85 QUATRIĚME REUNION GENERÁLE. Discussion sur le probléme pratique IV : Quelles sont les méthodes les mieux appropriées ä un exposé complet et pratique de la grammaire ďune langue quelconque ? La seance est ouverte ä 2 h. \. President: M. Meyer Lůblce, de Bonn. Le secretaire du congrěs lit le rapport de la commission des atlas, formulant les demandes aux gouvernements, et a la Société des Nations pour servir d'intermediaire, et nommant une commission composée de MM. Boas (Amérique), Meinhof (Allemagne), Rivet (France), Bartoli (Itálie), Jaberg (Suisse), Sommerfelt (Scan-dinavie), Jakovlev (Russie), Schmidt (Autriche). M. Bally traite la proposition IV: « Quelles sont les méthodes les mieux appropriées ä un exposé complet et pratique de la grammaire ďune langue quelconque", et il exprime le point de vue de ľécole genevoise de F. de Saussure. Le Prince Trubetzkoi donne des éclaircissement sur sa proposition visant au méme but. M. Bremer s'occupe de la question des limites linguistiques. M. de Groot présente une objection contre le systéme de ľécole genevoise, tel qu'il a été exposé par MM. Bally et Séchehaye dans les « Propositions ». M. De Groot a bien voulu rédiger les idées qu'il a exprimées dans la forme suivante : a La théorie d'aprés laquelle le caractěre du signe linguistique serait arbitraire reflěte ľesprit intellectualiste du XlX^e siěcle; elle constitue une reaction contre le romanticisme de Platon et de Grimm. Le mot .arbitraire' indique ,1'absence de tout lien naturel ou nécessaire entre la pensée et son expression linguistique'. Eneffet, tant qu'il s'agit de pensées, c. ä d. d'états de conscience purement logiques et intellectuels, le signe est presque absolument arbitraire. Cependant, tant qu'il s'agit d'états de conscience affectifs ou esthétiques, le lien existant entre ľétat de conscience et son expression linguistique n'est pas nécessaire, mais il peut étre naturel. Le caractěre naturel du lien n'est pas exceptionnel, mais frequent. Exemples : ľintonation, dont chaque langue a un systéme qui lui est propre; les mots vides tendent ä devenir monosyllabiques ; les mots affectifs courts tendent á étre remplacés par des mots longs ; en hollandais et en allemand les syllabes les plus importantes au point de vue sémantique sont généralement les plus longues, les plus fortes, les plus hautes ; il y a des mots qui changent de forme en raison de leur sens (lat. si filar e substitué ä sibilare ; le / se maintient en francais et en espagnol); d'autres mots changent de sens en raison de leur forme (lat. excurare, holl. schüren) ; le systéme phonétique des classes supérieures de certaines communautés linguistiques tend ä étre disloqué par une tendance a suggérer la maitrise de soi-méme, ou bien par une tension forte des muscles articulatoires, ce qui peut mener ä éviter p.e. les diphtongues : ou bien inversement par une tension plus faible, pour montrer une certaine nonchalance supé-rieure. Une objection contre ce point de vue est élevée déjá dans le Cours de linguistique de De Saussure ; elle concerne le caractěre soi-disant fortuit ou méme illusoire de la valeur expressive. ,Des mots comme fouet et glas peuvent frapper certaines oreilles par une sonorité suggestive ; mais pour voir qu'ils n'ont pas ce caractěre děs l'origine, il suffit de remonter ä leurs formes latines (fouet derive de fagus, ,hétre', glas derive de classicum) ; la qualité de leurs sons actuels, ou plutot celle qu'on leur attribue, est un résultat fortuit de revolution phonétique'. Cette objection résulte d'une confusion de la linguistique diachro-nique avec la linguistique synchronique. Une valeur actuelle peut étre occasionnelle, c'est-a-dire fortuite au point de vue de l'histoire, il n'en reste pas moins vrai que cette valeur n'est ni illusoire, ni fortuite, aussitot que le sujet parlant et l'auditeur en ont conscience, et que le sujet parlant en fait un usage intentionnel. Une langue n'est pas seulement un instrument intellectuel, elle est un instrument psychologique, sociologique, biologique. Elle n'est done pas ,un systéme de signes exprimant des idées' (conception intellectualiste), mais ,un systéme de systěmes fonctionnels, intellectuels, affectifs, esthétiques'. Ces deux conceptions ne sont pas incompatibles; elles se complětent ». M. Bally et M. Jespersen éclaircissent quelques points. Les theses de MM. Bally, Jacobson, Mathešius, Séchehaye et du prince Trou-betzkoy sont fondues les unes dans les autres et presentees au congrěs sous la forme suivante : I L'expose complet et pratique d'une langue quelconque ne peut étre fonde essentiellement que sur la méthode statique. Celle-ci consiste á analyser les pieces du systéme linguistique et á en décrire les rapports réciproques. 86 II Cette étude embrasse non seulement la lexicologie, la morphologie et la syntaxe, mais aussi la caractéristique du systéme phonologique (c'est-ä-dire du repertoire propre ä la langue en question des differences significatives entre les images acousticomotrices). III L'expose ďun systéme linguistique doit tenir compte du principe que les faits de langue se classent naturellement et simultanément en series ďassociations mentales et en groupements realises sur la ligne du discours. IV Un bon exposé de syntaxe serait celui qui décrirait les complications progressives de la phrase normale la plus élémentaire composée d'un sujet simple et d'un prédicat simple. Cette ordonnance permet de tenir compte de tous les rapports syntagmatiques et associatifs (these III). V L'histoire de la langue, si 1'on veut en faire, ne doit pas se confiner dans ťétude des changements isolés, mais chercher ä les considérer en fonction du systéme qui les subit. VI Pour atteindre cet ideal, il est nécessaire de préciser les lois géné-rales des systěmes linguistiques par la comparaison de langues aussi nombreuses que possible, considérées non au point de vue génétique, mais au point de vue de leur structure. La seance est levée ä 3 h. J. SAMEDI 14 AVRIL. CINQUIĚME REUNION GENERALE. Discussion sur les problémes pratiques V et VI : V. Delimitation des domaines culturels du passé et du temps present par rapport ä des mots determines et ä des particularités phonétiques, morphologiques et syntaxiques ; Vinfluence réciproque de ces domaines culturels. VI. Les méthodes de recherche pour les langues qui n'ont pas encore fait l'objet d'un travail philologique satisfaisant. 1. Langues culturelles peu connues. 2. Langues des peuples primitifs. La seance est ouverte ä 9 h. -J. President: M. Preuss, de Berlin. M. Grimme explique en detail ses « Thesen über Sprachmelodie, zunächst für das Deutsche geltend. » L'orateur insiste sur l'impor-tance de la « Sprachmelodie » et il retient que toutes les manifestations de la melodie du langage ont une valeur syntaxique et qu'elles sont de grande importance pour 1'établissement de la parenté des langages. M. Nitsch se référe ä la proposition 39. II ne nie pas que la melodie du langage puisse avoir de l'importance pour la parenté des langues, mais pas toujours ; il cite par exemple des dialects polonais paries dans des pays qui avaient autrefois 1'école allemande ; les éléves qui parlaient allemand avec beaucoup de fautes avaient pris cepen-dant trés bien la «Sprachmelodie » allemande. II propose done de corriger la proposition 39 et de lire kann sein au lieu de ist. M. Meillet pense qu'il faut remercier M. Grimme d'avoir formule des theses d'une si grande importance ; la melodie de la phrase n'a pas été jusqu'ici étudiée suffisamment ä cause de ses difficultés extremes; la notation musicale a le défaut d'etre trop imparfaite pour les linguistes ; il cite 1'exemple de la différente melodie du francais dans deux villes oú il a passé sa jeunesse et il exprime 1'idée que cette melodie est le reste du substrát qui, seulement en petite partie, se laisse voir dans la grammaire et dans le voca-bulaire.