André BRETON (1896-1966) 1 Questions : 1) Caractérisez Nadja comme hérone. 2) Quel est le rapport entre Nadja et le ,,je" qui raconte. NADJA J'avais, depuis assez longtemps, cessé de m'entendre avec Nadja. A vrai dire peut-tre ne nous sommesnous jamais entendus, tout au moins sur la manire ďenvisager les choses simples de ľexistence. Elle avait choisi une fois pour toutes de n'en tenir aucun compte, de se désintéresser de ľheure, de ne faire aucune différence entre les propos oiseux qu'il lui arrivait de tenir et les autres qui m'importaient tant, de ne s'inquiéter en rien de mes dispositions passagres et de la plus ou moins grande difficulté que j'avais lui passer ses pires distractions. Elle n'était pas fâchée, je ľai dit, de me narrer sans me faire grâce ďaucun détail les péripéties les plus lamentables de sa vie, de se livrer de-ci de-l quelques coquetteries déplacées, de me réduire attendre, le sourcil trs froncé, qu'elle voult bien passer ďautres exercices, car il n'était bien sr pas question qu'elle devînt naturelle. Que de fois, n'y tenant plus, désespérant de la ramener une conception réelle de sa valeur, je me suis presque enfui, quitte la retrouver le lendemain telle qu'elle savait tre quand elle n'était pas, ellemme, désespérée, me reprocher ma rigueur et lui demander pardon ! A ces déplorables égards, il faut avouer toutefois qu'elle me ménageait de moins en moins, que cela finissait par ne pas aller sans discussions violentes, qu'elle aggravait en leur prtant des causes médiocres qui n'étaient pas. Tout ce qui fait qu'on peut vivre de la vie ďun tre, sans jamais désirer obtenir de lui plus que ce qu'il donne, qu'il est amplement suffisant de le voir bouger ou se tenir immobile, parler ou se taire, veiller ou dormir, de ma part n'existait pas non plus, n'avait jamais existé : ce n'était que trop sr. Il ne pouvait gure en tre autrement, considérer le monde qui était celui de Nadja, et o tout prenait si vite ľapparence de la montée et de la chute. Mais j'en juge a posteriori et je m'aventure en disant qu'il ne pouvait en tre autrement. Quelque envie que j'en ai eue, quelque illusion peut-tre aussi, je n'ai peut-tre pas été la hauteur de ce qu'elle me proposait. Mais que me proposait-elle ? N'importe. Seul ľamour au sens o je ľentends -- mais alors le mystérieux, ľimprobable, ľunique, le confondant et le certain amour -- tel enfin qu'il ne peut tre qu' toute épreuve, et pu permettre ici ľaccomplissement ďun miracle. On est venu, il y a quelques mois, m'apprendre que Nadja était folle. A la suite ďexcentricités auxquelles elle s'était, paraît-il, livrée dans les couloirs de son hôtel, elle avait d tre internée ľasile de Vaucluse.