□J Personnages ArkÉl, rot d'AUemonde Genevieve, mere de Pelléas et de Golaud Pelléas Golaud Méusande Le petit Yniold, fits de Golaud (d'un premier tit) Un médecin Le portier Servantes, pauvres, etc. Pelléas et Méusande ACTE PREMIER SCENE I LA PORTE DU CHATEAU 791 Les servantes, ä Vintérieur: Ouvrez la porte! Ouvrez la porte! Le portier: Qui est lä? Pourquoi venez-vous m'eveiller? Sortez par les petites portes; sortez par les petites portes; il y en a assez !... Une servantě, ä Vintérieur: Nous venons laver le seuil, la porte et le perron; ouvrez done ! ouvrez done! Une autre servantě, ä Vintérieur: II y aura de grands événements 1 Troisiěme servantě, á Vintérieur: II y aura de grandes fětes! Ouvrez víte!... Les servantes : Ouvrez done! ouvrez done! Le portier: Attendez! attendez! Je ne sais pas šije pourrai 1'ou-vrir... Elle ne s'ouvre jamais... Attendez qu'il fasse clair... Premiére servantě : II fait assez clair au dehors; je vois le soleil par les rentes... Le portier: Voici les grandes clefs... Oh! comme ils grincent, les verrous et les serrures... Aidez-moi! aidez-moi!... Les servantes: Nous tirons, nous tirons... Deuxiěme servantě: Elle ne s'ouvrira pas... Premiére servantě : Ah! ah! Elle s'ouvre! eile s'ouvre lentement! Le portier: Comme eile crie! Elle éveillera tout le monde... Deuxiěme servantě, paraissant sur le seuil: Oh! qu'il fait déjá clair au dehors! Premiére servantě : Le soleil se lěve sur la mer! Le portier: Elle est ouverte... Elle est grande ouverte!... Toutes les servantes paraissent sur le seuil et le franchissent. Premiere servantě : Je vais d'abord laver le seuil... Deuxiěme servantě : Nous ne pourrons jamais nettoyer tout ceci. D'autres servantes: Apportez l'eau! apportez l'eau! Le portier: Oui, oui; versez l'eau, versez toute l'eau du deluge; vous n'en viendrez jamais ä bout... 01 3 n Q Q 0> DO n> ig" -5' c 3' Q. 0> n o 3 rt> x rt> ID ID 792 Maurice Maeterlinck Pelleas et Mel1VL'!OE 793 SCENE II UNE FORET On decouvre Melisande au bond d'une fontaine. - Entre Golaud. Golaud: Je ne pourrai plus sortir de cette foret. - Dieu salt J qu'ou cette bete m'a mene. Je croyais cependant l'avoir blesi mort; et voici des traces de sang. Mais maintenant, je l'ai per de vue; je crois que je me suis perdu moi-meme - et mes ch ne me retrouvent plus - je vais revenir sur mes pas... - J'enti pleurer... Oh! oh ! qu'y a-t-il la au bord de l'eau?... Une petite I qui pleure a la fontaine! (II tousse.) - Elle ne m'entend pas. Je vois pas son visage. (II s'appwche et touche Melisande a I'epaule.) P quoi pleures-tu? (Melisande tressaille, se dresse et veut fuir.) - N'a pas peur. Vous n'avez rien a craindre. Pourquoi pleurez-vous, toute seule? Melisande : Ne me touchez pas! ne me touchez pas! Golaud: N'ayez pas peur... Je ne vous ferai pas... Oh! vous | belle! Meijsande: Ne me touchez pas! ou je me jette a l'eau!. Golaud: Je ne vous touche pas... Voyez, je resterai ici, con l'arbre. N'ayez pas peur. Quelqu'un vous a-t-il fait du mal? Melisande: Oh! oui! oui, oui!... Elk sanglote profm Golaud : Qui est-ce qui vous a fait du mal ? Melisande: Tous! tous! Golaud: Quel mal vous a-t-on fait? Meijsande : Je ne veux pas le dire! je ne peux pas le dire ■ Golaud: Voyons; ne pleurez pas ainsi. D'ou venez-vous? Melisande: Je me suis enfuie!... enfuie... Golaud : Oui; mais d'ou vous etes-vous enfuie ? Meijsande: Je suis perdue!... perdue ici... Je ne suis pas d'i Je ne suis pas nee la... Golaud: D'ou etes-vous? Ou etes-vous nee? Meijsande: Oh! oh! loin d'ici... loin... loin... Golaud: Qu'est-ce qui brille ainsi de fond de l'eau? Ieusande : Ou done ? - Ah! e'est la couronne qu'il m'a donnee. est tombee tandis que je pleurals. (Laud : Une couronne ? - Qui est-ce qui vous a donne une cou-ine? - Je vais essayer de la prendre... Ieusande: Non, non; je n'en veux plus! Je prefere mourir tout luite... Jolaud: Je pourrais la retirer facilement. L'eau n'est pas tres Jfonde. IIeusande: Je n'en veux plus! Si vous la retirez, je me jette ä sa Ice!... Colaud: Non, non; je la laisserai lä. Elle semble tres belle. - Y Ml longtemps que vous avez fui? Melisande: Oui... qui etes-vous? Colaud: Je suis le prince Golaud - le petit-fils d'Arkel, le vieux I d'Allemonde... Melisande: Oh! vous avez dejä les cheveux gris... Colaud: Oui; quelques-uns, ici, pres des tempes... Weusande: Et la barbe aussi... Pourquoi me regardez-rous ainsi? Colaud : Je regarde vos yeux. - Vous ne fermez jamais les yeux ? Melisande: Si, si; je les ferme la nuit... Colaud: Pourquoi avez-vous l'air si etonne? Meusande: Vous etes un geant? Colaud: Je suis un homme comme les autres... Meijsande : Pourquoi etes-vous venu ici ? Golaud :Je n'en sais rien moi-meme. Je chassais dans la foret. Je fcursuivais un sanglier. Je me suis trompe de chemin. - Vous avez .in tres jeune. Quel age avez-vous? ■Melisande : Je commence ä avoir froid... IGolaud : Voulez-vous venir avec moi ? t Melisande : Non, non; je reste ici... rGoLAup: Vous ne pouvez pas rester seule. Vous ne pouvez pas Iter ici toute la nuit... Comment vous nommez-vous? Melisande: Melisande. Golaud: Vous ne pouvez pas rester ici, Melisande. Venez avec iloi... MtLiSANDE: Je reste ici... Golaud: Vous aurez peur, toute seule. Toute la nuit..., ce n'est II possible. Melisande, venez, donnez-moi la main... Melisande: Oh! ne me touchez pas!... 794 Maurice Maeterlinck Pelléas et Mělisande 795 Golaud: Ne criez pas... Je ne vous toucherai plus. Mais avec moi. La nuit sera tres noire et tres froide. Venez avec Meusande: Ou allez-vous?... Golaud :Je ne sais pas... Je suis perdu aussi... Ih SO I SCENE III UNE SALLE DANS LE CHATEAU On decouvre Arkel et Genevieve : Void ce qu'il ecrit a son frere Pelleas: « Un l'ai trouvee tout en pleurs au bord d'une fontaine, dans la foret je m'etais perdu. Je ne sais ni son age, ni qui elle est, ni d'oii i vient et je n'ose pas l'interroger, car elle doit avoir eu une | epouvante, et quand on lui demande ce qui lui est arrive, pleiire tout a coup comme un enfant et sanglote si profonden qu'on a peur. Au moment ou je l'ai trouvee pres des sources, I couronne d'or avait glisse de ses cheveux, et etait tombee au [ de l'eau. Elle etait d'ailleurs vetue comme une princesse, bien i ses vetements fussent dechires par les ronces. II y a maintenanl I mois que je l'ai epousee et je n'en sais pas plus qu'au jour de I rencontre. En attendant, mon cher Pelleas, toi que j'aime qu'un frere, bien que nous ne soyons pas nes du meme per attendant, prepare mon retour... Je sais que ma mere me nera volontiers. Mais j'ai peur du roi, notre venerable aieul, | peur d'Arkel, malgre toute sa bonte, car j'ai degu par ce etrange, tous ses projets politiques, et je crains que la beauti Melisande n'excuse pas a ses yeux, si sages, ma folie. S'il co neanmoins a l'accueillir comme il accueillerait sa propre troisieme soir qui suivra cette lettre, allume une lampe au i de la tour qui regarde la mer. Je l'apercevrai du pont de navire; sinon j'irai plus loin et ne reviendrai plus...» Qu'en vous? Arkel: Je n'en dis rien. II a fait ce qu'il devait probable faire. Je suis tres vieux et cependant je n'ai pas encorej instant, en moi-meme; comment voulez-vous que je juge d'autres ont fait? Je ne suis pas loin du tombeau et je ne .1 me juger moi-méme... On se trompe toujours lorsqu'on ne ne pas les yeux pour pardonner ou pour mieux regarder en soi-ne. Cela nous semble étrange; et voilá tout. II a passé l'äge můr il épouse, comme un enfant, une petite fille qu'il trouve pres J'une source... Cela nous semble étrange, parce que nous ne voyons nais que l'envers des destínées... 1'envers méme de la nötre... II lit toujours suivi mes conseils jusqu'ici; j'avais cm le rendre heu-íux en 1'envoyant demander la main de la princesse Ursule... II pouvait pas rester seul, et depuis la mort de sa femme il était •te ďétre seul; et ce manage allait mettre fin ä de longues Uerres et ä de vieilles haines... II ne l'a pas voulu. Qu'il en soit munic il l'a voulu: je ne me suis jamais mis en travers ďune des-l>ée; et il sait mieux que moi son avenir. II n'arrive peut-étre pas Pévénements inutiles... iGeneviěve: II a toujours été si prudent, si grave et si ferme... Si i 'ri.ni Pelléas, je comprendrais... Mais lui... i son áge... Qui va-t-il ptroduire ici? - Une inconnue trouvée le long des routes... Depuis mort de sa femme il ne vivait plus que pour son fils, le petit niold, et s'il allait se remarier, c'etait parce que vous 1'aviez voulu... I maintenant... une petite fille dans la forét... II a tout oublié... -i'allons-nous faire?... Entit Pelléas. TArkel: Qui est-ce qui entre lá? ICeneviěve : Cest Pelléas. II a pleuré. Arkěi. : Est-ce toi, Pelléas? - Viens un peu plus pres que je te voie ns la lumičre... 'Peli-Éas: Grand-pěre, j'ai regu, en méme temps que la lettre de 'an frěre, une autre lettre; une lettre de mon ami Marcellus... II mourir et il m'appelle. II voudrait me voir avant de mourir... 'Arkěi. : Tu voudrais partir avant le retour de ton frěre? - Ton Iii est peut-étre moins malade qu'il ne le croiL.. ^►elléas: Sa lettre est si triste qu'on voit la mort entre les lignes... B dit qu'il sait exactement le jour oú la fin doit venir... II me dit be je puis arriver avant elle si je veux, mais qu'il n'y a plus de Imps á perdre. Le voyage est trěs long et si j'attends le retour de Bolaud, il sera peut-étre trop tard... Arkěl: II faudrait attendre quelque temps cependant... Nous ne ■vons pas ce que ce retour nous prépare. Et d'ailleurs ton pere 796 Maurice Maeterlinck n'est-il pas ici, au-dessus de nous, plus malade peut-etre que ami... Pourras-tu choisir entre le pere et l'ami?... IL Genevieve : Aie soin d'allumer la lampe des ce soir, Pelleas... Iis sortent separen SCENE IV DEVANT LE CHATEAU Entrent Genevieve et Melisan melisande: II fait sombre dans les jardins. Et quelles for quelles forets tout autour des palais!... Genevieve : Oui; cela m'etonnait aussi quand je suis arrivee, \ cela etonne tout le monde. II y a des endroits ou Ton ne voit jan le soleil. Mais Ton s'y fait si vite... II y a longtemps... II y a prill quarante ans que je vis ici... Regardez de l'autre cote, vous an la clarte de la mer... melisande: J'entends du bruit au-dessous de nous... Genevieve : Oui; c'est quelqu'un qui monte vers nous... Ah I fl Pelleas... II semble encore fatigue de vous avoir attendue si lc temps. Melisande: II ne nous a pas vues. Genevieve: Je crois qu'il nous a vues, mais il ne sait ce qu'il i faire... Pelleas, Pelleas, est-ce toi? Pelleas: Oui!... Je venais du cote de la mer... Genevieve : Nous aussi; nous cherchions la clarte. Ici, il peu plus clair qu'ailleurs; et cependant la mer est sombre. Pelleas : Nous aurons une tempete cette nuit. Nous en avor vent., et cependant la mer est si calme ce soir... On s'emh rait sans le savoir et Ton ne reviendrait plus. Melisande: Quelque chose sort du port... Pelleas: II faut que ce soit un grand navire... Les lumier tres hautes, nous le verrons tout a l'heure quand il entrera i bande de clarte... Pelleas et Melisande 797 I Genevieve : Je ne sais si nous pourrons le voir... il y a une brume • la mer... Pelleas: On dirait que la brume s'eleve lentement.. Mi i.isANDF.: Oui; j'apercois, la-bas, une petite lumiere que je I'tiv.iis pas vue... ■Pelleas : C'est un phare; il y en a d'autres que nous ne voyons i encore. I Mm isande: Le navire est dans la lumiere... II est deja bien loin... iPr.lLEAS: C'est un navire etranger. II me semble plus grand que notres... ^MftiJSANDE: C'est le navire qui m'a menee ici!... h.i.kas: II s'eloigne a toutes voiles... If.i.isande: C'est le navire qui m'a menee ici. II a de grandes t... Je le reconnais a ses voiles... II aura mauvaise mer cette nuit... If.i.isande : Pourquoi s'en va-t-il?... On ne le voit presque plus... i i.i peut-etre naufrage... 111 as : La nuit tombe tres vite... Un silence. Hhmevieve: Personne ne parle plus?... Vous n'avez plus rien a I dire?... II est temps de rentrer. Pelleas, montre la route a Meli-le II faut que j'aille voir, un instant, le petit Yniold. Elle sort. On ne voit plus rien sur la mer... jsande : Je vois d'autres lumieres. >: Ce sont les autres phares... Entendez-vous la mer?... i le vent qui s'eleve... Descendons par ici. Voulez-^ous me don-main? IfLiSANDE: 'Voyez, voyez, j'ai les mains pleines de fleurs et de llges. hlleas: Je vous soutiendrai par le bras, le chemin est escarpe et kbit tres sombre... Je pars peut-etre demain... iUSANDE: Oh!... pourquoi partez-vous? lis sortent. 798 Maurice Maeterlinck Pelleas et Meusande 799 ACTE DKL XIFMK m SCENE I UNE FONTAINE DANS LE PARC Entrrnt Pelleas et Melisan Pelleas : Vous ne savez pas oü je vous ai menee ? - Je viens i vent m'asseoir ici, vers midi, lorsqu'il fait trop chaud dans les_ dins. On etouffe, aujourd'hui, meme ä l'ombre des arbres. Melisande: Oh! l'eau est claire... Pelleas: Elle est fraiche comme l'hiver. C'est une vieille font abandonnee. II parait que c'etait une fontaine miraculeuse, - ell ouvrait les yeux des aveugles. - On l'appelle encore la «fontair des aveugles». Melisande: Elle n'ouvre plus les yeux? Pelleas : Depuis que le roi est presque aveugle lui-meme, on vient plus... Melisande: Comme on est seul ici... On n'entend rien. Pelleas: II y a toujours un silence extraordinaire... On entend dormir l'eau... Voulez-vous vous asseoir au bord du bassin marbre? II y a un tilleul que le soleil ne penetre jamais... Meusande : Je vais me coucher sur le marbre. - Je voudrais 1 le fond de l'eau... pelleas: On ne l'a jamais vu. - Elle est peut-etre aussi profond* que la nur. - On ne sail d'ou die vient. - Kilt- vient peut-etre d| centre de la terre... Meusande: Si quelque chose brillait au fond, on le verrait peuM etre... Pelleas: Ne vous penchez pas ainsi... Melisande: Je voudrais toucher l'eau... pelleas: Prenez garde de glisser... Je vais vous tenir la main,J Melisande: Non, non, je voudrais y plonger mes deux mau^H on dirait que mes mains sont malades aujourd'hui... Pelleas: Oh! oh! prenez garde! prenez garde! Melisand Melisande!... - Oh ! votre chevelure!... Melisande, se redressant:]e ne peux pas, je ne peux pas l'atteindre. Pelleas: Vos cheveux ont plonge dans l'eau... Melisande: Oui, oui; ils sont plus longs que mes bras... lis sont plus longs que moi... Un silence. Pelleas : C'est au bord d'une fontaine aussi, qu'il vous a trouvee ? Melisande: Oui... Pelleas : Que vous a-t-il dit ? Melisande: Rien; - je ne me rappelle plus... Pelleas: Etait-il tout pres de vous? Melisande : Oui; il voulait m'embrasser... Pelleas : Et vous ne vouliez pas ? Meusande: Non. Pelleas : Pourquoi ne vouliez-vous pas ? melisande: Oh! oh! j'ai vu passer quelque chose au fond de l'eau... Pelleas : Prenez garde! prenez garde! - Vous allez tomber! -Avec quoi jouez-vous ? Melisande : Avec l'anneau qu'il m'a donne... Pelleas: Prenez garde; vous allez le perdre... Meusande : Non, non, je suis sure de mes mains... Pelleas: Ne jouez pas ainsi, au-dessus d'une eau si profonde... Meusande: Mes mains ne tremblent pas. Pelleas : Comme il brille au soleil! - Ne le jetez pas si haut vers le ciel... Melisande: Oh!... Pelleas: II est tombe? Meusande: II est tombe dans l'eau 1... ' Pelleas: Ou est*l? Melisande: Je ne le vois pas descendre... Pelleas: Je crois que je le vois briller... Melisande: Ou done? Pelleas: La-bas,... la-bas... Melisande: Oh! qu'il est loin de nous!... non, non, ce n'est pas lin.... ce n'est plus lui... II est perdu... II n'y a plus qu'un grand eercle sur l'eau... Qu'allons-nous faire? Qu'allons-nous faire main-tenant?... Pelleas : II ne faut pas s'inquieter ainsi pour une bague. Ce n'est 800 Maurice Maeterlinck PfuJas et Melisande 801 rien... nous la retrouverons peut-etre. Ou bien nous en trouveron une autre... melisande : Non, non; nous ne la retrouverons plus, nous trouverons pas d'autres non plus... Je croyais l'avoir dans les i cependant... J'avais dejä ferme les mains, et eile est tombee tout... Je Tai jetee trop haut, du cöte du soleil... Pelleas: Venez, venez, nous reviendrons un autre jour... veil il est temps. On pourrait nous surprendre... Midi sonnait moment oü l'anneau est tombe... Melisande : Qu'allons-nous dire ä Golaud s'il demande oü U i Pelleas: La verite, la verite, la verite... Iis so SCENE II UN APPARTEMENT DANS LE CHATEAU On decouvre Golaud etendu sur son lit; Melisande est a son ch Golaud : Ah ! ah ! tout va bien, cela ne sera rien. Mais je ne | m'expliquer comment cela s'est passe. Je chassais tranquillen dans la foret. Mon cheval s'est emporte tout a coup, sans A-t-il vu quelque chose d'extraordinaire?... Je venais d'enten sonner les douze coups de midi. Au douzieme coup, il s'effraie suli tement, et court, comme un aveugle fou, contre un arbre. Je f^M plus rien entendu. Je ne sais plus ce qui est arrive. Je suis ton^H et lui doit etre tombe sur moi. Je croyais avoir toute la foret MM poitrine; je croyais que mon cceur etait ecrase. Mais mon cceur ( solide. II parait que ce n'est rien... Melisande : Voulez-vous boire un peu d'eau? Golaud: Merci, merci; je n'ai pas soif. Melisande: Voulez-vous un autre oreiller?... II y a une petite i de sang sur celui-ci. Golaud : Non, non; ce n'est pas la peine. J'ai saigne de la botl tout a l'heure. Je saignerai peut-etre encore... Melisande: Est-ce bien sur?... Vous ne souffrez pas trop? Golaud: Non, non, j'en ai vu bien d'autres. Je suis fait au i au sang... Ce ne sont pas des petits os d'enfant que j'ai autour du cceur, ne t'inquiete pas... Melisande : Fermez les yeux et tächez de dormir. Je resterai ici toute la nuiL.. Golaud : Non, non; je ne veux pas que tu te fatigues ainsi. Je n'ai besoin de rien; je dormirai comme un enfant... Qu'y a-t-il, Melisande ? Pourquoi pleures-tu tout ä coup ?... Melisande, fondant en larmes: Je suis... Je suis souffrante aussi... Golaud: Tu es souffrante?... Qu'as-tu done, Melisande?... Melisande :Je ne sais pas...Je suis malade aussi... Je prefere vous le dire aujourd'hui; seigneur, je ne suis pas heureuse ici... Golaud: Qu'est-il done arrive, Melisande? Qu'est-ce que e'est?... Moi qui ne me doutais de rien... Qu'est-il done arrive?... Quelqu'un t'a fait du mal?... Quelqu'un t'aurait-il offensee? Melisande : Non, non; personne ne m'a fait le moindre mal... Ce n'est pas cela... Maisje ne puis plus vivre ici. Je ne sais pas pour-I quoi... Je voudrais m'en aller, m'en aller!... Je vais mourir si l'on I me laisse ici... Golaud: Mais il est arrive quelque chose? Tu dois me cacher quelque chose?... Dis-moi toute la verite, Melisande... Est-ce le Iroi?... Est-ce ma mere?... Est-ce Pelleas?... Melisande: Non, non; ce n'est pas Pelleas. Ce n'est personne... I Vous ne pouvez pas me comprendre... Golaud: Pourquoi ne comprendrais-je pas?... Si tu ne me dis Irien, que veux-tu que je fasse... Dis-moi tout, etje comprendrai tout. Melisande: Je ne sais pas moi-meme ce que e'est... Si je pouvais I Vous le dire, je vous le dirais... C'est quelque chose qui est plus fort ■ que moi... Golaud : Voyons; sois raisonnable, Melisande. - Que veux-tu que |c fasse? - Tu n'es plus une enfant. - Est-ce moi que tu voudrais |quitter? Melisande: Oh! non, non; ce n'est pas cela... Je voudrais m'en Jlller avec vous... C'est ici, que je ne peux plus vivre... Je sens que |Je ne vivrai plus longtemps... Golaud : Mais il faut une raison cependant. On va te croire folle. |0n va croire ä des reves d'enfant. - Voyons, est-ce Pelleas, peut-||tre? - Je crois qu'il ne te parle pas souvent... Melisande : Si, si; il me parle parfois. II ne m'aime pas, je crois; 1 l'ai vu dans ses yeux... Mais il me parle quand il me rencontre... 802 Maurice Maeterlinck Pelleas et Melisande 803 Golaud : II ne faut pas lui en vouloir. II a toujours ete ainsi. II est un peu etrange. Et maintenant, il est triste; il songe a son ami Marcellus, qui est sur le point de mourir et qu'il ne peut pas aller voir... II changera, il changera, tu verras; il est jeune... melisande: Mais ce n'est pas cela... ce n'est pas cela... Golaud : Qu'est-ce done ? - Ne peux-tu pas te faire a la vie qu'on mene ici ? - II est vrai que ce chateau est tres vieux et tres sombre.. II est tres froid et tres profond. Et tous ceux qui l'habitent sont deja vieux. Et la campagne semble bien triste aussi, avec toutes sei forets, toutes ses vieilles forets sans lumiere. Mais on peut egayer tout cela si Ton veut. Et puis, la joie, on n'en a pas tous les jours; il faut prendre les choses comme elles sont. Mais dis-moi quelque chose; n'imperte quoi; je ferai tout ce que tu voudras... MElisande: Oui, oui; e'est vrai... on ne voit jamais le ciel clair... Je l'ai vu pour la premiere fois ce matin... Golaud: C'est done cela, qui te fait pleurer, ma pauvre Melisande? - Ce n'est done que cela? - Tu pleures de ne pas voir le ciel? - Voyons, voyons, tu n'es plus a l'age oil Ton peut pleurer pour ces choses... Et puis 1'ete n'est-il pas la? Tu vas voir le ciel tous les jours. - Et puis l'annee prochaine... Voyons, donne-moi ta main; donne-moi tes deux petites mains. (II lui prend les mains.) Oh I ecu petites mains que je pourrais ecraser comme des fleurs... -Tiens, ou est l'anneau que je t'avais donne? Melisande: L'anneau? Golaud : Oui; la bague de nos noces, ou est-elle ? Melisande: Je crois...Je crois qu'elle est tombee... Golaud: Tombee? - Ou est-elle tombee? - Tu ne las pas perdue? Melisande : Non, non; elle est tombee... elle doit etre tombee... ! mais je sais ou elle est... Golaud: Ou est-elle? Melisande: Vous savez. la mer?... Golaud: Oui. Melisande: Eh bien, c'est la... II faut que ce soit la... Oui, oui; je me rappelle... J'y suis allee ce maun, ramasser des coquillages pour le petit Yniold... II y en a de tres beaux... Elle a glisse de mon doigt... puis la mer est entree; et j'ai du sortir avant de l'avoir retrouvee. Golaud: Es-tu sure que ce soit la? vous savez bien... la grotte au bord de MELISANDE: Oui, oui; tout ä fait sure... Je Tai sende glisser... puis tout ä coup, le bruit des vagues... Golaud : II faut aller la chercher tout de suite. MEusande: Maintenant? - tout de suite? - dans l'obscurite? Golaud : Oui. J'aimerais mieux avoir perdu tout ce que j'ai plu-töt que d'avoir perdu cette bague. Tu ne sais pas ce que c'est. Tu ne sais pas d'oü elle vient. La mer sera tres haute cette nuit. La mer viendra la prendre avant toi... depeche-toi. II faut aller la chercher tout de suite... MElisande: Je n'ose pas... Je n'ose pas aller seule... Golaud : Vas-y, vas-y avec n'importe qui. Mais il faut y aller tout de suite, entends-tu? - Hite-toi; demande ä Pelleas d'y aller avec toi. Melisande : Pelleas ? - Avec Pelleas ? - Mais Pelleas ne voudra pas... Golaud: Pelleas fera tout ce que tu lui demandes. Je connais Pel-lias mieux que toi. Vas-y, vas-y, häte-toi. Je ne dormirai pas avant d'avoir la bague. Melisande: Je ne suis pas heureusel... EUe sort en pleurant. SCENE III DEVANT UNE GROTTE Entrent Pelleas et Melisande. Pelleas, parlant avec une grande agitation: Oui; c'est ici, nous y sommes. II fait si noir que l'entree de la grotte ne se distingue pas du reste de la nuit... II n'y a pas d'etoiles de ce cote. Attendons que la lune ait dechire ce grand nuage; elle eclairera toute la grotte et alors nous pourrons y entrer sans peril. II y a des endroits dan-gereux et le sender est tres etroit, entre deux lacs dont on n'a pas encore trouve le fond. Je n'ai pas songe a emporter une torche ou une lanteme, mais je pense que la clarte du ciel nous suffira. -Vous n'avez jamais penetre dans cette grotte ? MElisande: Non... PellEas: Entrons-y... II faut pouvoir decrire l'endroit ou vous avez perdu la bague, s'il vous interroge... Elle est tres grande et tres belle. II y a des stalactites qui ressemblent a des plantes et a des 804 Maurice Maeterlinck hommes. Elle est pleine de tenebres bleues. On ne l'a pas encore exploree jusqu'au fond. On y a, parait-il, cache des grands tresors. Vous y verrez les epaves d'anciens naufrages. Mais il ne faut pas s'y engager sans guide. II en est qui ne sont jamais revenus. Moi-meme je n'ose pas aller trop avant. Nous nous arreterons au moment ou nous n'apercevrons plus la clarte de la mer ou du ciel. Quand on y allume une petite lampe, on dirait que la voute est couverte d'etoiles, comme le firmament. Ce sont, dit-on, des fragments de cristal ou de sel qui brillent ainsi dans le rocher. - Voyez, voyez, je crois que le ciel va s'ouvrir... Donnez-moi la main, ne tremblez pas, ne tremblez pas ainsi. II n'y a pas de danger: nous nous arreterons du moment que nous n'apercevrons plus la clarte de la mer... Est-ce le bruit de la grotte qui vous effraie? C'est le bruit de la nuit ou le bruit du silence... Entendez-vous la mer derriere nous? - Elle ne semble pas heureuse cette nuit... Ah! voici la clarte I La lune eclaire largtment I'en tree et une partie des tenebres de la grotte; et Von apercoit, a une certaine profondeur, trois vieux pauvres a cheveux blancs, assis cote a cote, se soutenant I'un Vautre, et endor-mis contre un quartier de roc. Melisande: Ah! Pelleas : Qu'y a-t-il ? Melisande: II y a... II y a... Elle montre les trois pauvres. Pelleas : Oui, oui; je les ai vus aussi... meijsande: Allons-nous-en !... Allons-nous-en !... Pelleas: Oui... Ce sont trois vieux pauvres qui se sont endormis... Une grande famine desole le pays... Pourquoi sont-ils venus dormir ici ?... meusande: Allons-nous en!... Venez, venez... Allons-nous-en!... Pelleas: Prenez garde, ne parlez pas si fort... Ne les eveillons pas... lis dorment encore profondement... Venez. Melisande : Laissez-moi, laissez-moi; je prefere marcher seule... Pelleas: Nous reviendrons un autre jour... lis sortent. 119 Pelleas et Melisande 805 SCENE IV UN APPARTEMENT DANS LE CHATEAU On decouvre Arkel et Pelleas. Arkel : Vous voyez que tout vous retient ici et que tout vous inter-dit ce voyage inutile. On vous a cache jusqu'a ce jour, l'etat de votre pere, mais il est peut-etre sans espoir; cela seul devrait suffire a vous arreter sur le seuil. Mais il y a taut d'autres raisons... Et ce n'est pas a l'heure ou nos ennemis se reveillent et ou le peuple meurt de faim et murmure autour de nous que vous avez le droit de nous abandonner. Et pourquoi ce voyage? Marcellus est mort; et la vie a des devoirs plus graves que la visite d'un tombeau. Vous etes las, dites-vous, de votre vie inactive; mais si l'activite et le devoir se trouvent sur les routes, on les reconnait rarement dans la hate du voyage. II vaut mieux les attendre sur le seuil et les faire entrer au moment ou ils passent; et ils passent tous les jours. Vous ne les avez jamais vus? Je n'y vois presque plus moi-meme, mais je vous apprendrai a voir; et vous les montrerai le jour ou vous voudrez leur faire signe. Mais cependant, ecoutez-moi: si vous croyez que c'est du fond de votre vie que ce voyage est exige, je ne vous inter-dis pas de l'entreprendre, car vous devez savoir, mieux que moi, les evenements que vous devez offrir a votre etre ou a votre destinee. Je vous demanderais seulement d'attendre que nous sachions ce qui doit arriver avant peu... Pelleas: Combien de temps faudra-t-il attendre? Arkel: Quelques semaines; peut-etre quelques jours... Pelleas : J'attendrai... 1 806 Maurice Maeterlinck Pelleas et Melisande 807 ACTE TROISIEME SCENE I UN APPARTEMENT DANS LE CHATEAU On decouvre Pelleas et Melisande. Melisande file sa quenouille au fond de la chambre. Pelleas : Yniold ne revient pas; ou est-il alle ? Melisande : II avait entendu quelque bruit dans le corridor; il est1 alle voir ce que c'est. Pelleas: Melisande... Melisande : Qu'y a-t-il ? Pelleas: Y voyez-vous encore pour travailler?... MEusande :Je travaille aussi bien dans l'obscurite... Pelleas : Je crois que tout le monde dort deja dans le chateau. Golaud ne revient pas de la chasse. Cependant il est tard... II ne souffre plus de sa chute?... Melisande: II a dit qu'il ne souffrait plus. Pelleas: II devrait etre plus prudent; il n'a plus le corps souple comme a vingt ans... Je vois les etoiles par la fenetre et la clarte de la lune sur les arbres. II est tard; il ne reviendra plus. (On frappe a la parte.) Qui est la?... Entrez!... (Le petit Yniold ouvre la parte et entre dans la chambre.) C'est toi qui frappes ainsi?... Ce n'est pas ainsi qu'on frappe aux portes. C'est comme si un malheur venait d'ar-river; regarde, tu as effraye petite-mere. Le petit Yniold: Je n'ai frappe qu'un tout pedt coup... Pelleas: II est tard; petit-pere ne reviendra plus ce soir; il temps de t'aller coucher. Le petit Yniold: Je n'irai pas me coucher avant vous. pelleas: Quoi?... Qu'est-ce que tu dis la? Le petit Yniold: Je dis... pas avant vous... pas avant vous... // Male en sanglots et va se refugier pris de Melisande. Melisande: Qu'y a-t-il, Yniold? Qu'y a-t-il?... pourquoi pleure tout a coup? Yniold, sanglotant: Parce que... Oh! oh! parce que... melisande: Pourquoi?... Pourquoi?... dis-le moi... Yniold: Petite-mere... petite-mere... vous allez partir... MEusande: Mais qu'est-ce qui te prend, Yniold?... Je n'ai jamais songe a partir. Yniold: Si, si; petit-pere est parti... petit-pere ne revient pas, et vous allez partir aussi... Je l'ai vu... je l'ai vu... Melisande: Mais il n'a jamais ete question de cela, Yniold... A quoi done as-tu vu que j'allais partir? Yniold: Je l'ai vu... je l'ai vu... Vous avez dit a mon oncle des choses que je ne pouvais pas entendre... pelleas: II a sommeil... il a reve... Viens ici, Yniold; tu dors deja?... Viens done voir a la fenetre; les cygnes se battent contre les chiens... Yniold, a la fenetre: Oh! oh! lis les chassent les chiens!... lis les chassent!... Oh! oh! l'eau!... les ailes!... les ailes!... lis ont peur... pelleas, revenant pris de Melisande: II a sommeil; il lutte contre le sommeil et ses yeux se ferment... MEusande, chantant a mi-voix en filant: Saint Daniel et Saint Michel... Saint Michel et Saint Raphael.. Yniold, a la fenetre: Oh! oh! petite-mere!... melisande, se levant brusquement: Qu'y a-t-il, Yniold?... Qu'y a-t-il?... yniold: J'ai vu quelque chose a la fenetre... PellEas: Mais il n'y a rien. Je ne vois rien... MElisande: Moi non plus... PellEas: Ou as-tu vu quelque chose? De quel cote?... Yniold: La-bas, la-bas!... Elle n'y est plus... Pelleas : II ne sait plus ce qu'il dit. II aura vu la clarte de la lune sur la foret. II y a souvent d'etranges reflets... ou bien quelque chose aura passe sur la route... ou dans son sommeil. Car voyez, voyez, je crois qu'il s'endort tout a fait... yniold, a la fenetre: Petit-pere est la! petit-pere est la! PellEas, allant a la fenetre: II a raison; Golaud entre dans la cour... Yniold: Petit-pere!... petit-pere!... Je vais a sa rencontre!... II sort en courant. - Un silence. Pelleas: lis moment l'escalier... 808 Maurice Maeterlinck Pelléas et Méusande 809 Entrent Golaud et le petit Yniold qui porte une lampe. Golaud: Vous attendez encore dans l'obscurite? Yniold: J'ai apporté une lumiere, petite-mere, une grand lumiěre!... (II éleve la lampe et regarde Mélisande). Tu as pleuré petit mere? Tu as pleuré?... (II éleve la lampe vers Pelléas et le regarde á son tour.) Vous aussi, vous avez pleuré?... Petit-pěre, regarde, petit-pěre; ils ont pleuré tous les deux... Golaud : Ne kur mets pas ainsi la lumiěre sous les yeux... SCENE II UNE DES TOURS DU CHATEAU. - UN CHEMIN DE RONDE PASSE SOUS UNE FENÉTRE DE LA TOUR Mélisande, á la fenétre, pendant quelle peigne ses cheveux dénoués: Les trois sceurs aveugles, (Esperons encore). Les trois sceurs aveugles, Ont leurs lampes d'or. Montent ä la tour, (Elles, vous et nous). Montent ä la tour, Attendent sept jours. Ah ! dit la premiere, Esperons encore, Ah! dit la premiere, J'entends nos lumieres. Ah ! dit la seconde, (Elles, vous et nous). Ah ! dit la seconde, C'est le roi qui monte. Non, dit la plus sainte, (Esperons encore). Non, dit la plus sainte, Elles se sont eteintes... Enlre Pelléas par le chemin de Pelléas: Holá! Holá! ho! Mélisande : Qui est lá ? Pelléas: Moi, moi et moi!... Que fais-tu lá á la fenétre en chan-tant comme un oiseau qui n'est pas ďici? Méusande: J'arrange mes cheveux pour la nuit... Pelléas: Cest lá ce que je vois sur le mur?... Je croyais que c'était un rayon de lumiěre... Mélisande: J'ai ouvert la fenétre; la nuit me semblait belle... Pelléas: II y a ďinnombrables étoiles; je n'en ai jamais autant vu que ce soir;... mais la lune est encore sur la mer... Ne reste pas dans 1'ombre, Mélisande, penche-toi un peu, que je voie tes cheveux dénoués. Mélisande se penche á la fenétre. Pelléas: Oh ! Mélisande!... oh! tu es belle!... tu es belle ainsi!... penche-toi! penche-toi!... laisse-moi venir plus pres de toi... Mélisande: Je ne puis pas venir plus pres... je me penche tant [ que je peux... Pelléas: Je ne puis montér plus haut... donne-moi du moins ta in.tm ce soir... avant que je m'en aille... Je pars demain... Méusande: Non, non, non... Pelléas: Si, si; je pars, je partirai demain... donne-moi la main, petite main sur les lěvres... Mélisande: Je ne te donne pas ma main si tu pars... Pelléas: Donne, donne... Mélisande: Tu ne partiras pas?... Je vois une rose dans les íněbres... Pelléas: Oú done?... Je ne vois que les branches du saule qui ent le mur... Mélisande : Plus bas, plus bas, dans le jardin; lá-bas, dans le vert Mnbre. Pelléas: Ce n'est pas une rose... J'irai voir tout á 1'heure, mais iinne-moi ta main ďabord; ďabord ta main... IMéusande: Voilá, voilá;... je ne puis me pencher davantage... Pelléas : Mes lěvres ne peuvent pas atteindre ta main... Mélisande : Je ne puis pas me pencher davantage... Je suis sur le Dint de tomber... - Oh ! oh ! mes cheveux descendent de la tour!... 810 Maurice Maeterlinck Pelléas et Méusande 811 Sa chevelure se revulse tout a coup, tandis qu 'elle se penche | et inonde Pelleas. Pelleas: Oh! oh! qu'est-ce que c'est?... Tes cheveux, tes che descendent vers moi!... Toute ta chevelure, Melisande, toute ta \ velure est tombee de la tour!... Je la tiens dans les mains, touche des levres... Je la tiens dans les bras, je la mets autour mon cou... Je n'ouvrirai plus les mains cette nuit... Melisande: Laisse-moi! laisse-moi!... Tu vas me faire tomberL Pelleas: Non, non, non;... Je n'ai jamais vu de cheveux cor les tiens, Melisande!... Vois, vois; ils viennent de si haut et m'ino dent jusqu'au coeur... Ils sont tiedes et doux comme s'ils tomb du ciel!... Je ne vois plus le ciel a travers tes cheveux et leur bell lumiere me cache sa lumiere!... Regarde, regarde done, mes main ne peuvent plus les contenir... Ils me fuient, ils me fuient jusqu'au branches du saule... Ils s'echappent de toutes parts... Ils tressaillen ils s'agitent, ils palpitent dans mes mains comme des oiseaux d'o et ils m'aiment, ils m'aiment mille fois mieux que toi!... Melisande: Laisse-moi, laisse-moi... quelqu'un pourrait ver Pelleas: Non, non, non; je ne te delivre pas cette nuit... Tu i ma prisonniere cette nuit; toute la nuit, toute la nuit... Melisande: Pelleas! Pelleas!... Pelleas: Tu ne t'en iras plus... Je t'embrasse tout entiere en sant tes cheveux, et je ne souffre plus au milieu de leurs fla Entends-tu mes baisers?... Ils s'elevent le long des mille d'or... II faut que chacune d'elles t'en apporte un millier; et retienne autant pour t'embrasser encore quand je n'y serai pill Tu vois, tu vois, je puis ouvrir les mains... Tu vois, j'ai les libres et tu ne peux m'abandonner... Des colombes sortent de la tour et volent autour d'eux dans la Melisande: Qu'y a-t-il, Pelleas? - Qu'esKe qui vole autour moi? pelleas: Ce sont les colombes qui sortent de la tour... Je lo .il effrayees; elles s'envolent... Melisande: Ce sont mes colombes, Pelleas. - Allons-nou laisse-moi; elles ne reviendraient plus... Pelleas: Pourquoi ne reviendraient-elles plus? melisande: Elles se perdront dans l'obscurite... Laisse-moi irlr ver la tete... J'entends un bruit de pas... Laisse-moi! - C'est Golaud!... Je crois que c'est Golaud!... II nous a entendus... Pelleas: Attends! Attends!... Tes cheveux sont meles aux branches... Attends, attends!... II fait noir... Entre Golaud par le chemin de ronde. Golaud: Que faites-vous ici? Pelleas: Ce queje fais ici?... Je... Golaud : Vous etes des enfants... Melisande, ne te penche pas ainsi a la fenetre, tu vas tomber... Vous ne savez pas qu'il est tard? - II est pres de minuit. - Ne jouez pas ainsi dans l'obscurite. - Vous etes des enfants... (Riant nerveusement.) Quels enfants!... Quels enfants!... // sort avec Pelleas. SCÉNE III LES SOUTERRAINS DU CHATEAU Entrent Golaud et Pelleas. Golaud : Prenez garde: par ici, par ici. - Vous n'avez jamais pene-tre dans ces Souterrains? Pelleas: Si, une fois, dans le temps; mais il y a longtemps... Golaud: Iis sont prodigieusement grands; c'est une suite de grottes enormes qui aboutissent, Dieu sait oü. Tout le chateau est bäü sur ces grottes. Sentez-vous l'odeur mortelle qui regne ici? -C'est ce queje voulais vous faire remarquer. Selon moi, eile provient du petit lac souterrain que je vais vous faire voir. Prenez garde; mar-chez devant moi, dans la clarte de ma lanteme. Je vous avertirai lorsque nous y serons. (Iis continuent ä marcher en silence.) He! He! Pelleas! arretez! arretez l - (II le saisit par le bras). Pour Dieu!... Mais ne voyez-vous pas? - Un pas de plus et vous etiez dans le gouffre!... Pelleas: Mais je n'y voyais pas!... La lanterne ne m'eclairait plus... Golaud: J'ai fait un faux pas... mais si je ne vous avais pas retenu par le bras... Eh bien, voici l'eau stagnant*- dont je vous parlais... Sentez-vous l'odeur de mort qui monte? - Allons jusqu'au bout de ce rocher qui surplombe et penchez-vous un peu. Elle viendra vous frapper au visage. 812 Maurice Maeterlinck Pelleas et Melisande 813 Pelleas: Je la sens deja... On dirait une odeur de tombeau. Golaud: Plus loin, plus loin... C'est eile qui, certains jou empoisonne le chateau. Le roi ne veut pas croire qu'elle vient d'ic - II faudrait faire murer la grotte oü se trouve cette eau motte, sentit temps d'ailleurs d'examiner ces Souterrains. Avez-vous reu que ces lezardes dans les murs et les piliers des voütes ? - II y a i un travail cache qu'on ne soupconne pas; et tout le chateau s'e gloutira une de ces nuits, si Ton n'y prend pas garde. Mais qii voulez-vous? personne n'aime ä descendre jusqu'ici... II y d'etranges lezardes dans bien des murs... Oh! voici... sentez-^ l'odeur de mort qui s'eleve? Pelleas: Oui, il y a une odeur de mort qui monte autour nous... Golaud: Penchez-vous; n'ayez pas peur... Je vous tiendrai... do nez-moi... non, non, pas la main... eile pourrait glisser... le bras, I bras... Voyez-vous le gouffre? (Trimble.) - Pelleas? Pelleas?... Pelleas: Oui; je crois que je vois le fond du gouffre... Est