- Non, Kantor, rien ne va s'arranger. - Pierre et moi on a pense ä des solutions. - Faites-moi plaisir Kantor, ne pensez pas et faites simplement ce que je vous demande. - Vous étes trop tendu, monsieur Tanner. Vous vous emportez trop facilement pour des choses qui n'en valent pas toujours la peine. - Bonsoir, Kantor. - Monsieur Tanner... - Oui. - Vous ne m'enleverez pas de 1'idée que cette conversation pouvait attendre demain. L'assurance Pierre et Pedro arrivěrent sur le chantier vers onze heures du matin et, comme á leur habitude, láchě-rent leurs chiens dans le jardin. Le ciel était limpide, ďun bleu porteur de promesses et ďespérances. L'esprit des deux zigotos, visiblement lavé des souvenirs de la veille, semblait aussi serein. Aprěs avoir débouché une biěre, ils déployěrent au sol une immense báche bleue qui sortait tout droit de son emballage. M'apercevant dans la cour, Kantor s'approcha: - Cest ce que vous vouliez, non? - Pourquoi vous n'aviez pas la méme hier? - Trop cher. D'ailleurs vous nous de vez cent euros. - Vous voulez dire que pour économiser cent euros vous avez á moitié détruit ma maison ? - Et voilá, ca recommence. Je vous 1'ai déjá dit plusieurs fois. Vous étes une boule de nerfs, monsieur Tanner. Une pile, une vraie pile. Vers treize heures, le travail était termine et la maison totalement á 1'abri. Les zouaves descendi- 59 rent du toit pour dejeuner dans l'herbe, comme a leur habitude. Les voyant tranquillement s'installer pour pique-niquer tandis que, parmi les decombres, je continuais d'ecoper les trombes de la veille, ma colere se reveilla. - Vous avez compris ce que je vous ai dit hier ? - Pedro m'a parle de votre appel, hier soir. Ne vous en faites pas, on a une solution. - C'est quoi la solution ? - He" ben, Pedro et moi on va finir tranquillement le toit et ensuite on va reparer les degats en dessous. - Vous etes platrier, maintenant? - Vous savez, le platre, c'est pas sorcier. - Pierre, soyez gentil, ramassez vos canettes de biere, rassemblez votre meute et degagez d'ici. - J'avais dit a Pierre que vous n'accepteriez pas, intervint Pedro. J'ai fini par vous connaitre, moi, monsieur Tanner. Vous etes tStu et tendu. C'est 9a, tetu et tendu. - Pierre, donnez-moi les coordonn6es de votre assurance et oublions cette histoire. Tous les d6gats seront pris en charge et au moins le chantier sera fait par des professionnels. - Ben, justement, c'est pas evident. - Qu'est-ce qui n'est pas evident? - Que les degats soient pris en charge par des professionnels. - Etpourquoi 9a? - Ben parce qu'on n'a pas d'assurance, monsieur Tanner. - Vous n'avez pas d'assurance? Vous §tes cou-vreur et vous n'avez pas d'assurance ? - C'est une idee de Pedro. II dit que 9a seit ä rien les assurances, que c'est toujours trop eher pour ce que 9a rapporte. Une seconde fois, le ciel me tomba sur la tete. Je me passais les mains sur le visage, lissais mes pau-pieres et dans un dernier souffle, marmonnais: - Foutez le camp d'ici. lis plierent lentement bagage, comme des vacancies ä la fin d'un conge. Pierre s'occupa de regrou-per leurs rares outils et les chiens, tandis que Pedro grimpa sur le toit pour redescendre la radio. lis roderent un moment, mal ä l'aise, autour de la camionnette puis s'avancerent vers moi avec un air ä la fois contrit et sournois. - ... Voilä, monsieur Tanner... On a tout range... On voulait vous dire... - Quoi? - Ben voilä... C'est au sujet de la bäche. - Quelle bäche ? - Celle du toit, la nouvelle qu'on vient de mettre. - Oui et alors ? - Elle nous a coüte cent euros. - Je sais, vous me l'avez dejä dit. - Pedro avait compris que vous alliez nous la rembourser. - Ecoutez-moi tous les deux. Je me demande par-fois si vous etes vicieux ou simplement cingles. - Attention, monsieur Tanner, restez poli. Nous, on ne vous a pas insults. Alors du calme. Dans cette affaire, maintenant, on y est de notre poche. Alors faudrait voir ä nous rembourser nos cent euros. C'est tout. 60 61 Je n'eus qu'ä soulever ma pelle en hurlant pour qu'ils comprennent que les negociations etaient ter-minees. Une fois enferme dans la camionnette, Kantor abaissa sa vitre: - Vous n'auriez pas dü faire 9a. On reviendra. Mefiez-vous, monsieur Tanner, vous savez pas qui on est, nous. Kantor d6marra en faisant crier les pneus et j'en-tendis le choc mat des chiens qui s'6crasaient contre la töle des portes ä l'arriere. Les professionnels Lorsque je traversais les pieces du rez-de-chaus-see, j'avais le sentiment de fouler les plants d'une riziere apres la mousson. Le toit, pour sa part, sem-blait avoir 6t6 la cible d'un bombardement aenen. J'avais hente" d'une maison ancienne. Apres plus d'un mois de chantier, je me retrouvais proprietaire d'une ruine. Ce matin-la je me souviens d'avoir songe a rendre visite a «Automatiquement» pour lui proposer de racheter mon ancienne maison. La, tout de suite, sans explication et a n'importe quel prix. J'etais pret a m'endetter sur des siecles et des siecles pour fuir a jamais cet enfer ruisselant, ces decombres flottants, ce pay sage de bataille navale, ce cimetiere marin. Je voulais redevenir ce que j'Stais avant la lettre du facteur et le coryza du notaire: un banal hypocondriaque, un utilisateur occasionnel de Temesta, un honnete contribuable mensualise\ un modeste documentariste animalier. Assis dans un fauteuil du salon, le visage entre les mains, j'entendais, ca et la, le goutte-a-goutte phil-harmonique et obsedant des dernieres poches d'eau 63