- Pas la peine. Attendez, monsieur Tanner, je connais mon boulot. C'est moi qui ai fait l'agence du Credit Lyonnais de 1'avenue... Vous savez celle qui coupe la rue de la Republique.
- Vous soudiez avec un chalumeau « Camping-gaz» la-bas aussi?
- Non, avec un briquet. Pas vrai Pierrot? Au briquet je l'ai fait, le Credit Lyonnais.
Et Pierrot riait. Et Pedro se tordait. Et moi, je regardais tout cela, effondre, decourage, abattu. En m'eloignant, je jetai un dernier regard a la base de ma chemin^e, le grand ceuvre de Kantor. Cela tenait a la fois de la compression de C6sar et du mobile de Calder.
La meteo
J'etais de plus en plus inquiet. Cela faisait des semaines qu'il n'etait pas tombs' une goutte de pluie. Le ciel nous accordait ses graces mais, de toute evidence, le temps allait changer. Chaque matin je consultais le site de Meteo France pour suivre les previsions a cinq jours. La-haut, sur la toiture, la brigade etait bien loin de partager mes preoccupations. Pas de protection, pas la moindre bache, rien.
- Avec un temps pareil, vous pouvez Stre tran-quille.
Je l'etais d'autant moins que ce lundi-la Meteo France 6mit un bulletin special annoncant de gros orages et une tempete sur Toulouse pour l'apres-midi du vendredi.
- Cette fois c'est serieux. II faut absolument que vous apportiez les baches avant la fin de la semaine et surtout que les chenaux en zinc soient terminus. Sinon, toute cette partie du toit se videra dans la maison.
- Qu'est-ce que vous etes anxieux, monsieur
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L' attente
Tanner. C'est ce que je disais a Pedro hier: M. Tanner il est toujours tendu.
- Quand je lis ce qu'annonce la meteo et que je vois l'etat du toit, il y a de quoi.
- Mais la pluie c'est que pour vendredi. Et puis, la meteo, c'est que des trompettes. lis predisent le temps en se mettant un doigt dans le cul. Moi je vous dis que, si ca se trouve, il fera meme pas une goutte, vendredi.
La radio hurlait a deux pas de nous, Pedro soudait comme il pouvait, Pierre, fier de sa derniere replique, apres m'avoir toise' avec assurance et mepris, etait retourne" vers son tas de tuiles. Dans le transistor, l'animateur demanda « Et moi je suis qui ? ».
Je vecus cette semaine dans la plus grande inquietude. Pedro s'empetrait chaque jour davantage dans ses plaques de zinc. Le resultat etait catastrophique. Tout etait tordu, de guingois. On aurait pu glisser une main entre chaque point de soudure. Points qui, d'ailleurs, lachaient, a la moindre pression. Lorsque, devant Pedro, je dressais le constat de toutes ces carences, il se contentait de me repondre que tout cela n'etait pas fini, qu'il positionnait juste les pieces et qu'une fois qu'il aurait termine, tout serait parfait. Je n'avais plus d'autre choix que de le croire, d'esperer en une sorte de miracle. Cependant quelque chose avait change dans 1'attitude du zin-gueur. II sentait confinement que son vernis de cou-vreur et sa male arrogance n'allaient pas suffire pour affronter les echeances qui nous attendaient. Je devinais chez lui les premices d'une peur animale. Et cela me terrifiait. Tous les jours je scrutais les bulletins de la meteo. A chaque fois, ils r6p6taient la meme chose. La fin du monde etait pour vendredi.
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