voir. II diagnostiqua tres vite mon mal. Dysenteric amibienne. La vieille m^decine chinoise ne s'exerce pas de la mSme facon que la mädecine occi-dentale. Elle est heureuse parfois, pleine de trouvailles et d'ingeniosite. Mail aussi, pleine de candeur. Les laboratoires occidentaux ont et€ infiniment prf-cieux pour l'exercice de notre art mßdical. La m£decine chinoise, tres intelligente d'ailleurs, ne tieni guere compte des decouvertes recentes de la chimic, de la physique, de l'observation quotidienne et notee. Elle date de cinq mill* I ans, et se veut, semble-t-il, inamovible. La dysenterie amibienne leur est tieft connue. Iis la soignenl ä l'opium. Non pas par la pipe, qui foumit tout de m£me une euphorie ne manquant pas de charmes, mais par la boulette, qui 1'on doit avaler, comme on avale un cachet d'aspirine, et qui ne produit rion du tout d'agreable, sauf cet effet immediat, tres surprenant, de suspendre vol courses de marathon. C'est heureux, mais il va sans dire que ce n'est qu'un palliatif, car les amibes s'amusent davantage en vous, et se multipltent aveo voracit6. J'&ais done en train de mourir doucement, dans la derniere fleur de mon age, ainsi que s'expriment les ecrivains romantiques. Mais le me'decln francais revint. II revenait d'un conge- pris au haut de montagnes inaccessible^ j chassant le tigre, Tours et le chamois. C'etait son « hobby ». Un garcon charmant. II me dit: « Retournez ä Hanoi. Je vais m'occuper d'un lit. Je vail vous donner des mots pour mes camarades de l'höpital. On viendra voul chercher ä la gare. Je telegraphierai cet apres-midi. C'est tres mauvais, 00 que vous avez. Mais 5a se soigne, II vous faut du repos, et des injection! d'emetique. Qa va? » En voyageant autour du monde, on rencontre un tas de bandits, d'avert-tuners sans scrupules, d'exploiteurs, de femmes brunes et blondes qui ne son! point farouches, d'hommes d'affaires vereux vous proposant une partie df poker, mais on rencontre aussi des 6tres merveilleux. Ce me"decin de Yunnan« fou en etait un. J'avais confie mon argent au mandarin. C'est le m€dcelrt, qui ne me connaissait aucunement, qui s'occupa de mon retour, et se charge! de mes frais d'höpital. Dois-je ajouter que quelques semaines plus lard, Jt. lui fis parvenir un cheque pour ces defenses. Dans cette lettre oij je lui demon* dais aussi — comment pourrais-je dire — sa note, il me repondit ä son luUf qu'il ne fallait pas y songer, Cela me laissait dans Pembarras. Si je me rupi pelle bien, je lui fis parvenir, en cadeau, une tenture chinoise achet^e ä Hanoi Ä Hanoi, oü je m'e'taispromis de neplus revenir, je passai deux semalrwi au lit. J'avais perdu vingt livres dans l'aventure. Je n'ai jamais ete" grand el] fort. J'aurais aime" l'gtre. La nature m'a fait ainsi. De sorte qu'au sorllr dl l'höpital de Hanoi, je pesais exactement 114 livres. Je marchais commc un vieillard. Et si vous me permettez un terrae d'argot francais, frisant la vul« garite, j 'etais parfaitement « claque ». Les jours se suivent, et cette derniere jeunesse aidant, — et l'emcllqui — je me rötablis plus rapidemenl que je ne pouvais Pesperer. J'e*crivais c grands arbrcs ďancfilrcs lombaienl sur nous II y .iv,hi des moments solcnncls Oil nous čl ions porlčs par ľombre Ou nous dtions tous tues par les genoux Notre douleur n'6galait pas Les instances nourries de larmes involontaires Les ombres voilaient nos visages Nos pieds nus saignaient sur l'arfite du rocher Et le nouveau jour nous tendatt son piege Sous les ogives des hauts cedres Les forfits dressees mangeaient notre ciel 6 coulees douces vers les fontaines fratehes Aux murs d'arbres comme des cloisons definitives Labyrinthes solennels d'octaves les fronts se penchent Mousses et stalactites vertu des eaux pcirificcs Sanglants carnages des prochains deuils Nous dtions humbles sans parler de poesie Nous dtions baignes de pod's ie et nous ne le savions pas Nos corps sauvages s'accordaient dans une pudeur insensde Se frappaient l'un contre l'autre Comme pour 1'assassinat Quand les deli res de la joie venaient Nous dtions dmerveillds sous le soleil Le repos nous transformait Comme deux morts rigides et sees Dans les linceuls d'un blanc trop immacule Ah souffles des printemps Ah delices des parfums Fenfitres ouvertes au creux des carrefours des villes On voulait voir une feuille verte Un oiseau le reflet bleu du lac Des sapins autour les poumons enfin delivres Nous nous prenions la main Nous avancions dans la vie Avec cette quarantaine d'annees accumuldes Chacun de nous Veuf deux ou trois fois De deux ou trois blessures mortelles Nous avions survecu par miracle Aux demons des destructions FRANgOIS HERTEL (1905-1985) Poete, romancier et essayiste, Francois Hertel (pseudonyme de Rodolphe Dubé) a joué un rôle considerable dans la vie intellectuelle du Canada francais, au cours des anněes trente et quarante. « Pendant quinze ans, éerit Jean Éthier-Blais, Francois Hertel a dominé nos lettres. II savait s'exprimer et n'hésitait jamais ä le faire. Son langage, viril, portait au loin, forcait ľadhésion. » Dans l'essai (Leur inquietude, 1936) et dans le roman (Le Beau Risque, 1939), il analysait les malaises et les espoirs de la jeunesse; il cultivait la poesie claudélienne dans Axes et Parallaxes (1940) et Strophes et Catastrophes (1943); il s'en prenait aux idées recues dans Anatole Laplante, curieux homme (1944). Á quelques années d'intervalle, il abandonna I'Ordre des Jésuites, puis le Québec; pendant une trentaine d'annees, il a reside en France, oü il a continue de publier des poémes, des récits, des essais. De la premiere partie de son oeuvre, on retient particulidrementi4/wío/eLap/a«/c, curieux homme, assez caracteristique des voltiges intellectuelles de cette époque; mais c'est dans une oeuvre plus tardive, le recueil de poémes intitule Mes naufrages (1951), que l'on fait connaissancc avec l'homme. ANATOLE LAPLANTE, CURIEUX HOMME Du réve au reel Us atavismes sont-ils cause de cette croyance que certains peuples professent pour la reincarnation? Je le crois. Rien ne me parait plus absurde que cette ihčorie de la reincarnation, mais je crois fortement aux atavismes. C'est ainsi que mon réve familier, le réve que je fais le plus souvent (tout homme a son rove familier), est un réve fortement engage dans les uliivismes de mes ancétres voyageurs. Je dois descendre de Pierre Le Moyne d'Iberville, car je n'en finis plus avec ce réve de corsaire. En outre, je suis fascine par Eric le Rouge. Cela, e'est un nom. Je ne sais pas de plus saturant appel nominal. Charles Lepic, ť'cst Eric le Rouge. Je dois aussi avoir du sang étranger dans les veines. Aulrement, je ne réverais que de m'accroupir. Voilä mon réve. C'est au moment ou Charles Lepic est sur le point de rcvenir qu'il me faut m'en débarrasser. On verra qu'il ramasse implicitement line ľoule d'événements de nos vies conjuguées, ä Lepic et ä moi. C'est un réve triste, comme tous les réves conscients. Ne proviennent-ils pas en der-nlŕrc analyse d'un estomac délabré? Je suis done ä bord d'une caravelle et c'est tantôt ä ľépoquc du rouge í'.ilc, tantôt aussi j'entends vrombir les avions au-dessus dc mn lOle. Voilft me/, ďincohérence pour authentiquer un réve. Au cours do liijourrtfo, i|tiiirid |c suis ä ľčtat de veille, j'ai une salutaire craintc du péchí, Or, vi»llft qu'en iOvo, au cours de mon réve, cette craintc devionl tinr limiiulnhlc hiinlise. Scrais-jcdoncunrefoulé? Ne scrait-cc ptw pliiirti QUI |'< M Miirrlrcs timo-tt-H't La conjonction du rčvc, den iiitivinmnti Pi du rtftWlfrmnl mc semble (llgrante... ct discutable. 536