eod books2ebooks.eu Aulnoy, Marie-Catherine Le Jumel de Barneville, baronka, Les Contes Des Fees : contenant tous leurs ouvrages en neuf Volumes ; Avec Figures. Par Madame D'Aunoy A Nuremberg : Chez Gabriel Nicolas Raspe, 1762 Moravská zemská knihovna Brno: STl-1248.844,2 elektronické knihy získáváte prostřednictvím I eBooks on Demand digitalizaci provedla Moravská zemská knihovna v Brně MORAVSKÁ ZEMSKÁ KNIHOVNA EOD - milióny knih z katalogů knihoven více než 10 evropských zemí jsou nyní k dispozici jedním kliknutím myši. Děkujeme, že jste si vybrali EOD! V evropských knihovnách jsou uchovávány milióny historických i novověkých knih. Velká část těchto dokumentů může být nyní velmi jednoduše k dispozici v podobě elektronické knihy - eBook. Požadovaný titul si můžete kdykoli objednat prostřednictvím online katalogů knihoven zapojených do projektu EOD (eBooks on Demand - elektronické knihy na požádání). Tištěnou knihu převedeme do digitální podoby a zpřístupníme v elektronické podobě. 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La jeune Princefle fut nominee Imis, fes charmes nai flans prornirent^ desfon enhance, toutes les merveilles que Vont vit briller en e-lle dans un age un pen plus avance. Pvien n'au* roit &6 digne a* eile dans tout l'Univers, fi l'A* niour qui crut etre de ibn honneur de pouvoir a£ fujettir un jour ä fon empire une fi merveilleufe perfonne, n*eut pris foin de faire naitre dans cette meme Cour un Prince auffi charmant, que la Prin-ceffe Imis |tojt aimable. II s^appelloit PhIlax, & il etoit ills d' un-frere du Roi d*Islande; ilavoit deux ans plus que la Princeiie, &c lis furent (sieved enfemble avec toutes les libe-rtez que donnePen, Ä 2 . £anc€ Le Palais fauce & la proximité du lang. Les premiers mou-vemens de leurs coeurs furent donnez kV admiration & á la tendreffe. Iis ne pouvoient rien voir de fi beau qu' eux-mémes, auifi ne trouvoient-ils den ailleurs qui put les détourner ďune paíiion qu' ils íentoient Tun & I*autre, meine fans fcavoir encore comment on la devoit nommer. Le Koi & la Reine voíoient naítre cet Amour avec plaifir; ils ai-moient le jeune Philax, il étoit Prince de Jeur Sang, & jamais un enfant n'avoit donné de ft belles efperances. Tout fembloit ď accord avec 1' a-mour, pour rendre tin jour Philax le plus heu-reux de tous les hommes. La Princefíe avoit environ douze ans, quand la Pveine qui T aimoit avcc une tendreffe infinie, voulut conkilter fur fa deili-née une Fée, dont la fcience prodigieufefaifoitalors grand bruit. Elle partit pour V aller trouver. Elle mena Imis avec elle, qui dans la douleur de quitter Philax, s1 étonna mille & mille fois erne Ton put fonger á Pavenir, quand le préfent étoit agiéa-ble. Pnilax demeura auprěs du Pvoi;oi tousles plaifirs de la Cour ne le confoiérent point de 1' ab-fence de la Princeffe. La Reine arriva au Chateau de la Fee, eile y fut magnifityiiement recue, niais la Fee ne s'y trouva pas. Elle habitoit ď ordinaire fur le fomrnet d'une montagne á quelaue diilance de fori Chateau, oü eile demeuroit feule, oceupée de ce profond f^avoir qui la rendoit ft célébre par tout le monde. Des qiť elle f$ůt Parrivée de la Reine ? eile revint: la Reine lui préfenta la Princeffe, lui apritfon nom, l'heure de fa naiiTance, que la Fée í^avoit auffi bi-cn qu'elle, quoi qifelle n' y eút point été, (maisla Fée de la Montagnef^avoit tout,.) elle prornit a la Reine de lui rendre réponfe dans deux jours, & puis elle retourna fur le fommct de fa Montagne. Au commencement du t£oifi£m.e joux elle revint, žit tie- de la Pengeance. defccndre la Reine dans un Jardin^ &lui dönna des Tablettes defeüilles de Palmier bien ferme^es, mais eile lui ordonna de ne les otivrir qu' en ptefeitcc du Roi. La Reine,, pour fatisfaire du moins en qucl-que facon fa curioute, lui fit diverfes queftions fur la fortune de fa filler Grande Reine, lui dit la Fee de la Montague, jene vous fcaurois dire precife-ment de quelle^ efpeee de maltieur la Princeße eft menaced; je vois feulement que V Amour aura beau-coup depart dans les ^venemens de fa vie, & que jamais beauts' n* a fait naitre de fi violentes pafliqns que celles que doit infpirer Imis. 11 ne falloit point etre Fee pour promettre des Amans ä cette Princefle» Ses yeux fembloient de ja exiget* de tous les coeurs 1* Amour que la Feeafluroit que 1'on aurpit pour eile» Cependant Imis, beaucoup moins in-quiete.de fa deftinee que de Pabfence de Philax, s' ämufoit ä cueillir defleurs: mais occupee de fa tcttdreffe & de I' impatience de partir, eile oublia le bouquet qu'elle avoit commence de faire, & jet* ta en revant les fleurs qu'elle avoit d'abord amaiTöes avec plaifir; elle alia rejoindre la Reine, qui di-foit adieu a la Fee de la Montagne. La Fee em-braffa Imis, & la regardant avec V admiration qu* elle meritoit: Puifqu*ilnenV eft pas poflible (dit-elle apres quelque moment d'un nlence^ qui avoit quel-que chofe de mifterieux) piiifqu* il ne in' eft pas poffible, belle PrineefTe, cfe changer en ta fäveür V ordre des deftinees, du rnoins je tächerai de te faire e viter les rualheurs gu' clles te pr£parent. A-pres ces mots eile cucillit elle-meme une touffe de Muguet, & s'adreffant ä la jeune Imis: Portez tou-jours ces fleurs que je vous donne, lui dit-elle, el-les ne fe fletriront jamais; & tant que vous les au-rez fur vous, elles vous garentiront de tous les maux, dont le deftin vous menace. Elle attacha enfuite le bouquet fur la coeffure d* Imis, & les fieurs obeiffant aux intentions de la Fe'e; desqu'el- A $ les 6 Le Palais les furent fur la tete de la PrincefTe, s'ajuft&ent d* elles-meines & formerent line efpece d' aigrette, dont la blancheur fembloit ne fervir qu% ä faire voir que rien ne pouvoit effacer celle du teint de la belle Imis, La Reine partit apres avoir encore remerci^ mille fois la Fie &revint en Islande, ou toute la Cour attendoit avec impatience le retsur de la Prin-cefle. Jamais la jaie ne parut plus brillante & plus &imable que dans les yeux d5 Imis, & de fon A-snant. On n'expHqua qu' au Pvoi le mifUre de?aigrette de Mugmet; elle faifoit un effet fi agreable furies beaux cheveux bruns de la Princeffe, que tout le monde la prit feulement pour un ornement qu' elle avoif choifi cUe-meme dans les Jardins de la Fee. 'La Princeffe parla beaucoup plus ä Philax des chagrins qu'elle avoit fenti en ne le voiant pas, que des maiheurs que lui promettoient les deituies, Fhilax en flit pourtant allanne^ mais la joie dc fe aretrouver 6toit prefente, les maiheurs encore incer-tains, ils les oubli^rent, & s'abandonnerent au doux plaifir de fe revoir, Cependant la Keine ren-dit compte au Röi de fon voltage, & lui donna les Tablettes de la F6e. Le Roi les ouvrit, & y trou^ va ces paroles Writes en lettres d* or, £e deßin pour Imis fius un cfyoir ß4tteura Cache une peine rigourtttfi^ £Se devietedra malbeareufi War It long esurs de fin bonheur. Le Roi & la Reine furent fort affiigez de cet Oracle, & chercb^rent vainement ä le pouvoir ex-pliquer. lis n'en dirent rien a la Princeffe, pour ne lui pas donner une inutile douleur, Un jour que Philax £toit alle ä la Chaffe, ce qui lui arrivoit affez fouvent, Imis fe promenoit feule dans un labyrinths de mirthesj eile ^toit fort trifte, parce qu' elle de la Pcngeance. $uv elle trouvolt que Philax tardoit tropa revering oc elle fe reprochoit nne impatience qu'il ne parta-gcoit pas avecelle; elle etoit occnpee de fa reverie, quand elle ewtendit une voix qui luidit, pour-quoi vous affligez-vous, belle Princeffe? ft Philax n'eft pas affes fen fib le au bonheur d'etre ajme de vous, je viens vous offrir un coeur miile fois plus reconnoifTant, un coeur vivement touche de vos charmcs, & une fortune affez brillantc, pour devoir etre defiree par toute autre que par vous, dont tout le monde doit reconnoitre P empire. La Princeffe fut tres-iurprile d' entendre cette voix, elle croioit etre feule dans le labyrinthe, & comme elle n' avoit point parle, elle s' etonnoit encore plus que cette voix eut repondu a la penfee; elle regar-da antour d' elle, & elle vit paroitre en 1- air un petit liomme monte fur un Hanneton. N'ai'ez point peur, belle Imis, lui dit-il,vous n'avez point d'Amant plus foumis que moi, & quoi que ce foit aujourd' hui la premiere fois que je parois devant vous, il y a long-tems que je vous aime, & que je vous vois tous les jours. Que vous m' etonnez, lui dit la Princeffe! Quoi! vous me voiez tous les jours, & vous fcavez ce que je penfe? Sicelaeft* vous avez du voir qu' il eft jnutile d' avoir de Pa-mour pour mei. Philax a qui j' ai donnc mon coeur efttrop aimable, pour pouvoir ceffer d'en etre le maitre; & quoi que je ne fojs pascontente de lui, je ne Pai jamais tant aime: dites-moi qui vous etes, & ou vous m' avez vue? Je fuis Pagan PEnchan-teur, lVli dit-il, & mon pouvoir s' etend fur tout le monde, hors fur vous. Je vous vis^dans les Jar-dins de la Fee de la Montagne. J'etois^cache dans line des Tulypes que vous cueillites, je pris d' a-bord pour un heureux prefage le hazard qui vous avoit fait choifir la fleur ou j'etois. Je me flattai que vous m'cmporteriez avecvous: mais vous etiez trop occupee du plaifir de penfer a Philax, vous A 4 jet- S Le Palais jettätes les flenrs apr£s les avoir cueillies, & vdlis me laifsätes dans le Jardin, le plus amoureux de tous les hommes. Depüis ce moment, j'ai fenti que rien ne pouvoit me rendre heureux que V efp£-ranee d'etre airri de vous. Penfez ämoi, belle Imis, s* il vous ell poffible. & permettez-moi de vous faire fouvenir quelquefois de mon amour. Apres ces mots il difparut, & la Princeffe retour-ns au Palais, ou la vüe de Philax qu'elle retrouva, difllpa la peur qu* eile avoit cue. Elle avoit tant - d* empreffement de Y entendre le juftifier du long-terns qu'il avoit pa0e ä la Chaffe, qu'elle penfaou-blier de lui conter lbn avanture. Mais enfin clle 3ui aprit ce qui lui venoit d' arriver dans le laby-rinthe des Myrthes. Le jeune Prince malgre lbn courage, craignit un Rival aile" contre lequel il ne pourroit difputer fa Princeffe aux döpens de fa vie. IViais PAigrette du Muguet le raffuroit contre les enchantenieos & la tendreffe qu' Imis avoit pour lui, ne lui permettoit pas de craindre lbn change-ment. Le lendemain de 1* avanture du labyrinthe , 3a Princeffe en s'^veillant, vit voler dans ia cham-bredouze getites Nymphes affiles fur des Mouches ämiel, qui portoieut dans leurs mains de petites Corbeilles d'or. Elles sr appro cherent du lit d'I-mis, la faluerent, & puis alle>ent mettre les Cor-beiUes fur une table de marbre b:anc, qui parut au milieu de la Chambre. Des qu elles Furent pofees, elles devinrent d'une grandeur ordinaire. Les Nymphes apres avoir quitte leuts Corbeilles, faluerent encore Imis, & une d'eritr' elles sfappro-chant de fonlit plus pres que les autres, laiffatom-ber deffus quel que chofe, puis elles s'envolerent. La Princeffe malgre I'^tonnement que lui donnoit un fpe&acle ft nouveau, prit ce que la Nymphe avoit laiffe tomber aupres d'elle, c* 6toit une Eme-raude d' une beauty merveilleufe. Elle s'ouvrit des que la Princeffe y toucha3 elle trouva qu'elle ren- de la Vengeance. p fermoit line feüille de rofe, fur laquelle eile lüt c.cs Vers: Que V Ünivcrs apprtnm avec' etortnement, Du potcvoir de vos ycux les ejfets incroiabltt | Vous me rendez en voits äzmanl Les tourmens meme deßrahles. LaPrinceffe ne pouvoit revenir de fa furprife, enfin eile appella les Dam es qui la fervoient, elles furent auffi £tonnees qu'Imis ä la vüe de la table & des Corbeilles. Le Roi, la Pveine, & Philax äc-coururent au bruit de cette avanture; la Princefle ne fupprima dans ion recit que la Lettre de fon A-mant. C 6toit au feul Philax qu'elle cro'ioit en devoir rendre compte. Les Corbeilles furent examinees avec foin, & elles fe trouverent toutes rem* plies de Pierreries d' une beaute extraordinaire ck d'unfi grand prix, qu'elles redoubleVent encore I* etonnement des Speftateurs. La Princefle n'y voulut point feoucher; & ai'ant trouve un moment oü perfonne ne V ecoutoit, eile s'approcha de Philax } & lui donna V Emeraude & la feüille de rofe. II kit la Lettre de fon Rival avecbeaucoup depei^ ne.^ Imis pour le confoler dechira devant lui la feüille de rofe. Mais que ce facrifice leur coüta eher! 11 fe pafTa quelques jours fans que la Princef-fe entendit parier' de Pagan: Elle crut que fes me-pris pour lui auroient steint fon amour, & Philax le flata de la meme efperance. Ce Prince retourna ä la Chaße comme il avoit accoütume. II s' arreta feul au bord d'une Fontaine pour fe rafraichir. II . avoit fur lui If Emeraude que la Princeffe lui avoit donnee, & fe fouvenant de ce Sacrifice avec plaifir, il la tira de fa poche pour la regard er; mais ä peine Teut-il tenue unmomeut, qu'elle lui echapa des mains, & des qu'elle eut touche" la terre, eile fe A 5 chan- l& Le Palais* changca en un Chariot, Deux Monftres ailez for-tirent de la Fontaine, & s'y attelcrent eux-memes. Philax les regardoit fans peur, car il etoit incapable d' en avoir; mais il ne put s' empccher de Jentir quelque emotion, quand il fe vit transporter dans le Chariot d' Emeraude par une force invisible; & auffi-töt eleve en 1'air oü les Monflres ailez firent voter le Chariot, avec une facility & unerapiditc prodigieufe. Cependant la nuit arriya, &les Chaf-feufs apres avoir cherche Philax par tout le bois in-utilement, revinrentau Palais, 011 ils crurent qifil pourroit etre retourne. Iis ne Fy trouverent pas, & perfonne ne F avoit vu depuis qu' il etoit alle avec eux ä la Chaffe. Le Pvoi ordonna que Fon retour-nat chercher le Prince. Toute la Cour prit part a foil inquietude; Fon retourna dans le Bois, on cou-rut aux environs, on n'en revintqu' au point du jour, & Fon en revint fans avoir apris aucunes nouvellcs du Prince. Imis avoit paffe la nuit ä fe defefperer de Fabfence de fon Amant, dont elle ne pouvoit comprendre la caufe. Elle etoit alors fur line terraffe du Palais, pour voir revenir ceux qui etoient alle chercher Philax $ & elle fe flatoit dele voir arriver avec eux: mais rien ne peut exprimer Fexces de la douleur dont elle fut faifte, quand elle ne vit point arriver Philax, & qu* on lui dit qu'il avoit etc impolfible d'apprcndre ce qu'ilCtoit devenu. Elle s* evanouit, on F emporta, & une de fes fcmmes qüi s'empreffoit de la mettre au lit, detacha de defius la tete de la Princeffe FAigrett* de Muguet qui la garantiffoit des enchantemens. Des qu' elle fut otee un nuagc obfcurcit la cham-bre, cz Imis difparut. Le Roi &; la R.eine furent au defefpoir de cette perte; & ne purent jamais s* en confoler* La Princeffe en revenant de fon cva-nou'iffement, fe trouva dans une Chambre de Corail de diverfes couleurs, parquetee de nacre de Perles, eiivironnee de Nimphes qui la fervoient avec un pro- de la Vengeance. II profond refpečt EUes étoient belles, & včtuěs ď habits fnagnifilqiiés &galans; ď abord Imis de-manda oú elle étoic. Vous étes dans un lieu ou Ton vous adore, lili dit une des Nymphes. Ne craignez rien, beilc Princeífe, vous v trouverez tout ce que vous<' pouvez deftrer. Philax eít done lei (dit alors la Princeífe avec un mouvement de joie qui parut dans les yeux,) je ne fouhaite que íe bonheur de le revoir. Cell vous fouvenir trop Jong tems ďun ingrat (dit alors Pagan en fe faifant voir á la Princeífe) & puifque ce Prince vous a quitté, il n'eft plus digne de 1'amour que vous a-vez pour lui, joignez le dépit & Jes foins de vótre gloire á la paífion que f ai pour vous- Régnez a jamais dans ces lieux, belle Frinceífe, vous y trouverez des. richefiTes immenfes, <& tous les plaiíirs imaginables ftront attachez á vos pas. Imis m répondit au difeours de Pagan que par des larmes. II la quitta de peur ď aigrir fa douleur. Les Nymphes reftérent auprés ďelle, & effaiérent par leurs foins de la confoler. On lui fervit un repas magni-fique, elle refufa de manger; mais enfin le lende-main le defír de voir encore Philax la fit réfoudre a vivre. Elle mangea, & íes Nymphes pour difíiper fa douleur la menérent en divers endroits du Palais; il étoit tout báti de coquillages luifans, mélezavec des Pierres précícufes de differentes couleurs; c© qui failbit le plus bel effet du monde: tous les nleubles en étoient d*or, & d'un travail íi mer-veilleux, qu5 on voyoit bien qiťil ne pouvoit venir que de la main des Fées, Les Nymphes aprés avoir fait voir á Imis le Palais, la conduifirent dans des Žardins, dont la beauté ne peut étre reprefentée. lie y trouva un Char fort briliant, attelé de fix Cerfs qu'un Nain conduiíoit. On. la pria ďentrer dans le Char, Imis obéít, les Nymphes s'y affirent á fes pieds: on les mena fur le bord de la Mer , ou une Nymphe apprit á la Princeffe que Pagan rég- CCií r% Le Palais noit dans cette Isle, dont il avoit fait par la force de fon art, le pkis beau lieu de 1'Univers. Un bruit d' inftrumens interrompit le difcours de la Nymphe, tonte la Mer parut couverte de petltes Barques de Corail couleur de feu., remplies de tout ce qui pouvoit eompöfer Unc Fete maritime fort galante. Au milieu des petites Barques il y en avoit line beaucoup plus grande que les autres, fur la-quelle les chiffres d'Imis paroiffoient par tout for-meziavec des Perles, eile etoit train nee par deux Dauphins. Elle s'approcha du rivage. La Prin-ceffe y entra avec ks Nymph es ; des qu* eile y fut, une füperbe Collation parut devant eile, & eile en-ten dit un Concert merveiileux qui fe faifoit dans les Barques qui entouroient la fierme. On n'y chan-» ta que fes loüanges; mais I ails ne fit attention ä ri-en. Elle remonta dans fon Char, & retourna a fon Palais accablee de trifteffe. Le fbir Pagan fe pre-fenta encore devant eile. II la trouva plus infen-fible ä fon amour , qu' ellenelui avoit encore pa-ru; mais il ne fe rebuta point, & fe flata fur la foi de fa conflance. II ignörbit encore qu'en ampur les plus conilans ne font pas toujours les plus lieu-reux; il donnoit chaque jour des Fetes ä la Princef-fe, des divertiffement dijgnes d'attirer 1'admiration de tont le monde, excepte de celle pour qui on les inventoit Imis n'etoit touchee que de F ab fence de fon Amant. Cependant ce malheureux Prince avoit tpe conduit par les Monftres ailez dans une Foret, dont Pagan etoit le maitre. Elle s'appelloit la Foret trifte. Des que Philax y fut arrive, le Chariot d* Emeraude 6l les Monftres difparurent Le Prince furpris de cette avanture, appella tout fon courage ä fon fecours, & c* etoit le leul fccours fur lequel il pouvoit compter dans ce lieu-lä. II parcourut d'abcrd quelques routes de la Foret, elle etoit affreufe, & le Solcil n' en penetroit jamais r obfcurite. tin' y trouva perfonne, pasj memedes de la Vengeance. Animaux cT aucune cfpece; il fembloit que les A-nimaux meme euffent de V horreur pour un fi trifle fejour. Philax fm vecut des fruits fauvages qu'ily trouva. II paffoit les jours dans une douleur mor-telle. L'abfence de la Princefle le mettoit au deie-fpoir, & quelquefois avec fon epce qui lui etoit de* meuree, s'amufoit a graver le nom d'lmis fur des tendre; mais quand on aime veritaolement, on fait quelquefois fervir a V amour les chofes du monde qui lui paroiffent le plus contraires. Cependant le Prince avancoit tousles jours dans la Foret, & 11 y avoit environ un an qu'il Phabitoit, lors qu'u-ne nuit il entendit des voix plaintives, dont il ne put diftinguer les paroles. Quelques eifrai'antes que diuTent etre ces plaintes pendant la nuit, & dans un lieu ou le Prince n'avoit jamais vu perfonne, le deiir de if etre plus feul K & de trouver du moins des malheureux comme lui, avec qui il put fe plaindre de fes infortunes, lui fit attendrele jour avec impatience, pour eher.s tous en-femble poür fuir ce fnfiefle fejoiir^ qüand en paf-fant dais,la Lour oil nous fonimes, le Ciel parut tout en feu, un t.onnerre epouventable fe fit entendre, & il noils fut impoffible de changer de place ; la Fee parut en V air, montee furun grand Serpent, & s* ad reliant ä nous avec un flirj de voix qui marqüoit fa furetir: Princes inconftans^ nous dlt-elle, je vais pünir par uhe peine, qui iie finita jamais le crime que vous avez commis eh rorn-pant mes chaines qu' il voüs etöittrop glorieux de porter; & toi ingrat Orizee , je triemphe enfin de V amour que tu rn' avöis dönne. Centente de cetteV Vi&oire, je vais^te Faire eprouver les meme mal-neurs qu'ates Rivaux, & f or dome ^ ajouta t-elle^ en memoire de cctte avaxiure 5 que (jUand C ufage des Miroirs ßra connu dzns tout f Llmucrs, erne la perte de ces glaces fa^ tfiles foi&ii toujours un ajfure pHftge de V wjidiliti £ un A- vnan't. La Fee fe permit en Fair apres avoir prönön-ce ces paroles. Nous fumes changez en Arbres^ "& la cruelle Ceore holts laiffa'fans doute la raifoii pour nous faire ibuffrir dä vantage". Les.tents Ont 'djktruit ce (up erbe Chateau qui fut le temOiri de üös tiilgraces, & tüeslefeüi qui foit venii dans cette af-freute Foret, depuis. deux mille ans que nous y JTömmes. Phjlax alloit repondre aux difcotirs dii Cypres, qitand ilfut tout d'uii coup tranfporte dariS Tome It. X ü Uli i) Le Palais ■ üu-Jardin fo-rt agréable; il ytrouva une belle Nymphe, qui s'approchant cte.lui ďunair gracicux : íl vousvoulez Pnilax, lui dit dle, je vous ferai voir laPrinceffe Imis dans íiois jours. Le Prince tran-fporté de |oie_ á une proportion fi peu attčňduě, £e jetta á fes pieds pour, lui témoigner fa reconnoif-fanee. Dans ce méme iníiant Pagan étoit en Tair^ cache dans un nuage avec la Princefíe .Imis. II lui avoit dit mílie fois^ que Phtiax étoit infidéle, ellěř avoit toůjours refufé de le croire fur ía parole ďuri Amant jaloux;^ il .la conduilbit en ce lieu pour la cpnvaincre, difo.it il, de la legeťeté ď un prince qu? eile lui préféroit fi injuíteraent La Princeffe vit Philax ď un' air content aúx pieds de la Nymphe , eile fut au defefpoir de ne pouvoir plus f© tromper fur la choíe du monde qu'elle'craignoit le qu elle s etoit.preientee a cernnce; Imis dans fon Isle, ou apres V avoir cOnvaincue de rinndelite de. Phil ax, il trouva qu'il avoit feule-anent redouble la douleur de cette belle Princeffe,, 4z qu'elle n'en etoit pas phis fenfible pour lui; de-fefpere de voir que cette infidelite prctendue, dont II avoit eipere un plus doux iucces, lui devenoit inutile, il' refolut de fe venger de la conftance de ces deux Amans: il n' etoit pas cruel, comme la Fee Ceor6 ion a'ieule ; auffi imagina-t-il une autre" vengeance que celle .dontel!e avoitpuni fes malheii-reux Amans. II lie voulut pas faire perir ni la Princeffe qu'il avoit fi tenclfement aimee, ni me me Phi-las, qu il avoit affez fait ibuffrir; bornant fa veriW geance a detruire une paition qui avoit ete ii eon-tmre a la fienne3 . ii eleva dans fon Isle un Palais de criftal, prit loin d5 y mettre tout ce qui peut £tte agreabl'e a la vie; hors le moi'en d en pouvoir fortir 3 il y renferma desNymp hes & des Nains pour de la Vengeance. xg fevir Imis & fon Amant, & quand tout fut difpo-£e pottr les y recevoir, il les y tranfporta Tunc $ avoit qu ä lui faire voir Raviffante, rien ne pou-voit echaper a les yeux, & la Fee efpera que les lb ins de ce feune Prince pourroiept un jour toucher fon coeur, 11 etoit' fils d' un Roi frere de la Fee ^ 11 etoit aimable; & la jeune Princeffe non feulement n avoit point encore eud'Amant, eile it avoit pas meme vu d homme depuis qu elle etoit dans ce rocher. La Fee fe flata que la nouveaute du plaitic d'etre tendrement aimee, Pengageroit peut-etre k aimer a ion tour: elle tranfporta done le Prince? qui fe nommoit Arifton, dans ce meme roch er qui fervoit de Palais & de prifon ä la belle Raviffante; il la trouva qu* elle s' amufoit ä faire des guirlandes de fleurs avec de jeunes lilies de fa Cour dans une Foyet de Hyacintes bleues, oü elles fe prome-iioient alors, car la Fee en donnant au rocher le don de produire des plantes & des arbres, avoit renferme ce pouvoir dans la couleur du rocher meme. II y avoit de ja quelque terns qu' elle avoit apris ä la Princeffe que le Prince Arifton devoit venir dans cette Isle, & elle avoit a}out£ en faveur de cq Prince; tout cequ'elle avoit cm capable delefai-te defirer; mais elle fe trompa cette fois, & elle no ^cpnnut point a a V arrivie d' Arifton4 dans les lpeaux ties Feiiilles. a 3 beanx yeux de la Princeffe £ ce trouble & cette fur-grife qui preface d' ordinaire une tendre pafiion, Pour le Prince , fes lentimens furent d'accord avec les efperances de la Fee, il devint pailionnement amoureux des qu' il cut vu Raviffante, & il n* e-toit pas poffible de la voir fans V adorer; jamais les graces cz la beaute ti? avoient ete fi parfaitemcnt nnies, qu' elle le paroiffoient dans toute la perfon-ne de cette aimable Princeffe. Elle avoit le teint d'une beaute merveilleufe, & fes cheveux bruns eri redoubloient encore lablancheur: fa bouche avoit des agrernens infinies, fes dents etoient d'une blan-cheur plus aimable que celle des Perles; fes yeux, les plus beaux du monde, etoient bleusbruns, & lis paroiffoient fi brillans & fi touchans tont enfem-ble, qu* il n' etoit pas poffible de foutenir leur eclat & leur vivacite, fans livrer pour toujours fon coeur an pouvoir fatal que Y amour avoit attache a leurs regards J fa taille n'etoit pas des plus grandes, mais elie etoit parfaitemcnt belle, toutes fes anions avoient une grace particuliere; tout ce qu* elle faifoit, toutfce cm'elle difoit, plaifoit eplement, & fouvent un founs, ou un feul mot fumfoit pour prouver qu'elle avoit autant de charmes dans fon efprit que dans fa perfonne. Telle & mille fois encore plus aimable que je ne viens de la peindre; il eut e'te bien difficile qu' Arifton n* en fut devenu ^perduement amoureux; mais la Princeffe recut fes foins fans attention, & n' en parut point touchee; la Fee le remarqua, & en eut une douleur qui ti' e-toit lurpaffee que par celle qu' eri reffentit le Prince; elle avoit remarque dans lesAftres, que celul qui etoit deiline a poffeder Pvaviffante, . davoit etendre fon pouvoir par toute la terre, & meme fufques fur les JMers. Ainfi elle fouhaitoit autant par ambition que fon neveu put toucher le coeur de la Princeffe, qu* Ariflon le defiroit par fon A* saour* Elle crut cependant que fi ce Prince £toit B 4 auaa * ■ 34 Le Pmce auffi fcavant qu'elledans fon Art, peut-etre trouve* roit-il quclque fecret pour fe rendre plus ai finable? aux yeux de Raviflante; mais la F6§ quin'avoit jamais aime, isporolt que le fecret de plaire ne fe trouve pas toujours, quel que foit T empreffement & V ardeur avec laquelle on le cherche. ' Elle aprit done en peu de terns au Prnce Arifton, toutes ces fcience» qui ne font f$ues que par les F6es; iln'eut de plaifir a les apprendre, & il ne fongea a les em-ploier que par rapport a fa tendreffe : il commence de s'en fervir pour- donner tous les jours de nou* velles fetes a la ^rinceffe: elle en adiniroit les pro-, diges, elle daignoit meme quelquefois loiier ce qui lui paroiffoit de plus galant dans ce que le Prince, Jaifoit pour elle: mais apres tout, elle recevoit fes. j>ins & fes voeiix; com me des hommages juAement dus a fa beaute, & dont erle le croioit paier affez dignement par labontd qu'elle avoit de les recevoir fans colere, Arifton fe defefperoit^ du peu de fuc-ces de fa paffion^ mais peu apres il fut cOntraint d'ayoiier par de nouvelles infortunes, que ce terns ou il fe plaignoit fi juftement, & dans lequel il ref-fentoit fi vivement le malheur de fon amour, avoit pourtant etc \e plus heureux de fa vie. / Un an apres fon arrived dans Isle, il fit cdebrer par des, Jeux ce jour fi remarquable pour lui, ou pour la premiere fois il ayoit vu Raviffante; le foir il lui donna une fete dans la Foret de Hyacintes, il y eut tine Mufique merveilleufe, que Pon entendoit ega-lement dans tqus les endroits de la Foret, fans voir d'ou pouvoient venir des fons fi agreabks. 'lout ce qui fut chant epar ces Muftciensinvifibles expri^ inoit tendrement 1' amour d'Arifton pour la Prin-ceffe; ils finirent leur admirable concert par ces pa-SQles qui furejit r^petees pluiieurs fois* m $c Feuilles* as $i la raifin, ni mo,n fert rigoureux tfont pu finir m* cruelle Jouffranet^ Sam le fecours de la douce ejpérance 5 Je fins mon caeur brultr des tneme s f eux-^ V amour eut ignore ť exces de fa puijfance , Sjje ti avois fin%i le pouycir de tjos jeux^ Aprěs la Mufíque il parut tout ďun coup une fuper>e Collation fous un Pavilion de gaze d^ argent relevé également avec des cordons de perles. 11 étójt tout ouvert du, cóté qui regardoit la Měr qui bornoit la Forét dans cet endroit-lá, & il étoit éciáiré par un grand nombre de luílres dediamans brillans,, qui jettoient une lumiére pen dhTerente deVelle du Soleil, Ge fut á cette clarté que les, Jsfymphes de la Cour de Raviffante lui firent remar-quer une Infcription qui étoit a 1* entrée du Pavilion , écrite cn lettres ď* or fur un rubis d*une grandeur prodigieufe, & qui étoit foůtenuě par douze; petits Amours qui s' envolerent ? dés que la'Prin-éetíe eut qui lire cette ínfcription, qui contenoit ees Vers; En quclquc lieu de ť Univers % Ok, vos beauxyettx fajfent porter des férsy Vous ne fáauriez trouver un cceur aujfifidelity Que celui qui pour vous hrule dans ces defirts | JSiais pour vous ajfurer une gloire immqrteUe , £í voir le monde entier aux p.ieds de vos Autels ^ fržnceffe} nous aUons publier aux mortals^ Gombien vous éíes belle. La féte contínuoit, & le Prince Ariílon avoit du isaoins le plaifir ď ocaiper le loilir de la Princeffe* b 5 f $6 Le Prince s' II ne poiivoit occuper fon coeurr Mais il fut ptu ve de ce plaiiir par un fpe&acle furprenant qui pa* rut de loin fur ia Mer, &i qui attira la curiofite & F attention de Raviffante, & de toute fa Cour; ce que Ton voiolt s'approcha, & Tori diftingua que c'etoitun Berceau forme de Mirth es & de Lauriers melez enfemble, ferme de tons cötez, & qu' un iiombre infini de poiffonsaiiez pouffoiencavec beau-* coüp de rapidite, Ce fpeQacle fut d' autant plus siouvcau pour Raviffante, qu' eile n* avoit jamais rien vu de la couleur de ce Berceau. La Fee aiant pr^vu que cette couleur devoit caufer quelque mal-lieur au Prince fon neveu, .1' avoit abfoiument ban-. nie de fon Isle. La Princeffe deiiroit avec une irru patience qui parut un mauvais gprefage ä Ariiton pour fon amour, que ce qu'eile voioit s'approehat; davantage^ elle n* eut pas long-terns ä le fouliaiter, car les poiffons. ailez poyfferent le Berceau en peu> de momens jufqif au pied du rocher oü üs s^arrete-rent, & redoublerent Vattention de lajeune Prin^ ceffe & de toute fa Cour. Le Berceau s* ouvrit^ & il fortit un feune honu me d'une beaute merveilleufe, qui paroiffoit feize ©u dix-fept ans. II n'etoithabille que de quelques branches de Myrthes entrelaffees avec une ecbarpe-de rofes de diiterentes couleurs, Ce bei inconnu eprouva un etonnement pareil a celui qu*il caufoit; la beautd de Raviffante ne iui laiffa pas la liberte de s* amufer ä regarder le re/le du fpe&acle * dont V £clat T avoit attire d'affezloin jufques ä ce rocher^ il s'approcha de la Princeffe avec une grace qu'elle n'avoit jamais vue qu'en elle-meme; Je fuisfi iiir-pris, lui dit-il, de ce que je trouve fur ces bords^ que j*ai perdu mime la liberty de pouvoir expri-mer mon etonnement; eft-il poifible, continua-t-ii, qu*unc D^effe comme vous n' ait pas des Temples pr tout V Univers ? Par quels chafmes ? par quels pro* des Feüüles. prodiges étes-vous encore inconnue aux mortels? Je ne fuis point une Déeffe, dit Raviffante en rougif-fant, je fuis une Princefle infortunée, éloignée des* Etats du Pvoi fon pere, pour_ éviter je ne icai quel malheur que Y on aífure qui m' a été pre Jit des i'inftant de ma naiffance. Vous me paroiííez bien, plus rédoutable, reprit le bel inconnu, que ces Aitres qui pourroient avoir attache quelque fatale influence fur vos beaux jours; & de quel malheur lie doit pas triompher une beaut é fi parfaite? je fens qu' eile peut toutvaincre, ajoúta-t-il en foüpirant, puifqu' eile a vaincu en un moment un creur que je -m* étois flaté de conferver toújours iníenfible: mais, Madame, continua-t-il, lanslui donnerle terns derépondre, il faut malgré moi que je m' eloigns de ces Heux charmans ou je vous vois, & ou je vi-ens de perdre mon repos, j5 y reviendrai bien-töt fi 1 Amour m'eft favorable; apres ces mots il rentra dans le Berceaii, & en peu de terns on le perdií de vúe. Cependant le Prince Ariílon demeura fi interdifc & fi affigé de cette avanture, qu'il n'eut pas ď a-bord la force de parier; il lui arrivoit un Rival par lín événement auíli lurprenant qiť imprévy: ce Rival ne lili avoit paru que trop aimable, & il luifem^ bloit qu'ii ävoit remarqiié dans les^ beauxyeux de la princefíe s pendant que 1' inconnu lui parloiť, une lan-gueur qu'il ý avoit toújours defirée, & que jufuu*alors il n y avoiťjamais vúe. Tranfporté ďun defeípoir qu iln'ofoit faire eelater 3 il ramena Pvavifíante au Palais, oů eile paílaune partie tíela nuit occupíede fon agréable avanture, dont eile fe fit redire autant de fois-íes circoníbnces paries Nymphes de fa Cour, que ii eile n'y eůt pas été prefente elle»méme; Pour Je Prince Arifton il alla eonfulter le fcavoir de la ]Fée pour chercher á oppofer quelque fecret ä la vi-©leňte öouleuj dont il étoit tourmenté, mais ejle Le Prince iť en avoit point contre le jaloufie, & 1* on dít mé-me que depuis on nven a pas encore trouvé, Le Prince & la Fee redouble>ent alors leurs enchante-mens, pour défendre L entrée du Pvocher a cet In-conu fi redoutable, qu' ils prenoient pour un En.* chanteur • ils entourérent PIsle de Monflres affreux,. qui Qocupérent un grand eípace fur la Mer, & qui animez de leur propre fureur, & de la force des charmes, fernbloient affurer i\rifcon <$£ la Fee, qu'il feroit impoffible de leur óter cette belle Princeffe qu* ils vouloient garde? avec tant de foin* RaviA iante fentit plus vivement le pouyoir des charmes, du bel Inconnn , par la douleur gue lui firent éprou-ver les. obítacles que Ton avoit mis á fon retour dans flsle, elle refolut du moins de sren venger fur le Prince Ariiton; elle commenca de le hair, & ce n étoit que trop bien affurer fa vengeance Arifton ne pouvoit fe cbnfoler devoir attiré la haine de Ra-yiflfaate par une paffion qui lui paroiíToit devoir produire un effet tout contraire- La Princeffe fa plaignoit en fecret de Poubli de linconnu, il lui iembloit que P amour devoit dé}a lui avoir fait tenir la promefle quil lui avoit faite derevenir, &quel-quefois auffi elle ceffoit de defirer fon retour par le fouvenir des perils, par lefquels la Fee & Ariilon avoient defendu i approche de V Isle,. Un jour qu' elle étoit occupée de ce diverfes reflexions, & qu'elle fe promenoit feule fur 3e bord de la Mer, car A-rifton n'ofoit plus la fuivre comme il faifoit auparavant, & la Princeffe refufoit méme devoir les fétes dont on avoit acco'utume de la divertir; elk le arrivoit dans ce méme endroit que Pavanture de Pinconnu lui rendoit fi reconnoiffable, quand elle. vit un Arbre fur la Mer ď une beaute extraorfclinai-* re qui voguoit vers leRocher; cette couleur qui §toit celle du Berceau de myrthe de V Xnconnu, lui donna d'; abord de la joie; PArbre s approeha du tUclier, & les Monftres voulurent lui défendre le Ůtš Feüilles. jpáffage: mais un petit vent agita les feüilles de í'Arbre, & en aiant difperfé quelques unes contre les Monftres, ils céderent á des armes fi legeres & li pen dangeŕeuŕes, lis í e rangérent merne en cercle aveC une efpece de řěípeO: autouť deľarbre" fcrui ápprochadu rocheť fans rencöntrer ďautres ob-ftacles, & s'ouvrit: & ľinconnu patu t dedans äífis fur tin. petit Tróne de verdure $ il fe leva avec precipitation ä la vůe de ívaviíľante, &lui paria aveč tant d eíprit & tant ďaňiour qu'aprés qíťelie lul eut appris en peil de mots quelle étoit fa fortune, eile ne lui put caclieŕ qu'elle étoit touchée deform retour^ & méme de fa tendreffe; mais, lui dit-elle, eft-il jüfte que voüs fcachiež les fentimeňs que vous m' inípirež availt que ie ícache feulemertt le nom de celui qiii les a fát t iiaítŕé | Je n' ai point eu le def-fein de vous cacher ma naiffancé^ répondit le charmant Incónnii, mais auprés de vous on ne peut parier que de vous-méme, cependant puifque vous le voulež je vais vous obéi'r, eň vous apprenant que je m'appelielePrince des Feüilles, je Ms ün filš du Printemps, & d*une Nimphe de la Mer parente d*Amphitrite j. c'eft ce qui me fait étendře mon pou-voir jüfques fuř les eaux^ mon Empire eft dans toüs les Üeüx de la terre qui reconnoiffent le Printemps y mais f habite prefque .töüjours. dans line Isle fortunée oú ne régile jamais que ľaimable Saifon. que mon pere a accoútumé de donner. L*air y eíl toújours pur j les champs y foňt toůjours fleuris^ le Soleil ne lui fait point fentir fes ardeurs, il ne i'approehe qüe poür ľéclairer^ la nuit en eft ban-nie, & c'eft ce qui le fait appeller ľ Isle du Jour, eile eft habitée par ün Peuple auífi galand que le Climat eft fagréable, c' eft en ces lieux oú je Vöüs offre un Empire doux & trailquille,; & ou VOus regnerez encore plus fouverainemant fur mon coeur? que fur touts le refte; mais il faudroit belle Princef-fe, continua-t-il confentit a vous laiffer enlever de m Le Prince ce rbcher ou Ton vous retient daris un veritable-efciavage, quelques honnetir que Ton vous y ren-de pour le diguiier. Raviilante lie put fe refolidre & fuivre le Prince des Feuilles dans fon Empire $ irialgre la crainte quelle avoit du pouvoir de la Fee & les Confeils de fon amour, elle fa flafeoit que fa conftance a refufer les vceux d' Ariiton, le refou-droit peut-etre aceffer de Yaimer, & que la Fee la rendroit au lioi fon pere, dont le Prince des Fetiilles pourroit i'obtenir.. Mais je voudrois du moms, lui dk-elle, pouvoir vous mander ce qui le paffera dans cette Isle, & Je ne fgai comment ce que je veux^ pourra devenir poiiib'le: car tout m'eft fufpe£ticy. Je vais done,, dit le Prince des Feuilles^ Vous lailfer des Sujets d'ltn Prince de mes amis^ qui demeureront toujours aupres de volts, & par cmi vous pourrez me donner fouvent de vos hou-yelles, fouvenez-voiis fcatlement^ belle Princcilfei de P impatience avec laquelle je les attens: apres ces tnots il s'appfocha de FArbre qui Pavoit apporte^ & en ayant touche quelques feuilles il en fortit. deux Papillons, Pun couleur de feu & blanc, poürneplus g-norer, eile priä le Papilloň jaune de lui apprendťe tout ce qui poiivoit contribuer ä áugmenter & ä Hater ifon eípérance i eile le fit rnettre fur une petite Gorbeille de fleurs qiť eile appörta für tine table au-jprés ďelle, & íe Papillon qui fe faiíbit un honneuř de lui plaire^ eommenca ainfi fon recit* Auprés de ť Islé dú joilf oů régne le Prince des feinlies, il y en aüne autre plus petite, mais aufii agréabíe; la terře y, eft tou jours cön verte de fleurs. ^ & Ton affure que, c'eft line grace que Flote a fait ä nötre terre, pour immortalifeř lá n é noire des jours heureux od eile y venoit troüver Zephir; car 1' on tient que c'etoit dans nofre isle qu'itsje voioient^ quand leur amour étoit encore íecrettě & nouvellě: eile s'appelle Plsle des papiílons; les hábitans iť en font pas de la figure que vous mé yoíež, ce font de petits hommes ailež, Fort foils, fort galans, trés-amoureux, ar la deftru&ion de, fon Ifle, le Prince des Papii-ons fatisfa.it d1 avoir rendu au Prince des Feiiilles. un fervice femblable a eelui qu'il avoit rec;u de lui^ conduifit en volant la belle Kaviffante jufques dans un VaiiTeau de jones ornez de guirlandes. de Heurs ou le. Prince des Feyilles T attendoit avec toute 1'im-patience qu'un violent amour peut caufer, L'on ne f^auroit exprimer le plailir qu'il refTentit en volant arriver la Princeffe; jamais la joie & 1'amour ne parurent plus vivement^ qu£ dans le cceur & dans les difcours de ce Princeil &t voguer en diligence, vers llfle du jour, le Prince des Papilknis s'envo-la pour rejoindre plutot Paimable PrincetTe des Li-nottes; t\aviffante envoia deux Papillons au Roi ion pere, pour lui apprendre quelle avoit ete fa fortune;: le Son Roi en lolia les deftinees, & fe rendit en peu de terns dans 1'Ifle du Jour, oil le Prince des Feuilies & la belle Pvaviffante regnerent avec toute la felicite imaginable, & furent toiijours heureux, parce qn'ils ne ceflerent jamais d'etre amoureux & fideles,/ ^u' on doit porter cFenvie au firt dt Raviffantt y Par um ardenr vive conftante VAmom r des Feuilles, - jjj & Amour lui prodigua Jet trefbrs pre'eieux % Pour en pouwair jouir comme elle y Hdas t que V on fercit heureux, , it fuffifoit d" fore fidelk. LE BGNHEUR DES MOINEAUX, CONTE* ^tie e*eft un deflirt rigoureux Be ri avoir point de biens durahles h ■ Tous les plaijirs font courts., autant qtS Us font aimables^ Be deux Amans Amour comblpit les vceux, 11$ goutoient les douceurs d? un ji charmant myflere Bans leurs jtuneffe , Us 4toient amoureux % Us faifoknt tous leurs Joins de cbercher d fe plaire ^ He / que faut il de plus pour etre heureux ? On voioit d r envi croitre de ft beaux feux y Mais^ hi las I par malbem pottr eux% Lajeune Iris avoit cncor fa meret gyti.pour mitux V arracher d V objet de fes voeux% Lui [fit a" un prompt dip art unt-loi neceffaire> Tout ce que pent V Amour au. defe/poir * i %>Ans cu Uxdres- Amms vivewcnt fe fit- win L'beureufe Jri s partit; rnais commmt peut-on fatru Pour foütenir de tels malheurs ? Síle alloit cbaquejour dam un Bois folitajrc^ Entretenir les prejfantes doukurs 6}ue Hon reffent en perdant ee op?on aime^ il rí efi point de tourment, qui coü$e tant de pleum% Unjour apres avoir ředit fa p$ine extréme Aux Arbres, auv Ruißeaux , aux Echos ď alentour Sile vit deux Moineaux, cent fais plus beureux qu'elfe gut fuivoient librement les tran/ports de V amolirX }íela$! petits Qi/eaux, dit-clle^ Fuiez , fuiez un ß cruel fijour, On troubltroit kien tbt vos ardeufi mutuelles* Si par malheur ma měre en étoit le témoin^ Vous étes amoureux, paßiwnez, ßdcles; Helasl eile envdiroit un de vqhs deux bien loin± UHEUREUSE PEINE* CONTE. L flit autrefois un grand Fvoi, cjui devint eperdu-ment amoureux d'une belle Pnnceffe de fa Cour; desqu'il Paima, il lui parla de fa tendreffe, les Jlois ont d'autres privileges que les vulgajres Amans. La PnnceHe ne s'orlenfa point d\m Amour, qui pou- . voit 87 Peine. AS voit la placer fur le Tróne, trials eile parut toujours auffi fage au Roi, quil la trouvoit charmante, Ii ľ époufa, la nôce íe fit avec une magnificence incro* i'able, & ce qui I eft encore bien davantage, c'eft qu'il fut Epoux fans ceffer d'etre Amant. Le bo.ii-heur ďun f» doux Hymenée ne fut trouble que par latľifteffe de n* avoir point cľ.enfans pour fuccédeŕ á leur bonheur4 & á leur Roíaume. Le Roi pouč pouvoir du moins jouir de la douceur de ľeípéran-ce> fe réfolut ď aller confulter une Fée'j qu'il cro-■íoit fort de fes amies; eile s'äppelloit Formidable, mais eile ne Í avoit pas toüjours été pour le Roi, on dit méme qiie Fon trouvoit encore dans de viéux Recueils de ce País-la des vau- de-villes qui difoient beaucoup de fes nouvelles, tant les Poétes ont été téméraires de tout temps, car la Fée étoit fort re- , fpečlée, & paroiffoit fi farouche, qu'il n' étoit preí-que pas poffible de s'imaginer qu'elle eüt reíľenti le pouvoir de ľ amour § mais oú font les cceuŕs qui lui échapent? Le Roi quiavqit toújours été Galaňd, <& qui avoit beaucoup d'efprít, n'ignoroit pas que les apparenees font fouvent trompeufes. 11 trouva ■Formidable dans unßois oü il étoit alle á läChaíTe$ eile parut ä fes yeux fous une figure fi gracieufe > & avec un air fi charmant, que le Roi ne doüta pas un moment qu'elle ne voulut plaire. Rarement op fait briller tant de charmes fans intention. Le Roi"P äi-ma. ^ La Fee trouva plus de plaiíir á étre aimée qu*á 4infpirer toüjours de la terreur; cette tendŕefíedura quelques années, mais un jour qiťelle comptoit fur le coeur defon Amant, comme fur un bien qui ne j)ouvoit ceffer ď étre ä eile, eile fe laiffa voir au Roi fous fa veritable figure, Elle n'étóit plus jeune, eile n'avoit guéres de beauté; eile fe repentit par 1$ trouble quJ eile rémarqua fur le vifage du Roi, d'a« voir eu trop de confiance en elle-mémé, & eile re-connut peu aprés que les íentimens du cceur, quelques tendres qu'ils puiíľent étre, nepeuventtoucher,, & m 4-6 V beureufe & lie fcauroient rehdre 1'amour heureuxV s'ils ne font lbütenus par une figure aimable, Le Roi fut fiontcux de n'avoir ete araoureux que d'urie belle idee. 11 cefifa d'aimer la Fee, & conferva feulement i)our eile des egards^ &dc la deference. Formidab-e par unegloire qui lui etoit naturelle feignit ilbien d*etre contente de l'ämitie du Pvoh qu'elie le per-fuada qu*elle etoit la meilleure de ies amies; eile fut meme ä ianöce, comme les autres Fees du Pais qui en furent prices, pour ne pas donner ä penfer par un refus eklatant, quelle eüt lieu d'etre fäehee de ce mariage» Lfe Roi comptarit done fur l'arhitie' de fon ancieii-ne Maitreffe, 1'alia trouver dans fa demeure: e'e-toitun Palais de marbre eouleurde feu au milieu d'une vafte Foret L bn y arrivoit par une avenue d'üiie longueur prodigieuie^ eile etoit bordee des deux cötez par cent Lions couleur de feu. Formidable n'aimoit que cette couleur, dk eile avoit fee ainfi tous les animaux qui nauToient dans fa Foret; au bout de Vavenue, on trouvoit une grande Place carree$ oCt une troupe de Mores vetus de couleur de feu & or, magnifiquernent armez, faifoient uie garde perpetuelle. Lc Roi traverfa feul la Foretj ll en f^avoit les chemins ä merveille, il traverfa meme 1'avenue des Lions fans danger; car il leur jetta en entrant des renoncules que la Fee lui avoit donnees autrefois poUr traverier ce paffage, fans craindre ces redoutables Lions \ des que le P^oi leur eut jette ces belles ileürs ils devinrent doux & pai-fibles. II fe trouva enfin a la garde des Mores, ils tournerent el'abord leurs fieehes contre lui: mais le Rot'leur jettant des fleurs de grenades qu'il tenoit aulfi de la Fe* comme les renoncules, les Mores tt-rerent en 1'air leurs fleches, & fe rangerent en haye" .pour le laiffer paffer; il entra dans le Palais de Formidable, eile etoit dans un Sallon affile fur un Tfo- ■Peine. ' 47 fre de rubíš au milieu dě doužé Mpreffes vétuěs de gáze, couleur de feu & or, fon habit íétoit pareil aux leurs, & ií couveřt depierreries,quvelle brilloit comme leSoleil, maisělle n'en étoitpas plusbelle; leRoiře* garda, & écouta quelques momensavant que d'entrée dans le Sallon^il y avoit auprés delaFée quantité děLi-vres fuř une Table de marbre rouge; il vit qu'clle en prenoit un, & continuoit ďínftruire les Moreííeš de ces ťecrets qui rendent les Fées fi redoutabies, mais Formidable ne leur apprenoit que eeux q'Ut font contraires au repos, & au bonheuř des hommes* Elle tě gardoiťbien de leur cníbignéř ceux qui peu-vent contnbuer á leur felicite. Le Roi en fentit de la haine pour la Fee; & entrant dans Je Sállon^ in-terrompit ceťte fatale lecon, & furprit Formidable pat fon arrivée; mais fe remettant, dans le moment méme, elle renvoia ces Moreífes, regardant leRoi avec uň sir de fierté & de colére: Que venez vous chercher ici, lui dit-elle, Prince inconítant? Pour-quoi pař vótre odievfe préfence venez-vous troubleř encore le repos dont je táche de jpuir ici? Le Roi fut tout furpris ďuu difeours qu'il n'attendoit pas, & la Fée ouvrant un de fes Ir/res, je voi bién ce que vous voulez^ continua-t-elle? Qui, vous auře2 une fille de cette Princefie, que vous nťavez préfe-rée II injuílement; mais ne croíez pas étre toújouřs heureux, il eft terns qiie je me vánge. La fille que vous dévez avoir fera autant haíe de tout le monde, que je vous ai autrefois aimé. Le Roi fit tout ce qu'il lui fut poíiible pour adeucír la colére de la Fée; mais ce fut inutilement, la haine avoit iuccédé á V amour, & c' étoit V amour feul qui pou-vok attendrir la Fée, car la pitié & la générolité ■étoient des fentimens quelle ne connoiffoit point Elle ordonna fiérement au Roi de fortiř de fon Palais^ & ouvrant une voliéře, il en fortit un Peřroqiiet couleur de feu, §uivez cet Oifeau > dit-elle au Roi, & řendez graces á ma bonté3 qui ne vous livre pas .á la ĽJseufeufčé la fiireur de m es Lions & de rrfes Gardes. , íľOífeaíi vola. Le Pvoiie fuivít* & par im chemin qui lui é.toit inconnu,- &beaucoup plus court que celui qu'il connoiíľoít, il fut conduit dans fori Roi'aiime. La Reine qui letrouva ä ion retour ď une triííeffe extréme 4 lui en demanda tant le fujet, que le Roi lui aprit la cruelle prediction de la Fée, fans toutefois lui apprendre tout ce qui s'étoit paffe autrefois en-tr'eux, pour ne pas attirer de nouveaux malheurs fur la belie Reine* Cette jeune Princefíe fcavoit qu'une Fée ne peut pas empécher abfblument cq qu'uae defes pareilles a préait, mais qu'elle peut adoucir les peines qui ont éié ordonnées* J'irai$ dit la Reine, trouveŕ Lumineufe^ Souverame de ľEmpire heureux; e'eft une Fée célébre qui fe plaít á protéger les malheureux. Elle eíí ma parcnte* eile m'a toújours favorifée; <& eile nťavoit mém e prédit la fortune ou ľ Amour me devoit faire parvenu*. Le Roi approuva fort le volage de la Reine ^ &iien eípéra.beaucoup, fori equipage étant prét3 eile fut chercher -Lumineufe^ eile portoit ee nom^ parce que fa beau té étoit li brillante, quvá peine en pouvoit-on foútenir ľéclat, ck la grandeur de fon ame répondoit parfaitement á fa beau.té; la Reine arriva dans une vafle campagne,- & apercút de fort loin une grande Tour; mais quoi qu? on la vit de loin, il y avoit bien des détours pour y ar river. Elle étoit de marbre blane, eile n'avoit point de porte, les fenétres faites en arcades etoient.de cri« lial, une belle riviére, dent les qndes paroiffoient ď argent; battoit íe pied de la Tour.- Elle totiŕnoit neuf fois a ťentour. La Reine avec toute la Cour arriva au bord de ľeau, qui comm.enc.oit lá le premier cercle qif eile faifoit autour de la demeure de Iii Fée. La Reine la paffa fur im Pont de Pavots blancsy que le pouvoir de Lurnineufe avoit rendu auíS íuť & äufft durable, que s' il eüt été báti ď airain ; quo! qu'il ne füt que de fleurs4 il ne laiffoit pas d'etre ŕedouk Peine. 49 frcdoutable; II äyoit le pouVoir ď endbrmir £our fept ans eeux qui le paffoient contre la -volonte de la Féě. La Keine appercut au dé lá du Pont fix jeunes hommes magnifiquement vétus endormis für děs lits de gazon fous des Pavillons de feüillage. Cétoient des Princesamoureux de la Fee; & eom-jme eile ne voulojt point entendre parier de PAmour, eile ne leur avoit pas permis de paifer plus loin. La Heine apres avoir paffe lePoht, fe trouva dans le prem;er efpace qüe la Pviviére laiffoit libre; il étoit oceupé par un Labyrinthe charmant, tout de Jafmins & de Lauriers-Fvofes, il n* y en avoit que de blancs, car c' étoit la couleur qu' aimoit Lumi-neufe. Aprés avoir admiré cette belle promenade^ & en avoir démélé facilement les détours qui h'é-toient embarraffans que poür ceiix que Paimablé Lumineufe ne vouloit pas qu'ils pullent ehtrer dans fon agréable demeuře, la Pvéine repaffa la Riviéře, fur un Pont ďAnemones blanches, eile faifoit en eet endroit fon fecoiid tolir, & 1'efpace qiPelle laiffoit libře avanť qtie de faire fon troiliéme cercle, étoit očcupé par une Forét ď Aeaciats toůjours fleu-ris, lés routes en étoient charmantes & li fombres, qUe le Soleil ne le polivoit pénétrer: on y voiöit de tendres Colombes, doht les plumes pouvöient faire honte á la neige; tons les arbres, étoient cou-verts ďnii nombre iňfiňi de Serains blancs qui fai-Foient des concerts agřéables, Lumineufe ďun coup de baguette leur avoit apris les plus beaux & les plus aimables chants du monde. On fortoit de cette belle Forět par uri Pont de Tubéreufes, & Ton entroit dans une belle Campagne toute couverte ď Arbres chargež de fi beaux fruits^ & li clelicieux, que le moihdre Ařbře de ce lieu-lä faifoit honte aux fameux Jařdiňš des Kefpe-rides. Cependant la Reine trofivoit touš les foirs les plus belles tentes du monde 3 & dě magniíiques ■ fwizíí. í) repas jo Ľheureufe repas fe trouvoient fervis des qu' eile arrivoit, fails que ľ on vit aueun defes Officiers ü diligens & fi habiles; la Fee qui avoit apris dans les livres 1 arri-vée de la Reine prenoitíbin de fon voi'age, eile ne vouloit pas méme qu'elle pút étre fatiguée un mo* ment. La Reine pour íbrtir de eette merveilleufe Campagne paffa la Riviére fur un Pont d'Oeillets blancs, & entradans le Pare dela Fée. II étoit auífi beau que tout le refte, la Fée y venok chaffer quel-quefois, il étoitrempli ď un nombre infini de Cerfs & de Biches blanches, & ď autres Animaux de la méme couleur; une meute de "^evrons blancs étoit difperfée dans ce Pare,' & couchée fur ľ herbe avec des Biches & des Lapins blancs, & ď autres Animaux qui ď ordinaire font fauvages: mais iis ne ľ é-toient point en ce lieu-la, ľ Art de la Fée les avoit apprivoifez, &quand les Chiens chaíToient quelque bete pour amufer Lumineufe, il fembloit qiťils euŕ fent compris que ace n'étoit qu^un jeu, car ils fai-ibient tout ce cm'ils devoient faire, excepté qu'ils ne fe faifoient jamais de mab En celieu, la Pvivié-re faiíbit fon chiquiéme cercle autour de la demeure de la Fée. La Reine pour lortir du Pare, la paffa fur un Pont de petits Jafmins, & fe trouva dans un Hameau charmant. Toutes les petites cabanes y étoient bäties ď Albátre, les habitans de cetaimable lieu étoient fujets de la Fée; ils gardoient fes trou-peaux, leurs habits étoient de gaze ď argent; ils é-toient couronnez de guirlandes defleurs, & leurs Houlettes étoient toutes brillantes de pierreries; tous les Moutons étoient ď une blancheur ťufpré-nante; toutes les Bergeres étoient jeunes & belles, & Lumineufe aimoit trop la couleur blanche, poür avoir qublié de leur faire un teint fibeau, qu'il fembloit que le Soleil méme aidät ale rendre plus éclatant; tous les Bergers étoient aimables, & le défaut qu* on pouvoit trouver dans ceť agréable Pais, c1 eft qu'il n'y avoit pas une feule beauté brülle; Peine. % i he; les Bergéres furent tecevoirla Pveiné, & lui préfentéŕent ä eš Väfes de porcelaine, ŕempíis des plus belles fleúrs du mpnde. La Réihč & toute fá Cour étoient chaŕmez ďun voíagefi galant, <& cetté Princeífe en tiŕoit u n héureux préLge pour cé quelle defiroit de la Fée. Commé eile íe mettoit en chemin pour foŕtir du Haŕneau, uné jeuné Beigere s'avancjant vérs ía Reine, lui appbrta une petite Levrette fur un carŕeaú de velours blane, Jbŕodc ď argent & depeŕles, á peine diítij|ruoit-on ja Levrette fur fori carreau, tant leur couleur étoit fem-blable» La Fée Lumineufe, Souveraine deľEmpi* ŕe heureiix, dit la jeüne ßergere a.laPveine> m'si oŕdonné dé vöus préfenter Blanc Blanc de fa part^ c' eft le nom de la petite Levrette; elie ä ľ honnéur ďétré äimée de Lurnineuíe, fon art en a fait úné merveille; & elie lui a command é de vous con^ duire jufques á la l otír* vousiť auŕez, granaje Princefíé, qu'á la laiffer allere la fuiyre* La Reihe recút la petite Levrette avéc plaifír^ chaŕmée *du foin que la Fée prenoit ď eile. Ellecaŕeffa Bíánc Blanc ^ qüi apres lui avoir rendu fes car effés a vec' beaucoup ď ďpvlt & de grace, fauta legéreméňt ä terré, & fe mit ä marcher devant la Reine 5 fcjui lá fuiy.it avectoute Ta Coim lis arrivéreht au bbedďé\ la Pviviére^ qüi ťaifoit lá fon fixieme toúŕ, ilš fu-íľent étonnež ,de n'y point trouvér de Fönt pour lä paffer. La Fée ňe vouloit pas que f es Bérgeŕs al-laffentia tŕoiibleŕ dans fa ŕetraité, il n'y avbitja--ŕriaiš dé Pont dahs eélieú-läj qiie qusndejlé y vouloit pcďfer, ou y ŕecevoit fes amis, La Reine-ŕé*. voit pŕofondément ä cette. avanturé> quand elie en-téndit Blanc E lune qui aboya troiš fois; auffi-tôt uŕi Zephir agita íés arbŕés qui étoient au dela de lä Pviviére, & fit tombéŕ daňš ľeaii line fi grandé áquantité de-fleurš cľ Orange^ qu'il š*en forma uh Pont, & la "Reine paffa la"Riviére dcfťus. Eile re-mereia Blanc Blanc par des cáreíľes, & elie fe tŕou- d q v'á v ^2 Vheureufe va dans une avenue de Mirth.es & d* Orangers deli-cieux, & apres 1' avoir traverfee fanss* ennuier, quoi qu'eile fut d'une longueur extreme, eile re-trouva le bord de la Riviere qui faifoit fon feptie-me tour dans cet endroit lä: eile n* y vit point de Pont, maisTavanture du matin la raffuroit; ßlanc Blanc frappa la terre trois fois avec fa petite patte, & dans le moment me me il parut tin Pont de Hya-cinthes blanches. La Pvcine le pafla * & eile en'trä dans une Prairie toute emaillee de fieurs; de belies tentes s'y trouverent dreffees, eile s'y repofa, puis eile continua fon cieniin, & eile trouva encore le bord de Y eau. II n' y avoit point de palfage, ßlane. Blanc s'avan^a, but dans cette belle Riviere, & auffitöt il parut un Pont de Rofes blanches, qui fervit a la Reine pour entrer dans le Jardiri de la Fee; il etoit fi rempli de fieurs merveilleufes, de jets d'eau extraordinaires, & de ftatues d unebeau-te furprenante, qu'ii n'elt paspoffible d' en faire une exafte defeription. Si la Reine il' avoit pas fenti une impatience extreme de prevenir les maux, dont }a cruelle Formidable 1' avoit menace'e> eile auroit refte plus long-tems dans ce beau lieu, toute fa Cour en fortit ä regret; mais ilfallüt fuivre Blanc Blanc qui conduifit la Reine ou la Riviere faifoit fon dernier cercle autour de; la demeure deLumi-neufe, la Reine vit enfin depres la Tour de la Fee5 ilft'y avoit que la Rivi6re entre-deux; eile la re-garda avec plaifir, comme etant le fujet de fon vo-i'age; eile lüt cette Infcription qui etoit ecrite fus la Tour en lettres d* or. . Gy eft ici le charmant fijour De la felicitÖ parfaite ; Lumincuß a bAti cette belle retraite s \ ILtte y re^oit les ris, eile en bannit V amour y Et pour foi cepe?idant eüc fembls ttre faitc. £ : ; a , '• ' v ' (^tte Peine. S3 Cette Inscription avoit ete faite ä fa gloire par les Fees les plus renommees de fon tems; ellesavoient voulu laißer ä la poilerite ce temoignage de leur ami tie ck de leur eftime. Pendant que la Reine s'amulbit ainfi au bord de 1'eau, Blanc ßlanc paffa ce petit trajet ä la nage, & faifant le plongeon rap-porta une Coquille de Nacre de perle qu'eile laiffa retombcr dansla Pviviere: ä ce bruit fix belles Nim-phes vetues d' habits brillans, ouvrirent ■eine gran-de fenetre de Criftal, il en fortit un degre de Perles qui s'approcha peu-^-peu de la Reine; Blanc Blanc monta promptement juiques ä la fenetre de la Fee, & entra dans la Tour, la Reine-prit le merne che-min; mais ä nie iure qu'elle rnontoit ce joli degre, les marches qu'elle avoit paffeesdifparoiffoient, & 1' empecherent ainfi d' etre fuivie, Elle entra dans la belle Tour de Lumineufe, & la fenetre fut refermee. Toute la Suite de la Pveine fut au defefpoir de ne la voir plus, & de ne pouvoir la fuivre, car eile etoit extremement aimee; leurs cris le firent entendre juiques au lieu ou Lumineufe entretenoit la Reine, & pour raffurer ces malheureux, la Fee envoia une de fes Nimphes pour les conduire au Hameau,-oü ils devoient attendre le retour de la Reine, le degre de Perles reparut, & leur rendit Pefperance. La Nimphedefcendit, 6c la Reine parut ä la fenetre pour leur ordonner de la fuivre & de lui obeir. Cette Princeffe demeura avec la Fee, qui la recüt avec une magnificence prodigieufe, avec un air divin qui gagnoit les cceurs. La Keine y demeura trois jours qui ne fuffirent pas pour voir toutes les merveillcs de la Tour de Lumineufe, & il auroit fallu des freies entiers pour admirer tout, & les beautez de la Fee. Le quatrieme jour Lumineufe apres avoir donne a la Pveine des prefens auffi ga-lants que magnifiques: Belle Princeffe * lui dit-elle, D je Vheureufe. Je íuís fáchée de ne pouvoir réparer- le malheur dont Formidable vous a menacée; mais c' eít la feute du ďeftin, il nous permet de répandre 4es biens fur ceux que nous favprifons., mais il nous defend de gárentir, & de finir les maux ordonnez par une autre Fee Ainfi pour vous co.níbler du malheur que 1 on vous prepare, je vous promeís avant qiťil jfbit un an une fiíle fi belle, que tous ceux qui la yerront en feront charmez, & je prendraifoxn, ajoú-ta la Fée, de faire naítre un Prince digne ď-elle. Une prediction fi favorable fit oublier pour quelque terns a la Pveine. ía haine de Formidable, & le mal-lieur qu'eile attendoit, Lumineufe ne dit point á la Reine ce qui rendoit Formidable fon ennemie. Les Fees qui méme nes'aecordent pas enfemble, confervent exa&ement entre-elles les fecrets. qui peu-' yent les rendre méprifaVles aux mortels, & ľ on -A\ fure que ce font les. feules femmes qui ont eút ľ eíprit de ne po.int dire de mal les unes des autres. Aprés de remercimens infinis. de la part dela Pveine, Lumineufe ordo.nna ä doiize de íe^Nimptíes.de ie charger de préfens, & de reconduire la Keffie jufques áuFIameau, cy elle la conduiíit elle-méme jufques au degré de períes qiii parut des queľ-oneut ouvert ja fené.tre. Quand la Ŕeine & les Nimphes furenť áu bas dii degré; elles* virentim Char ď argent at-te'é de fix Bichés blanches, leurs Piarnois étoient to us cou verts de diamans, un jeune enfant beau com m e le jour cônduiíbit le Char, & les Nimphes le fuivirent montées fur des Čhevaux blancs qui pouvoient difputer de beauié avec ceux du SoleiL Dans ce gala n d equipage la Reine arriva au Ha-rneaú, elle y trouva toute la Cour qui fut ravie de la re voir, les Nimphes pri rent congé de la Reine, & lui p; éfentérent ces úouze beaux Chevaux Fées pour ne le laíľer jamais, & elles dirent a la Pveine ^jue Lumineufe la prioit de les donner au Roi de fa Peine. 55 part. La Reine comblécdes bontez dela Fée, rétovi rn a dans fon Roiaume. Le Roi la vint recevoir jüfques fur la frontiére, & fut fi charmé de fon retour & de Pagreable nouvelle qu'elle lui annoncoit de la part de Lumineufe, qiť il ordonna des réfou-iffances publiques, dont le bruit qui parvint juf-ques á Formidable redoubla encore fa haine & fa co-lére pour le Roi, Peu de temps aprés le retour de la R.eine, eile devint groffe & eile ne douta point que ce ne fút de cette belle Princeffe qui devoit charmer tous les coeurs, car Lumineufe lui avoit promis fa naiffance avant la fin de Pannée, & Formidable n' avoit point prefcrit le tems oú fa vengeance devoit saccomplir, mais eile n* avoit pas deffein de la retarder- La Reine accoucha de deux Princeffes, & ne douta pas un moment, laquelle lui avoit été promile par Lumineufe, .par V empreífe-ment gu' eile fe fentic ď embraffer celle qui avoit vú le jour la premiére* Elle la trouva digne des promeffes de la Fée, rien au monde n étoit li beau ; le Roi & tous ceux qui étoient préfens, s*empreffoientď admirer la petite Princeffe, & Pon oublioit abfolument P autre, quand la Pveine qui jugea par cette negligence generale que les predictions de Formidable s'accom-pliffoient auíli, ordonna jDlufieurs fois qu' on 6H éút le méme foin que de r Ainee* Les femmes lui obeirent avec une repugnance qu' elles ne pouvoient vaincre, & que le Pvoi & la Reine, n'ofoient prefque blámer, parce qu'ils la fen-toient eux-mémes. Lumineufe arriva en diligence fur un nuage, &; nomma la belle PrinceíTe Ainiée, pour lui donner un nom convenable au deftin cju' eile lui avoit promis. Le Roi rendit ä Lumineufe tous les refpects qfuvclle meritoit, eile promit ä la Reine qu'elle protégeroit toüjours Aimée; eile ne D 4 lui S ■ 5 6 Ľbeureufe ' i lui fit point alors de don y car elle lui avoit deja toufc donne. Pour ľ autre Princeffe, en vain le Roi lui donna le nom d* une de fes Provinces. On s/ accoú-tuma infenfiblement a ľ appeller Naimée par une oppoíition bien cruelle pour elle. Quand les deux Prmceffes eurent atteint ľágede douzeans, Formidable voulut qu'on les éioignát delaCour, di-foit-elle, pour diminuer la haine & ľ amour quife parta°;eoient entr'elles. Lumlneufe kifíoit orďon-ner formidable, elle étoit fúre que rien ne pou-voit empéc-her la belie Aimée de régner dans le Ror 'iaumede fon pere^ & dans tous les coeurs; Elle ľa* voit fait naitre avec tant de charmes, qu'ilnefal-loit que la voir pour n* en pas douter: le Roi pour tácher ďappaifer la. haine que Formidable répan-. doit fur, fa Maifon, réfolut de lui obéír. II envois done les deux Princeffes avec une jeune & aimable Cour dans un Chateau merveilleux qu* il avoit ä ľ"extremitě de íbn RoYaume: il s'appelloit le Chá>* teau des Portraits, c[étoit un lieu digne de ía fca-vaňte Fee qui ľ avoit báti il y avoit quatre milic ans: les Jardins & toutes les Promenades des environs étoient admirables, rnais ce qu'il y avoit de plus beau étoit une Gaílerie ä perte de vůě, oú P on voioit les Portraits de touš les Princes, & de toutes les Princeffes du Sang Royal de ce Roiaurne, & ceux.des Pais voifms; dés^qu'ils avoient quinzeansp leurs Portraits s'y trouvoient peints, avec un art qui ne pouvoit étre que foiblement imité par tout autre que par une Fee. Ce don. devoit durer juf-ques au terns qu' il entreroit dans ce Chateau la plus belle Princeffe du monde. Cette Galierie féparoit deux Appaetemens vaitcs, 6 magniftqúes; les deux Princeffes les oceupérent, elles eurent mémes. Maítres, méme education, on n'apprenoit rien á la charrnante Aimée, que ľ on n'enfeignát áfafusur: mais Formidable venoit lu Peine. 57 faire des lecons qui gätoient toutes iesautres, & LuminCufe venoit de fon cöte par fes converfations .rendre Aimee digne de r admiration de tout l'U'ni-vers. 11 y avoit trois ans que les Princeffes etoient dans ce Chateau 'eloignees de la Cour: Elles enten-dirent un jöur un bruit inconnu, qui fut fuivi d'une Mufique charmante: Elles regardoient de tous cö-tez pour voir d' oü partoient ce bruit & ce Concert agreable, quand ellcs appar^ürcnt trois Portraits qui remplirent trois places qui, un moment aupa-ravant, etoient vuides; ilgy en avoit un qui etoit couronne defleurs par deux amours; run regardoit ce beau Portrait, avec toute 1'. attention qu'il meri-toit, & fembloit en avoir oublie le foin detirer une fleche qu' il* avoit toute prete a partir fur fon Arcs* L' autre tenoit une petite banderolle fur laquelle etoient ces Vers: Aimfa cut en. naijfant^ de la fage Nature Les folides beautez qui ne meurent jamais , Les graces prirent Joins d embeUir fes att raits x Et Venus pour toitjdurs lui donna fa Ceinture* Iis ff 6toient pas neceffaires pour faire connoitre }e portrait de la belle Aimee, on y remarquoit tous fes traits, & cette grace charmante qui attiroit les Coeurs: Elle avoit le teint a une blancheur furpre-nante,lesplus belles GOuleursdumonde,levifagerond5 les cheveux d'un blond admirable,les yeux bleus, mais qui brilioient d'un feu fi vif, que tous ceux qui a-voient le plaiftr de lesvoir jugeoient qu'il etoit inutile que Lumineufe eüt fait prefent ä Aimee d'un don qu* eile avoit en elle-mcme; fa bouche etoit charmante, fes dents ^toient aufli blanches que fon teint; elle ne man-quoit pas de beaute; mais ce Portrait etoit comme elle-meme, il ne plaifoit point; ces mots etoient ecrits au deffous en lettres d ■ or:. Nairn fo avec fis traits^ui formmt la beaut£? ■> Dans tous Its cceurs ne petit treuver de places r Apprens de-la poßirite , gue la beaute n eft rien fans V ejprit & Us graces.. "J Ces deux Portraits accupoient toute P attention; ctes deux Princeffes, & de toute leur jeune Cour; quand Aimee.qui n'etoit point vaine de fes propres, charmes; & laiffant au refte du monde le foin de les admirer, fetta les yeux fur le troifieme Portrait qui avoit paru en meme terns que le lien, eile y trou-va dequoi attirer fes regards, c*etoit celui d'un jeune Prince plus beau rnille fois que PAmour; il avoit plus Pair d*un Dieu que d'un homme, fes cheveux' etoient noirs, &. tomboient par großes boucles furleiepaules, &; fes yeux promettoient au* tant d'efprit qu' on vo'ioit de charmes dans fa perfon-. ne: ces paroles etoient ecrites au deffous cju Portrait : C eß le Prince de I Isle Galante.. Sa beaute furprit tout le monde, mais eile tön-, eha plus vivement la belle Aimee;. fon jeune coeur en fentit une emotion inconnne, & Naimee meme. ä la vüe dece/beau Portrait ne-fut pas exemte d'une paffion, dont perfonne ne pouvoit etre touch e' pour elle; cette avanture ne furprit perfonne, car on etoit accouturne ä voir ces. merveilles en ce lieu-la. -Le Pvoi &. la Heine vinrent .au Chateau voir les Princeffes, ils firent faire un grand nombre de Copies de leurs Portraits. lis en envo'ierent dans tous les Fvoi'aumes voifms. Cependant Aimee, .des qu' elle |toit feulc, entraineepar un mouvementinvolontaire, alloit Peine. 59 alloit dans la Gallerie des Portraits; celui du Prince de V Isle Galante occupoit tonte fon attention, & attiroit tons fes regards; il paroiffoit digne de Pun & de V autre. Naimee qui n1 avo.it rien de cornmun avec fa foeur, que le meme empreffement pour le portrait äu Prince, paffoit prefque tous fes jours dans la gallerie. Cettepaffion naifiante augmentafi bien laliai-ne de Naimee pour la belle Princeffe, que ne pou-yant trouver le leeret de lui nuire, eile prioit fans ceffe Formidable de la yeriger des charmes de fa foeur; la cruclle Fee ne refuioit jamais les occafions de faire du mal, fuivant done fon inclination & les priores de Naimee, eile fut trouver Paimable Princeffe qui fc promenoit au bord d' une Iliviere qui paffoit au pied du Chateau des Portraits: Va, lui dit Formidable, en latouchant d'une baguette d*E-bene qu'elle tenoit dans fa main, va, fui tou jours le ^o.rd de cette Riviere jufques au jour 014 tu troiive-ras une perfonne qui te ha'iffe autant que moi 5, & jufques ä ce moment tu ne fejourncras. en mil lieu clu monde. La Princeffe a cet Ordre terrible fe mit ä pleurer, quelles larmes! il n*y ayoit dans tout i' Ünivers que le coeur de Formidable incapable ci'en etre attendri. Lumineufe aecourut au fecours de la pelle & malheureufe Aimee; confole-toi, lui dit-el-le, ce voiage oü Formidable yient de te condamner finira par une avanture agitable, & jufques a ce jour tu ne trouyeras que des plaifi.rs. Aimc^, npres ces mots favorables partit ayec le feul regret de ne plus voir le beau Portrait du Prince de lTsle Galante, mais eile n' ofa eh temoignet fa douleur a laFce, eile fe mit done en chemin, & tout fembloit ctre feniible a fes charmes. Le Zephir regnoit feul dans les lieux oü eLle paffoit. Elle trouvoit par tout des Nimphes pretes a la fervir avec un refpeet extreme, ies. Prairies fe couvroient de fleurs ä fon abord, & quahd ßO 2? heureufe quand !c Soleil étoít trop ardent, les Boís redou-bloient leur ombrage. Pendant que k belle Prin-ceffe fait un voíage fi charmant, Lumineufe ne borne pas fa vengeance ä rendre le deffein de Formid^ ble inútile: Elle fut trouver Naimée ^ & la frappant ďuíie baguette d Yvoíre; Va, lui dit-elle, pars ä ton tour fur le bord de la Riviére, tu ne te repoferas Jamais que tu n' ayes trouvé une perfonne qui ťaimeautantque tu mérites peu de ľétre. Naimée partit & ne fut point regretted Formidable méme á qui tout paroiffoit á fon gré, pourvú qiťon fitfouffrir quelque peine, ne fongea plus á Naim.ee, & ne daigna pas la protéger plus; long-tems. Les deux Princeffes continuerent ainft leur voíage: Naimée avec toutes les fatigues ima~. ginables; les plus belles fleurs fe changoient en é-pines fur fon pafľage, & la belie Princeffe, avec tous les plaifirs que Lumineufe lui avoit fait efpe-rer, eile en trouva méme de plus fenfibles que ceux qui lui avoient été promis, .• i. Sur la fin ďun beau jour, ä ľheure 311 e le Soleil va fe repofer entre les bras de Thetis; Aimée s'aiiit au bord de la Riviére, auffi-tôt un nombre infini de fieurs naiffantes autour ď eile formérent une efpece de lit de repos, dont eile eút admirée plus long-tems ľagrément, fi eile n* eút appercú un autre objet fur la Riviére qui ľempécha de penfcr pour lors á toute autre chofe; c'étoit une petite barque ď Ametifte, eile étoit ornée de miíle bande-, rolles de la méme couleur, chargée de chiffres & de deyifes galantes. Boitze jeunes hommes vétus ď habits legers, gris-de-lin & argent, couronnezde guirlandes d*immortelles, ramérent avectant de diligence, q.ue la barque fut en peu de tems affez prés du rivage,. Ipour iaifier remarquer a la belie: Aimée toute cette difíerente beauté. Ce fut avect un / Peine „ 61 un ctonnement & une furprife agreable, qu'elle ap-percüt par tout fon nom & fes chmres: un moment apres la Princcffe reconnut ion Portrait .fur un petit Autel de Topaze^elevc au milieu de la Barque, au deffous du Portrait elk Kit ces paroles: Si ce n eft I' Amour, qu eft ce done ? Apres avoir donrie fes premiers mouvemens ä Tad-miration, eile craignit de voir defcendre de la Barque ces Etrangers> qui lui avoient d abord paru ft galans. Tout me parle del'amour d'un inconnu, difoit Aim£e en eile meme, & je fens que le Prince de ITsle Galante, ell feul digne de rn infpirer les fentimens dont je vois trop qu'un autre eft fans dou-te touche poiir moi. Portrait fatal, ajoüta-telle, pourquoi le deflin t'a-c-il offert ä mes yeuxdans un terns, ou loin de pouvoir me defendre, j'igno-rois meme encore ft V on pouvoit aimer quelque cho-ie plus tendrement que les fleurs? Cctte reflexion fut fuivie de quelques foüpirs, & eile eilt demeure plus long-tems dans fa douce reverie j fi un bruit agreable dc divers Inftrumens ne T en eüt tiree. Elle regarda vers la Barque d'ou partoient ces aimables fons. Un homme dont elle ne put voir le vifage , vetu d'un habit magnifique de la meme couleur qui brilloit dans tout fon equipage , lui parut n' avoir d' attention qu ä regarder fon Portrait, tandis que fix belles Nimphes forme-rent un Concert charmant, & accompagnerent ces paroles, qui furent cnantees par ceiui qui avoit toüjours regarde le beau Portrait de la Princeffe, L'air etoit de Duboulai: Que tout parle de mon amour , Et des charmes de ce que j atme ^ Aimie a plus,d'attraits que ri* m a P Amour ir.bne $QUT V heureufe Pour fiater ma tendrejfe extreme : Nimpbes, redites tour d iour $ jQue tout parle de mon amour , « Et des čbarmes de če que f aimé. Les Graces pour la fuivre abandonnent les Cieiii i j£t quittent fans regret la Reine de Citeře $ Le plaifr de la voir, la douceur de lui plažré, Vaut mieúx que le jéjoúr $ le plaiftr des Ďieúx. Aimée a plus d at traits que »' eh a V Amour frame \ ■ Pour fiater ma tendtejfe extreme; Nimpbes, redites tour a tour, Que tout parle de mon Amour $ Et des cbarmiS de ce que f aime. £>' un feul de fes regards un čceur eft enflami: Tout lui cede, tout rend les armes, Et jufqď au terns beureux que brillérent fis cbarmi's$ On devroit n avoir point aimé, Aimée a plus ď attraits que n' én a I' Amour mime -Pour fiater ma tendr effe extreme > Nimpbes ^ redites tour a tour ? Que tout parle de mon amour 9 Et des cbarmes de ce que f aimé i La douceur de ce Concert árréta la belle Aíméé fur le bord de la Riviéře; quand il fut fini, Pln-connu tourna la téte de fon cóté, & lui laiifa reniar-quer avec autant ue trouble que de plaiíir, les ai~ mables traits du Prince de 1' Isle Galáňte : Quelle furprifel quelle joie: de voir ce Prince charmant^ Peine. £3 & d*apprendre qu'il n'etoit occupe que d'eile. -II fan droit fcavoir aimer auffi parfaitement qu'autems des Fees, pour bien compreudre tout ceque fentit alors la jeune Pfinceffe Le Prince de Plsle Galante eprouva la meme furprife, il fe hata de defcendre fur le rivage for-^ tune ♦ qui offroit ä fes yeux la divine Aimee. Elle ri' eut pas la force de fuir un Prince fi patfait, eile accufo mille fois le deftin de fa foibleffe: en fem-blable occafion^ On ne manque gueres de s' en pren-dreälui. II eil impoffible d* exprimercequecesjeu-. nes Ämans fe dirent^ & fonvent meme ils s' entendi-tent fans fe parier. s Lumineufe qui avoit conduit en ce lieu, & la jolie BarqUe, & les pas d Aimeei parut tout d'un coup pour raifurer la timide Prin-ceffe, qui avoit enfin pris le parti de quitter un Prince fi charmant & fi dangcreux; feile leur ap*it qü'ils etoicnt delHnez ä s' aimer & ä s*itnif pour toüjoursi mais, ajoütalaFee, avant ce terns heureux, ilfaut achever le voYage ordonne pair Formidable. On ne peüt defob£i'r aux Fees; la belle Aimee,. & le Prince etoient fi fatisfaits du plaifir d'etre en-femblev que tout ce qui ne les feparoit point, leur paroiffoit trop doux. Iis continuereiit done leur chemin, tan tot dans lä jolie barque, taiitot en tra-verfant une belle & vafte folitude que la Pviviere arrofoit de fes eaux; ce füt dans ce fejour tranquil -le que le Prince de 1'Isle Galante, achevade perdre le repos de fön cceilr. II aprit ä la belle PrincefTe tout ce qu'il avoit fenti pour eile depuisle jourheu-reux oü fon divin Portrait avoit et£ parte a la Cour, 41 qu'un jolir fe pronlenant au bord deTeau, &re-vant ä fon amour, Lumineufe lüi appsrut & lui rnontrant la barque d'AmGtille, lui ordonna de s! cmbarquer, & lui promit un fucces favorable pour fon vo'iage & pour fon amour, Tandis que le Pria- 64 L Ifeütihfe Prince & lä belle Aimee achevent d' obeir aux or-dres de Formidable, & que tons les jours leurs &r-deurs s'augmenterit,^ ils deviennent fi heureux qu'ils craignent d'arriver, de peur d etre oceupez de quelque autre chofe que de leur tendreffe. Nai-mee finiflbit aüifi de Ton cote fori penible voi'age. Le cours de la Pviviere que fuivoient les deux Princeßes les conduiiit infenfiblement dans P Islef Galante, & ils y arriveient tous en meine terns. Lumineufe ne mänqüa pas de s y reudre< Elle aprit /a Aim^e que Ja vengeance de Formidable etoit ac-complie, puifqu'ea rencontrant la lbeuf $ eile trou-voit la feule perfonne du monde qui la put hiiir: & le yoiage de Naimee eft done auffi fini, dit la belle Princeffe, car rien n' a pit diminuer P amitie que j'ai pour eile? eile pria enfliite la Föe d'adoucir^ s'il etoit poflible^ la trifte deftinee de fa fbeuf i mais cette grace etoit inutile ä demander pour Naimee; des qu* eile eut vüt le Prince de 1' Isle Galante, qu* eile recönnut facilement pour celui dont 1 aima-blc Portrait avoit touche" fon coeur, & qu' elle en-tendit dire a Lumineufe que le terns aprochoit de fon himen avec la jeune Aimee; elle fe precipita dans cette meme Pviviere, qu elle fuivoit depuis un sn avec tant de peine, fans pourtant avoir recours autrepas: mais les malheurs de 1'Amour touchent plus vivement que ceux de la fortune; . -.. . Lumineufe qui vit tomberla Princeffe dans Veau, la changea en un petit animal, qui marque encore par fa maniere de marcher, quelle eioit l'humeur de la malheureufe Naimee. Son deffcin s' accömplit meme apres la mort, elle ne fut point rcgrettee; il en coüta pourtant quelques larmes ä Aimee; mais de quels malheurs nel'cüt pas confolee le Prince de 1Isle Galante? Elle etoit il toucheede fa tendreffe j qu' elle ne le fmgprefqüe point de toutes les Fetes Peine,. tes rque l*on inventa povr la recevoir dans fonilb-laume, le Prince y prit auffi peu de part Quand on eft bien amoureux, on ne connoit plus de vrais jplaifirs que celui d* etre aime de ce qu' on aime. Le Roi & la Reine avertiYpar Lumineufe ^ vin-rent retrouver leur aimablenTle: Cefut en leur pre-fence que la genereufe Fee declara, que la belle &U rnee avoit eu la gloire de mettre a An 1' avantuire du Chateau des Portraits, parce que rien n'avoit encore paru fi beau qu' elle dans tout le rnonde* L' a-inour du Prince de Tlsle Galante etoit trop violent pour pouvoir attendre davantage; il fupplia le Roi & la keine de confentir a ion bonheur, iJumineu-fe elle-meme honora de fa prefence un jour li. beau & fi defire. La Noce fe fitavec toute la magnificence que 1' on doit attendre des Fees & des Rbis: mais quelque heureux que ce jour dut £tre, je n1 en fe*-rai point la defcription; car qiioi que fe pfomette T Amour heureux, une Noce euYprefque toujours une trifle F&te. Tant cpC Amour fait Jentir je$ crmntts , jfes UnrmtnS^ Et les doux tranjports qu"1 tl infpift 11 refte cent chafes d dirt Pour les Po'e'tes, les Amans\ Mais pour V Hymen, c1 eft en -vain cj.it on recUmt £e Dieu des Vers Us neuf doftes So£urs$ 'Ceft le fort des Amours, f£ celui des Auttnrs^ D' icbontr d V Epitalame. tmt IL £ LES Sftr •foe $g 2>s Avantures 7 > •"..... •• S^bLES AVANTURES DE FINETTE. A MADAME LA COMTESSE MURAT. VOus faitcs les plus jolies Nouvelles du monde en Vers 3 mais en Vers auffi deux que naturels: je voudrois bien \ cliarmante Comteffe ■ vous en dire uue a moh tour ; cependant je ne fai fi yous pour-rez vous en divertir: je fuis aujburd* hui de f hu-meur du Bourgeois-Gentilhomme; je ue voudrois ni Vers, ni Prole pour vous la conter: point de grands mots, point de brillans, point de rimes; un tour naif m'accommode mieux; en un mot, un rccit fans facon & comme onparle; jenecherche que quelque moralite. Mon Hiftoriette en fournit affez,J & par la etle pourra vous etre agr6able. lille roule fur deux Proverbes, au lieu d'un: c'eft la mode: vous les aimez: je m'accommode a V ufageavecplaifir, Vous y verrez comment nos Ayeux favoient mftnuer qu' on tombe dans mille defordres^ qUand on fe plait a ne hen faire, ou pour parler comme eux; qu' Oifiaiti eft mere de tous vices; & vous aimerez, fans doute^ leur maniere de perfuadcr qu' il faut etre toujours fur fes gardes: vous voyez bien que je veux dire que Defiance eft mere de feureH* K Non de Finette. Hon /' Amour ne triomphe guires Que des Coeurs qui n* ont point d* affaires. Vous , qui crargnez que d' un adroit vainqtteur Voire raißn ne devienne la dupe, Beautez, fi vous voulez c^nßrver vbtre coeur , IL faut qüe -vbtre efprit s* occupe. hiais^ fi malgri vos fiins, vbtre firt efl d"1aimer Gardez du moins de -vous Uijfer sharmer Sans connoi'tre Üelui que vbtre cceur i)eutß donntr potif mäitrh Craigmz les Blondins doucereux G}ji fatiguent les RueUest Et ne facbarit que dire aux Seiles Soüpirent fans Hre amoureux. Dißi z-vous des Cwteurs de ßeurettes , Connoifßz bien le fond de teurs ejpri'ts g Aupres de lautes Us Iris Us debitent mille fornettes. JDefiez-voüs enfin de Ces brufqües Amans Qui ß difeni en feu des les premiers momens 5 Et jurent uhe vive fiame ; Moquez vous de ces vains ßrmens l Pour bien affujeitir une ami tl fatit qu' il en coute du temps, Gardez qtt un peü de complaifmce JVfc d&farmcz trop tot vbtre äußere fierU> j)e vbtre juße dißance. Dipend -vbtre rcptf U vbtre jurtth 6§ Les Ävantures Mais je n'y fonge pas, Madame! J'ay fait des Vers! Au lieu de m' en tenir au goüt de Monfieur Jourdain* j'ai rime fur le ton de Quinaut! Te re-prens le tour fimple au plus vite, de peur d*avoir part aux vieilles names qu* on cut pour cet agreable Moralifeur, & de peur qu'on ne m'accufe de le piller & de le mettre en pieces, comme tant d'Au-teurs impitoyables font tous les jours. Du temps des premieres Croifades, un Pvoi de je ne fai quel Royaumc de VEurope, fe refolutd'aller faire la guerre aux Infideles dans la Palestine. Avant que d'entreprendre un fi long Voyage, ilmit un fi bon ordre aux affaires de fon Royaume, & il en confia la Pvegence ä un Miniilre ii habile, qu' il fut en repos de ce cote-la. Ce qui inquietoit le plus Prince, ' c' etoit le foin de fa famille, II avoit perdu la Reine fon Epoufe depuis affez peu de temps: eile ne lui avoit point laiffe de ills; mais il fe vo'ioit pere de trois jeuncs Princeffes ä marier. Ma Cronique ne m' a point apris leur veritable nom: je fai feulement que comme en ces temps heu-reux la fimplicite des Peuples donnoit fans fa^on des furnoms aux perfonnes eminentes, fuivantleurs bonnes qualitez, ouleurs defauts, on avoit furiiom-me Painee de ces Princeffes, Nonchalante, ce qui fignifie Indolente en ftile morderne; la feconde, 3abillaxde, x& la troifi^me, Finette, noms qui avoient tous un juite raport aux caratteres de ces trois Sceurs. Jamais on n'a rien vu de fi indolent qu* etoit Nonchalante. Tous les jours elle n'etoitpas£veill£e k une heure apres midi i on la trainoit ä P Eglife telle qu'eile fortoit de fon lit: fa coiffure en defordre, la robe detacher, point de ceinture; & fouvent une mule d'une fac,on & une de Yautre. On corri-geoit cette difference du/rant la jourrtee: mais on ne — t_ de Finette. ' 69 rie pouvoit refoudre cette Prjncefle äetre jamais au-trement qu' en mules: eile trouvoitune fatigue infu-portable ä mettre des fouliers, Quand Nonchalante, avoit dine, eile fe mettoit ä faToilette, oü eile etoit jufgu'au foir: eile emploi'oit le refte de fon temps, jufqu'ä minuit, ä joüer, & ä fouper: en-fuite on etoit prefque äuffi long-temps ä la desha-biller qu'on avoit ete ä I'habiller, eile ne pouvoit jamais parvenir ä fe coucher qu'au grand jour. Babillarde menoit une autre forte de^vie, cette Princeffe etoit fort vive, & n'employoit que peu de temps pour fa perfonne: mais eile avoit une en-vie de parier fi'etrange, que depuis cm'elle etoit eveillee jufqu'ä ce qu'elle fut endormie la bouche ne lui fermoit pas. Elle fcavoit 1' Hiftoire des mau-vais menages, des Haifons tendres, des galanteries, non feulement de toute la Cour, mais des plus pe-tits Bourgeois. Elle tenoit regiftrede toutes les femmes qui exer^oient certaincs rapines dans leur domeftique pour fe donner une parure plus eclatan-te, & etoit informee precifement de ce que gagnoit la Suivante de la Comteffe une teile & le Maitrc d' Hotel du Marquis un tel. Pour etre inftruite de toutes ces petites chofes, elle ecoutoit fa Nourrice & fa Couturiere avec plus de plaifir qu' elle n'auroit fait un Ambaffadeur; & enluite elle etourdiffoit de ces belles Hilloires depuis le Roi jufqu'ä fes Valets de pied : car pour vu qu'elle parlät elle ne fe fou-cioit pas ä qui. La demangeaifonde parier produi-fit encore un autrc-mauvais effet chez eette Princef-fe*. JVIalgre fon grand rang, fes airs trop familiers donnerent la hardieffe aux Blondins. de la Cour de lui debiter des douceurs, Elle ecouta leurs fleuret-tes fans facjon, pour avoit le plaifir de leur repon-dre/ car a quelque prix que ce fut, il falloit que du matin au loir elle ecoutat ou caquetat; Babillarde, non plus que Nonchalante, nes*accupo.it }a> E 3 mais fo Les Avantures mai$ ni a penferx ni a faire aucune reflexion ^ ni a lire; elle s-embaraffoit auffi peu d'aucun foin do-meftique ni des amufemens que produit 1'aiguille & le fufeau. Enfin ces deux foeurs dans une eter-nelle oifivete, ne faifoient jamais agir ni leur efprit ni leur main. La foeur cadette de ces deux PrincefTes etoit d'un carattere bien different, Eiie agiffrit inceffam-jnent de I'efprit & de fa perfonne: elle avoit une vivacite furprenante, elle s'ar^liquoit a en faire un bon ufage. Elle favoit parfaiteme^t bien danfer, chanter, jotier des Intaimens; reiiiffifibit avecune adreffe admirable a tout les petits travaux de la main, qui amufoient d ordinaire les perfonnes de fon fexe: mettoit 1 ordre & la regie dans la Maifon du Roi, & empechoit par fes foins les pilleries des petits Officiers: car des ce tems-la ils fe meloient de voler les Princes. Ses talens ne fe bournotent pas 3a* elle avoit "beaucoup de jugement & une prefence d*efprit fi merveilleufe, qu'elle trouvoit fur les champ des moyens pour fbrtir de toutes fortes d'affaires. Cet-te jeune Princeffe avoit decouvert par fa penetration, uu piege dangereux qu'un Ambaffadeur de mauyaife foi avoit rendu au Roi fon Pere dans un Traite, que ce Prince etoit tout pret de figner. Pour punir la perfidie de cet Ambaffadeur & de fon Maitre, le Roi changea Particle du Traite, & en le mertant dans. les. termes que lui avoit infpire fa fille, il trompa a fon tour le trompeur me me. La jeune Princeffe decouvrit encore un tour de fourbe^ rie qu'un IViiniitre vouloit jouer au Roi, & par1q confer quelle donna a fon pere, il fit retomber rinudelite de cei homme-la-fur luirmeme. La Princeffe donna enplufieurs autres occafions, des marques 4$ fa penetration & de fa fineffe drefprit:. elle en donna ' de Finette* ,*rf donna tant que le Peuple lui donna le furnom de Finette. Le Roi l'aimoit beaucoup plus que fes autres filles, & il faifoit un fi grand fonds fur fori bon fens; que s'il n'avoit point eu d'autre enfant qu1 elle, il feroit parti-fans inquietude: mais ilfe defioit autant de la conduite de fes autres filles, qu'il fe repofoit fur celle de Finette. Ainfi pour etre fur des demarches de fa famille, eomme il fe croioit fur de celle de fes Sujets, il prit les mefu-res que je vais dire, Vous, qui etes fi favante dans toutes fortes d'an-tiquitez, je ne doute pas, ComtefTe charmante, que vousn'ayez cent fois entendu parler du mer-veilleux pouvoir des Fees. Le Roi dont je vous parle etant ami intime d'uile de ces habiles femmes, alia trouver cettc amie: IHui reprefenta V inquietude ou il etoit touchant fes filles. Ce n> eft pas, lui dit ce Prince, que les deux ainees, dontjem'in-quiete; a'ient jamais fait la moindre chofe contrc leur devoir: mais elles ont fi peu d'efprit, ellesfont fi imj3rudehtes & vivent dans une fi grande deToc-, cupation, que je crains que pendant mon abfence elles n'aillent s'embaraffer dans quelque folle intrigue pour trouver de quoi s'amufer. " Pour Finette, je fuis feur dc fa vertu: cependant je la traiterai comme les autres, pour faire tout egal; c' eft pour-quoi, fage Fee, je vous prie de me fairetroisQue-nouilles de verre pour mes filles, qui foient faites avec un tel art, que chaqne Quenouille ne manque, point de fe caffer, fi-tot que celle a qui elle appar-tiendra, fera quelque chofe contrc fa gloire^ Comme cette Fee etoit des plus habiles elle donna a ce Prince trois Quenouilles enchantees & & travaillees avec tous les foins neceffaires pour le deffein qu'il avoit: mais il ne fut pas content de cette precaution. 11 mena les Princeffes dans une E 4 Tour Les Amntiwes, Tour fort haute,, qui etoit batie dans un lien biea defert. Le Roi dit a fes filles qu'il leur ordonnoit; de fake leur d.emeu.re dans. cetteTour, pendant tout le.temps de fori abfence, & qu'il leur defendoit d'y recevoir aucime perfonne-que ce fut. 11 leur 6ta tous leurs Offici.ers de Tun & 1'autre fexe* apres leur avoir fait prefent des Quenouilles enchantees dont il leur expliqua les qualitez, il embraffa les Princeffes & ferma les pontes de la Toura dont if prit lui-memeles clefs j puis it partita "... 1 ' * *- : ' 1 Zt '■. / * sir Jl Vous allez peut-e.tre croirc^ Madame, que- ee$v Princeffes £ioient la en danger de mourir de faim; Point du tout,. On avoit eu foint d* attacher une Poulie a une des fenetres de la Tour • on y avoit; l$is une corde a laquelle les Princeffes attachoieiit' Corbillon,, qu'ejles deXccndoient chaqu.e jpur», pans"ce Corbillon, on mettoit leurs provifions pour lajournee, & quan del les l'avoient remonte, elles; setirpient, ayeQfpin la. corde dans la chambre.. NonchaTante & Babillarde menoient dans cette folitude une vie. qui jes delHperoib elles s'ennu-loient a un point qu? on nefauroit exprimer^ maisr il fallpit prendre patience: car on leur avoit fait Ii Qjenotfille fi terrible, qu' elles craignoient que la. xnoindre demarche un peu equivoque ne, la. fut c„afferv pour pinette elle ne: s'*ennuioit point du, tout. Son fiifeau, ion aiguille, & fes in Arum ens de Mu-^ fique lui fourniffoieot des amufemens;- & outre ce-la, par Tordre du Miniftre qui gouvernoit PEtat, on mettoit dans le corbillon. des Princeffes, desleU tre's qui les informoient de tout cq qui fe. paffoit au delans & au dehors cju Ro'iaume. Le Roi Vavoit fe'iiiis ainfi, & le IVliniilre pour faire favCour aux; .riiiceffts ne manajioit pas d'etre exacl fur cet ar- ticle^ de Finctte, 73 tide. Finette lifoit toutes nouvelles avec empref-fement & s'en divertiffoit: Pour fes deux foeurs elles ne daignoient pas y prendre la moindre part: elles difoient qu'elles etoient trop chagrines pour avoir, la force de s'amufer de Ii peu de chofes: il lein* falloit au mains des cartes pour fe deienmrfer pendant l'abfence de leur pere. | Elles palfoient done ainfi triftemeni leur vie en murmurant contre leur deftin, & je crois qu'elles ne manquerent pas de.dire, qnUlvaut wicux itre m heureux, que d' etrt ne fils de Rot: Elles etoieht fouvent aux fenetres de leur Tour, pour voir du moins ce qui fe pafferoit dans la Campagne. ,. Un jour, corn-rne Finette etoit fort occüp^e dans fa chambre ä quel que Joli ouvrage, fes feeurs qui eeoient ä la fe-netre, virent au pied de leur Tour une paiivrefem-me vetue de haillons dechirez, qui leur crioitfa mifere fort pathetiquement Elle les prioit ä mains jointes de la laifler entrer dans leur Chateau, leur repröfentant qu'elle etoit une malheureufe Etran-gere qui fävoit mille fortes de chofes, .& qu'elle leur rendroit fervice avec la plus,exaöe fidelity. PVabord les Princeffes fe fouvinrsnt de V ordre qvr avoit donne le Roi leur pere, de ne laiffer entrer perfonne dans la Tour: mais Nonchalante etoit fi laße de fe fervir elle-meme, &: Babiliarde fi ennui'ee de n'avoir que fes feeurs ä qui parier, que V envie qu'eut V autre d| avoir une perfonne de fer entrer la pauvre Etrangere. Perifez-vous? dit Babiliarde ä fa foeur que la defence du Koi s*etende fur des gens com me cette jnalheureufe? Je croi qiie nous la pouvons receyoir fans coniequence? Voüs ferez ce quMl vous plaira} rna foeur, repondit Nonchalante, Babiliarde qui a' attendoit que ce confentement, defeendit auilU ES tot \ 74 Les Avantures tôt lc Corbillon: La pauvre femmefe mit dedans, & les Priŕiceffes la montérent avec les fecours de la Poulie. Quand cette femme fut devant leurs yeux, Y horrible mal propreté de les habits les dégoúta; Elles voulurent lui en donner ďautres; mais eile leur dit qu'elle en changeroit le lendemain, & que 'pour ľheurequ'il étoit, eile aľloit fonger ä les ier-vir. Comme eile achevoiť de parier, Finettc re-yint de fa chambre: cette Princeffe fut étrangement iurprife de voir cette inconniié" ävec fes foeurs: Elles lui dirent pour quelles raiíbns elles.ľavoient fait montér2 . &. Finette qui vit que c'étoit une chofe faite, difíimula le chagrin qu'elle éut de cette imprudence. -■<•••) . r ■ rfjú • i >: 3i> m j ü i ■ T*' ■" Cependant la nouvelje Ofíiciére des Princeffes 'fit cent toursdans le Chateau íbus prétexte de leur; fervice; mais en eífet pour obferyer la difpofition du dedans; Car, Madame, je ne fai fi vous ne v on š en doutez point deja: mais cette gueufe prétendue-étoit .auííi dangereufe dans le Chateau, que le fut le Comte Of y dans le Convent ou il entra déguife cn Abeffe fugitive. Pour ne vous pas tenir davaiítage en fufpens, je vous diraique cette creature couverte dehaillons, étoit les fils ainé dim Hoi puiffant, voifin du pere des Princeffes. Ce jeune Prince, qui étoit un des plus artificieux efprits de fon temps, gouvernoit entiérement le Pvoi fon pere; & il n'avoit pas be-. foin de beaucoup de finefíe pour cela; car ce Pvoi étoit ďún caračtére fi doux & fi facile, qiťonlui en avoit donne le furnom de Moult-benin.^ ' Pour le jeune Prince, comme il n' agiffoit que par artifices & par détours,les Peuples ľavoientíurnommé Riehe- < fä-cautelle, & pour abreger, Oll difoit Riehe-cautelle. de Finette, 75 II avoit tin frere cadet, qui étoit aufíi rempli de belles qualitez, que Ton aíné 1'ptoit de défauts>; ce^ pendant malgré la difference ďhumeurs, on yoioit entre ces deuxfreres une union i) parfaite que tout Je monde en étoit iurpris, Outre les bonnes qualitez de Tame qu1 avoit le Prince cadet; la beauté de fon vifage & la grace de fa perfonne eroient íi re-marquables qiť elles 1' avo-ient fait nommer Bd-A-yoir, C étoit le Prince llkhe-cautcíe qui avoit inlp.iré á ¥ Ambafíadeur du Roi foir pere, ce trait de rnauvai-fe foi que 1'adreffe de Finette avoit fait retomber fur eux, Riche-cautelle,'qui n' aimoit déja guéres le Pvoi pere des Princeffes, avoit achevé par la de le prendre en averfion : ainfi qttand il fút les pré> cautions que ce Prince avoiť pris a T égard de fes filles, il fe fitun pernicieux plaifir de tromper la prudence d'un pere ii foup^onneux, Pviche-cau telle obtint permiffion du Roi fón pere ďaíler faire yoíage fous des prétextes qiťil invents, & il prit des mefures^ qui le firent parvenir á entrer dans la Tour des Princeffes comme vous avez vív; En examinant le Chateau ce Prince remarqua qu'U étoit facile aux Princeífes de fe faire entendre des paffans, & il en conclut qu'il devoit refter dans fon déguifement pendant tout íe jour; parce qiť elles pourroient bien, fi elles s*cn aviíbient, appellor du monde & le faire punir de fon ěnťrepriíV té-ínér^ir.^ II conferva done tou tie la jourr.ée les habits & le perfonnage d*une gueufe de profeffion; & le foir, lors que les trois íbeurs eurent loupe, Riché-cautelle jetta les haillo'ns qui le couvroient & laifía voir des habits de Cavaliers touš couverts cT or & de piérreries. Les pauyres Princeffes furent fi épouyentées de cette viiě, que ,toutesTe mirent a fuir avec precipitation Finette & Babillarde qui etoient agiles, eurent bien-tót gagne leur chaiíibre: mais 76 Les Ävantures mais Nonchalante qui avoit ä peine l'ufage de marcher,, fut en un inftant atteinte par le Prince* Audi tot il fe jetta a fes pieds, lui declara qui il etoit, & lui dit que la reputation de fa beaute §i fes Portraits Vavojent engage ä quitter une Cour delicieufe pour lui venir offrir fes voeux & fa foi. Nonchalante fut d'abord fi eperdue, qu' eile ne pouvoit repondre au Prince, qui etoit toujours ä fes genoux: mais comme en lui difant mille douceurs & lui faifant mille proteftations, il la conju-roit a.vec ardeur de le recevoir pour Epoux des ce moment - la meme; fa molcffe naturelle ne luilaik fant pas la force de difputer , eile dit nonchalam-ment ä JUehe-cautelle qu' eile le croyoit fin cere. & qu' eile acceptpit fa foi. Elle n* obferva pas de plus grande formalitez que celles-la dans la conclufion de ce mariage; mais aufii elle en perdit fa Quenoiiille; eile fe bnfa en mille niorceaux, Cependant. Babillarde & Finette etoient. dans des inquietudes' etranges. Elles avoient gagne fepare-.. mcnt lcurs chambres, & elles s'y etoient enfer-mees: Ces chambres etoient affcz eloig-necs l'une del"autre, &: comme ehacune de ces Princeffes ig-noroit enüerement le deilin de fes foeurs, elles pa£ ferent la.nuit fans fermer 1* peil. Le lendemain le pernicieux Prince mena Nonchalante dans un ap* partcmenXbas qui etoit au bout du Jardin: & la cette Princeffc temoigna ä Pviche-cautelle. f inquietude ou eile etoit de fes foeurs, queiqu'elle n'ofat fe prefenter, dcvant elles, dans la crainte qu* elles ne blamaffent fort fon mariage. Le Prince lui dit qu'Ü fe chargeoit de le leur faire aprouver; & apres quelques d.ifcours il fortit, . & enferma Nonchalante fans, qu'elle.s'en aper^ut: enfuite. il fe mit a chercher les Princeffes avec foin. 11 fut quelque tejrips fans pouvoir decöüvrir dans quelles chambres elles v de Fkettč. 77 dies étoient enfermées: Enfin Tenvie qu'avoit Ba-billarde de toujoürs parier, étant cauie que cette Priíícefíeparloít toute feule en feplaignant; lePrince I' aprocha de la porte de fa chambre & la vit par le trou de la ferrüre. Riche-cautelle lni parla au travers de la porte, & lui dk, comme il avoít dít a fa fceur, cjue ďé-toit pour lui oíFrir fon cccur & fa foi, qiťil avoit fait T entreprife ď enťrer dans la Tour: II loüoit avec exagération fa beauté & fon efprit; & Babillarde qui étoit trés perfuadée qu'elle poffedoit un méríte extréme futaffez folie pourcroire ce que le Prince lui diíbit: eile lui répondit un fiux de paroles qui n' é-toient pas trop defobligeantes« 11 falloit que cette Princeffe eút une étrange fureur de parier pour s*en aquitter comme eile faifoit dans ces momens; car eile étoit dans un abattement terrible ; outre qu'elle n' avoit rien mangé de Ja journée par la raifon qu' il n' y avoit rien dans fa chambre propre á manger. Comme ellc étoit ďnne pareffe extréme & qu'elle ne fongeoit jamais i rien qiť á toujours par-^ ler, eile n' avoit pas la moindre prévoyance: quand eile avoit beibin de quelcjue chofe, eile avoit re-cours á Finette; & cette aimable PrinceíTé qui étoit aulfi laborieufe & prévoyante que fes foetirs 1'étoient peu, avoit toůjours dans fa chambre une infinite de MaíTepains, de Pátes, & de Confitures feches fy liquides, qu'eile avoit faít eile méme. Babillarde done qui n* avoit pas un pareil avantage, fe fentant preffée par la taim & par les tendres prote-ílations que lui faiíbit le Prince au travers de la porte, 1'ouvrit enfin á ce fédu&eur, & quand eile eút ouvert, il fit encore parfaitement le Comedien auprés ďelle: il avoit bien étudié fon řolle. i Eníuite ils fortirent tons detix de cette chambre! & s*en allerent al'Office du Chateau, oůjils trou- rérent / j% Les Avantures vereiit toutes fortes de rafraichiflemens: car le Cor-billon en fourniffoit toujour* les Princeffes d'avan-cc. Babillarde continuoit d'abord ä etre en peine dece qu'etoient deveuuesfes foeurs; mais eile s'al-la mettre dans Pefprit, fur je ne fai quel fmde-ment, qu'elles c:oient fans doute toutes deux eiL-fermees dans la chambre de Finette, ou elles ne manquoient de rien. Riehe-einteile fit toils fes efforts pour la confirmer dans cette penfee, & luidit cm'ils iroient trouver ces Princeffes vers le loir* Ellene fut pas de cet avis, eile repondit qu'il fal-Ioit aller les chercher quand ils auroient mange* Enfin le Prince & la Princeffe mangererit eä-femblc de fort; bon accord; & apres qu*ils eUrent acheve* Riche-cau telle dernandä ä aller Voir le be! apartement dii Chateau: II donna la main ä la Prin-ceffe; qui le mena dans ce lieu; & quand i? y fut $ il recommenca ä exagerer la tendfeffe qu'il avoit poür eile & les avantages qü'elle trouveroit en Te-poufant: 11 luidit, comme-il ävoit dit ä Nonchalante, qu' eile devoit accepter fa foi aü moment meine; parce que ii eile alloit trouver fes foeüfs^ a-vant qiie de 1'avoir recu pour Epoux^ elles lieman-queföient pas de s'y^oppofer: puifqifetant fans contredit le plus puiuant Prince voifin^ il paroii-foit plus vrai-femblablement na Parti poür rain^e que pour eile: qu* ainfi cette Princeffe ne confen-tiroit jamais ä une union qu' il fouhaitoit avec tou-tePardeur imaginable. Babillafde, apres bierideS difcours qui ne fi|nifioient fieri,, fut ailffi extravagante qu* avoit ete fa fpeur: elle accepta le Prince pour Epoux, & ne fe fouvint des effets de fa Que^ noüille de verre^ gü' apres que cette Quenouille fut caffee en cent pieces. Vers le foir Babillarde retourna dans fa criäitt-iire avec le Prince 3 & la premiere chofe qite Vit Cette de Finette. 79 eette Princeffe, ce fut fa Quenoüille de verre en morceaux: Elle fe troubla ä ce fpe&acle: le Prince lui demanda 1c fujet de Ton trouble: Com me la rage de parier la rendoit incapable de rien taire, eile, dit ibttement ä Riebe - cautelle le miftcre. des Que-noirilles; & ce Prince.eut une joyede fcelerat, de ce que le Pere des Princeffes feroit par lä enti-erement convaineu de la mauvaife conduite de fes fill es* Cependant Babillarde n* etoit plus en liumeur d'aller chercher fes feeurs; eile craignoit avec rai-fon qu' elles ne puffent aprouver fa conduite: mais le Prince s'offrit de les aller trouver, & dit, qu' il he manqueroit pas de moyens pour les perfuader de Vaprouver: Apres cette affurance, la Princeffe qui n' avoit point doriiiila nuit, s'affou-' pit> & pendant qu' eiledormoit Pviche-cautelle Peil-, fermä ä la clef, comme il avoit fait Nonchalante. N1eft-il pas vrai, belle Comteffe, que ce Ri-che-cautelle etoit im grand feel erat > & ces deux Princeffes de läches & irhprudentes pcrlbhnes? Je fuis fort en colere contre tous ces gens-lä, & jene doüte pas que vous if y foyez beaueoup aiiffi • mais ne vous inquietez point, il feront tous traiteZ comme Iis meritent: II n*y aura que la fage & coura-geüfe Finette qui triomphera, Qüaild ce Prince perfide eüt enferme Ba&itiarde i il alia dans toutes les chambres du Chateau les ünes apres les autres, & comme il les trouva toutes ou-Vertes, il conclut qu'une feule> qu'il voyoitfermöe i>ar dedans, 6toit aflurement celle oü s'etoit retiree finette, Comme il avoit compofe" une Harangue circulaire , il s*en alia debiter ä la porte de Finette les memes ehofes qu'il avoit dit ä fes fceiirs: Mais cette Princeffe, qui 11'etoit pas une dupe comme in $ö Lis Avaniuns fes ainees, V ecouta long-tems lans lui ^epondrg t Enfln voyant qn'il etoit eclaifc! qu'eile etoit dans cette chambre, eile lui eilt, que s* II etoit vraiqu*il eüt une tendreffo auffi forte & aufli fmeere pour eile qu il voisloit le lui^ perfuader; eile le prioitde defeendfe dans le Jardin, & d' en fermer la porte. fur lui? & qu'apres eile Iii! parleröit tant qu'il voudroit gar la feüetre de fa chambre qui donnöit fur ce Jardin» Riche-cautelle.ne Voütoit point accepter ce pai> ti, & comme la Princeife s'opiniätroit toujours ä ne point vouloir buvrir, ce mechant Prince, outre d'impatience, alia emefir une buche & enfönca la porte. II trouva Finette armee d*Un gros rharteaü qu^on avoit laiffe par hazard dans une gardefobe qui etoit proche de fa chambre. L'emotion änimoit le tein de cette Princeife, & quoi que fes yeux fuf-fent pleins de colere, eile parut ä Pviche-caiitelle d'^une beaute ä enchanter* II voulut fe jetter ä fes pieds, mais eile lui dit f^rement en fe reculantj Prince fi vous äprochez de moi je voüs fendrai la tete avec ce marteau. Quoi! belle Princeffe! s*ecriä Riehe-cautelle de fon ton d'hypocrite, Y amour qu'on a pour vous satire une fi cruelle hairie? 11 fe mit ä lui pröner de nouveau, mais d'uh bout de lä chambre ä 1' autre, l'ardeur violerite que lüi ayoit infpire la reputation de fa beatite & de fön efprit merveillgux: 11 ajouta qu'il ne s'etoit deguife que poilt venir llüortrir avec refpeÖ fon cceur & fa main $ & lui dit qu*elle devoit pardonner ä la violence de fa paffion la hardieffe qü il avoit eü d'en-foncer fa porte, II finit eri lui voulant perfüader^ comme il avoit fait avoit fait ä fes feeurs, qu'il e-toit de fon interet de le recevoir pour Epöux au plus vite. 11 dit encore ä Finette qif il ne iavök pas oü s'ötoient retirees les Princeffe fes fceürs| parce qu'il ne s'etoit pas mis en peine de les eftet* de Finette, 81 clier, tfayant fötige qu'a eile, L'adroitc Princef-fe, feignant de fe radoucir, lui dit qu'il falloit chercher fes foeurs, & qu'apres on prendroit des fnefures tons enfemble: mais Iviche-cau teile lui re-pondii quMl ne pouvoit fes refoudre ä aller trou-ver les Princeffes, qu'elle n'eut confenti ä lepou-fer; parce que fes foeurs ne manqueroient pas de s'y oppoier, ä caufe de letir droit d'aineffe. Finette, qui fe de'fioit avec raifon de ce Prince perfide, fentit redoubler fesToup^ons par cette re-ponfe: eile trembla de ce qui pouvoit etre arrive ä fes foeurs, & fe rcfolutde les vanger du memc coup qui lui feroit e viter un malheur par eil a celui quelle jugeoit qu' eil es avoient eu. Cette jeune Princef-fe dit done älliche-cautclle, qu'elle confentoit fans peine a 1' eponfer i mais qu* eile etoit perfuadee que les manages qui fe faifoient le foir etoient toüjours malheureux: qu'ainfi eile le prioit de remettre la Ceremonie de fe donner une foi reeiproque au len-demain matin. Elle a jo Uta qu' eile P affuroit den' a-vertir les Princeffes de rien, & lui dit qu'elle le prioit dclalaiffer un pen de temps feule pour penfec au Gel; qu'enfuite eile le meneroit dans une chambro oil il trouveroit un fort bon lit, & qu'apres eile reviendroit s'enfermer chez eile jufqu'au len-demain. Pviche-cautclle qui n'etoit pas un fort courageux perfonnage, & qui voyoit toüjours Finette armee du gros marteau, dont eile badinoit comme on fait d'un evantail, Iiichc-cauteile, dis-je, confentit a ce qui' fou'haitoit la Princeffe, & fe retira pour la laiffer quelque temps rnediter. 11 ne fut pas plütot 'cloigne que Finette conrut faire im lit fur le trou d'un Egoüt qui etoit dans uns chambre du Chateau, Cette chambre etoit auffi propre qu' une autre: mais on jettoit däns le trou de cet Egoüt qui etoit Tome II. F fort 82 Les Avantures fort fpacieux, toutes les ordures du Chateau. Finette mit fur ce trou deux, batons croifez tres-foi-bles, puis elle fit bien proprement un lit par def-fus, & s' en retfjurna auffi-totdans fa chambre. Un moment apres Riche-cautelle y revint & la Princef-fe le conduifit ou elle venoit de faire le lit & fe re-tira. Le Prince, fans fe deshabiller■> fe jetta fur le lit avec precipitation, & fa pefahteur ayant fait tout d*un coup rompre les petits batons, il tomba ait fond del-Egoiit, fans pouvoir fe retenir, en fe fai-fant vingt boffes a la tete, & en fe fracaffant de tous cotez. La chute du Prince fitun grand bruit dans le tuyau: d'ailleurs il n' etoit pas eloigne de la chambre de Finette; elle fut auffi-tot que fori artifice avoit eu tout le fucccs qu'elle s'etoit promis^ & elle en reffentit une joye fecrette qui lui fut ex-tremement agreable: On ne peut pas decrireleplal^ fir qu'elle eut de 1*entendre barboter dans l'Egout* II meritoit bien cette ^unition: & la Princcffe avoit raifon d' en etre fatisfaite, Mais fa joye ne 1'occupoit pas fi fort qif elle lie i>enfat plus a fes foeurs. Son premier foin fut de es chercher. II lui fut facile de trouver Babillar-de: lviche-cautelle apres avoir enferme cette Prin-ceffe a double tour, avoit laiffe la clef a fa chambre: Finette entra dans cette chambre avec empref-fement, & le bruit qu'elle fit reveilla fa foeur en fuffaut. Elle fut bien confute en ?a voyant: Finette lui raconta de quelle maniere elle s'etoit defaite du Prince fourbe qui etoit venu pour les outrager. Babillardefut frapee de cette nouvelle comme d'un coup de foudre: car malgre fon caqu£t elle etoit fi peu eclairee qu' elle avoit cru ridiculement, tout ce que Pviehe-cautelle lui avoit dit. II y a encore des dupes comme celle-la au monde. Cette Princeffe dilumulant .1' exces defa douleur fortit de fa chambre pour aller avec Finette chercher Nonchalante: •• • Eiles de .tinette. $3 Elles parcoururent toutes les chambres du Chateau fans'trouver leur fceur: enfin Finette s'avifa qu'elle pouvoit bien étre dans ľ aparrernent du Jardin: EU les ľ y'trouvérent en eŕľet demi-morte de deíeípoir & de foibleffe; car eile n7 avoit pri s aucune nourri-ture de Ja journée. Les Princefíe lui donnérent tous les fécoúrs néceíľaires; enfuite elles firent en-femble des éclaiídffetnehs qui mirent Nonchalante & Babillarde dans une douleur mortelle: puis toutes trois s' allérent repoier, Cepeiidant Riche-cautelle paffa la nuit fort mal á fon aiíb) & qualid le jour fut venu, il ne f ú t gué-res mieux. Ce Prince fe trouvoit dans des Caver-nes dont il ne pouvoit pas voir toute ľhorreur, par-ce que letjour n'y donnoiť jamais:. Néanmoins á force de fe tourmenter, il trouva ľiffue de ľEgout, qui donnoit dans une Riviere afifež élotgnée du Chateau. 11 trouva moíen de fe faire entendre ä des gens qui péchoiertt dans'čette Riviére », dont ilfut tiré dans u n étatj qui fit companion ä ces bonnes gens* II fe fit tranfpoťtcŕ á la Cour du Roi fon pere pour fe guérir ä loifir, & la difgrace qui lui étoit arrivée lui fit prendre une fi forte haine contre Fi-nettc, qu'il íbngea rnoins á fe guérir qu'ä fe veil* ger d* eile. ... i .' Cette Princcíľe paffoit des m omen š trifles; ja gloire lui étoit millc föi.s plus chére que la vie, & la htm teufe foibleffe de fes fceurs la mettoit dans un ueíefpQir dont eile avoit peine á íe ŕendre maítreffe» Cependant la maUVaife fante de ccs déiix Princef-fes, qui étoit caufee par les fujres de leers maria-ges'indignes, mit encore la eonítancé de Finette á ľ épreuve. Ŕiche-čauielie, qui étoit deja un habile--fourbe , rapella tout fön efprit depüis fon, avantu-te poor devenir fourbiíilme I Ľ Egout, ni les con- .F 2 tuiU §4 Les Avantures tufions, ne lui donnoient pas tant de chagrin, que le depit d' avoir trouve quelqu'un plus fin que lui. 11 fe douta des fuites de les deux manages; & pour tenter les Princeffes malades, il fit porter (bus les fenetres de leur Chateau des grand es caiffes rem-plies d' arbres tous chargez de beaux fruits. Nonchalante & Babillarde qui etoient fouvent aux fenetres , ne manquerent pas de voir ces fruits: auili-tot il leur prit une envie violente d' en manger, & elles perfecuterent Finette de defcendre dans le Cor-billon pour en aller cueillir. La complaifance de cette Princefie fufc affez grande pour vouloir bien contenter fes foeurs: elle defcendit & leur raporta de ces beaux fruits, qu'elles mangerent avec la der-niere avidite. Le lendemain il parut des fruits d'une autre efpece. Nouvelle envie des Princeffes: nouvelle complaifance de Finette : mais des Ofnciers de Ri-che-cautelle cachez.& qui avoient manque leur coup la premiere fois, nele manquerent pas celle ci: lis fe faifirent de Finette & 1'emmener ent aux yeux de fes foeurs qui s'arrachoient les cheveux de de-fefpoir. i 1 Les Satellites de Riehe - cautelle firent fi bien qu'ils menerent Finette dans une maifön de Campagne oil etoit le Prince pour achever de fe remettre en fante. Comme il etoit tranfporte de fureur con-tre cette Princefie, il lui dit cent chofes brutales, a quoi eile repondit toujours avec une fermete & une grandeur d'ame digne d'une heroYne comme el-le etoit.^ Enfin apres 1* avoir gardee quelques jours prifonniere, ilia fitconduire au fommet d'une mon-tagne extremement haute, & il y arriva lui-meme un moment apres elle. Dans ce lieu il lui annon^a qu on T ailoit faire mourir d'une maniere cjui leveh-geroit des tu\urs.qu' elle lui avoit fait; hofuifce ce perfc \ cle Finette. 35 pcrfide Prince montra barbaremcnt á Finette un ionneau tout herilTé par dedans decanifs, de ra-foirs & de clous á crochet, & lui dit que pour la punir comrae elle le méritoit on Falloit letter dans ce Tonneau; puis le rouler du haut de la montag-ne en bas. Quoi que Finette ne fnt par Romaine, elle ne tut pas plus effra'iee du fuplice qiťon lui préparoit, queRegulusl'avoit été autrefois á la vůě ďun deftin pareil: Cette jeune Princefie conferva toute fa fermeté & méme toute fa préfence ď efprit. Riche-cauteile au lieu ď admirer fon caraclére he-ro'ique, en y>rit une nouvellerage contre elle & fon-gea á háter fa mort. Dans cette vůě il febaiffavers f entrée du Tonneau, qui devoit étre f inftrument defa vengeance, pour examiner š'ilétoit bienfour-ni de toutés fes armes meurtriéres. Finette qui vit fon perfecuteur attentif á regarder, ne perdit point de temps; elle le jetta habilement dans le Tonneau, & elle le fit rouler du haut de la montagne en bas j fans donner au Prince le temps de fe reconnoitre. Aprés ce coup elle prit la fuite, & les Officiers du Prince, qui avoient vú avec une extreme douleur-la maniére cruelle dont leur Maitre vouloit trai-ter cette aimable Princeffe, n'eurent garde de cou-rir aprés elle pour 1'arréter. D' ailleiirs ils étoient fi eiFraiez de ce qui venoit cfarriver á Riche-cauteU le: qu ils ne purent longer á autre chofe qu'ata-cher ďarréter le Tonneau qui rouloit avec violence: mais leurs foins furent inutiles : il roula juf-quau bas de la montagne, & ils en tirérent leur Prince couvert de mille plaies, L' accident de Riche-cautelle mit au defefpoir le Pvoi iVloult-benin & le Prince Bel-á-voir. Pour les Peuples de leurs Ftats, ils if en furent point tou-chez: Riche-cautelle en étoit trés-hsY; & memel'on s' ětonnoit de ce que le jeune Prince qui avoit des fenthnens fi nobles & fi généreux, put tant aimer F 3 cct gg Les Jvantures cet indignc ainej Mais tel etoit le bon naturel de> Bel-a-voir qu'il s'attachoit fortemcnt a tons ceux de lbn fang; & liiche-cautelle avoit toujours en l'a-. drefie de Uli temoigner tant d' amjtie, que ce gene-reux Prince rf auroit jamais pü fe pardonner de ri'y pas röpondfeavecvivacire. " Bel-a-voir eut done line douleur violente des bieffures de fonfrere, & |1 mit tout en ufage pour tacher de les gu'erir prompt tement: cependant malgre les foins empreffez que tout le monde en prit, rien ne foulageoit Pviche-cautelle: au contraire fes plaies fembloient toujours s* envenimer de plus en plus & le faire fouftrir long-temps, Finette, apres s etre degag^ee de PefFroiable dan« ger qu' elle avoit couru ; avoit encore regagne heu-reufement le Chateau ou elle avoit laiffe les foeurs, & elle n'y fut pas long-temps fails etre livree a de noUveaux chagrins. Les deux Princeffes mirent au jnonde chacune un fils, dont Finette fe trouva fort embaraiTee, Cependant le courage de cette jeune Princefle ne s'abattit point: l'envie qu'elle cut de cacher la honte de fes foeurs la fit reioudre ä s'ex-pofer encore unefois, quoi qu'elle en vit bien le. peril. Elle prit pour faire reüilir le deffein qu'elle. avoit, toutes les mefures que la prudence pent in-ipirer: elle fe deguifa en homme: enferma les en-tans de fes foeurs dans des Boetes, & eile y fit des fjetits trous vis-a-vis la bouche de ces enfans pour eur laiffer la refpiration: elle prit un cheval: em-porta ces Boetes & quelques autres: & dans cec e-. quipsge eile arriva ä la Ville capitale du Roi Moult-, penin, ou etoit Riche-cautelle* Quand Finette fut dans cette Ville, elleaprit que la maniere magnifique dont le Prince Bel-a-voir recompenfoit les remedes qu'on donnoit ä fon frere avoit attire a la Cour ious les Charlatans de l'Euro* de Finette. 87 pe: Car des cc temps-la il yavoitquantited'avantu-riers fans emploi, fans talent, qui fe donnoient pour des hommes admirables, qui avoient recu des dons du Ciel pour gnerir toutes fortes de maux. Ces gens, dont la feule fcience etoit de fourber hardi-ment, trouvoient toujours beaucoup de cro'iance parmi les peuples: lis fcavoient leur impofer par leur exterieur extraordinaire, & par les noms bizar-res qu'ils prenoient. Ces fortes de Medecins ne re-ftent jamais dans le lieu de leur naiffance, & la prerogative de venir de loin, fouvent leur tient lieu de merite chcz le vulgaire, » L'ingenieufe Princeffe, bien informee de tout cela, fe donna un nom parfaitement etranger pour ce lloiaume-la: ce nom etoit Sanatio; Puis elle fit annoncer de tous cotez que le Chevalier Sanatio e-toit arrive avec des fecrets meryeilleux pour guerir toutes fortes de bleffures les plus dangereuies &les plus envenimees. Aufli-tot Bel-a-voirenvoia querirle pretendu Chevalier. Finette vint: fit le Medecin empirique le mieux du monde: debita cinq ou fix mots de 1* art d'un air Cavalier; rien n' y manquoit.-Cette Princeffe fut furprife de la bonne mine & des manieres agrcables de Bel-a-voir, & apres avoir raifonne quelque temps avec ce Prince au fujet des bleffures de Ivichecautelle, elle dit qu'elle alloit querir une bouteille d'une eau incomparable9 &ce-pendant elle laiffoit deux Boites qu elle avoit apor-tees, qui contenoient les onguents excellens, pro-pres au Prince bleffe. La-deffus le pretendu rvledecin fortit; il ne re-venoit point: Ton s'impatientoit beaucoup de le voir tant tarder. Enfin, comme on alloit envoYer le preffer de revenir, on entendit des cris de petits eh fans dans la chambrc de Pviche cautelle. Cela fur-prit tout le monde, car il ne paroiffoit point d'cn- F 4 fans: 88 Les Avantures fans: Quelqu'un preta loreille, & on.decouvrit que ces cris venoient des boetes de 1* Empirique. Cetoit en effct les ncveux de Finette. Cette Princeffe leur avoit fait prendre beaucoup de nour-riture avant que de venir au Pahis: fnajs comme il y avoit deja long-temps, lis en fouhaitoient de nou-velle, & ils expliquoient leurs beibins en chantant fur un ton dolent.. On ouvrit le boetes& 1' on fut fort furpris d' y voir bien elfeQivement deux. Marmots qu'on trouya fort jotis. Riche-cautelle fe-douta aiiiTi-tot que c'etoit encore un nouveau tour de Finette: il en concut une fureur qifon lie peut pas dire, & fes maux en augmenterent a un tei point, qu' on vitbien qu* ilfalloit qu' il en mourut. Beha-voir en fut penetre dedouleur, & Riche-cautelle, perfidc jufqu'a fon dernier moment, fon-gea a abufer de la tendreffe de ion frere. Yous, m avez toujours aimd, Prince, lui dit-il& vous. pleurez ma perte. Je n1 ai plus befoin des preuves de votre ami tie par raport a la vie. Je meum mais li je vous ai ete veritablement cher, promet-tez-moi de m'accorder la priere que je vais vous faire. Bcl-a-voir qui dans l'etat ou il vo'ioit: fon frere fe fentoit incapable de lui rien refufer, lui pro-mit avec les plus terribles fermens de lui acsorder tout ce qu'it lui demandoit* Auffi-.t6t que Riche-cautelle eut entendu cesfermens, il dit a fon. frere. en 1 embraffant: Jemeurs confble, Prince, puifque je ferai vange; Car la priere que j'ai a vous faire, c'eft de demander Finette en manage auffi-tot que je ferai mort: vous obtiendrez fans dome cette ma-ligne Princeffe, & des qu'elle jera en votre pou7 voir, vous lui plongerez un poignard dans le fein. Bcl-a-voir frcm.it d*horreur a ces mots: il fe rcpen- tit ) de Finette. 89 tit de P imprudence de fes fcrmens: mais il n' etoit plus temps de ie dedire, & il ne voüliit rien te-rnoigner de fon repentir a ion frere; qui expira peu de temps apres. Le Roi Moult-benin eneutune fenfible douleur : Pour ion peu pie, loin de regret-1 ter Pviche-cautelle, il fut ravi qae fa mort aOurät la fucceflion du iloi'aurae ä Bel-a voir, dont ie merite etoit cheri de tout le monde. Finette qui etoit encore une fois heureufement retournee apres de fes fbeurs, aprit bien-töt la mort de Pviche-cautelje, & peu de temps apres on annonca mix trois PrincelPes le retour du Pvoi leur pere. Ce Prince vint avec emprefieraent dans leur Tour, & foil premier foin fut de demander ä voir les Que-noüilles de verre. Nonchalante alia querirla Que--npüille de Finette, la montra au Roi; puis ay ant fait une profonde reverence, elle reporta la Que-noiiille ou eile l'avoit prife. Babillarde fit le meine manege, & Finette ä fon tour aporta fa Que-noiiille: Mais le Pvoi, qui etoit foupconneux, vou-lut voir les trois Quenoüilles.ä la fois: il n'yeut que Finette qui put montrer la fienne, & le Roi entra dans une telle fureur centre fes deux filles ai-nees, qu' il les envoi'a ä Pheure meme a la Fee qui ]ui avoit doniie les Quenoüiiles, en la priant de les garder toute ieur vie aupres d' eile & de les punir comme elle le meritoient. Pour commencer la punition des Princeffes, la Fee les mena dans une galerie de fon Chateau en. chante, oü elle-avoit fait peindre ITliiloirc d'un nombre intini de femmes illuftres, qui s' etoient ren-dues celebres par leurs vertus & par leur vie labp-rieufe. Par un effet merveilleux de Part de Fcerre toutes ces figures avoient du mouvement & etoient en action depuis le matin■jufqu'au foir: On vcyost de tous cötez des trophees & des de vifes a. la glflite, F s -de $0 Les Avantures de ces femrnes vertueufes; & ce ne fut pas une lei gére mortification pour les deux foeurs, de comparer le triomphe de ces heroines avec la ütuation mé-prifable oü leur malheureufe imprudence les avoit réduites. Pour comble de chagrin, la Fée leur dit avec gravité ; Que íi elles s' étóicnť aufíi bien occu-pées que celieš dont elles voyoient les Tableaux, elles ne féroient pas tombées dans les indi'gnes éga-remens oú elles s* étoient perdues; mais que ľoifi-veté étoit mere de tons vices & la foirrce de tous íeurs malheurs, La^Fée ajoúta que pour les empôcher de retomber jamais dans des malheurs pareils, & pour leur faire réparer le temps qiť elles avqient perdu, eile alloit les occuper ď une bonne maniere. En ef-fet,eile obligea les Princeffes des' employer aux tra-vaux les plus groffiers & les plus vils, & fans égard pour leur teint, elle les envoyoit cueillir des pois dans fes Jardins & en arraclier les mauvaifes herbes* Nonchalante ne pút réfifíer au defefpoir qiťelle eut de mener une vie fi peu conforme á fes inclinations:■ eile mourut de chagrin & de fatigue. Babillarde qui trouvamo'íen, quelque temps aprés, des'é-chaper la nuit du Chateau de la Fée, fe cafía la tete contre un arbre & mourut de cette bleffure entre les mains des Pa'ifans. Le bon naturel de Finette lui fit reffentir une douleur bien vive du dellin de fes foeurs: & au milieu de fes chagrins elle aprit que le Prince Bel-ä-voir ľ avoit fait demander en mariage au Roi fon pere, qui ľ avoit accorclée fans ľ en avertír: car des ce temps-lá P inclination des parties étoit la moindre chofe que ľ on confideroit dans les mariages. Finette trembla ä cette nouvelle: elle craignft avec raifon que la haine que Riehe-cautelle avoiť pour elle n* eút paffé dans le coeur ďun frerc dont il étoit ft chéri; & elle aprehenda que ce jeune Prince ne voulút ľépoufer pourla facriíier á fonfrere. Plei-. ne. • de Finette* 91 lie de cette inquietude, la Princeffe alia confulter la Tage Fee, qui Feftimoit autant qu' eile avoit me-prile Nonchalante & Babillarde, La Fee ne voulut rien reveler ä Finette: eile lux dit feulement: Princeffe, vous etes fagc & pruden-te: vous n'avez pris jufqu'ici des mefures Ii Julies pour vötre conduite qu'eu vous mettaut toüjours dailS 1 efprit que defiance eß mere de feurete. ContillUeZ de vous fouvenir vivement de P importance de cette maxime, & vous parviendrezä etre heureufe fans le fecours de monart, Finette n'ayant pü tirer d'autre eclairciffement de la Fee, s.'en retourna au Palais dans une extreme agitation, * Quelques jours apres cette Princeffe fut epoufee par im Ambaffadeur au nem du Prince Bel-a-voir: & on I' emmena trouver fön Epoux dans un equipage magnifique. Qn lui fit des entrees de meme dans les deux premieres Vill es frontier.es du Roi Moult-benin; <& dans la troifi^me eile trouva Reift-voir, qui etoit venu au devant d'elle par P ordre de fön Pere. vTout le monde etoit furpris de voir la trilleffe de ce jeune Prince auxaproches dim manage qu' 11 avoit temoigne fouhaiter: le Roi meme lui en faifoit la guerre, & Pavoit envoye malgre lui au devant de la^Princeffe, Quand Bel-ä-voiria vit, il fut frape de fes char-mes: il lui en fit compliment; mais d'une maniere fi. confufe que les deux Cours qui favoient combien ce Prince etoit fpirituel & galant, crurent qu'il en etoit fi vivement touche, qu' ä force d' etre amou-reux ilperdoit fa pr^fence d'efprit, Toute la Vit-le retentiffoit de cris de joye, &. Von n'cntendoit de tous cötez que des Concerts & des Feux d artifice, Enfin apres im foupe magnifique, on fongea a mener les deux Epoux dans leur apartement. Finet- 92 Les Avantures Finette qui fe fouvenoit toujours de la maxime que la Fee lui avoit renouvellee dsns l'efprit, a-voit fon deffein en tete. Cette Princeffe avoit gag*-i\6 line de fes femmes, qui avoit la clef du Cabinet de P apartemcnt qu' on lui deftinoit, & elle avoit donnc" ordre a cette femme de porter dans ce Cabinet, de la paille, uneveifte, du fang'de mouton, & lcs boyaux de guelques-uns des animaux qu'on avoit mangez au loupe. La Princeffe paffa dans ce Cabinet fous quel que pretexte, & compofa une figure de paille, dans laquelle elle mit les boyaux & fa veffie pleine de fang: Enfuite elle ajufta cette fU fare en deshabille de femme & en bonnet de nuit. .orfque Finette eut acheve cette belle■ lYlarionnet-te, elle alia rejoindre la compagnie, & peU de temps apres on conduifit la Princeffe & fon Epoux dans leur apartement. Quand on eut donne a la Toillette le temps qu'ils lui falloit dormer, la Da-, me d'honneur emporta les flambeaux & fe retira. AuMi-tot Finette jetta la femme de paille dans le lit, & fe cacha dans un coin de la chambre. Le Prince apres avoir foupire deux ou trois fois fort haut,- prit fon epee & la paffa au travers du corps de la pretcndue Finette: Au meme moment il fentit le fang ruiffeler de tous cotez, & trouva la femme de paille fans mouvement. Qu'ai-je faitli s'ecria Bel-a-voir. Quoi! apres tant de cruelles a-gitations! Quoi! apres avoir tant balance ii je gar-derois mes fermens aux depens d'un crime, j'ai ote la vie a une charmante Princeffe que j' etois ne pour aimer! Ses charmes m'ont ravi des le moment que je 1'ai vue; cependant je n'ai pas eu la force de m'affranchir d'un ferment qu'un frere poffede de fureur avoit exige de moi par une indigne furprifc! Ah! Ciel! peut-on fonger a vouloit punir une femme d'avoir trop de vertu! Pie bien! Riche-cautel-le j j' ai fatisfait ton injufte vengeance: mais je vais, vanger de Finette. 93 vanger Finettea fon tonr par ma mort. Oili, belle Princeffe, il faut que de la meme epee,.». A ces mots Finette entendit que ]e Prince, qui dans fon trarifport avoit laiffe tomber fon £pee, la cher-choit pour fe la paffer au travers du corps: elle ne voulut pas qu'il fit une telle fottife: ainfi elle lui cria, Prince, jene.fuis point morte: Votre bon coeur m* a fait deviner votre repentir, & par une tromperie innocente, je vous ai epargne 1111 crime. La-deffus Finette raconta a Bel-a-voir la prevo-yance qu'elle avoit cue touchant la femme de pail-le. Le Prince tranfporte de joye d* apprendre que la Princeffe vivoit, admira la prudence qu'elle avoit en toutes fortes cf occafions, & lui eut une obligation innnie de lui avoir epargne un crime a quoi il ne pouvoit penfer fans horreur, & il ne compre-noit pas comment il avoit eu la foibleffe de ne pas voir la nullite des malheureux fermens qu' on avoit exige de lui par artifice. Cependant fi Finette n'eut pas toujours ete bien perfuadee que dtfiance eft mere de fturett j elle eut ete tuee, & fa mort eut ete caufe de celle de Bel-a-voir, & puis apres on auroit raifonnc a loilir fur la biza-rerie des fentimens de ce Prince. Vive la prudence & la prefence d'efprit! elles prcferverent ces deux Epoux de malheurs bien funeftcs, pour les refer ver a un dellin ie plus doux du monde. lis eurent toujours Tun pour 1'autre une longue fuite de beaux jours dans line gloire<>& dans une felicite qu' on auroit peine a bien d ecrire. CONTE CONTE MOINS CONTÉ SANS PARANGOK IL y avoit line fois iin Roi &uiie Reine qui me^ noientune vie fort paticuliére; un jeune Prince & une Princeffe fort aimable,- etoient le fruit de leur mariage; la petite Princeffe fut nominee Belle-main, parce qu' elle avoit efre£tivement la plus beU le main qu'il fut poffible devoir. Cétoit Pufage dece temps lá d'implorer le fecourš des Fees aux couches des grandes Princeffes; cependant ce Roi qui mfprifoit leurs eiichantemens, & qui fcavoit combien ii eíl dangereux de pénétrer dans V a venii, if avoit jamais voulu fpiiffrir qu' oil confultát les Fees fur la deíHnéé de Belle-main, ce qui les avoit fort irritées: La Reine qui aimoitfa fillc avec une extréme tendrcífe, tomboit dans Uneprofonde mé-lancolie, toutes les fois qu' elle foňgeoit qiť il fau-droit quelque jour fe féparer de cette aimable Prin-ceife par un mariage; Cptte penlee lui donnoit tant d* inquietude, qu'elle s'irnaginoit rf avoir jamais de repos, qu'elle ne fut éclaircie de la deftinée de fa chére fille, ce qui la fit réfoudre malére les defences du R-oi, de voir fečťétemejit une Fee qui habitoit dans les Montagnes du voiiinage, qu'on nommoit Ligourde: cette Fee qui étoit-fort méchailte, & qui cherchoit a fe vanger de ce que la^ Reine ne 1'avoit jamais appellee á la nailfance de fes enfans, la re-cut dans un Palais enchanté, tout lam brií] e d'or & d'azur, Aprés que la Reine > lui cut šxpofé le fu- jet Parangon. jet de fon voyage, & qu'elle Teiit priee tres-civi-lement de lui apprendre la deftinee de Belle-main, Ligourde lui reppndit avec beaucoup de fierte, qu'elle fe tourmentoit imitilement pour rendre fa fille heuretife; qu'elle feroit donriee en eehange d'line autre Princeffe; que Yline & 1* autre feroient fort malheureufes> avec cette difference que les malheurs de Belle - main feroient beaucoup plus longs; qu' eile feroit marice a un Prince qui aime-roit fort les oifeaux, j8z particuiierement un oifeaii rouge, qui cauferoit de grands chagrins a la Princeffe; qu'elle feroit expofee a tous les mepris d*u-ne longue ilerilite: que fes Sujets fe revolteroient contrc-eUei que fes Parens lui feroient la guerre; & qu'enrin un.nioiiftre lui dechireroic les entrailles, & la deyoreroit, Toutes les paroles de la Fee fu> rent autant de coups de poignard pour ja malheu-reufe Heine qui tomba evanoiiie aux pieds de Ligourde. La Fee fans s' embarraffer de la faire re-venir, ne fit point d'autre fa con que de la tranfpor-ter en cet etat dans le lit du itoi fon Man* Ce Prince qui ne s'etoit point appercu delab-fence de la Reine-, fut fort furpris de la voir evanoui'e, il appella du fecours, & la fit revenir avec peine \ il lui demanda avec beaucoup d'empreffe-ment la caufe de fon mat Mais la Reine au lieu de lui r^pondre, verfa un torrent de larmes, &laif-fa entendre au Roi au milieu de fes fanglots, qu'elle youdroit de tout fon coeurque fa fille ne fut jamais nee; elle Pinforma enfuite de tout ce que la Fee lui avoit dit: le Roi s'en moqua, affurant qu'il falloit que la Reine eut reve ce qu'elle venoitde lui' conter: Mais la Reine qui ie fouyenoit diiiinfte-ment de tout ce que la Fee lui avoit dit, demeura inconfojable, & ai'ant fait appeiler Belle-main, elle Y embraffa les yeux baignez de 1* armes, & la con* jura de lui bien promettre de ne jamais fe marier* La $6 Sans La PrincefTe l'affura qu'elle feroit toujoitrs foumi* fe afes volontez; la Reine la tenant embraflee lui parla avec beaucoup de teridr^fTe, & lui fit confidence d'une parti e-des malheurs dont elle etoit me-nacee par la mechante Ligourcle, & ajouta qu* elle pourroit les detourner aifement en demeurant tou* jours fille. Cependant plufieurs grands Pvois informez de la beaute & des furprenantes qualitez dela PrincefTe Belle-main, envoyerent dcs Ambafladeurs pour la demander en manage: fnais la Pvcine y fit toujour* naitre des obftacles, & demeura inexorable aux in-ftances qu'on lui faifoit de toutes parts. . La Princeffe qui tenoit beaucoup de Pfcumeur du Roi fon Pere, & cjui n* etoit pas bien perfuadee que toutes les predictions des Fees fuffent infailli-bles, fe donna des loins inutiles pour cn defabufcf la Reine, & fe determiria enfin a faire connoiffance avec une autre Fee qu* on nommoit Clairance , & qui etoit en reputation de n'etre pas malfaifante, pour tacher par fon moyen a s'inilruire de leurs fe-crets, & detourner s' il etoit poifible la fatale deft!-flee dont Ligourdela menacoit: elle avoit oui dire que les Fees meprifent les richeffes, & qu'on les gagnoit bien plutot par des preYens fort fimples, qu' avec del'or & de 1*argent, ce qui Tobligea de choifir neuf paquets de lin le plus fin qu'il fut poll fible de trouver, avec neuf quenoi'iilles, & neuf fuzeaux de bois de cedre; elle y ajouta encore trei-zenavettes d'yvoire, & chargea fa nourrice de porter ce prefcnt a la Fee, de lui faire milie & mille amitiez de fa part, & denerien oublier pour V engager a la venir voir dans le Palais. La nourrice qui etoit fort adroite s'aqtiitta mer-veilleufement bien de fa commiffion, en forte que Clai- Parcmgon. $7 Ciairance touchee^ & du preTent & de lä confiance que la Princeffe Uli temoigimit, renvoya la nourri-ee> lui promcttant qu'elle iroit voir la Princcfle Belle-main lors qu' eile y penferoit les moins, La Princeffe fatisfaite de la negociation de la iiourrice, att'endpit avec impatience r arrivee de Clairanee, lors qu'Un jour fe promenant avec la Reine la mere dans un Jardin,. elles remarquerent dans un coin une Vieiile qui nlöit, & qui leur demanda Paumone. La Pveine fe fächa, & gronda bien fort de ce qu' on avoit laiffe entrer eette Vieiile dans fort Tardin: mais la Princeffe qui etoit fort charitable * de fa qüenoüille, fit trois cercles, & en un mflant ce Jardin fut metamorphofe en un autre beaucoup plus beau, rempli dTme infinite de fleurs, & dö grandes allees d'Orangers ä perte de vüe\ avcc des cafcades & des jets d'eau: Je fuis bien aife, dit la Vieiile, de^reeompenfer la Princeffe de fa lib^rali-te, & de faire connoitre ä la Reine qu'elle pouvoit s' epargner la peine^ de fe mettre en colore de ce qu1 on m'avoit laifiee entrer dans fon Jardin. La pauvre Reine e.tonnöe de ce changemenc & de ce di-fcours jugea bien que la Vieiile etoit une Fee, & lui demanda^mille fois pardon de, fon ignorances Je fuis * reprit la Vieiile, la Fee Clairanee, jeyiens voir Belle-main qui me paroit digne d'une meilleu-re fortune que celle que la mechante Ligourde lui promet. La Pveine ravie de P entendre, fe jetta ä fon col pour Pernbraffer; & Clairanee ay ant bien attentivement examine' les yeuxj les traits du vifa-ge & les mains de la PrinceiTe: Ligpurde, ieur dit-eile, ell: une Fee fort habile, mais il faut qu' eile ne fe foit.pas bien expliquee, ou que vous nel'a-yez pas bien entendue, car je vous.repons que Belle-main fera mariee arin grand Pvoi: eile aura a la Verity quelques chagrins, mais les chagrins tour- d or.. Alors la Vieiile fe joüant Twm IL G neront ( \ Sans neront afagloire & afon avatitage, elle aura un Fils qui fera un prodige, vous n'avez a craindre que les pieges de la cruclle Ligourde, qui tachera a le faire perir dans fa jeiineffe. La mete & la Ulle conjurerent la Fee & de les proteger contre la malice de Ligourde; mais Belle-main la fctit fi bien flate'r, & lui demanda fon fecours avec tant de cpnfiance .& des inftances fi preffantes, que la Fee s' engage a a ne 1' abandonner jamais, elle difparut enfuite, Si It beau Jardin auffi. . La Reine & la Princeffe fe retirement fort emerveillees &furprifes, d'une avantu-te fi extraordinaire* II arriva quclque temps apres des AmbaiTadeurs a la Coitr, pour demander auRoi la Princeffe Belle-main de la part d' un puiffant Monarque fon voifm j qui temoignoit beaucoup d' empreffement pour V e* pouter. La Pvcine qui craignoitles malheurs dont la rrinceffe avoit et^ menacee, ne pouvoit jamais fe reToudre a la marier; mais le Roi qui avoit apris que fon pretendu Gendre avoit une fceur fort bieii faite, defira que le Prince fon fils Pepoufat Auffi-tot dit, auffi-tot fait; carl'amoureux Roi qui ne fongeoit qu' a poffeder la Princeffe Belle - main jj qu'on avoit deja refufee a tant d'autres Monarques^ donna fon confentement au Mariage de fa foeur. Jamais on n7 avoit vu tant de magnificence qu' il s'ert fit a ce double mariage, Ligourde qui ne dormoit point ,^ donna des la premiere nuit des Ndces, plu-fieurs forts a la Bru du Pvoi, fi bien que cette pau-vre Princeffe fut dans la fuite fort malheureufe: Mais lors qu* elle en voulut faire autant a la Princeffe Belle-main, que nous nemmerons a 1'avenir Reine, Clairance qui etoit ineognit* aupres d' elle* P en emp*cha. Les dělix Fées eurent de grandes cohteftatíons, tomme elles convenoient toutesdeuxquelanouvelle Reine pourroitbien-tót devenir groffe ďun Prince* IJgoúrde d,e peiir que Clairancc ne la derancát, donna ďabord trois forts au Prince qui naítroit de BeUe-main; Le premier fút de grandes maladies dans fa jeuneffe, le fecondbeaucóupďennnemis, &le troifiéme uněMai-treffe fi difficilej qu' il psíferoitla meilleure partie de fa yie á la feryir porn la contcnteř! Arréte > méchante * interrompit Clairance ^ & attens que je lui aýe don* he auffi mes trois forts: le premiér fera une fort ion-guč vie > le fecond toůjours viQoire fur fes ennemis^ & le troifiéme de grandes rieheffes. LigoUrde. pa* rut fort offenfée' que Clairance eůt donné děs* forts fioppofez aux fiens, & ne put s'empécher de lui dire qúe le temps décideroit laqüelle des deux f<$au-* roit mieux foütenir fes forts. Clairance parut lui répondre avecaffez de moderation > tächant tóújours ä la détoumer des mauvais deíTeiňs qu' dle mědi-toit cóntre la Reine. Les deux Fées fe retirement eit jgrondant Belle-maýi fut recůé' dans les Etats du Röi fön máři, avec des acclamations & deš ap pi audifí em ens inou'fs^ & comme c'etoit 1'ufage.de baifer la main ä la F^eine, & que jamais Princeffe ne F avoit eue ii belle, ceia lui attiřoit 1'admiration de tous fes ftf-jets. Le Roi qui aimöit fort la Chaife, avoit uii gra *d nömbre d'oifeaux fort rares,; il les fit toüs voir ä. la Pveine i & lui éxagéra particuliérement les bonnes qualilez ďun oifeau rouge qui avoit la tetě baute j &; le bec & la ferre fortdangereux: La Pveine fe fouvint. alors des menaces de Ligourde* & quoi qu' eile fut fort perfuadée des bonnes qualitez de Toifeait rouge, něanmoins elle le eraignoit toüjourSi & ne le voyoit qu* avcc peine. Dés la premiere att-hée du manage de la Reine^ on eut quelque ibüp-|on de fa grofiefle, eile étoit elle-mime cans Tin- lo® -Suns certitude, lors qu'un jour qu'eile etoitfeule dans fön Cabinet, une de fes femmes y entra pour lui propofer d'acheterun Perroquet qui parloit plufieurs Tortes de langues, & fur tout celle du Pais de laKeine: cette derniere circonftanee rcveilla toute fa curiofitö , & eile co mm an da qu'on lui apportät le Perroquet, qui lui fit un beau difcours dans fa langue naturelle. La Pveine lui ayant fait enfuite plufieurs que-flions differentes, 1' oifeau y repondit fort jufte. II n'eft pas croyable combien ee Perroquet donna de joye ä la Reine, qui s' imagina qu* eile ne pourroit plus s' cnnuyer ayant aupres d' eile ce merveillcux oifeau: toute la Cour Tadmira com me un prodige, & le Roi paffoit meme fort fouvent dans le Cabinet de la Reine, pour entendre parier le Perroquet qui fe laffa enfin de toutes les queftions qu'on lui faiibit, & ne voulut plus repondre: la Reine qui craignoit qu'il ne fut malade, etoit fort chagrine de fon filence, & lui faiibit toutes les careffes dont eile pouvoit s'avifer. Le Perroquet touche de la douleur de la Reine, & fenfibleaux marques d'a-initio qu' eile lui donnoit, lui parla en ces termes. Ccffe def affiiger, belleReine, je fuis ta bonne amie Ciairance, qui ai pris la figure d'un Perroquet afin de pouvoir fentretenir plus commodement^ fans que perfonne en cut aucun foup^on: tu es af-furement groffe, &la mechante Ligourde medite deja d'etouffer ton enfant dans le berceau; je fuis accourue pour le fauver, & fen viendrai ä bout: Si tu as la force de me garder le fecret, & que to ayes affez de confiance en moi, pour me remettre ton enfant, je le delivrerai des embüches de Ligourde, & je lui donnerai une education digne de fa naiffance, & fort differente de cejle qu'on donne d'ordinaire aux autres Princes; mais comme le premier fort que Ligourde lui a donne durera vingt & un an, il taut que tu me le confies, & que tu ayes Farangon. xox Ii patience d'attendee que ce long terrnefoit pafft, savant que de revoir ce eher enfant. Quoi que la Pveine füt penetree des foins obli-geans de la boHne Fee, il lui fut neanmsins irapof-fible de fufpendre fa douleur: elle verfa un torrent de larmes fans pouvoir lui repondre un fenl mot. Hefiterois-tu au moins ä me le confier, continua la Fee: Helas, repritla Reine, vous f$avez que je me fuis abandonnee ä vos confeils, mais je crains bien que le Pvoi ni fes Peuples n'y donncnt jamais leur confentement. Le tien me fuffit, ajouta Clai-ranee, car je rendrai ta groffeffe invifiblc; je te feral meme accoucher fans que. tn le leaches, & tu peux compter que j**aurai foin de ton enfant comme ae laprunelle de mesyeux, &qu'apres queleterme fatal {era paffe, je te le rendrai, & tu eh accoueheras de nouveau aux yeux de tout le monde: mais fur toutes chofes, garde le fecret, & prens ton parti de bonne heure, fans t'allarmer de tous leschagrms oü tu feras expofee par une longue fterilite: Jets promets auffi qu'apres la naiffance de ce eher fils, que je yeux nommer Sans Parangon, parce que jamais Prince ne pourra lui etre compare, tu feras encore confolee parunfecondfils que tu aimeras tendre-ment, & pour qui je mcdite un fort arm qu' il foit aime de tous ceux qui l'approchcroht, & que toute fa vie q|uifera des plus longues, nefoit qu' une fuite con-tmuelle de gloire & de plaifirs. La Reine etoit fi perfuadee de bonnes intentions deClairance, qu'elle donna volontiers ion confentement ä tout ce qu'elle Itii propofa, goutantpar avance toute la joye d'unfc feconde fecondite. Elle achevoit de la conjurer d' a-voir bien foin du rcjetton de tant de Heros, lorfque lePvoi entra dans fon Cabinet. Le Perroquet femit a chanter une Chanfon fort agreablc qui fit beaü-coup de plaifir au Roi; il fauta enfuite fur une fe-netre & s'envola. La Pveine feignit d'en etre fort G 3 al- mm Sam tllarmfe, & envoya de tons cotez pour ticket ä donneroit cinq cens piftoles ä celui qui en donneroit des nouvelles., mars, il fut impoffible dv en rien d^couvrir, & on affure que le Pvoi qui aimoit les. oifeaux paßlonnement, en temoigna beaucqup plus de chagrin que la Reine. Cependant la groffelTe de la Reine fut inconnu& ä tout le rnonde, 6z eile accoucha fans que perfon-ne s'en appercut. Chirance enleva^ Sans Parai> gon; & comme fon art lui apprenoit les grandes, chofes que ce Prince opereroit äPayenir, elle fe $t un grand plaifir da le bien £lever, elle exit une. attention particuliere älui preparer un apartem en t tres-propre & fort fain, & comme la Fee fcavoit que les enfans tiennent forwent; deleurs nourrices^ ©lie lui choifit pour le nourrir line Reine enchantee, qui etoit d un bon temperament, & avoit les inclinations fort nobles;, plufieurs graces.& amours en-<$hantez eurent ordre de bercer P enfant: il me fe-?ok aiff de faire une description de fon berceau & de fes langes, maisj on if a qu'a imaginer tout cq. qu'il y pent avoir de plus richc, & de meillcur-gout dans un Palais'enchante, & cela ft trouvera encore fort au deffous du berceau & des langes de Sans Parangon« La bonne Fee qui ne le voyoit jamais aflez, ayant remarque qu'ii avoit de la peine ä fe rendormir lors qu' une fois il fe r?veilloit, fe fouvint que la Princeffe de la Chine, qui etoit fans contredit la plus belle & ä mSmc temps la plus ficre Princeffe de la terre ,. & qui etoit enchantee pour plufieurs filcles, avoit la plus belle voix que jar mais mortelle eut eue, la Fee lui ordoniia de fe te-nir aupres de Tenfant, & de V endprmir par fes Chanfons, lorfqu' il fe reveilleroit, L* extreme beaute de cette Princeffe avoit fait kntd« bruit avant fon enchaiitementA que les plus reprendre; on fit publie tout le Roiaume qif on grand Pärangon. Écýj panels Princes de la terre s'eitimoient trop heureux de hazarder leur vie pour mériter fon eitime; & quoi qu'elle eut des maniéres fortfiateufes, & fort infmuantes,, elle avoit fi bonne opinion de ion pror pre mérite, que les plus généreufes actions lui pa-řoiffoient trop récompenfées d'un foul de fes regards; elle nefouffroit que des Heros a. fon fervi-ce, elle exigeoit d'eux qu'ils cntrepriffent pourPa-mour d'ellc des chofes extraordinaires y & fouvent iinpoffibles; s' ils reüfliffoient, melle leur perrnettoit pour toňte récompenfe de continuer ä la fervir; & s' Iis fuccomboient, il lui fembloit que leur deili-née étoit digne d'envie, puifqu'ils mouroient á fon fervice, Sa grande fierté donna occafion ä la fairc nommer Belle-gloire, Les Fees jaloufes de fon extreme beauté réfolurent Penlever, de P enchanter pour trois mille ans; Clairance s'y oppofa long-temps, mais voyant qu' elle faifoit p.érir une infinite de Heros pour fatisfaire fes caprices, & fans qu'ellc leur en 1911t aucun gré, elle confentit á fon enchantement, & exigea néanmoins des auťres Fees, que la Prin-ceffe ne vieilliroit point pendant ce long efpace de temps, & qifelle auroit toujours la meme beauté que le jour de fon enlevement. On lui avoit donné pour täche de divider onze mille pelotons de fil par jour; mais Clairance en fa-veur du petit Prince, la deiivra de cette penible occupation, & lui ordonna de chanter toutes les fois qu' il fe réveilleroitj jufquM. ce qu'il fut rendormi. Cette occupation lui parut ft douce apres le penible emploi qu'elle venoit de quitter, que celane conr tribua pas peu á faire naitre 1'inclination qu'ellea-voit eue depuis pour le jeune Sans Parangon qui étoit toujours content toutes lesfois qu'il entendoffc chanter Belle-gloire. Clairance qui étoit idolátre du jeune Prince, voyant que Belle-gloire s'aquit-. teit de fa commiffion avec tant de nieces, }m dit G 4 . quel- < fl©4 $am quelque parole obligeante, & lui fit cfp^rer qu*elt$ pourroitla läiflef lorig tems au fervice de Sans Pa^ rangon: Des 1* age de fept ans la Fee lui fit appren^ dre plufieurs fortes de Langues, & lorfqu'il fut af-fez fort pour commencer fes exercices, eile luichoL-fit des Maitres habiles ; & comme eile fe propofoit de le rendre fort robufle, eile ne lui donnoit que d'une forte de viande dans fes repas, & ne mettoit jamais d'autre herbe dans fespotages, (jue de la, fauge, quoi qu'elle lui fit fervir qiielquefois despc«, tites falades de betoüane* Belle-gloire s'aquit un (s furieux afcendaht fur fon efprit, qu'il s' ennuyoit toujours par tout on il ne la voyoit pas;- eile etoit aufu tellement fatisfaite & du coeur & de la Noblef-fe des ientimens du jeune Prince, qu' eile ne fe faifoit aucune violence d' etre toujours aupres de luia & de P gmufer le plus agmablement qu* il lui etoit poulble. Ce Prince des & plus tendre jeuneffe, cut tanfc dHnclination pour la gueo*e, qu' il lui arrivoit fou-vent de faire armer de pi'ues öl moufquets k$ fem-mes qui le fervoient, & il leur commandoit V exer-cice avec beaucoup d'adreffe, ne fe propofant er* toutes chofes que de plaire ä feelle-gloire, Cepen^ dant ä mefure qu'il avan$oit en äge, la fiere Prin-ceffe ne fe rendoit plus fi affidue aupres de lui, & lui cachoit mime P inclination iecrette qu'elle avoit pour lui* . La Fee admirant la forte paffion que Prince avoit pour les armes, voulut lui donncr moyen d'ex-ercer cette noble ardeur, & lui fit prefent dxun pe-« tit" fillet d'yvoire, avec lequel il faifoit fortir mills hommes armez chaquefois qu'il fifloit, en lbrteque dans une matinee il avoit des armee» de plufieurs milliers d'hommes, qu'il difperfoit en divers en-droits, & les faifoit toujours a^ir fans aucune con^ fuftoiV J Parangon. 105 fufion. La Fee defira encore qu'il devint Politique, & qu' il apprit V Art de regner; & ce fut dans cette vug qu* elle lui donna un Confeil compote de plu-fieurs grands hommes, ou l'on traitoit route's fortes de matieres importantes. Le Prince euc d'abord qudque peine a fe eon-traindre d'entrer au Coafei); mais enfin la complai-fance qu'il avoit pour la Fee Pemporta, & il s^y rendit fort alfidu. Ce fut-la ou il apprit a connoi--tre la juftice, a demeler le vrai d'avec le faux, & enfin a penetrer jufques dans le fonds du cceur des hommes, Ces occupations militaires & politique*; ne fuf-fifoient pas pour occuper ce vaile genie, il feplai-ibit encore aux beaux Arts; & quoique le Palais de Clairance fut grand &fuperbe3 il y trouvoit des defauts, & faifbit voir que la nmetrie n'y ayoit pas ete bien obfervec; il avoit un gout particulier pour les Jardins, & pour tout ce qui etoit propre a les embellir. La Fee ravie de lui treuver tant de ta-lens, & de fi bonnes difpofitions, lui donna pour s* exercer, une baguette dent il n'avoit qu' a frapper trois fois pour faireparoitre toutce qu'il imaginoit; la vertu de la baguette ne dcmeurapas inutile, carle Prince donnant carriere a fon imagination, batit un Palais d'une etendue' prodigieufe, ou il auroit pulo-ger en cas debefoinla ilupart des Officiers defes trou-pes; il y avoit des C'curs fort fpacieufes; les cfca-liers etoient de marbre & de jafpe, avec tous l@s embelliffemens que Part peut fournir; on entroit dans une enfilade d' apartemens magninquement meublez, & ornez d'une infinite de Peintures ex-' ccllentes. Enfin, on admiroit bien moins For, Pazur, les broderies, les belles peintures, & les criilaux, que la maniere dpnt tons ces omen* ens etoient difp'ofez; on paffoit enfuitc dans une graiv G 5 d$ de galerie ornee de glaces & de belles Statue's de marbre & de broKjze, avec des Peintures merveil-leufes, oü Pon remarquoit des a£üons d'irn Heros fi prodigieufes, qu'on ne voyoit rien de pareil meine dans la Fable, L* or etoit fi commun dans ce iu-perbe Palais, que tout en etoit couvert jufqu'au toit, .& fi quelque chöfe pouvoit donner de P attention apres avoir vü tant derichenes, c'^toitle magnifique Jardin oü l'on entroit en Ibrtant du Palais; on rencontroit de grands baffins de marbre blanc, avec des jets d'eau, des napes,, des gerb es & des cafcades^ enfin c'etoient des Puvieres, qui au lieu de ferpeater coinme elles font ailleirrs, re-montoient dans le Ciel, & rejailliiloient jufques. dans lesnues, -on voyoit enmeme temps de charmans parterres & de belles allees d'Orangers, de forte qu'on fe trouvoit toujpürs embaraffe ä cboifir par oü. Ton commenceroit la promenade, patrce qu'on auroit fouhaite de tout voir-a la föis. Ceux qui vouloient fe rctircr dans quelque coin, pour y rever ä leur aife, trouvoient d'agreables Fontaines entourees de. fieges de marbre &de gazon; on y voyoitdes ani-maux de route forte d'efpece, qui n'y etoient que pour refoüir les Spe&ateurs;. les Lyons, les Ty-gres, & les Leopards etoient d^poüillcs de tönte, leur ferocite; Jes Serpens n'avoient aueun venin, on n'y craignoit pa's meme les Dragons, dont le feul afpect etoit fi terrible par tout ailleurs: fi_par hazard on fe trouvoit las de lä promenade, on rencontroit a l'extremite des Jardins, un bras de Mer en forme de Canal; & ä meme temps un grand nombre de Mariniers fe prefentoient avec des Barques & des Galeres richement omees, s'©ffroient a donner de nouveaux plaifirs fur 1' eau. La Fee ayant u;n jour ordonne a Belle-gloire, d'aecorapagner le Prince i la promenade fur ce beau Canal, Sans Paran-gon eüt la curioiite de feavoir Jon fentirnent fur (out ce qu'elle venoit de voir; mais la Prineeffe lui sepon- Parangm. 107 fépcmdít řroidement x que les rkhefíes étoieut ft communes dans PEmpire de la Chine, que V Empe-reur fon Pere préféroit toťijours les rnáiibns íimples & propres, aux íuperbes Palais. Sans Parangon ře trouva á V autre bout du Canal, Iorfque Belle glaite lui tint ce langage; & comine ii avoit une attention Particuliére á tout ce qui pouvoit plaire a cette . ririceffe, ii ftuta á terre, & ayant frapé trois lóis de fa baguette, ii parut tout ďun coup un Chateau tout de Porcelaine, entouré d'un parterre rempli de jafmhvavec une infinite de petits jets d'eau, & le tout enfemble faifoit le plus ásrjéable eífet quMl fut poíiible de voir. Quoi que la galanterie du Přin ce, & V en vi e qu' i 1 té-moignoitďevouloir feconformfp* en toutes ebofes au * gout de Belle gloire, fit plaifir á cette Princeffe, ellc diffimula néannioins fafoye, &ne lui en témoignarien { Mais Clairance ayant examine avec plaiiir, &la magnificence duPalais,la propreté desJardins, admirále bon goůt du Prince, 6? ordonna pour lui faire hon- ^neur, que cha que jour pendant trois heures, toutes les pcríonnes enchantées auroient une entiérc liberie de fe promener dans les apartemens de ce beau Palais; qu'il y auroitune charmante muíique + qif on y pourroit JGiier toutes fortes de jeiix* qiťil y auroit rné-me de magnifiques Collations oú tout le mo'nde trou-v-croit á fatisfaire íbn gout: Sans Parangon fut vi-vement touché de cette grace 2 par raport au plaifir qu'il jugea que cela pourroit faire 4Belle-gloire; znais cette Princeffe étoit ď une humeur ft extraordinaire, ,qiť on ne fcavoit Jamais comment on étoit avec elW, &lbuvenťlesíbins qu*on fe donnoit pour lui plaire, la chagnnoient;. elle s'imagina que la curiofité du Prince P avoit engage á demander ces, divertillemens á Clairance, pou? étre en occáfioň; ^e voir, & ďentretenir plus conaiíiodément les bel-ífs perfonnes enchantées qui itoiesis da#s cc Palais; log Sans & quoi que toute forte de defirs dere^lez foientban-nis de lieux enchantez, & que la jaloufie n'y foit connue de perfonne, Belle-gloire ne pouvoit fouf-frir que lc Prince eut la moindre attention pour d'autres que pour elle, perfuadee qif eile feuleme-ritoit tout fon attachement, & que tout le relie etoit indigne de lui. Sans Patangon qui aimoit fort la mufique, ne perdoit jamais d'öccafion de Pentendre/ mais Belle-gloire lui ay ant temoigne cm'elle le trouvo.it mauvais, iln'hefzita point ä lui faire ce Sacrifice, & fe priva de la mufique. Pendant que Sans Parangon > qui avoit de ja pres de vingt & un an, s'att&choit uniquement äplaire ä Belle-gloire, & fe perfeöionnoit dans toute forte dr exerciccs, la Reine fa mere attendoit avce une impatience .extreme, l'efFet des prome£es de la bonne* Fee, & fe flatoit qu*au premier jour elle lui.ren-droit fon eher enfant: Cette grande Princeffe fouf-froit avec une vertu fans exemple les perfections de fes ennemis, & ecoutoit fans s'em'ouvoir les murmur es du Peuple qui crioit tout haut qu* il fal-^ loit la renvoyer en fon Pais, & donner au Roi une PrinceiTe plus feconde, n' 6tant pas raifbnnable qu'un grand RoTaume manquätd'he>itiers par la fterilite de la Reine, pendant qu' il itoit facile d'en trouver d'autres qui ieroient bien äifes d'occuper fa place, & qui donneroient infailliblement des fucceffeurs a la Couronne., Sa grande vertu lui faifoit fouffrir tous ces murmures avec beaucoup de patience, attendant toujours que le terme de vingt & un an fut expire; eile ne fe trompa point, car la Fee voyant que le temps fatal des menaces de Ligourde etoit palie, deciara au - Prince que fon enchantement etoit fini, & qu* il etoit temps d* aller confolcr ies Parens. Sans Parangon qui fe croyoit fils de la Fee, parut fort allarme' de ce difcours, fur tout lorfqu' il comprit qu' il failoit s* eloigner de Bel- Parangon.. 109 le-gloire; mais la Fee lni ayant expliqué tout lemy-itére dc fa naiffance, il marqua beaucoup de docili-té, & demanda^pour derniére grace á Clairance> qiť eile voulüt bien Taller voir le plus fouvent qu' il feroit pofllble, la fupliant fur toutes chofes de merer toújours Belle-gloire avec elle. é La Fee qui ne lui pouvoit rien refufer, lui gromit tout ce qu'il fouhaita, ^& s' étant fervie de les enchantemens, le Prince difparut, & la Keine fe trouva groffe> an grand contentement du Pvoi & de fes peuples; eile accoucha quelque terns aprés: &comme jamais Prince n'avoit été ü deliré que celui-lá, il n* eft pas é-tonnant que fa naiffance caufät une joye universelle: tout le monde fat furpris de le trouver plus grand, & plus forme que les autres enfans ne le font ď ordinaire en naiffant^ mais ce qui caufa bien plus ďétonnementj & qui faillit ä tout gäter, ftit lorfqu'on s'apperait qu'il avoit des dents, la Fee ayant oublié deles y enchanter: en effet on eut toutes lespeifies du monde á lui trouver des nourrices, parce qu'il les bleflbit avec fes dents, & leur é-corchoit le tetoru L'extréme joye que tout le Pvo-yaume eut de fa naiffance, empěcha qtieperfonne ne s'arréta a examiner ce prodige, on fit de toutes parts des rejoui'ffances publiques & particuliéres, & chacun tácha de fe diílinguer parades déraonftra-tions d'une veritable joye; La Reine voulut toújours qu'il s'appellat Sans Parangon ] elle Taimoit avec tant de tendrefie, qu'elle fouíFroit avec peine qu7 on le lui ótát quelques heures de la journéepour commence? á Pinílruire; mais ä mefure qu'il avan-coit en áge, Pidée de ce qu'il avoit apris dans le Palais deClairance, groffiifoit, & il apprenoit fa-cilement toutes chofes ^ fe fouvenant bien qu'il les avoit déja fcues^ il eut memo des lbn enfarj.ce beau-coup de complaifance pour toutes les belles perlbn-nes, par Vhabitude qu'il s'etoit faite de plaire ä Belle-gloire, dont il n'avoit plus qu' une idée con- fufej 1 110 Sans fufe; on reriiarquoit cependant qiPil ne srioit qu|aüie chofes agreables, qu'il parloit peu; maisce quifur-prenoit davantage, il ne donnoit fon applaudijße-ment qu'aux chofes fenfees, &; fcavoit de ja reflifer & doimer ä propos; le fouveni/de BeUe-gloire fe renouvelloit infenfiDlement dans fon efprit, & en meine temps (i. complaifance pour les Dames aug--mentoit* la Pvcine qui rarement le perdoit de vüe $ fe r«jou'iffoit de^ le trouver d'une numeur fi doucd & fi portee au bien. Le Roi Ion Pere etant mort pendant que Sans Parangon etoit encore bien jeune, fon Regne commence par le gain d*une Bataille qui fut dornte par fes Gieneraux > ce qui parut de bon atigure ä tout le monde; la Reine ne pouvant foütenir feule tout le pöids du Gouvernement, choifit un fameux Druide fort experiment© dans les affaires, pour Paider deles confeils j mais cc choix divifa la Cour, & cau-fa de grands defordres clans tout le Roiaumej Li-gourde troüvant Poccafion favorable, pour exciter des troubles,, infinua ä plufieurs Grands qu' on leur iaiföit injuilice de les eloigner du , Gouvernement des affaires: plufieurs d' entf'eux fe liguerent, & prirent les armes, en forte que la Pvcine cut be-foin &#dc töute fa prudence & de fa grande vertu, i>our diffiper leurs eabales, & pour raaintenir le Jruide dans le Polie qu'clle luiavoit dornig Sans Parangon qui avoit plus de penetration qü'il p 'etoit permis d'en avoir ä fon age, & qui connoifibit deja le bon efprit du Druide> ecoutä toüjours fes confeils avec beaücoigp de döcilite; & comme il avoit encore les memes inclinations qu'il avoir eues dans le Palais enchante, il aimoit fort •jes.foldats, & fe faifoit un extreme plaifir de leur Vöir faire Pexercice, cju'illeur commandoit fou-.vent luknemej & quoi qu'il n'eüt plus de fiflet pour ParcMgüb. ^ Sil pour faire fortir autant ď frommes armezqu'ii au-roit voulu, il prit tm foin particuliei: de ceiix qui étoient a fon service, dormant ordre qiťils ne man-quaffent jamais derien; comme il étoit retenupar les fáges conleils du Druide, qui Pempéchoit de fuivre tous íés mouvcmens de fa noble ardeur ? 11 fe contentoit de biěn difcipliner fes troupes, & de les paffer foUvent en revue, il ne donnqit fa faveur qu'ä ceux qui fäifoient leur devoir mieúx que les autres, & favorifoit particuliérement les Officiers lors que leurs troupes fe trouvoicnt en bon etat, ce qui faiíbit que chaěun y travailloit á Penvie; & il eft certain que jamais Prince iť avoit pris tant de íoin de fes Soldats», que Sans Pařangon. Ce Prince méditoit pluficurs grands deffeins-lors que la rr-échante Lis;ourde, qui ně comprenoit pas comment il avoit évitíé dans fon bas áge, lefort qiť ělle lui avoit donné, trouva moyen de faire glif-ier adroitement dans le Palais du Prince Une de fes fuivantes;. qiť eile nommoit Fiévře, qui par fa malignitě faillit á faire mourir le jěune Prince; JVlais Clairancc en étant avertie y accouriit, chafia la fuivante^ & giíérit le Prince. _ Cette Fée qui avoit découvert que Belle-gloire ětoit cette maítreť fe capricíeufe, dont Ligourde avoit menace le Priu* ce, & quiprévoyoit les embaras 011 eile le jetteroit^ évitoit expres degaroitre devantlui, de peur d'etre obligee de tenir fa parole, & dě lui mener Belle-gloire; mais le peril extréme oů Sans Parangoň fe trouvoit, la fit paííer par deffus toute forte de confiďérations. S'étant adrefíee h la.fveine: Voici, Madame, lui dit eile, les derniers efforts de vótre ennémie, que jai rendus inutiles, & je vousré-pons qu'ä l'avenir Sans Paran'gon jouiťa d>une lon-gue vie. La Reine fut fort lenfible aux foins de la Fée, & n'oublia rien pour lui marqueria recon-rroiifanee, eile la préfenta au Roi fon fós^ en luiéx* ageraat 11% Sans agerant lcs grandes obligations qu' il lui avoit. SanS Parangon qui eMt fort reconipiffant, cut une fen-ilble joye de voir fa bienfaitrice, & dans ce moment tout ce qu' il avoit apris chez elle , lui revint dans l'efprit, il lui prit les mains pour les baifer, lui fit mlile & mille amitiez, & lui marqua par tous les endroits dont il put s'avifer,. la fati*fa£fci-on qu'il avoit de la voir; & comme il eonnoilfoit parfaitement le gout des Fees, il ordonna qu on lui apportat une Collation compofee^de noifettes, de pam bis^ de miel^ & d'eau claire. La Fee fut tres-fenfible afon attention, & quoi qu' elle ne man-geat jamais hors de fon Palais, elle lie lailfa pas par complaifance pour le Prince, de gouter de fa Collation. Ce fut alors, que tous les charmss de Belle-glo-*(re fe prefenterent dans l'efprit de Sans Parangon^ il mouroit d'envie d'en demander des nouvclles a la Fee, mais ,il ne l'olbit de peur qu'elle ne crut qu'il hit reprochoit adroitemept deJUri avoir manque de parole. Clairance devinant fa penfes: & e-* tat ou vous etes, lui dit-elle, nc me permettoit pas de vous rnener la Princeffc de la Chine, il eft vrai que je me fuis avifee ua peu tard , que je m'y etois engagee trop legerement: Helas! continua-t-elle^ vous ne la vcrrez que trap tot, je ne vous en dirai pas davantage, car il ell inutile de raifpnner fur les chofes qu* on ne fcauroit eviter, c'eft 1c fort que vous a domie la median te Ligourde; Mais puifcnie je n'ai pas le pouvoir de vous on garantir, au moms vous me difpenferez d'autorifer par maprefence^ fes dangereux confeiis^ & les efperances ehym^ri-ques dont elle vous amufera. Vous la verrez% puif-que je vous l'ai promis toutes les fois que le Soleil en parcourant le Zodiaque paffera d'un figne a un autre, & je la rendrai invilible pour route autre que pour vous\ de peur que vos lujets en la voyant, ne Péfángon* 113 íié devinflent autant de riyaux, "tfétant pas poífi-fcle qu'un foible mortel puiffes'empecher de la fervií lors qu'ill'afeulement envifagée unefois: tout cě que je puis faire pour V amour de vous, c'eft de la cacher alix yeux de toutlemonde, &d'infpirer auxautres hommes la méme envie de vous fervir^ que vous aurež de plaire á Belle-gloire. 1 La Féé difparut en achevant ces paroles-, & le Prince fan§ faire aucune attention á toutce qu' elle venoit de lut dire contte Belle-gloire, ne fut occupé que du de-fir de larevoiř; ílattendoit avec une impatience extreme que le Solěil changeát demaifon, & bien loin ď avoir du chagrin de ce que Clairancě venoit ůe lui dire, il fentit une joye íecrette, de penfer qiťil ne feroit permis qu'á lui feul de voir & de fér* vír cette incomparable PrinceiTe. En fin le change-iment du Soleil fi defiré arriva, &le méme jour Bel* le-gioire parut dans le Cabinet du Roi, dans uii Char en forme dě Thfóne, parféme ďémerauďes & de laUřiers, & attelé de douze cygnes^: je ne par-lerai point de fonajufcement, parce qu'ile toil efface par fon extréme beau té, & par ťéčiat de fes yeu& quiauroit éblouí- tout le mondefi-elle n'eut pas été invilible* Le Prince fe jetta ď* abord á fe? piéds, & pariít tranfporté de Joye en la vo'i'ant: Mais matgré fa grande beauté> elle infpkoiť taní de reípeB:, que Sans Parangon n' o fa pas feulement lui baifer íe bas de fa robe. je fuis bien aife, lui dít-ele, qu'a jpřéfent que tu es fur un Ťhróne řéěl, & que tu in'es plus encbanťé, tu ayes pour moi le6 mémes ieritimens qu'é tu avois dans le Palais de la Fee'; car fí tu as aífez de vérťit pour me fěrvir á rha mode, & pour me faerineř touteš chofěs^ peut étre que le terme démon enchantement finira bientot, & que je me trouverai en éíat ďajoů-tér píufreurs Courotv íies ú celle-que tu as héritée de tes Peres. j)é fern-' Tmu //, H bia* 114 Sans blableš paroles prononcées par une belle perfonne, font toujours beaucoup d'impreffion fur un Amant; mais Beíle-gloire les aíľaifonna avec tant de grace, & d' un ton de voix ft touchant, qu'il ne faut pas étre furpris fi le jeune Prince en fut trés-vivement pénétré: il ľaffura d*un attachement éternel, & iui tit mille &mille proteftations, qu'il ne trouveroit jamais de difnculté lórfqu' il V-agiroit de gagner'foil eftime. Belle-.gloire n'ofa point faire une plus lon-gue vifite, de peur que la Fee pour la punir pe lui donnát quelque penible occupation- elie lui pro-mit néanmoins de profite^ de la permiffiori qui lui avoit été accordée de revenir unefois le mois. Sans Parangon qui -é to it charmé de la voir, tácha de lui faire connoítre avec touté la politeffe & le refpeö imaginable, qu'il auroiť été bien aife de la retenir encore quelques momens, mais eile tut inexorable, & lächa 1c cordon á les cygnes qui ľenlevérent dans ľ iníiant. > Le Roi fourľnt ce depart fortimpa-tiemment, mais il étoit fi foúmis aux orďres de Bel-le-gloire, qu' il n'oía pas méme s' en plaindre. Cet-te agréable vifite ne laiffa pas de.lui donner uňe extréme joye, & de lui infpirerune vivacité qu'iln'a-voit pas encore fait voir. Tonte la Cour s'apercút de ce changement, qui fut luivi de plufieurs Fétes & galanteries que le Prince fit en faveur des Dairies : car rapportanttout ä ion amour, il jugéa qu' il • devoit cet nommage au fexe de fon aimable Mai* treffe, Infenfiblement> le Soleil paffa d'iin figne á un autre, & la Prineeffe íe-rendit dans le Cabineť.dú Pvoi: II eft temps, lui dit-elle, que tu renonces á des amufemens peu convenables a un Prince qui le nomme Sans Parangon, & qui s'eft dévoué á Beilegloire; tu n'as rien fait julqu'á préíént, qui puiíľe-te rendre.digne du nom que tu portes, & fi je ne connoifíbis ton grand coeur, & que j'en jugeaffe par tes Parangon. tes aÖions, f aurois peine ä croire qne tu voulußes te donner ä moi comroe tu me las promis; ce n'eil pas affez pour Belie-gloire, de porter une Couron-ne; je veux qu'ellefoit ornee de lausiers; les Cour-tifans t'affurent que tu es galant, jeune & bien fait, <& les Dames te traitent de Heros, lorsque tu as ex« erce tes Soldats fur des paifibles Campagnes: il me faut des vi&imes melees de fang & de lauriers; en un mot, fonge que tu es ne pour JBelle-gloire. En achevant ces paroles eile lächa le cordon ä fes Cy-gnes fans vouloir attendre la reponfe du Pvoi, qui demeura fort honteux d* un reproche qu' il n* avoit pas merite, \ puifquefa grande jeuneffe & la deference ^qu'il avoit toüjours eile pour le Druide qui l'aidoit par fes confeils ä gouverner fön Roi'aume, l'avoient empeche de fuivre les mouvemens de fon courage: Cependant, ce fenfible reproche ne laiffay pas de le piquer, & lui fit mediter de grajids def-feins dont il jugea queT execution pourroit plaire a la Princeffe; les vifites qu'eile lui rendoit t ani-moient encore davantage, & il tächoit cependant a fe rendre digne^ d'eile par tous les endroits qui de-pendoient de lui4 car il etoit d*une politeffe extreme, fort galant, fort liberal4 & aimoit la probite par tout* Le fage Druide etant mort en ce temps-lä, Sans Parangon refolut de gouverner felil fes Etats, & de prendre loin lni-meme de fes affaires: mais de peur que la Princeffe n'augurät mal de fa tranquillite, il lui rendit compte de la fituatioiv oü il etoit, & de 3 a neceffite oü il fe trouvoit de fc. denn er tout en tier aux foins de 1*Etat* avant que d'entreprendre aucuoe guerre etrangere, ay ant plus de baguette enchari-tee pour faire fortir cles Soldats armez, & ayant be-foin de^fommes confidcrables pourfoutenir les guer-res qu'il projettoit. Belle-gloirc approuva fes rai-fons, & lui dit meme.que c'etoit le, veritable che- H 2 min i%. •'• Sam min pour fe rendre digne ďelle; il n'en falltit pas da vantage pour engager Sans Parangon á tenter "Pimpoflible, il s'-appliqua fortement aux affaires, & íe rendit allidu á tous les Confcils; il commenca dans cette occafion á mettre en pratique tout ce qu'il avoit apris chezlaFée; fon application, fon afliduité & fon difcernement admirable, furprirent tout le monde, & il eft certain que par fes ibins, il déméla en pen de temps un cahos d'affaires fort in-triguées & trěs-difficiles, Jk fe mit en etat dé pou-voir fuivre les nobles fentimens de fon coeur. Bel-le-gloire qui jugea par ce penible travail, quyil é-toit capable de toutes les grandes chofes,' lui parla plus obligeammeirt qu'elle n'avoit Jamais fait; mais ces paroles étoient autant d'enchantemens qui redoubloient l'ardeur du Prince, Sans Parangon fe mit peu de temps aprés á la téte d*une belle armée5 & fe rendit maitre de plulieurs Places importantes, malgré la refinance des Aíiiégez, qui avoient mis ■ toutes leurs troupes dans ces Places pour les défen-dre. Belle-gloire qui nr avoit jamais doxité du courage du Prince, ne parut pas fort fatisfaite de cette premiére Campagne, & lui dit dans une de fes vi-fites, qu'il n'etoit pas bien extraordinaire qu'un Prince belliqueux avec de belles troupes, & dans la belle-|aifon,_ prit des Places; mais qu'un Prince qui fe nommoit Sans Parangon, & qui cherchoit á plaire á Belle-gloire, devoit attaquer les Places en plein Hiver a travers les glacons- & les frimats, fans attendre méme que toutes fes troupes fuffent ■aífemblées. Ce terrible difcours n'etonna point le Prince, car il ne trouvoit rien de difficile lorfqu'il étoit queftion de 'gagner P eilime de fa Maitreffe; il partit peu de jours aprés dans le cceur del Hiver, & attaqua avec un petit nombre de troupes, malgré le neiges & les "glacons, une grande Province ou il y avoit plufieurs Places trés-fortes, dont'il fe rendit eniin le maitre par aes travaux incroyabJes^ Parangon. iiq & apres une infinite d'aftions heroiques: ce fujt alörs auffi que Belle-gloire, fenfible ä tant de marques de valeur, lui permit de baifer pour la premiere fois le bas de fa robe. Sans Parangon flate par une grace fi particuliere, leva de nouvelles troupes, & fe difpofoit, ä entrqr de bonne heure en Campagne, fe promettant deja de conquerir pluiieurs Provinces, lorfque Belle-gloire s'etant rendue dans leCakinet du Roi, lui pari a en ces termes: Je fuis fatisfaitede ton courage, & je te tiens quitte des Places que tu pourrois prendre, Je fuis meme perfuadee qu'il ne s' en trouveroit point qui put te refiiter, fur tout pendant que tes enne-mis n'ont pas d'armee pour te difputer la Campagne; de femblables conquetes ne feroient d'aucun merite aupres de moi, jc n'aime point les ViÖoires aifees, & fi tu veux me faire plaifir, tu fufpendras ta neble ardeur, & tu attendras que .tes ennemis re-venus de leur etonnement, foient en etat dp Pop-pofer des forces auffi nombreufes que les tiennes. Sans Parangon eut befoin de toute fa moderation pour renoneer aux conquetes qu'ils'etoit promis de faire; neanmoins comme iln'avoit pris les armes que pour plaire ä Belle:gloire , il falut fe fou-mettre ä fc's volontez. Ce facrifice ne laifTa pas de lui ctre tres-agreable, & eile Pen remercia en des termes fort obligeans; .comme ce Prince etoit continuellement occupe d'un defir ardent de faire quelque chofe qui fut du goüt de fa charmante Maitreffe, & qu'il n'avoit plus d'occafion de fe diftinguer paries armes, il s'apli-qua de nouveau aux loins de 1' Etat, il abregea les iloix, reforma un grand nombre d' abus qui s'etoient gliffez dans Padminiflration dc la Juftice, Belle-gloire donna des loüanges ä fa vigilance & ä fan application, mais elle lui demanda une nouvellc preu- ii 3 vc HS . Sans oe de fon attachement, qui jetta^ce Prince dans de grands embarras: Tuf^ais, lui dit-elle, Pefperance oü je fiiis de voir bientöt finir raon enchancement; tu as ofe porter tes voeux jufqu'ä moi, tu n' ignores pas que j'aime les beaux Palais, & cepcndant tu n'en as point oü tu puiffes me recevoir. iSans Pa-rangon Tamara qu'elle feroit bien-töt latisfaite, & ayant fait venir les plus habilcs Archite&es de PU-rivers, il fit batir dans la Capitale de fes Etats, \m des plus beaux Palais difmonde, avec des Jardins tres-agr^ables & proportionnez a la magnificence du Palais; Ce grand ouvrage etoit prefque fini, lors que Belle-gloire etant allee vifiter le Prince ä fon ordinaire, eile lui fit connoitre qu'elle n'aimoit point le fejour des Villes, & que s'il vouloit lui donner un temoignage bien veritable de fon attachement, & tie fa complaifance pour eile, il falloit lui bätir ä la Campagne, uiTPalais & des Jardins fem-blables ä ceux qu'il avoit imagine? lui meme chez Clairance, par la vertu de fa baguette. Sans Paran-gon epouvente' d*une propofition fi extravagante, lui reprefenta que le Palais de la Fee n' £toit qu'line illufion, & que tout le marbre de laTerre, ni Tor du Perou, nefuffiroient pas pour un fembla-ble edifice; Tu fcais bien, repritBelle-gloire, que les chofes^ordinaires ne nVaccommodent point, & que je n'aime que celles qui approchent de Timpol-fible; je t'ai fait connoitre ce que je defire, c*eft a toi ä examiner fi tu as & affez de courage, & af-fez d'envie de me plaire, pour T entreprendre; eile n' attendit point de reponfe & difparut. b Jamais il n'y eut d'embarras pareil ä celui dece Princej, qui auroit mille fois mieux aime mourir, que d'avoir d6plü ä fa Princeffe. Cependant, quoi qu'il trouyat de Timpoffibilite ä 1' execution de ce £rand deffein, il ne laiffa par pour marquer fa foü-miffion aux ordres de Belle-gloire, de Tentreprendre? h Parangon 119 dre, fans pourtant qu'il ofat feHater d'y reuffir: il tra$a lux meme un Plan le plus approchant qu'illul fut poffiblc, de celui du Palais de la Fee, a peine fe donna-t-ii le temps de confulter les Architettes, & comm. en 9a fans perdre un moment, a batir le Palais, & a faire dreffer les Jardins, en forte qu'au bout de deux ariS ce grand Ouvrage fe trouva fort avance. Cette diligence plut beaucoup a la Princeffe; Sans Parangon s'enetant apercu redoubla fes foins, & n' eut jamais de repos que le Palais & les Jardins ne fuffent dans leur perfection; Tor y etoit par tout avee tant de profusion que les toits en etoient cou-verts, & quoi qu' il ne tachat qu' a imiter ce qu' il avoit deja fait chez la Fee, il eft conflant qu'il fur-paffa le Palais enchante en beaucoup de chofes. fSans Parangon fellatant que^ la Princeffe feroit eontente de fon Palais, attendoit avoit impatience qu' elfe l'eut vu pour lui en demander fon fenti-ment: maisilfut extremement furpris devoir qu'u-ne nouvelle planete prefidoit fur rhemifphere, fans que Belle-gloire parut, eela lui donna de cru-elles inquietudes dont il fut accable jufqu' au lende-main que la Princeffe arriva, qui lui aprit que les Cygnes de fon char ayant ete.eblouis par la reverberation du Soleil qui donnoit fur Por des toits, etoient allez au Canal au lieu d' entrer dans le Cabinet, & queleurs ailes ayant ef« moiiillees, ii leur avoit ete impoffible de reprendre leur vol; que la Fee y etant accourue les avoit condamnez a yde^ meurer toute leur vie, & P ayant enfuite ramenee dans fon Palais, elle V avoit retenue" jufqu7 a ce moment, qu' elle venoit de lui donner. un attelage cf Aigles qui traineroient fon char a l'avenir; elle lui temoigna enfuite beaucoup de reconnoiffance de rempreflement qu'il avoit eu de lui plaire en ache- ii 4 vant 12.$ Sans vant ce.mägmfique Palais, & lui promit de ne Pou? blier jamais. Comrne par fon enchantement eile étoit invifible ä tout le mandě; Sans Parangon la pria de jetter les yeiix un inftant fur Paffemblée des apartemens; eile y confentit, apres .les avoir bien examin ez, eile V affura qu' eile y trouvoit plus de magnificence., u.ne mufique. bien plus excellen-te, & beaucoup meilleure-compagnie, que dans ceux de la Fée. Dans une autre vifite le Prince la fuplia de fe promener fur le Canal, & lui fk remarquer ťagré-. able Chateau de porcelaine, qui paroiffoit ä l'ex«< tréraité; eile le trouva fort reffemblant á celu; de la, Chine9 & convint avec peine que celui de Sans Parangon étoit plus galant & plus parfaít que P autre, IVlais {bit que cela méme lui donnát quel que jalou-, fie, ou qiť eile eut change de gpůt^ eile pria le Kot dePabattre, & ď en faire batir un autre de marbre & de jafpe ä la place de celui-lä^ ce qui fut éxecu* té peu de jours apres.. Ce fuperbe Edifice auffi bien que les riches meiu bles dont il étoit orné, augmentérent la reputation que Sans Parangon s' étoit déja aquife par fes, conquetes* Les Etrangers arnyoient de toutes parts dans fori Roiaume, & admiroient c es gran des rich eífěs, une infinite de curiofitez dilferentes^ & plus, que toutlQ cependant préferoit un leul regard de fa MaitreílQ aux applaudiffemens de tout 1'Univers enfemble: & dans P empreffement qu'ilavoit de faire toůjours. quelque chofe de grand pour gagner fon e.itime, il fe plaignit un jour á cetce Prinoeífe de ce qu/elle ne lui donnoit plus ďoccafion de lui marguer ie plailir qu'U avoit Mui obeir, Helasl lui dit-ellc, tu m* as ( Pareingon. m; as fait admirer le Canal de ton Jardin, comme ml ouvrage fort extraordinaire, '& cependant je m'a-per^ois que plufieurs particuliets en opt aiitant dans ieiirs maifons de Campagne,^tu fcais bien que je n'aime pas ce qui eft commun : ma'is frtu avois bien envie de me plaire, U que fu voul«£bs verita-blement me marquer que tit ne penfes qu' a te ren-dre digne de moi, jefouhaiterois que tu menffes un CanaPqui traverfat de Tune a Tautre mer & qui les jdignant toutes deux me donnat le' plaifir lors que je ne ferai plus enchantee, de pafierderO-ceari a la Mediterranee, fans m'expofer aux hazards ni aux difficultez d'une longue navigation. Cette entreprife, repondit le Prince, feroit plfttot Pom-' vrage d'une Fee que celui d!un Prince comme moi, Quoi, reprit la Princeffe en, col ere, tu as la teme-rite de pretendre mon ellime, &une femblable en-treprife t'etonne? Rien.n'eft capabje dc ni'etonner, continua Sans Parangon, lors qu* il s' agit du fer-vice de Belle-gloire, & puifque'vous. voulez abfo-lument ce Canal, je le ferai ou je mourrai dans la peine. La Princeffe feretira fort fatisfaite de la re-iblution de Sans Parangon, quoi qu'elle doutat el-le-meme qu'il put jamais reiifiir dans une entreprifc fi nouvelle v& fi hardie: 11 commence r ouvrage avec des foins & des d« penfes infinies, tout autre Prince que Sans Parangon le feroit rebute par V im-poffibili've qu'on lui faifoit voir a lecontinuer; Mais ce rVlonarque qui ftavoit que les grandes difficultcz £toient autant de moyens de plaire a Belle-gloire, continua toujours fon entrcprife, .& Tacheva epfin avec une patience & des travaux qui approehoient de ceux d'plcrcule, La Princeffe fut dans le dernier etotmement devoir finir un travail fi penible;' & des la premiere vifite, elle affura Sans Parangon que lui feul lui paroiffoit digne de fon citime; qu'elle defiroit cependant qu'il retournat ciieillir de nouveaux Launers dans le Champ de-Mars. H 5 Sans 122 Bans Sans Parangon ravi d' un ordre fi conforme ä fes defirs, aiTerabla denombreufes troupes avec une diligence extraordinaire, & commen^a fa Campagne par un Siege fameux; les Aßiegez fe d£fendirent affez vigoureufement, mais il fallut coder aux efforts de Sans Parangon. Belle-gloires'appercevant de la faclitU qu'il avoit ä faire des Conquetes, lui dit un jöur que les autres Heros prenoient des places a force de terns, que s'il vouloit fe diftinguer, & lui donner un ipeclacle nouveau, ce feroit de prendre chaque jour une place. A peine eut-elle acheve de parier que Sans Parangon entra comme un torrent dans le Pais ennemi, & y prit tcus les jours une Fortereffe nouvelle; la rapiditc de tant de Conquetes £tonna plufieurs Potentats voifins, qui crurent rieanmoias etre en feurete, parce que Sans Parangon ne trouvafit.plus de place ä conquerir, etoit oblige s'ii vouloit aller plus loin, de paffer , une grande & profonde Riviere, & comme des Ar-mees ne traverfent j)as les Rivieres auflj facilement que desoifeaux, ii falloit des temps infinispoury conitruire des Ponts; mais Sans Parangon cherchant toü jours äplaire ä fa Princeffe, par des aÖions extra-ordinaires, s'avifa fans s'embaraffer ni du p£ril ni des difficultez, de faire paffer fon Armee ä la nage; la noiiveaute' de cette grande a£lion deconcerta ft fort les ennemis, que tous les Peuples voifms ac-coururent pour fe foümettre au Vainqueur, qui fe feroit. aifement rendu maitre de plufieurs grands Etats, ii Belle-gloireetonnee de ce qu'il avoit paffe fes efperances, ne lui eüt reprgfente, que ne trou-vant par tout que de la terreur & point d7 ennemis, eile ne prenoit plus fur fon compte les Conquetes qu'il pourroit faire für des gens qui fe rendoient fans combattre. Sans Parangon qui ne fongeoit qu'ä plaire ä fa charmante maitreffe, lui fit encore ce facrifice, & fe retira dans fes Etats. / Ligour- Parangon. 123 ; Ligourde, jaloufe des profperitesdu Prince, vo-yant Fetonnement &la conflernation de fes enne-mis, leur fit apercevoir cru'ils av-oientdans leur Pais un oifeau jaune, a qui eile avoit donne plufieurs forts; & quoi qu'ilfut encore jeune, & qu'il rfeut pas les alles äffez fortes pour aller bien loin, elle les aiTura quil pourroit dans les fuites les fervir Utilement. Cet avis leur donna beaucoup d'attention fur T oifeau jaune, & ne lajffa pas de leur rele-ver le courage; mais tout cela leur fut inutile, car Belle-gloire, ayant vifiteSans Parangon au retour de fa Campagne, elle lui temoigna la fatisfa&ion qu'elle avoit de tout ce qu'M venoit de faire pour Ion fervice, & lui fit entendre qiPil etoit de fa ge-nerofite de meprifer les Conquetes aiiees, & qu'il devoit fe contenter d* avoir reduit fes ennemis dans la confternation ou lis etoient, fans vouloir profiler de leur defordre- Sans Parangon trop heureux de pouvoir plaire ä Belle-gloire, y confentit fanshefi-ter. Ce noble procede dans des conjon£hiresfi favo-rables, lui attira plufieurs paroles obligeantes de la part de fa maitreffe. Sans Parangon qui dans fori plus graiid repos fongeoit toujours a tout ce qui pourroit faire plus de plaifir ä fa Princeffe, s'appliqua de nouveau ä proteger les Sciences & les Arts, en etabliflant plufieurs Manufactures & Academies de Peinture, & de Sculpture en divers ,endroits de fon lVoyaume. Belle-gloire Payai^t vifite peu de temps apres, lui parla en ces termes: Tu asfait une infinite de belles actions, je tel'avoue, il me parojt cependant que tu n'as gueres d'attention ä ce qui me regarde perfonnellement, puifque tu n as pas feu]ement encore penfe" a te mettre en etat de pouvoir envoyer une Ambaffade ä PEmpereur de la Chine, mon Pe-re, pour me demander lorfque mon enehan'tement few tini; Oil font tes Ports, Oü font tes Armees- Nava- 124 Sans.. Navälss? Sans Parangon fut ravi que fa maltreffe fongeät elle-meme aux rnoyens d'etre ä lui; & quoi qu ileut deja & des Ports & des Vaiffeaux, il fit batir un .nouvcau Port, & conflruire plufieurs grands Vaiffeaux, avec des Joins & des. depenfes immenfes. Belle-gloire en parut fort contente, eile ne laiffa pas de dire anx Prinee, que le voyage de la Chine etant fort long & difficile, ii feroit bon de faire par avance quelque etabliffement dans P A-merique,"pour fervir ü'entreport, en cas de be-fbin de retraiteaux Ambaffadeurs, qui fans eel a cou-roient rifque de fe perdre dans line fi lons;ue navigation. Auffi-tot dit, suffi-tot fait. Sans Parangon donna de fi bons ordres, qu'il affura peu de temps apr.es plufieurs Ports dans le nöuveau Monde, & y etablit des Compagnies qui avoient un commerce eontinuel, & aux Indes, & en Amerique. Belle-gloire qui avoit deja ete fervie par plufieurs grands Heros, fut obligee de convenir qu'elle n'en avoit jamais trouve qui entrat fi genereufe-ment dans tout ce qui lui faifoit plaifir, ni qui ent travaille ä lui plaire avec tant duplication & tant de iucces que Sans Parangon. II faut convenir, lui dit-elle, que tu as de grandes richeiTes, de belles armees, des palais magninques, & des Jardins delicieux; mais il te manque encore un trefor d'un prix ineftimable & dont PEmpereur mon pere fai-ibit plus de cas que de fa Couronne, (c?eft un ami fidele) je lui ai iouvent ou'i* dire cju*il plaignoit beaucoup la condition des Roi^ qui etoient envi-ronnez d'une foule d* adorateurs, qui avoient la clerniere complaifance pour toutes leurs volontez,'" mais rarement d'amis fideles qui leur parlaffent avec franchife, & fans quelque vue particulierc: il en avoit un fort definterefTe, qui avoit beaucoup d'e-fprit, une grande douceur, beaucoup de penetration, qui raiibqnoit jufte fur toute forte de matie- res, Parangon. 12^ res, qui ne leflatoit jamais, & qui aimoitmon Pere ind6pend.emment de 1 Empereur. Co portrait qui frapa'le Prince fe trouva fi fort de fon gout, & li conforme a fes inclinations, qu'il s'eilima malheureux au milieu de fes riclieffes, puis:-qu'il n* ay oil pas till ami dece cara&ere; il remer-■cia la Prineeffe'de fes avis, & les Aigles ayant pris leur vol a leur ordinaire, le Prince demeura fort reveur faifant de ferieufes reflexions fur tout ce qu'il venoit d"entendre. II obferva depuis ce temps-la ceuX qui 1* appro-clioient, il examina leur efprit & leur cceur, cner-chant tou jours la refiemblance du portrait giie la Princeffe venoit de lui faire. Enfin aprcs bien des 6preuves differentes, il fut affez heureux de trou-ver une perfonne d'unerare vertn, & d un merits extraordinaire, qui avoit precifementtoutesles qua-litez du portrait. Sans Parangon qui jufques-la avoit ete livre' a des Courtifans paflSonnez, qui fouvent fe d^chai-noient lcs uns contre les autres, fc trouva fi foula-ge de pouvoir parler de toutes chofes a coeur ou-vert, & fans craindre q'u' on lui dit du mal de perfonne, qu'il ne perdoit jamais d'occafion dePen-tr'etenir, toutes les fois que fes grandes occupations pouvoient le lui p.erme:tre* Cependant Belle-glo^re n'aimoit pas a le voir long-temps tranquille , elle lui infpira peu de terns apres, d'entreprendre de nouvelles guerres- L'oi~ lean jaune qae Ligourde avoit enchante, &qui s'e-toit fort accredits depuis, ne-laiffa pas de le Conner beaucoup de monvement, & de faire piuiieurs -tentatives pour arretcr les progres de Sans Parangon; mais fes -foins-a' empecherent pas- qua ce PrinceIfre C/0liti- 126 Sans. continuát .toujour? 1st guerre avec le méme fuccéá5 car paroítre en Campagne, & faire des Conquétes4 étoit pour lui une méme chofe; toutes lesTaifons lui étoient égales, il faifoit des Sieges indifferem-meilten Hiver conime enEté,, il campoit fur la neige, comme fur une prairie couverte de fleurs; fes ennemis s'etant liguez par les foins de Poifeau jau* re, firentde nouveaux efforts, & marchérent á la tcte ď une puiffante armée, pour s'oppofer ä fes Conquétes; ce qui n'empecha pas qu'il ne prit plu-fieurs places devant eux, & leur préfence ne fervit qu' á lui donner plus de témoins de fes Vičfcoires, Belle-gloire voiant que rien ne pouvoit refifter á cet incomparable Prince, lui fuggéra de nouveait de pofer les armes, & lui fit connoitre que puif-qu'il ne trouyoit plus d'ennemis dignes de lui, eile íouhaiteroit qu'il s'attachát ä embellir fes maifons & fes Jardins , ce qu'il éxecuta^avec une magnificence qu'il eft plus aiß ď imaginer que d'eerire. Belle-gloire ayant reconnu par plufieurs experiences, que ce Prince bien loin de fe délaffer quelque-fois, fe donnoit tout au public, lorfque les foins de la guerre lui permettoient de prendre quelque relache, elle lui dit un jour, qď eile ne comprenoit pas comment il pouvoit foůtenir 1* embarras d'une fuite continuelle d'affaires;, queTEmpereur de la Chine fon pere étoit bien d'un meilleur gout, puifqu' aprés avoir rempli une partie de la femai-ne les devoirs d'Empereur, il devenoit lerefte du temps homme přivé, & fe retiroit dans un agréable Palais environné de jardins délicieux, oü tout étoit ď une propreté furprenante; on y voyoit une infinite de choíes curieufes qui faifoient plaifir á voir, mais particuliérement une Riviéře qui fe précipi-toit du haut ďune moniagne, qui faifoit une ca-fcade li extraordinaire, que dans les beaux jours, la reverberation du Soleil qui donnoit fur la cafcadev réjailliffoit fur le Palais,, & éclairoit tous lesapatte- mens. Parangon. 127 mens. C etoit dans ce beau fejour qu'il vivoit fans contrairite, eloigne de la foule, & accompagnc d'un petit nombre de perfonnes choifies, qui ne Fentretenoient que de clioles agreables, fans jamais lui.parler de leurs affaires particulieres. Sans Pa. rangon admira le bon gout de l'Empcreur de la Chine, & affura Belle-gloire qu'il profiteroit de cet> exemple. La reputation de Sans Parangon, fes anions hero/i'ques, & fes grandes vertus,, allerent auffi loin que la lumiere du Solcil; plufieurs grands Poten-tats des cxtremitez de la terre, lui envoyerent des Ambaffadeurs avec de richez prefens: fon Roiau-me-etoit'une.pepiniere deperfonnes illuftres, tou-tes les Nations y etoient bien recues, & on y abor-doit de toutes parts, pour admirer ce Prince incomparable, & pour apprendre par fon exemple, & la politeffe & la pratique des vertus. Belle-gloire qui P avoit mis a toute forte d' epreuves, P aiTu-roit dans fes vifites, qu.' elle n'attendoit plus que la fin de fon enchantement pour lui marquer fa recon-noilTan'ce; mais ce Prince craignoit toujours de n'avoir pas affez fait pour elle, & cherchoit conti-huellement de nouvelles occafions de" ^agner fon eilime. Quoi que la Fee Clairanee lui eut fait evi-ter par fes foins un des forts de JLigourde, & qu' elle V eut rendu d'une fante parfaite, fes campemens fur la neige & les autres fatigues de la guerre lui cauferent une facheufe incommpdite, dont les fuites parurent tres-dangereufes, mais Sans Parangon ne consultant que fon courage, fans donner le terns a fes fujets de s' appercevoir de ce grand peril, y fit appliqiier le fer & le feu, ckguerit^ cette furpre-nante fermcte donna de P admiration a tout le monde. Belle-gloire PalTinja dans fa premiere vifi-te, qu' elle avoit etc fort touchee de la grande re- i28 ' Sans ' folution qu* il avoit fait paroitre, & qiť ellé la troť> voit fort digne de lui. Quoi que Sans Pärangon n'eůt aueune connoif. fance du temps que devoitfinir P enchantement de ]a Priiiceffe, ü fut neanmoins bien aife do lui mar* quer qu'il föngeoit toüjours ä eile, & lui en donnä une preuve trés-feníible en envoyant des Vaiffeaux aux extrémítez de la terre, '& fort pres de la GvL ne, afin ď accoůtumer par-lä fes Šujets á connoitre les Mers éloignées; & prévenir de bonne heure leá difficultez qui pourroient s* opofer á la longue navigation qu' il méditoit, lorfqu' il voudroit envoy er á la Chine pour y, demander la Princeffe. Cette prévoyance plut beaucoup ä Belle-gloire , qui ne voyoit quafi plus d'endroits pour demander á fori amant de nou veil es marques de fon attachement^ elle avoit épuifé U matiére dans la guerre & daná la paix, dans la parfaite difeipline des troupes, dans la reformation de la Juftice^dans Pétabliffe-ment du commerce & de la navigation, dans le bon ordre des finances, dans la proteQion cles Sciences & des Arts, dans la magnificence des bátimens, dans Pembelliffement des Jardins, dans les anions de fermeté, dans la pratique de toute forte de vertus, ~& généralement dans tout ce qu'eile imagina, qui pouvoit convenir ä un grand Heros. Ce Prince troüvä moyen par fa valeur, & par fä parfaite 'moderation, de n* avoir plus ď ennemis * mais fes grandes'anions que la Pvenommée publi-oit par toute la terre, lui firent une infinite ďenvi-eux; il fit un fonge en ce temps-lá, qui lui donnš quelqjtie inquietude. íl voyoit un Coq attaqué paí Un Aígle, parun Paón, par plufieurs Dindons, & par un grand nombre de Canards, qui Tenviron-noient de toutes parts, & le preffoient vivement; rinégalité du Combat n'empechoit pas que le Coq ■Parangon* ne fe defend! t vigoureufement contre tous, & qu'il ne leur donnät de ft rüdes coups de bee ^ qu' il leur arrachoit quelquefois des plumes. Le gene-reux Sans Parangon tout endormi qu'il ctoit^ voulut aller au fecours du Coq, & fe reveilla; comme c' eteit le Prince du monde le moins fuperfti-tieux, il ne fit aucune attention a ce fonge, mais ayant apris quelque temps apres, que plufieurs grands Potentats cabaloient contre lui, il fe fou* vint de fon fonge qui lui fit quelque peine, parce que fon reveil ravoit empecne de voir le denoue* ment du combat; neanmoins affurö de lui-meme, & ravi d*ailleurs de trouver de nouvelles occafions de plaire ä fa Princeffe; il ne s'embaraffa point de tous les bruits publics. Cependant le fonge ne fe trouva que trop veritable, car Sans Parangon fut informe que 1' oifeau jsmne qui commen^oit ä efla-yer fes alles, voltigeoit de toutes partsb & avoit enfin engage un grand nombre d'Empereurs, de Pvois, de Pv^publiques, & d'autres Princes Souve-rainSj a fe liguer contre Sans Parangon, & qu'il follicitoit jueme fes Alliez & fes amis d* entref dans cette formidable ligue. Le bruit de ce grand ora-^ ge qui fe formoit contre lui, ne l'etonna jamais; il ne laiifa pas neanmoins de fe tcnir fur fes gardes, & d'affembler fes troupes. Belle-gloire qui aprit que tant de grand es Puif-fances confpiroient contre Sans Parangon,m & etoient pretes ä fondre fur fes Etats, Tenfelicita au lieu de le plaindre; & cömme eile connoiffoit parfaitement le grand courage du Prince, eile lui mlpira de prevenir fes ennemis fans attendre qu'ils euffent 1' audace de 1' attaquer. Le Prince marcha d'abord fur la Frontiere, & fe faifit malgre les nombreufes troupes de fes ennemis , d'une place qui pouvoit leur fervir de paffage pour entrer dans fes Ftats; Cette fage prevoyance rompit toutes les mefures, & ils furent obligez d' attendre une Tmt iL I autre Sans autre Campagne pour commencer a faire quelque cntrepriie. Cependant les ailes del'oifeau jaune s'dtoient fi bien fortifiees, qu1 il paffa la mer d' un feul vol; la joye qu'il eut d' avoir reulii dans ce hardi pro-jet, ou la peine qu'il fe donna pour arriver a terre, le firent changer de plumage, & il lui vint une crete rouge fur la tete, femblable a celle du coq, qui lui donna un grand relief. Ce fut par fes preffantes inftances que les Al-liez equiperent un grand nombre de Vaiffeaux & mirent de prodigieufes armess en Campagne. Bel-le-gloire dans une de fes viiites en parla au Prince en ces termes: Voici le temps, brave Sans Paran-gon, de moiffonner des Lauriers: fi jenecontois plus fur ton courage que fur tes forces, je craindrois beaucoup pour toi, car les Rois tes-predecefieurs n'ayant qu'un feul ennemi en tete, ont eu befoin de toute la valeur pour foutenir la guerre; fonges que tu as plufieurs Puiffances a combattre, e'eftun Hydre qui a une infinite de teres, tes trefors font epuifez par les complaifances que tu as cues pour moi, au lieu que tes ennemis qui n'ont encore fait aucune depenfe, ne manquent ni d' hommes ni d' argent; je crains que tu ne lucepmbes, & que le grand nombre net'accable, & ce qui me fait plus de peine, e'eft que mon enchantement eft tel, que malgre tout ce que tu as deja fait pour moi, fi quelque autre^Heros, quoi qu'il ne m'eut jamais vue, de-venoit ton^ vainqueur, je t'oublierois, & je'pour-r rois devenir fa recompenfe; ainfi fonges encore une fois, qu'il s'agit de perdre Belie-gioire, ou de le l'affurer pour toujours. Sans' Parangon qui ne craignoit point fes ennemis, & qui fe fentoit affez de courage pour fe de-fendre centre tous, fut offenie du difcours de la Princeffe, mais faifant reflexion que Pinteret qu'el-le pcenoit a fa perfonne lui donnoit cette inquietude Parangcn. de', il lui pafdonna fes remontrances. II fe nut pen de terns apres en Campasrne, & nonobftant les in-utiles efforts de tant de puiffances liguees contre lui, & les nombreufes armies qu'ils lui oppoferent, il les battit, & gagna une grande bataille fur eux. La mer ne leur fut pas plus beureufe, car leur Flo-te fut encore defaite par Tarmee navale deSans Pa-rangon, & perfonne ne douta que cette liglie qui £toit compofee.de plufieurs Potentats qui avoient tant dMnterets deferens amenager, & qlucepeiidant etoient battus par tout> ne fut bien-tot des-imie, ft'y ay ant pas d' apparence qu'elle put fubfifter long-temps. Belle-gloire ne fut pas la derniere a felici-ter Sans Parangon de tant d' helireux fucces> qui ne produtfirent pourtant pas TefFet qu'on en avoit attendu; car bien loin de fe rebuter, ilsl'attaque-rent en plufieurs endroits differens tout a la fois> perfuadez q if ils pourroient le vain ere plus facile-ment lors que fes forces feroient divifees; mais f» Vigilance & fa valeur fuppleerent a tout, & il fut toujours viftorieux; cependant ni les Places impor-taiites qu'il prenoit fur eux,_ ni les batailles qu'il gagnoit, ne decidoient jamais de rien ; leur norri-bre etoit fi grand, qu'ils fe trouvoient toujours ea tot de reparer leurs j>ertes, & de renouveller leurs troupes. Belle-gloire admiroit egalement, & la conduite, & la valeur, & la prevoyance du Prince 5 qui foutenoit fi courageuiement une guerre fi difficile, & qui fe croyoit toujours trop recompenfe de fes travaux, par la fatisfaftionque la Princeffe lui en tcmoignoit; foil unique craime etoit den*avoir pas affez fair, pour elle, & il etoit continuellement occupe a chcrclier de nouvelles occafions de meri-ter Ion eilime. Rempli de cette penfee, & fongeant a attiret les ennemis pour les engager a un combat general & decifif, il attendit que tontes leurs troupes fuf-fent en Campagne, & alia attaqiier en leur prefeft- I a ce Sans ce une roche imprenable, dont le feul nom doh-noit de la terreur a tous les Pais voifins; line refo-i lution ft furprenante etonna fort les Alliez qui envo-yerent cent mille hommes pour fecourir la place, quoi qu'ils fuffent fart periuadez qu'elle ne feroit pas prife dans le temps que Sans Parangon la pref-ibit vivement. La mdchante Ligourde, apres lui avoir fufcite tous les elemens, fit encore gliffer chez ee Prince une de fes luivantes appellee poute, & un defes Couriers qu'onnommoit Mauvaife-nouvel-le; tout autre que Sans Parangon fe feroit trouve fort embaraffe' dans une conjonfture aufii delicate que cellela, mais ce Heros ne chcrcha de fecours que dans fa fermete, & oubliant fon mal, il ne confulta que fon courage; il fe fit porter a la queue de la trenched, & anima fi bien toutes chofes par fa presence & par fon exemple, quePcnnemi fut repouffe & la Place prife. Belle §loire pour lui marquer combien cette grande action lui etoit agreable, lui donna fa main a baifer pour la premiere fois de fa vie, qui fut line faveur fi fignalee pour lui, qu'il auroit et6 bien fache dans cette occafion de n' avoir pas eu autant d'ennemis & autant d'affaires qu'il en avoit. Cependant les PuilTances liquees perfiftoient dans leur opiniatrete, toujours pre" venues que leur union & leur perfeverance e'puiferoient cnfin les forces de Sans Parangon qui etoit feul contre tous. Mais fon courage ne fe ralentiffoit jamais & il les battit pncore dans pluficurs occafions les Campag-nes fuivantes. Belle-gloire etonnee de la former*" de Sans Parangon, qu clle trouvoit fi fort au defius des Heros qui P avoient fervie, & remarquant qu'il fe jouoit de cette guerre, refolnt de le mettre a une nouvelle epreuve qui n' etoit pasmoins difficile que toutes lesautres; ellc lui dit un jour, que les importans fervices qu*il lui avoit rendus, lui fai- foient i) i 'ŕ 69451 foi f e réf de ľ L vir av( qiť cet q u1 bie apt ten pré dre voii que taní mai diffi fort eút Bell aii.tr ne i choí eút dit-c puií marc préc exec gage bom le de rang' fok9 Parangon. 133 foient defirer d'etre bien-tot des-enchantee, afin dc fe voir en etat de le recompenfer, mais que faifant reflexion , & au nom de Sans Parangon, & a celui de Belle-gloire, elle ne croyoit pas qu'il y eut daris FUnivers une etoffe affez digne d'elle pour lui fer-vir cle manteaii Pvoyal le jour defes noces; qu'elle avoit autrefois oui" parler de la toifon d'or, & qu'elle auroit fortement fouhaite de 1'avoir pour cette grande Ceremonie; qu'elle efperoit de lui qu' il voudroit bien envoyer aux Indes une Flotc bien equipee, pour enlever cette toifon, & la lui apportcr. Le Prince fut dans le dernier £tonnement d' entendre une proportion ii extraordinaire, il lui re-pr^fenta qu'il n'heliteroit jamais a tout entrcpren-dre, lorfcju' il s' agiroit de lui plaire, qu' elle pou-voit fe fouvenir defes Conquetes, de fes magnifi-ques Palais, de la jonQion des deux mers, & de tant d'autres chofes qu'il avoit^ faites pour elle, mais que les Indes etant fort eloignees, la Toifon difficile a trouver, & fes ennemis beaucoup plus forts que lui fur la mer, il ne voyoit pas qu'il y eut aucune apparence de faire retiifir ce projet, Belle-gloire qui £toit de l'humeur de la plupart des autres gerfonnes dc fon fexe, qui n'ecoutent aucune raiion iors qu' elles veulent fortement quelque chofe , trouva fort mauvais que Sans^ Parangon lui eut fait toutes ces dinicultez; il etoit inutile, lui dit-elle, de recapituler ce que tu as fait pour moi, puifque je ne l'ai pas oubhe, ^&que tu as p u re-marquer que je n* y etois pas infenfible, & c' eft precifement la facilite que tu as toujours trouvee a executer tout ce qui pouvoit me plaire, qui m'en-gage a te faire une demande fi nouvelle; j'ai affez bonne opinion de toi, pour croirc que puifque je ledefire> ccla ne te fera pas impoifible. Sans^ Pa-raugon confus de l'honneur que la Princefie lui fai-foit, ne balanca point a tenter ce ridicule projet, I 3 & «34 Sans & jetta les yeux fur un Capitaine de qui la valeur & Pexperience lui faifoient tout efperer, & Venyö-ya aux Indes avec une belle Flöte; il y arriva a-pres une lorigue & penible navigation, il deeouvrit par fes foins une forterelfe oü Pen gardoit la Toi-fon, mais il trouva quelle etoit defendue par defl Cyclopes dont le nombre etoit fort fuperieur ä la Flöte; il ne laiffa pas de Vattaquer, & i\ s'apper-cüt peu de temps apres, que la reputation de Sans jparangon £toit auffi connue dans le nouveau mon-de, que dans fes propres Etats, & que le feul ef-froi de fön nom avoir intimide les Cyclopes, qu' il forca a lui remettre la Toifon, & la raporta ä Sans Parangon. Ce Prince la mit aux pieds de Beilegloire qui fut charm$e de ce riche prefent, &■ lui en fcut plus de gre que d'une Conquete beaucoup plus confiderable; les loüanges qu'eile lui donna, lui plaire, en taehant d'attirer PArmee des Alliez a une bataille; il affiegea de nouveau en leur pretence, une place tres-importante qu'il prit fans qu'ils iiffent aucun mouvement pour s'y oppofer. Mors il fe determina d'entrcr bien avant dans le Pais en-nemi, & d' allieger par mer & par terre une fameu-fe Fortereffe qui fervoit de rempart a un grand Pvo-yaume, & qui etoit gardee par des troupes audi fiombreufes que celles des Afliegeans. Cette entreprife parut fort temeraire, mais le General qui conduifoit ce Siege, anime du meme fang de Sans Parangon , & fortifie par les ordres & par le grand courage de ce Prince, preffa fi vive-ment les afiiegez ? qu'apres mille & mille furpre-nantes aQions qui fe nrent de part & d* autre, la place fut enfin forces a eapituler, & fe rendit au Vainqueur. Belle-glojre en fut tranfportee de joye, & de-xneura convaincue que rien ne pourroit refifter a j'avenir a Sans Parangon. Lamefure eft comble. nouvelles occafions de lui Parangon. iui dit eile, & mon efprit fertile en epreuves, ne me fournit'plus rien pour exercer ton grand courage; les experiences que j' en ai dejafaites, me pen juadent affez & me font juger dequoi tu es capable: jeveux que tufurprcnnes tes ennemis par une victoiretoute nouvelle; on eft fi accoütume ä tevoir prendre des Places, que celan'eft plus d'aucun me-rite pour toi; mais puifque tu cherches ä faire des actions extraordinaires, & dignes de^ Sans Paran-gon, rends ä tes ennemis ces fameufes Fortereffes qui leur donnent tant d'inquietude, & qu'ils ne icauroient jamais reprendre fur tob C eft pour Pa-mour de vous, charmante Princeffe, repondit Sans Parangon } que ie les ai prifes, je me trouve trop recompenfe puifque je fuis affez heurcux de vous plaire en les rendant, Cettc furprenante moderation plüt beaucoup ä Belle - gloire, fur tout dans un temps oü Sans Parangon ie trouvoit en etat dedonner la loi par tout, s'il cut voulu profiter de tant de conjunctures favo-rables. Cela defarma aufli les Puiffances confede-rees, qui s' emprefferent toutes ä gagner la bien-veillance de ce Prince, & fe repentirent meme de lui svoir fait la Guerre, ä mefure qu'ils connurent de plus pres & fon merite, & fes rares vertus. Ce fut alors que Belle-gloirefentit plus vive-ment le' malheur d'etre enchantee, ne fachant pas quand il finiroit, & fe voyant hors d'etat de coü-■ronner Sans Parangon; eile ne le difftmula point k ce Prince, & lui temoigna le chagrin qu'eile en avoit, lui faifant connoitre que dans 1» incertitude oü elle etoit, fi fon enchantement finiroit bien-tot, ou s il dureroit encore plufieurs fiecles, fon grand courage & les chofes extraordinaires qu'elle lui a-voit vu faire, lui avoient infpire une penfeequi paroitroit extravagante, mais qu'elle trouvoitdigne de Sans Parangon; Tu as, lui dit elle, defarme les Puiffances de la Terre, par tavaleur, & par tes I 4 ver- 13 6 Soils' vertus; qui fempeche d'attaquer a prefent les En-fers, & de faire la guerre aux Fees, qui par le fe-cours des Demons font tant de defordres fur la terse ; j' avoue que les Armes, dont tu te fers pour tes expeditions militaires, n*y font pas propres, il en faut pour cette guerre d'autres fort difFerentes; mais je fuis affuree que tu les trouveras, fi tu veux bien fappliquer ä les chercher, & qu'il netien-droit qu' ä toi de rompre mon enchantement. Quoi-que ce grand Projet fut tres-conforme aux fenti-mens de Sans Parangon, & qu'il füt fort touchy des raifons de Belle-gloirc, & fur tout du plaifir de la des-enchanter, le fouvenir des grandes obligations, qu* il avoit ä la bonne Fee, s' etant prefente-ä fon imagination, fa reconnoiffance l'empecha de goüter tout le plaifir qu'il auroit eu par la feule idee de pouvoir delivrer fa charmante PrincefTe. Mais Belle-gloire qui connoiffoit fon coeur ge-liereux? s'etant apercu de fon embarras, le defabu-fa en P informant de tous les rhyfteres dont eile s'e-toit eclaircie, par le fcjour de plufteurs fiecles qu* eile avoit fait dans le Palais de Clairance, & qu' eile n'avoit jamais ofe reveler, par la crainte des cruris fupplices qu'on lui auroit fait fouffrir, & qu'el-le commencoit ä meprifer, dans l'efperance oü elle etoit que le Prince pourroit bien-tot la delivrer; elle lui aprit que la bonne & la mauvaife Fee n' e-toient que la mcme perfonne, qui jotioit ces diffe-yens perfonnages pour mieux impofer au Public, que tous les enchantemens, & CKemeles riches Pa^ Ids des Fees, n'etoient qu'une illufion; que pour donner ces forts par lefquels elles fe rendoient li re-doutables aux hommes, elles profitoient de la con-noiflance que les Demons leur donnent de Pave-nir; & quoi qu' elles n'eufTent aucun pouvoir de changer en naiifant la deftin6e de perfonne, elles ne foiffoient pas de donner des forts qu'ellcs regloient Parangon. 137 fur la connoiffance qu' dies avoient de ce que cha-cun devoit devenir. Sans Parangon lurpris d' apprendre un detail fi curieux, & qu' il trouvoit fort vrai-femblable, füt bien aife d'etre defabufe, & affura Belle gloire que puifqu* eile etoit contente de lui, & qu* il n'avoit plus d'ennemis, il alloit mettre tons fes foins a trouver ces armes fi difficiles pour entreprendre la nouvelle guerre qu' eile venoit de lui propofer. La Princefie fe preparoit a lui repliquer, lorf-que les Aigles de fon char partirent brufquement, & fans attendre fes ordres. C etoit la Fee elle-me-me qui trainoit ce char fous la figure des Aigles, & qui fut terriblement irritee de la hardieffe de Beilegloire, & des temcraires deffeins qu'elle avoit ia-fpirez au Prince: elle ne voulut plus que la Prin-ceffe continuät fes vifrtes, & fe preparoit ä lui faire fouffrir d'horribles fupliccs, fi ellene fe füt ap-perdue que Sans^ Parangon ne voyant plus fa^Princeife^ s*appliquoit bien ferieufement ä la delivrer; la crainte qu'elle eut que ce redoutable Manarque, de qui elle connoiffoit le grand courage, ne vain-quit encore les Puiffances infernales, lui fit fufpen-dre 1 execution de fes cruautez, & diifirauler fa colere; eile affe&a au contraire de bien traiter Bel-le-gloire en lui faifant connoitre qu'elle etoit inte-reffee elle-meme ä detourner le Prince de fa teme-raire entreprife, puifque s- il y reüffiffoit, & qu' il rompit fon enchantement, qu' elle n'etoit qu'une fimple mortelle, & qu'il etoit meme dangereux que ce rrince ne s'attachat pour une bonne fois ä une gloire plus folide, & qu'il ne meprifat tout le reite. La Princeffe qui fe deficit des Artifices de l'Enchantereffe, & qui jugea que 1'entreprife du Prince n' etoit pas impoffible, puifque la Fee en a-voitpeur, la remercia fierement.de fes avis, & at-tendit avcc beaucoup de confiance, que Sans Parangon allät rompre fon enchantement, I 5 CON*. 138 La RcMt ft H & » fee & © © * *. & * # * ^ # & CONTE MOINS CONTE DES FE'E S, IL y avoit une fois un Roi qu'on appeiloit le Roi Guillemot; c'6toit bien le meilleur Prince de la terre, qui ne demandoit qu1 amour & fimpleffe, on allure Rieme qif il fe mouchoit a la manche de Ion pourpoint; il'n'avoit aucun empreffement pour le Manage, Cependant comme la race Guillemote etoit fort ancienne, les Peuples fouhaitoient qn'il leur donnat des Succeffeurs, on-avoit parle de plu-fieurs manages differens, .^rnais ii s'y etoit toujours trouve des difficultez invincibles. Une Princeflfe du voifinage quite nommoit Urraca, avoit des Etats qui etoient fort a la bienfeance du Roi Guillemot y mais Urraca avoit toujours marque de la repugnance pour le manage, & beancoup d'infenfibilite pour les foins que plufieurs Sbuverains, & particuliere-ment le Comte d'Urgel, s* etoient donnez pour lui plaire. Sa paflion dominante etoit l'Aftrologie, & elle ne fe e'etermina a fe marier , qu' apres avoir recon-nu dans les Aftres qu'elle feroit mere d'une Princef-fe toute parfaite, qui feroit un prodige de beaute nui temoigna beaucoup de mepris pour un Champion qu' il croyoit fort au deflbus de fon courage* Le Combat fe fit en prefence de la Heine & de fon Confeil; & foit que le Prince Guilledin fut plus adriot que le Comte d* Urgel, oU que la ViQoire fe declare toujours pour la verite, le Prince renverfa le Comted'un coup de lance,dont illeblefTa mortel-ment. Les juges y etant accounts, il declara avant que de mourir, qu'il avoit trompe la Pveine par le fecours de la nourrice. Cette mechante femme fut arretee, & n- cut pas la force de difconvenir de tout ce que le Comte venoit de dire. La malheureule Reine eclaircie d*un myfrere, qui malgre fa bonne foi la faifoit paroitre coupable, feroit morte de douleur, fi par les Confeils de Bel-funfine elle n' eut fufpendu fon defefpoir pourPa-mour de Meridiana: elle ne laifTa pas d* ordonner que la nourrice fut remife au Prince Guilledin, & de lui faire rendre la ceinture doree, les epingles, le petit couteau & les cizeaux, que le Pvoi Guillemot lui avoit envoyez* ■ Le Prince Guilledin fe retira vi&orieux, & fut recti dans les Etats de fon frere avec des applaudif-femens extraordinaire?. La nourrice, enfermee dans une csge de fer, fut long-temps trainee par les rues; & on la jetta enfuite dans la mer. Le Rol Guille-rnorpqui avoit refufejle eiefi du Comte d'Urgel, fut tondu 144 La Rehie tondu & enferme" * & 1c Prince Guilledin mania Cut le Trone. Urraca honteufc de fes malheurs, n'eut pas le courage dc fouffrir la vue d'aucun de fes So jets* & fe retira avec fa chere fille & la Fee Belilmfine dans une montagnedes Pyrenees, qui ellla plus haute de toutes, & cju'on nomme le Pic dc midi; elle mit toute fon application a bien clever Meridiana, a lui infpirer du mepris pour tous les hommes, & a lui apprendre tout ce qu'elle fcavoitd'Aftrologie; cette jeune perfonne devenoit chaquc jour plus agreable, & avoit deja beaucoup plus d'efprit & de raifon, que n' en ont d' ordinaire les enfans de cet age. Bel-funfine Paimoit auffi tendrement que fa pr'opre mere, Pune & P autre lui faifoient part> Urraca de fa fcience, & la Fee de fes fecrets furnaturels; elle fe fouvenoit de tout ce qu' on lui avoit dit une feule fois, & elle 6toitd'un naturel fi doux, qu' elle ob6« "iffoit toujours fans replique a tout ce qu' on vouloit exiger d'elle. La grande beaute de Meridiana, fa docilit6, & les progres continuels qu'elle faifoit dans les Sciences & dans tous les fecrets des Fees, confoloient beaucoup fa triftemere, mais comme tous les bonheurs de la vie font de peu de duree, une autre Fee qu^on nommoit Bar baft a, jaloufe de la beaute & des talens extraordinaires de la jeune Prin-ceiTe, Penleva fecretement, & de peur que Belfun-fine ne decouvrit fa retraite, elle brula du genievre & d'autres graines dans tous les endroits de fon paf* fage, & alia enfermer la Princeffe dans une tour fort haute qui eft au Chateau de Pau , iitue au pied des Pyrenees; elle lui donna pour tache de tirer dc Peau dun puits fort profond, de la mettre dans un criblc, & de monter enfuite cinq cens degrez pour la porter au haut d'une Tour, ou la Fee avoit un petit Jardin qu' elle lui faifoit arrofer. La Pveine Urraca deja accablee par fes malheurs, ne put furvivre a la perte dc fa chere fille, & mou- rut . des Fees-f iq.f rut peu de tems apres Fenlevement de Meridiana* fans que l'amitio que Belfunfine lui temoignoit^ m toute;s les affurances qu* eile lui donnöitj de n' avoir jamais de repos qü* eile n' eüt deeouvert fa retraite^ fuffent capables de la eonfoler. Cependant Meridiana^ bien loin de fe plaindr« de fa penible tache, s' en acquittoit avec bcaucoup de fucces, & s'aidoit meme des fecrets que Beifuß-fine lui ävoit deja apris, fans que Barbafta s'en ap-percüt jamais; en forte que toütes les fois que cette mechante Fee paroiubit^ la Princeßje la reGevoit d' inj air fort graeieux ,. la fuppliant toüjours de lui ördonner quelque chofe de plus difficile > &ra(Tu-rant qu' eile ne f^auroit jamais prendre affez de peine poür plaire ä üne fi bonne Fee. Barbafta furprife & du rude travail & de la patience de la PrinceiTe, ne iaiffoit pas de lui donnec chaque jour de nouvelles occupations^ dont les der-nieres Ctoient toüjours plus penibles que les autres^ jufqu' ä. lui faire ramaffer un boiffeau de millet |rairi a grain, la mena^ant de lui faire fouffrir d'horribles fuppliees, ß eile en oublioit un feul* & ft eile ne fijavoit lui.'. dire combien il y avoit de grains dans le boiffeaiii . jvleridianä s'en aquittoit toüjours de la meme maniere^ & ne manquoit jamais de remercier Barbafta de fes bontez; la Fee vaincue par la döcilitd de lä Princeffe^ fe laffa enfin de lä perfecuter,. & ayant ün joui*' v.iiite Beiiunfme qü'elle tröuva fort affligee, eile lui demanda le fujet de fon chagrin: La bonne Fee lüi conta naturellement d'oü venoit fon affliction, & lui exagera ä meme temps la beaü-te^ le bön nature!^ & les talens admirables de Me-ridiana, eile fondoit en larrries en faifant ce recitj Barbafta qui ötoit perfuadee du merke de la Prin-ceffe, fe laifTa attendrir par les larmes de fa compag-ne, & lui promit de decouyrir fa retraite, & de lä lui ramener far le Pic de midi, a condition qu'elle engageroit cette charmante Princeffe a Paimeri T grands Princes ibientdifpenfezdecette fa-tale viciifitude; alors elle fe confirm a dans la resolution quelle avoit deja prife, & que la Heine fa mere lui avoit ii fouvent infpiree, depratiquer la vertu, derenoncer au commerce des hommes, de s* appliquer de nouveau d la connoiffance des Aftres, &de profiter delabpnne volonteque les Fees avoieht pour elle; remplie de ces fentimeiis elle s'attacha fortement a Belfunfine, qui acheva deluiapprendre tout cequ'ellefca'voit. Earbafta qiii ne Paimoit pas moins que fa com-pagne, lui fit part aufii detous fe? fecrets; elle fe trouva en plufieurs aifemblees de Fees, ou elle fut fortadmireeck spplaudie; commeellesremarquerent qu' elle ctoit informee de tons leurs fecrets, & qu'elle etoitentierement detacher de la vie, eLes rcfolu-yentde la recevoir au nombre des Fees; elle parut touchee de Vhonneur quvon lui faifuit, mais lorfque dans laceremonie onluipropofa de prendre la figure d'un Dragon pour avoir le don des illuiions, & pour faire paroitre un magnifique Palais ou iln'y avoit que dela fumee, elle s'en oefFendit, .&alleguaqu'ellene vouloit romper perlbnne; la plupart cies Fees murmur ere nt contre cette delicateife, mais cela paffa a la üw Fees H? pluralite des voix en faveur de fabeauté & de fa graft-de naifíanee. Auffi-tôt qu'elle fut Fée, eile ne.ion«--gea qif ä propter des avantages du Féifme pouríbu-lager uneinfinite de perfonnes opprimées; eile choifit pour fa demeure une grotte au pied des Pyrenees,, qiť eile orna ď une infinite de belles Statues, &qu' ort apelle encore aujourd'huil'Éťpalungue de Meridiana^ eile parcourut toutes les contrées deľ Uni vers, fous prétexte de vifiter les Fées fes compagnes, á qui eile fit de riches préfens, quoi qu' eile n' eüt entrepris ce Voyage que pour connoitre les mceurs de routes-ces Nations. Mais eile reconnut qiť il y avoit partout de lamalicé, deľinfidelité, &de lafoibleiľe, &que la plüpart des hommes avoient prefque toüjours les jxiémes défautsen guelque Pais qu'ils fuffent, &n'en trouvant aucun qui f lit parfaitement heureux, &qui ne defirát encore quelque chofe, cette connoißance lui donna beaueoup de compaífion pour leurs miféres, & la fortifia dans la réíblution oü eile étoit de fou« lager toüjours les malheureux. Pendant tout fon voyage eile ne perdit jamais d^oc-cafion de faire du bien; étant arrivée aux Indes chez la Fee Mamelec, eile remarqua dans fon Palais une jeune perfonne ď une bcauté furprenante, qui étoit occupée ä couper du chaume pour faire de la litiére ä cinquante Chameaux. Meridiane jugeant qu'ilpouvoit y avoir quelque • chofe fort extraordinaire, lui demanda qui eile étoit; la belle lui avoüa qu'eile étoit fille duRoideMone-motapa, & luiditque fa marátrecherchant ä fevan-ger de ce qu'elle n* avoit pas voulu époufer undefes freres, avoit prie la Fée Mamelec deľ enlever, & que la Fée ľ avoit enchantée pour trois cens ans, dont il n'y en avoit encore que deux cens de pafféz; ellefe mit ä pleijrer en achevant ces paroles, & pria Meridiana de ne la détourner pas de fon travail, par-ce que s'il n* étoit pas fini ä ľheure marquee, quatre vieilles, qui étoient fes furveillantes, fe relayeroient á la battre, la premiere lui donneroij: cinquante coups K z de La Reine 4c baton fur la plante des pieds, la feconde lui en donneroit autant fur les epaules, &lcs deux autres chacune vingt-cinq, moitiefur le ventre, & V autre moitie fur les fefles. Meridiana attendrie par le re-' cit de tant'de cruautez, donna un coup de baguette furunepierre, & enun inftant Pecurie des Chameaux fut garnie de litiere. La Belle Indienne etonnee de cette merveille, jugeaque Meridiana etoit une grande Divinite, &la conjura les yeux baignez de larmes,. d'avoir pitie de fa mifere; la Fee la confola & lui promit de s' employer pour fon fervice; elle en parla a Mamelec, &lui demanda avecde grandes inftances la grace de cette belle Princeffe, qu'elle lui accorda de fort bon cceur. Meridiana accourut vers la Prinr ceffe, & PafTura en lui prefentant ui»e rofe blanche, qu'elle fetrouveroit au bout d une heure dans lame-me chambre d' ou elle avoit e & qui f^avoitles obligations qu* elle lui avoit, affúra la Reine qu'elle feroit ravie de lui canferver.ee eher Als, & lui dit que fi les droits qu' eile avoit déja fur la Couronne ne fufftföient pas, eile lui donneroi-t un tre-for d'un prix ineftimablc; la Reine Pembrafía mille fois, & le trefor ayant été trouvé dans Pendroit que. la Fee avoit indiqué, le mariage fe fit aveo des magnificences extraordinaires, & une fatisfa&ion reci-pro que des deux amans. Merldiana ravie ď avoir fini une fi grande affaire* s'en retournadans fagrote desPirenées; fa vigilance & fón bon coeur ne lui permirént pas de demeurer long-temps tranquille; elle fetrouvoit aux couches de. toutesles Reines, & ne fe contentoitpas d'emppcher la fupercherie des autres Fees, elledoüoitles Princeffe ďune extrémebeauté, &les Princes d'une grand© valeur, & les rendoit méme quelquefois invulnéra-bles; de lä vient que dans les fiécles paffez les enfans des Rois n' avoient befoin que de leur épée pour eon-quérir plufieurs Royaumes, La reputation de Mp-ndiana s'etendit par tout P Univers; & quelcmeenvie que les autres Fées lui portaffent, elle-les traitoit avec tant de eivilité, & eile leur ftjavoit faire des petits; préfens fi agréables & fi á propos, qu'elleiPavoit prek que point d'ennemi es, & étoit généralement eftímée dans tout le corps des Fées. Leféoours qu*elle donnoit aux Tétes couronnées ne P empéclmit pas jde rendre fervice aux' perfonnes ďunecondition mediocre; &ft elle troíivoit wnepau^ vre Bergere qui n* eut pas la force de defendre les moutons centre un loup affamé, elle voloit á fön fe-cours & la conduifoit dans un bonpaturage, d'oüles loups n' auroient pas ofé approcher. Si im Bucheron endormi avoit perdu fa coígnée, elle ne dédaignoit point de la lui rappoxter3 & fi un pauvre voýageur ton> / Aes Fees. ijt ■ rat*--- tomboit ehtreles mains des.voleurs, eilefetrouvoit a fa defenfe, &le garantiffoit de leurs cruautez. En-fin tonte peufonne qu> rc.clamoit la Fee Meridiana e-toitalTiiree d'etre promtement fecourue: Ce,futpar \ de femblabies aBions qu'elle gagna le coeur desper-fohnes de toute forte de conditions, faifant tout for* plaifir a procurer le bien & a empecher le mal. Comme iin*yaperlbnne quin'approuve les bonnes actions, quoi que toutlemonden1 aitpaslavertu de les faire, les Fees^ etoient rayies de tout le bien qu'elles entendoient dire de leur compagne, & s'ap-percurent avec plaifir que la terreur qu'elles infpi-roient autrefois, fe tournoit en, affection, qiPelles eV toient bicn revues par tout, & appellees dans tousles Confeils des Rois, meme des families particulieres. Belfunfme & Barbafta publioient par tout qu'elles - avoient cettc obligation a lajxelle Meridiana, & les autres Fees n'en difconvenoient pas. L' ambition qui fe glhTe dans toute forte d'Etatss fit juger aux Fees que li eUeS choififfoient une Reine, leur corps en deviendroit bien plus confiderable, puifque cette Reineauroitrangparmi les autres Tetes couronnees, Ce pro jet ay ant ete applaud i par toutes les Fees, elies arretcrentun jour pour faire Telection,. S'etant rendues dans le lieu marque PafFaire fut fort agitee; on y propofa de limiteitle pouvoir de celle qui feroit elue; mais ce choix etant tombe fur Meridiana, toutes les Fees avoient tanf d'efrime pour elle, & tant de confiance en fa prubite, qu*elles lui donnerentuneautorite fans bornes, jufqu'a pouvoir interdire celles qui lui auroient depiu, Meridiana fut enfuitc couronnee malgrc fa refi-ilance, & nonobftant les raifons qu'el!e donna pour obliger Paffemblee a lui prefererla Prince-He Mtrlu* /w^ce'pendant elle n'abufa point de fon autorite, & eut encore plus d'egards pour les Fees qu'elle n en avoit auparavant. Cette bonne conduite les charma a un point, qu'elles n'avoient aucune peine a lui obeir. La nouvelle Reine ay ant bien ctabii fa Man, K 4 m. La Reine 'archie, renvoya les Fees ävec ordre del'informer riegulierement de tout ce qui fe pafferoit dans les dif-ferentes Contf6es oü elles habitoient; & fe retira el-le-meme dans fa grotte des Pyrenees, oü eile re^ut plußeurs Ambaffades de la part d'un grand nombre de Souverains qui lui avoient de V obligation, &qui la feliciterent fur fa nouvelle dignity. Son elevation lui donna de nouveaux foins, nefe menageant fur rien, <&toüjours empreifee de fe trou-yer dans tous les endroits oü elle jugeoit qu* eile pou-yoit etre utile a quelqu'un; eile foufFroit avec impatience qu'on la reinercidt d' un bienfait, & affuroit i qu'elle avoit beaucoup plus de plaifir a le faire, que les autresn' en trouvoient ä lerecevoir, Elle blämoit les Grands fur lepeud'attention qu'ils ont ä faire la fortune de leurs inferieurs, puifque celaleur coütefi peu: eile excufoit les defauts de tout le monde, & ne comprenoit pas comment on pouvoit fe reibudre a rendrc un mauvais office, oui faire du mal ä quel-qu'un. Eutin il n' y eut jamais performe qui honorät davan tage la vertu, ni qui eut tant d'indulgencepour les foibleffes des hommes; elle-fe lailPoit voirtantöt dans fa grotte, quelquefois fur le Pic de midi, &ibu-vent dans d'autres^ endroits differens, oü eile ecoutoit tous ceux qui vouloient lui parier, & fe fervoit meine des treforsqu'elle decouvroit, pour les indigens, donnant auffi liberalement un boiffeau d'or ä une Princeife pour etre mariee, qu' eile donnoit une fom-me modique a une Bergere pour reparer la perte d'u* sie brebis qui lui etoit mörte. Une Marquife qui avoit ete long-^tems mariee fans avoir d' enfans, fut enfin affez heureufe pour devenir groife; eile choifit une femme de confiance qui V a-voit deja fervie pour nourrir fon fils. Cette nourrice ayant fort fubtilement change fon enfant avec le fils de la JVlarquife, ce jeune homme eut les inclinations fort baffes, & donnoit mille chagrins ä ies pr6tehdus parens, jufques lä que le Marquis accufoitfa femme d^nfidelite, a'etant pas poffi- I < ble \ des Fies, $1© quMl fut pere d'un garc,on fi mal tourne\ La Marquife qmn'avoitrien afe reproeher, geniiffoit pleuroit continuellement, car ä mefure que ce faux Marquis devenoitplus grand, fes .mauvaifes inclinations fe decouvroient davantage. Ell $ avoit oui parier dela Reine Fee & defesmerveilles,ce qui Fobli-gea de faire un voyage aux Pyrenees pour implorer ion fccours; la Marquife fe jetta aux pieds de la Fee, laconjurant dQ la faire mourir, ou de changerlesinclinations dc-fon fils.. . La Fee la releva fort gracieu-fement, & lui dit qu'elle *favok aucitn fiqet de fe i^laindre ni de fon fits ni d' eile merae, puifque cefils ui reffembloit & de corps & d' efprit. La Marquife mortifiee & honteufe d*une reponfe qui lui paroiffoit fi defobligeante, fc'difpofbit.deja. äfe retirer, lorfquc Meridiana l'embrafla, & lui aprit de quelle maniere fon fite avoit ete change par fa.nourrice, cnmme il lui feroit aife de le juftifier par une petite marque jau^ ne qu'il avoit fur le bras gauche; la Marquife s'en fouvint d'abord, & eut de P impatience de quitter la Fee pour aller chercher fon fils; Meridiana qui sf en appercut, qui jugea que le voyage lui paroitroit bien long pour fe rendre aupres de fon mari & lui faire part de cette bonne nouvelle,lui fit prefent de deux chevaux qui faifoient cent lieues par heure, & la renvoyatres-contente. Le Marquis, quinepou-voit fe confoler de fe voir un heritier Iiindigne, pen-fa mourir de joye en ecoutant le recit de fa femme; fon premier mouvemeiit fut de tucr cette mechante nourrice, mais la Marquife Pappaifa, & ils aUerent enfemble cbez la nourrice, qui demeuroit dans une de leurs terres; ils lui demanderent d'abord des. nouvolles de fon tils: eile repondit en pleurant, que c'etoit le plus m^'hant gar$on de tout le Pais, qu'il laiffoit perdre leur troupeau, & paifoit les purnees ä la ehaffe, ajoutant qu'il auroit ete bien plus propre etre Marquis que Berger. Voudriez vons le changer avec le nötre, lui dit la Marquife? V.ous croyez. rire,reparcitla maligne Bergere, peut-etre v.ous fcroit- & 5 il La Reine il autant d'honneur que le votre; mais faites mieuxv chargez-vous des deux. Pendant ce Dialogue * le jeune chaffeur arriva charge de gibier qu* il prifenta au Marquis, aveenne politeffe dignede fa naiffance. La Marenlife qui erüt le voir dans un miroir en regardant ce jeune homme qui lui reflembloit beaueoup, ne püt retenir plus long-temps les mouvemensde lanature, & l'embraf-fa a plufieurs reprifes les yeux baignez de larmes: Nous parlions, lui ditle Marquis, de faire un echange de vous avec mon fils, en feriez-vous fache? ß cela pouvoit etre, repartitle jeune homme, fans faire tort a Monfieur vötrcfils, je me fens affez de courage pour foütenir un rang fi illuftre: Oüi, continua le Pere f mais c' eil une n^eifüte pour etre Marquis, d'avoir une marque jaune fur le bras gauche; le jeune homme retrouüb auflitöt fa manche & montre fa marque jaune. Le Marquis & fa femme ne pouvant douter de la verite, 1' embrafferent de nouveau; & la nour-rice voyantlcmyfteredecouvert,n*eüt pas la force de foütenir fori impofture, & leur avoüa tout. Ce fut par de femblables actions que la Reine des Fees s' aquit V eftime & la veneration d'une innniteV de peuples. Sa generofite etoit admiree de toutes les Fees, mais il s'en trouvoit fort peu qui vouluflent Pimiter; la plüpart au contraire fe fervoientde leur pouvoir pour faire mille maux afcx hommes, & foit par envie ou par malice, elles s'attachoient d' ordinaire äperfecuter les belles perfonnes, & fur tout les grands Princes; ce qui faifoit beaueoup de peine ä la Reine Meridians, qui auroit bien voulu etre par tout pouryremedier; eileefiaya plufieursfois äleur donner de Phorreur pour le mal, &ä leur infpirerde nobles fentimens, mais cefut inutilement. II y avoit de vieilles boffues qui ne fe nourriffoient que des larmes & des fanglots des Princeffes perlecutees, & & quiauroiont mieuxaimemourirquedecefler leurs malices. Meridiana voyant que la mauvaife habitu-4e avoit pris le defluSj & que la chofe etoit fans recede, des Fies* mede, réfolut enfin. de'fe fervir de fon autorité & du pouvoir niť eile avoit deles interdire de leurs fon-öions de Fee, pour autant de temps qu'elle voudroit; eile les affembla toutes, & leur témoigna le fenfible déplaiíir qu eile avoit, de voirque les Fees qui fe-roient honorées comme des^ Divinitez ü elles s' appli-quoient au bien, ne fongeoient la plupart qu'a tour-menter les perfonnes illuilres; que les hommes étoient afíez malheiireux par la courte vie^ par les maladies, parle manque debiens,&par une infinite d'accidens imprévus qui leur arrivoient journellement, fans que les Fees miffent teilte Jeiir induílrie á les perfécuter, que cela paroiifüit íi injuíle, au'eile avoit réfolu de les interdirepour trois uéc*ies,& deneleur laiffer que laliberté de faire du bien, afinqu* clles euffentletémps de s'appliquer ä des exercicesde vertu, &qiv* ellesfe xofrigeaífent de leur malice invétérée; eile leur or-donna enfuite de fe trouver dans les derniéres années du troifiěme fiécledans la fale du Chateau de Montar* gis, qui étoit grande & fpacieufe, pour lui rendre com-pte des progres, qiť elles auroient fait, promettant de rétablir dans leur fon&ions toutes celles qui fe feroient bien conduites, & qui auroient quelque bonne action pardevers elles. Ce fulminant Arret fit murmurer toutela troupe, mais il fallut obéir; la plůpart des-Fées abandonnérent les montagnes, & fe retirérent prefque toutes dans des vieuxChateaux, oüeiless'a-mufěrentá filer en attendant la fin deleur interdiÓionj & depuis ce temps-la on n'entendit plus parier, ni d'enlevement, ni ď autres femblables vexations que les Fees faifoient; & la memoire s'en feroit perdue* li leurs Contes ne nous fuffent demeurez. La Heine Mendiana toujour appliquée au bien, fit un voyage dans 1'Arabie heureuíe, ď ou eile raporta le Quinquina, la Sauge, & la ßetoüane, & plufrcurs autres herbes qui avoienť ia vertu de prolonger.la vie; elle les planta dans les Pyrenees, oú P onlestrou-ve encore aujourď hui, & drěffa un magnifique Parterre, garni de toute fortele fleursa fur le haut du Pic ifS La Reine. . ' demidi, fans quele temps ait pu detruire cet agreabie Parterre, qni fubififte enenre, *&que tous les curieux yont voir ävecplaifir: Elle s' ättacha enfuite pendant piufieurs annees ä connoitre les eaux cryftalines qiil fortent des Pyrenees; &s'etant apercue que ces eaux avoient piufieurs verius differentes, eile jugea que fi eile pouvoit les faire paffer dans les mines d*or, de plomb&de foulphre qu'il y a dans ces Montagues.^ les eaux prendroient la vertu de ces minerau xv & feroient d'un grand fecours pour le foulagement des hommes;elle examina leurs ionrecs, les fit coulerpat de nouveaux conduits, & les melaii bien, que ces eaux guerifToienttoute forte de maladies; &c' eftauxfoins de cette illüiire Fee qucrföüs devons les eaux de Bag-vires pout les fievres & d*'autre* maladies differentes; eelles de Bareges pour toüte forte de bleflures; celles de Cauteres pour les indigeftions; Aigue-bwne pour les ulceres, &Aigue cnutes pour le Rhumatifmes. Quoi que Meridiana frit bienfaiiänte pour tout le iUoncle* eile avoit une prediieäion particUliere pour fon Pais; & fongeant que laplupart des Rois de ce temps-lä etoient faineants cm imbecilles, eile etoit touched de conipaiiion de voir que les homines etoient gouvernez par de femhlables Princes; P opinion öü eile etoit qüe les gens de fon Pais fe portoient tous au bien, & la connoilTance qu'elle avoit de leurbori eiprit^lui avoit fouvent faßt deiirer, qu* ün Prince de &r«r»pütregner qiielque jour dans le beau Royaume de France; mais comnie eile dtoit ennemie desirijiii ftices, & que cela ne pouvoit fe faire fans detrqncr les Pxois legitimes^ eile differälong-terrfs 1'execution de' ceprojet; enfih eile en trouvaP occafion par le ma-riage d'Antoine de Bourbon^ avec Jeanne d* Albret heridere de Navarre & de Bearni; la Fee difpofa Ii bien les efprits, que P affaire rcüfiit La Pveine aecopeha de quatre enfans differens* qüe la Fee qui avoit de grandes vües abandonna aux deÜineesi ile troüvantpas cju'ils euffent les qualitez neeeffaires pour remplir fon projet; mais enlin la , Reine des feeL ■Heine étaní devemie groffe pour une cinquiémefoíš* la Fée doiia 1* enfant ó? un bon efprit & ď une grande valeur, & fit en forte qu'il fut élevé fgns aucune dé-íicatefíé, tout comme les enfans des particulierš, & ce fut lui qui parvint á la. Couronňe de France pat fon mérite, &peut-.étře aufíi par lesfecoursdelaFéeo Ce Prince eut un fils que la Fée doiia de beaucoújV ďefprit, de valeur&dejuftice; mais ayantoublíé de dotierees deux premiers ďunelongue-vie, & š'ápéř-cevant que les hommes avoient befoin ď exemples qui leur fuífent long-temps préfens poilř les exciťéř á la vertu, elle refolut de réparer cette faute ala premiére oecafion; en effet, elle doiia le filš dé ce dernier Prince de la juftice de fon Pere, de la valeur de fon ayeul, &y ajoúta encore une grande piété, &urie longue vie. Satisfaitě de tant dé bonnéš actions, & fur tout de péufer que les Beařnois qu*elle eftimoit beaucoup* auroient óccafion á Pavenir deřaireqUelque ufagede lcuřtalens &de leur bon dprit, par la faveur des Roís quife trouveroienUeuřs compatriotes, elle voulutef-facer de la mémoire des hommes le fouvenir déš Féeš, & fe retirá dans fa grotte, oú elle clemeura plufieurs années fans fe laiffer voir á perfonnér .11 ne s'en falloit qu'environ deux ans, que les rroi£ fiécles de P interdiction des Fées ne fuffent paíféSj, lorfqne leur Pveine qui lesayoit afílgnées au Chateau de Montargists'aper^ůt qu'il étoit trop en defordre pouť y recevoiť fi bonne compagnie; rtéanmoins comme la fituation dece Chateau eft třés-avantageufej, qu'il y a une Sale fort fpacieiife^upe vůe charmantej, Une grande Forét, & Une belle Riviéře, Meridiaňa dé* fira que P affemblée ý fát tenue, mais ne voulaňt gag fe fervif de fon art pouř le rétabliř, elle fe fouvint que le grand Prince qui en étoit le maítre,tiroit fon originedu voifmage des Pyrenees, & elle étoit infor*^ méc qu* il fcavoit embellir les maifons aveC lámeme facilitéqiťilgagnoitdesbatailles; ellefefervit fořta propos de cette coňnoiffance, & iníinua á ce Prince ú& Tome ííi - L> ářeta* *S8 La Reine retablir le Chateau de Montargis, ce qui fut execute avec autant de diligence, que li les Fées y euffent tra-vaillé,en forte quecette maiíbn abandonnéedepuisplu-fieurs années, fe trouva en fort peu de temps en état ďy loger commodément plufieurs grandes Princef-fes; Meridiana y étant arnvée, toutesles autresFées impatientes de faire lever leur interdiction, s' y ren-direntauffi. La Reineles ayant recues trés-favorablement, leur témoigna la joye qu'elle avoit de les revoir, & tutlá premiére á leur rendre compte de fes occupations {>endant les trois fjécles de leur abfence: famodeítie a fit paffer fuccintement fur tous les biens qu'elle avoit procurez, & eile ne parla que de 1'impatience qu'elle avoit cue de les révoir; perfuadée que cha-* eune de fes foeurs avoit bien fait, &s'étoit conduit© beaucoup mieux qu' eile. La Merlufine ayant fait une profonde reverence^ affura la Pveine qu'elle n'avoit jamais^perdu d*occa-fton de faire du bien á ceux de fa maifori, & a beaucoup d'autres; & quoi qu'elle habitat depuis long-temps les montagnes de Dauphine, eile avoit cédé lis yetraite aux Chartreux,& s'etoit retiree dansle Chateau de Saífenage oů eile faifoit fecrettement tous les biens dont eile étoit capable, fans autre motif que la satisfaction que les ames bien nées trouvent á prati-quer la vertu; la Pveine la traita fort civilement, & aprés lui avoir fait beaucoup d'honneur & d'onnede grandes loüanges, eile leva fon interdiction. Une vieille Fee fort chaífieufe &mal bätie,fepre-fenta devant la Reine, & lui remontra qu'elle s'etoit retiree dans le Chateau de Pierre-encife, oü eile a-voit empéché que les prifonniers ne re^uffent point de lettres de perfonne, & qu'aucun d'eux n'echapät de cetterudeprifon, demandant pour récompeníé que la Reine lui permit de Féer comme eile faitoit autrefois^ la Reine lui répondit que puiique V emploi de Geoliére étoit fifort de fon gout, eile lui ordonneit é§ le continues fans fe jnéler d* autre ehofe: ce juge,* mens des Fees. 15 j ment fut applaudi, & il s' éleva une grande huée con* tre la pauvre vieille» Alors une grande Fée de bonne mine s* avanca vers JaPveine,& lui apprit qu' eile avoit choifi pour fare-traitele Chateau de Moncalier fur le. Po, qu'elle s'é-toit trouvée aux couches ď une Ducheffe qui alloit dé pair avec les Reines, qu'elle avoit doué la petite Princeffe dont eile étoit accouchée de bcaucoup d*e«< fprit, ď une folide vertu, des plus beaux yeux d\i mondeTďunbeauteint, & merne ď une bonne con-duite fort prématurée, parce que des fa naiffance eile ľ avoit deftinéeá occuperleplüs augufte Trônede la Terre, ajoütant que fa connance fir les bonnes qualitez de cette aimable Princeffe, avoit été filoin* qu' elle avoit perfuadé á la Ducheffe fa mere, de la. donner á ľépreuve pendant un an, affurée que plus ©n la connoitroit, on ľ aimeroit toujours davantage, ce qui avoit réuift comme elle ľ avoit dit: La Fee voulut enfuite parier de beaucoup ďautres avanta-ges qu* elle avoit procures á len PaYs; mais la Reine voyant qu' elle entroit dans des details trop déli-cajs, 1 interrompit, & ľaffura que ce qu'elie avoit fait pour la charmante Princeffe dont eile venoit de parier, étoit plus que fufEfant pour meriter qu' elle continuát á Féer avec la méme liberie qu' elle faifoit avant fon interdiction; & pour lui marquer plusfor-tement combien fa conduite lui étoit agréable, eile leva encore en fa faveur ľ interdiction ď une autre Fee de fes amies, qui n'avoit rien fait pour mériteE cette grace. II paru t une autre Fee qui avoit ľ air fort compofé; die aprit á la Reine, qu' elle étoit depuis long-terns retiree au Chateau de Ferrare, qu'elle avoit empéché dans plufieurs occafions les Princes voifins des'en rendre maitres, & que fon zéle pour la Religion ľavou engagée a faire tomber ce beau Duché entre les , mains du Pape; la Reine fans entrcr dans aucun detail, la bláma ď avoir laiffé éteindre la maifon des auciens Dues de Ferrare, & la renvoya. L a Alos« ■ la- Reine Mors il feprefenta une autre F£e quiportoit une toque de velours noir fur fa tete, & dit ä la Reine tju' elle habitoit au Chateau de Bolfu en Flandre, & que pour imiter les bonnes actions fie la Pveine des Fees, eile avoit cru ne pouvoir mieux faire que de purger lemonded'une infinite de libertins; que pour y reülfir eile attiroit tons les .ans aux environs de fon Chateau^ plufieurs miliers d'hommes de toute forte de Nations,&en faifoit perir une bonne partie;la bonne Reine eut horreur de cettegrande cruaute; &lui aiarit reproche la mort deplufieursHeros^ elle lui de-fendit de paroitre famais en fa prefence. Une autre Fee en habit de chaffe fe prefenta de-Irant la Reine, &lui dit qu* elle habitoit dans le Chateau de Fontaine-bleau long-temps avant que Fran-* $ois premier en eüt augmentele batiment, quellea-yoit ete expofee ä une infinite de medifänces3 jufc. ques-la qu'on la failbit paffer pour un phantome, ipus piretexte qu*elle chaffoitquelqiiefoisdans laFo-ret; qu' elle affiiroit Sa Feale Majefte, qu*elle n* avoit Jamais fait de mal ä perfonne, evitant memo de faire peur aux Bergers, & qu*elle avoit eu la fatisfaction de fe trouver aux premieres couches d*unefage Reine, & de doüer fon enfant de toutes les vertus d' un Heros, & fur tout d* une bonte femblable ä celledelfc Reine fa mere, & qu'elle voyoit avec plaifir que ce Prince ne s'^toit jamais dementi en rien, foit que le Koi fon pere V eut mis a la tete de fes Armees, qu' il i'eut appelle dans fes Confeils, ou qu' il 1' eut charge d' autres foins. La Reine qui s* interefföit beaucoujfc au Prince de qui la Fee venoit de parier, leva fon. interdiction, & fit meme fon eloge. Üne autre Fee, qui paroiffoit la fuivantedc celle de Fontainebleau, fe jetta aux pieds de la Reine, & lui aprit qu*elle demeuroit dans le Chateau deCham^ feor, ou elle n* avoit prefque point eu d'occafion de faire ni bien ni mal, que cependant elle avoit toujour? eu bonne volonte, & que ne pouvant mieux faire, elle avoit fouventempeche lesRenards de manner le^ Fais 'äes'Ftek Í6Í< Faifans; elleavoüa méme que la feulé malice qíťeílě eilt jamais faite, étoit de fe préfenter á im chaffeur fous la figure dun Renard, de fe faire tirer pluiieurs^ coups de fuzil, &derevenir fous la méme figure de-manderau malheureux chaffeur, s?ií nT avoií point vij paffer deux defespetits camarades; toute la compa* gnie fe prit ä rire, & la Reine aufíi, íla Fée,pria cependant la Reine de la rétablir dans les prerogatives de Fée; la Reine y confentit, mais eile les borna á faire du mal auxrenards,^ aux loups, aux chats, &atoutes les autres betes qui mangent le gibier. Une autre Fee qui avoit la mine fort fpirituelle, fe prcfenta devant la Reine, & lui dit qu' elle s' étoit retiree au Chateau de Chantitli, ou elleavoit beaucoup contribué ä P education deplufieurs grands Heros; que dans ces dernjers temps elle avoit eu un foin par-iculierd'embellir la maifon &les Jardins, ckqu'elle avoit eu T adreffe ď y attirer une Princeffefi charmante, qíťelle feule fans le fecours des eaux & des Jar-dins fuffifoit pour rendre ce Chateau le plus agréar ble féjour de la terre; la Reine qui aimoit les actions ou il paroiffoit de la vertu & de P indußrie, lui permit de Féer comme autrefois, Une nouvelle Fee fe préfenta avec des habits affez extraordinaires, & dit á la Reine qu'elle habitoitautrefois au Chateau de Heydelberg$qued*autresFees "ennemies de la maifon Palatine5< s' étoient trouvéés aux couches de r£le8;rice,&ayoientdonné plufieurs mauvais forts aux Princes &Princeffes qui en étoient nez; qu'elles'y étoit rencontrée une feule fois par hazard, dans le temps guePEleÖriceaccouchoitd'une PrinceiTe qu'elle avoit doiiée ďune grande vertu, ďun bonefprit, debeaucoup de probité & ďelevation, á* une ame fort noble, qu' elle iťavoit pas méme négligé de lui ordonner de belles dents, & de beaux cheveux; mais cettePrinceffeayant pafíé dans ď autres Etats, &PEle£torat dans des branches éloignées, OŮ elle ne connoiffoit perfonne, elle étoit dam la ré- L 3 folu* La Reine folution de ne retournerplusäPTeydelberg, fuppliant la Pveine de lui affigner un autre Chateau pour fa de-meure,& de lever fon interdiction. La Reine fatisfaite de la bonne foi de la Fee Allemande, la retablitdans fes anciens privileges, & lui affigna le Chateau & la Foret de Montargis pour fa demeure ordinaire. Une autre Fee fort replete fe profterna devant la Reine, &,lui dit qu' eile habitoit au Chateau & dans la Foret a' Amboife, que meme une fois qu' eile fe bai-gnoit dans la Loire, elle avbit empechele naufrage d' un bateau, & que cette action feule meritoit qu* elle fiat retablie dans privileges; mais la Reine qui fe fou-vint que cette F^e avoit eu part ä la Confpiration qui s'etoit tramce autrefois dans le Chateau d'Amboiie,, la renvoya fans vouloir 1' ecouter davantage. La Fee du Chateau de Blois feprefenta devant la Pveine, & lui dit qu'elle avoit eu loin de conferverä Blois le beau langage & la bonne creme> demandant a etreretablie dans les droits; mais la Reine qui feibu-vcnoit qu'elle avoit donne occafion ä tout ce qui s'etoit palTe dans les derniers Etats de Blois, & qui avoit la memoire encore r^cente^ des pernicieux confeils qu'elle avoit infpirez depuis peu ä un grand Prince qui habitoit dans ce Chateau, lui ordonnade travail-ler a perfectionner la creme de Blois, & lui defendit de fe meter jamais d* autre chofe. II fe prefentaune autre Fee affez fimplement ve-tue, qui dit ä la Reine qu'elle etoit une des plus an-ciennes Fees de V Univers; qu* elle habitoit dans le Chateau de Pons en Xaintonge, qif eile V avoit vu avec douleur changer fouvent de maitre, & dans la crainte qu' il ne tombät enfin en de mauvaifes mains, elle en avoit procure la pofTeffion ä un Prince qui n'etoit pas moins recommandablepar fonefprit&par line infinite de bonnes qualitez, que par fa grande naiffance; la Reine en faveur de cette bonne action, permit ä la Fee de continuer äFeer comme autrefois. Une autre Fee s'avan^a qui dit ä la R.eine qu'elle laabltoit ail Chateau d' Epagny en Bourgogne, dont elle des Fees. J6$ It avoit procure la pofieffion a une grarrde Princéffe, qui par ion extreme beauté, par fon air majeftueux, & par fa bonne con-duite, m.ériteit ď étre compare'e ä la Reine des Fees, puifque fa reputation e'toit connue par tout 1' Univers, jufques-lä que des jjenples des extrémiiez de la terre en faifoient lenr Divinité : la Fee demands ď étre rétablie dans fes privileges, & ajoüta méme qu'eile n'avoit" jamais fait ď autre malice, que de ronapre une fois le Pont-lcvis du Chateau, pour y retenir plus long-temps la plus ÄUguile Compagnie dumonde qu'elle y avoit attire'e; laRei-ne tronvaqu' eile étoitde bon gout, & leva fon interdiction. II en parut une autre qui avoit la mine řort farieufe, & qui dit qu'elle habitoit dans le Chateau de Nancy: que c'étoic avec beaucoup de regret qu'elle aveit vu V abience de fon Prince, que fi quelque chofe avoir contribué ä i'en confoler, ť é-toit 1'Alliance qu'il avoit faite avec une Reine d'un fangauga-fte, qui avoit beaucoup de vertu & de piéte'; qu'elle avoit a-bandonné pour quelque temps le Chateau de Na#cy pour fe trouver aux premieres couches de cette Reine, & qu' eile avoir doué ťenřant ďune bonne mine,ďune grande valeur,& d'ane forte inclination de retourner dans fes Etats ; que ee Prince fe trou-vant en äge d' étre maric, eile avoit ii bien conduit fes affaires» qu'ellelui avoit procure une jeune PrinceiTe, qui ne comptoit que des Rois & des Empereurs parmi fes Ayeuls, mais beaucoup moins confiderable par fa haute naiíTance, que par fa do-«ilite, par fon efprit & p*r fes inaniéres noble: Je me fiate, grande Reine, continua la Fée, qu'en faveur de cet illuítre couple, vous me re'tablirez dans ir.es anciens droits, dans 1'af-furance que je vous donne que le premier enfant qui naitra de cet augnfle mariage,*;ne manquera pas ď étre doiié fort§avan-tágeufement. La Keine fe prit a rire, & leva l'.interdidioa de la Fee. II fe préfenta une aurre Fee qui parloit un Francois cor-rompu, & qui dit ä la Reine qu'elle habitoit dans le Chateau de Rifwick, oů eile avoit attiré par fon adrefíe les Ambafíadeurs des plus grands Princes de la ten e, & spies plufieius Conferences les avoit enfin obligez á conclure une bonne Paix. Elle voulut parier enfuite du mérite des Princes de la maifon de Naf-fau, a qui ce Chateau appartient, mais la Reine qui en étoittres-perfuadée, V aífura qu'elle n'aveit pas feefoin ď autres raifous fiour T engager ä lever fon interdi&ion; eile denna de grandes oüanjges ä fon zéle, & non feulement la re'tablit dans loutesfes anciennes fon&ions, mais eile lui accorda la méme grace pour une autre Fe'e, telle qu'il lui plairoit de la choifir. line Fee fort decre'pite parut devant la Reine, ck lui remontra qu'elle habitoit depuis t rés-long temps dans ie Chateau de Laches, oú il ne s' étoit jamais rienpafTé contre le fervice du Prince* qui mijne l«s htigloh ayantaffiégéee Chateau qu'ils croyoieat 164 La Reine des Fees. prendre par famine, & ayant reduits les am'e'gez ä la derniere isst* tremite fame de vivres, eile imita la voix d' un cochon, & fe mit a crier jour & nuit fur les rempats, en forte que les Angloisper-fuadez qn il y a /ok encore de grandes p.rovilions dans le Chateau, leverent le liege} que d'ailleurs eile avoit. ete d'une fi grande delicatefie fur le choix des Gouverneurs de cette place, qti'elie n' y avoit jimais fouffert que des perfonnes d'un grand merke',5c d une probite' connue, fans que daiis ccs derniers temps ou ce Chateau n'avok plus ni garnifon ni fortifications, eile fe fut jamais reläche'e fur la probite du Gouverneur; la Reine qui ai-meit les anions d' honneurla retablk dans tous fes privileges* il fe prefenta une autre Fee qui dit ä laReine qu'.elle habitoit dans le Chateau, de Barcelone, qti'elle avoit toiijonrs aime les belles actions \ que neanmoins, qnelque predilection qu' eile cue .pour fa Patrie, eile avoit cte Ii touchee de 1'extreme valeur de deux Princes qui avoicnt attaqne' fes remparts, qu'elle n' avoit pu ■leur refufer 1' entre'e de fon Chateau; laReine repliqua, quetou-tes les femmes feroient vertueufes fi elles n'.etoient touche'cs du merke de quelqu'un ; que puifqu'eile avoit eu plus d'attention a la valeur de ces deux Hero$ qu' a Ton devoirs-die lui ordonnoit de (brtir du Chateau de Barcelone, & de fe rendre ä celui d' A,* net, ou eltepourroit veiller a. r.embelliffement de cette Mai* fciijliii laiff.int la liberty de fe fervir'de t©us fes anciens Privileges pour cela. La Reine vpuloit Unit la feance, lotfqu'il pärtitüne autre Fee vetue ä la Turque, qui dit qu' eile habitoit depuis long-temps ail. Chateau d,' Adrinople, oü eile avoit fouvent change' la condition .d'une Efelave en celle de Sultane, & que pour fe conformer an caracle. e de la Reine des F nt a- u-la if- ia-ic 11É as čc les pit m "i f. í 2610457056 eorJ books2ebooks.eu www.books2ebooks.eu elektronické knihy získáváte prostřednictvím ^jl^^^j j eBooks on Demand digitalizaci provedla Moravská zemská knihovna v Brně l/l MORAVÁKA ZEMSKÁ KNIHOVNA