CHAPITRE PREMIEli Lea pieds dc Grand-Mere Antoinette dominaient la cham-bre. I1b étaient lä, tranquilles et sournois eomine deux betes eoucbées, frérníssant ä peine dans Ieurs bol tines no í res, to u j ours préts ä se lever : c'étaient des pieds tneurtris par de longites annees de travail aux cbamps, f Iní qui ouvrait les yeux pour la premiere fois dans la poussiére du matin ne les voyait pas encore, ii ne connaissait pas cneore Ja blessure secrete ä la jaiube, sons le bas de lairoe, la cheville gonflée sons la prison de íacets et de cuir...) des pieds nobles et pieux, (n'allaient»iis pas ä ľéglifte ebaque matin en ľliiver ?) des pieds vivants qui gravaient pour tou jours dana la memo ire de ceux qui les voyaient unc seule fois — ľimage sombre de ľautorilé et de la patience. Né sans bruit par un matin d'biver, Emmanuel écoutait la voix de sa grand-mere. Immense, HOuvcraine, elle semblait diriger le monde de son íauteuíl. (3\e crie pas, de. quoi te plaiiiä-tu done ? Ta mere eat retournée ä la ferme. Tais-Loi jusqu'á ce- qu'elle revienne. Ah ! deja tu es égoiste et mé-ehant, déjä tu me rue ta en eolére !) II appela sa měře. (CTest un bien mauvaia temps pour naitre, nous n'avons jamais été auasi pauvrcs, une saison dure pour toirt le monde, la guerre, la f aim, et puis tu es le seiziěme . . A Elle se plaignait a voix basse, elle égrenaíl un cbapelct gris aceroché ä aa taille. Moi auasi j'ai mes rhumattsmcs, mais personne n'en parle. Moi ausai, je souffre, Et puis, je déteste les nouveanx-nés; des insectes dans La poussiere ! Tu feras coinnie les autres, tu seras ignorant, cruel et amer.., (Tu n'as pas pcnse a tous ces ennuis que tu m'apportes, il faut que je pcnse a tout, ton nora, le bapteme...) II faisait froid dans la maison. Des visages lentouraient, des silhouettes apparaissaieot, II Ies rcgaxdait maia ne lea re-connaissait pas encore. Grand-Mere Antoinette etait si immense qu'il ne la voyuit pas en entier. II avait peur. II diminuait, il se refermait comme un coquillage. (A&aea, dit la vieille fem-me, regarde autoux dc toi, ouvre lcs yeux, je suis la, c'est moi qui commands ici ! Regarde-moi bien, je suis la aeule per-sonne digne de la maison. C'est moi qui habite la chambrc par-fumee, j'ai range lea savons sous le lit...) Noua aurons beau-coup de temps, dit Grand-MeTe, rien ne prcsse pour aujour-d'hui... Sa grand-mere avail une vaste poitrine, il ne voyait paa sea jambes soils Ies jupes lourdess niais il lee imagjnait, batons sees, genoux cruels, de queU vetenients etranges avait-elle enve-loppe son corps frisaonnaiit de froid ? D voulait suspendrc ses poings fragiles a ses genoux, se blottir dans l'antre de sa LaiJlc, (ear il docouvrait quV.Me etait si maigre sous ces inontagnes de linge, ces jupons rugueux, que pour la premiere fois il ne la craignait pas, Ces vetements dc laine le separ«iem encore de ce sein glare qu'elle eerasait de la main d'un geste d'inquietudc ou de defense, car lorsqu'on approcbait son corps etouffe sous la robe severe, on croyait approcber en elle quel que fraicbeur endonnie, ee deair ancien et fier que nul n'avait assouvi — on voulait dormir en elle, comme dans un fleuve chaud, reposer sur son coeur. Mais elle eeartait Emmanuel de ce geste de la main qui, jadis, avait refuse l'amour, puni le desir de rhomm«. —- Mon Dieu, un autre garcon, qu'est-ce que nous aliens de-venir ? Mais elle se rassurait aussitot : "Je snis forte, mon enfant, Tu peux m'abandonner ta vie. Aie confiance en moi." II l'eeoutait, Sa voix le hercah d'un chant monotone, acca-ble, Elle I'enveloppait de son cbale, elle ne le caressait pas, elle le pkmgeait plutot dans ce bain de linges et d'odeurs, II rete-nait sa respiration. Parfois, sans le vomIimt. elle le griffait lege* rement de ses doigts replies, elle le secouait dans le vide, et a nouvcau il appelait sa mere, (Mauvais caracterc, disail-clle avec impatience). II revah du sein de sa mere qui apaiserait sa soil et sa revollc. — Ta mere travailk comme d'habitude, disait Grand-Mere Antoinette. C'est line jouniee conmie Ies a Litres. Tu ne penses qu'a toi. Moi aussi j'ai du travail. Lea nouveaux-nes sont sales., lis me degofitent. Mais tu vois, je suis hounc pour toi, je tc lave, je te soigne, et tu seras le premier a tc rejouir dc ma mo rt.,. r Mais Grand-Mere Antoinette se eroyail immortelle. Toute sa personne triompbante etait immortelle aussi pour Emmanuel qui la rcgardait avee etonnement. "Oh ! Mon enfant, per-sonne ne t'ecoute, tu pleures vainement, tu apprendras vite que tu os seul au monde !'* — Toi aussi, tu auras peur... Lea rayons de soleil entraient par la fenetre. Au loin, le paysage etait confus, inabordable, Emmanuel entendait des voix, des pas, autour de lni. (II trcmblait de froid tandis que sa grand-mere le lav ait, le noyait plutot a plusieurs reprises dans l'eau glacee...) Voila, disait-elle, c'est fini. 11 n'y a rien a , craindre. Je suis la, on s'hahitue a tout, tu verras. Elle souriait. II desirait respecter son silence; il n'osait plus se plaindre car il lui semblait sou dam avoir une longue habitude du froid, de la faim, ct peut-etre meme du desespoir. Dans les draps froids, dans la chambre froide, il a ele rempU d'une etrange patience, soudain. II a »u que cettc misere n'au-rait pas de fin, mais il a consent! a vivre, Dcbout a la fenetre, Grand-Mere s'est ecriee presque joyeuacment : S 9 "Lea voila. Je sens qu'ils montctit 1'escalicr, ecoute leurs voix. Les voila to us, les pelits-enfants, les enfanLs, les cousins, lea nieces, et les neveux, on les croil cnsevelis sous la neige en allant a 1'ecole, on bien morts depiiiH des imnees, iuaia ils sont toujonrs la, sous les tables, sous lcslits, ils me jtucttent de latin, yeux brillants dans ronibre, 11« altrndcnl que je lcur dislri-buc des niorceanx de sucre. 11 y en a toujruirs on on dmix autour de nion fauteuil, de ma cbaise, lorsquc jc nie berce 1c soir ... "Ils ricanent, ils jouent avec les laceU de nics sogliers, 11« me pourstiivent toujour* tie re rieanemcnt stupide, de ce regard suppliant cl liypocrite, jc lea ehasse coinme des mouelies, mais ils revlennent, ils collent a nioi comme line mice de vcrmines, ils nic devorenl.. ." Mais Grand-Mere Antoinette domptail admirablement tou-te eette niaree dVnfants qui grondaient a scs picds. (D'ou vcnaicnuils ? Surgissaienl-ils de 1'ombre, do la nuit ? Ik avaient son odeiir, le son de sa voix, ils rampaicnt aulour ihi lit, ils avaient l'odcur lamiliere de la pauvrete. "Ah ! Assez, dit Grand-Mere Antoinette, jc ne vcux plus vous entendre, sortez Lous, retournez sons les lits.. . Disparais-sez, je ne veux plus vous voir, alt ! quelle odour, Mon Dieti !" Mats elle lcur distribuait avec quclques coups de canne ies morceaux de sucre qu*ila attendaient la bouche ouverte, hale-tanl d'inipatiencc et de faiin, los miettes de chocolat, tons ccs tresors poissenx quYHe avail accnmulcs et qui jaillissaient de scs jupes, de son corsage bautain. '"Eloignez-vous, Eloijrne?;-vous", disait-elle. Elk les chassait d'une main souvcraine (plus tard, il la verrait marchant ainsi au milieu des poules, des lapins et des vaches, semant des maledictions sur son passage ou recueillant quelquc bebe plaintif tombe dans la boue) elle repudiait vers l'cscalier — leur jetant toujours ces morceaux de sucre qu'ila attnappaient an hasard — tout ce deluge d'enfants, d'animaux, 10 qui, plus tard, k nouveau, sortiraient de leur niysterieuse retrai-le et viendraient encore gratter a ]a porte pour mendier a leur grand-mere... * « • Voici sa mere. II la reeonnail. Elle ne vient pas vers lui encore. II pourrait croire qu'elle Ta abandonne. II reconnait son visage triste, ses epaules courbees, Elle ne semble pas »e souvenir de lui avoir donne naisgance, ce matin. Elle a froid. II voit ses mains qui se crispent aulour du scean de lait, (H est la, dit Grand-Merc Antoinette, il a faim, il a pleure tout le jour,) Sa mere est silencieuse, Elle sera toujours silencieuse. Quelques-uns de scs freres rentrent de Tecole et seeouent leurs bottes contre la porte. (Approehez, dit Grand-Mere, mais elle les frappe legerement du bout dc sa caune lorsqulls passent sous la lampe). Au loin le soleil est encore rouge stir la colli-ne. Et Jc Septieme, giravez-vous fait dit Septieme ? Tant que je vivroi vous irez a 1'ecole,,, La taille de sa mere sc gonflc doucement : elle se penebe pour deposer le second seau tie lait. — Qirand je pense qn'ils ont encore perdu le Septieme dans la neige. dit Grand-Mere Antoinette. Le seat! deborde. De pelites gouttcs de lait co.ilent sur le plancber dans les rayons de la lampe. Grand-Mere Antoinette gronde, fait des reproclies, elle gifle parfois line joue nif;iicuse qui s'offre a clJe an passant, — Vous devriez me remercier, ab ! si je n'etais pas la, vous n'iriez jamais a 1'ecole, hein ? — Grand-Merc, dit unc voix d'bomme au fond de la cuisine. 1'ecole n'est pas neeessaire. La voix d'honirne n?est qu'un muriuure. Elle se perd, dis-parait. Debout contre le mur, la tete un peu renversee sur 11 TepauJe, sa mere ecoute en silence. Elle dort peut-etre. Sa robe est ouvcrlc sur un sein pale qui flechit. Sea fib la regar-dent ailenc.ieusement, et eux aussi attendenl que la miit vien* ne sur la coll inc. — Un hiver dur, dit riiomme en sc frolianl les mains, au-dc&8u8 du poele, niais un bon printemps petit-etre . . . II enlevc ses vetemenU trempes dc neige. II les fait seclier sur une chaise, prae du feu. II enleve ses souliers epais, sea ehausscttes. L'odeur dea vctcnicnls mo tulles se repand dana la maison. (II a tout prU du coeur de sa mere, il a bu tout le lait de sa bouche avide rt niaintenanl il feint dc dorniir...) —■ 11 y a aussi les orphelinats, dit la voix de riiomme. — Je prefere le Noviciat, dit Grand-Merc Antoinette, ca ne coute ricu, ct ib sont bicn domptes. — Mais je ne comprends pas pourquoi ib out besoin d'etu-dier, dit le perc, dana aa barbc. Ah [ Les honimes ne comprenneut ricn a ces c:lioses-la, dit Grand-Mere Antoinette en ?oupiranl. Grand-Mere, poursuit la voix dc rhoiiunc. au fond de la cuisine, landis que la flainnic s'eleve lentemcnt du poele let qu'une petite fille a la fenetre regarde avec ennui le soloi! eouchant. lea mains jointea der-riere le dos) Grand-Mere, je connais la vie plus que toi. je aais a quoi se destincnl nics enfants ! — A Dieu, dit Grand-Mere Antoinette. Sa mere le prend dans ses bras. Elle le protege mainlenant de son corps fragile, elle souticnt sa tele ufin qu'il mange et boive en paix, mais la lonjuie silhouette de Grand-Mere veille encore, tout prea, pouisee par quelque devoir etrauge a decon-vrir ce qui se passe dans le secret dc son etre, interronipant parfois le fade repas qu'il prend en songc, (II epube sa mere, il prend tout en elle \ ) Sa mere, elle. nc dit rien, nc repond plus, calme, profonde, deserte, peut-etre, II est la. mais elle 12 lWblie. II ne fait en elle aiienn echo de joic ni de desir. II glisse en elle, il repose sans espoir. Cet enfant volt tout, dit Grand-Mere Antoinette, rien ne lui est cache {Comment l'appellerons-nous ? David, Joseph ?) Trop de Joseph dans lea generations passees. Des hommes fai-blcs ! Lcs Emmanuel ont etc braves, ib ont toujours cultive la terre avec soin. AppelonsAe Emmanuel. Sa mere ecoutait gravement. Elle Wait parfois la tete avec surprise, sa levrc tremblait, elle semblait vouloir dire quel-que chose, maia elle ne disait rien. On I'entendail soupirer, puis tlormir. — Decidona le jour du Bapteme, dil Grand-Mere. Le pere parla d'attendre au printemps. Le printempa est une bonne saison pour les baptemes, dit-il. DJmanche, dit Grand-Mere Antoinette. Et j*irai le faire baptiser moi-menie. La mere inclina la tete : — Ma femme pensc aussi que dimanche fera l'affaire, dil l'hommc. Elle etait assise dans son fauteuil. majestueuse et satbfaite, et l'ombre s'elendait peu ä pen aur la colline, voilait la foret blanche, les champs silencieux. {Vous devriez me remercier dc prendre lea decisions & votre place, disait Grand-Mere Antoinette, dans son fauteuil. J L'homme a'habillait au coin du fen. Grand-Mere Antoinette lui jetait des regards fugitifs a la derobee. Non, je ne fcrai pas un geate pour scrvir ret liommc, pensait-elle. II eroit que j'imiterai ma fille, mais je ne lui apporterai pas le bassin d'eau chaude, lea ve lerne nts prop its. Non, Non, je ne bou-gcrai pas de mon fauteuil. II attend qu'une fenrmc vienne le scrvir. Mais je ne me levcrai pas. (Mais romuait encore sous la pointe de sa bottine, une chose informe qu'elle tentait de repousäer. Mon Dicu, une souria, un ecureuil, il y a quelqu'un sous ma robe...) 13 miere de la June, avec aa robe noire, sou chapeau tie fourrure but le front, see Soulier? boueux a la main. Jean-Le Maigre ae hatait de faire son esamcn de conscience avant que le Diable ne se glisse dans eon lit. II etait mimiit, le surveiliant ronflait deja dans «a cellule, tnais s'ecbappait encore de aa porte un filet de luiuiorv rouge ou se baignaient, comme dans ira etang, des pieds somuauiJuilrs rrraicnl tl'iin lit a rauiro. Ensevelis dans leur raiile chemise etc auil, exhalanl un rlioeur de plaintes. les Luis dormaicnt d'un sonimeil beni. lea mains jointes siir lea draps, le profil droit comme des noyes flofctants sur 1'eau. D'au-tres eveillaient les tentarions en bougeant dans leurs lits, car, comme disait le surveiilant, LORSQUE LES LITS CRAQUENT JE SAIS CE QUI SE PASSE et il avait raison. Jean-Le Maigre lui-iueme, suant "de fievre dans sa chemise de coton, avait en pen de nuits jparcouru tons les lits du dortoir. II se consolait en songeant que Pomme et le Septieme, cux, au nioins, dor-inaienl du sommeil de l'innocence aupres de leur grand-mere. Vu a la lumiére du jour, le Diable n'etait que le Frěre Théodule que Ton reléguait á Hnfirmerie quand il ne donnait pas de cours de Sciences Naturelles á ses classes endonnies. "Vous maigrissez, d i sail 1c Frěre Théodule avec allégresae, lore-que Jean-Le Maigre montait sur la balance, vous^naigrissez de plus en plus." Pieds nus dans le courant d'air, Jean-Le Maigre buvait du lait chaud en eongeant qu'il était temps pour lui ďéerire eon testament au Septieme et de choisir le Leu oil sa grand-mere Fenterrerait. — Du lait chaud, le matin, disait le Frére Théodule, en poaant sa main moite sur l'epaule de Jean-Le Maigre, du lait chaud le soir. Et ne vous mouilkz pas lea pieds. Jean-Le Maigre toussait, crachait du sang, toujoure encourage par le Frěre Théodule qui essuyait les coins de M bou- che avee un mouchoir, ou le rcpardait s'evanouir avec one admiration passionnec. Jean-Le Maigre etait beau, evanoui. II ressemblait a ces jeunes ames que lc Frerc Theodule avait preci-pitees dans la vie eternelle, a un age precoce : Narcisse, niort a treize ans et six mois — Le Frere Paul, decede le jour de son douzieme anniversaire . . . Le Frere Theodule etait jeune et aunail la jeuncsse. Eni*>re epris de la flcur de l'adolescence, il la cueilkvit au passage, quand il avait le temps. Jean-Le Maigre appreciait que le Noviciat fut ce jardin etrange ou poussaient, la comme ailleur6, entremelant leurs tiges, les plantes gracieusos du Vice et de la Vertu. Mainte-nant cloue a eon lit par 1'ordre du docteur et la complice sollicitude du Frerc Theodule: Jean-Le Maigre ecrivait triate-ment sou aivtobiographie ... Des ma naisaance, j'ai eu le front eouronné de poux ! Un poete, s'ecria mon pere, dans un élan de joie — Grand-Mere, un poete ! lis s'approcherent de mon berceau et me con-teniplěrent en silence. Mon regard brillait déjá d'un feu sombre Pt tourmenté. Mes ycux jetaient partout dans la chambrc, des flannues de génie. Qu'il est beaii, dit ma mere, qu'il est graa, et qu'il sent bon ! Quelle jolie bouche ! Quel beau front ! Je báillais de vanité, comme j'en avais le droit. Un front eouronné de poux et baignant dans les ordures ! Triste te.rre ! Ren-trees des champs par la porte de la cuisine, les Muses aux grosses joues mc voi'laient le oicl de leur dos noirci par le soleil. Aie, comme je pleurals, en toucbant ma těte chauve... Je ne peux pas penser á ina vie sans que Pencre coule abondamment de ma plume impatiente. (Tuberculoa Tuber-culorum, quel dentin miserable pour un garcon douč comme toi, oh ! le maigre Jean, toi que les rata ont grignoté par les pieds . ..) 48 49 2 Pivoine est luort Pivoine est mort A table tont le mon de Mais heureu Rcment, Pivoine etait mort la veille et nie cedait la place, tres gentirucnt. Mon i>auvre frere avait ete empörte par l'epi... l'api ... Tapocalypse ... l'epilepsie quoi, quelques heures .avant ma nnissunce, ce qui permit a tout le mondc d'avoir mi boa repaa avec Monsieur le Cure upres lea funerailles. Pivoine retourna ä la terre sans se plaindrc et moi j'en sortis en criant. Mais non seulement je oriaia, mais ma mere criait eile anssi de doulenr, et pour recouvrir nog cris, mon i M pere egorgeait joyeuscment un coclion dans letable ! Quelle journee ! Lc sang coulait en abondance, et dans sa petite boite noire sous la terre, Pivoine (Joscph-Aimc) dormait paisible-ment et no «e souvenait pins de nous. — Un ange de plus dans le eiel, dit Monsieur le Cure. Dieu vous aime pour vous punir conuuc ya ! Ma mere hoeba la tete : — Mais Monsieur le Cure, e'est le deuxieme en une annee. — All ! Comme Dicu vous recompense, dit Monsieur 1*; Cure. Monsieur 1« Cure ma admire des ec jour-la. La recompense, e'etatt moi. Combieu on m avail attendu ! Combien on m'avait desire ! Comme on avait brsoin de moi ! J'arrivais juste a. temps pour plaire a mcs parents. Une benediction du ciel, dit Monsieur le Cure. 1L EST VERT 1L EST VERT MAM AN DIEU VA NOUS LE PRENDRE LUI AUSS1 — Heloise, dit Monsieur le Cure, mangez en paix, mon enfant. La petite Heloise avait beaucoup pleure sur la tombc de Pivoine et ses yeux etairnt rouges, encore. — Elle est trop sensible, dit Monsieur le Cure, en lui ca-reesant la tete. II faut quelle aille au couvent. — Mais comme il est vert, dit Heloise, ae tortillaut sur sa chaise pour micux me regardex — Vert comme un celeri, dit Heloi'se. Monsieur le Cure avait vu le signe du miracle a mon front. — Qui sait, une future vocation ? Les oreilles sont lon-gues, il sera intelligent. Tres intelligent. — L'essentiel, e'est de potivoir traire les vaehes et couper le bois, dit mon pere, sechenient. Joseph-Aime est mort Josepb-Aime est mort, dit ma mere — et elle se moucha a grand bruit.. — Consolez-vous en pensant au futur, dit Monsieur le Cure. Ne regardez pas en arriere. Cet enfant-la va rougir avant de faire son premier peche mortel, je vous le dis. Et pour les peches, je m'y connais, celui-ci, Dieu lui pardonne il en com-mettra beaucoup. Non seulement je faillis mourir de ma verdeur, mais le Septieme en herita en naissant. Prepares sa tombc, dit ma grand-mere qui eentait deja eourir la meninigite sous ce front diagracieux, tour a tour jaune, gris et vert, dont lc sommet etait parscme de poils rouges, agressifs comme des epines. "Si ce n'esl pas la meningite, c*est la soarlatine, mais celui-H n'en sortira pas vivant." — Dieu benit les nombreuses families, dit Monsieur le Cure qui sc hatait de baptiser le Septieme avant que la niala-die ne Tetmporte comme le malheureux Josepb-Aime, mort sans bapteme, il y a des epreuves qui sont des benedictions, Fortune, Mathias, que aorte de toi 1'esprit inipur. .. Et il sorth a Tinstant memc. Car a la grande deception de ma grand-mere qui avait prepare les funerailles, cboisi la robe de deuil pour Tenfant, le Septieme ressuscita. Ranime par l'eau 50 51 du bapteme, ses chevcux rouges droit* eur la tete, le Septieme lanca dee cris percants qui firent accourir mon pere de la grange. — Mon Dieu, dit mon pere en apercevant ce monstre aux chevcux herisses — cot idiot m'a fait perdre ma vache.. . Ma mere essuya ses larnies. Ce sera pour line autre fois, dit ma grand-mere, des niorts, il y en aura toujours. Ah ! com-mc jc grandissais pieuseinent sous la jupc de ma grand-mere en ce temps-la . .. J'etais vertueux et fermais toujours lea yeux pendant la prierc pour imiter Helo'ise dont ma grand-mere louait l'ardentc piete a Monsieur le Cure, le dinianehe. Je jouais k 'la messe en ete, aux sepultures en hivcr, ot Heloisc m'e.nter-rait jusqu'au cou dans la ncige. C'est ainai que j'ai commence a tousser et a deperir. Les rhumes, les pneumonies tombaient sur moi comme des maledictions. Je me mouchais partout, dans les jupons de ma grand-mere conune sur le tablier d'He-11>)-.-. J 'eternuais -mminn un canard. Maid tout le monde tous-siait dans la maisou : on cntendait siffler la toux comme une brise seche par les fentes des lits et dea portes. "Cela passe avec lTiiver" disait mon pere, et il avait rai-son. Car au printemps. chucun de nous hourgeonnait, fleuris-sait sous la vermine et la rougeole. C'etait a l'epoque ou le Septieme faisait ses premiers pas sur la galerie, le ventre nu sous son gilet a carreaux, souriant et bavant a tout le monde, la tele cnflee par l'orgueil. Ah ! Si j'avais su quelles fessees nrattendraient a cause de lui ! Pourtant ma grand-mere m'avait prevenu; Mefie-toi de ce monstre aux chevcux rouges, disail-ellc, des le premier jour, il a trompc tout le monde avec sa meningite — mort, il devait etre mort, et regarde-moi ca maintenant, une chenille, il bouge conune une cue nille ! — Une mauvaise influence, une mauvaise frequentation, disait Monsieur le Cure en me toucbant le front de sa main 52 rude — le dimanche matin, ce Fortune a la peau dure, il ne pleure pas quand on le bat ! Abandonnes par noire pauvre mere, qui, lorsqu'elle n'etait pas aux champs ou a 1'ecuTie a soigner sa jnment atteinte de eon sumption (dont l'odeur etait un peu comparable a la mien-ne aujourd'hui, je dois 1'avouer) dialoguait avec ses morts, tons alignes lea uns a cote des autres sur le vieil harmonium ronge pax les rats, (seul heritage de Grand-Pere Napoleon qui aimait jouer des hymnos la nuit pour faire enrager ma chaste grand-mere) morts du mois de novembre, morts des longues soirees d'hiver — ma mere les appelait un a un des tenebres ou ils ronflaient avec bien-etre, dans sa mauve chemise de nuit, quelques cheveux epars sur son front toujours humide, cette triste feniaue eontemplait avec douceur les enfants, les bebes au eourire edente, des vieilles photographies mille fois regar-dees ... "Ah ! suppliait-cllc, d'une faible voix, Hector, pourquoi m'as-lu aliundomiee, llertor ? Est-ec que tu uTcutciids ? Gemma ! Gemma ! tu avais a peine un jour, lorsquc tu es partie. MVnicnds-ui Gemma. ? Mais a mesure que lea heures passaient, ma mere confon-dait les noms, les evenements, et les morts valsaieat confuse-ment devant ses yeux. (Efle pensait a Gemma, mais sans le sa-voir, elle voyait Olive a la place, le petit crane sanglant d'Olive ecrase sous la charrur de niou pere. Et Gemma ? Vh I Le jour de sa premiere communion, oui, disparue, comme ca, dans sa robe de dentelle !) Gemma, Barthelemy, Leopold, elle avait encore les chaus-sons de laine de cc lointain Barthelemy qu'elle n'etait pas sure d'avoir mis au monde, mais qu'importe ! Et Leopold, une annec, il ne restart qu'une annee, et il sortait du Seniinaire. Leopold qui avait tant. de talent ! Ah ! Mais Dieu avait pris Leopold d'une euxieuee facon. Par 1« cheveux, comme on tire une oarotte de la terre. 33