qui se vidaient á 1'étage. Des panneaux entiers de plafond, seulement retenus par quelques lattis de bois, pendaient dans le vide. Et dire qu'il aurait suffi de cent euros pour éviter tous ces dégáts. Sou-dain Sandře et Kantor m'apparurent pour ce qu'ils étaient: des barbares, des cavaliers annonciateurs de petites apocalypses, faisant cuire des tranches de foie frais sous leurs selles, nourrissant leur meute avec les abats de leurs clients, écumant les chantiers les uns aprěs les autres, pratiquant la politique de la terre brúlée, pillards de la tuile, braillards de char-pentes, soudards dézingués, termites du patrimoine. Cette paire-lá était bien plus dévastatrice que tous les parasites de la creation. Elle s'attaquait non seulement au bois, mais aussi aux métaux, aux murs, jusqu'aux fondations qu'elle parvenait á miner ďune maniěre ou d'une autre. Sandře et Kantor. Deux Huns. On devrait afficher leurs photos sur tous les chantiers, á 1'entrée de tous les magasins de bricolage et de location d'outils, chez les mar-chands de matériaux, les organismes de prét, les promoteurs, les banques, les vétérinaires, les commissariats de police et les gendarmeries. II fallait les baguer, surveiller chacun de leurs faits et gestes, les assigner á residence, leur supprimer le droit ďétablir des devis, ďexercer, bien súr, ďélever des chiens et, surtout, ďécouter la radio. Urgence II ne me restait plus alors qu'a accomplir le geste que font tous les naufragés du bátiment: ouvrir les pages jaunes á la rubrique «couverture», choisir le plus gros encart commencant par « specialisté renovation, interventions en urgence » et attendre, en essayant de rester calme, les secours. lis arrivěrent en debut ďaprěs-midi, le lendemain. L'evaluateur, du doux nom de Lindbergh, visita toutes les pieces, monta á 1'étage, grimpa sur le toit, manipula quelques tuiles, tata la charpente, la volige, examina le fatras de zinc, les soudures, puis me dit: - Je suis désolé, mais il faut tout reprendre á zero. Je ne peux méme pas récupérer les plaques de zinc. Elles sont coupées n'importe comment. Je n'ai jamais vu 9a de ma vie. Cest un vrai saccage. - Et les soudures ? - II n'y a pas de soudures. Le zinc a été chauffé, c'est tout. II n'a méme pas été décapé. Tenez, vos ouvriers ont oublié leurs outils lá-haut. lis sont fichus. Regardez, ils sont encore pleins d'eau. Ce n'etaient pas LEURS outils, mais les MIENS. 65 MA scie circulaire, MA scie sauteuse, MA troncon-neuse électrique. Kantor et Sandře avaient pris pour habitude de tout m'emprunter sans rien me deman-der. C'etait comme l'echelle et tout le reste. lis étaient á eux deux une veritable force d'occupation. II leur avait suffi de quelques semaines pour réqui-sitionner ma maison, mes outils, mes finances, une partie de ma vie, et faire de moi une sorte de colla-borateur passif. - Je vous fais passer le devis demain en fin de matinee. - Juste pour le toit et la zinguerie. - J'ai compris. Juste le toit et le zinc. - Pour la suite je verrai plus tard. - Quand les assurances vous auront remboursé. - Cest 9a. Le devis Lindbergh arriva aux alentours de midi. J'eus l'impression qu'il me serra la main comme on pre-sente ses condoleances. II avait 1'air grave et pene-tre. A la facon d'un general de brigade - pieds legerement ecart^s et mains croisees derriere le dos -, il se planta devant la facade qu'il parcourut d'un regard severe. - Ca fait mal de voir une chose pareille. Je savais que cette mise en scene n'avait d'autre but que de me preparer au pire. Et le pire, sorti d'un petit porte-documents plastifie, tenait sur deux feuillets dactylographies tap6s serre. - Bien sur, comme la maison a plus de cinq ans, vous beneTiciez de la TVA a 5,5 %. Je n'ai pas bronche, ni bouge, ni prononce" une parole. J'ai seulement replie" les feuilles en quatre avant de les glisser dans ma poche. - Je vous donne ma reponse ce soir. - Comme vous le verrez, il y a un petit surcoQt pour l'intervention d'urgence, vous comprenez, c'est normal. Je dois sortir mes gars d'un autre chantier 67