Vouvoiement
Ce matin-lá, j'avais rendez-vous avec une entre-prise spécialisée dans la location de bennes de sept metres cubes pour évacuer les gravats. Les sau-vages du toit jetant par-dessus bord, chaque jour, des tombereaux de tuiles cassées, il était temps de nettoyer le sol de la cour. La derniere fois que j'avais eu recours á une compagnie de ce type, j'avais eu affaire á un ours mal élevé, vaguement menacant, maltraitant son employe et grognant des phrases de trois mots. Je m'appretais done á accueil-lir l'un des membres de cette lignée. Mais e'est un prince qui entra. Un homme en costume d'une elegance discrete, au sourire apaisant, á la poignée de main rassurante. Chic, décontracté, il avait un cóté Cary Grant en vacances. II s'adressait en ces termes á son chauffeur:
- Lorsque vous livrerez monsieur, vous prendrez garde á ne pas accrocher l'un des piliers ďentrée avec 1'arriěre de la benne. Je vous dis cela, Robert, mais je sais 1'excellence de votre habileté au volant.
- J'avais remarqué que le portail était assez étroit,
monsieur, mais je pense que cela ne posera aúcun probléme. Nous sommes trěs au-delä des cotes minimales.
- Je vous fais une totale confiance, Robert. En tout cas, s'il y avait le moindre probléme, monsieur Tanner, n'hesitez surtout pas ä nous le faire savoir. Quand souhaitez-vous que nous procédions ä l'en-lěvement ?
J'aurais voulu qu'ils restent lä, qu'ils continuent ä m'enchanter avec leur ton aimable, leur langage chätie, qu'ils m'entretiennent de bennes bascu-lantes, de gravats, de cotes minimales, de n'importe quoi. Leur conversation me faisait l'effet d'un bäume. Au moment oü je les raecompagnais ä leur voiture, les deux hommes se figérent en entendant les voix pathologiques de deux ivrognes hurler, la-haut, «Le roi de la radio!!».
- Ce n'est den... Ca vient du toit... Ce sont les couvreurs.
A peine avais-je fini ma phrase qu'une volée de tuiles, jetées en aveugle, s'abattit dans la cour.
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