Nouveaux amis En l'espace d'une semaine, je refusai deux sedui-sants tournages en Tanzanie et dans les Everglades. L'obsession de mener mon chantier a terme me devorait. Je ne pouvais pas concevoir l'idee de m'ab-senter, ne serait-ce qu'une journee, de laisser l'ou-vrage dans l'6tat ou il 6tait. II fallait avancer, travailler, oeuvrer sans relache. Je vivais sur le tr6sor de guerre que m'avait rapporte la vente de mon ancienne maison. Mais la reserve fondait a vue d'oeil. Je m'occupais desormais des planchers. J'arra-chais les anciens, pla9ais de nouvelles lambourdes et clouais de larges lames bouvetees de sapin blond. Pas de fantaisies a points de Hongrie ni a batons rompus, mais une classique pose a l'anglaise. J'ai-mais cet exercice propre, gratifiant, qui emplissait la piece d'une bonne odeur de sciure fraiche. A la fin de la journee, on pouvait mesurer le travail accompli et arpenter le nouveau territoire conquis sur la mine. Pendant ce temps, dans les pieces voisines, mes « nouveaux amis» s'attelaient a leur tache. lis por- taient des prenoms charmeurs, a l'exotisme tzigane: Chavolo et Dorado, deux colosses ventripotents aux longs cheveux et aux fines moustaches. lis me rap-pelaient les brutes velues qui, jadis, sur les foires, tordaient des barres de fer en poussant des grogne-ments de plantigrades. Chavolo et Dorado refai-saient les plafonds et les cloisons endommagees par l'inondation en posant des plaques de placoplatre. Du «BA13 » comme ils disaient. Entre eux, ils par-laient la plupart du temps une langue qui m'itait totalement inconnue. Lorsque je leur demandai quel etait cet idiome, ils se regarderent un bref instant, puis, sans me repondre, reprirent leur travail. Pour-quoi fallait-il toujours que je me retrouve dans des situations pareilles, face a des gens d'apparence normale, mais qui soudain, inexplicablement, dero-geaient aux principes elementaires de la raison commune ? En soi, cela n'avait aucune importance. Mais, compte tenu du contexte, je redoutais de decouvrir que Chavolo et Dorado n'&aient en fait que l'une des multiples et perverses reincarnations de Sandre et Kantor. 80