords du participe passé. L’usage le plus simple serait, pourtant, de distinguer seulement deux types de compléments, ceux introduits par une préposition et ceux qui ne le sont pas. En revanche, il serait essentiel de distinguer ceux qui entrent dans la construction d’un verbe, qu’ils soient ou non prépositionnels, de ceux qui n’y entrent pas. L’approche pronominale (8) apporte, dans ce domaine, des solutions simples et homogènes qui méritent d’être brièvement exposées : Les éléments qui entrent dans la construction verbale, autrement dit, pour reprendre une terminologie classique, ceux qui appartiennent à la rection du verbe, ont des propriétés grammaticales particulières, dont trois qui sont fondamentales et qui vont toujours ensemble : 1. Ils vont pouvoir se réaliser dans au moins deux catégories morphologiques, autrement dit, ils vont toujours avoir une équivalence avec une " proforme " (9) ; celle-ci peut être un pronom clitique, un pronom interrogatif, un pronom indéfini, une forme comme " cela ", " celui-ci " ou " ainsi " : – les enfants sont partis - ils sont partis – j’ai vu les enfants - je les ai vus – il se résigne à rester - il s’y résigne – Pierre est parti à Paris - Pierre est parti où ? – les enfants pensent à partir - les enfants pensent à cela – il lui sourit gentiment - il lui sourit ainsi Ces équivalences montrent que l’élément construit fait partie d’une série de formes possibles, autrement dit qu’il appartient à un paradigme marqué par des traits syntactico-sémantiques que la " proforme " résume. 2. Les éléments construits (10) peuvent recevoir les modalités du verbe ; autrement dit, ils vont pouvoir être interrogés ou entrés dans un contraste de modalités, comme dans : – les garçons, mais pas les filles, pourront partir ce soir – il prendra la voiture, et non le train, pour aller à Paris – il ne prend pas la voiture pour aller là, mais pour aller à Paris – il n’est pas triste parce qu’elle s’en va, mais parce qu’il pleut 3. Les éléments construits peuvent apparaître dans la tournure en " c’est...qui/que ", autrement dit, être focalisés ou " mis en relief " : – c’est toi qui ne mangeras pas ce soir – c’est Paul que je dois voir demain Christophe CUSIMANO Eléments construits et non-construits – c’est à lui seul que je parlerai – c’est le soir que la lumière est belle – c’est parce qu’il danse qu’il est en forme Ces trois propriétés permettent de mieux définir ce que l’on peut entendre par " complémentation " du verbe ; ainsi, la possibilité de conversion entre le lexique et une proforme semble la garantie qu’il y a réellement une construction à analyser et non un " idiomatisme " ou une " locution figée ", comme dans : – prendre la mouche, qui ne peut être proportionnel à : " la prendre " ; idem pour : – cligner des yeux, prendre la porte, avoir faim, faire peur,... Ces éléments " la mouche, des yeux, la porte, faim, peur " devront être, dans ce cas, considérés comme faisant partie du radical verbal, comme formant un grand mot lexical. Ces propriétés permettent également de rendre compte de manière formelle, et non plus seulement en se fondant sur des différences de sens, de ce qui appartient au domaine du verbe, et de ce qui n’y appartient pas. En effet, certains éléments ont parfois l’apparence de compléments de verbe, sans qu’ils le soient ; c’est le cas pour : " naturellement " et " à mon avis " dans les versions " b " : a- il lui a parlé naturellement et b- naturellement, il n’est jamais à l’heure a- il se fiera à mon avis et b- à mon avis, il ne viendra pas Ces éléments, qui apparaissent dans la version " b ", ne sont pas dans la construction du verbe, ils ne répondent à aucune des trois propriétés ; on ne peut ni les nier, ni les interroger, ni les faire apparaître dans le présentatif ; en revanche, ces mêmes éléments, dans la version " a ", sont bien des éléments de la rection verbale. Dans le même ordre d’idée, ces propriétés sont utiles pour distinguer les différentes " propositions subordonnées circonstancielles ", et notamment, les " causales " : celle introduite par " parce que " et celles introduites par " puisque ", " comme ", " vu que ", etc. Ces dernières fournissent, en effet, une " cause " posée, avant toute énonciation, comme étant une cause acceptée ; dans ce cas, elles ne peuvent ni être interrogées, ni être niées, ni même être " mises en relief ", ce qui n’est pas le cas de celle introduite par " parce que " qui, dans ce sens, appartient bien à la rection du verbe. L’ensemble de ces éléments (le " à mon avis ", le " naturellement " des versions " b ", le " puisque ", etc..) qui n’ont aucune des propriétés caractéristiques des éléments régis, sont appelés des " associés " ; ils se définissent selon leur mode d’association à la construction verbale.