AVERTISS KMENT Nous sommes heureux, avecAnloine Gallimard, de publier dans k cadre de la collection «Folio » el pour la premiére fois Védition integrále du Petit Prince, strictement conforme á Védition originate américaine, la seuleparue du vivant de Vauteur, en 1943. Saint-Exupéry, exile aux Etats-Unis de 1941 á 1943 el n'y pou-vant mainlenir de relations continues avec son éditeur parisien, avail en effet conjié á la maison new-yorkaise Reynal & Hitchcock le soin de réaliser les deux premieres editions du conle, I'une en langue jran-caise, Vaulre en langue anglaise, toutes deux reproduisant les célebres aquarelles. Cenest que trois ansplus tard, le30novembre 1945, que sortait des presses la premiére edition du Petit Prince en France, pour le compte de la LAbrairie Gallimard. Cette demiere edition a servi, jusqu'a aujourd'hui, d'unique reference á toutes les publications du conte connues du public jrancais. Mais á comparer les deux editions amhicaines de 1943 avec Védition francaise poslhume de 1945, nous avons constate des differences sensibles dans la reproduction des dessins de Saint-Exupéry. Differences que ne peuvenl expliquer de simples variations d*encrage ou de techniques dyimpression. Que regarde Vaslronome dans sa lorgnette? Une étoile, malencontreusement absente de Védition francaise. Et que dire des écritures de Vhomme d'affaires et des formules inscrites sur le tableau de Vaslronome; elles n'onl rien en commun, assurément. A croire que Von ne compte pas de la meme facon outre-Atlantique! La liste est hngue de ces petits details qui different, du contour de Vécharpe aux pétales el sépales des fleurs, des rayons du soldi au pied du lampadaire, des racines du baobab aux branches 5 des palmiers. En outre, le nombre des couchers de soldi n 'etait pas le meme depuis Us reeditions des annees cinquante. Pourquoi de telles variations ? L'imprimeur francais, ne disposant pas des dessins originaux de Vauteur, est reparti des illustrations de I'une des deux editions americaines. Ces illustrations, qui ont pu etre jugees Irop pales pour la nouvelle impression, ont ete reproduites a I'identique el <>ravivees», ou «remontees». Uutilisation de caiques a notammenl entraine des effeis de rehaut des dessins initiaux, ajou-tanl en lei ou tel endroil de la matiere aux traits affatbits; les coups depinceau, encore bien visibles dans Vedition de 1943, ont disparu sous Veffet de «lissage» des couleurs; et bien des details s'en sont trouves ainsi alteres, voire mis a mal. Nous avons done decide, compte term des moyens techniques dont nous disposons desormais, de /aire proceder a cette nouvelle impression a parlir de Vedition arnericaine du Petit Prince. Cinquante-huit ans plus lard, le public franfais et francophone pourra done lire ce conte universel avec les illustrations que I'ecri-vain a dessinees et vues imprimees. C'est un lien nouveau avec Saint-Exupery et Le Petit Prince. FREDERIC D'AGAY ie fsáxt Tjü/nm Je crois qu'il profita, pour son evasion, d'une migration d'oiseaux sauvages. Antoine de Saint-Exupéry Je fstit Tjúma. Avec des aquarelles de Vauteur A, Gallimard A © Editions Gallimard, 1946, texte et illustrations. © Editions Gallimard, 1999, pour la presente edition. A Ijéon Werth. Je demande pardon aux enfants ďavoir dédié ce livre á une grande personne. J'ai une excuse sérieuse : cette grande personne est le meilleur ami que j'ai au monde. J'ai une autre excuse : cette grande personne peut tout comprendre, méme les livres pour enfants. J'ai une troisiěme excuse : cette grande personne habite la France ou elle a faim et froid. Elle a bien besoin d'etre consolée. Si toutes ces excuses ne suffisent pas, je veux bien dé-dier ce livre á 1'enfant qu'a été autrefois cette grande personne. Toutes les grandes personnes ont ďabord été des enfants. (Mais peu d'entre elles s'en souviennent.) Je corrige done ma dédicace : A Leon Werth quand it était petit gargon. I Lorsque j'avais six ans j'ai vu, une fois, une magni-fique image, dans un livre sur la foret vierge qui s'ap-pelait Histoires vecues. representait un serpent boa qui avalait un fauve. Voila la copie du dessin. On disait dans le livre : « Les serpents boas avalent leur proie tout entiere, sans la macher. Ensuite ils ne peuvent plus bouger et ils dorment pendant les six mois de leur digestion. » J'ai alors beaucoup reflechi sur les aventures de la jungle et, a mon tour, j'ai reussi, avec un crayon de couleur, a tracer mon premier dessin. Mon dessin numero 1. II etait comme ca : J J'ai montre mon chef-d'oeuvre aux grandes per-sonnes et je leur ai demande si mon dessin leur fai-sait peur. Elles m'ont repondu : «Pourquoi un chapeau ferait-il peur?» 13 Mon dessin ne représentait pas un chapeau. II représentait un serpent boa qui digérait un elephant. J'ai alors dessiné ľintérieur du serpent boa, afin que les grandes personnes puissent com-prendre. Elles ont toujours besoin d'explications. Mon dessin numero 2 était comme ca : Les grandes personnes m'ont conseille de laisser de cote les dessins de serpents boas ouverts ou fer-mes, et de m'interesser plutot a la geographie, a l'histoire, au calcul et a la grammaire. C'est ainsi que j'ai abandonne, a 1'age de six ans, une magni-fique carriere de peintre. J'avais ete decourage par l'insucces de mon dessin numero 1 et de mon dessin numero 2. Les grandes personnes ne compren-nent jamais rien toutes seules, et c'est fatigant, pour les enfants, de toujours et toujours leur donner des explications... J'ai done du choisir un autre metier et j'ai appris a piloter des avions. J'ai vole un peu partout dans le monde. Et la geographie, c'est exact, m'a beaucoup servi. Je savais reconnaitre, du premier coup d'ceil, la Chine de l'Arizona. C'est tres utile, si Ton s'est egare pendant la nuit. J'ai ainsi eu, au cours de ma vie, des tas de contacts avec des tas de gens serieux. J'ai beaucoup vecu chez les grandes personnes. Je les ai vues de tres pres. Qa n'a pas trop ameliore mon opinion. 14 Quand j'en rencontrais une qui me paraissait un peu lucide, je faisais l'experience sur elle de mon dessin numero 1 que j'ai toujours conserve. Je vou-lais savoir si elle etait vraiment comprehensive. Mais toujours elle me repondait : «C'est un chapeau.» Alors je ne lui parlais ni de serpents boas, ni de lb rets vierges, ni d'etoiles. Je me mettais a sa portee. Je lui parlais de bridge, de golf, de politique et de cravates. Et la grande personne etait bien contente de connaitre un homme aussi raisonnable... II J'ai ainsi vécu seul, sans personne avec qui parler véritablement, jusqu'a une panne dans le desert du Sahara, il y a six ans. Quelque chose s'etait cassé dans mon moteur. Et comme je n'avais avec moi ni mécanicien, ni passagers, je me préparai á essayer de réussir, tout seul, une reparation difficile. C'etait pour moi une question de vie ou de mort. J'avais á peine de l'eau á boire pour huit jours. Le premier soir je me suis done endormi sur le sable á mille milles de toute terre habitée. J'etais bien plus isolé qu'un naufragé sur un radeau au milieu de l'ocean. Alors vous imagine/ ma surprise, au lever du jour, quand une dróle de petite voix m'a reveille. Elle disait : ... «S'il vous plait... dessine-moi un mouton ! — Hein! — Dessine-moi un mouton... » J'ai sauté sur mes pieds comme si j'avais étč frappé par la foudre. J'ai bien frotté mes yeux. J'ai 15 bien regarde, Etj'ai vu un petit bonhomme tout a fait extraordinaire qui me considerait gravement. Voilä le meilleur portrait que, plus tard, j'ai reussi ä faire de lui. Mais mon dessin, bien stir, est beaucoup moins ravissant que le modele. Ce n'est pas ma faute. J'avais ete decourage dans ma carriere de peintre par les grandes personnes, ä l'äge de six ans, et je n'avais rien appris ä dessiner, sauf les boas fer-mes et les boas ouverts. Je regardai done cette apparition avec des yeux tout ronds d'etonnement. N'oubliez pas que je me trouvais ä mille milles de toute region habitee. Or mon petit bonhomme ne me semblait ni egare, ni mort de fatigue, ni mort de faim, ni mort de soif, ni mort de peur. II n'avait en rien l'apparence d'un enfant perdu au milieu du desert, ä mille milles de toute region habitee. Quand je reussis enfin ä parierte lui dis: «Mais... qu'est-ce que tu fais la?» Et il me repeta alors, tout doucement, comme une chose tres serieuse : «S'il vous plait... dessine-moi un mouton... » Quand le mystere est trop impressionnant, on n'ose pas desobeir. Aussi absurde que cela me sem-blät ä mille milles de tous les endroits habites et en danger de mort, je sortis de ma poche une feuille de papier et un stylographe. Mais je me rappelai alors que j'avais surtout etudie la geographie, I'histoire, le calcul et la grammaire et je dis au petit bonhomme (avec un peu de mauvaise humeur) que je ne savais pas dessiner. II me repondit: « Qb. ne fait rien. Dessine-moi un mouton.» Comme je n'avais jamais dessine un mouton je 16 Voilíi le meilleiir portrait que, plus laid, j'ai ľénssi ä (aire de liii. 17 rcfis, pour lui, l'un des deux seuls des-sins dont j'etais capable. Celui du boa ferme. Etje fus stupefait d'entendre le petit bonhomme me repondre : «Non ! Non! Je ne veux pas d'un elephant dans un boa. Un boa c'est tres dangereux, et un elephant c'est tres encom-brant. Chez moi c'est tout petit. J'ai besoin d'un mouton, Dessine-moi un mouton. » Alors j'ai dessine. II regarda attentivement, puis : «Non! Celui-la est deja tres malade. Fais-en un autre. » Je dessinai : Mon ami sourit gentiment, avec indulgence : «Tu vois bien... ce n'est pas un mouton, c'est un belier. II a des cornes... » Je refis done encore mon dessin : Mais il Jut refuse, comme les precedents : «Celui-la est trop vieux. Je veux un mouton qui vive longtemps. » Alors, faute de patience, comme j'avais hate de commencer le demon-tage de mon mo ten r, je griffon nai ce dessin-ci: Et je lancai : «Qa c'est la caisse. Le mouton que tu veux est dedans.» Mais je fus bien surpris de voir s'illuminer le visage de mon jeune juge : «C'est tout a fait comme ca que je le voulais! Croifrtu qu'il faille beaucoup d'herbe a ce mouton? 18 — Pourquoi? — Parce que chez moi c'est tout petit... — £a suffira surement. Je t'ai donne un tout petit mouton.» II pencha la tete vers le dessin : «Pas si petit que ca... Tiens! II s'est endormi... » Et c'est ainsi que je fis la connaissance du petit prince. Ill II me fallut longtemps pour comprendre d'ou il venait. Le petit prince, qui me posait beaucoup de questions, ne semblait jamais entendre les miennes. Ce sont des mots prononces par hasard qui, peu a peu, m'ont tout revele. Ainsi, quand il apercut pour la premiere fois mon avion (je ne dessinerai pas mon avion, c'est un dessin beaucoup trop complique pour moi) il me demanda: «Qu'est-ce que c'est que cette chose-la? — Ce n'est pas une chose. Ca vole. C'est un avion. C'est mon avion.» Et j'etais fier de lui ap-prendre que je volais. Alors il s'ecria «Comment! tu es tombe du ciel! — Oui, fisje modestement. —: Ah! ca c'est dröle!... » Et le petit prince eut un trěs joli éclat de rire qui m'irrita beaucoup. Je desire que Ton prenne mes malheurs au sérieux. Puis il ajouta : «Alors, toi aussi tu viens du ciel! De quelle planete es-tu ? » J'entrevis aussitöt une lueur, dans le mystěre de sa presence, et j'interrogeai brusquement: «Tu viens done d'une autre planete? » Mais il ne me répondit pas. II hochait la téte dou-cement tout en regardant mon avion : «C'est vrai que, lä-dessus, tu ne peux pas venir de bien loin...» Et il s'enfonca dans une reverie qui dura long-temps. Puis, sortant mon mouton de sa poche, il se plongea dans la contemplation de son tresor. Vous imaginez combien j'avais pu étre intrigue par cette demi-confidence sur «les autres planetes». Je m'efforcai done d'en savoir plus long : «D'oü viens-tu, mon petit bonhomme? Ou est-ce "chez toi"? Oü veux-tu empörter mon mouton? » II me répondit apres un silence méditatif: «Ce qui est bien, avec la caisse que tu m'as don-nee, c'est que, la nuit, ca lui servira de maison. — Bien sür. Et si tu es gentil, je te donnerai aussi une corde pour l'attacher pendant le jour. Et un piquet.» La proposition parut choquer le petit prince : «L'attacher? Quelle dróle ďidée! — Mais si tu ne l'attaches pas, il ira n'importe oú, et il se perdra.» Et mon ami eut un nouvel éclat de rire : 20 21 « Mais oü veux-tu qu'il aille! — N'importe oü. Droit devant lui... » Alors le petit prince remarqua gravement: « Ca ne fait rien, c'est tellement petit, chez moi! » Et, avec un peu de melancolie, peut-etre, il ajouta: «Droit devant soi on ne peut pas aller bien loin...» IV J'avais ainsi appris une seconde chose třes impor-tante : c'est que sa planete ďorigine était ä peine plus grande qu'une maison! Ca ne pouvait pas m'étonner beaucoup. Je savais bien qu'en dehors des grosses planětes comme la Terre, Jupiter, Mars, Venus, auxquelles on a donne des noms, il y en a des centaines d'autres qui sont quelque-fois si petites qu'on a beaucoup de mal ä les apercevoir au telescope. Quand un astronome dé-couvre ľune d'elles, il lui donne pour nom un numero. II ľappelle par exem-ple : «ľ asteroide 325». J Ji J 22 J'ai de sérieuses rai-sons de croire que la planete ďoú venait le petit prince est 1'asté-roide B 612. Cet asteroide n'a été apercu qu'une fois au telescope, en 1909, par un astronome ture. II avait fait alors une grande demonstration de sa decouverte ä un congres international d'astronomic Mais personne ne l'avait cru ä cause de son costume. Les grandes personnes sont comme ca. Heureusement pour la reputation de Tasteroide B 612, un dictateur turc imposa ä son peuple, sous peine de mort, de s'habiller ä 1'europeenne. L'astro-nome refit sa demonstration en 1920, dans un habit tres elegant. Et cette fois-ci tout le monde fut de son avis. Si je vous ai raconte ces details sur l'asteroide B 612 et si je vous ai confie son numero, e'est ä cause des grandes personnes. Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d'un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur 1'essentiel. Elles ne vous disent jamais : «Quel est le son de sa voix? Quels sont les jeux qu'il pre-fere? Est-ce qu'il collectionne les papillons ? » Elles vous demandent: «Quel age a-t-il? Combien a-t-il de freres? Combien pese-t-il? Combien gagne son pere ? » Alors seulement elles croient le connaitre. Si vous dites aux grandes personnes : «J'ai vu une belle maison en briques roses, avec des geraniums aux fenetres et des colombes sur le toit... », elles ne par-viennent pas a s'imaginer cette maison. II faut leur dire : «J'ai vu une maison de cent mille francs.» Alors elles s'ecrient: « Comme c'est joli! » Ainsi, si vous leur dites, «La preuve que le petit prince a existe c'est qu'il etait ravissant, qu'il riait, et qu'il voulait un mouton. Quand on veut un mouton, c'est la preuve qu'on existe», elles hausseront les epaules et vous traiteront d'enfant! Mais si vous leur dites : «La planete d'ou il venait est I'asteroi'de B 612», alors elles seront convaincues, et elles vous laisseront tranquille avec leurs questions. Elles sont comme ca. II ne faut pas leur en vouloir. Les enfants doivent etre tres indulgents envers les grandes personnes. Mais, bien sur, nous qui comprenons la vie, nous nous moquons bien des numeros! J'aurais aime commencer cette histoire a la facon des contes de fees. J'aurais aime dire : «11 etait une fois un petit prince qui habitait une planete a peine plus grande que lui, et qui avait besoin d'un ami... » Pour ceux qui comprennent la vie, ca aurait eu l'air beaucoup plus vrai. Car je n'aime pas qu'on lise mon livre a la legere. J'eprouve tant de chagrin a raconter ces souvenirs. II y a six ans deja que mon ami s'en est alle avec son mouton. Si j'essaie ici de le decrire, c'est afln de ne pas l'oublier. C'est triste d'oublier un ami. Tout le monde n'a pas eu un ami. Et je puis devenir comme 24 les grandes personnes qui ne s'interessent plus qu'aux chiffres. C'est done pour ca encore que j'ai achete une boTte de couleurs et des crayons. C'est dur de se remettre au dessin, a mon age, quand on n'a jamais fait d'autres tentatives que celle d'un boa ferme et celle d'un boa ouvert, a l'age de six ans! J'essaierai, bien sur, de faire des portraits le plus res-semblants possible. Mais je ne suis pas tout a fait certain de reussir. Un dessin va, et l'autre ne ressemble plus. Je me trompe un peu aussi sur la taille. Ici le petit prince est trop grand. La il est trop petit. J'he-site aussi sur la couleur de son costume. Alors je tatonne comme ci et comme ca, tant bien que mal. Je me tromperai enfin sur certains details plus importants. Mais ca, il faudra me le pardonner. Mon ami ne donnait jamais d'explications. II me croyait peut-etre semblable a lui. Mais moi, malheureuse-ment, je ne sais pas voir les moutons a travers les caisses. Je suis peut-etre un peu comme les grandes personnes. J'ai du vieillir. V Chaque jour j'apprenais quelque chose sur la planete, sur le depart, sur le voyage. Ca venait tout doucement, au hasard des reflexions. C'est ainsi que, le troisieme jour, je connus le drame des baobabs. Cette fois-ci encore ce fut grace au mouton, car brusquement le petit prince m'interrogea, comme pris d'un doute grave : 25 « C'est bien vrai, n'est-ce pas, que les moutons mangent les arbustes? — Oui. C'est vrai. — Ah ! Je suis content! » Je ne compris pas pourquoi il était si important que les moutons mangeassent les arbustes. Mais le petit prince ajouta : « Par consequent ils mangent aussi les baobabs? » Je fis remarquer au petit prince que les baobabs ne sont pas des arbustes, mais des arbres grands comme des églises et que, si méme il emportait avec lui tout un troupeau ďéléphants, ce troupeau ne viendrait pas á bout d'un seul baobab. L'idee du troupeau ďéléphants fit rire le petit prince : «II faudrait les mettre les uns sur les autres... » Mais il remarqua avec sagesse : « Les baobabs, avant de grandir, ca commence par étre petit. — C'est exact! Mais pourquoi veux-tu que tes moutons mangent les petits baobabs? » II me répondit : «Ben! Voyons!», comme s'il s'agissait la d'une evidence. Et il me fallut un grand effort d'intelli-gence pour comprendre á moi seul ce probléme. Et en effet, sur la planete du petit prince, il y avait, comme sur toutes les planětes, de bonnes herbes et de mauvaises herbes. Par consequent ft. 26 \ de bonnes graines de bonnes herbes et de mauvaises graines de mauvaises herbes. Mais les graines sont invisibles. Elles dorment dans le secret de la terre jusqu'a ce qu'il prenne fantaisie a Fune d'elles de se reveiller. Alors elle s'etire, et pousse d'abord timide-ment vers le soleil une ravissante petite brindille inoffensive. S'il s'agit d'une brindille de radis ou de rosier, on peut la laisser pousser comme elle veut. Mais s'il s'agit d'une mauvaise plante, il faut arra-cher la plante aussitot, des qu'on a su la recon-naitre. Or il y avait des graines terribles sur la planete du petit prince... c'etaient les graines de baobabs. Le sol de la planete en etait infeste. Or un baobab, si Ton s'y prend trop tard, on ne peut jamais plus s'en debarrasser. II encombre toute la planete. II la perfore de ses racines. Et si la planete est trop petite, et si les baobabs sont trop nombreux, ils la font eclater. 27 «C'est une question de discipline, me disait plus tard le petit prince. Quand on a termine sa toilette du matin, il faut faire soigneusement la toilette de la planete. II faut s'astreindre réguliěrement ä arra-cher les baobabs děs qu'on les distingue ďavec les rosiers auxquels ils ressemblent beaucoup quand ils sont tres jeunes. C'est un travail trěs ennuyeux, mais třes facile.» Et un jour il me conseilla de m'appliquer ä réussir un beau dessin, pour bien faire entrer ca dans la téte des enfants de chez moi. «S'ils voyagent un jour, me disait-il, ca pourra leur servir. II est quelquefois sans inconvenient de remettre ä plus tard son travail. Mais, s'il s'agit des baobabs, c'est toujours une catastrophe. J'ai connu une planete, habitée par un pares-seux. II avait neglige trois arbustes...» Et, sur les indications du petit prince, j'ai dessiné cette planete-la. Je n'aime guěre prendre le ton ďun moralisté. Mais le danger des baobabs est si peu connu, et les risques courus par celui qui s'ega-rerait dans un asteroide sont si considerables, que, pour une fois, je fais exception ä ma reserve. Je dis : «Enfants! Faites attention aux baobabs!» C'est pour avertir mes amis d'un danger qu'ils frölaient depuis longtemps, comme moi-méme, sans le connaitre, que j'ai tant travaillé ce dessin-lä. La lecon que je donnais en valait la peine. Vous vous demanderez peut-étre : Pourquoi n'y a-t-il pas, dans ce livre, d'autres dessins aussi grandioses que le dessin des baobabs? La réponse est bien simple : J'ai essayé mais je n'ai pas pu réussir. Quand j'ai dessiné les baobabs j'ai été animé par le sentiment de Tur-gence. 28 Ah! petit prince, j'ai compris, peu á peu, ainsi, ta petite vie mélancolique. Tu n'avais eu longtemps pour distraction que la douceur des couchers de soleil. J'ai appris ce detail nouveau, le quatriěme jour au matin, quand tu m'as dit: «J'aime bien les couchers de soleil. Allons voir un coucher de soleil... — Mais il f'aut attendre... — Attendre quoi ? — Attendre que Ie soleil se couche. » Tu as eu I'air trěs surpris d'abord, et puis tu as ri de toi-méme. Et tu m'as dit: «Je me crois toujours chez moi! » 30 En effet. Quand il est midi aux Etats-Unis, le soleil, tout le monde le sait, se couche sur la France. II suffirait de pouvoir aller en France en une minute pour assister au coucher du soleil. Malheureuse-ment la France est bien trop eloignee. Mais, sur ta si petite planete, il te suffisait de tirer ta chaise de quelques pas. Et tu regardais le crepuscule chaque fois que tu le desirais... «Un jour, j'ai vu le soleil se coucher quarante-quatre fois! » Et un peu plus tard tu ajoutais : «Tu sais... quand on est tellement triste on aime les couchers de soleil... — Le jour des quarante-quatre fois, tu etais donc tellement triste ? » Mais le petit prince ne repondit pas. VII Le cinquiěme jour, toujours grace au mouton, ce secret de la vie du petit prince me fut révélé. II me de manda avec brusque rie, sans preambule, comme le fruit ďun probléme longtemps médité en silence : «Un mouton, s'il mange les arbustes, il mange aussi les fleurs? — Un mouton mange tout ce qu'il rencontre. — Méme les fleurs qui ont des épines? — Oui. Méme les fleurs qui ont des épines. — Alors les épines, ä quoi servent-elles? » Je ne le savais pas. J'étais alors trés occupé ä 31 essayer de devisser un boulon trop serre de mon moteur. J'etais tres soucieux car ma panne commen-cait de m'apparattre comme tres grave, et l'eau a boire qui s'epuisait me faisait craindre le pire. « Les epines, a quoi servent-elles? » Le petit prince ne rcnoncait jamais a unc question, une fois qu'il l'avait posee. J'etais irrite par mon boulon et je repondis n'importe quoi : «Les epines, ca ne sert a rien, c'est de la pure mechancete de la part des fleurs! — Oh!» Mais apres un silence il me lanca, avec une sorte de rancune: «Je ne te crois pas! Les fleurs sont faibles. Elles sont nai'ves. Elles se rassurent comme elles peuvent. Elles se croient terribles avec leurs epines... » Je ne repondis rien. A cet instant-la je me disais : «Si ce boulon resiste encore, je le ferai sauter d'un coup de marteau.» Le petit prince derangea de nou-veau mes reflexions : «Et tu crois, toi, que les fleurs... — Mais non! Mais non! Je ne crois rien! J'ai repondu n'importe quoi. Je m'occupe, moi, de choses serieuses!» II me regard a stupefait. « De choses serieuses! » II me voyait, mon marteau a la main, et les doigts noirs de cambouis, penche sur un objet qui lui sem-blait tres laid. «Tu paries comme les grandes personnes! » pa me fit un peu honte. Mais, impitoyable, il ajouta : «Tu confonds tout... tu melanges tout! » 32 II etait vraiment tres irrite. II secouait au vent des cheveux tout dores : «Je connais une planete ou il y a un monsieur cra-moisi. II n'a jamais respire une fleur. II n'a jamais regarde une etoile. II n'a jamais aime personne. II n'a jamais rien fait d'autre que des additions. Et toute la journee il repete comme toi : 'Je suis un homme serieux! Je suis un homme serieux!", et ca le fait gonfler d'orgueil. Mais ce n'est pas un homme, c'est un champignon! — Un quoi? — Un champignon! » Le petit prince etait mainte- «II y a des millions d'annees que les fleurs fabriquent des epines. II y a des millions d'annees que les moutons mangent quand meme les fleurs. Et ce n'est pas serieux de chercher a comprendre pourquoi elles se donnent tant de mal pour se fabriquer des epines qui ne ser-ventjamais a rien ? Ce n'est pas important la guerre des mou- nant tout pale de colere. tons et des fleurs? Ce n'est pas plus serieux et plus important que les additions d'un gros monsieur rouge? Et si je connais, moi, une fleur unique au monde, qui n'existe nulle part, sauf dans ma planete, et qu'un petit mouton peut ( aneantir d'un seul coup, comme ca, un matin, sans se rendre compte de ce qu'il fait, ce n'est pas important ca!» II rougit, puis reprit: «Si quelqu'un aime une fleur qui n'existe qu'a un exemplaire dans les millions et les millions d'etoiles, ca suffit pour qu'il soit heureux quand il les regarde. II se dit : "Ma fleur est la quelque part..." Mais, si le mouton mange la fleur, c'est pour lui comme si, brusquement, toutes les etoiles s'etei-gnaient! Et ce n'est pas important ca! » II ne put rien dire de plus. II eclata brusquement en sanglots. La nuit etait tombee. J'avais lache mes outils. Je me moquais bien de mon marteau, de mon boulon, de la soif et de la mort. II y avait, sur une etoile, une planete, la mienne, la Terre, un petit prince a consoler! Je le pris dans les bras. Je le ber-cai. Je lui disais : «La fleur que tu aimes n'est pas en danger... Je lui dessinerai une museliere, a ton mouton... Je te dessinerai une armure pour ta fleur... Je...» Je ne savais pas trop quoi dire. Je me sentais tres maladroit. Je ne savais comment l'atteindre, ou le rejoindre... C'est tellement mysterieux, le pays des larmes! VIII J'appris bien vite á mieux connaitre cette fleur. II y avait toujours eu, sur la planete du petit prince, des fleurs tres simples, ornées d'un seul rang de pétales, et qui ne tenaient point de place, et qui ne 34 derangeaient personne. Elles apparaissaient un matin dans l'herbe, et puis elles s'eteignaient le soir. Mais celle-la avait germe un jour, d'une graine apportee d'on ne sait ou, et le petit prince avait sur-veille de tres pres cette brindille qui ne ressemblait pas aux autres brindilles. Qa. pouvait etre un nou-veau genre de baobab. Mais l'arbuste cessa vite de croftre, et commenca de preparer une fleur. Le petit prince, qui assistait a 1'installation d'un bouton enorme, sentait bien qu'il en sortirait une apparition miraculeuse, mais la fleur n'en finissait pas de se preparer a etre belle, a l'abri de sa chambre verte. Elle choisissait avec soin ses couleurs. Elle s'habillait lentement, elle ajustait un a un ses petales. Elle ne voulait pas sortir toute fripee comme les coquelicots. Elle ne voulait apparaitre que dans le plein rayon ne-ment de sa beaute. Eh! oui. Elle etait tres coquette! Sa toilette mysterieuse avait done dure des jours et des jours. Et puis voici qu'un matin, justement a I'heure du lever du soleil, elle s'etait montree. Et elle, qui avait travaille avec tant de precision, dit en baillant: «Ah! je me reveille a peine... Je vous demande pardon... Je suis encore toute decoiffee... » Le petit prince, alors, ne put contenir son admiration : « Que vous etes belle! — N'est-ce pas, repondit douce-ment la fleur. Et je suis nee en meme temps que le soleil... » Le petit prince devina bien qu'elle n'etait pas trop modeste, mais elle etait si emouvante! / «C'est l'heure, je crois, du petit dejeuner, avait-elle bientót ajouté, au-riez-vous la bonté de pen-ser á moi...» Et le petit prince, tout confus, ayant été chercher un arrosoir d'eau fraiche, avait servi la fleur. Ainsi l'avait-elle bien vite tourmenté par sa vanité un peu ombrageuse. Un jour, par exemple, parlant de ses quatre épines, eile avait dit au petit prince : «lis peuvent venir, les tigres, avec leurs griffes! — II n'y a pas de tigres sur ma planete, avait objecto le petit prince, et puis les tigres ne mangent pas ďherbe. — Je ne suis pas une herbe, avait doucement répondu la fleur. — Pardonnez-moi... — Je ne crains rien des tigres, mais j'ai horreur des couránts ďair. Vous n'auriez pas un paravent? » «Horreur des courants d*air... ce n'est pas de chance, pour une plante, avait remarqué le petit prince. Cette fleur est bien compliquée...» «Le soir vous me mettrez sous globe. II fait trěs froid chez vous. Cest mal installé. La ďoú je viens...» Mais eile s'etait in- terrompue. Elle etait venue sous forme de graine. Elle n'avait rien pu connaitre des autres mondes. Humiliee de s'etre laisse sur-prendre a preparer un men-songe aussi naif, elle avait tousse deux ou trois fois, pour mettre le petit prince dans son tort: «Ce paravent?... — J'allais le chercher mais vous me parliez! » Alors elle avait force sa toux pour lui infliger quand meme des remords. Ainsi le petit prince, malgre la bonne volonte de son amour, avait vite doute d'elle. II avait pris au serieux des mots sans importance, et etait devenu tres malheureux. «J'aurais du ne pas l'ecouter, me confia-t-il un jour, il ne faut jamais ecouter les fleurs. II faut les regarder et les respirer. La mienne embaumait ma planete, mais je ne savais pas m'en rejouir. Cette his-toire de griffes, qui m'avait tellement agace, eut dii m'attendrir...» II me confia encore : «Je n'ai alors rien su comprendre! J'aurais du la juger sur les actes et non sur les mots. Elle m'embaumait et m'eclairait. Je n'aurais jamais du m'enfuir! J'aurais du deviner sa tendresse derriere ses pauvres ruses. Les fleurs sont si contra-dictoires! Mais j'etais tropjeune pour savoir 1'aimer. » IX Je crois qu'il profita, pour son evasion, d'une migration d'oiseaux sauvages. Au matin du depart il mit sa planete bien en ordre. II ramona soigneuse-ment ses volcans en activite. II possedait deux vol-cans en activite. Et c'etait bien commode pour faire chauffer le petit dejeuner du matin. II possedait aussi un volcan eteint. Mais, comme il disait : «On ne sait jamais! » II ramona done egalement le volcan eteint. S'ils sont bien ramones, les volcans brulent doucement et regulierement, sans eruptions. Les eruptions volcaniques sont comme des feux de che-minee. Evidemment sur notre terre nous sommes beaucoup trop petits pour ramoner nos volcans. C'est pourquoi ils nous causent des tas d'ennuis. Le petit prince arracha aussi, avec un peu de melancolie, les dernieres pousses de baobabs. II croyait ne jamais devoir revenir. Mais tous ces tra-vaux familiers lui parurent, ce matin-la, extreme-ment doux. Et, quand il arrosa une derniere fois la fleur, et se prepara a la mettre a l'abri sous son globe, il se decouvrit Tenvie de pleurer. « Adieu », dit-il a la fleur. Mais elle ne lui repondit pas. « Adieu », repeta-t-il. La fleur toussa. Mais ce n'etait pas a cause de son rhume. «J'ai ete sotte, lui dit-elle enfin. Je te demande pardon. Tache d'etre heureux.» II fut surpris par 1'absence de reproches. II restait 38 II ramona soigneusement ses volcans en activité. 39 lä tout deconcerte, le globe en Tain II ne compre-nait pas cette douceur calme. «Mais oui, je t'aime, lui dit la fleur. Tu n'en as rien su, par ma faute. Cela n'a aucune importance. Mais tu as ete aussi sot que moi. Täche d'etre heu-reux... Laisse ce globe tranquille. Je n'en veux plus. — Mais le vent... — Je ne suis pas si enrhumee que ca... L'air frais de la nuit me fera du bien. Je suis une fleur. — Mais les betes... — II faut bien que je Supporte deux ou trois chenilles si je veux connaitre les papillons. II parait que c'est tellement beau. Sinon qui me rendra visite? Tu seras loin, toi. Quant aux grosses betes, je ne crains rien. J'ai mes grilles.» Et eile montrait naivement ses quatre epines. Puis eile ajouta : «Ne traine pas comme ca, c'est agacant. Tu as decide de partir. Va-t'en.» Gar eile ne voulait pas qu'il la vit pleurer. C'etait une fleur tellement orgueilleuse... X II se trouvait dans la region des astéroídes 325, 326, 327, 328, 329 et 330. II commenca done par les visiter pour y chercher une occupation et pour s'ins-truire. Le premier était habite par un roi. Le roi siégeait, habillé de pourpre et ďhermine, sur un tróne trés simple et cependant majestueux. 40 «Ah ! Voilä un sujet! », s'ecria le roi quand il aper-cut le petit prince. Et le petit prince se demanda : «Comment peut-il me reconnaitre puisqu'il ne m'a encore jamais vu! » II ne savait pas que, pour les rois, le monde est tres simplifie. Tous les hommes sont des sujets. «Approche-toi que je te voie mieux», lui dit le roi qui etait tout fier d'etre enfin roi pour quel-qu'un. Le petit prince chercha des yeux oü s'asseoir, mais la planete etait tout encombree par le magnifique manteau d'hermine. II resta done debotit, et, comme il etait fatigue, il bäilla. «II est contraire ä l'etiquette de bäiller en presence d'iin roi, lui dit le monarque. Je te l'interdis. — Je ne peux pas m'en empecher, repondit le petit prince tout confus. J'ai fait un long voyage et je n'ai pas dormi... — Alors, lui dit le roi, je t'ordonne de bäiller. Je n'ai vu personne bäiller depuis des annees. Les bäillements sont pour moi des curiosites. Allons! bäille encore. C'est un ordre. — Qa. m'intimide... je ne peux plus..., fit le petit prince tout rougissant. — Hum! Hum ! repondit le roi. Alors je... je t'ordonne tan tot de bäiller et tantot de... » II bredouillait un peu et paraissait vexe. Car le roi tenait essentiellement ä ce que son autorite füt respectee. II ne tolerait pas la desobeis-sance. C'etait un monarque absolu. Mais, comme il etait tres bon, il donnait des ordres raisonnables. «Si j'ordonnais, disait-il couramment, si j'ordon-nais ä un general de se changer en oiseau de mer, et 41 si le general n'obeissait pas, ce ne serail pas la faute du general. Ce serait ma faute.» «Puis-je m'asseoir? s'enquit timidement le petit prince. — Je t'ordonne de t'asseoir», lui repondit le roi, 42 qui ramena majestueusement un pan de son man-teau d'hermine. Mais le petit prince s'etonnait. La planete était minuscule. Sur quoi le roi pouvait-il bien régner? «Sire, lui dit-il... je vous demande pardon de vous interroger... — Je ťordonne de m'interroger, se háta de dire le roi. — Sire... sur quoi régnez-vous? — Sur tout, répondit le roi, avec vine grande simplicitě. — Sur tout? » Le roi d'un geste disc ret désigna sa planete, les autres planětes et les étoiles. «Sur tout ca? dit le petit prince. — Sur tout ca... », répondit le roi. Gar non seulement c'etait un monarque absolu mais c'etait un monarque universel. « Et les étoiles vous obéissent? — Bien súr, lui dit le roi. Elles obéissent aussitót. Je ne tolěre pas 1'indiscipline. » Un tel pouvoir émerveilla le petit prince. SMI Favait détenu lui-méme, il aurait pu assister, non pas á quarante-quatre, mais á soixante-dou/e, ou méme á cent, ou méme á deux cents couchers de soleil dans la méme journée, sans avoir jamais á tirer sa chaise! Et comme il se sentait un peu triste á cause du souvenir de sa petite planete abandonnée, il s'enhardit á solliciter une grace du roi : «Je voudrais voir un coucher de soleil... Faites-moi plaisir... Ordonnez au soleil de se coucher... — Si j'ordonnais á un general de voler ďune fleur á 1'autre á la facon ďun papillon, ou ďécrire 43 une tragédie, ou de se changer en oiseau de mer, et si le general n'executait pas l'ordre recu, qui, de lui ou de moi, serait dans son tort? — Ce serait vous, dit fermement le petit prince. — Exact. II faut exiger de chacun ce que chacun peut donner, reprit le roi. Uautorité repose ďabord sur la raison. Si tu ordonnes á ton peuple d'aller se jeter á la mer, il fera la revolution. J'ai le droit ďexiger 1'obéissance parce que mes ordres sont raisonnables. — Alors mon coucher de soleil? rappela le petit prince qui jamais n'oubliait une question une ibis qu'il I'avait posée. — Ton coucher de soleil, tu l'auras. Je l'exigerai. Mais j'attendrai, dans ma science du gouvernement, que les conditions soient favorables. — Quand ca sera-t-il? s'informa le petit prince. — Hem! hem! lui répondit le roi, qui consulta ďabord un gros calendrier, hem! hem! ce sera, vers... vers... ce sera ce soir vers sept heures qua-rante! Et tu verras comme je suis bien obéi. » Le petit prince báilla. II regrettait son coucher de soleil manqué. Et puis il s'ennuyait déjá un peu : «Je n'ai plus rien á faire ici, dit-il au roi. Je vais repartir! — Ne pars pas, répondit le roi qui était si fier ďavoir un sujet. Ne pars pas, je te fais ministře! — Ministře de quoi? — De... de la Justice! — Mais il n'y a personne ájuger! — On ne sait pas, lui dit le roi. Je n'ai pas fait encore le tour de mon royaume. Je suis trés vieux, je n'ai pas de place pour un carrosse, et ca me fatigue de marcher. 44 — Oh ! Mais j'ai déjá vu, dit le petit prince qui se pencha pour jeter encore un coup d'oeil sur Vautre cóté de la planete. II n'y a personne la-bas non plus... — Tu te jugeras done toi-méme, lui répondit le roi. C'est le plus difficile. II est bien plus difficile de se juger soi-méme que de juger autrui. Si tu réussis á bien te juger, c'est que tu es un veritable sage. — Moi, dit le petit prince, je puis me juger moi-méme n'importe oú. Je n'ai pas besoin d'habiter ici. — Hem ! hem ! dit le roi, je crois bien que sur ma planete il y a quelque part un vieux rat. Je l'entends la nuit. Tu pourras juger ce vieux rat. Tu le condain-neras á mort de temps en temps. Ainsi, sa vie dépen-dra de ta justice. Mais tu le gracieras chaque fois pour l'economiser. II n'y en a qu'un. — Moi, répondit le petit prince, je n'ai me pas condamner á mort, et je crois bien que je m'en vais. — Non », dit le roi. Mais le petit prince, ayant achevé ses préparatifs, ne voulut point peiner le vieux monarque : «Si votre Majesté désirait étre obéie ponctuelle-ment, Elle pourrait me donner un ordre raison-nable. Elle pourrait m'ordonner, par exemple, de partir avant une minute. II me semble que les conditions sont favorables... » Le roi n'ayant rien répondu, le petit prince hésita ďabord, puis, avec un soupir, prit le depart... «Je te fais mon ambassadeur», se háta alors de erier le roi. II avait un grand air ďautorité. «Les grandes personnes sont bien étranges», se dit le petit prince, en lui-méme, clu rant son voyage. 45 XI La seconde planete était habitée par un vaniteux : «Ah! Ah! Voilá la visitě ďun admirateur!» s'ecria de loin le vaniteux děs qu'il apercut le petit prince. Car, pour les vaniteux, les autres hommes sont des admirateurs. «Bonjour, dit le petit prince. Vous avez un dróle de chapeau. — Cest pour sa-luer, lui répondit le vaniteux. Cest pour saluer quand on m'acclame, Mal-r/'C' heureusement il ne passe jamais per-sonne par ici. ^ - i. — Ah oui?ditle petit prince qui ne comprit pas. — Frappe tes mains 1'une contre r autre », conseilla done le vaniteux. Le petit prince frappa ses mains 1'une contre 1'autre. Le vaniteux salua modestement en \ soulevant son chapeau. « £a, c'est plus amüsant que la visitě au roi», se dit en lui-méme le petit prince. Et il recom-menca de frapper ses mains 1'une contre 1'autre. Le vaniteux recommenca de saluer en soulevant son chapeau. Aprěs cinq minutes ďexercice le petit prince se fatigua de la monotonie du jeu : « Et, pour que le chapeau tombe, demanda-t-il, que faut-il faire?» 47 Mais le vaniteux ne fentendit pas. Les vaniteux n'entendent jamais que les louanges. «Est-ce que tu m'admires vraiment beaucoup? demanda-t-il au petit prince. — Qu'est-ce que signifie "admirer"? — "Admirer" signifie reconnaitre que je suis l'homme le plus beau, le mieux habille, le plus riche et le plus intelligent de la planete. — Mais tu es seul sur ta planete! — Fais-moi ce plaisir. Admire-moi quand meme! — Je t'admire, dit le petit prince, en haussant un peu les epaules, mais en quoi cela peut-il bien t'inte-resser ? » Et le petit prince s'en fut. «Les grandes personnes sont decidement bien bizarres», se dit-il simplement en lui-meme durant son voyage. XII La planete suivante était habitée par un buveur. Gette visitě fut trěs courte mais elle plongea le petit prince dans tine grande mélancolie : «Que fais-tu la? dit-il au buveur, qu'il trouva ins-tallé en silence devant une collection de bouteilles vides et une collection de bouteilles pleines. — Je bois, répondit le buveur, d'un air lugubre. — Pourquoi bois-tu? lui demanda le petit prince. — Pour oublier, répondit le buveur. — Pour oublier quoi? s'enquit le petit prince qui déjá le plaignait. 48 — Pour oublier que j'ai honte, avoua le buveur en baissant la téte. — Honte de quoi? s'informa le petit prince qui désirait le secourir. — Honte de boire! » acheva le buveur qui s'en-ferma définitivement dans le silence. Et le petit prince s'en flit, perplexe. « Les grandes personnes sont décidément trěs trěs bizarres», se disait-il en lui-méme durant le voyage. XIII La quatrieme planete etait celle du businessman. Get homme etait si occupe qu'il ne leva meme pas la tete a l'arrivee du petit prince. «Bonjour, lui dit celui-ci. Votre cigarette est eteinte. — Trois et deux font cinq. Cinq et sept douze. Douze et trois quinze. Bonjour. Quinze et sept vingt-deux. Vingt-deux et six vingt-huit. Pas le temps de la rallumer. Vingt-six et cinq trente et tin. Ouf! Qa fait done cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent trente et un. — Cinq cents millions de quoi? — Hein? Tu es tou jours la? Cinq cent un millions de... je ne sais plus... j'ai tellement de travail! Je suis serieux, moi, je ne m'amuse pas a des bali-vernes! Deux et cinq sept... — Cinq cent un millions de quoi?» repeta le petit prince qui jamais de sa vie n'avail renonce a une question, une fois qu'il l'avait posee. 49 Le businessman leva la tete : «Depuis cinquante-quatre ans que j'habite cette planete-ci, je n'ai ete derange que trois fois. La premiere fois c'a ete, il y a vingt-deux ans, par un han-neton qui etait tombe dieu sait d'ou. II repandait un bruit epouvantable, et j'ai fait quatre erreurs dans une addition. La seconde fois c'a ete, il y a onze ans, par une crise de rhumatisme. Je manque d'exercice. Je n'ai pas le temps de flaner. Je suis serieux, moi. La troisieme fois... la voici! Je disais done cinq cent un millions... — Millions de quoi ? » 50 Le businessman comprit qu'il n'etait point d'es-poir de paix : « Millions de ces petites choses que Ton voit quel-quefois dans le ciel. — Desmouches? — Mais non, des petites choses qui brillent. — Des abeilles? — Mais non. Des petites choses dorees qui font revasser les faineants. Mais je suis serieux, moi! Je n'ai pas le temps de revasser. — Ah! des etoiles? — C'est bien ca. Des etoiles. — Et que fais-tu de cinq cents millions d'etoiles? — Cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent trente et un. Je suis serieux, moi, je suis precis. — Et que fais-tu de ces etoiles? — Ce quej'en fais? — Oui. — Rien. Je les possede. — Tu possedes les etoiles ? — Oui. — Maisj'ai deja vu un roi qui... — Les rois ne possedent pas. lis "regnent" sur. C'est tres different. — Et a quoi cela te sert-il de posseder les etoiles? — £a me sert a etre riche. — Et a quoi cela te sert-il d'etre riche? — A acheter d'autres etoiles, si quelqu'un en trouve.» «Celui-la, se dit en lui-meme le petit prince, il rai-sonne un peu comme mon ivrogne.» Cependant il posa encore des questions : 51 « Comment peut-on posséder les étoiles? — A qui sont-elles? riposta, grincheux, le businessman, — Je ne sais pas. A personne. — Alors elles sont á moi, car j'y ai pense le premier. — Qa suffit ? — Bien súr. Quand tu trouves un diamant qui n'est á personne, il est á toi. Quand tu trouves une ile qui n'est á personne, elle est á toi. Quand tu as une idée le premier, tu la fais breveter : elle est á toi. Et moi je possěde les étoiles, puisque jamais personne avant moi n'a songé á les posséder. — Ca c'est vrai, dit le petit prince. Et qu'en fais-tu? — Je les gěre. Je les compte etje les recompte, dit le businessman. Cest difficile. Mais je suis un homme sérieux!» Le petit prince n'etait pas satisfait encore. « Moi, si je possěde un foulard, je puis le mettre autour de mon cou et 1'emporter. Moi, šije possěde une fleur, je puis cueillir ma fleur et Temporter. Mais tu ne peux pas cueillir les étoiles! — Non, mais je puis les placer en banque. — Qu'est-ce que ca veut dire ? — £a veut dire que j'ecris sur un petit papier le nombre de mes étoiles. Et puis j'enferme á clef ce papier-lá dans un tiroir. — Et c'est tout? — £a suffit!» «Cest amusant, pensa le petit prince. Cest assez poétique. Mais ce n'est pas trěs sérieux. » Le petit prince avait sur les choses sérieuses des 52 idees tres differentes des idees des grandes per-sonnes. «Moi, dit-il encore, je possede une fleur que j'ar-rose tous les jours. Je possede trois volcans que je ramone toutes les semaines. Car je ramone aussi celui qui est eteint. On ne sait jamais. C'est utile a mes volcans, et c'est utile a ma fleur, que je les possede. Mais tu n'es pas utile aux etoiles... » Le businessman ouvrit la bouche mais ne trouva rien a repondre, et le petit prince s'en fut. «Les grandes personnes sont decidement tout a fait extraordinaires», se disait-il simplement en lui-meme durant le voyage. XIV La cinquiěme planete était trěs curieuse. Cétait la plus petite de toutes. II y avait la juste assez de place pour loger un réverběre et un allumeur de réver-běres. Le petit prince ne parvenait pas á s'expliquer á quoi pouvaient servir, quelque part dans le ciel, sur une planete sans maison ni population, un réverběre et un allumeur de réverběres. Cependant il se dit en lui-méme : «Peut-etre bien que cet homme est absurde. Cependant il est moins absurde que le roi, que le vaniteux, que le businessman et que le buveur. Au moins son travail a-t-il un sens. Quand il allume son réverběre, c'est comme s'il faisait naitre une étoile de plus, ou une fleur. Quand il éteint son réverběre, ca endort la fleur ou l'etoile. C'est une occupation 53 tres jolie. C'est veritablement utile puisque c'est joli.» Lorsqu'il aborda la planete, il salua respectueuse-ment l'allumeur : «Bonjour. Pourquoi viens-tu d'eteindre ton reverbere? — C'est la consigne, repondit l'allumeur. Bon-jour. — Qu'est-ce que la consigne? — C'est d'eteindre mon reverbere. Bonsoir.» Et il le ralluma. « Mais pourquoi viens-tu de le rallumer? — C'est la consigne, repondit l'allumeur. — Je ne comprends pas, dit le petit prince. — II n'y a rien a comprendre, dit l'allumeur. La consigne c'est la consigne. Bonjour.» Et il eteignit son reverbere. Puis il s'epongea le front avec un mouchoir a car-reaux rouges. «Je fais la un metier terrible. C'etait raisonnable autrefois. J'eteignais le matin et j'allumais le soir. J'avais le reste du jour pour me reposer, et le reste de la nuit pour dormir... — Et, depuis cette epoque, la consigne a change? — La consigne n'a pas change, dit l'allumeur. C'est bien la le drame! La planete d'annee en an-nee a tourne de plus en plus vite, et la consigne n'a pas change! — Alors? dit le petit prince. — Alors maintenant qu'elle fait un tour par minute, je n'ai plus une seconde de repos. J'allume et j'eteins une fois par minute! 54 55 — £a c'est drole! Les jours chez toi durent une minute! — Ce n'est pas drole du tout, dit l'allumeur. £a fait deja un mois que nous parlons ensemble. — Un mois? — Oui. Trente minutes. Trente jours! Bonsoir. » Et il railuma son reverbere. Le petit prince le regarda et il aima cet allLimeur qui etait tellement fidele a la consigne. II se souvint des couchers de soleil que lui-meme allait autrefois chercher, en tirant sa chaise. II voulut aider son ami : «Tu sais... je connais un moyen de te reposer qLiand tu voudras... — Je veux toujours», dit l'allumeur. Car on peut etre, a la fois, Fidele et paresseux. Le petit prince poursuivit: «Ta planete est tellement petite que tu en fais le tour en trois enjambees. Tu n'as qu'a marcher assez lentement pour rester toujoLirs au soleil. Quand tu voudras te reposer tu marcheras... et le jour durera aussi longtemps que tu voudras. — £a ne m'avance pas a grand-chose, dit l'allumeur. Ce que j'aime dans la vie, c'est dormir. — Ce n'est pas de chance, dit le petit prince. — Ce n'est pas de chance, dit I'allumeLir. Bon-joLir.» Et il eteignit son reverbere. «Celui-la, se dit le petit prince, tandis qu'il pour-sLiivait plus loin son voyage, celui-la serait meprise par toLis les aLitres, par le roi, par le vaniteux, par le buveur, par le businessman. Cependant c'est le seul qui ne me paraisse pas ridicule. C'est, peut-etre, 56 parce qu'il s'occupe d'autre chose que de soi-méme.» II eut un soupir de regret et se dit encore : « Celui-la est le seul dont j'eusse pu faire mon ami. Mais sa planete est vraiment trop petite. II n'y a pas de place pour deux... » Ce que le petit prince n'osait pas s'avouer, c'est qu'il regrettait cette planete bénie á cause, surtout, des mille quatre cent quarante couchers de soleil par vingt-quatre heures! XV La sixiěme planete était une planete dix fois plus vaste. Elle était habitée par un vieux monsieur qui écrivait ďénormes livres. «Tiens! voilä un explorateur!» s'écria-t-il, quand il apercut le petit prince. Le petit prince s'assit sur la table et souíTfla un peu. II avait deja tant voyage! « D'ou viens-tu? lui dit le vieux monsieur. — Quel est ce gros livre ? dit le petit prince. Que faitcs-vous ici? — Je suis géographe, dit le vieux monsieur. — Qu'est-ce qu'un géographe? — C'est un savant qui connaít oú se trouvent les mers, les fleuves, les villes, les montagnes et les deserts. — Qa c'est bien interessant, dit le petit prince. Qa c'est enfin un veritable metier!» Et il jeta un coup d'oeil autour de lui sur la planete du géographe. II 57 n'avail jamais vu encore une planete aussi majes-tueuse. «Elle est bien belle, votre planete. Est-ce qu'il y a des oceans? — Je ne puis pas le savoir, dit le geographe. — Ah! (Le petit prince etait decu.) Et des mon-tagnes ? — Je ne puis pas le savoir, dit le geographe. — Et des villes et des fleuves et des deserts ? — Je ne puis pas le savoir non plus, dit le geographe. — Mais vous etes geographe! — G'est exact, dit le geographe, mais je ne suis pas explorateur. Je manque absolument d'explora-teurs. Ce n'est pas le geographe qui va faire le compte des villes, des fleuves, des montagnes, des 58 mers, des oceans et des deserts. Le géographe est trop important pour fláner. II ne quitte pas son bureau. Mais il y recoit les explorateurs. II les inter-roge, et il prend en note leurs souvenirs. Et si les souvenirs de Tun ďentre eux Iui paraissent inté-ressants, le géographe fait faire une enquéte sur la moralitě de l'explorateur. — Pourquoi ca? — Parce qu'un explorateur qui mentirait entraT-nerait des catastrophes dans les livres de geographic Et aussi un explorateur qui boirait trop. — Pourquoi ca? fit le petit prince. — Parce que les ivrognes voient double. Alors le géographe noterait deux montagnes, lá ou il n'y en a qu'une seule. — Je connais quelqu'un, dit le petit prince, qui serait mauvais explorateur. — C'est possible. Done, quand la moralitě de l'explorateur paraít bonne, on fait une enquéte sur sa découverte. — On va voir? — Non. C'est trop compliqué. Mais on exige de l'explorateur qu'il fournisse des preuves. S'il s'agit par exemple de la découverte d'une grosse mon-tagne, on exige qu'il en rapporte de grosses pierres.» Le géographe soudain s'emut. «Mais toi, tu viens de loin ! Tu es explorateur! Tu vas me décrire ta planete! » Et le géographe, ayant ouvert son registre, tailla son crayon. On note d'abord au crayon les récits des explorateurs. On attend, pour noter á l'encre, que l'explorateur ait fourni des preuves. 59 «Alors? interrogea le geographe. — Oh! chez moi, dit le petit prince, ce n'est pas tres interessant, c'est tout petit. J'ai trois volcans. Deux volcans en activite, et un volcan eteint. Mais on ne sait jamais. — On ne sait jamais, dit le geographe. — J'ai aussi une fleur. — Nous ne notons pas les fleurs, dit le geographe. — Pourquoi ca! c'est le plusjoli! — Parce que les fleurs sont ephemeres. — Qu'est-ce que signifie : "ephemere"? — Les geographies, dit le geographe, sont les livres les plus serieux de tous les livres. Elles ne se demodent jamais. II est tres rare qu'une montagne change de place. II est tres rare qu'un ocean se vide de son eau. Nous ecrivons des choses eternelles. — Mais les volcans eteints peuvent se reveiller, interrompit le petit prince. Qu'est-ce que signifie : "ephemere"? — Que les volcans soient eteints ou soient eveilles, ca revient au meme pour nous autres, dit le geographe. Ce qui compte pour nous, c'est la montagne. Elle ne change pas. — Mais qu'est-ce que signifie "ephemere"? re-peta le petit prince qui, de sa vie, n'avait renonce ä une question, une fois qu'il l'avait posee. — Q'd signifie "qui est menace de disparition pro-chaine". — Ma fleur est menacee de disparition pro-chaine? — Bien sür.» «Ma fleur est ephemere, se dit le petit prince, et 60 elle n'a que quatre épines pour se défendre contre le monde! Et je l'ai laissée toute seule chez moi Í » Ce fut la son premier mouvement de regret. Mais il reprit courage : «Que me conseillez-vous d'aller visiter? demanda-t-il. — La planete Terre, lui répondit le géographe. Elle a une bonne reputation... » Et le petit prince s*en fut, songeant á sa fleur. 61 XVI La septieme planete fut done la Terre. La Terre n'est pas une planete quelconque! On y compte cent onze rois (en n'oubliant pas, bien sur, les rois negres), sept mille geographies, neuf cent mille businessmen, sept millions et demi d'ivrognes, trois cent onze millions de vaniteux, e'est-a-dire environ deux milliards de grandes personnes. Pour vous donner une idee des dimensions de la Terre je vous dirai qu'avant Tinvention de l'electricite on y devait entretenir, sur l'ensemble des six continents, une veritable armee de quatre cent soixante deux mille cinq cent onze allumeurs de reverberes. Vu d'un peu loin ca faisait un effet splendide. Les mouvements de cette armee etaient regies comme ceux d'un ballet d'opera. D'abord venait le tour des allumeurs de reverberes de Nouvelle-Zelande et d'Australie. Puis ceux-ci, ayant allume leurs lampions, s'en allaient dormir. Alors entraient a leur tour dans la danse les allumeurs de reverberes de Chine et de Sibe-rie. Puis eux aussi s'escamotaient dans les coulisses. Alors venait le tour des allumeurs de reverberes de Russie et des Indes. Puis de ceux d'Afrique et d'Europe. Puis de ceux d'Amerique du Sud. Puis de ceux d'Amerique du Nord. Et jamais ils ne se trompaient dans leur ordre d'entree en scene. C'etait grandiose. Seuls, l'allumeur de l'unique reverbere du pole Nord, et son confrere de l'unique reverbere du pole Sud, menaient des vies d'oisivete et de nonchalance : ils travaillaient deux fois par an. 62 XVII Quand on veut faire de 1'esprit, il arrive que Ton mente un peu. Je n'ai pas ete tres honnete en vous parlant des allumeurs de reverberes. Je risque de donner une fausse idee de notre planete ä ceux qui ne la connaissent pas. Les hommes occupent tres peu de place sur la Terre. Si les deux milliards d'ha-bitants qui peuplent la Terre se tenaient debout et un peu serres, comme pour un meeting, ils loge-raient aisement sur une place publique de vingt milles de long sur vingt milles de large. On pourrait entasser Thumanite sur le moindre petit Hot du Pacifique. Les grandes personnes, bien sür, ne vous croiront pas. Elles s'imaginent tenir beaucoup de place. Elles se voient importantes comme des baobabs. Vous leur conseillerez done de faire le calcul. Elles ado-rent les chiffres : ca leur plaira. Mais ne perdez pas votre temps ä ce pensum. C'est inutile. Vous avez confiance en moi. Le petit prince, une fois sur Terre, tut done bien surpris de ne voir personne. II avait dejä peur de s'etre trompe de planete, quand un anneau couleur de lune remua dans le sable. « Bonne nuit, fit le petit prince ä tout hasard. — Bonne nuit, fit le serpent. — Sur quelle planete suis-je tombe ? demanda le petit prince. — Sur la Terre, en Afrique, repondit le serpent. — Ah !... II n'y a done person ne sur la Terre ? 63 — Ici e'est le desert. II n'y a personne dans les deserts. La Terre est grande », dit le serpent. Le petit prince s'assit sur une pierre et leva les yeux vers le ciel: «Je me demande, dit-il, si les étoiles sont éclairées afin que chacun puisse un jour retrouver la sienne. Regarde ma planete. Elle est juste au-dessus de nous... Mais comme elle est loin ! — Elle est belle, dit le serpent. Que viens-tu faire ici? — J'ai des difficultés avec une fleur, dit le petit prince. — Ah ! » fit le serpent. Et ils se turent. «Oú sont les hommes? reprit enfin le petit prince. On est un peu seul dans le desert... — On est seul aussi chez les hommes », dit le serpent. Le petit prince le regarda longtemps : «Tu es une dróle de béte, lui dit-il enfin, mince comme un doigt... — Mais je suis plus puissant que le doigt ďun roi», dit le serpent. Le petit prince eut un sourire : «Tu n'es pas bien puissant... tu n'as méme pas de pattes... tu ne peux méme pas voyager... — Je puis ťemporter plus loin qu'un navire», dit le serpent. II s'enroula autour de la cheville du petit prince, comme un bracelet ďor : «Celui que je touche, je le rends á la terre dont il est sorti, dit-il encore. Mais tu es pur et tu viens ďune étoile...» 64 65 Le petit prince ne répondit rien. «Tu me fais pitié, toi si faible, sur cette Terre de granit. Je puis ťaider un jour si tu regrettes trop ta planete. Je puis... — Oh! J'ai trěs bien compris, fit le petit prince, mais pourquoi parles-tu toujours par énigmes? — Je les résous toutes», dit le serpent. Et ils se turent. XVIII Le petit prince traversa le desert et ne rencontra qu'une fleur. Une fleur á trois pétales, une fleur de rien du tout... «Bonjour, dit le petit prince. — Bonjour, dit la fleur. — Oú sont les hommes?» demanda poliment le petit prince. La fleur, un jour, avait vu passer une caravane : «Les hommes? II en existe,je crois, six ou sept. Je les ai apercus il y a des années. Mais on ne sait jamais oú les trouver. Le vent les proměně. Ils man-quent de racines, ca les gene beaucoup. — Adieu, fit le petit prince. — Adieu », dit la fleur. 66 XIX Le petit prince fit Fascension d'une haute mon-tagne. Les seules montagnes qu'il eut jamais connues etaient les trois volcans qui lui arrivaient au genou. Et il se servait du volcan eteint comme d'un tabouret. «D'une montagne haute comme celle-ci, se dit-il done, j'apercevrai d'un coup toute la pla-nete et tous les hommes...» Mais il n'apercut rien que des aiguilles de roc bien aiguisees. « Bonjour, dit-il a tout hasard. — Bonjour... Bonjour... Bonjour..., repondit l'echo. — Qui etes-vous? dit le petit prince. — Qui etes-vous... qui etes-vous... qui etes-vous..., repondit l'echo. — Soyez mes amis, je suis seul, dit-il. — Je suis seul... je suis seul... je suis seul...», repondit l'echo. 67 «Quelle dróle de planete! pensa-t-il alors. Elle est toute sěche, et toute pointue et toute salée. Et les homines manquent ďimagination. Ils repetent ce qu'on leur dit... Chez moi j'avais une fleur : elle parlait toujours la premiere... » XX Mais il arriva que le petit prince, ayant longtemps marche a travers les sables, les rocs et les neiges, decouvrit enfin une route. Et les routes vont toutes chez les hommes. « Bonjour », dit-il. C'etait un jardin fleuri de roses. « Bonjour », dirent les roses. Le petit prince les regarda. Elles ressemblaient toutes a sa fleur. «Qui etes-vous? Ieur demanda-t-il, stupefait. — Nous sommes des roses, dirent les roses. — Ah! » fit le petit prince... Et il se sentit tres malheureux. Sa fleur lui avait raconte qu'elle etait seule de son espece dans l'uni-vers. Et voici qu'il en etait cinq mille, toutes sem-blables, dans un seul jardin ! «Elle serait bien vexee, se dit-il, si elle voyait ca... elle tousserait enormement et ferait semblant de mourir pour echapper au ridicule. Et je serais bien oblige de faire semblant de la soigner, car, sinon, pour m'humilier moi aussi, elle se laisserait vrai-ment mourir...» 68 69 Puis il se dit encore : «Je me croyais riche d*une fleur unique, et je ne possede qu'une rose ordinaire. Qa et mes trois volcans qui m'arrivent au genou, et dont Tun, peut-etre, est eteint pour tou-jours, ca ne fait pas de moi un bien grand prince... » Et, couche dans Therbe, il pleura. XXI Cest alors qu'apparut le renard : « Bonjour, dit le renard. — Bonjour, répondit poliment le petit prince, qui se retourna mais ne vit rien. — Je suis la, dit la voix, sous le pommier... — Qui es-tu? dit le petit prince. Tu es bien joli... — Je suis un renard, dit le renard. 70 — Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince.Je suis tellement triste... — Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisé. — Ah! pardon », Fit le petit prince. Mais, aprěs reflexion, il ajouta : «Qu'est-ce que signifie "apprivoiser"? — Tu n'es pas ďici, dit le renard, que cherches-tu? — Je cherche les hommes, dit le petit prince. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser"? — Les hommes, dit le renard, ils ont des fusils et ils chassent. Cest bien génant! Iis élěvent aussi des poules. Cest leur seul intérét. Tu cherches des poules? — Non, dit le petit prince. Je cherche des amis. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser"? — Cest une chose trop oubliée, dit le renard. Qd signifie "créer des liens...". — Créer des liens ? — Bien súr, dit le renard. Tu n'es encore pour moi qu'un petit garcon tout semblable ä cent mille petits garcons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable ä cent mille renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de ľ autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde... — Je commence ä comprendre, dit le petit prince. II y a une fleur... je crois qu'elle m'a appri-voisé... — C'est possible, dit le renard. On voit sur la Terre toutes sortes de choses... — Oh! ce n'est pas sur la Terre», dit le petit prince. Le renard parut trés intrigue : «Sur une autre planéte? — Oui. — II y a des chasseurs, sur cette planéte-lä? — Non. — Qa., c'est intéressant! Et des poules? — Non. — Rien n'est parfait», soupira le renard. Mais le renard revint ä son idée : «Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressem-blent, et tous les hommes se ressemblent. Je m'en-nuie done un peu. Mais, si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaitrai un bruit de pas qui vsera different de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde! Tu vois, lä-bas, les champs de blé? Je ne 72 mange pas de pain. Le ble pour moi est inutile. Les champs de ble ne me rappellent rien. Et ca, c'est triste! Mais tu as des cheveux couleur d'or. Alors ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoise! Le ble, qui est dore, me fera souvenir de toi. Et j'aime-rai le bruit du vent dans le ble... » Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince : «S'il te plait... apprivoise-moi! dit-il. — Je veux bien, repondit le petit prince, mais je n'ai pas beaucoup de temps. J'ai des amis a decou-vrir et beaucoup de choses a connaitre. — On ne connait que les choses que Ton apprivoise, dit le renard. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaitre. lis achetent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi! — Que faut-il faire? dit le petit prince. — II faut etre tres patient, repondit le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ca, dans 1'herbe. Je te regarderai du coin de l'ceil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus pres...» Le lendemain revint le petit prince. «11 eut mieux valu revenir a la meme heure, dit le renard. Si tu viens, par exemple, a quatre heures de l'apres-midi, des trots heures je commencerai d'etre heureux. Plus l'heure avancera, plus je me sentirai heureux. A quatre heures, deja, je m'agite-rai et m'inquieterai : je decouvrirai le prix du bon-heur! Mais si tu viens n'importe quand, je ne saurai jamais á quelle heure m'habiller le coeur... II faut des rites. — Qu'est-ce qu'un rite? dit le petit prince. — Cest aussi quelque chose de trop oublié, dit le renard. Cest ce qui fait qu'un jour est different des autres jours, une heure, des autres heures. II y a un rite, par exemple, chez mes chasseurs. lis dansent le jeudi avec les filles du village. Alors le jeudi est jour merveilleux! Je vais me promener jusqu'a la vigne. Si les chasseurs dansaient n'importe quand, les jours se ressembleraient tous, et je n'aurais point de vacances.» Ainsi, le petit prince apprivoisa le renard. Et quand l'heure du depart fut proche : « Ah ! dit le renard... Je pleurerai. — Cest ta faute, dit le petit prince, je ne te sou-haitais point de mal, mais tu as voulu que je t'appri- voise... — Bien sur, dit le renard. — Mais tu vas pleurer! dit le petit prince. «Si tu viens, par exemple, a quatre heures de rapres-midi, des trois heures je commencerai d'etre heureux.» 75 — J'y gagne» dit le renard, ä cause de la couleur du ble.» Puis il ajouta : «Va revoir les roses. Tu comprendras que la tienne est unique au monde. Tu reviendras me dire adieu, et je te ferai cadeau d'un secret. » Le petit prince s'en fut revoir les roses : «Voiis n'etes pas du tout semblables ä ma rose, vous n'etes rien encore, leur dit-il. Personne ne vous a apprivoisees et vous n'avez apprivoise personne. Vous etes comme etait mon renard. Ge n'etait qu'un renard semblable ä cent mille autres. Mais j'en ai fait mon ami, et il est maintenant unique au monde.» Et les roses etaient bien genees. «Vous etes belles, mais vous etes vides, leur dit-il encore. On ne peut pas mourir pour vous. Bien sür, ma rose ä moi, un passant ordinaire croirait qu'elle vous ressemble. Mais ä eile seule eile est plus impor-tante que vous toutes, puisque c'est elle que j'ai arrosee. Puisque c'est elle que j'ai mise sous globe. Puisque c'est elle que j'ai abritee par le paravent. Puisque c'est elle dont j'ai tue les chenilles (sauf les deux ou trois pour les papillons). Puisque c'est elle que j'ai ecoutee se plaindre, ou se vanter, ou meme quelquefois se taire. Puisque c'est ma rose.» Et il revint vers le renard : «Adieu, dit-il... — Adieu, dit le renard. Voici mon secret. II est tres simple : on ne voit bien qu'avec le coeur. L'es-sentiel est invisible pour les yeux. 76 — L'essentiel est invisible pour les yeux, repeta le petit prince, afin de se souvenir. — C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. — C'est le temps que j'ai perdu pour ma rose..., fit le petit prince, afin de se souvenir. — Les hommes ont oublie cette verite, dit le renard. Mais tu ne dois pas l'oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoise. Tu es responsable de ta rose... — Je suis responsable de ma rose...», repeta le petit prince, afin de se souvenir. XXII «Bonjour, dit le petit prince. — Bonjour, dit 1'aiguilleur. — Que fais-tu ici ? dit le petit prince. —Je trie les voyageurs, par paquets de mille, dit raiguilleur. J'expedie les trains qui les emportent, tan tot vers la droite, tan tot vers la gauche.» Et un rapide illumine, grondant comme le ton-nerre, fit trembler la cabine d'aiguillage. «lis sont bien presses, dit le petit prince. Que cherchent-ils? — L'homme de la locomotive I'ignore lui-meme», dit 1'aiguilleur. Et gronda, en sens inverse, un second rapide illumine. «lis reviennent deja? demanda le petit prince... 78 — Ge ne sont pas les memes, dit l'aiguilleur. C'est un echange. — lis n'etaient pas contents, la ou ils etaient? — On n'est jamais content la ou Ton est», dit l'ai-guilleur. Et gronda le tonnerre d'un troisieme rapide illumine. «Ils poursuivent les premiers voyageurs? de-manda le petit prince. — Ils ne poursuivent rien du tout, dit l'aiguilleur. Ils dorment la-dedans, ou bien ils baillent. Les enfants seuls ecrasent leur nez contre les vitres. — Les enfants seuls savent ce qu'ils cherchent, fit le petit prince. Ils perdent du temps pour une pou-pee de chiffons, et elle devient tres importante, et si on la leur enleve, ils pleurent... — Ils ont de la chance », dit l'aiguilleur. 79 XXIII « Bonjour, dit le petit prince. — Bonjour», dit le marchand. C'etait un marchand dc pilules perfectionnees qui apaisent la soif. On en avale une par semaine et l'on n'eprouve plus le besoin de boire. «Pourquoi vends-tu ca? dit le petit prince. — C'est une grosse economie de temps, dit le marchand. Les experts ont fait des calculs. On epargne cinquante-trois minutes par semaine. — Et que fait-on de ces cinquante-trois minutes? — On en fait ce que Ton veut... » «Moi, se dit le petit prince, si j'avais cinquante-trois minutes ä depenser, je marcherais tout douce-men t vers une fontaine...» XXIV Nous en etions au huitieme jour de ma panne dans le desert, et j'avais ecoute l'histoire du marchand en buvant la derniere goutte de ma provision d'eau : «Ah! dis-je au petit prince, ils sont bien jolis, tes souvenirs, mais je n'ai pas encore repare mon avion, je n'ai plus rien a boire, et je serais heureux, moi aussi, si je pouvais marcher tout doucement vers une fontaine! — Mon ami le renard, me dit-il... 80 — Mon petit bonhomme, il ne s'agit plus du renard! — Pourquoi? — Parce qu'on va mourir de soif... » II ne comprit pas mon raisonnement, il me repon-dit: «C'est bien d'avoir eu tin ami, meme si Ton va mourir. Moi, je suis bien content d'avoir eu un ami renard...» «II ne mesure pas le danger, me dis-je. II n'a jamais ni faim ni soif. Un peu de soleil lui suffit... » Mais il me regarda et repondit ä ma pensee : «J'ai soif aussi... cherchons un puits... » J'eus un geste de lassitude : il est absurde de cher-cher un puits, au hasard, dans Pimmensite du desert. Cependant nous nous mimes en marche. Quand nous eümes marche, des heures, en silence, la nuit tomba, et les etoiles commencerent de s'eclairer. Je les apercevais comme en reve, ayant un peu de fievre, ä cause de ma soif. Les mots du petit prince dansaient dans ma memoire : «Tu as done soif, toi aussi? » lui demandaije. Mais il ne repondit pas ä ma question. II me dit simplement: « L'eau peut aussi etre bonne pour le crcur... » Je ne compris pas sa reponse mais je me tus... Je savais bien qu'il ne fallait pas Pinterroger. II etait fatigue. II s'assit. Je m'assis aupres de lui. Et, apres un silence, il dit encore : «Les etoiles sont belles, ä cause d'une fleur que Pon ne voit pas... » 81 Je répondis «bien sůr» etje regardai, sans parler, les plis du sable sous la lune. « Le desert est beau », ajouta-t-il... Et c'etait vrai. J'ai toujours aimé le desert. On s'as-soit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n'entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence... « Ce qui embellit le desert, dit le petit prince, c'est qu'il cache un puits quelque part... » Je fus surpris de comprendre soudain ce mysté-rieux rayonnement du sable. Lorsque j'etais petit garcon, j'habitais une maison ancienne, et la legendě racontait qu'un tresor y était enfoui. Bien sůr, jamais personne n'a su le découvrir, ni peut-étre méme ne Ta cherché. Mais il enchantait toute cette maison. Ma maison cachait un secret au fond de son cceur... «Oui, dis-je au petit prince, qu'il s'agisse de la maison, des étoiles ou du desert, ce qui fait leur beauté est invisible! — Je siiis content, dit-il, que tu sois d'accord avec mon renard.» Comme le petit prince s'endormait, je le pris dans mes bras, et me remis en route. J'etais ému. II me semblait porter un tresor fragile. II me semblait méme qu'il n'y eút rien de plus fragile sur la Terre. Je regardais, á la lumiěre de la lune, ce front pále, ces yeux clos, ces měches de cheveux qui tremblaient au vent, etje me disais : «Ce que je vois la n'est qu'une écorce. Le plus important est invisible... » Comme ses lěvres entrouvertes ébauchaient un demi-sourire je me dis encore : «Ce qui m'emeut si fort de ce petit prince endormi, c'est sa fidélité pour 82 II rit, loucha la corde, fit jouer la poulic. 83 une fleur, c'est Fimage d'une rose qui rayonne en lui comme la flamme d'une lampe, meme quand il dort...» Etje le devinai plus fragile encore. II faut bien proteger les lampes : un coup de vent peut les eteindre... Et, marchant ainsi, je decouvris le puits au lever du jour. XXV «Les hommes, dit le petit prince, ils s'enfournent dans les rapides, mais ils ne savent plus ce qu'ils cherchent. Alors ils s'agitent et tournent en rond... » Et il ajouta : «Ce n'est pas la peine... » Le puits que nous avions atteint ne ressemblait pas aux puits sahariens. Les puits sahariens sont de simples trous creuses dans le sable. Celui-la ressemblait a un puits de village. Mais il n'y avait la aucun village, etje croyais rever. «C'est etrange, disje au petit prince, tout est pret: la poulie, le seau et la corde... » II rit, toucha la corde, fit jouer la poulie. Et la poulie gemit comme gemit une vieille girouette quand le vent a longtemps dormi. «Tu entends, dit le petit prince, nous reveillons ce puits et il chante... » Je ne voulais pas qu'il fit un effort: «Laisse-moi faire, lui disje, c'est trop lourd pour toi.» Lentementje hissai le seau jusqu'a la margelle. Je 84 l'y installai bien d'aplomb. Dans mes oreilles durait Ie chant de la poulie et, dans l'eau qui tremblait encore, je voyais trembler le soleil. «J'ai soif de cette eau-la, dit le petit prince, donne-moi a boire...» Et je compris ce qu'il avait cherche! Je soulevai le seau jusqu'a ses levres. II but, les yeux fermes. C'etait doux comme une fete. Cette eau etait bien autre chose qu'un aliment. Elle etait nee de la marche sous les etoiles, du chant de la poulie, de l'effort de mes bras. Elle etait bonne pour le cceur, comme un cadeau. Lorsque j'etais petit gar-con, la lumiere de l'arbre de Noel, la musique de la messe de minuit, la douceur des sourires faisaient, ainsi, tout le rayonnement du cadeau de Noel que je recevais. « Les hommes de chez toi, dit le petit prince, culti-vent cinq mille roses dans un meme jardin... et ils n'y trouvent pas ce qu'ils cherchent... — Ils ne le trouvent pas, repondi&je... — Et cependant ce qu'ils cherchent pourrait etre trouve dans une seule rose ou un peu d'eau... — Bien sur», repondis-je. Et le petit prince ajouta : « Mais les yeux sont aveugles. II faut chercher avec le cceur.» J'avais bu. Je respirais bien. Le sable, au lever du jour, est couleur de miel. J'etais heureux aussi de cette couleur de miel. Pourquoi fallait-il que j'eusse de la peine... «11 faut que tu tiennes ta promesse, me dit douce- 85 ment le petit prince, qui, de nouveau, s'etait assis aupres de moi. — Quelle promesse ? — Tu sais... une museliere pour mon mouton... je suis responsable de cette fleur!» Je sortis de ma poche mes ebauches de dessin. Le petit prince les apercut et dit en riant: «Tes baobabs, ils ressemblent un peu ä des choux... — Oh!» Moi qui etais si der des baobabs! «Ton renard... ses oreilles... elles ressemblent un peu ä des cornes... et elles sont trop longues! » Et il rit encore. «Tu es injuste, petit bonhomme, je ne savais rien dessiner que les boas fermes et les boas ouverts. — Oh! ca ira, dit-il, les enfants savent.» Je crayonnai done une museliere. Et j'eus le coeur serre en la lui donnant: «Tu as des projets que j'ignore...» Mais il ne me repondit pas. II me dit: «Tu sais, ma chute sur la Terre... e'en sera demain Tanniversaire...» Puis, apres un silence il dit encore : «J'etais tombe tout pres d'ici... » Et il rougit. Et de nouveau, sans comprendre pourquoi, j'eprouvai un chagrin bizarre. Cependant une question me vint: « Alors ce n'est pas par hasard que, le matin oü je t'ai connu, il y a hu it jours, tu te promenais comme ca, tout seul, ä mille milles de toutes les regions habitees! Tu retournais vers le point de ta chute ? » 86 Le petit prince rougit encore. Etj'ajoutai, en hesitant: « A cause, peut-etre, de l'anniversaire?... » Le petit prince rougit de nouveau. II ne repondait jamais aux questions, mais, quand on rougit, ca signifie «oui», n'est-ce pas? «Ah! lui disje,j'ai peur...» Mais il me repondit: «Tu dois maintenant travailler. Tu dois repartir vers ta machine. Je t'attends ici. Reviens demain soir.» Mais je n'etais pas rassure. Je me souvenais du renard. On risque de pleurer un peu si Ton s'est laisse apprivoiser... XXVI II y avait, a cote du puits, une mine de vieux mur de pierre. Lorsque je revins de mon travail, le lende-main soir, j'apercus de loin mon petit prince assis la-haut, les jambes pendantes. Et je l'entendis qui par-lait: «Tu ne t'en souviens done pas? disait-il. Ce n'est pas tout a fait ici! » Une autre voix lui repondit sans doute, puisqu'il repliqua: «Si! Si! e'est bien le jour, mais ce n'est pas ici l'endroit...» Je poursuivis ma marche vers le mur. Je ne voyais ni n'entendais toujours personne. Pourtant le petit prince repliqua de nouveau : 87 «... Bien sur. Tu verras ou commence ma trace dans le sable. Tu n'as qu'a m'y attendre. J*y serai cette nuit.» J'etais a vingt metres du mur et je ne voyais tou-jours rien. Le petit prince dit encore, apres un silence : « Tu as du bon venin ? Tu es sur de ne pas me faire souffrir longtemps?» Je fis halte, le cceur serre, mais je ne comprenais toujours pas. «Maintenant, va-t'en, dit-il... Je veux redes-cendre!» Alors j'abaissai moi-meme les yeux vers le pied du mur, et je fis un bond! II etait la, dresse vers le petit prince, un de ces serpents jaunes qui vous executent en trente secondes. Tout en fouillant ma poche pour en tirer mon revolver, je pris le pas de course, mais, au bruit que je lis, le serpent se laissa douce-ment couler dans le sable, comme un jet d'cau qui meurt, et, sans trop se presser, se faufila entre les pierres avec un leger bruit de metal. Je parvins au mur juste a temps pour y recevoir dans les bras mon petit bonhomme de prince, pale comme la neige. «Quelle est cette histoire-la! Tu paries mainte-nant avec les serpents! » J'avais defait son eternel cache-nez d'or. Je lui avais mouille les tempes et l'avais fait boire. Et main-tenant je n'osais plus rien lui demander. II me regarda gravement et m'entoura le cou de ses bras. Je sentais battre son cceur comme celui d'un oiseau qui meurt, quand on l'a tire a la carabine. II me dit: «Je suis content que tu aies trouve ce qui man- 88 89 quait a ta machine. Tu vas pouvoir rentrer chez toi... — Comment sais-tu! » Je venais justement lui annoncer que, contre toute esperance, j'avais reussi mon travail! II ne repondit rien a ma question, mais il ajouta : «Moi aussi, aujourd'hui, je rentre chez moi... » Puis, melancolique : «C'est bien plus loin... c'est bien plus difficile... » Je sentais bien qu'il se passait quelque chose d'ex-traordinaire. Je le serrais dans les bras comme un petit enfant, et cependant il me semblait qu'il cou-lait verticalement dans un ablme sans que je puisse rien pour le retenir... II avait le regard serieux, perdu tres loin : «J*ai ton mouton. Et j'ai la caisse pour le mouton. Etj'ai la museliere...» Et il sourit avec melancolie. J'attendis longtemps. Je sentais qu'il se rechauffait peu a peu : « Petit bonhomme, tu as eu peur... » II avait eu peur, bien sur! Mais il rit doucement: «J'aurai bien plus peur ce soir... » De nouveau je me sentis glace par le sentiment de l'irreparable. Et je compris que je ne supportais pas Pidee de ne plus jamais entendre ce rire. C'etait pour moi comme une fontaine dans le desert. «Petit bonhomme, je veux encore t'entendre rire...» Mais il me dit: «Cette nuit, ca fera un an. Mon etoile se trouvera juste au-dessus de l'endroit ou je suis tombe 1'annee derniere... 90 — Petit bonhomme, n'est-ce pas que c'est un mauvais reve cette histoire de serpent et de rendezvous et d'etoile...» Mais il ne repondit pas a ma question. II me dit: « Ce qui est important, ca ne se voit pas... — Bien sur... — C'est comme pour la fleur. Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une etoile, c'est doux, la nuit, de regarder Ie ciel. Toutes les etoiles sont fleu-ries. — Bien stir... — C'est comme pour I'eau. Celle que tu m'as donnee a boire etait comme une musique, a cause de la poulie et de la corde... tu te rappelles... elle etait bonne. — Bien sur... — Tu regarderas, la nuit, les etoiles. C'est trop petit chez moi pour que je te montre ou se trouve la mienne. C*est mieux comme ca. Mon etoile, ca sera pour toi une des etoiles. Alors, toutes les etoiles, tu aimeras les regarder... Elles seront toutes tes amies. Et puis je vais te faire un cadeau... » II rit encore. «Ah! petit bonhomme, petit bonhomme, j'aime entendre ce rire! — Justement ce sera mon cadeau... ce sera comme pour l'eau... — Que veux-tu dire ? — Les gens ont des etoiles qui ne sont pas les memes. Pour les uns, qui voyagent, les etoiles sont des guides. Pour d'autres elles ne sont rien que de petites lumieres. Pour d'autres, qui sont savants, elles sont des problemes. Pour mon businessman 91 elles etaient de Tor. Mais toutes ces etoiles-la se taisent. Toi, tu auras des etoiles comme personne n'en a... — Que veux-tu dire ? — Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j'habiterai dans l'une d'elles, puisque je rirai dans Tune d'elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les etoiles. Tu auras, toi, des etoiles qui savent rire!» Et il rit encore. «Et quand tu seras console (on se console toujours) tu seras content de m'avoir connu. Tu seras toujours mon ami. Tu auras envie de rire avec moi. Et tu ouvriras parfois ta fenetre, comme ca, pour le plaisir... Et tes amis seront bien etonnes de te voir rire en regardant le ciel. Alors tu leur diras : "Oui, les etoiles, ca me fait toujours rire!" Et ils te croiront fou. Je t'aurai joue un bien vilain tour... » Et il rit encore. «Ce sera comme si je t'avais donne, au lieu d'etoiles, des tas de petits grelots qui savent rire... » Et il rit encore. Puis il redevint serieux : «Cette nuit... tu sais... ne viens pas. — Je ne te quitterai pas. — J'aurai Fair d'avoir mal... j'aurai un peu Fair de mourir. C'est comme ca. Ne viens pas voir ca, ce n'est pas la peine... — Je ne te quitterai pas.» Mais il etait soucieux. «Je te dis ca... c'est a cause aussi du serpent. II ne faut pas qu'il te morde... Les serpents, c'est mechant. Qa peut mordre pour le plaisir... — Je ne te quitterai pas.» 92 Mais quelque chose le rassura : «C'est vrai qu'ils n'ont plus de venin pour la seconde morsure...» Cette nuit-lä je ne le vis pas se mettre en route. II s'était évadé sans bruit. Quand je réussis ä le rejoindre il marchait decide, d'un pas rapide. II me dit seulement: «Ah! tu es lä... » Et il me prit par la main. Mais il se tourmenta encore : «Tu as eu tort. Tu auras de la peine. J'aurai l'air d'etre mort et ce ne sera pas vrai... » Moi je me taisais. «Tu comprends. C'est trop loin. Je ne peux pas empörter ce corps-lä. C'est trop lourd.» Moi je me taisais. « Mais ce sera comme une vieille ecorce abandon-nee. Ce n'est pas triste les vieilles ecorces... » Moi je me taisais. II se decouragea un peu. Mais il fit encore un effort: «Ce sera gentil, tu sais. Moi aussi, je regarderai les etoiles. Toutes les etoiles seront des puits avec une poulie rouillee. Toutes les etoiles me verseront ä boire...» Moi je me taisais. «Ce sera tellement amüsant! Tu auras cinq cents millions de grelots, j'aurai cinq cents millions de Fontaines...» Et il se tut aussi, parce qu'il pleurait... « C'est lä. Laisse-moi faire un pas tout seul.» Et il s'assit parce qu'il avait peur. II dit encore : «Tu sais... ma fleur... j'en suis responsable! Et eile est tellement faible! Et eile est tellement naive. Elle a quatre epines de rien du tout pour la proteger contre le monde...» Moi je m'assis parce que je ne pouvais plus me tenir debout. II dit: «Voilä... C'est tout...» II hesita encore un peu, puis il se releva. II fit un pas. Moi je ne pouvais pas bouger. II n'y eut rien qu'un eclair jaune pres de sa che-ville. II demeura un instant immobile. II ne cria pas. II tomba doucement comme tombe un arbre. Qa. ne fit meme pas de bruit, ä cause du sable. XXVII Et maintenant bien súr, ca fait six ans déjá... Je n'ai jamais encore raconté cette histoire. Les cama-rades qui m'onl revu oni été bien contents de me revoir vivant. J'etais triste maisje leur disais : « C'est la fatigue...» Maintenant je me suis un peu console. C'est-a-dire... pas tout á fait. Mais je sais bien qu'il est revenu á sa planete, car, au lever dujour, je n'ai pas retrouvé son corps. Ce n'etait pas un corps tellement lourd... Et j'aime la nuit écouter les étoiles. C'est comme cinq cents millions de grelots... 95 II tornba douce men t com me tombe un arbre. 96 Mais voila qu'il se passe quelque chose d'extraor-dinaire. La museliere que j'ai dessinee pour le petit prince, j'ai oublie d'y ajouter la courroie de cuir! II n'aura jamais pu l'attacher au mouton. Alors je me demande : «Que s'est-il passe sur sa planete? Peut-etre bien que le mouton a mange la fleur... » Tantotje me dis : «Surement non ! Le petit prince enferme sa (leur toutes les units sous son globe de verre, et il surveille bien son mouton...» Alors je suis heureux. Et toutes les etoiles rient doucement. Tantotje me dis : «On est distrait Line fois ou l'autre, et ca suflit! II a oublie, un soir, le globe de verre, ou bien le mouton est sorti sans bruit pendant la nuit...» Alors les grelots se changent tous en larmes!... (/est la un bien grand mystere. Pour vous qui aimez aussi le petit prince, comme pour moi, rien de l'univers n'est semblable si quelque part, on ne sail ou, un mouton que nous ne connaissons pas a, oui ou non, mange une rose... Regardez le ciel. Demandez-vous : «Le mouton oui ou non a-t-il mange la (leur?» Et vous verrez comme tout change... Et aucune grande person ne ne comprendra jamais que ca a tellement d'importance! 97 £a c'est, pour moi, le plus beau et le plus triste paysage du monde. Cest le méme paysage que celui de la page precedente, mais je l'ai dessiné une fois encore pour bien vous le montrer. C'est ici que le petit prince a apparu sur terre, puis disparu. Regardez attentivement ce paysage afin d'etre sůrs de le reconnaítre, si vous voya-gez un jour en Afrique, dans le desert. Et, s'il vous arrive de passer par lá, je vous en supplie, ne vous pressez pas, attendez un peu juste sous l'etoile! Si alors un enfant vient á vous, s'il rit, s"il a des cheveux d'or, s'il ne répond pas quand on I'interroge, vous devinerez bien qui il est. Alors soyez gen tils! Ne me laissez pas tellement triste : écrivez-moi vite qu'il est revenu... Acheve d'imprimer sur les presses de Uimfmmerie Kapp Graphic ä Evreux (Eure), le 22 fevrier 2013. Depot legal: fevrier 2013 Ier depot legal dans la collection : Janvier 1999 ISBN : 97»-2-()7-04()850-4/Im|>iimc en France