des toitures, raille le plombier, vague ratier de la tuyauterie. Dans ces conditions on comprendra done qu'aux yeux de Chavolo et Dorado, bien plus que d'etre russe et incomprehensible, Igor Zeitsev avait 1'irreparable tort d'etre electricien. - II est temps que tout 5a se finisse. - Chavolo, je vous trouve bien severe. - Non, monsieur Tanner. Chavolo a passe l'äge de bosser avec des cingles. - M. Zeitsev vient d'arriver. Comment pouvez-vous affirmer qu'il est timbr6 ? - II n'a qu'ä aller faire un tour dans la piece oü travaille l'electricien et il verra par lui-meme. Plus une photo au mur. L'autre les a toutes arrachees. II a dit que e'etait un peche des filles pareilles. Un type qui pense 9a, forcement, e'est un d6traqu6 du cale-§on. De toute facon les electriciens ce sont tous des d6traqu6s du calecon. Catholique Igor Zeitsev ressemblait parfaitement ä l'idee que l'on pouvait se faire d'un Russe en pleine sante\ Un corps d'athlete, des bras de fer, un visage pou-pin, des yeux bleus et un gros nez charnu au milieu d'un fades dont on subodorait qu'il ne repugnait pas ä la confrontation. Lorsqu'il s'exprimait, Zeitsev 6tait souvent ä la limite de l'intelligible. Voici par exemple le verbatim de l'accrochage qui l'op-posa ä Chavolo: - Pourquoi il a arrache les photos ? - Photos sont peches. Cie mol. Tri mol. Fiam niou sion grav peche. - Qu'est-ce qu'il raconte hein? Qu'est-ce qu'il baragouine Krouchtchev ? - Pas Khrouchtchev. Zeitsev. Toi ekioute jamis. Moi pas aimer phiotiou fiam niou. J'asplique dejä toi. Insoult Diou. - Des femmes nues 9a insulte Dieu, e'est 9a qu'il raconte Vassiliev ? Mais oü il va chercher des trues pareil celui- la? Chavolo, il met des femmes nues oü il veut sur les chantiers, il fait ce qu'il veut sur 93 ses murs, Chavolo, et c'est pas un Rouski de merde qui va venir lui expliquer la vie. - Tiu parrl boucou plakist. Tiu faire mieux de travail. - Oü il a mis les photos Gagarine, hein, oú il les a fourrées nos filles ? - Chierch plou. Sion dans pioubell. Jiété. - Jetées ?! II a jeté les filles ä la poubelle ?! - Quand phiotiou fiam niou insoult diou moi mettre pioubel. Et toi avic si tou continiou. Karla-cho! - Maintenant il menace Chavolo, le pousseur de cable ? Mais Chavolo il va pas se laisser emmerder par un Gorbatchev en soutane. D'abord, ä partir de maintenant, il lui interdit de lui adresser la parole. II veut plus jamais entendre ce putain ďaccent de Rouski sur ce chantier! - Pendant tiou rakont ton histoir avic ta biouch, travail, lioui, avance pas. Le pape Les quelques jours durant lesquels Chavolo et Dorado croiserent Zeitsev furent pour le moins electriques. Je craignais que ces tensions ethniques finissent par d6g£nerer et qu'une bagarre eclate dans la maison. A vrai dire, je ne me souciais guere des blessures que les belligerants pouvaient s'infli-ger. Ce que je redoutais avant tout, c'etaient les dommages collateraux. Les dögäts sur les cloisons refaites ä neuf, les enduits encore frais. On l'aura compris, Zeitsev eltait un catholique for-cene, un catcheur de Dieu. Faire le coup de poing en son nom etait un de ses loisirs preT&es. Zeitsev avait deux idoles: le pape et «padre Piou» comme il disait, en fait le padre Pio, cureton italien, sorte de demi-saint illumine ou quelque chose comme 9a. En fin de soirde, j'avais remarque" que Zeitsev priait sou-vent en travaillant. Aucun son ne sortait de sa bouche, mais ses levres bougeaient ä toute vitesse. Et je le regardais faire. Les mains sur la terre et la tete au ciel. Et moi-meme je croisais les doigts pour que tout cela ne se melange pas, les voies du Seigneur et 95