Sans compassion Il paraît que les histoires des amours risibles sont terminées, dit Milan Kundera à la sortie du troisième livre du recueil appelé Risibles Amours (Třetí sešit směšných lásek) (qui a été publié par la maison d’édition Československý spisovatel en 1968; le premier livre en 1963 et le deuxième livre en 1965). Que nous en soyons heureux puisque les livres insultaient nos sentiments morales[P1] ou également la confiance des femmes émancipées, ou que nous ne le soyons pas puisque, ayant une influence bienfaisante sur nous, leur aspect capricieux nous plaisait en même temps que le plaisir de l’auteur pour l’intrigue [P2] des histoires, nous avouons[P3] probablement tous que – le constat suivant ne présente pas une simple tournure conversationnelle par rapport à la littérature tchèque – le cycle des livres n’était pas obligé d’être terminée [P4] puisqu’il faisait[P5] l’objet d’une inertie liée [P6] au numéro magique de « trois » ou puisque l’auteur fatigué manquait de l’invention dans la matière. Dans ce volume, on y trouve sans doute des nouvelles plus profondes (Que les vieux morts cèdent la place aux jeunes morts, Édouard et Dieu) ainsi que des nouvelles [P7] plus superficielles (une nouvelle lascive Le Banquet et sa suite encore plus légère Le docteur Havel vingt ans plus tard) – et lequel des livres en est différent ? –, cependant le troisième livre me semble plus mûr que l’un[P8] des deux précédents. Quoiqu’on l’ait pu penser, Kundera ne se facilite rien par la détabouisation de la thématique érotique et sexuelle: les lecteurs, agacés ou excités, s’y tenaient comme s’il n’existe[P9] rien de plus profonde derrière cette thématique. Pourtant, il est autant sûr qu’il s’est saisi de ce sujet parce que, entre autres, aucun domaine ne lui convenait mieux pour qui’il ait fait témoignage d’une certaine problématique idéologique. Il y a une continuité de motif [P10] entre les Monologues et les Risibles Amours. Rappelons-nous qu’en principe les vers d’amours[P11] ont servi à critiquer la morale de la société contemporaine déjà dans les Monologues – soit ils comportaient directement ce motif, soit, indirectement, en simplement rimant[P12] des liaisons amoureuses ignorantes d’un « nouveau » catéchisme social hypocrite. Dans les Risibles Amours il n’en est pas autrement, pourtant l’objectif final de l’auteur n’y est pas éthique, comme dans les Monologues, mais ontologique. (Même La Plaisanterie pouvait être identifié[P13] en tant qu'un roman idéologique par excellence.) Ainsi, Kundera s’expose pour la première fois à un reproche éventuel – que ses actions (et il plaide en faveur de l'épique!) ne contiennent pas le sens dans eux-mêmes car elles sont construites pour que l’auteur les charge du poids idéologique divers et en plus ici, dans le troisième livre (Třetí sešit směšných lásek), il en est question dans la plus grande mesure qu’avant. Ces reproches éventuels pourraient en quelque sorte être justifiés uniquement dans le cas où ils refusaient radicalement le type de la prose épique qui compte la réflexion criticiste en tant qu’une composante essentielle et intégrante de sa méthode – cependant par l'intermédiaire de ce constat général, ces réserves manifesteraient très peu de compréhension pour le développement de la prose contemporaine ainsi que – et non moins – de la nature même de Kundera. N’oublions pas en tout cas la question posée: pourquoi la thématique érotique tellement convenait à Kundera et à quoi servait,[P14] si – malgré tout son art de l’invention fabulatrice – il ne continuait pas à s’en tenir voluptueusement mais au contraite la transgressait constamment ? Et avant cette question: est-il vrai que Kundera utilise la thématique érotique simplement en tant qu’une piste d’envol ? La réponse la plus démonstrative se cache dans la façon dont Kundera traite ses jeunes personnages principaux [P15] (ils sont présents dans toutes les nouvelles: ils doivent toujours cajoler une femme aînée et, dans chaque nouvelle, jouer un rôle important). Kundera nous apprend, déjà dans sa nouvelle L'infirmière de mes infirmières (le premier livre des Risibles Amours), ce qu’il entend par la notion jeune: l’âge de moins de trente ans, éventuellement trente trois ans, où la personne n’a pas encore reconnu la réelle, ainsi « petite et misérable », dimension de sa vie. Il détruit la tradition des lecteurs tchèques dont le symbole est le roman de Fráňa Šrámek le Vent d'argent – va-t-il lui[P16] pardonner, le public tchèque ? (Dès qu’il en sera le temps ?) Les jeunes hommes de Kundera, ce sont, en principe, des bêtas enivrés d’une seule propriété possédée – c’est que ce sont la vitalité biologique et la fraîcheur reçues gratuitement; ce sont des exhibitionnistes qui ne sont concentrés que sur eux-mêmes et c’est pourquoi il est tellement facile de les manipuler. Ainsi, Kundera esquisse, en principe, une caricature de l’âge lyrique (pensons à la polémique avec František Hrubín!) en déchirant l’orgueil typique de cet âge en petits morceaux. Également, il s’agit incontestablement de la critique de ses jeunes années – d’ailleurs c’est n’est pas la première fois que l’on rencontre[P17] chez Kundera. Il est vrai que cette circonstance pourrait éclaircir l’incapacité de compassion mais elle est impuissante quant aux explications d’où viennent cette véhémence persévérante et cette aversion mordante pour les avant-trentenaires. Pourquoi, alors ? Bon, parce que la jeunesse représente pour Kundera l’état sans expérience temporelle, à savoir le désaveu provocant du temps. (Et maintenant, c’est à peu près le moment où il aurait commencé l’exposé sur le changement de l’orientation de Kundera de la lyrique vers l’épique.) Selon Kundera, le péché de la jeunesse est dans le fait que la dimension du passé lui reste inconnue ainsi que le sentiment que le temps découle[P18] et que cette incapacité est récompensée par les prières[P19] pour un futur fabuleux ou du moins par l’image d’un futur fabuleux et tout cela signifie l’état d'une certaine apesanteur temporelle. ________________________________ [P1] [P2]lépe: pour tramer l´intrigue [P3]lépe bud. čas [P4]? [P5]musí být kondic. nebo subj. [P6]není zcela jasné, o co jde, lépe např.”supposée suivre le numéro... [P7]celles [P8]chacun [P9]souslednost [P10]buď motifs nebo motivique [P11] [P12]není dost jasné [P13] [P14]-il [P15]lépe: héros [P16]le [P17]en/ la [P18]écoule/ passe [P19]nepřesné, “adoration/ invocation”