Bohuslav Havránek: Influence de la fonction cle la langue littéraire. stranných zpráv tím opatrnější kritiky (Dějiny národu českého I, 1, introduction, en 1848); Masakyk: A protože dnes občané pravidlem jsou členem nějaké strany, uplatňuje se v parlamentarismu stranictví, ztotožňuje se zájem celku s výlučným zájmem stran a tudíž několika osob, někdy osoby jedné (Světová revoluce 1925, 543). 4. En dernier lieu, un bel exemple de l'o b j e c t i v a t i o n de la manifestation linguistique dans une langue littéraire est, en tchěque, le degré ďemploi, dans la langue populaire et dans la langue littéraire, du verbe avec le datif enclitique du pronom réfléchi si (zpíval si písničku), par oú s'exprime une attitude subjective, affective et émotionnelle, du sujet vis-á-vis du prédicat verbal (forme affective). Ce moyen d'expression est třes frequent dans le langage populaire, mais beaucoup plus rare dans le langage littéraire, oú il disparait ďautant plus qiťy prédomine davantage le caractěre intellec-tuel; e'est pourquoi il a si peu pénétré dans les anciens textes.4?) On peut done constater que lafonction de la langue littéraire exerce son action aussi sur la structure grammaticale de celle-ci: on y trouve des differences fonctionnelles analogues á celles du lexique. A la difference de la langue populaire, la structure de la langue littéraire est plus riche de plusieurs moyens d'expression, surtout pour la constitution de groupements complexes et ordonnés, ses moyens d'expression sont plus precis, plus souvent á role unique et ďune différenciation plus spécialisée, mais en revanche elle est limitée quant aux moyens d'expression affectifs: ces traits caractéris-tiques de la structure grammaticale de la langue littéraire peuvent aisément s'expliquer par la tendance aux phrases-jugements, á 1'expression de demarches de la pensée et de formulations cohérentes et complexes, á une manifestation linguistique abstraite et objectivée, á la constitution ďune manifestation complete et fermée et enfin, — en méme temps aussi — par. la tendance á s'egaler par les moyens d'expression á une langue littéraire évoluée, cejjffmrb^xns le domaine et á 1'époque en cause, est rintermédJa^Rwfi^^^ure universelle (par ex. le latin au moyen-age)/ 47) Cf. mes Genera verbi v slovanských jazycích I, 1928, pp. 18 Bqq., 102. RAPPORTS DE LA LIGNE PHONIQUE AVEC L'ORDRE DES MOTS DANS LES VERS TCHEQUES PAR JAN MUKAROVSKY. Le son du vers est un tout extremement complexe, et les elements composants en sont f ondus en une union si etroite qu'il est malaise de les distinguer l'un de 1'autre par l'analyse scien-tifique, et qu'il n'est meme pas facile d'en faire un releve exact et complete) Neanmoins, il n'est pas difficile de distinguer dans le tout en question deux groupes d'elements ayant entre eux une f rontiere assez precise: ce sont d'une part les qualites phoniques conditionnees par l'articulation particuliere qui distingue les phonemes les uns des autres, et e'est d'autre part l'ensemble des elements qui se fondent sensiblement l'un dans 1'autre, et dont les parties composantes principales (mais non uniques) sont: la ligne expiratoire d'intensite (accroissement et diminution de l'intensite expiratoire, sommets expiratoires, pauses), la ligne d'intonation [elevation et abaissement du ton (hauteur) de la voix] etle mode de liaison des syllabes dans la prononciation (lie, non lie). G'estcet ensemble, que nous designons du terme collectif de ligne phonique, qui est l'objet de notre etude dans le present travail. Toutefois, e'est une question de savoir si Ton peut prendre comme objet d'une etude partant des textes des poetes et non de la recitation vivante, des elements phoniques qui ne sont pas traduits graphiquement dans ces textes et qui semblent etre en consequence entierement a la discretion du diseur. II y a lieu de repondre a cette question, et nous y con-sacrerons quelques mots avant d'aborder l'objet meme de notre etude. Le plus frappant des elements composants de l'ensemble acoustique dont nous parlons est l'intonation, et e'est pourquoi Sievers, qui a commence le premier a etudier ce groupe d'elements phoniques, a pris comme point de depart, dans son etude, l'intonation (« melodie »).2) Mais le risque de ce point de depart apparut bientot: dans sa realisation concrete au cours de la recitation (lecture a haute voix) des vers, l'intonation est a ce point libre et non predeterminee par le texte, que des critiques, A. Heuslers) notamment, eurent toute facilite de demontrer que x) Cf. par ex. le chapitre intitule Die Faktoren des Akzents dans la Deutsche Verslehre de Saran (München 1907, pp. 93 sqq.). 2) Über Sprachmelodisches in der deutschen Dichtung. (E. Sievers, Rhythmisch-melodische Studien, Heidelberg 1912, pp. 56 sqq.). 3) A. H e u s 1 e r: E. Sievers und die Sprachmelodie. (Deutsche Litte-raturzeitung Année 33, f asc. 24); cf. l'etude de Zich, intitulée „O typech básnických" (Les types poétiques), dans č. M. F., aussi en tirage ä part 120 121 Jan Mukařovský: Rapports de la lig'ne phonique avec l'ordre de mots dans los vers tchěques. 1'intonation est toute au pouvoir de celui qui recite et que celles de ses qualites qui semblent communes (chez les « Autorenleser » de Sievers) lie sont pas donnees parle texte, mais conditionnees par le milieu et 1'education recue (par ex. l'ecole, le theatre). Ce-pendant, Sievers n'avait pas fait erreur pour le fond, mais seule-ment dans le choix de son point de depart. II est en effet evident, meme en se bornant a l'observation la plus primitive, que c'est le texte poetique qui reclame une certaine repartition de l'inten-site de la voix, une certaine courbe de celle-ci, etc.; en outre, on reconnait communement et depuis longtemps en syntaxe qu'il existe un lien entre la construction de la phrase et l'aspect phonique ; c'est sur ce lien que repose la theorie de 1'accent de phrase et de l'intonation de phrase. Mais il ne faut pas, dans l'etude de l'aspect phonique, prendre pour base l'intonation, qui est l'ele-ment le moins stable; on doit partir de l'expiration,4) dont le caractere (c'est-a-dire repartition des sommets, renforcement et attenuation de l'intensite de la voix, pauses) est etroitement fonction de la structure interne du texte. Si nous prenons l'expi-ration comme point de depart, cela ne veut pas dire que nous perdions de vue l'intonation, puisque la ligne d'intonation, en tant qu'elle est predeterminee par le texte, depend de l'expiration dans ses variations (notamment en ce qui concerne la longueur des ondes, la lenteur ou la rapidite de leur elevation et abaissement de ton); il en va de meme du mode de liaison des syl-labes dans la prononciation. L'e xpi ration et les fa its qui l'accompagnent fournissent done un certain scheme phonique, qui est predetermine par le texte. Ce scheme, bien entendu, est tout abstrait, car il se repete au sein de l'oeuvre, sans changement, de vers en vers (quoique la base syntaxique, semantique et rythmique sort chaque fois differente), puisque ne dependant pas de la realisation concrete dans la recitation, dont les variantes ne modifient pas le fond propre dudit scheme. Vu ce caractere abstrait de la ligne phonique (tel est le nom donne au debut de ce travail au scheme dont il vient d'etre question), nous considerons que 1'objet principal de l'etude que nous entreprenons a son sujet est non pas d'en donner une description phonetique detaillee (description qui courrait d'autant plus qu'elle serait plus detaillee, le risque de faire entrer dans le scheme abstrait des elements empruntes au debit individuel de l'investigateur ou de son declamateur), mais d'etudier les rap-Prague 1918, oil l'intonation (la melodie) est comptee parmi les „qualites phoniques de la recitation"; voir aussi Bernstein: Cthx h fleKjiaiwamiH (Le vers et la declamation), dans PyccKaa penb I, 1927. 4) C'est au prof. O. Z i c h que je suis redevable d'avoir eu mon attention attiree sur ce point. ports existant entre la ligne phonique et les elements linguis-tiques du texte par lesquels elle est prédéterminée, en les prédé-terminant réciproquement. La premiere question qui'se présente dans cette etude est la suivante: quel est 1'élément lin-guistique qui a le lienle plus direct etle plus étroit avec la ligne phonique? Cette question est nécessaire pour simplifier le probléme, car il y a dans une oeuvre poétique des interdépendances si multiples qu'il n'existe pour ainsi dire pas un element qui n'ait un lien, direct ou indirect, avec tous les autres. L'urgence de la question que nous venons de mentionner avait été ressentie déja par le fondateur de l'etude de la ligne phonique, E. Sievers, bien qu'il eüt pris pour täche principále de décrire exactement cette ligne sans égard aux matériaux linguistiques en lesquels elle est réalisée. Son opinion est la suivante: «(Der Dichter wird) positiv darauf Bedacht nehmen, seine Worte so zu wählen, dass sie sich in das gewählte Ausdrucksschema gut einfügen, und negativ darauf, zu meiden, was dieser Forderung nicht genügt. » (Rhythmisch-melodische Studien 60.) Sievers affirme done que la ligne phonique est etroitement fonction du choix des mots. Plus précisément, il faudrait dire (mais cela, Sievers ne le dit pas) que ce dont il s'agit, c'est la realisation phonique de la nuance émotionnelle des mots du texte poétique. Les mots ont en effet une nuance émotionnelle qui résulte parfois de leur sens méme, et qui d'autres fois depend du milieu lexical d'ou les mots proviennent (par ex. les mots de la langue littéraire, oratoire, vulgaire). La nuance émotionnelle, qui ne se trouve maintes fois que virtuellement dans la langue de la communication, s'actualise dans le langage poétique, et cette actuali-sation a son effet aussi sur l'aspect phonique (expiration, melodie) . Du fait méme qu'il emploie surtout des mots ayant une certaine sorte de nuance émotionnelle, le poete agit sur le caractere de la ligne phonique de ses vers. C'est la un fait bien connu; aussi ne l'illustrons-nous que d'un petit nombre d'exemples, qui consistent en une substitution de mots. Ainsi par ex., dans le vers de Neumann (Kniha lesů, vod a strání, Křehké štěstí): jejž ruky dotekem je možno zranit, remplagons le mot « dotek » par le mot « úder », qui se distingue du precedent par l'intensite eťla qualité de sa nuance affective: jejž ruky úderem je možno zranit. Avec cette substitution, nous constatons que le mot« úder » prend dans le vers une expiration plus forte, une intonation plus élevée et un détachement plus énergique de la premiére syllabe ďavec 122 123 Jan Mukařovský: la derniěre syllabe du mot precedent, que ce iťétait le cas avec le mot « dotek » dans le texte original. On constate un phénoměne inverse (affaiblissement de l'expiration, intonation moins éle-vée, etc.), mais accompagné également ďun changement de nuance émotionnelle, lorsque l'on effectue une substitution de mots analogue dans le vers de Čech (Zpěvník Jana Buriana): Jak děsný přízrak v paměti se budí (noc osudná), jak sladké snění v paměti se budí Dans d'autres cas, la substitution ďun mot á un autre dans les vers permet d'obtenir, non pas sans doute une modification de la nuance émotionnelle, mais 1'affaiblissement de celle-ci; cela se produit quand on remplace un mot inusité dans un contexte donné et, partant, mis en relief double point de vue significatif et émo-tionnel, par un mot qui se fond plus étroitement avec ce contexte et, partant, se trouve prendre — tou jours dans le contexte donné ^—une nuance émotionnelle plus faible. L'effet de la substitution se traduit ici aussi sur 1'aspect phonique, par ex. (texte original) já vesel hledal sněžnou parnasii (Neruda, P. m.5) podz. II.) Pil mléko dívčích bříz a v olšinách (Šrámek, Splav, Jarní poutník.) Tvé chrámy smyslnea modré nebe (Toman, Stoletý kalendář, Aix-en-Provence.) (texte modifié) já vesel hledal bílou parnasii pil mléko bílých bříz a v olšinách tvé chrámy nádherné a modré nebe Dans chacun des trois cas, 1'influence de la substitution de mots sur la ligne phonique se traduit par un affaiblissement de 1'in-dépendance du mot objet de la substitution par rapport aux mots voisins. Les exemples que nous avons cités font clairement ressortir qu'il y a un lien de dépendance incontestable entre le vocabulaire du poete et la ligne phonique du texte. Mais ceci ne prouve pas encore que ce lien soit, pour le caractěre de la ligne phonique des vers, le plus important ni le facteur décisif. On peut méme au contraire citer des f aits qui tendent á en prouver le peu d'impor- B) L'abreviation P. m. designe le recueil intitule Prosté motivy. j •> Rapports de la ligno phonique avec l'ordre de mots dans les vers tchěques. "l tance II n'est pas difficile de trouver des exemples (notamment dans les parodies), ou la ligne phonique du vers est en contra-' diction criante avec le caractěre phonique habituel des mots du í vers, ainsi par ex. dans les « vers » Fabrique á la vapeur de pátés de foie gras Le tramway de Montrouge á la Gare de l'Est vers que L. Bloy citait ironiquement comme les deux plus beaux •> vers de Coppée (Nouv. Litter. 1—XII—1928, cite par Gust. Le Rouge «Verlainiens et decadents »). Comme exemples tchěques, on peut citer, du recueil de parodies de Fa Presto, Utíkej Kálo I: A ticho, ticho velké pláň tu střeží a ani stopy života tu po ní — jen tamo kdesi Káča někam běží a kocour div o kyji darmo honí. \ (Západ v zimě.) A křik jde blíž. A v tom, hle v prachu změti dva pantofle a vlna ňader vzplála. | (Kocour.) | Dans tous ces exemples, il y a une opposition voulue, ďun effet 1 comique, entre la nuance émotionnelle de 1'expression verbale et i de la ligne phonique. Ils prouvent clairement que la ligne pho- nique ne s'explique pas suffisamment par le lien avec le lexique. I Aussi f aut-il rechercher un element linguistique dont le lien avec la ligne phonique soit plus profond et plus important. Nous al-lons essayer de prouver que ce qui est le plus important pour le caractěre de la ligne phonique, l c'e s t son rapport avec l'ordre des mots. Nous I ferons cette preuve avec des matériaux tchěques, et les conclu- j sions que nous allons tirer ne vaudront par consequent que pour j le vers tchěque. I Commencons par montrer comment, en déformant l'ordre j des mots normal du langage de la conversation, le poete peut I imprimer un certain caractěre á la ligne phonique de ses vers, i surtout, d'ailleurs, á sa ligne d'expiration (repartition et hié- \ rarchie des sommets d'expiration, augmentation et diminution de ' 1'intensité de la voix, caractěre et importance des pauses inté- rieures au vers). Nous allons donner quelques exemples á titre d'eclaircissement et de preuve. Dans le vers de Neruda A bujný vřískot jejich přes celičký letí Kanaán, (B. r.°), Ballada o svatbě v Kanaán.) 8) L'abreviation B. r. designe le recueil intitule Ballady a romance. 124 125 Jan Mukařovský: oü l'ordre des mots est irrégulier par rapport ä l'ordre habituel de la langue de communication, on peut rétablir l'ordre des mots regulier sans modifier le metre: A jejich bujný vřískot letí přes celičký Kanaán. Mais ce rétablissement change du tout au tout le caractěre de la ligne phonique. Dans le vers original, il y a quatre sommets ďégale importance: bttjný — vřískot — přes — Kanaán; dans le vers modifié (avec ordre des mots regulier), il n'y en a plus que deux: letí — Kanaán. La pause?) qui existe, dans Tun et l'autre vers, avant le mot «pres», est plus forte dans le vers original. En connexion avec le caractěre de 1'expiration, l'into-nation accuse, dans le vers original, une brusque elevation avant les sommets d'expiration et un brusque abaissement apres ces sommets; dans le vers modifié, elevation et abaissement se font ďune faeon coulante et sans brusquerie. Le mode de liaison des syllabes, qui est également en connexion avec le caractěre de l'expiration, accuse, dans le vers original, une absence nette de liaison dans le passage de la derniěre syllabe précédant chaque sommet expiratoire ä la syllabe portant ce sommet; dans le vers modifié, tout est lié. Le changement de l'ordre des mots a done amené une transformation complete de la ligne phonique. Un exemple trěs typique du changement de la ligne phonique que l'on peut provoquer en rétablissant l'ordre des mots regulier, est fourni par les vers suivants de Vrchlický: A lehce slunce šípem poraněno do svadlé trávy jab'ko s větví padá. (A8) 235, Podzimní den.) Avec un ordre des mots regulier, ces vers deviennent: A lehce poraněno šípem slunce do svadlé trávy padá jab'ko s větví.9) Dans le texte original, chacun des deux vers a un sommet ex-piratoire net ä la fin (poraněno — padá); au milieu des vers, 7) Nous n'employons pas le mot de « césure », car il ne s'agit pas pour nous d'une fin obligatoire de mot aprěs une syllabe donnée du vers (cf. R. Jakobson, Základy českého verše, Praha 1926, pp. 35 sqq., et aussi A. M e i 11 e t, Apergu d'une histoire de la langue grecque. 2e éd. Paris 1920, p. 104), mais d'une pause veritable. Nous entendons par pause non pas un arret effectif (pause temporelle), mais une limite, caractérisée par une diminution ďintensité de la voix (pause expiratoire), par un abaissement de la hauteur (pause d'intonation) et par une separation énergique des syllabes. s) L'abréviation A. designe V Antologie z básní Jaroslava Vrchlického. 8) Dans ces vers, exceptionnellement, nous avons, en changeant l'ordre des mots, déplacé également les mots rimawt ensemble. Nous éviterons de Rapports de la ligne phonique avec l'ordre de mots dans les vers tchěquos. il y a des sommets (slmice — trávy) qui sont trěs faibles; la pause qui les suit est également faible. Aussi 1'intensité de la voix va-t-elle en croissant d'une fagon pour ainsi dire ininterrompue dans chaque vers jusqu'au sommet expiratoire final. En fonction de ce caractěre de l'expiration, la ligne d'intonation accuse aussi, respectivement un caractěre lentement montant, ou descendant. Le mode de liaison des syllabes est lié; la limite méme des deux vers n'est pas marquee par un arret net entre lés syllabes. Dans le texte modifié, le vers n'a pas de sommet expiratoire; tous les mots sont rendus indépendants au point de vue expiratoire, et, également, á celui de l'intonation. En ce qui concerne le mode de liaison des syllabes, on peut observer que chaque syllabe accen-tuée est légěrement détachée de la derniěre syllabe du mot precedent. Ici aussi, en rétablissant l'ordre des mots normal, on a modifié la ligne phonique du vers. Les écarts de l'ordre des mots normal ne sont pas tou jours aussi considerables que e'etait le cas dans les exemples cites. Un seul mot parfois est déplacé; mais méme dans ce cas il y a repercussion sur la ligne phonique, comme on le voit en rétablissant l'ordre normal. En voici des exemples ;io) (texte original) jsi skrýval slzu, k mým se vinul rtům (Čech, Zimní noc.) strom vánoční se hvězdičkami kmitá (Čech, Ve stínu lípy.) mráz praporů těch stříbří okraje (Čech, Zpěvník Jana Buriana.) a pokryl hustě ranami a šrámy (id. ibid.) procéder ainsi dans la plupart des exemples ultérieurs, afin de ne pas courir le risque de 1'objection comme quoi le déplacement d'un mot portant la rime a pu étre fait, dans le texte original, á cause de celle-ci et non par égard á la ligne phonique. 10) Les vers que nous citons ici et tous ceux qui seront cités par la suite sont des vers comportant cinq ictus avec anakruse ďune syllabe (vers iambique de cinq pieds). Nous nous bornons a ce type unique pour avoir des matériaux homogěnes et aussi pour ne pas compliquer inutilement la besogne du lecteur par la varieté métrique des exemples, car des vers isolés détachés de leur coiutexte peuvent s'interpreter différemment au point de vue du metre. Une des raisons du choix que nous avons fait du vers á cinq ictus est aussi la frequence de ce type dans la poesie tchěque; une autre raison encore, e'est la diversité de la ligne phonique. 126 127 Jan Mukařovský: (texte modifié) jsi skrýval slzu, vinul se k mým rtům vánoční strom se hvězdičkami kmitá mráz stříbří praporů těch okraj en) a hustě pokryl ranami a šrámy Dans le texte original de ces vers, la ligne phonique comporte deux sommets expiratoires. Ľintensité expiratoire va crescendo jusqu'au premier sommet, pour se maintenir au niveau atteint et aller de nouveau crescendo jusqu'au second sommet; ce second sommet est done le plus important. Ce renforcement ininter-rompu de ľexpiration dans le cours du vers entier ressort parti-culiěrement bien quand on compare ces vers de Čech au vers typique de Sládek, oú ľexpiration va aussi crescendo, sans doute, jusqu'au premier sommet, mais pour retomber ensuite au niveau initial avant de reprendre le crescendo, si bien que le second sommet ne dépasse pas le premier: Stín modrých lesů hloubí se a hloubí (V zimním slunci, První políbení.) Noc prosincová, kroku neslyšeti. (Ibid., Lidé se budí.) Cette comparaison montre bien le crescendo de ľintensité de ľexpiration dans les vers de Čech cités ci-dessus. Mais leur ligne phonique n'est pas encore nettement déterminée. En effet, on trouve, au milieu des vers de Čech, aprěs le premier sommet expiratoire, une chute de ľintonation (par ex. « v mých ňadrech šumí citů skryté moře»), qui constitue une pause ďintonation. Ľexistence de cette pause est bien mise en relief ä son tour par une comparaison, et ce avec des vers de Vrchlický oú apparaít une tendance ä supprimer toute pause au milieu du vers, de maniere que la ligne expiratoire croissante (ou décroissante) ne soit interrompue par rien: Den podzimní se stmíval ve svém sklonku a vítr zpíval píseň nevlídnou. (Moje sonata, Na slatině.) La ligne phonique du vers de Čech est done caractérisée 1« par deux sommets expiratoires (1'un au milieu et ľautre a la fin du vers), dont le second est plus important que le premier, 2o par le maintien, dans la seconde moitié du vers, du niveau de 11) II est impossible de rétablir entiěrement ľordre des mots normal (mráz stříbří okraje těch praporů) dans ce vers et dans ďautres qui suivront, sans manquer á la regie que nous nous sommes imposée de ne pas déplacer les mots places ä la rime. '• Rapports de la ligne phonique avec ľordre de mots dans les vers tchěques. i ľintensité expiratoire atteint dans la premiere moitié, 3Í> par une ' pause ďintonation aprěs le premier sommet. Si nous considérons ! maintenant les changements que nous avons ci-dessus realises en rétablissant ľordre des mots normal dans les vers du poete en question, nous trouvons que dans tous les cas le changement de ľordre des mots a entrainé une modification de la ligne phonique. Dans le premier de la série (jsi skrýval...) et dans le second (strom vánoční...), on a une interruption du crescendo expiratoire et, en consequence, on voit s'effacer la subordination du second sommet au premier, comme dans les vers de Sládek. Dans les deux autres exemples, ce qui disparait au conťraire, e'est la pause ďintonation, ce qui fait prendre ä la ligne expiratoire une continuité absolue, ainsi que dans les vers de Vrchlický. Un changement analogue de la ligne phonique du vers quand on rétablit ľordre des mots normal se laisse constater également chez ďautres poětes, par exemple, ďune facon trěs claire, chez Zeyer., En voici quelques exemples, pris tous dans le Vyšehrad de ce poete: (texte original) že úžas zbudím lidí budoucích jak dar ji vezmi vzácný z ruky mé I a ruka její zvedne znovu se 1 i já mnoho viděl zemí dalekých I a družkou mojí byla dennice j (texte modifié) I že zbudím úžas lidí budoucích jak vzácný dar ji vezmi z ruky mé a její ruka znovu zvedne se já viděl mnoho zemí dalekých a mojí družkou byla dennice Dans le texte original, on constate que les sommets expiratoires sont chaque fois au debut et á la fin du vers; ils sont de méme importance et réciproquement égaux; ils sont faibles, et ľintensité expiratoire des šyllabes qui se trouvent entre eux n'accuse pas de décroissance frappante. II n'y a pas de pause au milieu du vers. Le niveau de ľintonation ne varie pas dans ľen-semble. Toutes les šyllabes sont assez nettement délimitées les unes vis-ä-vis des autres dans la pronunciation. Dans le texte modifié, on voit se former dans tous les exemples cités un fort sommet expiratoire au milieu et ä la fin du vers; ľintensité expiratoire va croissant. 128 9 129 Jan Mukařovský: On tfourráit citer une masse ď exemples tirés ďautres poětes. Ceux qui ont été donnés suffisent ä prouver qu'il existe un rapport entre la deformation de l'ordre des mots normal et la ligne phonique du vers. Mais ceci ne fournit pas encore une image complete des liens existant entre l'ordre des mots et la ligne phonique. On ne trouve pas un ordre des mots irrégulier, et deforme par rapport ä celui de la langue de communication, ä beau-coup pres dans tous les vers; c'est méme une exception chez quelques poětes. Ainsi la question se pose de savoir si, dans les vers ou l'ordre des mots est regulier, il existe un lien entre l'ordre des mots et la ligne phonique. La réponse nous sera fournie par les exemples. Si Ton essaie de modifier l'ordre des mots normal dans les vers oil la chose est possible sans troubler le metre, on se rendra compte que la ligne phonique change en méme temps que change l'ordre des mots. Exemples, d'abord sur des vers de Vrchlický: (texte original) Ta píseň smrti, každý z nás ji pěl (A II:12) 293 Anthero de Quental.) Vždy přišli mezi lidstvo proroci ( 103, Proroci.) kde každá sosna měla svoji dumu (A 266, Jak ve snách žiju ...) (texte modifié) Ta píseň smrti, z nás ji každý pěl Vždy mezi lidstvo přišli proroci kde sosna každá svoji měla dumu Dans tous ces vers, le changement de l'ordre des mots normal en un ordre irrégulier change la ligne phonique caracté-ristique du vers de Vrchlický (intensitě expiratoire sans cesse croissante, effacement de la pause ä 1'intérieur du vers). Dans le premier exemple (Ta píseň...), le vers modifié prend la ligne phonique des vers de Sládek (crescendo de 1'intensité expiratoire jusqu'au premier sommet « smrti», puis une pause, abaissement de 1'intensité expiratoire jusqu'au niveau initial et nouveau crescendo ; sommets expiratoires ďimportance égale). Dans les deux autres exemples, il se forme une ligne phonique analogue ä celle que nous avons vue dans les vers de Čech (crescendo ininter-rompu de 1'intensité expiratoire; second sommet — celui de la 12) Ľabréviation A II. designe la seconde amthologie de V. (Druhá antliologie z básní Jar. Vrchlického), 130 Rapports de la ligne phonique avec l'ordre de mots dans les vers tchěques. fin du vers— plus important que le premier; pause d'intona-tionau milieu du vers). Voici comme autre exemple un vers de Cech: (texte original) toť zákon dějin, vzdory nepomohou (Zpěvník Jana Buriana.) (texte modifié) toť dějin zákon, nepomohou vzdoryis) Le changement se traduit ici pour la ligne phonique de la facon suivante: ä la ligne originále avec intensitě expiratoire continů-ment croissante et avec pause ďintonation au milieu, se substitue une ligne possédant bien aussi, il est vrai, deux sommets, mais avec de brusques changements ďintensité: dans le texte modifié, les sommets se distinguent d'une maniere frappante, quant ä 1'intensité, de leur entourage. Ces brusques variations ďintensité se I reflětent dans le saut également brusque de ľintonation dans le J passage de la syllabe précédant le sommet ä la syllabe du sommet I lui-méme. On obtient ainsi une ligne phonique trěs semblable ä la f ligne caractéristique du vers de Dyk, par ex. i Tys šel však chmurný velikou svou dobou I (Anebo, Schlemihl.) I Voici encore un autre exemple fourni par un vers de j Sládek: j (texte original) vždy nový zástup duší ztracených (V zimním slunci, Děti.) (texte modifié) vždy zástup nový duší ztracených La ligne phonique des vers de Sládek (deux ondes expiratoires croissantes partant ľ une et ľautre d'un méme niveau ďintensité expiratoire; et, comme consequence, importance égale des sommets expiratoires) est transformée par la modification de ľordre des mots en une ligne phonique analogue ä celle des vers de Čech (crescendo ininterrompu de 1'intensité expiratoire; pause ďintonation au milieu du vers). On trouve méme des vers oix ľon peut faire subir ä ľordre des mots des changements multiples sans nuire au metre. A cha- I 13) Exceptionnellement, le mot portant la rime est déplacé. ! 131 Jan Mukařovský: cune de ces modification le vers prend une ligne phonique diffé-rente. Ainsi par ex. ce vers de Vrchlický: a dvojí rytmus tichou nocí splývá peut étre présenté sous plusieurs formes, surtout si ľon consent ä déplacer le mot situé ä la rime: a rytmus dvojí tichou nocí splývá a rytmus dvojí nocí tichou splývá a rytmus dvojí tichou splývá nocí a tichou nocí dvojí rytmus splývá. Avec la premiere modification, le vers ne perd pas, il est vrai, ľ expiration renforcée dans le sens croissant, mais au milieu ap-paraít une pause ď intonation, qui fait ressembler la ligne phonique ä celie des vers de Čech; avec la seconde modification, on voit apparaítre, notamment dans la seconde moitié du vers, un brusque saut expiratoire et ďintonation lors du passage au dernier mot, et le vers prend de ce fait une ligne phonique analogue ä celie des vers de Dyk; avec la troisiéme modification, il se forme dans la seconde moitié du vers deux sommets expiratoires (tichou — nocí), ce qui fait un peu ressembler ce vers ä ceux de Neruda, qui se distinguent par quatre sommets expiratoires (deux dans chaque moitié du vers), par ex.: Má duše trne, ret můj sotva dýše; (Matka sedmibolestná.) avec la quatriěme modification, la derniěre, on aboutit ä la ligne phonique des vers de Sládek (deux sommets expiratoires ďégale va-leur, méme niveau initial ď intensitě dans les deux moitiés du vers). II est done suffisamment démontré qu'il existeun lien é t r o i t e n t r e la ligne phonique e t ľo r d r e d e s mots méme régulier, puis que la ligne phonique réagit dans ces cas-lä avec beaucoup de sensibilitě ä toute modification de cet o r d r e. Néan-moins, le lien entre ľordre des mots et la ligne phonique n'est pas de nature ä provoquer une correspondance complete et sans ambiguité, chaque fois, de la seconde avec le premier. Le cas peut se produire qu'un vers détaché de son contexte accuse une ligne phonique vague, et soit susceptible d'etre lu de deux maniéres différentes, avec une double ligne phonique, méme sans c h a n g e m e n t du texte. Ainsi par ex. le vers novými květy voní, novým sluncem svítí peut étre lu, dans ľignorance du contexte, avec quatre sommets expiratoires: novými květy voní, novým sluncem svítí. Rapports de la ligne phonique avec ľordre de mots dans les vers tchěques. Lorsqu'on le lit ainsi, il prend une ligne phonique analogue ä celie des vers de Neruda. Mais on peut aussi le lire de maniere ä ac-centuer la syllabe tonique de tous les mots de ce vers ďune f agon égale et ä obtenir ainsi des sommets expiratoires de méme valeur. Le contexte oblige précisément ä cette lecture. II s'agit ďun vers de Toman, emprunté ä son poéme Poutnice (Sluneční hodiny): ať dotlí mládí domýšlivý nach, kruh zúžil se a zavřel, nové žití novými květy voní, novým sluncem svítí. La ligne phonique du vers est done, parfois, déterminée plutôt par une force ďinertie articulatoire que par la structure interne du vers méme. On peut se convaincre de ľ existence de cette force d'inertie d'une autre maniere encore: il arrive qu'en modifiant ľordre des mots dans la premiére moitié seulement du vers on obtienne un changement de la ligne phonique du vers tout entier — précisément par Taction de la force d'inertie. Ainsi par ex. dans les vers de T o m a n Zas novým třpytem rozkvétá ti vlas a nových kovů napil se tvůj smích. (Měsíce, Březen), ce qui est caractéristique de leur ligne phonique, e'est, comme nous ľavons noté, ľaccentuation égale de toutes les syllabes toni-ques; or, il suffit du déplacement de ľadjectif dans la premiére moitié de chacun des deux vers et de ľaccentuation due á ce déplacement, pour que ľon voie apparaítre, dans la seconde moitié, un accent renforcé sur les derniers mots: Zas třpytem novým rozkvétá ti vlas a kovů nových napil se tvůj smích. II en est de méme dans le vers suivant du méme poete: Však tvoje zvony slavným hymnem bijí (Stoletý kalendář, Aix-en-Provence.) lorsqu'on le change en: Však zvony tvoje slavným hymnem bijí. On constate le méme fait dans ce vers de Neruda: že vzkřísí v nich se — hlowpá chrpa vi-li ? (P. m., zim. V.) lorsqu'on y intervertit ľordre des mots dans la premiére moitié: že se v nich vzkřísí — hloupá chrpa ví-li ? Dans le texte original, ce vers — comme d'habitude ceux de Neruda — possěde quatre sommets expiratoires avec une pause au 132 133 Jan Mukařovský: líapiiorts cle la ligne phonique avec l'ordre de mots dans les vers tchěques. milieu. L'interversion de 1'ordre des mots dans la premiere moitié fait disparaitre le sommet initial; la force ďinertie fait alors dis-paraitre aussi le premier sommet de la seconde moitié du vers, dans laquelle 1'ordre des mots n'a pas été modifié. II est done evident que la concordance de la ligne phonique du vers avec la structure interne de celui-ci n'est pas forcément, et n'est pas non í plus touj ours absolue: dans un poěme, le scheme phonique fourni par la structure interne de certains vers (ou méme de cer-taines parties de vers) se maintient dans la conscience comme un élan qui s'adapte la ligne phonique dans les aut res vers, dont la structure interne est différente. Le manque de concordance que Ton observe de temps en temps entre l'ordre des mots et la ligne phonique n'affaiblit ďailleurs aucunement la validitě du fait que la ligne phonique | est liée trěs étroitement avec l'ordre des mots. II est trěs ' important de constater ce fait pour juger les fonctions struc-turales de la ligne phonique dans l'oeuvre poétique. Cest en effet par intermédiaire de l'ordre des mots que la ligne phonique entre ; en liaison avec les autres elements du poěme et qu'elle devient ainsi partie intégrante de la construction globále de 1'ceuvre. j Aussi est-ce une taohe urgente de Pétude de la ligne phonique j que de constater avec quels elements l'ordre des mots met la ligne phonique en liaison. En d'autres termes: il faut se rendre compte du rapport existant entre l'ordre des mots et les autres elements composants de l'oeuvre. Le plus frappant et, partant, aussi le plus connu est le rapport de l'ordre des mots á la construction syntax i q u e de la phrase. Cest en fonction de ce rapport que Ton a précisément défini et classé les différents cas de l'ordre des mots: dans l'ordre des mots normal on determine quels membres de phrase se trouvent ordinairement les uns á cóté des autres et dans quel ordre de succession; dans l'ordre des mots déformé, les différents déplacements sont classes ďaprěs les liaisons syntaxiques qui en sont affectées. Si le lien de l'ordre des mots avec la construction interne du texte se bornait á la construction de la phrase, la ligne phonique, étroitement liée á l'ordre des mots, ne serait au fond rien d'autre que la realisation phonique des rapports syntaxiques existant entre les mots du vers. Dans ces conditions, 1'étude de la ligne phonique serait bien simple: il suffirait de dresser une statistique des membres de phrase qui, dans une oeuvre, se trouvent le plus souvent dé-placés, et de la facon dont ils le sont, pour découvrir la formule exacte de sa ligne phonique. Or, 1'état de choses reel est tout autre, et beaucoup plus compliqué; une bonne preuve en est four-nie par ex. par ces vers de N e r u d a (P. m., zim. V.): že símě její širým polem letí, že příštím jarem vzkvetou její děti. L'un et 1'autre vers ont la méme ligne phonique caractéristique des vers de Neruda (quatre sommets expiratoires ďégale valeur: au commencement, avant la pause, aprěs la pause, á la fin) malgré le fait que dans le premier hémistiche du premier vers l'ordre des mots soit, par rapport á la syntaxe, juste l'inverse de celui du premier hémistische du second vers (substantif -f adjectif, adjectif + substantif). Si l'on agence l'ordre des mots de maniěre á faire prendre aux mots qui se correspondent syntaxiquement des places correspondantes dans les deux vers, il en résultera une discordance des lignes phoniques: že její símě širým polem letí, že příštím jarem vzkvetou její děti ou encore: že símě její širým polem letí, že jarem příštím vzkvetou její děti. Dans les deux cas, les vers affectés par l'interversion de l'ordre des mots original, perdent le sommet expiratoire initial; il en résulte un crescendo de 1'intensité expiratoire depuis le commencement du vers jusqu'au sommet précédant la pause (že její símě; že jarem příštím). Et ainsi la ligne phonique habituelle des vers de Neruda se trouve troublée, et ce justement du fait que la construction syntaxique est rendue concordante dans les hemistiches intéressés. II est aisé de rendre compte de ce fait: l'ordre des mots (et avec lui la ligne phonique) est ici en connexion plus étroite avec le sens qu'avec la syntaxe. Les mots sont arranges de maniěre á leur faire conserver leur indépendance de sens: le pronom « její » a pour le sens moins d'importance (justement parce que e'est un simple pronom) que le substantif « símě », aussi est-il accentué grace á une position inhabituelle; l'adjectif «příští» est aussi plein de sens que le substantif «jaro»; s'il était renforcé par un ordre des mots inaccoutumé (jarem příštím), il prendrait plus d'importance que le substantif auquel il se rapporte. II est done evident que l'ordre des mots (et avec lui la ligne phonique) est en liaison non pas seulement avec la syntaxe, mais aussi avec les autres elements de l'oeuvre poétique, et que ces rapports multiples se croisent parfois réciproquement. Les elements avec lesquels l'ordre des mots entre en liaison sont, outre la construction syntaxique, surtout les deux suivants: le rythme et la sémantique. 134 135 Jan Mukařovský: Le lien existant entre l'ordre des mots et la construction rythmique du vers est tout á fait visible et suffisamment connu; aussi n'en dirons-nous que peu de mots. II est illustré par d'in-nombrables vers, dans lesquels le derangement de l'ordre des mots normal est en connexion si étroite avec le rythme que le rétablissement d'un ordre des mots normal ferait disparaitre méme le scheme métrique. II est superflu de donner des exemples du fait tant il est banal. II existe encore d'ailleurs entre l'ordre des mots et le rythme toute une série de liens qui, pour étre moins frappants, n'en sont pas moins pleins d'effet, ainsi par ex. dans ces vers de N e r u d a: Nuže, přidej ty a přidej dále každý anděl, co jich po mém nebi, muk mu velkých, (B. r., Ballada pašijová.) la.deformation de l'ordre des mots — « muk mu velkých » au lieu de « velkých muk mu » — a pour effet de paralyser celui de 1'enjambement, lequel exerce une action destructrice sur le scheme du vers en effacant la limite entre un vers et le vers suivant. Un autre exemple intéressant du rapport qui lie l'ordre des mots et la ligne phonique au rythme nous est fourni par le vers deZeyer Tam, v stínu dílny bled a zamyšlen (Poesie, Legenda o Donatellovi.) En intervertissant dans ce vers l'ordre des deux adjectifs, on a Tam, v stínu dílny zamyšlen a bled Cette interversion laisse la syntaxe en dehors, puisque les deux adjectifs sont coordonnés. Mais ce qui change avec cette interversion, c'est le groupement des ictus rythmiques dans la se-conde moitié du vers. Dans le texte original le groupement est 1 + 2 (bled a / zamyšlen); le dernier ictus tombe sur une syllabe sans accent. Dans le texte modifié le groupement des ictus est 2 -(- 1 (zamyšlen a / bled) et le dernier ictus tombe sur une syllabe accentuée; il est done mis en relief par l'accent et par 1'iso-lation. Parallělement á ce double changement (celui de l'ordre des mots et celui du groupement des ictus) on voit se modifier aussi la ligne phonique du vers: dans le texte original, le vers cité, comme d'une maniěre generále les vers de Zeyer, ne possěde pas de sommet expiratoire expressif, alors que dans le texte modifié on en a un avec avec le mot « bled » qui, juste-ment, porte le dernier ictus, mis en relief au moyen de l'accent et de 1'isolation. Rapports de la ligne phonique avec l'ordre de mots dans les vers tchěques. Le rapport entre l'ordre des mots, la ligne phonique et le rythme nous semble suffisamment illustré par les exemples que nous venous de donner. II nous reste maintenant ä nous occuper de la liaison qui existe entre l'ordre des mots, la ligne phonique et la sémantique. Elle est moins connue parce que plus latente que les deux précédentes. Aussi les exemples que nous en allons donner exigeront-ils des commentaires assez détaillés. Nous prendrons pour premier exemple ce vers de Čech, emprunté ä son poěme Evropa: ----------z hloubi oceánu se nesl ke mně tichý, sladký hlas Si 1'on change les adjectifs de place se nesl ke mně sladký, tichý hlas on ne modifié pas la construction syntaxique — les deux adjectifs étant coordonnés — mais on change la structure sémantique. L'adjectif «tichý » s'accroche par le sens beaucoup plus au mot « hlas » que ne le faisait dans le texte original l'adjectif « sladký », car 1'expression «tichý hlas » est trěs courante et nous la com-prenons presque comme une unité de sens, sans nous rendre compte en particulier de la signification de chacun des mots qui la composent. Le groupe « sladký hlas » est loin de faire bloc ä ce point par rapport au sens, ne serait-ce que par le sentiment que nous avons, méme faiblement, de 1'emploi métaphorique de l'adjectif « sladký » dans ce contexte. Dans le texte original (tichý, sladký hlas) les deux adjectifs coordonnés sont autonomes et le sens de chacun d'eux est congu avec une égale netteté; dans le texte modifié (sladký, tichý hlas), l'adjectif «tichý » perd jusqu'ä un certain point son indépendance sémantique et passe au second plan par comparaison avec l'adjectif « sladký ». En méme temps que le changement de structure sémantique se manifeste aussi un changement de la ligne phonique: dans le texte original figure la ligne phonique habituelle de Čech, que caracté-rise un crescendo ininterrompu de 1'intensité expiratoire, alors que dans le texte modifié on a dans le second hémistiche une brusque baisse ďintensité dans la pronunciation du mot « tichý », ce qui donne ä ce second hémistiche un double sommet expiratoire, au commencement (sladký) et a la fin (hlas). Get exemple prouve qu'il peut y avoir un lien de l'ordre des mots et la ligne phonique avec la structure sémantique du vers sans que la construction syntaxique soit en cause. Un autre exemple des relations entre ces trois elements de l'osuvre poétique nous est fourni par les vers suivants de Toman: 136 137 Jan Mukařovský: Rapports de la ligne phonique etc. N. N. Durnovo: Sur lo probléme du vieux-slave. Šumějí lesy i vody a světlo nad nimi zpívá14) (Stoletý kalendář, Léto.) La ligne phonique de ces vers est celie que nous avons définie plus haut (cf. p. 133) chez Toman: l'accent de chaque mot consti-tue un sommet expiratoire indépendant. Or, si ľon intervertit ľordre des deux substantifs dans le premier vers, cela change la ligne phonique de ce vers: dans le texte Šumějí vody i lesy, il y aura dans le vers un sommet expiratoire principal avec le mot « lesy »; ľexpiration prendra un caractěre montant. La construction syntaxique n'est pas affectée par le déplacement opere, puisque les substantifs intervertis sont coordonnés. Par contre il y a modification de la structure sémantique: le mot « vody », que le changement de place vient mettre au voisinage immédiat du verbe « šumějí», se fond avec ce dernier, par suite de la frequence de cette association, en un faisceau sémantique tres étroit; le mot « lesy », qui se trouvait á cette place dans le texte original, y conservait une indépendance sémantique beaucoup plus forte, parce qu'on le sentait comme s'interposant entre les mots « šumějí » et « vody » pour briser leur union sémantique étroite. Dans le texte original on avait la structure sémantique suivante____________ šumějí lesy i vody, dans le texte modifié on a Šumějí vody i lesy On voit done de nouveau confirmé le lien de ľordre des mots et de la ligne phonique du vers avec la structure sémantique. Voici pour finir un dernier exemple, emprunté encore ä Toman: Duch země zpívá: úzkost, víra, bolest v jediný chorál slily se —--- (Měsíce, Září.) Si nous déplagons le mot « víra » pour le mettre ä la fin du vers, on a: Duch země zpívá: úzkost, bolest, víra lei non plus on n'a pas de changement syntaxique, ľinterversion portant sur des substantifs coordonnés. Mais on a un changement de la ligne phonique: au lieu d'une série de sommets expiratoires 14) Cet exemple diffěre des autres par le metre. 138 ďégale importance determines par ľaccent de tous les mots, on obtient dans la seconde moitié du vers (úzkost, bolest, víra) une ligne expiratoire d'intensité croissante et culminant au mot „víra". Au point de vue du sens il y a liaison trés étroite — comme étant presque synonymes dans le texte donne — entre les mots „úzkost" et „bolest"; au lieu de la distinction precise de sens qu'il y avait dans le texte original, il se produit une gradation de sens ayant une nuance affective. Et ainsi ce dernier exemple prouve, tout comme les precedents, la possibilité ďune inter-dépendance de ľordre des mots et de la ligne phonique avec la structure sémantique. Nous terminons notre etude. Elle a été consacrée ä ľétude de la ligne phonique du vers, et ce non pas ä son etude phoné-.tique, la ligne phonique étant au fond un scheme general abstrait, indépendant de la realisation phonétique, mais á son etude structural, en prenant pour objectif de determiner le lien entre la ligne phonique et les autres elements de ľoeuvre poétique. U est apparu que, de tous ces elements, le plus étroitement lié ä la ligne phonique était ľordre des mots, dont le lien avec elle est ä ce point intime que toute modification pour ainsi dire, méme par-fois insignifiante, de ľordre des mots, entraíne une modification de la ligne phonique. Par ľintermédiaire de ľordre des mots, la ligne phonique entre en liaison avec les autres elements de ľoeuvre poétique, surtout avec la syntaxe, le rythme et la sémantique. Par ľactualisation de ces relations, la ligne phonique revét dans ľoevre poétique des fonetions structurales; les elements phonétiques qui la réalisent — ľintensité variable de ľexpiration et les phénoměnes ďaccompagnement (intonation, mode de liaison des syllabes) — deviennent done, de moyens d'expression for-tuits qu'ils sont dans la langue de communication, des elements actifs de la structure complexe de ľoeuvre poétique. SUR LE PROBLEME DU VIEUX-SLAVE PAR N. N. DURNOVO. La question du lieu d'origine du vieux-slave peut etre considered actuellement comme resolue. II se trouverait a peine aujourd'hui des slavistes pour douter que Constantin le Philo-sophe ait pris comme base de la langue de ses traductions en slave le dialecte des Slaves de Salonique et qu'il ait compose son alphabet slave en f onction de ce dialecte. Neanmoins, la question de l'essence et du contenu du vieux-slave demeure obscure. Tous semblent etre d'accord pour considerer le vieux-slave comme la langue litteraire dont le principe a ete pose par Cyrille et Me- 139