Le roman á énigme O Dans ce cadre, aventures et emotions sont minorées, ce qui explique la position d'Hitchcock (Hitchcock-Trufjaut, Ramsay, 1983, p. 59) : « J'ai toujours évité les whodunits car généralement 1'intéret reside seulement dans la partie finale [...]. Vous attendez tranquillement la réponse á la question: qui a tué? Aucune emotion. » De fait, le roman á énigme se construit autour de quelques questions fondamentales (Qui a tué [Whodunit] ? Pourquoi? Comment? Comment le savoir?) qu'il s'agit de presenter et de résoudre a l'aide de regies (voir les regies de S.S. Van Dine) et qui permettent au lecteur ďentrer en concurrence avec 1'enquéteur. Ainsi, ďune certaine facon, le roman á énigme appartient á la grande famille des figurations ďénigmes (depuis les récits cedipiens jusqu'aux devinettes) et des jeux intellectuels. Sa figure emblématique, image récurrente dans les romans, serait le puzzle qu'il s'agit de reconstituer. Conséquemment, 1'enquéteur est une des figures du joueur, comme dans La lete du tigre de Paul Halter, en 1991, oú il declare: «Afin de ne commettre aucune erreur de raisonnement, je vous propose de considérer le probléme ďun oeil neutře, comme s'il s'agissait d'un jeu ďéchecs, les protagonistes étant les pions. » Et le texte peut parfois, comme dans le cas des romans d'Ellery Queen, adresser des défis directs á 1'autre joueur qui est le lecteur. Le roman a énigme se dédouble done, une fois de plus, structurelle-ment: au niveau du crime et de 1'enquéte oú le coupable cache et 1'enquéteur tente de découvrir, et au niveau de 1'écriture et de la lecture oú 1'auteur dissimule et le lecteur tente ďélucider. Cela implique une déontologie minimale que, justement, les sys-těmes de regies élaborés par certains auteurs tentent de formaliser. Ainsi, les deux premieres prescriptions de Van Dine (1928) édic-tent que le lecteur et le detective doivent avoir des chances égales de résoudre le probléme et que 1'auteur n'a pas le droit d'employer, vis-á-vis du lecteur, des ruses et des piéges différents de ceux que le coupable emploie lui-méme vis-á-vis du detective. Cela, bien súr, n'empeche pas les auteurs - pris entre la competition cognitive avec le lecteur et le désir de surprendre celui-ci - de trans-gresser trěs fréquemment ces regies. 1.3 Places et roles du savoir Dans le roman á énigme, le savoir est fondamental puisqu'il est le lieu d'affrontement entre enquéteur et coupable, auteur et lecteur. II est 1'enjeu de leur joute et du plaisir de la lecture. A. Peyronie (1988, O Le roman á énigme p. 129) éerit trés justement que «1'enquéte du detective est le nom que prend dans le roman la distribution de 1'information ». Děs lors, et pour respecter 1'égalité des participants, la mise en texte du savoir doit étre particuliérement travaillée. Cest le savoir (sa distribution, sa dissimulation, ses possibilités de reconstruction) qui organise 1'écriture et la narration. Cela implique une attention aux indices et aux leurres qu'Annie Combes a remarquablement étudiés dans lc cas d'A. Christie {Agatha Christie. L'ecriture du crime, 1989). A sa suite, on peut distinguer trois families d'indices: - les indices jictionnels sont soit matériels (objets, anomalies lies au crime), soit circonstanciels (les hypotheses que le lecteur peut construire ä partir du portrait physique ou psychologique des person-nages) ; - les indices linguistiques sont places dans les dialogues (implicites, lapsus...) ; - les indices scripturaux sont plus accessibles au lecteur qu'au detective : ils sont constitués d'anagrammes, de symétries, de dissemination du signifiant (ainsi dans Le Mysíěre de la chambrejaune, la «large tache de sang» peut renvoyer ä Larsan) ou de renvois intertextuels (telle nouvelle qui renvoie ä La Lettre volée de Poe ou telle situation qui réfěre á une situation identique dans un autre ouvrage). II convient de remarquer que les indices fictionnels, plus accessibles au detective qu'au lecteur, sont sans doute ceux qui vieillissent le plus vite et que les auteurs les plus sophistiqués les délaissent au profit des indices linguistiques ou scripturaux qui nécessitent de la part du lecteur une attention ä la lettre du texte et non ä des savoirs encyclopédi-ques sur les armes, les poisons ou les cendres de cigares, par exemple, comme en possédaient les premiers enquéteurs. Quant aux leurres (ou facons de dissimuler les indices), ils sont multiples: soit par surabondance (la memoire est saturée, on ne sait lequel retemr), soit par la varieté des niveaux convoqués (fictionnel, linguistique ou scriptural), soit par l'emplacement (ä un endroit oú on ne l'attend pas - titre, indications liminaires - ou que Ton estime secondaire ou qui est apte ä dissimuler: dans la bouche d'un personnage sans importance...), soit par 1'indécision (on ne sait si 1'indice appartient ä 1'histoire principále ou ä une histoire secondaire)... Ce jeu sur les indices et les leurres fonctionne, en tout cas, en relation avec un realisme de surface (si bien que chaque element peut étre