Le plafond Les sauvages et moi travaillions chacun a une extremity du toit. Durant la journee nous ne nous parlions pas. Je me contentais de subir leur impossible vacarme. Sous les tuiles, la chaleur dtait acca-blante. La poussiere irritait la gorge, les yeux et la peau. II fallait boire en permanence. Je vidais des litres d'eau pendant que mes comparses, eux, s'hy-drataient a la biere et accumulaient les canettes sur le toit. J'Stais en train de changer de la volige quand j'entendis crier: - Monsieur Tanner, venez voir! Je traversais la toiture et d^couvris Pedro tenant un bout de poutre vermoulue a la main. - On a trouve des termites, regardez! - Ce ne sont pas des termites. II y avait une fuite et le bois a pourri. J'ai fait venir un expert il y a un mois. Visiblement de^u, Kantor tournait et retournait le bout de poutre dans sa main. - Vous etes sur ? - Certain. - N'empeche, on dirait des termites. - Ca n'en est pas. - Pierre et moi on etait surs que c'etaient des termites. - Vous vous trompiez. - Ou bien c'est 1'expert qui vous a mis la tete dans le seau. - Bon, ecoutez, on va pas passer la journee la-dessus. Je vous dis qu'il n'y a pas de termites dans cette maison. Je me glissais sous la charpente. Les poutres pour-ries par l'humidite' et les champignons avaient 6te seizes et prolongees par des pannes neuves sim-plement clouees. C'etait du travail d'amateur, du bricolage de brutes integrates. Je regardais ces reparations consternantes lorsque je d£couvris l'impen-sable: - Monsieur Kantor, c'est quoi 9a? - Quoi? - Ces poutres. Toutes ces poutres que vous avez changees, sur quoi reposent-elles maintenant? Pierre avait rejoint Pedro. lis 6taient debout, h6b6-tes, regardant fixement les chevrons que je leur designais. Solidaires dans la malfac^n, ils ressem-blaient a deux pignons grippes. - Je comprends pas ce que vous voulez dire. - Les poutres, normalement, elles reposent sur le mur de refend. Et la, elles appuient sur quoi ? - Le plafond. - Autrement dit vous faites reposer les tonnes de cette partie du toit sur le plafond de la chambre d'en dessous. 44 45 - Cest ca. - Vous étes fou ou quoi ? Vous vous rendez compte ? Cest ma chambre qui est lá. Vous imagi-nez que je pourrais prendre tout 9a sur la téte ? Lentement, trěs lentement, les «rois de la radio» prenaient la mesure de leur faute. Ils se regardaient, 1'air empétré, cherchant une excuse, une explication, quelque chose qui pourrait justifier 1'inadmissible. Kantor tenta bien un modeste mensonge: - Le plafond, on l'a teste, vous savez. Cest du solide. - Laissez tomber tout le reste, et aidez-moi á consolider 5a avant ce soir. - Comme vous voudrez, monsieur Tanner. N'em-péche, pour ce qui est des termites, vous pourrez pas dire que Pierre et moi on vous aura pas prévenu. Les rois du zinc U y avait bon nombre de retours en zinc sur ce toit. Ce travail demandait une veritable expertise. II fallait plier le m6tal, le decouper avec precision, le decaper et enfin le souder. Pre\oir aussi, aux endroits strategiques, des joints de dilatation. Dans le duo que j'employais, c'etait Pedro Kantor qui etait cense posseder ce savoir-faire. Plus je le regar-dais t6ter ses canettes, se prendre les pieds dans les tuiles, tordre des clous a coups de marteau, scier de travers des madders, plus j'avais des doutes sur ses talents de zingueur. Mes craintes se verifierent le jour ou, «pour changer», il decida de delaisser un peu la charpente pour reparer un retour de chemi-nee. La journee entiere, a mains nues, il batailla contre ce bout de ferraille. Je finis par me r£soudre a lui poser quelques questions. - Vous n'avez pas de plieuse? - Ca sert a rien. Pas besoin. - Comment vous donnez la forme alors ? - A la main et au marteau. - Vous ne decapez pas a l'acide avant de souder? 47