apparaissent, gottAes a eclater. La masse roule par terre; un bras se d£gaga qui cognc sans merci. Les lutteurs se reinvent. Faubert a une blessurc a la lcvre d'oii coule it-sang. Et ce sang lui entre dans la bouche, ct ce sang lui louche la langue, lH palais. II le goute. Ce gout produit un declenchement d'energie, de forca,] d'ardeur au combat. A peine debout, il evite d'un mouvement de t£te on coup de poing qui l'aurait assomm€, et riposte en frappant a la macboire, avec le tranchant do ] la main. La foule retient son souffle. Elle n'a pas eu le temps de s'etonner. Touted ses provisions sont de~rangees. Us se reprennent a bras le corps et de nouveau roulent par terre. Lo financier a le dessus. II passe un bras sous l'aisselle de l'adversaire et lull enserre la nuque. De la droite, il rejoint son bras gauche; et lui imprime WJ1 mouvement si fort qu'il le fait pivoter sur la tete pour retomber de 1'autir cSte\ — Leve-toi, sans coeur! crie-t-il. David, comme tingle" d'un coup de fouet, se redresse. II n'est pas suf ses jambes, qu'aussitot Faubert lui saisit les deux bras, en lui mettant un pied sur le ventre, et Penvoie par-dessus lui s'assommer i cinq pieds de la, David, chancelant, ne frappe qu'a tort et a travers. Un coup en plein* gorge le fait s'ecraser sur le sol, sans connaissance. — Qui est le suivant? La foule est stup£fajte, a demt subjuguee. Un silence plane, que brise tout a coup ce cri: — A la dynamite! Faisons sauter. Vivement Faubert met la main a sa poche, et marche sur la foule, 1« revolver braque sur elle. — Le premier qui bouge, je 1'abats comme un chien. Aux abords de la chaussee, une quinzaine d'hommes, revolver au point J eux aussi, sont decides a maintenir I'ordre. — Puisque vous n*6tes pas satisfaits de vos gages, dit le financier, Jf I ne veux pas vous employer de force. Vous Stes tous renvoyes. Ceux qufl voudront se faire reengager passeront aux bureaux cet apres-midi. La foule, de"contenancee, par la tournure subite des choses, et sans aucuni! force morale ni cohesion depuis la detaite de son chef, se disloque, complt>| tement domptee. — Mon Dieu! Vous €tes tout couvertde sang, s'exclame Suzette, commi son mari rentrait avec Faubert. — Quelquesegratignures... Elle prepare un bol a main d'eau claire et avec d&icatesse lave les plaloi ou le sang se coagule, — s'est done bien mal passe". — Mais non, tres bien, comme vous voyez. — Sans Jules, ca y etait. II a de"moIi David, tenement vite que les autre* sont restes figes a leur place. La jeune femme regarde le financier avec admiration. — Vous vous etes battu? — Je n'ai fait que me d^fendre. II le fallait. Sans cela on m'aurait marche" dessus. — Et vous avez demoli le gros David. — Ce n'etait pas difficile. II ne faut pas juger les hommes a leur taille. Bien lave" et parish, ses instructions donne"es un peu partout; il passe la NoirCe au milieu de ses h6tes dans la tranquillity intime de leur manage. La lutte est finie, la situation £claircie; la plupart des employes retourne's mi iravail, regrettant ce qui s'est passe*. Une reaction s'opere en lui: la fatigue ilcs derniers temps l'oppresse. La vue du bonheur de ceux dont il partage le toil le fait souffrir. Faut-il done que sa vie s'epuise sans qu' il connaisse la douceur du foyer; quo, dans les moments ou le saisit un besoin de reconfort, il soit seul, com-pleiement seul. Toujours travailler, sans relSche, et batailler, est-ce done son lot? Pourtant s'il avait voulu?...! II a cru que les jouissances de l'orgueil suffisent dans la vie, que la joie |ilmcntee de Paction frdn&ique comporte le bonheur. Egoi'stement, le jeune couple continue de se cMnx en sa presence. Les yeux, la voix, les gestes sont impregnes de l'amour qu'ils se portent. II se trouve miserable. [1 maudit son orgueil. t] a soif d'affection et l'affection lui manque. L' image de Pauline appa-rnii, qui ne le quitte plus. — Vous avez Fair reveur, M. Faubert. — Moi... du tout... Sais-tu, ajoute-t-il, en se retournant vers Roberge, que tu es un homme heureux. — C'est a toi que je le dois. Et Jules Faubert, Fhomme que tout le monde envie, envia a son tour. IliAN-AUBERT LORANGER (1896-1942) Rien n'est plus hasardeux que de delimiter la position exacte qu'occupe un éeri-vain dans l'histoire de la littérature; faísoits toutefois I'bypothese qu'il exists une ligne droite reliant Nelligan a Saint-Denys Gameau. De cettc lointaine filiation, Albert Lozeau et Jean-Aubert Loranger seraient les jalons intermédiaires. Leur poesie pendulaire marque tour á tour le temps du Réve et de l'lntrouvable, et celui dc 1'ici triste et sterile; c'est une poesie du clair-obscur, de l'etre double, specífiquement Occidents le, une poesie de 1'alienation (politique et métaphysi-que) et dc son elucidation, unc poesie du doute et qui ira jusqu'a douter d'elle-mCmc. On peul lire d:inx unc lellc opt i que 1'ceuvre de Loranger, grand lecteur des unnnim isles Jules Komuln» el Chiirlcs Vildrac, et d'Apollinaire; la figure 350 351 capitate de sa iMmatique, c'est la separation (draps, murs, cables, mais au vitie, bras, icluses, chenal, chemin); cette figure apparait conslamment dans ' textes que nous reproduisons et qui sont extraits de ses deux seuls recueils j tiques, Les Atmospheres (1920) et Poemes (1922), rassembles chez HMH 1970. Loranger, qui fut j oumaliste a La Pa trie, a La Presse et a Montre'al-hiati et 1'un des animateurs du Ntgog ainsi que de L'ficole litteraire de Montreal, | egalement publi£ des contes (notamment Le Village, 1925) qui ont 6li reu reccmmeat en deux volumes (Contes, Montreal, Fides, coll, du « Nenupha 1978); enfin, il nous reste quelques fragments de Terra Nova, suite po6tii decrile dans L'AnthoIogie (edition de 1933) de Foumier comme un « recueil I versets, psaumes, odes et chants de mort. » L'ancienne peine inutile D'un grand desir d'evasion. Et mon coeur est au printemps Ce port que des fumees endeuillent. Mais je n'ai pas accepts D'etre ce desempare, Qui regarde s'agrandir, A mesurer la distance, Un vide a combler d'espoir. Je regarde dehors par la fenetre J'appuie des deux mains et du front sur la vitre. Ainsi, je louche le paysagc, Je touche ce que je vois, Ce que je vois donne l'equilibre Ä tout mon elre qui s'y appuie. Je suis enorme contre ce dehors Oppose ä la poussee de tout mon corps; Ma main, eile seule, cache trois maisons. Je suis enorme, Enorme.., Monstrueusement enorme, Tout mon etre appuye au dehors solidarisch Ébauche d'un depart définitif Encore un autre printemps, Une nouvelle deMcle... Le fleuve pousse ä la mer L'epaisse couche de glace D'un long hiver engourdi, Tel, avive", repousse ä Ses pieds, le convalescent Des draps habites d'angoisse. Comme sa forme mobile, Jamais repu d'avenir. Je sens de nouveau monier, Avec le flux de ses eaux. Pour Marcel DugüS. Jc ne serai pas toujours Celui qui refait Finverse E>e la jetee, vers sa chambre Oil regne la conscience D'un univers immobile. Les cables tiennent encore Aux anneaux de fer des quais, Laisse-moi ie le redire, 6 loi, l'heureux qui s'en va, Jc partirai moi aussi. J'cnregistrerai sur le fleuve La decision d'un tel sill age, Qu'il faudra bien, le golfe atteint, Que la parallele des rives S'ouvre comme deux grands bras, Pour me donner enfin la mer. < Kit- Pour une voile que la brume ttlface au tableau de l'azur, Pour un nuage au firmament Dont se decolore la mer, Pour une cote oil brilk un phare, Pourquoi la plainte nostalgique, Puisqu'a 1'horizon le silence A plus de poids que Tespace? Si le reflux de la maree Oublie des voiles dans un port, Pourquoi le grand desir du large III pleurer I'impossible cssor? 'Pes ycux gardcroni du depart Une inconsolable vision, Mais ä la poupe s'agrandit Le désespoir et la distance. La nuit que ton äme revet S'achemine vers le couchant Voir ä l'horizon s'effondrer Ce que peut le jour ď illusion, Et c'est bien en vain, que tu greffes Sur la marche irremediable De )a nuit vers le crépuscule, Le renoncement de tes gestes. La mer bruit au bout du jardin, Comme ľorée ď une forét, Et le vieux port allume, au loin, Ľalignement de ses lumieres. Qui vient de dire ce que vaut, Ä l'horizon, le jour enfoui, Comme un bivouac sans releve, Et le réve qu'édifie ľombre. Et si la lampe qu'on éteint Fait retomber sur tes yeux clos Une plus obscure paupiére, Si I'ombre fait surgir en toi, Comme le feu d'un projecteur, Une connaissance plus grande Encore de la solitude, Que peux-tu espérer de I'aube? Et les matins garderont-ils, Dans l'espace ou le phare a tourné, Une trace de ses rayons Inscrite ä jamais dans I'azur? Pour tes longues veillées stériles Voudrais-iu ľaube moins pénible: Glorieuse issue dans la lumiére De ce que la nuit vient de clore. (Sans titre) Je voudrais Étre passeur; Aller droit ma vie, Sans jamais plus de derive, Sou mis ä la force Égale de mes deux bras. 354 Je voudrais 6tre passeur; Ne plus fuir la vie Mais l'accepter franchement, Comme on donne aux rames. La chaleureuse poignée de mains. ttans titre) Pour endormir mon chagrin, Je me dis des contes. Un jour, un pauvre bossu, Pour cacher sa bosse, Portait un sac sur son dos. fStiti.s titre) Au docteur René Pacaud, Ouvrez cette porte oů je pleure. La nuit s'infiltre dans mon áme Oú vient de s'eteindre 1'espoir, Et tant ressemble au vent ma plainte Que les chiens n'ont pas aboyé. Ouvrez-moi la porte, et me faites Une aumone de la el arte Ou git le bonheur sous vos lampes. Parloul, j'ai cherché l'lntrouvable. Sur des routes que trop de pas Oni broyées jadis en poussiěre. Dans une auberge ou le vin rouge liappelait d'innombrables crimes, Et sur les balcons du dressoir, Les assiettes, la face pále Des vagabonds illumines Tombés lá au bout de leur réve. Á 1 'aurore, quand les montagnes Se couvrent d'un chSle de brume. Au carrelbur d'un vieux village Sims amour, par un soir obscur, lil 1c cuiur qu'on avail cru morl Stirpris par un retour de flummc, 355 Un jour, au bout d'une jetee, Apres un depart, quand sont ticdes Encor les anneaux de 1'etreinte Des cables, et que se referme, Sur Paffreux vide d'elle-meme, Une main cherchant a saisir La forme enfuie d'une autre main, Un jour, au bout d'une jetee... Partout, j'ai cherche" I'lntrouvable. Dans les grmcements des express Oil les silences des arrets S'emplissent des noms des stations. Dans une plaine ou des etangs S'ouviaient au ciel tels des yeux clairs. Dans les livres qui sont des blancs Laisses cn marge de la vie, Oh des auditeurs ont inscrit, De la conference des choses, De confuses annotations Prises comme a la de"rob6e. Devant ceux qui me devisagent, Et ceux qui me vouent de la haine, Et dans la raison devinee De la haine dont ils m'accablent. Je ne savais plus, du pays, Meriter une paix echue Des choses simples et bien sues. Trop de fumees ont enseigne" Au port le chemin de l'azur, Et l'eau trepignait d'impatience Contre les portes des ecluses. Ouvrez cette porte oil je pieure. La nuit s'infiltre dans mon ame Oii vient de s'&eindre l'espoir, Et tant ressemble au vent ma plainte Que les chiens n'ont pas a boy 6. Ouvrez-moi la porte, et me faites Une aumOne de la clarte" Ou gft le bonheur sous vos lampes. fStws tttre) Merveilleux prelude ebloui Dans ces beaux matins surs d'eux-mfimes, Quand persiste encore dans l'arne L'illusion des joies accessibles. Tout le meilleur de l'avenir Se livrait alors sans defense, Et 1'aube qu'assiegeait l'orage Etail trop pure pour croire | l'ombre. Les chemins enseignaient Tespoir, Et je ne voulais rien savoir Que cet environnement cher De mes rSves tronquant 1'espace. Mes pas marquaient, dans la poussiere, Une implacable decision Dont personne n'aurait pu dire Qu'ils ignoraient tout de la vie. Qui done aurait pu dire alors Qu'une si glorieuse demarche Apprenait la vie sui la pente Do ulou reuse d'un Golgotha? El qu'en un retour repenti, Ce pelerin de la conquete Ne serait plus qu'un vagabond Cherchant ses traces dans le vent. (,'invitation au retour Rcviens au pays sans amour, Pleurer sur tes anciennes larmes. Rcviens au pays sans douceur, Oil dorl ton passe" sous la cendre. Ce que lu crus laisser mourir Bondira dc nouvcau vers lol, Car les pas sonnent, sur la route, Du plus loin qu'on vienne et vieilli. Tes recherches au loin sont vaines, Puisque la distance et le temps, Avec soi, ne perroettent pas De rapporter ce qu'on a trouve\ Reviens au pays sans amour, A la vie cruel le pour toi, Avec une besace vide Et ton grand cceur desabusd. Une poignee de mains Le boulanger Lusignan, chaque fois qu'il rassemble ses recettes, se lave aupM ravant les mains, comme on enlfeve ses gants pour compter des billets df banque. Aussi, i) e"poussette ses cheveux et degage, ä 1'eau chaude, son visan de la farine et des pätes. Ce bien de la joum£e, son profit, il desire qu'il 01 lui rappelle point son metier. Cet argent doit Stre celui d'un homme librtJ non le gain des sueurs, de la poussiere, des croütes, et des boufföes de chaleul laneees d'un four. Le soir venu, Lusignan se veut rentier. De venu Lusignan, le boulanger du jour monte alors sur une chaise, a (In d'atteindre une petite trappe au plafond de sa chambre ä coucher. Dans IM combles, une soupiere de terre cuite se trouve ä portee de la main, ä gauchi de la trappe. C'est lä que la journäe de Lusignan passe la nuit. Le matin, il la depose, avec profit, ä la banque du village, Grandi par la chaise, comme un pendu au milieu d'une chambre, Lusignan avait ä peine, au boul de son bras, soulev6 ce soir-lä dans l'ombre du grenier le couvercle de la soupiere, qu'il eprouva d'abord une douleur, pull un effroi... La chaise se renversa. Retombant sur I 'ouverture, la trappe couvfM le fracas de terre cuite contre le plancher et la propre culbute du boulangefJ Comme it ouvrait la soupiere, une main liede avail pris la sienne, sani brusquerie, amicalement, avec conviction peut-etre, mais sans intention prll conejue: ostensiblement, tout de mftme! Assis par terre, ä cöte d'une chaise renversee et parmi les eclats d'un soupiere, Lusignan, les jambes niaisement ecartees, avait d'abord blanchU comme si la farine d'une journee eüt recouvert son visage. Puis le front devlIJÜ cuil. Le boulanger fut pris d'un rire strident. Ses eclats rappelaient en loul point ceux d'une soupiere qui se brise, avec son couvercle, sur un planeh« de bois dur. Le lendemain, des Taube, l'homme sortit de sa crise d'epilepsie. II tM chercha point ä se rememorer. II connaissait, depuis des ans, le Grand-Muli L'epileptique, au reveil, ne peut immödiatement reconstituer de memoire led quelques heures qui precedent la crise. Pour le boulanger, e'elaii encore une attaque du Grand-Mal et den autre! Son argent Iptirpilll, il lc rassembla. \M compte y ötail; rassure", il regagna son lit. * * * (La maison de Lusignan est isolee. Le trottoir de planches, qui la relie ■ la route, est sonore. Aussi, 1c boulanger n'a point muni sa porte d'une ilochette. II sail d'avance que l'on vient vers sa boutique et, par la technique du pas, le nom du client. Ce soir-Ia, la trappe des combles, se rabattant, avait muse grand bruit. Elle n'etait pas tombde d'aplomb. Apres la cnarpente de In boulangerie, le trottoir vibra. Un oiseau, sans destination, s'estenvole' d'un tirbre, le seul arbre qui touchat le trottoir. La cl6ture de perches, qui va de In maison a la riviere, de mfime vibra. Une carpe, dans l'eau tiede, pres de In rive, avait regagne" sans precipitation les profondeurs plus froides.) * La nuit suivante, bien avant l'aube, le boulanger, au repos comme une i u 10 sans levain, fut tir€ du sommeil par des claquements de drap au-dessus ik sa tete. Dans l'ombre de la chambre, une presence insolitc secouait quelque those de mat. Sans bouger, 1'homme ecoula. Une de ses mains pendait hors tics draps, inerte, oubli&L. De nouveau, une main prit la sienne, ostensiblement, sans conviction |)tut-£tre, tiedc et sans la secouer. Doux et sec a la fois, ce contact ecceura j'homme aux ecoules, mais sans le surprendre, toutefois. Le souvenir lui 6tait ruvenu d'une autre poignee de main... de ce toucher qui... La main empatee de Lusignan, la main du jour, eut peut-£tre moins rcagi. Mais sa main degantee, sortie de la pate, 6tait nue et vulnerable, comme d'un cambrioleur les bouts de doigts passes au papier de verre |n>ur mieux eprouver le declic d'une serrure de coffre-fort. La main de Lusi-giiaii secoua pour s'en delivrer I'autre main et rentra sous les couvertures... L'aube, cette fois, se leva sur la mort du boulanger! On ignorait, au village, que Lusignan füt epileptique. Dans la boite au pdlrin, il avait deja culbute". Moins le visage, la päte en levant le recouvrit! An matin, le malade avait repousse l'6dredon! Le meme jour, ä l'heure de In livraison, les yeux du pain garderent le secret... Une autre fois, Lusignan saupoudra sa päte avec la poussiere d'un porte-[irdures. La poussiere est lumineuse dans une soleillee. Dans le m6me rayon, In farine soulevde est noire. Les clients du village crurent qu'ils mangeaient ilu pain h 1'anis, du pain brim. 359