Joachim du Bellay Olive L’idée Si notre vie est moins qu’une journée En l’éternel, si l’an qui fait le tour Chasse nos jours sans espoir de retour, Si périssable est toute chose née, Que songes-tu, mon âme emprisonnée ? Pourquoi te plaît l’obscur de notre jour, Si, pour voler en un plus clair séjour, Tu as au dos l’aile bien empennée ? Là est le bien que tout esprit désire, Là le repos où tout le monde aspire, Là est l’amour, là le plaisir encore. Là, ô mon âme, au plus haut ciel guidée, Tu y pourras reconnaître l’Idée, De la beauté, qu’en ce monde j’adore. [Bernardino Daniello Se’l viver nostro è breve oscuro giorno Press’a l’eterno, e pien d’affronti e mali, E più veloci assai che venti o strali Ne vedi ir gli anni e più non far ritorno Alme, che fai? che non ti miri intorno, Sepolta in cieco error tra le mortali Noiose cure? e poit ti son date le ali Da volar a l’eterno alto soggiorno, Scuotile, trista ch’è ben tempo hormai Fuor del visco mondan ch’è si tenace; E le dispiega al ciel per dritta via : Ivi è quel sommo ben ch’ohni huom desia; Ivi’lverro riposo; ivi la pace Ch’indarno tu quagiù cercando vai.] Antiquités de Rome Qui a vu quelquefois un grand chêne asséché… Qui a vu quelquefois un grand chêne asséché, Qui pour son ornement quelque trophée porte, Lever encore au ciel sa vieille tête morte, Dont le pied fermement n’est en terre fiché, Mais qui, dessus le champ plus qu’à demi penché, Montre ses bras tout nus et sa racine torte, Et, sans feuille ombrageux, de son poids se supporte Sur un tronc nouailleux en cent lieux ébranché, Et, bien qu’au premier vent il doive sa ruine Et maint jeune à l’entour ait ferme la racine, Du dévot populaire être seul révéré : Qui tel chêne a pu voir, qu’il imagine encore Comme entre les cités qui plus florissent ore Ce vieil honneur poudreux est le plus honoré. Comme le champ semé… Comme le champ semé en verdure foisonne, De verdure se hausse en tuyau verdissant, Du tuyau se hérisse en épi florissant, D’épi jaunit en grain, que le chaud assaisonne ; Et comme en la saison le rustique moissonne Les ondoyants cheveux du sillon blondissant, Les met d’ordre en javelle, et du blé jaunissant Sur le champ dépouillé mille gerbes façonne : Ainsi de peu à peu crût l’empire romain, Tant qu’il fut dépouillé par la barbare main, Qui ne laissa de lui que ces marques antiques Que chacun va pillant, comme on voit le glaneur, Cheminant pas à pas, recueillir les reliques De ce qui va tombant après le moissonneur. Vision Une louve je vis sous l’antre d’un rocher Allaitant deux bessons : je vis à sa mamelle Mignardement jouer cette couple jumelle, Et d’un col allongé la louve les lécher. Je la vis hors de là sa pâture chercher, Et, courant par les champs, d’une fureur nouvelle Ensanglanter la dent et la patte cruelle Sur les menus troupeaux pour sa soif étancher. Je vis mille veneurs descendre des montagnes Qui bordent d’un côté les lombardes campagnes, Et vis de cent épieux lui donner dans le flanc. Je la vis de son long sur la plaine étendue, Poussant mille sanglots, se vautrer en son sang, Et dessus un vieux tronc la dépouille pendue. Regrets Las ! Où est maintenant… Las ! Où est maintenant ce mépris de Fortune ? Où est ce cœur vainqueur de toute adversité, Cet honnête désir de l’immortalité, Et cette honnête flamme au peuple non commune ? Où sont ces doux plaisirs qu’au soir, sous la nuit brune, Les Muses me donnaient, alors qu’en liberté, Dessus le vert tapis d’un rivage écarté, Je les menais danser aux rayons de la lune ? Maintenant la Fortune est maîtresse de moi, Et mon cœur, qui soulait être maître de soi, Est serf de mille maux et regrets qui m’ennuient. De la postérité je n’ai plus de souci, Cette divine ardeur, je ne l’ai plus aussi, Et le Muses de moi, comme étranges, s’enfuient. Je me ferai savant… « Je me ferai savant en la philosophie, En la mathématique et médecine aussi ; Je me ferai légiste, et, d’un plus haut souci, Apprendrai les secrets de la théologie ; Du luth et du pinceau j’ébatterai ma vie, De l’escrime et du bal ». Je discourais ainsi Et me vantais en moi d’apprendre tout ceci, Quand je changeai la France au séjour d’Italie. O beaux discours humains ! Je suis venu si loin Pour m’enrichir d’ennui, de vieillesse et de soin, Et perdre en voyageant le meilleur de son âge. Ainsi le marinier souvent, pour tout trésor, Rapporte des harengs en lieu de lingots d’or, Ayant fait comme moi un malheureux voyage. Marcher d’un grave pas… Marcher d’un grave pas et d’un grave sourci, Et d’un grave souris à chacun faire fête, Balancer tous ses mots, répondre de la tête, Avec un Messer non ou bien un Messer si ; Entremêler souvent un petit E cosi, Et d’un son Servitor contrefaire l’honnête ; Et, comme si l’on eût sa part en la conquête, Discourir sur Florence, et sur Naples aussi ; Seigneuriser chacun d’un baisement de main, Et, suivant la façon du courtisan romain, Cacher sa pauvreté d’une brave apparence : Voilà de cette cour la plus grande vertu, Dont souvent mal monté, mal sain et mal vêtu, Sans barbe et sans argent, on s’en retourne en France.