Littérature belge 2015 Le surréalisme (Paul Nougé) -Extraits (2) 1. Pour garder les distances (Paul Nougé) POUR GARDER LES DISTANCES à Monsieur André Breton à Monsieur Pierre Morhange à Monsieur Jean Paulhan Regarder jouer aux échecs, à la balle aux sept arts nous amuse quelque peu, mais l’avènement d’un art nouveau ne nous préoccupe guère. L’art est démobilisé, par ailleurs — il s’agit de vivre. Plutôt la vie, dit la voix d’en face. Mais l’on attendait peu sans doute, après quelques avertissements, que l’aventure fût faite de ces fausses difficultés dont aisément l’on triomphe un peu partout. Ni à vrai dire qu’il s’agirait un jour de triompher. Pour nous ce n’est pas tant que l’on réponde de la vie qui nous touche, ni qu’on la force. Il semble bien plutôt qu’un tel dessein n’aille pas sans quelque certitude où il ne faut pas s’étonner que nous ne trouvions pas à vivre, tant la vie ici, il en est d’elle comme de la mort. On voit qu’ils ne savent pas au juste ce que c’est qu’une défaite, — ni d’ailleurs un triomphe. Nous poursuivons notre promenade, au passage délivrant de nos propres pièges quelques différences. Au commencement, ils n’étaient pas sans nous donner quelque perplexité. Que tout se soit tant éclairci, et nous en éprouvons la déception de deux ou trois réflexions faites trop à l’avance. Ainsi, certaines préoccupations, le cours de l’inquiétude, si l’on ne se garde pourtant d’un souci plus direct de l’avenir, il arrive sans doute qu’on les précède de quelque observation trop juste qu’il sera par la suite délicat de reprendre. Et que l’on songe à la promptitude dévorante de certains esprits, à cette sorte d’indifférence où ils peuvent atteindre, il semble du premier coup… La défiance que nous inspire l’écriture ne laisse pas de se mêler d’une façon curieuse aux sentiments des vertus qu’il lui faut bien reconnaître. Il n’est pas douteux qu’elle ne possède une aptitude singulière à nous maintenir dans cette zone fertile en dangers, en périls renouvelés, la seule où nous puissions espérer de vivre. L’état de guerre sans issue qu’il importe d’entretenir en nous, autour de nous, l’on constate tous les jours de quelle manière elle le peut garantir. La réalité juge de tous côtés. Ce grand malheur ne souffre pas l’allusion. On songe à quelque malentendu supportable, parfait. Nous nous aidons à inventer sur le réel deux ou trois idées efficaces. Mais nous n’imaginons pas que certains nous entendent. Et l’on n’a pas fini de se méprendre. Puisqu’il en est encore temps, permettez-nous de prendre congé. Sans doute reviendrons-nous — ailleurs. (20 mai 1925) Littérature belge 2015 2. Les réponses vivantes (Paul Nougé, dans Histoire de ne pas rire1) Penser un objet ne saurait se borner à engendrer en soi une représentation plus ou moins passive, penser un objet, c’est l’interroger dans ce qu’il a d’essentiel et de spécifique. C’est le remettre en question, avec toute la précision dont l’esprit est capable. C’est en attendre une réponse qui modifie les rapports que cet objet entretient avec le reste de l’univers et avec nous-mêmes, réponse qui l’illumine en même temps qu’elle nous éclaire. 3. La publicité transfigurée2 1 Paul Nougé, Histoire de ne pas rire, Lausanne, éd. L’âge d’homme, p. 257-258. 2 Paul Nougé, Quelques bribes, Bruxelles, éd. Didier Devillez, 1995.