- Vous rigolez ou quoi ? Tout le monde a une échelle. Devant tant de désinvolture, j'aurais du compren-dre que je faisais fausse route, que je m'embarquais sur un radeau branlant avec des pirates dégénérés. Au lieu de quoi j'attribuais ces fantaisies ä un sans-géne souvent caractéristique des grands profession-nels. Iis avaient hissé quelques outils sur le toit ainsi qu'un énorme transistor qui, tel un muezzin alcalin, arrosait le quartier de sa puissance sonore. De temps en temps, d'une voix de marchand de cra-vates, l'animateur demandait ä un auditeur qu'il avait en ligne: «Et moi, je suis qui?» Cest alors que lä-haut, sans se concerter ni dévier de leur täche, d'une méme et tonitruante voix, mes deux oiseaux entonnaient«le roi de la radio!». La morsure Le travail n'avancait pas, la radio continuait de me briser les oreilles sans toutefois couvrir les aboie-ments de la meute qui se jetait sur moi děs que je redescendais du toit. Pour rentrer dans la maison tran-quillement, j'avais inventé un stratagěme. Je déposais un tuyau d'arrosage sur les derniers barreaux de 1'échelle et, avant de poser pied ä terre, j'ouvrais la pression et maintenais les fauves ä distance en les aspergeant ä grands jets. Mais un jour, le pistolet s'enraya. En un instant la chienne et ses gigantesques petits se précipitěrent vers moi et m'encerclerent si bien que je ne pouvais ni atteindre la porte ďentrée ni grimper sur 1'échelle. J'essayais de garder mon calme au milieu de ce maelstrom de poils, puis tentais de me défaire des molosses en les écartant du pied. Cest alors que le plus dégénéré de la horde me mordit la cheville. Sans achamement mais avec suffisamment de vigueur pour me poinconner de ses deux incisives. Remonté par la colěre, je m'en pris ä Pedro Kantor. - Bon, maintenant 9a suffit. II va falloir trouver une solution avec ces chiens. 31 - Je suis d'accord avec vous, monsieur Tanner. Vous savez ce qui s'est passe, la? - Un de ces cons m'a mordu. - Ca, je l'ai vu. Mais vous savez pourquoi ? Parce que vous les menacez depuis plusieurs jours avec votre tuyau. Les chiens, c'est comme nous, ils ont besoin de comprendre pourquoi on les punit. Et la, depuis plusieurs jours, je sens que les betes se disent «M. Tanner ne nous aime pas. II veut sans cesse nous arroser. Et pourtant on ne lui a rien fait». Pas plus tard qu'hier j'ai dit a Pierre «Tu vas voir, 9a va mal finir cette histoire de tuyau entre les chiens et M. Tanner ». - Ecoutez, monsieur Kantor, je ne vous demande pas un cours de psychologie canine, mais une solution pour vos animaux. - Mais je viens de vous la donner, monsieur Tanner, la solution: cessez de les arroser. Le voisin Mon plus proche voisin, qui eteit tres M avec mon oncle, m'avait visiblement adopte. Nous 6changions souvent quelques amabilit^s et ii ne manquait pas de me saluer ostensiblement lorsqu'il m'apercevait sur le toit. Pourtant, un samedi matin, il m'aborda d'un air preoccupe. - Ils sont la? - Qui done ? - Les couvreurs. - Non. C'est le week-end. - Ecoutez-moi, monsieur Tanner, je ne veux pas me meler de ce qui ne me regarde pas, mais avec ces gars-la vous allez avoir des ennuis. Ces types ne sont pas du metier, ce sont des drogues. - Comment ca des drogues... - De droles de pistolets, quoi. Ils connaissent rien au boulot. Des que vous avez le dos tourne\ ils arre-tent de travailler, je le vois bien de chez moi. En plus ils ne savent pas marcher sur un toit. A chaque pas ils vous cassent des tuiles. Un toit, ce n'est pas rien, monsieur Tanner. Votre oncle ne les aurait pas 33 m - Je suis d'accord avec vous, monsieur Tanner. Vous savez ce qui s'est passe, la? - Un de ces cons m'a mordu. - Ca, je l'ai vu. Mais vous savez pourquoi ? Parce que vous les menacez depuis plusieurs jours avec votre tuyau. Les chiens, c'est comme nous, ils ont besoin de comprendre pourquoi on les punit. Et la, depuis plusieurs jours, je sens que les betes se disent «M. Tanner ne nous aime pas. II veut sans cesse nous arroser. Et pourtant on ne lui a rien fait». Pas plus tard qu'hier j'ai dit a Pierre «Tu vas voir, qa va mal finir cette histoire de tuyau entre les chiens et M. Tanner ». - Ecoutez, monsieur Kantor, je ne vous demande pas un cours de psychologie canine, mais une solution pour vos animaux. - Mais je viens de vous la donner, monsieur Tanner, la solution: cessez de les arroser. Le voisin Mon plus proche voisin, qui 6tait tres lie" avec mon oncle, m'avait visiblement adopte. Nous echangions souvent quelques amabilit6s et il ne manquait pas de me saluer ostensiblement lorsqu'il m'apercevait sur le toit. Pourtant, un samedi matin, il m'aborda d'un air pr£occupe. - Ils sont la ? - Qui done ? - Les couvreurs. - Non. C'est le week-end. - Ecoutez-moi, monsieur Tanner, je ne veux pas me meler de ce qui ne me regarde pas, mais avec ces gars-la vous allez avoir des ennuis. Ces types ne sont pas du metier, ce sont des drogues. - Comment ca des drogues... - De droles de pistolets, quoi. Ils connaissent rien au boulot. Des que vous avez le dos tourne\ ils arre-tent de travailler, je le vois bien de chez moi. En plus ils ne savent pas marcher sur un toit. A chaque pas ils vous cassent des tuiles. Un toit, ce n'est pas rien, monsieur Tanner. Votre oncle ne les aurait pas 33 gardes cinq minutes. Et leurs chiens qui aboient et leur radio qui hurle, je vous assure, il faut de la patience. - Je suis vraiment desole. Je leur demanderai de baisser le son. - Ca ne les empechera pas de crier toutes les dix minutes! Je sursaute a tous les coups. Non, je crois qu'ils sont cingles. Au fait, vous les avez trouves oil? Je mentis en marmonnant qu'un ami me les avait recommandes. Je mentis une seconde fois en promet-tant a cet homme que toutes ces fantaisies allaient cesser, que j'allais y veiller. Les absences Le chantier se trainait. Certains jours, j'avais l'im-pression de traverser ce que les navigateurs appellent le «pot au noir», cette zone de calme plat ou pas un souffle ne vient rider la surface de la mer. Sur mon toit, rien ne bougeait. Pas la moindre trace de la plus petite activité. On aurait dit que Pedro et Pierre, tels des lézards engourdis par la chaleur, s'etaient dissi-mulés sous les tuiles. Leur inactivité les rendait qua-siment invisibles. De temps á autre, ils revenaient brutalement á la vie, hurlaient «le roi de la radio!» et disparaissaient dans un recoin de la charpente. Á leur lenteur systémique s'ajouterent des absences chro-niques. Les deux oiseaux avaient le don de s'envoler en un clin d'oeil. Ils empilaient, en bas, un plateau de tuiles et le temps que je grimpe la charge sur le toit, ils avaient disparu. Les chiens aussi. Ils n'hesitaient pas á me raconter n'importe quoi pour justifier leur depart précipité. Un chiot avait avalé du poison. La banque leur avait demandé de passer régler un probléme. Ils avaient oublié le controle technique de la camionnette. L'URSSAF voulait re voir avec eux 35