gardes cinq minutes. Et leurs chiens qui aboient et leur radio qui hurle, je vous assure, il faut de la patience. - Je suis vraiment desole. Je leur demanderai de baisser le son. - Ca ne les empechera pas de crier toutes les dix minutes! Je sursaute a tous les coups. Non, je crois qu'ils sont cingles. Au fait, vous les avez trouves ou? Je mentis en marmonnant qu'un ami me les avait recommandes. Je mentis une seconde fois en promet-tant a cet homme que toutes ces fantaisies allaient cesser, que j'allais y veiller. Les absences Le chantier se trainait. Certains jours, j'avais l'im-pression de traverser ce que les navigateurs appellent le «pot au noir», cette zone de calme plat ou pas un souffle ne vient rider la surface de la mer. Sur mon toil, rien ne bougeait. Pas la moindre trace de la plus petite activite. On aurait dit que Pedro et Pierre, tels des lezards engourdis par la chaleur, s'Staient dissi-mules sous les tuiles. Leur inactivite les rendait qua-siment invisibles. De temps a autre, ils revenaient brutalement a la vie, hurlaient«le roi de la radio!» et disparaissaient dans un recoin de la charpente. A leur lenteur systdmique s'ajouterent des absences chro-niques. Les deux oiseaux avaient le don de s'envoler en un clin d'oeil. lis empilaient, en bas, un plateau de tuiles et le temps que je grimpe la charge sur le toit, ils avaient disparu. Les chiens aussi. Ils n'hisitaient pas a me raconter n'importe quoi pour justifier leur depart prdcipite\ Un chiot avait a vale du poison. La banque leur avait demands de passer regler un problems Ils avaient oublie le controle technique de la camionnette. L'URSSAF voulait re voir avec eux 35 leurs declarations. Ä chaque fois c'etait «tellement urgent qu'on n'a meme pas eu le temps de vous pre-venir». On ne peut pas dire qu'ils se donnaient beau-coup de mal pour in venter des pretextes acceptables. lis partaient un soir, me disaient «ä demain» et reve-naient deux jours plus tard accompagnes de la horde sauvage. Un matin, n'y tenant plus, j'appelai Pedro sur son portable: - Vous comptez arriver ä quelle heure ? - Monsieur Tanner, on ne va pas pouvoir venir aujourd'hui, ni demain. Je suis en Touraine en ce moment, avec ma mere qui est tres malade. Je dois m'occuper d'elle. J'entendais aboyer dans le lointain. - Et Pierre? - Pierre? Qu'est-ce que vous voulez qu'il fasse, tout seul, sur un chantier pareil... ? - Qu'il m'aide. - Ne vous en faites pas, monsieur Tanner. Des mon retour, on mettra les bouchees doubles, on rat-trapera le retard. J'etais bien decide ä ne pas me laisser rouler. Je rappelai aussitöt Pedro Kantor. Sur sa ligne fixe, ä Toulouse. Bien evidemment, cet imb6cile decrocha. - Vous etes dejä rentrö ? £a veut dire que votre mere va mieux. - Ecoutez, j'entre ä 1'instant. Les chiens hurlaient. - Vous 6tiez en Touraine, il y a une minute. - Ah pas du tout. On s'est mal compris. Je vous ai dit que je rentrais de Touraine. Que je RENTRAIS, monsieur Tanner. - Arretez de me prendre pour un con, vous voulez? II est dix heures. Si vous n'etes pas la, avec Pierre, avant la fin de la matinee, je depose vos outils devant la porte et j'embauche quelqu'un d'autre. - Vous avez quelqu'un? - Je trouverai. - Vous savez quoi, monsieur Tanner? Sous vos airs gentils, vous etes vraiment dur. 36