eod books2ebooks.eu Aulnoy, Marie-Catherine Le Jumel de Barneville, baronka, Les Contes Des Fees : contenant tous leurs ouvrages en neuf Volumes ; Avec Figures. Par Madame D'Aunoy A Nuremberg : Chez Gabriel Nicolas Raspe, 1762 Moravská zemská knihovna Brno: STl-1248.844,2 elektronické knihy získáváte prostřednictvím I eBooks on Demand digitalizaci provedla Moravská zemská knihovna v Brně MORAVSKÁ ZEMSKÁ KNIHOVNA EOD - milióny knih z katalogů knihoven více než 10 evropských zemí jsou nyní k dispozici jedním kliknutím myši. Děkujeme, že jste si vybrali EOD! V evropských knihovnách jsou uchovávány milióny historických i novověkých knih. Velká část těchto dokumentů může být nyní velmi jednoduše k dispozici v podobě elektronické knihy - eBook. Požadovaný titul si můžete kdykoli objednat prostřednictvím online katalogů knihoven zapojených do projektu EOD (eBooks on Demand - elektronické knihy na požádání). Tištěnou knihu převedeme do digitální podoby a zpřístupníme v elektronické podobě. 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La jeune Princefle fut nominee Imis, fes charmes nai flans prornirent^ desfon enhance, toutes les merveilles que Vont vit briller en e-lle dans un age un pen plus avance. Pvien n'au* roit &6 digne a* eile dans tout l'Univers, fi l'A* niour qui crut etre de ibn honneur de pouvoir a£ fujettir un jour ä fon empire une fi merveilleufe perfonne, n*eut pris foin de faire naitre dans cette meme Cour un Prince auffi charmant, que la Prin-ceffe Imis |tojt aimable. II s^appelloit PhIlax, & il etoit ills d' un-frere du Roi d*Islande; ilavoit deux ans plus que la Princeiie, &c lis furent (sieved enfemble avec toutes les libe-rtez que donnePen, Ä 2 . £anc€ Le Palais fauce & la proximité du fang. Les premiers mou-vemens de leurs coeurs furent donnez kV admiration & á la tendreffe. Iis ne pouvoient rien voir de fi beau qu' eux-mémes, auffi ne trouvoient-ils den ailleurs qui put les détourner ďune paíiion qu' ils ientoient Tun & I*autre, meine fans fcavoir encore comment on la devoit nomracr. Le Koi & la Reine voíoient naítre cet Amour avec plaifir; ils ai-moient le jeune Philax, il étoit Prince deJeur Sang, & jamais un enfant n'avoit donné de ft belles efperances. Tout fembloit ď accord avec 1' a-mour, pour rendre tin jour Philax le plus heu-reux de tous les hommes. La PrinceíTe avoit environ douze ans, quand la Pveine qui r aimoit avcc une tendreffe infinie, voulut coniulter fuj .fa deili-née une Fee, dont la fcience prodigieufefaifbitalors grand bruit. Elle partit pour V aller trouver. Elle mena Imis avec elle, qui dans la douleur de quitter Philax, s1 étonna mille & mille fois gue 1' on put fonger á Pavenir, quand le préfent étoit agiéa-ble. Pniiax demeura auprěs du Pvoi;c£ tousles plaifirs de la Cour ne le eonfoiérent point de 1' ab-fence de la Princeffe. La Reine arriva au Chateau de la Fee, eile y fut magnifityiiement: recue, inais la Fee ne s'y troiiva pas. Elle habitoit ď ordinaire fur le fomrnet d'une montagne á quelaue diilance de fon Chateau, oü elle demeuroit feule, oceupée de ce profond fcavqir qui la rendoit ft célébre par tout le monde. Des qiť elle f$ůt Parrivée d.e )a Reine} elle revint: ia Reine lui préfenta la Princeffe, lui apritfon nom, l'heure de fa naiifance, que la Fee i^avoit auffi bi-cn qu'elle, quoi qifelle n' y eút point été, (maisla Fée de la Montagnef^avoit tout,.) elle prornit a la Reine de lui rendre réponfe dass deux jours, & puis elle retourna fur le fommct de fa Montagne. Au commencement du feeiíi%e jour cíle revint, žit tie- de la Pengeance. defccndre la Reine dans un Jardin^ &lui dönna des Tablettes defeüilles de Palmier bien ferme^es, mais eile lui ordonna de ne les otivrir qu' en ptefeitcc du Roi. La Reine,, pour fatisfaire du moins en qucl-que facon fa curioute, lui fit diverfes queftions fur la fortune de fa filler Grande Reine, lui dit la Fee de la Montague, jene vous fcaurois dire precife-ment de quelle^ efpeee de maltieur la Princeße eft menaced; je vois feulement que V Amour aura beau-coup depart dans les ^venemens de fa vie, & que jamais beauts' n* a fait naitre de fi violentes pafliqns que celles que doit infpirer Imis. 11 ne falloit point etre Fee pour promettre des Amans ä cette Princefle» Ses yeux fembloient de ja exiget* de tous les coeurs 1* Amour que la Feeafluroit que 1'on aurpit pour eile» Cependant Imis, beaucoup moins in-quiete.de fa deftinee que de Pabfence de Philax, s' ämufoit ä cueillir defleurs: mais occupee de fa tcttdreffe & de I' impatience de partir, eile oublia le bouquet qu'elle avoit commence de faire, & jet* ta en revant les fleurs qu'elle avoit d'abord amaiTöes avec plaifir; elle alia rejoindre la Reine, qui di-foit adieu a la Fee de la Montagne. La Fee em-braffa Imis, & la regardant avec V admiration qu* elle meritoit: Puifqu*ilnenV eft pas poflible (dit-elle apres quelque moment d'un nlence^ qui avoit quel-que chofe de mifterieux) piiifqu* il ne in' eft pas poffible, belle PrineefTe, cfe changer en ta fäveür V ordre des deftinees, du rnoins je tächerai de te faire e viter les rualheurs gu' clles te pr£parent. A-pres ces mots eile cucillit elle-meme une touffe de Muguet, & s'adreffant ä la jeune Imis: Portez tou-jours ces fleurs que je vous donne, lui dit-elle, el-les ne fe fletriront jamais; & tant que vous les au-rez fur vous, elles vous garentiront de tous les maux, dont le deftin vous menace. Elle attacha enfuite le bouquet fur la coeffure d* Imis, & les fieurs obeiffant aux intentions de la Fe'e; desqu'el- A $ les 6 Le Palais les furent fur la tete de la PrincefTe, s'ajuft&ent d* elles-meines & formerent line efpece d' aigrette, dont la blancheur fembloit ne fervir qu% ä faire voir que rien ne pouvoit effacer celle du teint de la belle Imis, La Reine partit apres avoir encore remerci^ mille fois la Fie &revint en Islande, ou toute la Cour attendoit avec impatience le retsur de la Prin-cefle. Jamais la jaie ne parut plus brillante & plus &imable que dans les yeux d5 Imis, & de fon A-snant. On n'expHqua qu' au Pvoi le mifUre de?aigrette de Mugmet; elle faifoit un effet fi agreable furies beaux cheveux bruns de la Princeffe, que tout le monde la prit feulement pour un ornement qu' elle avoif choifi cUe-meme dans les Jardins de la Fee. 'La Princeffe parla beaucoup plus ä Philax des chagrins qu'elle avoit fenti en ne le voiant pas, que des maiheurs que lui promettoient les deituies, Fhilax en flit pourtant allanne^ mais la joie dc fe aretrouver 6toit prefente, les maiheurs encore incer-tains, ils les oubli^rent, & s'abandonnerent au doux plaifir de fe revoir, Cependant la Keine ren-dit compte au Röi de fon voltage, & lui donna les Tablettes de la F6e. Le Roi les ouvrit, & y trou^ va ces paroles Writes en lettres d* or, £e deßin pour Imis fius un cfyoir ß4tteura Cache une peine rigourtttfi^ £Se devietedra malbeareufi War It long esurs de fin bonheur. Le Roi & la Reine furent fort affiigez de cet Oracle, & chercb^rent vainement ä le pouvoir ex-pliquer. lis n'en dirent rien a la Princeffe, pour ne lui pas donner une inutile douleur, Un jour que Philax £toit alle ä la Chaffe, ce qui lui arrivoit affez fouvent, Imis fe promenoit feule dans un labyrinths de mirthesj eile ^toit fort trifte, parce qu' elle de la Pcngeance. $uv elle trouvolt que Philax tardoit tropa revering oc elle fe reprochoit nne impatience qu'il ne parta-gcoit pas avecelle; elle etoit occnpee de fa reverie, quand elle ewtendit une voix qui luidit, pour-quoi vous affligez-vous, belle Princeffe? ft Philax n'eft pas affes fen fib le au bonheur d'etre ajme de vous, je viens vous offrir un coeur miile fois plus reconnoifTant, un coeur vivement touche de vos charmcs, & une fortune affez brillantc, pour devoir etre defiree par toute autre que par vous, dont tout le monde doit reconnoitre P empire. La Princeffe fut tres-iurprile d' entendre cette voix, elle croioit etre feule dans le labyrinthe, & comme elle n' avoit point parle, elle s' etonnoit encore plus que cette voix eut repondu a la penfee; elle regar-da antour d' elle, & elle vit paroitre en 1- air un petit liomme monte fur un Hanneton. N'ai'ez point peur, belle Imis, lui dit-il,vous n'avez point d'Amant plus foumis que moi, & quoi que ce foit aujourd' hui la premiere fois que je parois devant vous, il y a long-tems que je vous aime, & que je vous vois tous les jours. Que vous m' etonnez, lui dit la Princeffe! Quoi! vous me voiez tous les jours, & vous fcavez ce que je penfe? Sicelaeft* vous avez du voir qu' il eft jnutile d' avoir de Pa-mour pour mei. Philax a qui j' ai donnc mon coeur efttrop aimable, pour pouvoir ceffer d'en etre le maitre; & quoi que je ne fojs pascontente de lui, je ne Pai jamais tant aime: dites-moi qui vous etes, & ou vous m' avez vue? Je fuis Pagan PEnchan-teur, lVli dit-il, & mon pouvoir s' etend fur tout le monde, hors fur vous. Je vous vis^dans les Jar-dins de la Fee de la Montagne. J'etois^cache dans line des Tulypes que vous cueillites, je pris d' a-bord pour un heureux prefage le hazard qui vous avoit fait choifir la fleur ou j'etois. Je me flattai que vous m'cmporteriez avecvous: mais vous etiez trop occupee du plaifir de penfer a Philax, vous A 4 jet- S Le Palais jettätes les flenrs apr£s les avoir cueillies, & vdlis me laifsätes dans le Jardin, le plus amoureux de tous les hommes. Depüis ce moment, j'ai fenti que rien ne pouvoit me rendre heureux que V efp£-ranee d'etre airri de vous. Penfez ämoi, belle Imis, s* il vous ell poffible. & permettez-moi de vous faire fouvenir quelquefois de mon amour. Apres ces mots il difparut, & la Princeffe retour-ns au Palais, ou la vüe de Philax qu'elle retrouva, difllpa la peur qu* eile avoit cue. Elle avoit tant - d* empreffement de Y entendre le juftifier du long-terns qu'il avoit pa0e ä la Chaffe, qu'elle penfaou-blier de lui conter lbn avanture. Mais enfin clle 3ui aprit ce qui lui venoit d' arriver dans le laby-rinthe des Myrthes. Le jeune Prince malgre lbn courage, craignit un Rival aile" contre lequel il ne pourroit difputer fa Princeffe aux döpens de fa vie. IViais PAigrette du Muguet le raffuroit contre les enchantenieos & la tendreffe qu' Imis avoit pour lui, ne lui permettoit pas de craindre lbn change-ment. Le lendemain de 1* avanture du labyrinthe , 3a Princeffe en s'^veillant, vit voler dans ia cham-bredouze getites Nymphes affiles fur des Mouches ämiel, qui portoieut dans leurs mains de petites Corbeilles d'or. Elles sr appro cherent du lit d'I-mis, la faluerent, & puis alle>ent mettre les Cor-beiUes fur une table de marbre b:anc, qui parut au milieu de la Chambre. Des qu elles Furent pofees, elles devinrent d'une grandeur ordinaire. Les Nymphes apres avoir quitte leuts Corbeilles, faluerent encore Imis, & une d'eritr' elles sfappro-chant de fonlit plus pres que les autres, laiffatom-ber deffus quel que chofe, puis elles s'envolerent. La Princeffe malgre I'^tonnement que lui donnoit un fpe&acle ft nouveau, prit ce que la Nymphe avoit laiffe tomber aupres d'elle, c* 6toit une Eme-raude d' une beauty merveilleufe. Elle s'ouvrit des que la Princeffe y toucha3 elle trouva qu'elle ren- de la Vengeance. p fermoit line feüille de rofe, fur laquelle eile lüt c.cs Vers: Que V Ünivcrs apprtnm avec' etortnement, Du potcvoir de vos ycux les ejfets incroiabltt | Vous me rendez en voits äzmanl Les tourmens meme deßrahles. LaPrinceffe ne pouvoit revenir de fa furprife, enfin eile appella les Dam es qui la fervoient, elles furent auffi £tonnees qu'Imis ä la vüe de la table & des Corbeilles. Le Roi, la Pveine, & Philax äc-coururent au bruit de cette avanture; la Princefle ne fupprima dans ion recit que la Lettre de fon A-mant. C 6toit au feul Philax qu'elle cro'ioit en devoir rendre compte. Les Corbeilles furent examinees avec foin, & elles fe trouverent toutes rem* plies de Pierreries d' une beaute extraordinaire ck d'unfi grand prix, qu'elles redoubleVent encore I* etonnement des Speftateurs. La Princefle n'y voulut point feoucher; & ai'ant trouve un moment oü perfonne ne V ecoutoit, eile s'approcha de Philax } & lui donna V Emeraude & la feüille de rofe. II kit la Lettre de fon Rival avecbeaucoup depei^ ne.^ Imis pour le confoler dechira devant lui la feüille de rofe. Mais que ce facrifice leur coüta eher! 11 fe pafTa quelques jours fans que la Princef-fe entendit parier' de Pagan: Elle crut que fes me-pris pour lui auroient steint fon amour, & Philax le flata de la meme efperance. Ce Prince retourna ä la Chaße comme il avoit accoütume. II s' arreta feul au bord d'une Fontaine pour fe rafraichir. II . avoit fur lui If Emeraude que la Princeffe lui avoit donnee, & fe fouvenant de ce Sacrifice avec plaifir, il la tira de fa poche pour la regard er; mais ä peine Teut-il tenue unmomeut, qu'elle lui echapa des mains, & des qu'elle eut touche" la terre, eile fe A 5 chan- l& Le Palais* changca en un Chariot, Deux Monftres ailez for-tirent de la Fontaine, & s'y attelcrent eux-memes. Philax les regardoit fans peur, car il etoit incapable d' en avoir; mais il ne put s'empccherde Jentir quelque emotion, quand il fe vit transporter dans le Chariot d' Emeraude par une force invisible; & auffi-töt eleve en 1'air ou les Monflres ailez firent voler le Chariot, avec une facility & unerapiditc prodigieufe. Cependant la nuit arriya, &les Chaf-fenfs apres avoir cherche Philax par tout le bois in-utilement, revinrentau Palais, ou ils crurent qifil pourroit etre retourne. Iis ne Fy trouverent pas, & perfonne ne F avoit vu depuis qu' il etoit alle avec eux ä la Chaffe. Le Pvoi ordonna que Fon retour-ndt chercher le Prince. Toute la Cour prit part a ion inquietude; Fon retourna dans le Bois, on cou-rut aux environs, on n'en revintqu' au point du jour, & Fon en revint fans avoir apris aucunes nouvellcs du Prince. Imis avoit paffe la nuit ä fe defefperer de Fabfence de fon Amant, dont elle ne pouvoit comprendre la caufe. Elle etoit alors fur line terraffe du Palais, pour voir revenir ceux qui etoient alle chercher Philax $ & elle fe flatoit dele voir arriver avec eux: mais rien ne peut exprimer Fexces de la douleur dont elle fut faifte, quand elle ne vit point arriver Philax, & qu* on lui dit qu'il avoit etc impolfible d'apprcndre ce qu'ilCtoit devenu. Elle s* evanouit, on F emporta, & une de fes fcmmes qüi s'empreffoit de la mettre au lit, detacha de defius la tete de la Princeffe FAigrett* de Muguet qui la garantiffoit des enchantemens. Des qu' elle fut otee un nuagc obfcurcit la cham-bre, cz Imis difparut. Le Roi &; la R.eine furent au defefpoir de cette perte; & ne purent jamais s* en confoler* La Princeffe en revenant de fon cva-nou'iffement, fe trouva dans une Chambre de Corail de diverfes couleurs, parquetee de nacre de Perles, eiivironnee de Nimphes qui la fervoient avec un pro- de la Vengeance. II profond refpečt EUes étoient belles, & včtuěs ď habits magnifiquěs & galans; ď abord Imis de-manda oú elle étoic. Vous étes dans un lieu ou Ton vous adore, lili dit une des Nymphes. Ne craignez rien, beilc Princeífe, vous v trouverez tout ce que vous<' pouvez deftrer. Philax eít done lei (dit alors la Princeífe avec un mouvement de joie qui parut dans les yeux,) je ne fouhaite que íe bonheur de le revoir. Cell vous fouvenir trop long terns ďun ingrat (dit alors Pagan en fe faifant voir á la Princeífe) & puifque ce Prince vous a quitté, il n'eJt plus digne de V amour que vous a-vez pour lui, joignez le dopit & Jes foins de vótre gloire á la paífion que j' ai pour vous- Régnez a jamais dans ces lieux, belle Frinceífe, vous y trouverez des. richeífes immenfes, <& tous les plaifirs imaginables feront attachez á vos pas. Imis ne répondit au difeours de Pagan que par des larmes. II la quitta de peur ď aigrir fa douleur. Les Nymphes reftérent auprés ďelle^ & effaíérent par leurs foins de la coníbler. On lui fervit un repas magni-fique, elle refufa de manger; mais enfin le lende-main le defír de voir encore Philax la fit réfoudre a vivre. Elle mangea, & íes Nymphes pour diííiper fa douleur la menérent en divers endroits du Palais; il étoit tout báti de coquillages luifans, mélezavec des Pierres précieufes de differentes couleurs; c© qui fáifoit le plus bel effet du monde: tous les meubles en étoient d*or, & d'un travail li mer-veilleux, qu5 on voyoit bien qiťil ne pouvoit venir que de la main des Fées, Les Nymphes aprés avoir fait voir á Imis le Palais, la conduifirent dans des Žardins, dont la beauté ne peut étre reprefentée. lie y trouva un Char fort briliant, attelé de fix Cerfs qu'un Nain conduiíqit. On. la pria ďentrer dans le Char, Imis obéít, les Nymphes s'y affirent á fes pieds: on les mena fur le bord de la Mer , ou une Nymphe apprit á la Princeffe que Pagan rég- ncií r% Le Palais noit dans cette Isle, dont il avoit fait par la force de fon art, le pkis beau lieu de 1'Univers. Un bruit d' inftrumens interrompit le difcours de la Nymphe, tonte la Mer parut couverte de petltes Barques de Corail couleur de feu., remplies de tout ce qui pouvoit eompöfer Unc Fete maritime fort galante. Au milieu des petites Barques il y en avoit line beaucoup plus grande que les autres, fur la-quelle les chiffres d'Imis paroiffoient par tout for-meziavec des Perles, eile etoit train nee par deux Dauphins. Elle s'approcha du rivage. La Prin-ceffe y entra avec ks Nymph es ; des qu* eile y fut, une füperbe Collation parut devant eile, & eile en-ten dit un Concert merveiileux qui fe faifoit dans les Barques qui entouroient la fienne. On n'y chan^ ta que fes loüanges; mais I ails ne fit attention ä ri-en. Elle remonta dans fon Char, & retourna a fon Palais accablee de trifteffe. Le fbir Pagan fe pre-fenta encore devant eile. II la trouva plus infen-fible ä fon amour , qu' ellenelui avoit encore pa-ru; mais il ne fe rebuta point, & fe flata fur la foi de fa conflance. II ignörbit encore qu'en ampur les plus conilans ne font pas toujours les plus lieu-reux; il donnoit chaque jour des Fetes ä la Princef-fe, des divertiffement dijgnes d'attirer 1'admiration de tont le monde, excepte de celle pour qui on les inventoit Imis n'etoit touchee que de F ab fence de fon Amant. Cependant ce malheureux Prince avoit tpe conduit par les Monftres ailez dans une Foret, dont Pagan etoit le maitre. Elle s'appelloit la Foret trifte. Des que Philax y fut arrive, le Chariot d* Emeraude 6l les Monftres difparurent Le Prince furpris de cette avanture, appella tout fon courage ä fon fecours, & c* etoit le leul fccours fur lequel il pouvoit compter dans ce lieu-lä. II parcourut d'abcrd quelques routes de la Foret, elle etoit affreufe, & le Solcil a' en penetroit jamais r obfcurite. tin' y trouva perfonne, pasj memedes de la Vengeance. Animaux cT aucune cfpece; il fembloit que les A-nimaux meme euffent de V horreur pour un fi trifle fejour. Philax fm vecut des fruits fauvages qu'ily trouva. II paffoit les jours dans une douleur mor-telle. L'abfence de la Princefle le mettoit au deie-fpoir, & quelquefois avec fon ep^e qui lui etoit de* meuree, s'amufoit a graver le nom d'lmis fur des tendre; mais quand on aime veritaolement, on fait quelquefois fervir a V amour les chofes du monde qui lui paroiffent le plus contraires. Cependant le Prince avancoit tousles jours dans la Foret, & 11 y avoit environ un an qu'il Phabitoit, lors qu'u-ne nuit il entendit des voix plaintives, dont il ne put diftinguer les paroles. Quelques effraiantes que duflent etre ces plaintes pendant la nuit, & dans un lieu ou le Prince n'avoit jamais vu perfonne, le deiir de if etre plus feul K & de trouver du moins des malheureux comme lui, avec qui il put fe plaindre de fes infortunes, lui fit attendrele jour avec impatience, pour ehere Collation fous un Pavilion de gaze d^ argent relevé également avec des cordons de perles. 11 étójt tout ouvert du cóté qui regardoit la Mer qui bornoit la Forét dans cet endroit-lá, ck il étoit éciáiré par un grand nombre de luílres dediamans brillans.,, qui jettoient une lumiére peu dhTerente deVelle du Soleil, Ge fut á cette clarté que les, Jsfymphes de la Cour de Raviffante lui firent remar-quer une Infcription qui étoit a 1* entrée du Pavilion , écrite en lettres ď* or fur un rubis d'ime grandeur prodigieufe, & qui étoit foůtenuě par douz§ petits Amours qui s' envolerent ? dés que la'Prin-éeífe eut qui lire cette ínfcription, qui contenoit ees Vers; En quclquc lieu de ť Univers % Ok, vos beauxyettx fajfent porter des férsy Vous ne fáauriez trouver un cceur aujfifidelity Que celui qui pour vous hrule dans ces defirts | JSiais pour vous ajfurer une gloire immqrteUe , £í voir le monde entier aux p.ieds de vos Autels ^ fržnceffe} nous aUons publier aux mortals^ Gombien vous éíes belle. La féte contínuoit, & le Prince Ariílon avoit du isaoins le plaifir ď ocaiper le Joifir de la Princeffe* b 5 f $6 Le Prince s' II ne poiivoit occuper ion coeurr Mais il fut ptu ve de ce pläifir par un fpe&acle furprenant qui pa-rut de loin fur ia Mer, &i qui attira la curiofite & F attention de Raviffante, & de toute fa Cour; ce que Ton voiolt s'approcha, & Ton diftingua que c'etoitun Berceau forme de Mirth es & de Lauriers melez enfemble, ferme de toys cotez, & qu' 1111 iiombre infini de poiffonsaiiez pouffoiencavec beau-* coüp de rapidite, Ce fpeBacle fut d' autant plus siouvcau pour Raviffante, qu' eile n* avoit jamais rien vu de la couleur de ce Bprceau. La Fee aiant pr^vu que cette couleur devoit caufer quelque mal-lieur au Prince fon neveu, .1' avoit abfoiument ban-. nie de ion Isle. La Princeffe defiroit avec une im-i patience qui parut un mauvais ^prefage ä Ariitor* pour fon amour, que ce qu'eile voi'oit s'approehat; davantage^ eile n* eut pas Ion£-terns ä le fouliaiter, car les poiffons ailez poyfferent le Berceau en pei$ de momens jufqu' au pied du rocher oü üs s^arrete-rent, & redoublerent Pattention de lajeune Prin^ ceffe & de toute fa Cour. Le Berceau s* ouvrit^ & il fortit un feune honu me d'une beaute merveilleufe, qui paroiffoit feize ©u dix-fept ans. II n'etoithabille que de quelques branches de Myrthes entrelaffees avec une ecbarpe de rofes de diiterentes couleurs, Ce bei inconnu eprouva un etonnement pareil a celui qu*il caufoit; la beaute de Pvaviffante ne iui laiffa pas la liberte de s* amufer ä regarder le refte du fpe&acle * dont V bclat P avoit attire d'affezloin jufques ä ce rocher^ il s'approcha de la Princeffe avec une grace qu'elle n'avoit jamais vue qu/en elle-meme; Je fuisfi iiir-pris, lui dit-il, de ce que je trouve fur ces bords^ que j*ai perdu meme la liberty de pouvoir expri-mer mon etonnement; eft-il poifible, continua-t-ii, qu*une D^effe comme vous n'ait pas des Temples pr tout V Univers ? Par quels chafmes ? par quels pro* des Feüüks. prodiges étes-vous encore inconnue aux mortels? Je ne fuis point une Déeffe, dit Raviffante cn rougif-fant, je fuis une Princefle infortunée, élqignée de? Etats du Pvoi fon pere, pour_ éviter je ne icai quel malheur que Y on aífure qui m' a été pre Jit des i'inftant de ma naiffance. Vous me paroiííez bien, plus rédoutable, reprit le bel inconnu, que ces Aftres qui pourroient avoir attache quelque fatale influence fur vos beaux jours; & de quel malheur ne doit pas triompher une beaut é fi parfaite? je fens qu' eile peut toutvaincre, ajoúta-t-il en foüpirant, puifqu' eile a vaincu en un moment un creur que je -m* étois flaté de conferver toújours inierifible: mais, Madame, continua-t-il, fans lui donn er le terns derépondre, il faut malgré moi que je m'eloigns de ces lieux charmans ou je vous vois, & ou je vi-ens de perdre mon repos, j5 y reviendrai bien-töt fi 1 Amour m'eft favorable; apres ces mots il rentra dans le Berceau, & en peu de terns on le perdit de vúe. Cependant le Prince Ariilon demeura fi interdifc & fi am%é de cette avanture, qu'il n'eut pas ď a-bord la force de parier; il lui arrivoit un Rival par un événément auffi furprenant qu' imprévů: ce Rival ne lui avoit paru que trop aimable, & il luifenv bloit qu'ii ävoit remarqiié dans les^ beaux yeux de la princefíe s pendant que V inconnu lui parloiť, une Ian-gueur qu'il y avoit tou jours defrrée, & que jufqu'alors il n y avoiťjamais viie. Tranfporté ďun defeipoir qu iln'ofoit faire eelater, il ramena Pvavifíante au Palais, ou eile paílaune partie tíela nuit occupíede fon agréable avanture, ďont eile fe fit redire autant de fois les circoníbnces paries Nymphes de fa Cour, que ü eile n'y eůt pas été prefente elle»méme; Pour Je Prince Arifton il alla eonfulter le fcavoir de la fee pour chercher á oppofer quelque fecret ä la vi-©leňte öouleuj dont il étoit tourmenté; mais eile Le Prince iť en avoit point contre le jaloufie, & 1* on dít mé-me que depuis on nven a pas encore trouvé, Le Prince & la Fee redoubl^rent alors leurs enchante-mens, pour défendre L entrée du Rocher a cet InT conu fi redoutable, qu' ils prenoient pour un En.* chanteur • ils entourérent Tlsle de Monirres affreux,. qui oocupérent un grand eípace fur la Mer, & qui animez de leur propre fureur, & de la force des charmes, fernbloient affurer i\rifcon <$£ la Fee, qu'il feroit impoffible de leur óter cette belle Princeffe qu* ils vouloient garden avec tant de fouu RaviA iante fentit plus vivement le pouvoir des charmes, du bel Inconnn , par la douleur gue lui firent éprou-. ver les. obítacles que Ton avoit mis á ion retour dans flsle, elle refolitf du moins de sren venger fur le Prince Ariíton; elle commenca de le hair, & ce n étoit que trop bien aiTurer fa vengeance Ariilon ne pouvoit ft cbnfoler 4*avoir attiré la haine de Ra-viflante par une paffion qui lui paroiíToit devoir produire un effet tout contraire- La Princeffs fa plaignoit en fecret de foubli de linconnu, il lui iembloit que r amour devoit dé}a lui avoir fait tenir la promefle qu'il lui avoit faite derevenir, &quel-quefois auffi elle ceffoit de defirer fon retour par le fouvenir des perils, par lefquels la Fee & Ariilon avoient defendu i approche de V Isle,. Un jour qu' elle étoit occupée de ce diverfes reflexions, & qu'elle fe promenoit feule fur 3e bord de la Mer, car Ariffon n'ofoit plus la fuivre comme il faifoit auparavant, & la Princeffe r-efufoit méme devoir les fétes dont on avoit accoútumé de la divertir; eU le arrivoit dans ce méme endroit que Pavanture de Pinconnu lui rendoit fi reconnoiffable, quand elle. vit un Arbre fur la Mer ď une beaute extraorfclinai-* re qui voguoit vers le Rocher; cette couleur qui §toit celle du Berceau de myrthe de Tlnconnu, lui donna d'; abord de la jole; TArbre s approcha du tinner, & les Monftres voulurent lui défendre le Ůtš Feüilles. vo jpáffage: mais un petit vent agita les feüilles de í'Arbre, & en aiant difperfé quelques unes contre les Monílres, ils céderent á des armes fi legeres & li pen dangeŕeuŕes, lis í e rangérent merne en cercle avec uně efpece de reípect autouŕ deľarbre" íqtii ápprochadu rocheť fans rencöntret ďautres ob-ftacles, & s'ouvrit: & ľinconnu patu t dedans äífis fur ün. petit Tróne de verdure, il fe leva avec precipitation ä la vůe de ívaviíľante, &lui paria aveč tant d eíprit & tant ď aiiiour qu'aprés qíťelie lul eut appris en peil de mots quelle étoit fa fortune, eile ne lui put caclieŕ qU'elle étoit touchée de fon, retour^ & méme de fa tendreffe; mais, lui dit-elle, eít-il juíle que vous fcachiež les íentimeňs que vous m' inípirež availt que ie ícache feulemertt le nom de celui qiii les a fát t iiaítré | Je n' ai point eu le def-fein de vous caeher foa naiffancé * répondit le charmant incónnii, mais auptěs de vous on ne peut parier que de vous-méme, cependant puifque vous le voulež je vais vous obéi'r, ěň vous apprenant que je m'appelielePrince des Feüilles, je Ms ün filš du Printemps, & d*üne Nimphe de la Mer parente d*Amphitrite j. c'eil ce qüi me fait étendře mon pou-voir jüfques fur les eaux, mon Empire eft dans toüs les iieüx dě la terre qüi reconnoiffent le Printemps y mais f habite prefque .töüjours. dans line Isle foťtunée oú ne régile jamais que ľaimable Saifon. que mon pere a accoútumé de donner. L*air y eíl toújours pur j les champs y foňt toůjours fleuris, le Soleil ne lui fait point fenfeir- fes ardeurs, il ne i'approche que poür ľéclairer^ la nuit en eít ban-nie, & c* eft ce qui le fait appeller ľ Isle du Jour* eile eil habitée par ün Peupie auffi galand que le Climat eíl fagréable, c' eil en ces lieux oü je vöüs offre un Empire doux & trailquille,; & ou VOus r^gnerez encore plus lbuverainemant fur mon coSur que fur tout le refte; mais il faudroit belle Princef-fe, continua-t-il confentir a vous laiffer enlever de m Le Prince ce rbcher ou Ton vous retient daris un veritable-efclavage, quelques honnetir que Ton vous y ren-de pour le diguifer. Raviilante lie put fe refolidre & fuivre le Prince des Feuilles dans fon Empire $ irialgre la crainte quelle avoit du pouvoir de la Fee & les Confeils de fon amour, elle fa flafeoit que fa fconftance a refufer les vceux d' Ariiton, le refou-droit peut-etre aceffer de Yaimer, & que la Fee la rendroit au lioi fon pere, dont le Prince des Fetiilles pourroit 1'obtenir.. Mais je voudrois du moins, lui dit-elle, pouvoir vous ntander ce qui fe paffera dans cette Isle, & Je ne fjja'i comment ce que je veux^ pourra devenir poiiib'le: car tout m'efl: fufpe£ticy. Je vais done,, dit le Prince des Feuilles^ Vous lailfer des Sujets d'ltn Prince de mes amis^ qui demeureront toujours aupres de volts, & par cmi vous pourrez me donner fouvent de vos hou-yelles, foiive'nez-vous fcatlement^ belle Princefej de P impatience avec laquelle je les attens: apres ces tnots il s'appfocha de PArbr'e qui Pavoit apporte^ & en ayant touche quelques feuilles il en fortit. deux Papillons, Pun couleur de feu & blanc, pourneplus g-norer, eile priä le Papillon jaune de íui apprendťe tout ce qui poiivoit contribUer ä äugmenter & ä Hater ifon eípérance i eile ie fit ňiettre fur une petite Gorbeille de fleurs qiť eile appörta für tine table äußres ď eile j & íe Papillon qui fe faifoit un honneur de lui plaire^ eommenca ainfi fort recit* Äüpres de ť Islé dli Joüf oü régrie íe Prince ďes feüilles, il y en a une autre plus petite, mais auÖi agréabíe; la terře j. eft tou jours cOn verte de fleurs. ^ & Ton affure que ďeft line grace que Flote a fait ä nötre terre, pour immortalifeř lá n é noire des joučs heureux oú eile y venoit troüver Zephiř; car 1' on tient que c'etoit dans nofre isle qu'itsje voioient^ quand leur amour étoit encore feerettě & nouvellě: eile s'appelle I* Isle des papulous; les hábitans if en font pas de la figure que vous mé voiež, ce font de petits hommes ailež, fort foils, fort galans, trés-amoureux, ar la del>ru£Uon d§ fon Ifle, le Prince des Papii-ons fatisfa.it d1 avoir rendu au Prince des Feiiilles. un fervice femblable a eelui qu' il avoit rec;n de lui^ conduifit en volant la belle Kaviffante jufques dans un Vaiifeau de jones ornez de guirlandes. de rleurs. ou le Prince des Feyilles f attendoit avec toute 1'im-patience qu'un violent amour peut caufer, L'on ne f^auroit exprimer le plaiiir qu'il reffentit en volant arriver la Princeffe; jamais la joie & 1'amour ne parurent plus vivement^ qu£ dans le cceur & dans les diicours de ce Princeil &t voguer en diligence, vers llfle da jour, le Prince des Papilknis s'envo-la pour rejoindre plutot Taimable Princelfe des Li-nottes; r\aviffante envoia deux Papillons au Roi ion pere, pour lui apprendre quelle avoit ete fa fortune;; le Son Roi en lolia les deftinees, & le rendit en peu de terns dans FIfte du Jour, ou le Prince des Feiiiljes & la belle Pvaviffante regnerent avec toute la felicite imaginable, & furent toiijours heureux, parce qii'ils ne ceflerent jamais d'etre amoureux & fideles,/ ^u' on doit porter d*envie au firt de Raviffante y Par urn ardenr vive conftante VAmom r des Feuilles, - jjj & Amour lui prodigua Jet tr&fbrs pre'eieux % Pour en pouwair jouir comme elle y Hdas t que V on fercit beureux , it fuffifoit £ fore ficklk. LE BGNHEUR DES MOINEAUX, CONTE* ^tie e*eft un deflin rigoureux Be ri avoir point de biens durahles h ■ Tous les plaijirs font courts., autant qu* Us font aimablcs^ Pe deux Amans Amour combloit les uceux, lis goutoient les douceurs d? un ji cbarmant myflere Bans leurs jeunejfe , Us 4toient amoureux % Us faifoient tous Uurs Joins de chercber d fe plaire ^ He / que faut il de plus pour etre beureux ? On voioit d r envi croitre de ft beaux feux $ Mais^ btlas! par malheur, pottr eux% Lajeune Iris &voit cncor fa meret ggti.pour mieux V arracber d V objct de fts voeux% Lui [fit £ un prompt dip art unt-loi neceffaire> Tout ce que ptut V Amour au defe/poir * i %>Ans cts. Undres Amms vivewent fe fit- v-oin L'beureufe Jri $ partit; rnais cofnmmt peut-on fatru Pour foütenir de tels malheurs ? Síle alloit cbaefuejour dam un Bois folitajrc^ Entretenir les prejfantes douleurs 6}ue ton reßbzt en perdant ee on aimt^ il rí efi point de touvment, tpi coü$e tant de pleum% Unjour aprés avoir ředit fa pýnt extréme Aux Arbres, au« Ruißeaux , aux Echos £ alentour Sile vit deux Moineaux, cent fais plus, beureux qu'elfe gut fuiuoitnt übrement ks tran/ports de V amourX }iela$! pitits Qifiaux , dit-dle^ Fuiez , fuiez un ß cruel fijour, On troubltroit bien tbt ups ardeur-s mütudles* St par malheur ma měre en étoit le témoin^ Vous kes amoureux, paßiwnez^ fidcles; Helas! eile envdiroit un de votts deux bim loin^ UHEUREUSE PEINE* CONTE. L flit autrefois un grand Pvoi, qui devint eperdu* ment amoureux d'une belle Pnnceffe de fa Cour; desqu'il I'aima, il lui parla de fa tendreffe, les Jlois ont d'autres privileges que les vulgajres Amans. La Pnnceffe ne s'offenfa point d'un Amour, qui pou- . voit 87 Peine. AS Voit la placer fur le Tróne, trials eile pariit toüjours auffi fage au Roi, qu'il la trouvoit charmante,' íl ľ époufa, la nôce fe fit avec une magnificence iiicro* i'able, cá.ce qui I eft encore bien davantage, c'eft qu'il fut Eponx fans ceffer ďétre Amant. Le bo.ii-heur ďun f» doux Hymenée ne fut trouble que par latľiíleťíe de n* avoir point cľ.enfans pour fuccédeŕ á leur bonheur4 & ä leur Roíaume. Le Roí pouč pouvoir du moins jouir de la douceur de ľeípéran-ce> fe réiblut-ďaller confulter une Fee* qu'il cro-Xoit fort de fes amies 3 eile s'äppelloit Formidable, mais eile ne í avoit pas toüjours été pour le Roi, on dit méme qtie Ton trouvoit encore dans de viéux Recueils de ce Pais-la des vau- de-villes qui difoient beaucoup de fes nouvelles, tant les Poetps ont été téméraires de tout temps, car la Fée étoit fort re- , fpečlée , & paroiffoit fi farouche, qu'il n' étoit prel-que pas poffible de s'imaginer qu'elle eüt reíľenti le pouvoiŕ de ľ amour § mais oú font les coeurs qui lui échapent? Le Roi quiavqit toüjours été Galand, <& qui avoit beaucoup ďefprit, n' ignoroit pas que les apparenees font fouvent trompeufes. 11 trouva ■Formidable dans unßois oú il étoit allé á läChaíľe$ eile parut ä fes yeux fous une figure fi gracieufe, & avec un air fi charmant, que le Roi ne douta pas un moment qu'elle ne voulut plaire. Rarement on fait briller tant de charmes fans intention. Le Roi"ľ äi-ma. ^ Laíée trouva plus de plaiíir á étre aimée qu*á 4inipirer toüjours de la terreur; cette tendŕefíedura quelques années, mais un jour qiťelle comptoit fur le coeur defon Amant, comme fur un bieft qui ne j)ouvoit ceffer ďétre ä eile, eile fe laiffa voir au Roi fous fa veritable figure, Elle n'étóit plus jeune, eile n'avoit guéres de beauté; eile fe repentit par 1$ trouble quJ eile rémarqua fur le vifage du Roi, devoir eu trop de confiance en elle-mémé, & eile re-connut peu aprés que les fentimens du coeur, quelques tendr es qu'ils puiíľent étre, nepeuventtoucher,, & m 4-6 V beureufe & lie fcauroient rehdre 1'amour heureuxV s'ils ne font lbütenus par une figure aimable, Le Roi fut fiontcux de n'avoir ete amoureux que d'urie belle idee. 11 cefifa d'aimer la Fee, & conferva feulement i)our eile des egards^ &dc la deference. Formidab-e par unegloire qui lui etoit naturelle feignit fibien d*etre contente de l'ämitie du Pvoh qu'elie le per-fuada qu*elle etoit la meilleure de ies amies; eile fut meme ä ianöce, comme ies autres Fees du Pais qui en furent prices, pour ne pas doiiner ä penfer par un refus £clatant, quelle eüt lieu d'etre fäehee de ce mariage» Lfe Roi comptarit done fur l'arhitie' de fon ancieil-ne Maitreffe, 1'alia trouver dans fa demeure: e'e-toitun Palais de marbre couleur de feu au milieu d'une vafte Foret L bn y arrivoit par une avenue dune longueur prodigieuie^ eile etoit bordee des deux cötez par cent Lions couleur de feu. Formidable n'aimoit que cette couleur, dk eile avoit fee ainfi tous les animaux qui naiifoient dans fa Foret; au bout de Yavenue, on trouvoit une grande Place carree$ oCt une troupe de Mores vetus de couleur de feu & or, magnifiquernent armez, failbieiit uie garde perpetuelle. Lc Roi traverfa feul la Foretj ll en fc^avoit les chemins ä merveille, il traverfa meme 1'avenue des Lions fans danger; car il leur jctta en entrant des renoncules que la Fee lui avoit donnees autrefois poUr traverfefc ce'pafTage, fans craindre ces redoutables Lions; des que le F^oi leur eut jette ces belles ileürs ils devinrent doux & pai-fibles. II fe trouva enfin a la garde des Mores, ils tournerent d'abord leurs fleejKes contre lui: mais le Roi'leur jettant des fleurs de grenades qu'il teiioit auifi de la Fe* comme les renoncules, les Mores tt-rerent en 1'air leurs Heches, & fe rangerent en haye* .pour le laiffer paffer; il entra dans le Palais de Formidable, ©lie etoit dans un Sallon affile fur un Tfo- ■Peine. ' 47 fre de rubíš au milieu de doužé Mpreffes vétuěs de gáze, couleur de feu & or, fon habit etoit pareil aux leurs, & ií couveřt depierreries,quvelle brilloit comme leSoleil, maisělle n'en étoitpas plusbelle; leRoiře* garda, & écouta quelques momensavant que d'entrée dans le Sallon^il y avoit auprés delaFée quantké děLi-vres fur une Table de marbre rouge; il vit qu'clle en prenoit un, & continuoit ďínftruire les Moreííeš de ces leerets qui rěndent les Fées fi redoutables, mais Formidable ne leur apprenoit que eeux q'Ut font contraires au repos, & au bonheut des hommes* Elle fe gardoiťbien de leureníeigneř ceux qui peu-vent contnbuer á leur felicite. Le Roi en fentit dé la haine pour la Fee; & entrant dans Je Sállon^ in-terrompit ceťte fatale lecon, & furprit Formidable pat fon arrivée; mais fe remettant, dans le moment méme, elle renvoia ces Moreífes, regardant leRoi avec uň air de fierté & de colěre: Que venez vous chercher ici, lui dit-elle, Prince inconílant? Pour-quoi pař vótre odieule préfence venez-vous troubleř encore le repos dont je táche de jpuir ici? Le Roi fut tout furpris ďun difeours qu'il n'attendoit pas, & la Fée ouvrant un de fes livres, je voi bién ce que vous voulez^ continua-t-elle? Qui, vous auře2 une fille de cette Princefie, que vous nťavez préfe-rée li injuílement; mais ne croíez pas étre toújouřs řieureux, il eft terns qiie je me vange. La fille que vous dévez avoir fera autant haíe de tout le monde, que je vous ai autrefois aimé. Le Roi fit tout ce qu'il lui fut poíiible pour adeucír la eolére de la Fée; mais ce fut inutilement, la haine avoit iuccédé á V amour, & c' étoit V amour feul qui pou-vok attendrir la Fée, car la pitié & la générolité ■étoient des fentimens quelle ne connoiffoit point Elle ordonna řjéremsnt au Roi de fortiř de fon Palais^ & ouvrant une voliéře, il en fortit un Pefroqiiet couleur de feu. §uivez cet Oifeau > dit-elle au Roi, & řendez graces á ma bonté3 qui ne vous livre pas .á la ĽJseufeufčé la fiireur de m es Lions & de rrí'es Gardes. , íľOifeaíi vola. Le Pvoi le fuivít* & par un chemin qui lui 'étoit inconnu,- &beaucoup plus eourt que celui qu'il eonnoifíbít, il fut conduit dans íbn Roi'aume. La Keine qui letrouva ä ion retour ď une triííeffe extréme , lui en demanda tant le fujet, que le Kol luí aprit la cruelle prediction de la Fée, fans toutefois lui apprendre tout ce qui s'étoit paffe autrefois en-tr'eux, pour ne pas attirer de nouveaux malheurs fur la belie Reine* Cette ieune Princefíe fcavoit qu'une Fée ne peut pas empécher abfolument cq qu'uae defes pareilles a préait, mais qu'elle peut adoucir les peines qtíi ont éié ordonnées* J'irai$ dit la Pveine, trouveŕ Lumineuíé^ Souverame de ľEmpire heureux; e'eíl une Fée célébre qui fe plaít á protéger les malheureux. Elle eft ma parcnte* ellem'a toújours favorifée; <& eile nťavoit mém e prédit la fortune ou P Amour me devoit faire parvenu*. Le Roi approuva fort le volage de la Reine ^ &iien eípéra.beaucoup, fori equipage étant prét3 eile fut chercher -Lumineufe^ eile portoit ee nom^ parce que fa beau té étoit li briliante, quvá peine en pouvoit-on foútenir Péclat, & la grandeur de íbn ame répondoit parfaitement á fa beau.té; la Reine arriva dans une vaíle campagne,- & apercút de fort loin une grande Tour; mais quoi qu? on la vit de loin, il y avoit bien des détours pour y ar river. Elle étoit de marbre blane, eile ď avoit point de porte, les fenétres faites en arcades etoient.de cri« lial, une belle riviére, dont les qndes paroiffoient ď argent; battoit íe pied de la Tour.- Elle totiŕnoit neuf fois a Pentour. La Reine avec toute la Cour arriva au borci de ľeau, qui commenc.oit lá le premier cercle qif eile faifoit autour de la demeure dela1 Fée. La Reine la paffa fur un Pont de Pavots blancsy que le pouvoir de Lumineufe avoit rendu auíS fur & äuffi durable, que s' il cut été báti ď airain ; quo! qu'il ne füt que de fleurs4 il ne laifíbit pas d'etre ŕedouk Peine. 49 frcdoutable; II äyoit le pouvoir ď endbrmir pour fept aus eeux qui le paffoient contre la -volonte de la Féě. La Keine appercut au dé lá du Pont fix jeunes frommes magnifiquement vétus endormis für děs Tits de gazori fous des Pavillons de feüillage. Cétoient des Princesamoureux de la Fee; & eom-jme eile ne voulojt point entendre parier de PAmour, eile ne leur avoit pas permis de paifer plus loin. La Heine apres avoir paffe lePoht, fe trouva dans le prem;er efpac'e qüe la Pviviére laiffoit libre; il étoit oceupé par un Labyrinthe charmant, tout de Jafmins & de Lauriers-Fvofes, il in* y en avoit que de blancs, car c' étoit la couleur qu' aimoit Lumineufe. Aprés avoir admiré cette belle promenade^ & en avoir démélé facilement les détours qui h'é-toient embarraffans que poiir ceiix que Taimable Lumineufe ne vouloit pas qu'ils pufTent ehtrer dans fon agréable demcure, la Pvéine repaffa la Riviere, fur un Pont ďAnemones blanches, elle faifoit en eet endroit fon fecoiid tour, & l'efpace qu*elle laiffoit íibre avanť que de faire fon troifiéme cercle, étoit očcupé par une Forét ď Aeaciatš toůjours fleu-ris, lés routes en étoient charmantes & ii fombres, qUe le Soleil ne le potivoit pénétrer: on y voióiť de tendres Colombes, doht les plumeš pouvbient faire honte á la neige; tons les arbres, étoient cou-verts ďnii nombre infini de Serains blancs qui fai-Foient des concerts agřéables, Lumineufe ďun coup de baguette leur avoit apris les plus beaux & les plus aimables chants du monde. On fortoit de cette belle Forět par uri Pont de Tuběreufes, & Ton entroit dans une belle Campagne toute couverte ď Arbres chargez de fi beaux fruits^ & fi clelicieux, que le řnoihdre Ařbře de ce lieu-lá faifoit honte aůx fameux Jardiřis des Kefpe-rides, Cependant la Reine troiivoit touš leS loirs les plus belles tentes du monde 3 & dě magniíiques ■ fwizíí. í) repas jo Ľheureufe repas fe trouvoient fervis dés qvľ eile arrivoit, fans" que ľ on vit aueun defes Officiers fi diligens & fi habiles; la Fee qui avoit apris dans les livres 1 arri-vée de la Reine prenoitíbin de fon voi'age, eile ne vouloit pas méme qu'elle pút étre fatiguée un mo* ment. La Reine pour íbrtir de eetle merveilleufe Campagne paffa la Riviére fur un Pont d'Oeillets blancs, & entradans le Pare dela Fée. II étoit auífi beau que tout le refte, la Fée y venok chaffer quel-quefois, il étoitrempli ď un nombre infini de Cerfs & de Biches blanches, & ď autres Animaux de la méme couleur; une meute de "^evrons blancs étoit difperfée dans ce Pare,' & couchée fur ľ herbe avec des Biches & des Lapins blancs, & ď autres Animaux qui ď ordinaire font fauvages: mais iis ne ľ é-toient point en ce lieu-la, ľ Art de la Fée les avoit apprivoifez, &quand les Chiens chaíľoient quelque bete pour amufer Lumineufe, il fembloit qiťils euf-fent compris que ace n'étoit qu^un jeu, car ils fai-ibient tout ce cm'ils devoient faire, excepté qu'ils ne fe faifoient jamais de mah En celieu, la Pvivié-re faiíbit fon chiquiéme cercle autour de la demeure de la Fée. La Reine pour fortir du Pare, la paffa fur un Pont de petits Jafmins, & fe trouva dans un Hameau charmant. Toutes les petites cabanes y étoient bäties ď Albátre, les habitans de cetaimable lieu étoient fujets de la Fée; ils gardoient fes trou-peaux, leurs habits étoient de gaze ď argent; ils é-toient couronnez de guirlandes defleurs, & leurs Houlettes étoient toutes brillantes de pierťeries; tous les Moutons étoient ď une blancheur íufpré-nante; toutes les Bergeres étoient jeunes & belies, & Lumineufe aimoit trop la couleur blanche, poür avoir qublié de leur faire un teint fibeau5 qu'il fembloit que le Soleil méme aidät ale ťendre plus éclatant; tous les Bergers étoient aimables, & le défaut qu* on pouvoit trouver dans ceť agréable Pais, c1 eft qu'il n'y avoit pas une feule beauté brülle; Peine. % i he; les Bergéres furent tecevoirla Pveiné, & lui préfentéŕent ä eš Väfes de porcelaine, ŕemplis des plus belles fretiŕš du mpnde. la Reine & toute fá Couŕ étoiént chaŕmez ďun voíagefi galant, <& cetté Princeífe en tiŕoit u n héureux préLge pour cé quelle defiroit de la Fée. Comraé eile íe mettoit en chemin pour foŕtir du Haŕneau, uné jeuné Beŕ^ gere s'avancjant vérs ía Reine, lui appbrta une petite 1 ...evŕetteTur un carŕeaú de velours blane, Jbŕodc ď argent & depeŕľes, á peine diítiguoit-on ja Lé-vrette fur fori carreaú, tant leur couleur e^oit fem-blable. La Fée Lumineufe, Souveraine del'Empi* re heureiix, dit la jeüne ßergere ä.la Reihe* nTá oŕdonné dé vöus préfenter Blanc Blanc de fa part^ c' eft le nom de la petite Levrette; elle ä ľ honnéur ďétre äimée de Lumineufe, fon art en a fait Uné merveille; & elle íui a command é de vous con^ duire jufques á la l otír* vousiť auŕez, grandje Princefíé, qiťá la laiffer aller* & la fuiyre* La Reihe recút la petite Levrette avéc plaifír^ chaŕmée *du foin que la Fée prenoit ď elle. Ellecaŕeffa Bíánc Blanc ^ qüi apres lui avoir rendu fes caŕeffés avec beaucoup ď efťň'it & de grace, Tauta legéremént ä terré, & fe mit á marcher devani la Reine; fcjui lá íuiyit avectoute Ta Cöim Iis arŕivéreht au bbcddela Riviére4 qüi ťaifoit lá fon fixieme toúŕ, ilš fu-íľent étonnež ,dé n'y point troúver de Pont pour lä paffer. La Fée he vouloit pas que les Bérgeŕs al-laffentia tŕoiibleŕ dans fa ŕetraite, il n'y avbit ja--hiaiš dé Pont dahs eé lieú-la j, que qusnd elle y vouloit pafler, ou y ŕecevoit fes amis, La Reine-ŕé*. voit pŕofondément ä cette. avanťuré, quand elle en-téndit Blane E hm c qui aboya troiš fois; auffi-tôt uŕi Zephir agita íés arbrés qui étoiént au dela de lä Pviviére, & fit toinbéŕ danš ľéau Uné fi grandé áquantité de-fleúrs cľ Oranges.^ qu'il š*en forma uh Pönt, & la "Reine paffa la"Riviére defťus. Eile re-hiereia Blanc Blanc par des cáreíľes, & elle fe tŕou- d q v'á v ^2 Vheureufe va dans une avenue de Mirthes & d* Orangers deli-cieux, & apres 1' avoir traverfee fanss* ennuier, quoi qu'eile fut d'une longueur extreme, eile re-trouva le bord de la Riviere qui faifoit fon feptie-me tour dans cet endroit lä: eile n* y vit point de Pont, maisTavanture du matin la raffuroit; ßlanc Blanc frappa la terre trois fois avec fa petite patte, & dans le moment meme il parut un Pont de Hya-cinthes blanches. La Pvcine le pafla * & eile enträ dans une Prairie toute emaillee de fieurs; de belies rentes s'y trouverent dreffees, eile s'y repofa, puis eile continua fon chemin^ & eile trouva encore le bord de Y eau. II n* y avoit point de palfage, ßlane. Blanc s'avau^a, but dans cette belle Riviere, & auffitöt il parut un Pont de Rofes blanches, qui fervit a la Reine pour entrer dans le Jardin de la Fee; il etoit fi rempli de fieurs merveilleufes, de jets d'eau extraordinaires, & de flatues d unebeau-te furprenante, qu'il n'ell pas^ poffible d'en faire une exafte defeription. Si la Reine il' avoit pas fenti une impatience extreme de prevenir les maux, dont la cruelle Formidable 1' avoit menace'e> eile auroit refte plus lqng-tems dans ce beau lieu, toute fa Cour en fortit ä regret; mais ilfallüt fuivre Plane Blanc qui conduifit la Reine oti la Riviere faifoit fon dernier cercle autour de; la demeure deLumi-neufe, la Reine vit enfin depres la Tour de la Fee5 iln'y avoit que la Rivi6re entre-deux; eile la re-garda avec plaifir, com me etant le lujet de fon vo-i'age; eile lüt cette Infcription qui etoit ecrite fus la Tour en lettres d* or. . Gy eft ici h charmant fijour De la felicite* parfaite ; Lumincuß a bdti cette belle retraite s \ Elle y reqoit les ris> die en bannit P amour y Et pour Im cependant eüc fembU ttre faitc. ö: ; a , '• ' v ' ^ette Peine. S3 Cette Inscription avoit ete faite ä fa gloire par les Fees les plus renommees de fon tems; ellesavoient voulu laifler ä la poilerite ce temoignage de leur ami tie ck de leur eftime. Pendant que la Reine s'amuibit ainfi au bord de l'eau, Blanc Blanc paffa ce petit trajet ä la nage, & faifant le plongeon rap-porta une Coquille de Nacre de perle qu'eile laiffa retombcr dansla Pviviere: ä ce bruit fix belles Nim-phes vetues d' habits brillans, ouvrirent ■eine gran-de fenetre de Criftal, il en fortit un degre de Perles qui s'approcha peu-^-peu de la Reine; Blanc Blanc monta promptement juiques ä la fenetre de la Fee, & entra dans la Tour, la Reine-prit le merne che-min; mais ä nie iure qu'elle rnontoit ce joli degre, les marches qu'elle avoit paffees^dilparoiffoient, & 1' empecherent ainfi d' etre fuivie, Elle entra dans la belle Tour de Lumineufe, & la fenetre fut refermee. Toute la Suite de la Pveine fut au defefpoir de ne la voir plus, & de ne pouvoir la fuivre, car eile etoit extremement aimee; leurs cris le firent entendre juiques au lieuoü lumineufe entretenoit la Reine, & pour raffurer ces malheureux, la Fee envoia une de fes Nimphes pour les conduire au Hameau,-oü ils devoient attendre le retour de la Reine, le degre de Perles reparut, & leur rendit l'efperance. La Nimphedefcendit, 6c la Reine parut a fa fenetre pour leur ordonner de la fuivre & de lui obeir. Cette Princeffe demenra avec la Fee, qui la recüt avec une magnificence prodigieufe, avec un air divin qui gagnoit les cceurs. La Reine y demeura trois jours qui ne fuffirent pas pour voir toutes les merveillcs de la lour de Lumineufe, & il auroit fallu des freies entiers pour admirer tout, & les beautez de la Fee. Le quatrieme jour Lumineufe apres avoir donne ä la Pveine des prefens auffi ga-lants que magnifiques: Belle Princeffe * lui dit-elle, D je Vheureufe. Je íuís fáchée de ne pouvoir réparer- le malheur dont Formidable vous a menacée; mais c'eít la feute du, ďeilin, il nous permet de répandre 4es biens fur ceux que nous favprifons, mais il nous defend de gárentir, & de finir les maux ordonnez par une autre Fee Ainfi pour vous co.níbler du malheur que 1 on vous prepare, je vous promeís avant qiťil jfbit un an une fiíle fi belle, que tons ceux qui la yerront en feront charmez, & je prendraifoxn, ajoú-ta la Fée, de faire naítre un Prince digne ď-elle. Une prediction fi favorable fit oublier pour quelque terns a la Pveine. ía haine de Formidable, & le mal-lieur qu'eile attendoit4 Lumineufe ne dit point á la Reine ce qui rendoit Formidable fon ennemie. Les Fees qui méme nes'aecordent pas eníemble, confervent exaclement entre-elles les fecrets. qui peu-' yent les rendre méprifarles aux morťels, & ľ on aí\ fúre que ce font les. feules femmes qui ont eút ľ eíprit de ne point dire de mal les unes des autres. A;prés de remercimens infinis de la part dela Pveine, Lumineufe ordo.nna ä ďouzc de íes^Nimptíes.de ie charger de préfens, & de recpnduire la Refne jufques áuPIameau, cy elle la conduiíit elle-méme jufques au degré de períes qui parut des queľ-oneut ouvert ja fené.tre. Quand la Rein e & les Nimphes furenť áu bas dii degré; elles* virent un Char cP argent at-te'é de fix Bichés blanches, leurs Piarnois étoient to as cou verts de diamans, un jeune enfant beau com m e le jour conduiíbít le Char, & les Nimphes le fuivirent montées fur des Čhevaux blancs qui pouvoient difputer de beaute avec ceux du SoleiL Dans ce gala n d equipage la Reine arriva au Ha-rneaú, elle y trouva toute la Cour qui fut ravie de la re voir, les Nimphes pri rent congé ďe la Reine, & lui p; éfentérent ces úouze beaux Chevaux Fées pour ne le laíľer jamais, & elles dirent a la Pveine ^jue Lumineufe la prioit de les donner au Roi de fa Peine. 55 part. La Reine comblécdes bontez dela Fée, rétovi rn a dans fon Roiaume. Le Roi la vint recevoir jufques fur la frontiére, & fut fi charmé de fon retour & de Pagreable nouvelle qu'elle lui annoncoit de la part de Lumineufe, qiť il ordonna des réjou-iffances publiques, dont le bruit qui parvint jufques a Formidable redoubla encore fa haine & fa colore pour le Roi, Pexi de temps aprés le retour de la R.eine, eile devint groffe & elle ne douta point que ce ne fut de cette belle Princeffe qui devoit charmer tous les coeurs, car Lumineufe lui avoit promis fa naiffance avant la fin de Pannée, & Formidable n' avoit point y)refcrit le terns ou fa vengeance devoit saccomplir, mais elle n* avoit pas deffein de la retarder- La Reine accoucha de deux Princeffes, ck ne douta pas un moment, laquelle lui avoit été promile par Lumineufe, .par FempreiTe-ment gu' elle fe fentic ď embraffer celle qui avoit vu le jour la premiere* Elle la trouva digne des promeffes de la Fee, rien au monde n'etoit li beau ; le Roi & tous ceux qui étoient préfens, s*empreífoientď admirer la petite Princeffe, & Pon oublioit abfolument P autre, quand la Pveine qui jugea par cette negligence generale que les predictions de Formidable s'accom-pliffoient auili, ordonna jDlufieurs fois qu'on 6H éút le méme fain que de r Ainee* Les femmes lui obeirent avec line repugnance qu' elles ne pouvoient vaincre, & que le Pvoi & la Reine, n'ofoient prefque blámer, parce qu'ils la fen-toient eux-mémes. Lumineufe arriva en diligence fur un nuage, &; nomma la belle Princeffe Ainiée, pour lui donner un nom convenable au deftin cju' elle lui avoit promis. Le Roi rendit ä Lumineufe tous les refpects qfuvclle meritoit, eile promit ä la Reine qu'elle protégeroit toüjours Aimée; elle ne D 4 lui S ■ 5 6 Ľbeureufe ' i lui fit point alors de don y car elle lui avoit deja toufc donne. Pour ľ autre Princeffe, en vain le Roi lui donna le nom d* une de fes Provinces. On s/ accoú-tuma infenfiblement ä ľ appeller Naimée par une oppoíition bien cruelle pour elle. Quand les deux Prmceffes eurent atteint ľágede douzeans, Formidable voulut qu'on les éioignát delaCour, di-foit-elle, pour diminuer la haine & ľ amour quife parta°;eoient entr'elles. Lumineufe laifíoit orďon-ner formidable, elle étoit fúre que rien ne pou-voit empécher la belie Aimée de régner dans le Ror 'iaumede fon pere^ & dans tous les coeurs; Elle ľa* voit fait naitre avec tant de charmes, qu'ilnefal-loit que la voir pour n* en pas douter: le Roi pour tachér ďappaifer la. haine que Formidable répan-. doit fur fa Maiíbn, réfolut de lui obéír. II envois done les deux PrinceJTes avec une jeune & aimable Cour dans un Chateau merveilleux qu* il avoit ä ľ"extremitě de fon RoYaunie: il s'appelloit le Chá> teau des Portraits, c[étoit un lieu digne de ía fca-vaňte Fee qui ľ avoit báti il y avoit quatre milic ans: les Jardins &p toutes les Promenades des environs étoient admirables, rnais ce qu'il y avoit de plus beau étoit une Gaílerie ä perte de vůě, oú ľ* on voioit les Portraits de tous les Princes, & de toutes les ťrinceffes du Sang Royal de ce Roiaume, & ceux.des Pais voifms; dés^qu'ils avoient quinzeansp leurs Portraits s'y trouvoient peints, avee un art qui ne pouvoit étre que foiblement imité par tout autre que par une Fee. Ce don. devoit durer juf-ques au terns qu' il entreroit dans ce Chateau la plus belle Princeffe du monde. Cette Gaiierie féparoit deux Appartement vaftcs, 6 magnifiques, les deux Priuceffes les oceupérent, elles eurent mémes. Maitres, méme education, on n'apprenoit rien á la charrnante Aimée, que ľ on n'eníeignát áfafusur: mais Formidable yenoit lu Peine. 57 faire des lecons qui gätoient toutes lesautres, & Lumineufe venoit de fon cöte par fes converfations rendre Aimee digne de F admiration de tout l'U'ni-vers. 11 y avoit trois ans que les Princeffes etoient dans ce Chateau 'eloignees de la Cour: Elles enten-dirent un jöur un bruit inconnu, qui fut fuivi d'une Mufique charmante: Elles regardoient de tous cö-tez pour voir d' oü partoient ce bruit & ce Concert agreable, quand ellcs appar^urent trois Portraits qui remplirent trois places qui, un moment aupa-ravant, etoient vuides; iliy en avoit un qui etoit couronne defleairs par deux amours5 Tun regardoit ce beau Portrait, avec toute P attention quMl meri-toit, & fembloit en avoir oublie le foin detirer une ßeche qü' il* avoit toute prete ä partir fur fon Ares* L'autre tenoit une petite banderolle fur laquelle etoient ces Vers: Aimfa cut en. naijfant^ de la fage Nature Les folides beautez qui ne meurent jamais , Les graces prirent Joins d embeüir fes attraits x Et Venus, pour toitjöurs lui donna fa Ceinture* Iis n* 6toient pas neceffaires pour faire connoitre }e portrait de la belle Aimee, on y remarquoit tous fes traits, & cette grace charmante qui attiroit les Coeurs: Elle avoit le teint d'une blancheur furpre-nante,lesplus belles GOuleursdumonde,levifagerond5 les cheveux d'un blond admirable,les yeux bleus, mais qui brilloient d'un feu fi vif, que tous ceux qui a-voient le plaiftr de lesvoir jugeoient qu'il etoit inutile que Lumineufe eüt fait prefent ä Aimee d'un don qu'eile avoit en elle-mcme; fa bouche etoit charmante, fes dents etoient aufli blanches que fon teint; elle ne man-quoit pas de beaute; mais ce Portrait etoit comme elle-meme, il ne plaifoit point; ces mots etoient ecrits au deffous en lettres d ■ or:. Naimke avec fis traitsyqui formmt la beaut£, ■> Dans tous les cceurs ne peut trouver de places , Apprens de-la poßirite , gue la beaute n e(l rien fans V ejprit & Us graces.. "J Ces deux Portraits occupoient toute 1' attention; el es deux Princeffes, & de toute leur jeune Cour; quand Aimee-qui n'etoit point vaine de fes propres charmes; & laiffant au refte du monde le ibin de les admirer, jetta les yeux fur le troifieme Portrait qui avoit paru en meme terns que le lien, eile y trou-va dequoi attirer fes regards, c*etoit celui d'un jeune Prince plus beau rnille fois que PAmour; il avoit plus Pair d*un Dieu que d'un homme, fes cheveux' etoient noirs, &. tomboient par groffes boucles furieiepaules, &; fes yeux promettoieht au* tant d'efprit qu' on vo'ioit de charmes dans fa perfon-. ne: ces paroles etoient ecrites au. deffous du Por* trait: C eß le Prince de I Isle Galante.. Sa beaute furprit tout le monde, mais eile tön-, cha plus vivement la belle Aimee;. fon jeune coeur en fentit une emotion inconnue, & Naimee meme. ä la vüe dece/beau Portrait ne-fut pas exemte d'une paffion, dont perlbnne ne pouvoit etre touch e-' pour elle; cette avanture ne furprit perfonne, car on etoit accouturne ä voir ces. merveilles en ce lieu-la. -Le Pvoi &. la Heine vinrent .au Chateau voir les Princeffes, ils firent faire un grand nombre de Copies de leurs Portraits. Iis en envo'ierent dans tous les Roi'aumes voillns. Cependant Aimee, .des qif elle |toit feulc3 entraineepar un mouvementinvolontaire, alloit Peine. 5,9 alloit dans la Gallerie des Portraits; celui du Prince de 1' Isle Galante occupoit toute fon attention, & attiroit tons fes regards; il paroiffoit digne de Fun & de 1' autre. Naimee qui n1 avo.it rien de cornmun avec fa fceur, que le meme empreffement pour le portrait äu Prince, paffoit pref^ue tous fes jours dans la gallerie. GettejpäffiQn naiffante augmentafi bien lahai-ne de Naimee pour la belle Princeffe, queue pou-yant trouver le leeret de Inj nuire, elle prioit fans ceffe Formidable de la yeriger des charmes de fa foeur ^ la cruclle Fee ne refuioit jamais les occafions de faire du mal, fuivant done fon inclination & les priores de Naimee, elle fut trouver Fahnable Princeffe qui fc promenoit au bord d' une Iliviere qui paffoit au pied du Chateau des Portraits: Va, lui dit Formidable, en la'touchant d'une baguette d*E-bene qu'elle tenoit dans fa main, va, fui tou jours le £o.rd de cette Riviere jufques au joiir 014 tu troiive-ras une perfonne qui te ha'ifle autant que moi 5, & jufques ä ce moment tu ne fejourncras. en mil lieu clu monde. La Princeffe a cet Ordre terrible fe mit ä pleurer, quelles larmes! il n*y ayoit dans tout i' Üniyers que le cceur de Formidable incapable d'en etre attendri. Lumineufe accourut au fecours de la telle & malheureufe Aimee; confole-toi, lui dit-el-le, ce voiage oil Formidable yient de te condainner finira par une avanture agitable, & jufques a ce jour tu ne trouyeras que des plaifi.rs. Aime-, npres ces mots favorables partit avec le feul regret de ne plus voir le beau Portrait du Prince de V Isle Galante, mais elle n'ofa en temoignet fa douleur a laFce, elle fe mil done en chemin, & tout fembl.ok ctre feniible a fes charmes. Le Zephir regnoit feu! dans les lieux 011 eLle paffoit. Elle trouvoit par tout des Nimphes pretes a la fervir avec un refpect extreme, ies. Prairies fe couvroient de fleurs ä fon abord, & quand ßO 2? heureufe quand !c Soleil étoít trop ardent, les Boís redou-bloient leur ombrage. Pendant que k belle Prin-ceffe fait un voíage fi charmant, Lumineufe ne borne pas fa vengeance ä rendre le deffein de Formida-* ble inútile: Elle fut trouver Naimée, & la frappant ďuíie baguette d Yvoíre; Va, lui dit-elle, pars ä ton tour fur le bord de la Riviére, tu ne te repoferas Jamais que tu n' ayes trouvé une perfonne qui ťaimeautantque tu mérites peu de ľétre. Naimée partit & ne fut point regreti^e. Formidable méme á qui tout paroiffoit á fon gré, pourvú qiťon fitfouffrir quelque peine, ne fongea plus á Naimée, & ne daigna pas la protéger plus long-tems. Les deux Princcffes continuerent ainft leur voíage: Naimée avec toutes les fatigues i ma-ginables; les plus belles fleurs fe changoient en é-pines fur fon paflage, & la belie Princefíe, avec tous les plaifirs que Lumineufe lui avoit fait efpé-rer, eile en trouva méme de plus íenfibles que ceux qui lui avoient été promis, .• i. Sur la fin ďun beau jour, ä ľheure 311 e le Soleil va fe repofer entre les bras de Thetis; Aimée s'aiTit au bord de la Riviére, auffi-tôt un nombre infini de fieurs naiffantes autour ď eile formérent une efpece de lit de repos, dont eile eút admirée plus long-terns ľagrément, fi eile n* eút appercú un autre objet fur la Riviére qui ľempécha de pen fee-pour lors á toute autre chofe; c'étoit une petite barque ď Ametifte, eile étoit ornée de miíle bande-, rolles de la méme couleur, chargé/e de chiffres & de deyifes galantes. Boitze jeunes hommes vétus ď habits legérs, grjs-de-lin & argent, couronnez de guirlandes d*immortelles, ramérent avectant de diligence, q.ue la barque fut en peu de tems affez prés du rivage,. j pour laifier remarquer a la belie Aimée toute cette diííérente beauté. Ce fut avect UU / Peine „ 61 un ctonnement & une furprife agreable, qu'elle ap-percüt par tout fon nom & fes chrnres: un moment apres la Princcffe reconnut ion Portrait .fur un petit Autel de Topaze^elevc au milieu de la Barque, au deffous du Portrait elk tut ces paroles: Si ce n eft I' Amour, qu eft ce done ? Apres avoir donrie fes premiers mouvemens ä Tad-miration, eile craignit de voir defcendre de la Barque ces Etrangers> qui lui avoient d abord paru ft galans. Tout me parle del'amour d'un inconnu, difoit Aim£e en eile meme, & je fens que le Prince de risle Galante, ell feul digne de m'infpirer les fentimens dont je vois trop qu'un autre eft fans dou-te touche poiir moi. Portrait fatal, ajoüta-telle, pourquoi le deflin Pa-t-il oifert ä mes yeuxdans un terns, ou loin de pouvoir me defendre, j'igno-rois meme encore ft V on pouvoit aimer quelque cho-ie plus tendrement que les fleurs? Cctte reflexion füt fuivie de quelques foüpirs, & eile ent demeure plus longrtems dans fa douce reverie j fi un bruit agreable dc divers Inftrumens ne T en eüt tiree. Elle regarda vers la Barque d'ou partoient ces aimables fons. Un homme dont elle lie put voir le vifage , vetu d'un habit magnifique de la meme couleur qui brilloit dans tout fon equipage , lui parut n' avoir d' attention qu a regarder fon Portrait, tandis que fix belles Nimphes form6-rent un Concert charmant, & accompagn6rent ces paroles, qui furent chantees par ceiui qui avoit toujours regarde le beau Portrait de la Princeffe, L'air etoit de Duboulai: Que tout parle de mon amour > Et des charmes de ce que j atme ^ Aimie a plus, it attraits que »' m a P Amour ir.bne $QUT V heureufe Pour fiater ma tendreffe extreme : Nimpbes, redites tour d iour $ jQue tout parle de mon amour j « Et des úbarmes de če que f aimé. Les Graces pour la fuivre abandonnent les Čieůx i j£t qiúttent fans regret la Reine de Citeře ; Le plaifr de la voir, la douceur de lui pLure Valit. mieUx que le jéjoúr $ le plaiftr des Ďieúx. Aimée a plus d at traits que »' eh a V Amour mírné \ ■ Pour fiater ma tendtejfe extreme; Nimpbes, redites tour a tour, Que tout parle de mon Amour $ Et des cbarmis de ce que f aime. £>' un fiul de fes regards un čceur eft enflami: Tout lui cede, tout rend les armes, Et jufqď au terns heureux que brillérent fes charmtf $ On devroit ri avoir point aimé, Aimée a plus ď attraits que n' én a I' Amour mime s Pour fiater ma tendr effe extreme > Nimpbes ^ redites tour a tour ^ Que tout parle de mon amour 9 Et des cbarmes de ce que f aimé i La douceur de ce Concert árréta la belle Aíméé fur le bord de la Riviéře; quand il fut fini, Hn-connu tourna la téte de fon cóté, & lui laiifa rerriar-quer avec autant ue trouble que de plaiíir, les ai~ mables traits du Prince de P Isle Galánte : Quelle furprife! quelle joie: de voir ce Prince charmant* Peine. £3 & d*apprendre qu'il n'etoit occupe que d'eile. -II fan droit fcavoir aimer auffi parfaitement qu'autems des Fees, pour bien comprendre tout ceque fentit alors la jeune Princeffe JLe Prince de Plsle Galante epjrouva la meme furprife, il fe hata de defcendre fur le rivage for-^ tune ♦ qui offroit ä fes yeux la divine Airnee. Elle n' eut pas la force de fuir un Prince fi parfait, eile accufo mille fois le deftin de fa foibleffe: en fem-blable occafion, On ne manque gueres de s' en pren-dreälui. II eft impoffible d* exprimercequecesjeu-. nes Ämans fe dirent^ & fouvent meme ils s' entendi-rent fans fe parkr. s Lumineufe qui avoit conduit en ce lieu, & la jolie BarqUe, & les pas d Aimee * parut tont d'un coup pour raifurer la timide Prin-ceffe, qui avoit cnfin pris le parti de quitter un Prince fi charmant & fi dangcreux; feile leur ap*it qü'ils etoicnt deftinez ä s' aimer & ä s*unif pour toüjoursi mais, ajoütalaFee, avant ce teins heureux, ilfaut achever le voYage ordonne par Formidable. On ne peüt defobei'r aux Fees; la belle Aimee,. & le Prince etoient fi fatisfaits du plaifir d'etre en-femble, que tout ce qui iie les feparoit point, leur paroiffoit trop doux. Iis continuereiit done leur chemin, tan tot dans lä jolie barque, taiitot en tra-verfant une belle & vafte folitude que la Pviviere arrofoit de fes eaux; ce füt dans ce fejour tranquil -le que le Prince de VIsle Galante, achevade perdre le repos de fon cceilr. II aprit ä la belle Princeffe tout ce qu'il avoit fenti pour eile depuisle jourheureux oü fon divin Portrait avoit ete porte a la Cour, 41 qu'un jotir fe pronlenant au bord deTeau, &re-Vant ä fon amour, Lumineufe lüi appsrut & lui won tränt la barque d'AmGtifte, lui ordonna de s! embarquer, & lui promit un fucces favorable pour fon voiage & pour fon amour, Tandis que le Pria- 64 L Ifeütihfe Prince & lä belle Aimee achevent d' obeir äux or-dres de Formidable, & que tons les jours leurs &r-deurs s'augmenterit,^ ils deviennent li heureux qu'ils craignent d'arriver, de peur d etre oceupez de quelque autre chofe que de leur tendreffe. Nai-mee finiflbit aüifi de Ton cote fori penible voTage. Le cours de la Pviviere que fuivoient les deux Pri-nceßes les conduiiit infenfiblement dans P Islef Galante, & ils y arriv£rent tous en meme terns. Lumineufe ne manqua pas de s y reudre< Elle aprit /a Aim^e que Ja vengeance de Formidable etoit ac-complie, puifqu'ea rencontrant la lbeur$ elle trou-voit la feule pcrforme du monde qui la put hüi'r: & le yoiage de Maimee eft done atiffi fini, dit la belle Princeffe, car rien n' a pit dimiiiuer V amitie que j'ai pour eLe? elle pria enfuite la Föe d'adoucir, s'il etoit poflible^ la trifte deftinee de fa fbeur i mais cette grace etoit inutile ä demander pour Naimee; des qu* eile eut vut le Prince de 1' Isle Galante, qu* elle reconnut facilement pour celiii dont 1 aima-blc Portrait avoit touche fon coeur, & qu' elle en-tendit dire a Lumineufe que le terns aprochoit de fon himen avec la jeune Aimee; elle fe precipita dans cette meme Pvivicre, qu elle fuivoit depuis un sn avec tant de peine, fans pourtant avoir recours autrepas: mais les malheurs de 1'Amour touchent plus vivement que ceux de la fortune; . -.. . Lumineufe qui vit tomberla Princeffe dansl'eau, la changea en un petit animal, qui marque encore par fa maniere de marcher, quelle etoit l'humeur de la malheureufe Naimee. Son deffcin s' accOmplit meme apres fa mort, elle ne fut point rcgrettee; il en coüta pourtant quelques larmes ä Aimee; mais de quels malheurs iter cut pas confolee le Prince de 1Isle Galante? Elle etoit fi toucheede fa tendreffe j qu' elle ne le fmgprefqüe point de toutes les Fetes Peine,. ties rque Port inventa povr ia recevoir dans fonilb-laume, le Prince y prit auffi peu de part Quand on eft bien arn'oureux, on ne connoit plus de vrais plaifirs que celui d' etre aime de ce qu' on aime. Le Roi & la Reine avertiYpar Lumineufe ^ vin-rent rctrouver leur aimablefllle: Cefut en leur pre-fence que la genereufe Fee declara, que la belle &U rnee avoit eu la gloire de mettre a An 1' avanture du Chateau des Portraits, parce que rien n'avoit erico-re paru fi beau qu' elle dans tout le monde* L' a-mour du Prince de Plsle Galante etoit trop violent pour pouvoir attendre davantage; il fupplia le Roi & la keine de confentir a ion bonheur, i_umineu-fe elle-meme honora de fa prefence un jour li. beau & fi defire. La Noce fe fitavec toute la magnificence que 1' on doit attendre des Fees & des Rbis: mais quelqUe heureux que ce jour dut etre, je n1 en fe*-rai point la defcription; car quoi que fe promette P Amour heureux, une Noce eitprcfque toujours une trifle f$t& Tant cpC Amour fait Jentir je$ crmntts , jfes UnrmtnS^ Et les doux tranjports qu"1 tl infpift 11 refte cent chafes d dirt Pour les Po'e'tes, les Amans\ Mais pour V Hymen, c1 eft en -vain cj.it on recUmt £e Dieu des Vers Us neuf doftes So£urs$ 'Ceft le fort des Amours, f£ celui des Auttnrs^ D' icbontr d V Epitalame. tmt IL £ LES Sftr $g 2>s Avantures S^bLES AVANTURES DE FINETTE. A MADAME LA COMTESSE MURAT. VOus faitcs les plus jolies Nouvelles du mo ride en Vers 3 mais en Vers auffi deux que naturels: je voudrois bien \ cliarmante Comteffe ■ vous en dire uue a moh tour ; cependant je ne fai fi yous pour-rez vous en divertir: je fuis aujburd* hui de f hu-meur du Bourgeois-Gentilhomme; je Tie voudrois ni Vers, ni Prole pour vous la conter: point de grands mots, point de brillans, point de rimes; un tour naif m'accommode mieux; en un mot, un rccit fans facon & comme onparle; jenecherche que quelque moralite. Mon Hiftoriette en fournit affez,J & par la etle pourra vous etre agr6able, lille roule fur deux Proverbes, au lieu d'un: c'eft la mode: vous les aimez: je m'accommode a V ufageavecplaifir, Vous y verrez comment nos Ayeux favoient mftnuer qu' on tombe dans mille defordreSj qUand on fe plait a ne rien faire, ou pour pafler comme eux; qu' Oifiaiti eft mere de tous vices; & vous aimerez, fans doute^ leur maniere de perfuadcr qu' il faut etre toujours fur fes gardes: vous voyez bien que je veux dire que Defiance eft mere de feureH* K Non de Finttte. jtfon /' Amour ne triomphe guires Que des cceurs qui n* ont point £ affaires. Vous, qui crargnez que d% un adroit -vainqueur Voire raißn ne devienne la dupe, 'BeauteZ, fi vous voulez c^nfirver vbtre caur , IL faut qüe vbtre efprit s* occupe. hiais^ fi malgri vos fiins, vbtre firt eft d"1aimer Gardez du moins de -vous Uijfer charmer Sans connoi'tre Üelui que vbtre cceur veutß donner potif mäitrh Craignez les Blondins doucereux G}ji fatiguent les RueUcst Et ne (achant que dire aux Seiles Soüpirent fans itre amoureux. Dißz-vous des Cwteurs de ßeurettes ^ Connoijfez bien le fond de leurs cjprfts g Aupres de tout es Us Iris Iis debit ent mille for nett es. JDefiez-'vqus e'nftn de ces brujqües Äma'ns Qui fe difent en feu des les premiers moment 5 Et jurent une vive fiame ; Moquez vous de ces vains jermens: Pour bien affujeitir une ami tl fatit qu' il en coüte du temp's. Gardez qtt u/i peü de complaifance JVfc difarmez trop tot votre auftertfierUi j)e -votre jufte defence. Depend -vbtre rcptf £f vbtre jurtth 6§ Les Ävantures Mais je n'y fonge pas, Madame! J'ay fait des Vers! Au lieu de m' en tenir au goüt de Monfieur Jourdain* j'ai rime fur le ton de Quinaut! Te re-prens le tour fimple au plus vite, de peur d*avoir part aux vieilles names qu* on cut pour cet agreable Moralifeur, & de peur qu^on ne m'accufe de le piller & de le mettre en pieces, comme tant d'Au-teurs impitoyables font tous les jours. Du temps des premieres Croifades, tin Pvoi de je ne fai quel Royaumc de VEurope, fe refolutd'aller faire la guerre aux Infideles dans la Palestine. Avant que d'entreprendre un fi long Voyage, ilmit un fi bon ordre aux affaires de fon Royaume, & il en confia la Pvegence ä un Miniilre ii habile, qu' il fut en repos de ce cote-la. Ce qui inquietoit le plus Prince, ' c' etoit le foin de fa famille, II avoit perdu la Reine fon Epoufe dermis affez peu de temps: eile ne lui avoit point laiffe de ills; mais il fe vomit pere de trois jeuncs Princeffes ä marier. Ma Cronique ne m' a point apris leur veritable nom: je fai feulement que comme en ces temps heu-reux la fimplicite des Peuples donnoit fans fa^on des furnoms aux perfonnes eminentes, fuivantleurs bonnes qualitez, ouleurs deTauts, on avoit furiiom-me Painee de ces Princeffes, Nonchalante, ce qui fignifie Indolente en ftile morderne; la feconde, 3abillaxde, x& la troifi^me, Finette, noms qui avoient tous un julle raport aux caracteres de ces trois Sceurs. Jamais on n'a rien vu de fi indolent qu' etoit Nonchalante. Tous les jours elle n'etoitpase veill^e ä une heure apres midi i on la trainoit ä V Eglife telle qu'elle fortoit de fon lit: fa coiffure en defordre, la robe d^tachee, point de ceinture; & fouvent une mule d'une facjon & une de rautre. On corri-geoit cette difference durant la jounce: mais on ne — t_ de Finette. ' 69 ne pouvoit refoudre cette Princeffe äetre jamais au-trement qu' en mules: eile trouvoitune fatigue infu-portable ä mettre des fouliers, Quand Nonchalante, avoit dine, eile fe mettoit ä fa_Toilette, oü eile etoit jufcm'au foir: eile emploi'oit le refte de fon temps, jufqu'ä minuit, ä joüer, & ä fouper: en-fuite 011 etoit prefque auffi long-temps ä la desha-biller qu'on avoit ete ä Thabiller, eile ne pouvoit jamais parvenir ä fe coucher qu'au grand jour. Babillarde menoit une autre forte de^vie, cette Princeffe etoit fort vive, & n'employoit que peu de temps pour fa perfonne: mais eile avoit une en-vie de parier fi'etrange, que depuis gu'eile etoit eveillee jufqu'ä ce qu'elle fut endormie la bouche ne lui fermoit pas. Elle fcavoit 1' Hiftoire des mau-vais menages, des liaifons tendres, des galanteries., non feulement de toute la Cour, mais des plus pe-tits Bourgeois. Elle tenoit regiftre^ de toutes les femmes qui exer^oient certaincs rapines dans leur domeftique pour iedonner une parure plus £clatan-te, & etoit informee precifement de ce que gagnoit la Suivante de la Comteffe une teile & le Maitrc d* Hotel du Marquis un tel. Pour etre inftruite de toutes ces petites chofes, elle ecoutoit fa Nourrice & la Couturiere avec plus de plaifir qu' elle n'auroit fait un Ambaffadeur; & enluite eile etourdiffoit de ces belles Hiftaires depuis le Roi jufqu'ä fes Valets de pied : car pour vu qu'elle parlät elle ne fe fou-cioh pas ä qui. La demangeailbnde parier produi-fit encore un autre-mauvais effet chez cette Princei-fe*. Malgre fon grand rang, fes airs trop familiers donnerent la hardieffe aux Blondins. de la Cour de lui debiter des douceurs, Elle ecouta leurs fleuret-tes fans facjon^ pour avoit le plaifir de leur repon-dre/ car a quelque prix que ce fut, il falloit que du matin au loir elle ecoutdt ou caquetat; Babillarde, non plus que Nonchalante, nes'accupo.it ja> E 3 mais fo Les Avantures mai$ ni a penferx ni a faire aucime reflexion, ni a lire; elle s-embaraffoit auffi peu d'aucun foin do-meftique ni des amufemens que produit 1'aiguille & le fufeau. Enfin ces deux fceurs dans une eter-nelle oifivete, ne faifoient jamais agir ni leur efprit ni leur main. La foeur cadette de ces deux PrincefTes etoit d'un carattere bien different, Eiie agiffrit inceffam-ment de 1'efprit & de fa perfonne: elle avoit une vivacite furprenante, elle s'apliquoit a en faire un bon ufage. Elle favoit parfaitemern bien danfer, chanter, jouer des Intoimens; reuiffifToit avecune adreffe admirable a tout les petits travaux de la main, qui amufoient d ordinaire les perfonnes de fon fexe: mettoit 1 ordre & la regie dans la Maifon du Roi, & empeehoit par fes foins les pilleries des petits Ofnciers: car des ce tems-la ils fe meloient de voler les Princes. Ses talens ne fe bournotent pas la: elle avoit "beaucoup de jugement & une prefence d1 efprit fi rnerveilleufe, qu'elle trouvoit fur les champ des moyens pour fortir- de toutes fortes d'affaires. Cet-te jeune Princeffe avoit decouvert par fa penetration, uu piege dangereux qu'un Ambaffadeur de mauvaife foi avoit rendu au Roi fon Pere dans un Traite, que ce Prince etoit tout pret de figner. Pour punir la perfidie de cet Ambaffadeur & de fon Maitre, le Roi changea Particle du Traite, & en le mertant dans. les. term.es que lui avoit infpire fa fille, il trompa a fon tour le trompeur me me. La jeune Princeffe decouvrit encore un tour de fourbe^ rie qu'un Nliniflre vouloit joiier au Roi, & par1q confer quelle donna a fon pere, il fit retomber rinudelite de cei homme-la-fur luirmeme. La Princeffe donna enplufieurs autres occafions, des marques de, fa penetration & de fa fineffe drefprit:. elle en donna ' de Finette* ,*rf donna tant que le Peuple lui donna le furnom de Finette. Le Roi l'aimoit beaucoup plus que fes autres filles, & il faifoit un fi grand fonds fur fon bon fens; que s'il n'avoit point eu d'autre enfant qu1 elle, il feroit parti-fans inquietude: mais ilfe defioit autant de la conduite de fes autres filles, qu'il fe repofoit fur celle de Finette. Ainfi pour etre fur des demarches de fa famille, pomme il fe croioit fur de celle de fes Sujets, il prit les mefu-res que je vais dire, Vous, qui etes fi favante dans toutes fortes d'an-tiquitez, je ne doute pas, Comteffe charmante, que vousn'ayez cent fois entendu parlor du mer-veilleux pouvoir des Fees. Le Roi dont je vous parle etant ami intime d'uile de ces habiles femmes, alia trouver cettc amie: IHui reprefenta V inquietude ou il etoit touchant fes filles. Ce n> eft pas, lui dit ce Prince, que les deux ainees, dontjem'in-quiete; a'ient jamais fait la moindre chofe contrc leur devoir: mais elles ont fi peu d'efprit, ellesfont fi impruderites & vivent dans une fi grande defoc-, cupation, que je crains que pendant mon abfehce elles n'aillent s'embaraffer dans quelque folle intrigue pour trouver de quoi s'amufer. " Pour Finette, je fuis feur de fa vertu: cependant je la traiterai comme les autres, pour faire tout egal; c' eft pour-quoi, fage Fee, je vous prie de me fairetroisQue-nouilles de verre pour mes filles, qui foient faites avec un tel art, que chaque Quenouille ne manque, point de fe caller, fi-tot que celle a qui die appar-tiendra, fera quelque chofe contrc fa gloire^ Comme cette Fee etoit des plus habiles elle donna a ce Prince trois Quenouilles enchantees & & travaillees avec tous les loins necelfaires pour le deffein qu'il avoit: mais il ne fut pas content de cette precaution. II mena les Princeffes dans une E 4 Tour Lei Amntiwes, Tour fort haute,, qui etoit batie dans un lieu biea defert. Le Roi dit a fes filles qu'il leur ordonnoit; de fairs leur dpmQu.re dans. cette^Tour, pendant tout le.temps de ion abfence, & qu'il leur defendoit d'y recevoir au.eune perfonne-que ce fut. 11 leur 6ta tous leurs Ofrlci.ers de Tun & 1'autre fexe* c% apres leur aYoir fait prefent des Quenouilles enchantees dont il leur expliqua les qualitez, il embraffa les Princeffes & fermrt les portes de la Tour, dont if prit lui-memeles clefs j puis il partita Vous allez peut-e.tre croirc^ Madarne, que-ees; Princeffes £ioient la en danger de mourir de faim; Point du tout,. Oft avoit eu foint d* attacher une Poulie a une des fenetres de la Tour • on y avoit. jnis une corde a laquelle les Princeffes attachoieiit' Corbillon,, qu'ejles deXccndoient chaqu.e jpur», pans" ce Corbillon, on mettoit. leurs provisions pour lajournee, & quand 'el les l'avoient remonte, elles; ^etirpient ay eg loin la. corde dans la chambre.. Nonchalante & Babillarde menoient dans cctte folitude une vie. qui jes defefperoib elles s'ennu-loient a un point qu? on nefauroit exprimeri mais. il fallpit prendre patience: car on leur avoit fait Iai Qjenotfille fi terrible, qu' elles craignoient que la. xnoindre demarche un peu equivoque no la. fut pour pinette elle ne: s^ennuioit point du, tout, Sjou fiifeau, ion aiguille, & fes inftrumens de Mu-^ fique lui fourniffoieot des amufemens;- & outre ce-la, par Tordre du Mmirtre qui gouvernoit PEtats on mettoit dans le corbillon des Princeffes, desleU tre's qui les informoient de cout ce. qui fe paffoit au, delans & au dehors cju Rofaume. Le Roi Vavoit fe'iiiis ainfi, & le IVliniftre pour faire favCour aux' rinceffss ne man quoit pas d'etre exacl fur cet ar- ticle^ de Finctte, 73 tide. Finette lifoit toutes nouvelles avec empref-fement & s'en divertifibit: Pour fes deux fceurs elles ne daignoient pas y prendre la moindre part: elles difoient qu'elles etoient trop chagrines pour avoir, la force de s'amufer de Ii peu de chofes: il Ipxjt falloit au mains des cartes pour fe d£iennuj(er pendant l'abfence de leur pere. f Elles paflbient done ainfi triftemeni leur vie en murmurant contre leur deftin, & je crois qu* elles ne manquerent pas de.dire, qtfilvaut wicux itrt m heureux, que d' etrt ne fils de Roi: Elles etoieht fouvent aux fenetres de leur Tour, pour voir du moins ce qui fe pafferoit dans la Campagne. , Un jour, com-me Finette e^toit fort occupy dans fa chambre ä quelque Joli ouvrage, fes fceurs qui etoient ä la fe-jietre, virent au pied de leur Tour une pauvrefem-me vetue de haillons dechirez, qui leur crioitfa mifere fort pathetiquement Elle les prioit ä mains jointes de la laifler entrer dans leur Chateau, leur repreTentant quelle etoit une malheureufe Etran-gere qui iavoit mille fortes de chafes, .& qu'elie leur rendroit fervice avec la plus,exaBe fidelity. PVabord les Princeffes fe fouvinrsnt de V ordre qu' avoit donne le Roi leur pere, de ne laiffer entrer perfonne dans la Tour: mais Nonchalante etoit fi laße de fe fervir elle-meme, &: Babiliarde fi ennui'ee de n'avoir que fes fceurs ä qui parier, que V envie qu'eut V autre d| avoir une perfonne de fer entrer la pauvre Etrangere. Perifez-vous? dit Babiliarde ä fa fceur que la defence du Roi s'etendc fur des gens com me cette malheureufe? Je croi qiie nous la poiyvons receyoir fans coniequence? Vous ferez ce quMl vous plaira, ma fceur, repondit Nonchalante, Babiliarde qui a' attendoit que ce confentcmcnt, deicendit anil]-- ES tot \ 74 Les Avantures tôt lc Corbillon: La pauvre femmefe mit dedans, & les Prihceffes la montérent avec les fegours de la Poulie. Quand cette femme fut devant leurs y'eux, Y horrible mal propreté de les habits les dégoúta; Elles voulurent lui en donner ďautres; mais eile leur dit qu'elle en changeroit le lendemain, & que 'pour ľheurequ'il étoit, eile alloit fonger ä les ier-vir. Comme eile achevoiť de parier, Finettc re-yint de fa chambre: cette Princeffe fut étrangement iurprife de voir cette inconnue ävec fes foeurs: Elles lui dirent pour quelles raifons elles.ľavoient fait montér2 . &. Finette qui vit que c'étoit une chofe faite, difíinmla le chagrin qu'elle éut de cette imprudence. Cependant la noiivelje Ofíiciére des Princeffes fit cent toursdans le Chateau íbus prétexte de leur fervice; mais en effet pour obferyer la difpofition du dedans; Car, Madame, je ne fai fi vous nevous en doutez poinťdéja: mais cette gueufe prétendue-étoit .auííi dangereufe dans le Chateau, que le fut le Comte Of y dans le Convent ou il entra déguife en Abeffe fugitive. Pour ne vous pas tenir davaiítage en fufpens, je vous diraique cette creature couverte dehaillons, étoit le. fils ainé dim F\oi puiffant, voifin du pere des Princeffes. Ce jeune Prince, qui étoit un des plus artificieux efprits de fon temps, gouvernoit entiérement le Pvoi fon pere; & il n'avoit pas be-. foin de beaucoup de fin eile pour cela:, car ce Pvoi étoit ďm\ caračtére fi doux & fi facile, qu'onlui en avoit donne le furnom de Moult-benin.^ ' Pour le jeune Prince, comme il n' agiffoit que par artifices & par détours, les Peuples ľavoicntíurnommé Riehe- < ®&-5,auteUe, & pour abreger, Oll difoit Riehe-cautelle. de Finette, 75 II avoit tm frere cadet, qui étoit aufíi rempli de belles qualitez, que Ton ainé V étoit de défauts>; ce^ pendant malgré la difference ďhumeurs, on yoioit entre ces deuxfreres une union i) parfaite que tout Je monde en étoit furpris. Outre les bonnes qualitez de Tame qu1 avoit-le Prince cadet; ía beauté de fon vil age- & la grace de fa perform e eroient íi re-marquables qiťelles 1' avo-ient fait nommer Bd-A-yoir, C étoit le Prince liicbe-cautcíe qui avoit inlp.iré á ¥ Ambaffadeur du Pvoi foir pere, ce trait de mauvai-fe foi que Padreífe de Finette avoit fait retomber fur eux, ítiche-cau telle, qui iV aimoit déja guéreš le Pvoi pere des Princeffes, avoit ach eve'par la de le prendre en averfion : ainfi quand il fút les pré> cautions que ce Prince avoiť pris z:'V égard deTes filles, il fe fitun pernicieux plaifir de tromper la prudence d'un pere ii foupe,onneux, Pvichercautelle obtint permiffion du Roi fon pere ďaíler faire yoiage fous des prétextes qiťil invents, & il prit des mefures^ qui le firent parvenir á entrer dans la Tour des Princeffes comme vous avez vív; En examinant le Chateau ce Prince remarqua qu'il étoit facile aux Princeíiés de fe faire entendre des paffans, & il en conclut qiťil devoit refter dans fon déguifement pendant tout íe jour; parce qiť elles pourroient biem, Ti elles s*cn aviíbient, appellor du monde & le faire punir de fon ěnťrepriíV té-méraire. II conferva done ťoute la joiirr.ee les habits & le perfonnage d*une gueufe de profeííion; & le foir, lors que les trois íbeurs eurent foupé, Riché-cautelle jetta les haillo'ns qui le cptfvroient & laiffa voir des habits de Cavaliers touš couverts cT or & de pierreries. Les pauvres Princeffes furent li épouyentées de cette vue, que Joutes^ fe mirent a fuir avec precipitation Finette & Babillarde qui etoient agiles, eurent bien-tót gagne leur chambre: mais 76 Les Ävantures mais Nonchalante qui avoit ä peine l'ufage de marcher,, rut en un inftant atteinte par le Prince* Audi tot il fe jetta a fes pieds, lui declara qui il etoit, & lui dit que la reputation de fa beaute §i fes Portraits l'avojent engage ä quitter une Cour delicieufe pour lui venir offrir fes voeux & fa foi. Nonchalante .fut d'abord fi eperdue, qu* eile ne pouvoit repondre au Prince, qui etoit toujours ä fes genoux: mais comme en lui difant mille douceurs & lui faifant mille protestations, il la conju-roit a.vec ardeur de le recevoir pour Epoux des ce moment - la meme; fa molcffe naturelle ne lui laik fant pas la force de difputer , eile dit nonchalant-ment ä Riehe-cautelle qu' eile le croyoit fin cere. & qu' eile acceptpit fa foi. Elle n* obferva pas de plus grande formalitez que celles-la dans la conclufion de ce manage; mais aufii elle en perdit fa Quenoiiille; eile fe bnfa en mille niorceaux, Cependant. Babillarde & Finette etoient. dans des inquietudes' etranges. Elles avoient gagne fepare-.. ment lcurs chambres, & elle^ s*y etoient enfer-mees: Ces chambres etoient affcz eloig-necs Tune del*autre, & comme ehacune de ces Princeffes ig-noroit enüerement le deltin de fes foeurs, elies pa£ ferent lamuit fans fermer 1' peil. Le lendemain le pernicieux Prince mena Nonchalante dans uri ap* partcmerjt'bas qui etoit au bout du Jardin: & la cette Princeffc temoigna a Pviche-cautelle. V inquietude oil eile etoit de fes fceurs, queiqu' elle n' ofat fe prefenter, devant clles, dans la crainte qifelles ne blamaffent fort fon mariage. Le Prince lui dit quMl fe chargeoit de le leur faire aprouver; & apres quelques d.ifcours il fortit, . & enferma Nonchalante fans, qu'elle.s'en aperlitt: enfuite. il fe mit a chercher ies Princeffes avec foin. II fut quelque temps fans pouvoir decöuvrir dans quelles chambres elles v de Fiňettč. 77 dies étoient enfermées: Enfin Penvie qu'avoit Ba-billarde de toujOürs parier, étant cauie que cette Prmceffeparloít toute feule en feplaignant; lePrince I' aprocha de la porte de fa chambre & la vit par le trou de la ferrüre. Pviche-cautelle lni parla au travers de la porte, & lui dk, cornme il avoit dit a fa fceur, que c'e-toit pour lui ofFrir fon coeur & fa foi, qu*il avoit fait V entreprife ď entrer dans la Tour: II loiioit avec exagération fa beauté & fon efprit; & Babillarde qui étoit trés perfuadée qu'elle poffedoit un merite extréme futaffez folie pourcroire ce que le Prince lui diíbit: eile lui répondit un flux de paroles qui n' é-toient pas trop defobligeantes« II falloit que cette Princeffe eút une étrange fureur de parier pour s*en aqnitter comme eile faifoit dans ces momens; car eile étoit dans un abattement terrible ; outre qu'elle n' avoit rien mangé de Ja journée par la raifon qu' il n' y avoit rien dans fa chambre propre á manger. Comme ellc étoit ďnnepareffe extréme & qu'elle ne fongeoit jamais i rien qiť ä toujours par-^ ler, eile n' avoit pas la moindre prévoyance: quand eile avoit befoin de quelque chofe, eile avoit re-cours á Finette; & cette aimable PrinceíTé qui étoit aulfi laborieufe & prévoyante que fes foetirs 1'étoient peu, avoit toůjours dans fa chambre une infinite de Maffepains, de Pátes, & de Confitures leches fy liquides, cju'eile avoit fait eile méme. Babillarde done qui n* avoit pas un pareil avantage, fe fentailt preffée par la taim & par les tendres prote-ilations que lui faifoit le Prince au travers de la porte, l'ouvrit enfin á ce fédu&eur, & quand eile cut ouvert, il fit encore parfaitement le Comedien auprés d'elle: il avoit bien étudié fon rolle. Enfuite ils fortirent tons deux de cette chambre! & s*en allereát ál'Office du Chateau, oůjIis trou- yérent / j% Les Avantures vereht toutes fortes de rafraichiflemens: car le Cor-billon en fourniffoit toujour* les Princeffes d'avan-cc. Babillarde continuoit d'abord ä etre en peine dece qu' etoient deveuuesfes foeurs; mais eile s'al-la mettre dans Pefprit, fur je ne fai quel fmde-ment, qu'elles c:oient fans doute toutes äeux.eit-fermees dans la chambre de Finette, ou elles ne manquoient de rien. Riehe-einteile fit toils fes efforts pour la confirrner dans cette penfee, & luidit qu'ils iroient trouver ces Princeffes vers le lqj.it» Ellene fut pas de cet avis, eile repondit qu'il fal-Ioit aller les chercher quand ils auroient mange* Enfin le Prirtce & la PrincefTe mangererit eä-femblc de fort; bon accord; & apres qu*ils eUrent acheve^ Riche-cau telle denlanda ä aller Voir le be! apartement dit Chateau: II donna la main ä la Prin-ceffe; qui le mena dans ce lieu; & quand i? y fiitj il recommenca ä exagerer la tendreffe qu'il avoit poür eile &les avantages qü'elle trouveroit eii Te-poufant: 11 luidit, comme-il ävoit dit ä Nonchalante, qu' eile devoit accepter fa foi aü moment meine; parce que ficelle alloit trouver fes foeiirs $ a-vant que de I'avoir recu poiir Epoux^ elles rieman-queföient pas de s'y^oppofcr: puifqu*etant fans contredit le plus punfant Prince voifin^ il paroii-foit plus vrai-femblablement ua Parti poür l'aince que pour eile: qu* ainfi cette Princeffe ne confen-tiroit jamais ä une union qu' il fouhaitoit avec tou-tel'ardeur imaginable. Babillafde, apres bierideS difcours qui ne fi^nifioient fieri,, fut aitffi extravagante qu* avoit ete fa foeur: die accepta le Prince pour Epoux, & ne fe fouviril des effets de fa Que^ noüille de verre^ (jit'apres que cette Qüenoüille fut caffee en cent pieces. Vers le foir Babillarde retourna dans la chäitt-iire avec le Prince 3 & la premiere chofe que Vit cette de Finette. 79 eette Prineeffe, ce fut fa Quenoüille de verre en morceaux: Elle fe troubla ä ce fpe&acle: le Prince lui demanda 1c fujet de ion trouble: Com me la rage de parier la rendoit incapable de rien taire, eile, dit ibttement ä Riehe - cautelle le miftcre des Que-noüilles; & ce Prince.eut une joyede fcelerat, de ce que le Pere des Princeffes feroit par lä enti-erement convaineu de la mauvaife conduite de fes fill es* Cependant Babillarde n* etoit plus en humeur d'aller chercher fes feeurs; eile craignoit avec rai-fon qu' elles ne puflbnt aprouver fa conduite: mais le Prince s'offrit de les aller trouver, & dit, qu' il iie manqueroit pas de moyens pour les perfuader de Vaprouver: Apres cette affurance, la Princeffe qui n' avoit point dormila nuit, s'affou-' pit> & pendant qu' eiledormoit Pviche-cautelle Fea-fermä ä la clef 5 comme il avoit fait Nonchalante. N1eft-il pas vrai, belle Comteffe, que ce Ri-che-cautelle etoit im grand feel erat > & ces deux Princeffes de läches & irhprudentes perfohnes? Je fuis fort en colere contre tous ces gens-la, & jene doüte pas que vous if y foyez beaueoup aiiffi: mais ne vous inquietez point, il feront tous traitez comme Iis meritent: II n*y aura que la fage & coura-geüfe Finette qui triomphera, Qüaild ce Prince perfide eüt enferme Babillarde i il alia dans toutes les chambres du Chateau les ünes apres les autres, & comme il les trouva toutes ou-Vertes, il conclut qu'une feule> qu'il voyoitfermöe i>ar dedans, 6toit affurement celle oü s'etoit retiree finette, Comme il avoit compofe" une Harangue circulaire , il s*en alia debiter ä la porte de Finette les memes ehofes qu'il avoit dit ä fes freurs: Mais cette Princeffe, qui 11'etoit pas une dupe comme in $ö Lis Avaniuns fes ainees, V ecouta iong-tems fans lui ^epondre t Enfin voyant qn'il etoit eclairc! qu'eile etoit dans cette chambre, eile lui eilt, que s* II etoit vraiqu*il eüt urie tendreffo auffi forte & aufli fmeere pour eile qu il voisloit le lui^ perfuader; eile je prioit.de defeendre dans le Jardin > & d' en fermer la porte. fur lui? & qu*apres eile Iii! parleröit tant qu'il voudroit par la feüetre de fa chambre qui donnöit fur ce Jardin» Riche-cautelle.ne vouioit point accepter ce par^ ti, & comme la Pfinceife s'opiniätroit toujours ä ne point vouloir buvrir, ce mechant Prince, outrd d*impatience, alia emerir une buche & enfönca la porte. II trouva Finette armee d*un gros marteaü qu^on avoit laiffe par hazard dans une garderobe qui etoit proche de fa chambre. L'emotion änimoit le tein ät cette Princefle, & quoi que fes yeux fuf-fent pleins de colere, eile parut ä Pviche- cautelle d'^une beaute ä enchanter* II voulut fe jetter ä fes pieds, mais eile lui dit fi^rement en fe reculantj Prince fi vous äprochez de moi je voüs fendrai la tete avec ce marteau. Quoi! belle Princeffe! s*ecriä Riehe-cautelle de fon ton d* hypocrite, 1'amour qu'on a pour vous satire une fi cruelle hairie? 11 fe mit ä lui pröner de nouveau, mais d'uri bout de lä chambre ä P autre, l'ardeur violerite que lüi ayoit infpire la reputation de fa beaute & de fön efprit merveillgux: 11 ajouta qu' il ne s*etoit deguife que pour venir Itii oftrir avec refpect fon coeur & fa main $ & lui dit qu*elle devoit pardonner ä la Violence de fa paffion la hardieffe qü il avoit eü d'en-foncer fa porte, II finit eri lui voulant perfüader^ comme il avoit fait avoit fait ä fes foeurs, qu'il e-toit de fon interet de le recevoir pour Epöux au plus vite. 11 dit encore ä Finette qu'il ne iavök pas oü s'etoient retirees les Princeffe fes foeurs | parce qu'il ne s'etoit pas mis en peine de les eftet* de Finette, 81 cner, tfayant fötige qu'a eile» L'adroitc Princef-fe, feignant de fe radoucir, lui dit qu'il falloit chercher fes fceurs, & qu'apres on prendroit des fnefures tons enfemble: mais Riche-cau teile lui re-pondit quMl ne pouvoit fes refoudre ä aller trou-ver les Princeffes, qu'elle n'eut confenti ä lepou-fer; parce que fes fceurs ne manqueroient pas de s'y oppoier, ä caufe de letir droit d'aineffe. Finette, qui fe deficit avec raifon de ce Prince perfide, fentit redoubler fcsfoup^ons par cette re-ponfe: eile trembla de ce qui pouvoit etre arrive ä fes fceurs, & fe rcfolutde les vanger du memc coup qui lui feroit e viter un malheur par eil a celui quelle jugeoit qu' eil es avoient eu. Cette jeune Princef-fe dit done äRiche-cautclle, qu'elle confentoit fans peine a V epoufer i mais qu* eile etoit perfuadee que les manages qui fe faifoieht le foir etoient toüjours malheureux: qu'ainfi eile le prioit de remettre la Ceremonie de fe donner une foi reeiproque au len-demain matin. Elle a jo Uta qu' eile P affuroit den' a-vertir les Princeffes de rien, & lui dit qu'elle le prioit dclalaiffer un pen de temps'feulepoiirpenfec au Gel; qu'enfuite eile le meneroit dans une cham-bre oil il trouveroit un fort bon lit, & qu'apres eile reviendroit s'enfermer chez eile jufqu'au len-demain. Riche-cautclle qui n'etoit pas un fort courageux perfonnage, & qui voyoit toüjours Finette armee du gros marteali, dont eile b'adinoit comme on fait d'un evantail, Riche:caiitelle, dis-je, confentit a ce qui' foii'haitoit la Princeffe, & fe retira pour la laiffer quelque temps rnediter. 11 ne fut pas plütöt eloigne que Finette conrut faire un lit fur le trou d'un Egout qui etoit dans uns chambre du Chateau, Cette chambre etoit äuffi propre qu' une autre: ftiais on jettoit däns le trou de cet Egoüt qui etoit Tem< II. F fort 82 Les Avantures fort fpacieux, toutes les ordures du Chateau. Finette mit fur ce trou deux, batons croifez tres-foi-bles, puis elle fit bien proprement un lit par def-fus, & s' en retfjurna auffi-totdans fa chambre, Un moment apres Riche-cautelle y revint & la Princef-fe le conduifit ou elle venoit de fake le lit & fe re-tira. Le Prince, fans fe deshabiller■> fe jetta fur le lit avec precipitation, & fa pefahteur ayant fait tout d*un coup rompre les petits batons, il tomba ait fond del-Egoiit, fans pouvoir fe retenir, en fe fai-fant vingt boffes a la tete, & en fe fracaffant de tous cotez. La chute du Prince fitun grand bruit dans le tuyau: d'ailleurs il n' etoit pas eloigne de la chambre de Finette; elle fut auffi-tot que fori artifice avoit eu tout le fucccs qu'elle s'etoit promis, & elle en reffentit une joye fecrette qui lui fut ex-tremement agreable: On ne peut pas decrireleplal^ fir qu'elle eut de 1*entendre barboter dans l'Egout* II meritoit bien cette ^unition: & la Princcffe avoit raifon d' en etre fatisfaite, Mais fa joye ne 1'occupoit pas fi fort qu' elle lie i>enfat plus a fes fceurs. Son premier foin fut de es chercher. II lui fut facile de trouver Babillar-de: Riche-cautelle apres avoir enferme cette Prin-ceffe a double tour, avoit laiffe la clef a fa chambre: Finette entra dans cette chambre avec empref-fement, & le bruit qu'elle fit reveilla fa foeur en furfaut. Elle fut bien confute en ?a voyant: Finette lui raconta de quelle maniere elle s'etoit defaite du Prince fourbe qui etoit venu pour les outrager. Babillardefut frapee de cette nouvelle comme d'un coup de foudre: car malgre fon caqu£t elle etoit fi peu eclairee qu' elle avoit cru ridiculement, tout ce que Pviehe-cautelle lui avoit dit. II y a encore des dupes -comme celle-la au monde. Cette Princeffe dilumulant .1' exces defa douleur fortit de fa chambre pour aller avec Finette chercher Nonchalante: •• • Eiles de .tinette. $3 Elles paŕcolirurent toutes les chambres du Chateau fans'trouver leur fceur: enfin Finette s'avifa qu'elle pouvoit bien étre dans ľ aparrement du Jardin: EU les ľ y'trouvérent en eŕľet demi-morte de deíefpoir & de fôiblelľe; car eile n7 avoit pri s aucune nourri-ture dc la jqurnée. Les Princefíe lui donnérent tous les fécoUŕS néčeífaires; enfuite clles firent en-femble des éclahviffemens qui mirent Nonchalante & Babillarde dans une douleuŕ mortelle: puis toutes trois s' allérent repoiér, Cepeiidant Riche-caUtelle paíľa la nuit fort mal á fon aife> & qualid le jour fut venu, il ne fut gué-res mieux. Ce Prince le trouvoit dans des Caver-nes dont il ne pouvoit pas voir toute ľhorreur, par-ce que letjour n'y donnoiť jamais:. Néanmoíns á force de fe tourmcnteŕ, il trouva ľiffue de ľEgout, qui donnoit dans une Riviere afíez élotgnée du Chateau. 11 trouva moíen de fe faire entendre ä des gens qui péchoiertt dans'čette Riviére } dont ilfut tiré dans un etat, qui fit companion ä ces bonnes gens* II fe fit transporter á la Cour du Roi fon pere pour fe guérir ä loifir, & la difgrace qui lui étoit arrivée lui fit prendre une fi forte haine contre Finette, qu'il fongea moins á le guérir qu'ä fe veil* ger d* elle. .... .' Cette Princcíľe paíľoit des m omen š trifles; ja gloire lui étoit mill.é föi.s plus ctiére que la vie, & la honteníe foibleťíé cle fes fceurs la mettoit dans un defefpoir dont elle avoit peine á íe ŕendre maítreffe» Cepeiidant la maUVaife fante de ces deux Princef-fes, qui étoit cauíée par les fuites de leurs manages 'indigrtes, mit encore la conílancé de Finette á ľ épteuve. Ŕiche-čauielie, qui étoit deja un habilö--fourbe , rapella tout fön elprit depüis fon, avantu-re pour devenir fourbiííime I Ľ Egoiit, ni lcs con- .F 2 tuiU §4 Les Avantures tufions, ne lui donnoient pas tant de chagrin, que le depit d' avoir trouve quelqu'un plus fin que lui. 11 fe douta des fuites de fes deux manages; & pour tenter les Princefies malades, il fit porter (bus les fenetres de leur Chateau des grand es caiffes rein-plies d' arbres tous chargez de beaux fruits. Nonchalante & Babillarde qui etoient fouvent aux fenetres , ne manqucrent pas de voir ces fruits: auili-tot il leur prit une envie violente d' en manger, & elles perfecuterent Finette de defcendre dans le Cor-billon pour en aller cueillir. La complaifance de cette Princefie fut affez grande pour vouloir bien contenter fes foeurs: elle delcendit & leur raporta de ces beaux fruits, qu'elles mangerent avec la der-niere avidite. Le lendemain il parut des fruits d'une autre efpece. Nouvelle envie des Princeffes: nouvelle complaifance de Finette : mais des Ofliciers de Ri-che-cautelle cachez.& qui avoient manque leur coup la premiere fois, nele manquerent pas celle ci: lis fc faifirent de Finette & 1'emmener ent aux yeux de fes foeurs qui s'arrachoient les cheveux de de-fefpoir. i 1 Les Satellites de Riehe - cautelle firent fi bien qu'ils menerent Finette dans une maifon de Campagne oil etoit le Prince pour achever de fe remettre en fante. Comme il etoit tranfporte de fureur con-tre cette Princefie, il lui dit cent chofes brutales, a quoi eile repondit toujours avec une fermete & une grandeur d'ame digne d'une heroine comme el-le etoit.^ Enfin apres 1* avoir gardee quelques jours prifonniere, ilia fitconduire au fommet d'une mon-tagne extremement haute, & il y arriva lui-meme un moment apres elle. Dans ce lieu il lui annon^a qu on l* alloit faire mourir d'une maniere cjui leveh-geroit des t.oiurs.qu' elle lui avoit fait; 'Enfuifce ce peril. \ cle Finette, 35 perfide Prince montra barbarement á Finette un ionneau tout herilTé par dedans decanifs, de ra-foirs & de clous á crochet, & lui dit que pour la punir comrae elle le méritoit on Falloit letter dans ce Tonneau; puis le rouler du haut de la montag-ne en bas. Quoi que Finette ne fut par Romaine, elle lie tut pas plus effraiee du fuplice qiťon lui preparoit, queRegulusl'avoit été autrefois á la vůě d'un deftin pareil: Cette jeune Princeffe conferva toute fa fermeté & méme toute fa préfence ď efprit. Pviche-cauteile au lieu ď admirer fon caraclére he-ro'ique, en prit une nouvellerage contre elle & fon-gea á háter fa mort. Dans cette vůě il febaiffavers T entrée du Tonneau, qui devoit étre 1' inftrument defa vengeance, pour examiner š'ilétoit bienfour-ni de toutés fes armes meurtriéres. Finette qui vit fon perfecuteur attentif á regarder, he perdit point de temps; elle le jetta habilement dans le Tonneau, & elle Is fit rouler du haut de la montagne en bas j fans donner au Prince le temps de fe reconnoitre. Aprés ce coup elle prit la fuite, & les Officiers du Prince, qui avoient vú avec une extreme douleur-la maniére cruelle dont leur Maitre vouloit trai-ter cette aimable Princeffe, n'eurent garde de cou-rir aprés elle pour 1'arréter. D' ailleiirs ils étoient fi eiFraiez de ce qui venoit cfarriver á Riche-cauteU le: qu ils ne purent longer á autre chofe qu'ata-cher ďarréter le Tonneau qui rouloit avec violence: mais leurs foins furent inutiles : il roula juf-quau bas de la montagne, & ils en tirérent leur Prince convert de mille plaies, L' accident de Riche-cautelle mit au defefpoir le Pvoi iVloult-benin & le Prince Bel-á-voir. Pour les Peoples de leurs Etats, ils n' en furent point tou-chez: Riche-cautelle en étoit trés-hai; & memel'on s'ětonnoit de ce que le jeune Prjnce qui avoit des fenthnens fi nobles & fi généreux, put tant aimer F 3 cct gg Les Jvantures cet indignc ainej Mais tel etoit le bon naturel dej Bel-a-voir qu'il s'attachoit fortemcnt a tons ceux de lbn fang; & Riche-cautelle avoit toujour* en l'a-. dreffe de mi temoigner tant d' amkie, que ce gene-reux Prince n' auroit jamais pü fe pardonner de n'y pas röpondreavecvivacire. ' Bel-a-voir eut done line douleur violente des blcflures de fonfrere, & |1 mit tout en ufage pour tacher de les guerir prompt tement: cependant malgre les foins empreffez que tout le monde en prit, rien no foulageoit Riche-cautelle: au contraire fes plaies femblcient toujours' s* envenimer de plus en plus & le faire fouffrir long-temps, Finette, apres s etre digagee de PefFroiable dan« ger qu' eile avoit couru ; avoit encore regagne heu-reufement le Chateau oü eile avoit laiffe fes foeurs, & elle n'y fut pas long-temps fans; etre livr.ee a de noUveaux chagrins. Les deux Princeffes mirent au monde chacune Uli fils, dont Finette fe trouva fort embaraiTee, Cependant le courage de cette jeune Princeffe ne s'abattit point: l'envie ou'elle cut de cacher la honte de fes foeurs la fit reioudre ä s'ex-poier encore unefois, quoi qu'elle en vit bien le. peril. Elle prit pour faire reüfiir le deffein qu'elle avoit, toutes les mefures que la prudence pent in-ibirer: elle fe deguiiaen homme: enferma les en-tans de fes foeurs dans des Boetes, & eile y fit des fjetits trous vis-a-vis la bouche de ces enfans pour eur laiffer la refpiratioii: elle prit un cheval: em-porta ces Boetes & quelques autres: & dans cec e-. quipsge eile arriva ä la Ville capitale du Roi Moult-, benin, ou etoit Pviche-cautelle, Quand Finette fut dans cette Ville, elleaprit que la mamere magniflque dont le Prince Bel-ä-voir recompenfoit les remedes qu'on donnoit ä fon frere avoit attire a la Cour ious les Charlatans de l'Euro* de Finette. 87 pe: Car des cc temps-la il yavoitquantited'avantu-riers fans emploi, fans talent, qui fe donnoient pour des hommes admirables, qui avoient recu des dons du Ciel pour gnerir toutes fortes de maux. Ces gens, dont la feule fcience etoit de fourber hardi-ment, trouvoient tou jours beaucoup de cro'iance parmi les peuples: lis fcavoient leur impofer par leur exterieur extraordinaire, & par les noms bizar-res qu'ils prenoient. Ces fortes de Medecins ne re-ftent jamais dans le lieu de leur naiffance, & la prerogative de venir de loin, fouvent leur tient lieu de merite chcz le vulgaire, » L'ingenieufe Princeffe, bien informee de tout cela, fe donna un nom parfaitement etranger pour ce lloiaume-la: ce nom etoit Sanatio; Puis elle fit annoncer de tous eotez que le Chevalier Sanatio e-toit arrive avec des fecrets meryeilleux pour guerir toutes fortes de bleffures les plus dangereufes &les plus envenimees. Aufli-tot Bel-a-voirenvoia querirle pretendu Chevalier. Finette vint: fit le Medecin empirique le mieux du monde: debita cinq ou fix mots de 1* art d'un air Cavalier; rien n' y manquoit. Cette Princeffe fut furprife de la bonne mine & des manieres agrcables de Bel-a-voir, & apres avoir raifonne quelque temps avec ce Prince au fujet des bleffures de Richecautelle, elle dit qu'elle alloit querir une bouteille d'une eau incomparable9 &ce-pendant elle laiffoit deux Pokes qu'elle avoit apor-tees, qui contenoient les onguents excellens, pro-pres au Prince bleffe. La-deffus le pretendu rvledecin fortit; il ne re-venoit point: Ton s'impatientoit beaucoup de le voir tant tarder. Enfin, comme on alloit envoYer le preffer de revenir, on entendit des cris de petits en fans dans la chambrc de Pviche cautelle. Cela fur-prit tout le monde, car il ne paroiffoit point d'cn- F 4 fans: 88 Les Avantures fans: Quelqirun preta loreille, & on.decouvrit que ces cris venoient des boetes de 1* Empirique. Cetoit en effct les ncveux de Finette. Cette Princeffe leur avoit fait prendre beaucoup de nour-riture avant que de venir au Pahis: rnajs comme il y avoit deja long-temps, lis en fouhaitoient de nou-velle, & ils expliquoient leurs befoins en chantant fur un ton dolent.. On ouvrit le boetes,. & T on fat fort furpris d' y voir bien efTe&ivernent deux Marmots qipon trou.va fort jolis. Riche-cautelle fe douta ailffi-tot que c'etoit encore un nouveau tour de Finette: il en concut une fureur qifon ne peut pas dire, & fes maux en augmenterent a un tei point, qu' on vitbien qu* ilfalloit qu' il en mourut. Bel-avoir en fut penetrc dedouleur, & Riche-cautelle, perfidc jufqu'a fan dernier moment, fon-gea a abufer de la tendreffe de fon frere. Vous m avez toujours aimd, Prince, lui dit-il& vous pleurez ma perte. Je n* ai plus befoin des preuves de votre ami tie par raport a la vie. Je meum imais li je vous ai ete. veritablement cher, promet-tez-moi de m'accorder la priere que je vais vous faire. Bcl-a-voir qui dans l'etat ou il vo'ioit: fon frere fe fentoit incapable de lui rien refufer, lui pro-mit avec les plus terribles fermens de lui acsorder tout ce qu'it lui demandoit* Auffi-tot que Riche-cautelle eut entendu cesfermens, il dit a fon. frere. cn 1 embraflant: jemeurs conlole, Prince, puifque je ferai vange; Car la priere que j'ai a vous faire, c'eft de demander Finette en mariage auffi-tot que je ferai mort: vous obtiendrez fans dome cette ma-ligne Princeffe, & des qu'elle jera en votre pou7 voir, vous lui plongerez un poignard dans le fein. Bel-a-voir frcm.it d*horreur a ces mats: il fe rcpen- tit ) de Finette. 89 tit de P imprudence de fes fcrmens: mais il n' etoit plus temps de ie dödire, & il ne voülüt rien te-rnoigner de fon repentir a ion frere; qui explra peu de temps apres. Le Roi Moult-benin eneutune fenfible douleur : Pour ion peu pie, loin de regret-1 ter Pviche-cautelle, il fut ravi qae fa mort aOurät la fucceffion du ivoi'aume ä Bel-a voir, dont ie merite etoit cheri de tont le monüe. Finette qui etoit encore une fois heureufement retournee apres de fes ibeurs, aprit bien-töt la mort de Pviche-cautelle, & peu de temps apres on annon^a max trois Prineeffes le retour du Pvoi leur pere. Ce Prince vint avec emprefieraent dans leur Tour, & foil premier foin fut de demander ä voir les Que-noüilles de verre. Nonchalante alia querirla Que--nqüille de Finette, la montra au Roi;. puis ay ant fait une profonde reverence, eile reporta la Que-noüille ou eile l'avoit prife. Babillarde fit le mc-me manege, & Finette ä fon tour aporta fa Que-no.üille: Mais le Pvoi, qui etoit foupconneux, vou-lut voir les trois Quenoüilles.ä la fois: il n'yeut que Finette qui put montrer la fienne, & le Roi entra dans une telle fureur centre fes deux filles ai-nees, qiP il les envoia ä Pheure meme a la Fee qui ]ui avoit donne les Quenoüiiles, en la priant de les garder toute leur vie aupres d' eile & de les punir comme elie le meritoient. Pour commencer la punition des Prineeffes, la Fee les m;£'na dans une gaterie de fon Chateau en. chante, oü eile avoit fait peindre FHifloirc d'un nombre intini de femmes illuftres, qui s' etoient ren-dues celebres par leurs vertus & par leur vie labp-rieufe. Par un effet merveilleux de Part de Fcerre toutes ces figures avoient du mouvement & etoient en action depuis le matin■jufqu'au loir: On vcyost de tous cötez des trophees & des de vifes a. la 0Qit§ F s -de $0 Les Avantures de ces femmes vertueufes; & ce ne fut pas une Ie> gére mortification pour les deux fceurs, de comparer le triomphe de ces heroines avec la ütuation mé-prifable oü leur malheureufe imprudence les avoit réduites. Pour comble de chagrin, la Fée leur dit avec gravité ; Que fi elles s' étóicnť aufíi bien occu-pées que celieš dont elles voyoient les Tableaux, elles ne féroient pas tombées dans les indi'gnes éga-remens oú elles s* étoient perdues; mais que ľoifi-veté étoit mere de tons vices & la foiiTce de tous íeurs malheurs, La^Fée ajoúta que pour les cmpčcher de retomber jamais dans des malheurs pareils, & pour leur faire réparer le temps qiťelles avqient perdu, elle alloit lesbccuper ď une bonne maniere. En ef-fet,eile obligea les Princeffes des' employer aux tra-vaux les plus gro fliers & les plus vils, & fans égard pour leur teint, elle les envoyoit cueillir des pois dans fes Jardins & en arraclier les mauvaifes herbes* Nonchalante ne pút réfifíer au defefpoir qiťelle eut de mener une vie fi peu conforme á fes inclinations:■ elle mourut de chagrin & de fatigue. Babillarde qini trouvamoYen, quelque temps aprés, des'é-chaper la nuit du Chateau de la Fée, fe caffa la tete contre un arbre & mourut de cette bleffure entre les mains des Pa'ifans. Le bon naturel de Finette lui fit refíentir une douleur bien vive du deílin de fes fceurs: & au milieu de fes chagrins elle aprit que le Prince Bel-ä-voir ľ avoit fait demander en mariage au Roi fon pere, qui ľ avoit accorclée fans ľ en avertír: car des ce temps-lá ľ inclination des parties étoit la moindre chofe que ľ on confideroit dans les mariages. Finette trembla ä cette nouvelle: elle craignft avec raifon que la haine que Riehe-cautelle avoiť pour elle n* eut pafľé dans le cceur ďun frerc dont il étoit ft chéri; & elle aprehenda oue ce jeune Prince ne voulút ľépoufer pourla factiíier á íbnfrere. Pleti ne, • de Finette* 91 lie de cette inquietude, la Princeffe alia confulter la Tage Fee, qui Peftimoit autant qu' eile ave-it me-prife Nonchalante & Babillarde, La Fee ne voulut rien reveler ä Finette: eile lux dit feulement: Princeffe, vous etes fag.e & pruden-te: vous n'avez pris jufqu'ici des meiures Ii juftes pour vötre conduite qu'eu vous mettant toüjours dailS 1 efprit que defiance eß mere de feurete. ContillUeZ de vous ibuvenir vivement de V importance de cette maxime, & vous parviendrezä etre heureufe fans le fecours de monart, Finette n'ayant pu tirer d'autre eclaireiffement de la Fee, s.'en retourna au Palais dans une extreme agitation, * Quelques jours apres cette Princeffe fut epoufee par im Ambaflfadeur au nem du Prince Bel-a-voir: & on I' emmena trouver fön Epoux dans un equipage magniiique. Qn lui fit des entrees de meme dans les deux premieres Villcs frontieres du Roi Moult-benin; <& dans la troifieme eile trouva Bel-ä-voir, qui etoit venu au devant d'elle par P ordre de fori Pere. vTout le monde etoit furpris de voir la trifleffe de ce jeune Prince auxaproches d'un manage qu' II avoit temoigne fouhaiter: le Roi meme lui en faifoit la guerre, & 1'avoit envoys malgre lui au devant de la^Princeffe, Quand Bel-ä-voiria vit, il fut frape de fes char-mes: il lui en fit compliment; mais d'une maniere fi confnfe que les deux Cours qui favoient combien ce Prince etoit fpirituel & galant, crurent qu'il en etoit fi vivement touche, qu' ä force d' etre amou-reux ilperdoit fa prefence d'efprit. Tonte la Vil-le retentiffoit de cris de joye, &. Von n'cntendoit de tous cötez que des Concerts & des Feux d artifice, Enfin apres un foupe magnifique, on fongea a mener les deux Epoux dans leur apartement. Finet- 92 Les Avantures Finette qui fe fouvenoit toujours de la maxime que la Fee lui avoit renouvellee dans l'efprit, a-voit fon deffein en tete. Cette Princeffe avoit gag*-he une de fes femmes, qui avoit la clef du Cabinet de P apartemcnt qu' on lui deftinoit, & elle avoit donnc ordre a cette femme de porter dans ce Cabinet, de la paille, uneveifte, du fang'de mouton, & lcs boyaux de guelques-uns des animaux qu'on avoit mangez au foupe. La Princeffe paffa dans ce Cabinet fou s quel que pre-texte,. & compofa une figure de paille, dans laquelle elle mit les boyaux & fa veffie pleine de fang: Enfuite elle ajufta cette fU fare en deshabille de femme & en bonnet de nuit. .orfque Finette cut acheve cette belleiVlarionnet-te, elle alia rejoindre la compagnie, & pell de temps apres on conduifit la Princeffe & fon Epoux dans leur apartement. Quand on eut donne a la Toillette le temps qu'ils lui falloit donner, la Da-, me d'honneur emporta les flambeaux & fe retira. AuMi-tot Finette jetta la femme de paille dans le lit^ & fe cacha dans un coin de la chambre. Le Prince apres avoir foupire deux ou trois fois fort haut,- prit fon epee & la paffa au travers du corps de la pretcndue Finette: Au meme moment il fentit le fang ruiffeler de tous cotez, & trouva la femme de paille fans mouvement. Qu'ai-je faitli s'ecria Bel-a-voir. Quoi! apres tant de cruelles a-gitations! Quoi! apres avoir tant balance ii je gar-derois mes fermens aux depens d' un crime, f ai ote la vie a une charmante Princeffe que j' etois ne pour aimer! Ses charmes m'ont ravi des le moment que je 1'ai vue; cependant je n'ai pas en la force de m1 affranchir d' un ferment quTin frere poffede de fureur avoit exige de moi par une indigne furprife! Ah! Ciel! peut-on fonger a vouloit punir une femme d'avoir trpp de vertu! Pie bien! Riehe-cautel-le j j' ai fatisfait ton injufte vengeance: mais je vais vanger de Finette. 93 vanger Finette ion tour par ma mort. Oiii, belle Princeffe, il faut que de la meme epee,.». A ces mots Finette entendit que le Prince, qui dans fon trarlfport avoit laiffe tomber ion £pee, la crier-choit pour fe la paffer au travers du corps: elle ne voulut pas qu'il fit une telle ibttiie: ainfi elle mi cria, Prince, jene.fuis point morte: Votre bon coeur m* a fait deviner votre repentir, & par une tromperie innocente, je vous ai epargne un crime. La-deffus Finette raconta a Bel-a-voir la prevo-yance qu'elle avoit cue touchant la femme de pail-le. Le Prince tranfporte de joye d* apprendre que la Princeffe vivoit, admira la prudence qu'elle avoit en toutes fortes d'occafic-ns, & lui eut une obligation infinie de lui avoir epargne un crime a quoi il rie pouvoit penfer fans horreur, & il ne compre-noit pas comment il avoit eu la foiblefle de ne pas voir la nullite des malheureux fermens qu' on avoit exige de lui par artifice. Cependant fi Finette n'eut pas toujours ete bien perfuadee que dtfiance eft mere de fturett j elle eut ete tuee, & fa mort eut ete caufe de celle de Bel-a-voir, & puis apres on auroit raifonnc a loilir fur la biza-rerie des fentimens de ce Prince. Vive la prudence & la prefence d'efprit! elles prcferverent ces deux Epoux de malheurs bien funeftes, pour les refer ver a un dellin le plus doux du monde. lis eurent toujours fun pour 1'autre une longue fuite de beaux jours dans une gloire<>& dans une felicite qu' on auroit peine a bien d ecrire. 1M CONTE CONTE MOINS CONTÉ SANS PARANGOK IL y# avoit line fois tin Pvoi &une Reine qui me^ noientune vie fort paticuliére; un jeune Prince & une Princeffe fort aimable,- etoient le fruit de leur mariage; la petite Princeffe fut nominee Belle-main, parce qu' elle avoit efre£tivement la plus beU le main qu'il fut poffible devoir. Cétoit Pufagé-dece temps la d'implorer le fecourš des Fees aux couches des grandes Princeffes; cependant ce Roi qui méprifoit leurs enchantemens, & qui icavoit combien ii eíl dangereux de péiiétreř dans Vaveijiř, n' avoit jamais voulu fpuffriř qu' oil confultát les Fees fur la de.ítinéé de Belle-main, ce qui les avoit fort irritées: La Reine qui aimoitfa fillc avec une extréme tendrcífe, tomboit dans uneprofonde mé-lancolie, toutes les foisqu'elie foňgeoit qiť il fau-droit quelque jour fe féparer de cette aimable Princeffe par un mariage; cette penfée lui donnoit tant d* inquietude, qu'elle s'irnaginoit n* avoir jamais de repos, qu'elle ne fut éelaircie de la deftinée de fa chére fille, ce qui la fit řéíbudřé malére les defences du Pv.oi, de voir fecrétemejit une Fee qui habitoit dans les Montagnes du yoiiinage, qu'on nommoit Ijgourde: cette Fee qui étoit-fort méchailte, & qui cherchoit a fe vanger de ce que la ^ Reine ne 1'avoit jamais appellee á la nailiance de fcs enfans* la re-cut dans un Palais enchanté, tout lambriííe d'or & d'azur, Aprés que la R.cine> lui cut expofé le fu- jet Parangon. jet de ion voyage, & qu'elle Petit priee tres-civi-lement de lui apprendre la deftinee de Belle-main, Ligourde lui repp nd it avec beaucoup de fierte, qu'elle fe tourmentoit inutilement pour rendre fa fille heureufe; qu'elle feroit donnee en eehange d'line autre Princeffe; que Time & 1*autre feroient fort maiheureufes, avec cette difference que les malheurs de Belle - main feroient beaucoup plus longs; qu' elle feroit marice a un Prince qui aime-roit fort les oifeaux, j8z particuiierement un oifeaii rouge, qui caufcroit de grands chagrins a la Princeffe; qu'elle feroit expofee a tous les mepris d*u-ne longue ifrMlite: que fes Sujets fe revolteroient Contrc-ellei que fes Parens lui feroient la guerre; & qu'enfin un^monftfe lui dechireroic les entrailles, & la devoreroit, Toutes les paroles de la Fee fu> rent autant de coups de poignard pour ja malheu-reufe Heine qui tomba evanoui'e aux pieds de Ligourde. La Fee fans s'embarraffer de la faire re-venir, ne fit point d'autre facon que de la tranfpor-ter en cet etat dans le lit du lloi fonMari* Ce Prince qui ne s'etoitrpoint appercu delab-fence de la Reine^ fut fort furpris de la voir evanoui'e, il appella du fecours, & la fit revenir avec peine \ il lui demanda avec beaucoup d'empreffe-ment la caufe de ion mat Mais la Reine alt lieu de lui r^pondre, verfa un torrent de larmes, &laif-fa entendre au Roi au milieu de fes fanglots^ qu'elle youdroit de tout fon cceurque fa fille ne fut jamais nee; elle l'informa enfuite de tout ce que la Fee lui avoit dit: le Roi s'en moqua, affurant qu'il falloit que la Reine eut reve ce qu'elle venoitde lui' conter: Mais Ja Reine qui ie fouyenoit diiiinfte-ment de tout ce que la Fee lui avoit dit, demeura inconlblable, & ai'ant fait appeiler Belle-main, elle X embraffa les yeux baignez de 1* armes, & la con* jura de lui bien promettre de ne jamais fe marier* La $6 Sans La PrincelTc Paffura qu'elle feroit toujoitrs foumi* fe afes volontez; la Reine la tenant embraflee lui parla avec beaucoup de tendr^fTe, & lui fit confidence d'une parti e-des malheurs dont elle etoit me-nacee par la mechante Ligourde, & ajouta qu* elle pourroit les detourner aifement en demcurant tou* jours fille. Cependant plufieurs grands Pvois informed de la beaute & des furprenantes qualitez dela PrincefTe Belle-main, envoyerent des Ambaffideurs pour la demander en manage: mais la Reine y fit toujour* naitre des obftacles, & demeura inexorable aux in-ftances qu'on lui faifoit de toutes parts. . La Princeffe qui tenoit beaucoup de P burnetii? du Roi fon Pere, & cjui n* etoit pas bien perfnadee que toutes les predictions des Fees fuflent infailli-bles, fe donna des foins inutiles pour cn defabufctf la Reine, & fe determiria enfin a faire connoiffance avec line autre Fee qu* on nommoit Clairance , & qui etoit en reputation de n'etre pas malfaifante, pour tacher par fon moyen a s'inilruire de leurs fe-crets, & detourner s' il etoit poffible la fatale deft!-flee dont Ligourde la menacoit: elle avoit oiu dire que les Fees meprifent les richeffes, & qu'on les gagnoit bien plutot par des preTens fort fimples, qu' avec del'or & de 1*argent, ce qui Tobligea de choifir neiif paquets de lin le plus fin qu'il fut poffible de trouver, avec neuf quenoi'iilles, ck neuf fuzeaux de bois de cedre; elle y ajouta encore trei-zenavettes d'yvoire, & chargea fa nourrice de porter ce prefcnt a la Fee, de lui faire milie & mille amitiez de fa part, & denerien oublier pour V engager a la venir voir dans le Palais. La nourrice qui etoit fort adroite s'aqtiitta mer-veilleufement bieri de fa commiffion, en forte que Clai- Parangon. $7 Ciairance touchee^ & du preTent & de lä confiance que la Princeffe Uli temoignoit, renvoya la nourri-ee> lui promettant qu'elle iroit voir la PrincciTe Belle-main lors qu' eile y penferoit les moins, La Princeffe fatisfaite de la negociation de la iiou.rrice, att'endpit avec impatience farrivee de Clakanee, lors qu'ün jour fe promenant avec la Reine la mere dans un Jardin,. elles remarquerent dans un coin une Vieiile qui fllöit, & qui leur demanda Paumone. La Pveine fe fächa, & gronda bien fort de ce qu' on avoit laiffe entrer eette Vieiile dans Iba Tardin: mais la Princeffe qui etoit fort charitable* de fa qüenoüüle, fit trois cercles, & en un mflant ce Jardin fut metamorphofe en un autre beaucoup plus beau, rempli d'une infinite de fleurs, & de grandes allees d'Grangers ä perte de vüe\ avcc des cafcades & des jets d'eau: Je fuis bien aife, dit la Vieiile, de^reeompenfer la Princeffe de fa libe'rali-te, & de faire coAinoitre ä la Reine qu'elle pouvoit s'epargner la peine^ de fe mettre en colere de ce qu1 on m'avpit laifiee entrer dans fon Jardin. La pauvre Pveine e.tonnee de ce changemenc & de ce di-fcours jugea bien que la Vieiile etoit une Fee, & lui demanda^mille fois pardon de, fon ignorances Jeluis^ reprit la Vieiile, la Fee Clakanee, jeyiens Voir Belle-main qui me paroit digne d'une meilleu-re fortune que celle que la mechante Ligourde lui promet. La Pveine ravie de P entendre, fe jetta ä fon col pour Pembraffer; & Qairance ayant bien attentivement examine les yeux, les traits du vifa-ge & les mains de la Princefle: Ligourde, leur dit-elle, eft une Fee fort habile, mais il faut qu' eile ne fe foit.pas bien expliquee, ou que vous nel'a-yez pas bien entendue, car je vous.repons que Belle-main fera mariee arin grand'Roi: elle aura a la Verite quelques chagrins, mais fes chagrins tour- d or.. Alors la Vieiile fe joüant Twm IL G iieront ( \ Sans neront afagloire & afon avatitage, elle aura un Fils qui fera un prodige, vous n'avez a craindre que lcs pieges de la cruclle Ligourde, qui tachera a le faire perir dans fa jeuneffe. La mete & la fille conjurerent la Fee d' avoir pi-tie d7 elles, & de les pro tiger contre la malice de Ligourde; mais Belle-main la fcut fi bien flate'r, & lui demanda fon fecours avec tant de confiance .& des inftances fi preffantes, que la Fee s' engage a a ne 1' abandonner jamais, elle difparut enfuite, Si It beau Jardin auffi. . La Reine & la Princeffe fe retirement fort emerveillees &furprifes, d'une avantu-te fi extraordinaire* II arriva quclque temps apres des Ambafladeurs a la Cour, pour dcmander auKoi la Princeffe Belle-main de la part d' un puiffant Monarque fon voifm j qui temoignoit beaucoup d' emprefTement pour V e* poufer. La Pvcine qui craignoitles malheurs dont la rrinceffe avoit etc menacee, ne pouvoit jamais fe refoudre a la marier; mais le Roi qui avoit apris que fon pretendu Gendre avoit une fceur fort bieii faite, defira que le Prince fon fils Pepoufat Auffi-tot dit, auffi-tot fait; carl'amoureux Roi qui ne fongeoit qu' a poffeder la Princeffe Belle - main jj qu'on avoit deja refufee a tant d'autres Monarques^ donna fon confentement au Mariage de fa foeur. Jamais on n' avoit vu tant de magnificence qu' il s'ert fit a ce double mariage, Ligourde qui ne dormoit point ,^ donna des la premiere nuit des Ndces, plu-fieurs forts a la Bru du Pvoi, fi bien que cette pau~ vre Princeffe fut dans la fuite fort malheureufe: Mais lors quelle en voulut faire autant a la Princeffe Belle-main, que nous ncmmerons a 1' avenir Reine, Clairance qui etoit ineogmt* aupres d' elle* P en emp*cha. Les dělix Fées eurent de grandes conteftatíons, tomme elles eonvenoiént toutesdeuxquelanouvell« Reine pourroitbien-tót devenir groffe ďun Prince* IJgoúrde d,e peiir que Clairancc ne la derancát, donna d'abord trois forts au Prince qui naítroit de Belle-mainj Le premier fút de grandes maladies dans fa jeuneffe, le iecondbeaucoüpd'ennnemis, &le troifiéme uneMai-treffe fi difficilej qu' il pafTeroitla meilleure partie de fa yie á la feryir pour la contenter! Arréte > méchante * interrompit Clairance ^ & attens que je lui aýe don* he auffi mes trois forts: le premiér fera une fort tongue vie > le fecond toůjours vicloire fur fes ennemis^ & le troifiéme de grandes rieheffes. LigoUrde. pa* rut fort offenféě que Clairance eůt donné děs* forts fioppofez aux fiens, & ne put s'empécher de lui dire qúe le temps décideroit laqiielle des deux f<$au-* roit mieux fouténir fes forts. Clairance parut lul répondre avecaffez de moderation > tächant tóújours ä la détoumer des mauvais deíTeins qu' dle médi-toit cóntre la Reine. Les deux Fées fe retirérenteit jgrondant Belle-maýi fut recůé' dans les Etats du Röi fön mari, avec des acclamations & deš applaudiffeřnens inöu'fs^ & comme e'etoit 1'uíáge.de baifer la main ä la Reine,, & que jamais Princeffe ne Pavoit eue ß belle, ceia lui attitoit Padmiration de tous ies ftf-jets. Le Roi qui aimöit fort la Chaife, avoit uii gra *d nömbre d'oifeaux fort rares,; il les fit toüs voir ä la Pveine, & lui éxagéra particuliérement les bonnes qualilez ďun oifeau rouge qui avoit la tetě baute j &; lc bec & la ferre fortdangereux: La Pveine fe fouvint. alors des menaces de Ligourde* & quoi qu' eile fut fort perfuadée des bonnes qualitez de Poifeait rouge, něanmoins eile le craignoit toujourSi & ne le voyoit qu' avec peine. Dés la premiére aň-hée du manage de la Reine^ ón eut quelque Ibüp-|on de fa grofiefle, eile étoit elle-mime cans Tin- lo® -Suns certitude, lors qu'un jour qu'eile etoitfeule dans fori Cabinet, une de fes femmes y entra pour lui propofer d'acheterun Perroquetqui parloit plufieurs Tortes de langues, & fur tout celle du Pais de laKeine: cette derniere circonftanee rcveilla toute fa curiofitö , & eile commanda qu'on lui apportät le Perroquet, qui lui fit un beau difcours dans fa langue naturelle. La Pveine lui ayant fait enfuite plufieurs que-flions differentes, 1' oifeau y repondit fort juffe. II n'eft pas croyable combien ee Perroquet donna de joye ä la Reine, qui s' imagina qui eile ne poiirroit plus s' cnnuyer ayant aupres d' eile ce merveillcux oifeau: toute la CourTadmira comme un prodige, & le Roi paffoit mime fort fouvent dans le Cabinet de la Reine, pour entendre parier le Perroquet qui fe laffa enfin de toutes les queftions qu'on lui faifoit, & ne voulut plus repondre: la Reine qui craignoit qu'il ne fut malade, ctoit fort chagrine de fonfilence, & lui faifoit toutes les careffes dont eile pouvoit s'avifer. Le Perroquet touche de la douleur de la Reine, & fenfible äux marques d'a-initic qu' eile lui donnoit, lui parla en ces termes. Ccfle de faffiiger, belleReine, je fuis ta bonne amie Ciairanee, qui ai pris la figure d'un Perroquet afin de pouvoir fentretenir plus commodement^ fans que perfonne en cut aucun foup^on: tu es allurement groffc, &la mechante Ligourde meditc deja d'etouffer ton enfant dans le berceau \ je fuis accourue pour le fauver, & fen viendrai ä bout: Si tu as ia force de me garder le fecret, & que tit ayes affez de confiance en moi, pour me remettre ton enfant, je le delivrerai des embüches de Ligourde, & je lui donnerai une education digne de fa naiffance, & fort differente de celle qu'on donne d'ordinaire aux autres Princes; mais comme le premier fort que Ligourde lui a donne durera vingt & un an j il taut que tu me le confies, & que tu ayesi Farangon. xox Ii patience d'attendee que ce long renne foit pafft, savant que de revoir ce eher enfant. Quoi que la Pveine füt penetree des foins obli-geans de la bosme Fee, il lui fut neanmsins irapof-fible de fufpendre fa douleur: eile verfa un torrent de larmes fans pouvoir lui r^pondre un fenl mot. Hefiterois-tu au moins ä me le confier, contiima la Fee: Helas, repritla Reine, vous i$avez que je me fuis abandonnee ä vos confeils, mais je crains bien que le R.oi ni fes Peuples n'y donnent jamais leur confentement. Le tien me fuffit, ajouta Clai-ranee, car je rendrai ta groffeffe invifiblc; je te feral meme accoucher fans que. tn le leaches, & tu peux compter que j**aurai foin de ton enfant comme de laprunelle de mesyeux, &qu*apres queleterme fatal iera paffe, je te le rendrai, & tu eh accoucheras de nouveau aux yeux de tout le monde: mais fur toutes chofes, garde le fecret, & prens ton parti de bonne heure, fans t'allarmer de tous les chagrins oü tu feras expofee par une longue fterilite: Jets promets auffi qu'apres la naiffance de ce eher fils, que je yeux nommer Sans Paraxon, parce que jamais Prince ne pourra lui etre compare, tu feras encore confolee par unfecondfils que tu aimeras tendre-ment, & pour qui je mcdite un fort afin qu' il foit aime de tous ceux qui 1'approchcrofit, & que toute fa vie quifera des plus longues, nefoit qu' une fuite con-tmuelle de gloire & de plaifirs. La Reine etoit fi perfuadee de bonnes intentions deClairance, qu'elle donna volontiers ion confentement ä tout ce qu'elle Itii propofa, gmitant par avance toute la joye d'une ieconde fecondite. Elle achevoit de la conjurer d' a-voir bien foin du rcjetton de tant de Heros, lorfque lePvoi entra dans fon Cabinet. Le Perroquet femit a chanter une Chanfon fort agreablc qui fit beaü-coup de plaifir au Roi; il fauta enfuite fur une fe-netre & s'envola. La Pveine feignit d'en etre fort G 3 al- mm Sam tllarmfe, & envoya de tous cotez pour ticket ä donneroit cinq cens piftoles ä celui qui en donneroit des nouvelles, mars, il fu.t impoffible dv en rien, decouvrir, & on affure que le Pvoi qui aimoit les. oifeaux paffionnement:, en temoigna beaucqup plus de chagrin que la Reine. Cependant la groffeiTe de la Reine fut inconnu& ä tout le monde, eile accoucha fans que perfon-ne s'en apper^ut Clairance enleva^ Sans Parai> gon; & comme fon art lui apprenoit les grandes, chofes que ce Prince opereroit äPavenir, eile fe $t un grand plaifir de le bien £lever, elle exit une attention particuliere älui preparer un ar>artement tres-propre & fort fain, & comme la Fee fcavoit que les enfans tiennent fcuvent, deleurs nourrices^ elle lui choifit pour le nourrir line Reine enchantee, qui etoit d un bon temperament, & avoit les inclinations fort nobles;, plufieurs graces.& amours en-<$hantez eurent ordre de bercer P enfant: il me fe-?ok aiff de faire une defcription de fon berceau & de fes langes, maisjon n*a qu'a imaginer tout cq. qu'il y pent avoir de plus richc, & de meillcur-gout dans un Palais'enchante, & cela ft trouvera encore fort au deffous du berceau & des langes de Sans Parangon« La bonne Fee qui ne le voyoit jamais aflez, ayant remarque qu'il avoit de la peine ä fe rendormir lors qu' une fois il fe re veilloit, fe fouvint que la Princeffe de la Chine, qui etoit fans contredit la plus belle & ä mSmc temps la plus here Princeffe de la terre ^ & qui etoit enchantee pour plufieurs filcles, avoit la plus belle voix que jar mais mortelie eut eue, la Fee lui ordonha de fe te-nir aupres de 1*enfant, & de V endprmir par fes Chanfons, lorfqu' il fe re veilleroit, L* extreme beaute dc cette Princeffe avoit fait kntde bruit avant fon enchaiitementA que les plus reprendre; on fit publie tout le Roiaume qu* on grand Pärangon. Écýj panels Princes de la terre s'eitimoient trop heureux cle hazarder leur vie pour mériter fon eitime; & quoi qu'elle eut des nianiéres fortfiateufes, & fort infmuantes,, elle avoit fi bonne opinion de ion pror pre mérite, que les plus généreufes actions lui pa-řoiffoient trop récornpenfées d'un foul de fes regards; elle nefoufFroit que des Heros i fon fervi-ce, elle exigeoit d'eux qu'ils pntrepriffent pourPa-mour d'ellc des chofes extraordinaires y & fouvent impofftbles; s' ils reüffiffoient, melle leur permettoit pour toute r^compenfe de continues ä la fervir; & s' Iis fuccomboient, il lui fembloit que leur deili-née étoit digne d'envie, puifqu'ils mouroient á fon fervice, Sa grande fierté donna occafion ä la faire nommer Belle-gloire, Les Fees jaloufeS de fon extreme beauté réfolurent l'enlever, de 1'enchanter pout trois mille ans; Clairance s'y oppofa long-temps, mais voyant cju' elle faifoit p.érir une infinite de Heros pour fatisfaire fes caprices, & fans qu'elle leur en fcút aucun gré, elle confentit á fon enchantement, & exigea néanmoins des auťres Fees, que la Prin-ceffe ne vieilliroit point pendant ce long efpace de temps, & qiť elle auroit toujour? la meme beauté que le jour de fon enlevement. On lui avoit donné pour täche de divider onze mille pelotons de fil par jnur; mais Clairance en fa-veur du petit Prince, la deiivra de cette penible occupation, & lui ordonna de chantertoutesles fois qu' il fe réveilleroitj jufqu'ä ce qu'il fut rendormi. Cette occupation lui parut fi douce apres le penible cmploi qu'elle venoit de quitter, que celane coru tribua pas peu á faire naítre 1'inclination qu'ellea-voit eue depuis pour le jeune Sans Parangon qui étoit toüjours content toutes lesfois qu'il entendoffc chanter Belle-gloire. Clairance qui étoit idolátre du jeune Prince, voyant que Belle-gloire s'aquit-. teit de fa commiffion avec tant de nieces, lui dit G 4 . quel- < fl©4 $am quelque parole obligeante, & lui fit cfperer qu'eltl pourroitla läiflef lorig terns au fervice de Sans Pa^ rangon: Des Page de fept ans la Fee lui fit appren^ dre plufieurs fortes de Langues, & lorfqu'il fut af-fez fort pour commencer fes exercices, elleluichoL-fit des Maitres habiles \ & comme eile fe propofoit de le rendre fort robufle, eile ne lui donnoit que d'une forte de viande dans fes repas, & ne mettoit jamais d'autre herbe dans fespotages, que de la, fauge, quoi qu'elle lui fit fervir quslquefois despc«, tites falades de betoüane* Belle-gloire s'aquit un (s furieux afcendant fur fon efprit, qu'il s' ennuyoit -toujour* par tout oil il ne la voyoit pas 5- eile etoit aufu tellement fatisfaite & du coeur & de la Noblef-fe des ientimens du jeune Prince, qu' eile ne fe fai-foit aucune violence d' etre toujours aupres de luia & de P gmufer le plus agmablement qu* il lui etoit poülble. Ce Prince d£s & plus tendre jeuneffe, cut taut dHnclination pour la guey*e, qu' il lui arrivoit fou-vent de faire armer de piques öl moufquets les fem-Hies qui le fervoient, & il leur commandoit 1* exer-cice avec beaucoup d'adreffe, ne fe propofant er* toutes chofes que de plaire ä feelle-gloire, Cepen^ dant ä mefure qu'il a van 501t en äge, la fiere Prin-ceffe ne fe rendoit plus fi affidue aupres de lui, & lui cachoit mime I'inclination fecrette qu'elle avoit pour lui* . La Fee admirant la forte paffion que le-Prince avoit pour les armes, voulut lui donncr moyen d'ex-ercer cette noble ardeur, & lui fit prefcnt dxun pe^ tit" finet d'yvoire, avec lequel il failoit fortir mills hommes armez chaquefois qu'il fifioit, en forte que dans une matinee il avoit des armee» de plufieurs milliers d'hommes, qu'il difperfoit en divers en-droits, & les faifoit toujours a^ir fans aucune con^ fuftoiV J Parangon. 105 fufiow. La Fee defira eneore qu'il devint Politique, & qu' il apprit V Art de regner; & ce fut dans cette vug qu* elle lui donna un Confeil compote de plu-fieurs grands hommes, ou Ton traitoit toutc-s fortes de matieres importantes. Le Prince euc d'abord qudque peine a fe eon-traindre d'entrer au Coafei); mais enfin la complaisance qu'il avoit pour la Fee Pemporta, & il s^y rendit fort alfidu. Ce fut-la ou il apprit a conno'i--tre la juftice, a demeler le vrai d'avec le faux, & enfin a penetrer jufques dans le fonds du cceur des hommes, Ces occupations militaires & politique; ne fuf-fifoient pas pour occuper ce vaile genie, il feplai-ibit encore aux beaux Arts; & quoique le Palais de Clairance fut grand &fuperbe3 il y trouvoit des defauts, & faifbit voir que la fimetrie n'j ayoit pas ete bien obfervec; il avoit un gout particulier pour les Jardins, & pour tout ce qui etoit propre a les embellir. La Fee ravie de lui trouver tant de ta-lens, & de fi bonnes difpofitions, lui donna pour s* exercer, une baguette dont il n'avoit qu' a frapper trois fois pour faireparoitre toutce qu'il imaginoit; la vertu de la baguette ne dcmeurapas inutile, carle Prince dormant carriere a fon imagination, batit un Palais d'une etendue' prodigieufe, ou il auroit pulo-ger en cas debefoinla ilupart des Officiers defes trou-pes; il y avoit des C'curs fort fpacieules; les cfca-liers etoient de marbre & de jafpe, avec tous l@s embelliffemens que Part peut fournir; on entroit dans une enfilade d* apartemens magnifiquement meublez, & ornez d'une infinite de Peintures ex-' ccllentes. Enfin, on admiroit bien moins For, Pazur, les broderies, les belles peintures, & les crifiaux, que la maniere dpnt tous ces ornemcns etoient difp'ofez; on paffoit enfuitc dans une graiv G 5 d$ de galerie ornee de glaces & de belles Statue's de marbre & de broKjze, avec des Peintures merveil-leufes, oü l'on remarquoit des a£tions d'irn Heros fi prodigieufes, qu'on ne voyoit rien de pareil meine dans la Fable, L* or etoit fi commun dans ce iu-perbe Palais, que tout en etoit couvert jufqu'au toit, .& fi quelque chofe pouvoit donner de 1' attention apres avoir vu tant de richefTes, c'^toitlq niagnifique Jardin ou l'on entroit en Ibrtant du Palais; on rencontroit de grands baffins de marbre? blanc, avec des jets d'eau, des napes,, des gerb es & des cafcades^ enfin c'etoient des Puvieres, qui au lieu de ferpeater coinme elles font ailleirrs, re-montoient dans le Ciel, & rejailliijfoient jufques. dans lesnues, -on voyoit enmeme temps de charmans parterres & de belles allees d* Orangers, de forte qu'on fe trouvoit toujpurs embaraffe ä cboifir par oü. Ton commenceroit la promenade, patrce qu'on auroit fouhaite de tout voir ä. la fois. Ceux qui vouloient fe rctircr dans quelque coin, pour y rever ä leur aife, trouvoient d'agreables Fontaines entourees d$ fieges de marbre &de gazon; on y voyoitdes ani-maux de route forte d'efpece, qui n'y etoient que pour refoüir les Spectateursles Lyons, les Ty-gres, & les Leopards $toient d^poüillcs de tout©; leur ferocite; Jes Serpens n'avoient aueun venin, on n'y craignoit pa's meme les Dragons, dont le feul afpect etoit fi terrible par tout, ailleurs: fi_par hazard on fc trouvoit las de lä promenade, on rencontroit a Fextremite des Jardins, un bras de Mer en forme de Canal; & ä meme temps un grand nombre de Mariniers fe prefentoient avec des Barques & des Galeres richement ofnees, s'©ffroient a donner de nouveaux plaifirs fur 1' eau. La Fee ayant u;n jour ordonne ä Belle-gloire, d'aecorapagner le Prince a la promenade fur ce beau Canal, SansParan-gon eüt la curioiite de f^avoir fon ientiment fur (out ce qu'elle venoit dc voir; mais la Prineeffe lui sepon- Parangm. 107 fépondít řroidement x que les rkhefíes étoient \\ communes dans P Empire de la Chine, que V Empe-reur fon Pere préféroit toiifours les rnaifons fimples & propres, aux fuperbes Palais. Sans Parangon ře trouva á P autre bout du Canal, lorfqné Belle glaire lui tint ce langage; & comine ii avoit une attention Particuliére á tout ce qui pouvoit plaire a cette .rinceíTe, ii íauU á terre, & ayant frapé trois íóis de fa baguette, ii parut tout ďun coup un Chateau tout de Porcelaine, entouré d'un parterre templ i de jafmhvavec une infinite de petits jets ďeau, & le tout enfemble faifoit le plus ásrjéable eífet quMl íut poílible de voir. Quoi que la gal anterie du Přin ce, & P en vi e qiř i 1 té-moignoitďevouloir fe conform^ en toutes chofes au * gout de Belle gloire, ftt plaifir á cette Princefíe, ellc diffimula néanmoins fafoye, &-ne lui en témoigna vim{ Mais Clairance ayant examine avec plailir, &la magnificence duPalais,la propreté des Jardins, admirále bon goůt du Prince, 6? ordonna pqur lui faire hon- íiíieur, que chaque jour pendant tfois heures, toutes les pcríonnes enchantées auroient une entiérc liberie de fe promener dans les apartemens de ce beau Palais; qu'il y auroitune charmantemuíique + qif on j pourroit JGiier toutes fortes de feux* qiPil y auroit tneme de magnifiques Collations oú tout le mo'nde trou-veroit á fatisfaire íbn gout: Sans Parangon fut vj-vement touché de cette grace 2 par raport au plaifir qu'il jugea que cela pourroit faire ^Belle-gloire; xnais cette Princeffe étoit ď une humeur ft extraordinaire, ,qiť on ne fcavoit Jamais comment on étoit avec elW, &lbuvenťlesíbins qu*on fe donnoit pour lui plaire, la chagnnoient;. elie s'imagina que la curiofité du Prince P avoit engage á demander ces, divertillemens á Clairance, pou? étre en occáfioň; ^e voir, & d*entretenir plus cornniodément les bel-ífs perfonnes enchantées qui itoie^t da#s ce Palais; log Sans & quoi cjue toute forte de defirs dere^lez foientban-nis de lieux enchantez, & que la jaloufie n'y foit connue dc perfonne, Belle-gloirc ne pouvoit fouf-frir que lc Prince eut la moindre attention pour d'autres que pour eile, perfuadee qu' eile feulem6-ritoit tout fon attachement, & que tout le refle etoit indigne de lui. Sans Patangon qui aimoit fort la rnufique, ne perdoit jamais d'öeeafiön de Pentendre/ mäis ßelle-gloire lui ay ant temoigne gu'elle le trouvo.it mauvais, iln'hefzita point ä lui faire ce Sacrifice, & fe priva de la rnufique. Pendant que Sans Partngon > qui avoit de ja pres de vingt & un an, s'att&choit uniquement äplaire ä Belle-gloire, & le perfeöionnoit dans toute forte dr exerciccs, la Reine fa mere attendoit avee unein> patience extreme, PefFet des prome£es de la bonne* Fee, & fe flatoit qu'au premier jour elle lui.ren-droit fon eher enfant: Cette grande Princeffe fouf-froit avec une vertu fans exemple les perfections de fes ennemis, & ecoutoit fans s'em'ouvoir les murmur es du Peuple qui crioit tout haut qu* il fal-^ loit la renvoyer en fon Pais, & donner au Roi une Princeife plus feconde, n' 6tant pas raifbnnabie qu'un grand RoTaume manquätd' heritiers par la fterilit© de la Reine, pendant qu' il etoit facile d'en trouver d'autres qui ieroient bien äifes d'occuper fa place, & qui donneroient infailliblement des fucceffeurs ä la Couronne., Sa grande vertu lui faifoit fouffrir tous ces murmures avec beaucoup de patience, attendant toujours que le terme de vingt & un an fut expire; elle ne fe trompa point, car la Fee voyant que le temps fatal des menaces de Ligourde etoit palPe, deciara au - Prince que fon enchantement etoit fini, & qu* il etoit temps d* aller confoler ies Parens. Sans Parangon qui fe croyoit fils de la Fee, parut fort allarme de ce difcours, fur tout lorfqu' il comprit qu' il falloit s* eloigner de Beli* Parangon.. 109 le-gloire; mais la Fee lni ayant expliqué tout lemy-ircre de la naiffance, il marqua beaucoup de docílíte, & demanda^ pour derniére grace á Clairance> qiť eile voulüt bien Taller voir le plus fouvent qu' il feroit pofíiblc, la fupliant fur toutes chofes de merer toújours Belle-gloire avec elle. é La Fee qui ne lui pouvoit rien refufer, lui promit tout ce qu'il fouhaita, ^& s' étant fervie de les enchantemens, le Prince difparut, & la Keine fe trouva groffe> an grand contentement du Pvoi & de fes peuples; eil« accoucha quelque terns aprés: &comme jamais Prince n'avoit été ü deliré que eelui-lá, il n* eft pas é-tonnant que fa naiffance caufát une joye univerfel* le: tout le monde fut furpris de le trouver plus grand, & plus forme que les autres enfans ne le iont ď ordinaire en naiffant^ mais ce qui caufa bien plus ďétonnementj & qui faillit á tout gäter, fut lorfqu'on s'appcrcut qu'il avoit des dents, la Fee ayant oublié deles y enchanter: en efFet on eut toutes lespeihes du monde á lui trouver des nourrices, parce qu*il les bleflbit avec fes dents, & leur é-corchoit le tetoru L'extréme joye que tout le Pvo-yaume eut de fa naiffance, empěcha qUeperfonne ne s'arréta ä examiner ce prodige, on fit de toutes parts des rejoui'ffances publiques & particuliéres & chacun tácha de fe diílinguer parades déraonftra-tions ďune veritable joye; La Reine voulut toújours qu'il s'appellat Sans Parangon ] elle 1'aimoit avec tant de tendrefie, qu'elle fouíFroit avec peine qu* on le lui ótát quelques heures de la journéepour commence? á Pinftruire; mais ä mefure qu'il avan-coit en age, 1*idee de ce qu'il avoit apris dans le Palais deClairance, groffiifoit, & il ap přena it fa-cilement toutes chofes , fe fouvenant bien qu'il les avoit déja fcues^ il eut mémc des fon enfap.ee beau-coup de complaifance pour toutes les belles perlbn-nes, par Phabitude qu'il s'etoit faite de plaire ä Belle-gloire, dont il 11' avoit plus qu' une idée cen- fufěj 1 110 Sans fufe; on fferiiarquoit cependant qu*il ne srioit qu|aüie chofes agreables, qu'il parloit peu; maisce quifur-prenoit davantage, il ne donnoit fon applaudiffe-ment qu'aux chofes fenfees, & fcavoit dejarefufer & doimer a propos; le fouveni/de BeUe-gloire fe renouvelloit infenfiDlement dans fon efprit, & en meine temps fa_ complaifance pour les Dames aug"-mentoit* la Pveine qui rarement le perdoit de vüe $ fe rejoui'ffoit de^ le trouver d'une humeur fi douce & fi portee au bien. Le Roi Ion Pere etant mort pendant que Sans Parangon etoit encore bien jeune, fon Regne commence par le gain d'une Bataille qui fut dornte par fes Generaux > ce qui parut de bon aügure ä tout le monde; la Reine ne pouvant foütenir feule tout le pöids du Gouvernement, choifit un fameux Druide fort experiment© dans les affaires, pour Paider de-fes confeils j mais cc choix divifa la Cour, & cau-fa de grands defordres dans tout le Roiaumej Li-gourde troüvant Poccafion favorable ^ pour exciter' des troubles,, inftnua ä plufieurs Grands qu' on leur iaiföit injuilice de les eloigner du , Gouvernement des affaires: plufieurs d' entr'eux fe ligu^rent, & prirent les armes, en forte que la Pveine eut be-foin &#dc töute fa prudence & de fa grande vertu, i>our diffiper leurs eabales, & pour raaintenir le Jruide dans le Poüe qu'clle luiavoit dönnc* Sans Parangon qui avoit plus de penetration qü'il n'etoit permis d'en avoir ä fon age, & qui connoiffoit deja le bon efprit du Druide> ecoutä toüjours fes confeils avec beaücosp de döcilite; & comme il avoit encore les memes inclinations qu'il avoit eues dans le Palais enchante, il aimoit fort •jes.foldats, & fe faifoit un extreme plaifrr deleur Vöir faire Pexercice, o^u'illeur commandoit fou-.vent lui-meme; & quoi qu'il n'eüt plus de fiflet pour ParcMgüb. ^ Sil pour faire fortir autant d'hommes arraezqu'il au-roit voulu, il prit im foin particulier.de ceüx qui étoient äfonfervice, donnant ordre qiťils ne man-quaffent jamais derien; comme il étoit retenupar ks faeces conleils du Druide, qui Pempéchoit de fuivre tous íés mouvcmens de fa noble ardeur, 11 fe conttntoit de biěn diícipliner fes troupes, & de les paffer foUvent en revůé, il ne dpnnqit fa faveur qu'ä ceux qui fäifoient leur devoir mieúx que les autres, & favorifoit particuliérement les OfŠciers lors que leurs troupes fe trouvoicnt en bon etat, ce qui faiíbit que chaěun y Uavailloit ä Penvie; & il eft certain que jamais Prince iť avoit pris tant de íoin de fes Soldats, que Sans Pařangon. Ce Prince méditoit pluftcurs grands deíTemY; lors que la méchante Lis;ourde, qui ně comprenoit pas comment il avoit évitíé dans fon bas äge-, lefort qiť ělle lui avoit donné, trouva moyen de faire glif-ier adroitement dans le Palais du Prince une de fes fuivantes;. qiť eil« nommoit Fiévře, qui par fa malignitě faillit á faire mourir le jěune Prince; JVlais Clairancc en étant avertie y accouriit, chaffa la fuivante., & giíérit le Prince. _ Cette Fée qui avoit découvert que Belle-gloire ětoit cette maítreť fe capricíeufe, dont Ligourde avoit menace le Priu* ce, & quiprévoyoit les embaras 011 eile le jetteroít^ évitoit expres degaroitre devantlui, de peur d'etre obligee de tenir la parole, & dě lui mener Belle-gloire; mais le péřil extréme oů Sans Parangori fe trouvoit, la fit paffer par deffus toute forte de confidérations. S'etant adreffée h la .Reine: Voici, Madame, lui dit eile, les derniers efforts de vótre ennémie, que jai rendus inutil^s, & je vousré-pons qu'ä l'avenir Sans Paran'gon jouiťa d'une lon-gue vie. La Reine fut fort lenfible aux foins de la Fée, & n'oublia rien pour lui marqueria recon-noiífanee, eile la préfenta au Roi fon fils, en luiéx* ageřaat 11% Sans agerant lcs graudes obligations qif il lui avoir. SanS Parangon qui etoit fort recompiffmt, cut une fen-ilble joye de voir fa bienfaitrice, & dans ce moment tout ce qu' il avoit apris chez elle , lui revint dans l'efpnt, il lui prit les mains pour les baifer, lui fit mille & mille amitiez, & lui mar qua par tous les endroits dont il put s'avifer,. la fati*fa£fci-on qu'il avoit de la voir; & comme il eonnoilfoit parfaitement le gout des Fees, il ordonna qu on lui apportat une Collation compofeede noifettes, de pam bis, de micl^ & d'eau clake. La Fee fut tres-fenfible afon attention, & quo! qu' elle ne man-geat jamais hors de fon Palais, elle lie laifla pas par complaifance pour le Prince, de gouter de fa Collation. Ce fut alors, que tous les charmes de Belle-glo-*(re fe prefenterent dans 1'efprit de Sans Parangon^ il mouroit d'envie d'en demander des nouvclles a la Fee, mais ,il ne l'olbit de peur qu'elle ne crut qu'il hit reprochoit adroitemept deJUii a^qlr manque de parole. Clairance devinant fa penfes: & e-* tat oil vous etes, lui dit-elle, ne me permettoit pas de vous rnener la Princeffc de la Chine, il eft vrai que je me fuis avifee ua peu tard , que je m'y etois engagee trop legerement: Helas! continua-t-elle^ vous ne la vcrrez que trap tot, je ne vous en dirai pas davantage, car il eft inutile de raifpnner fur les chofes qu* on ne fcauroit e'viter, c'eft le fort que vous a clonne la mediante Ligourde; Mais puifme je n'ai pas le pouvoir de vous on garantir, au moms vous me difpenferez d'autorifer par maprefence^ fes dangereux confeils, & les efperances ehym6ri-ques dont elle vous amufera. Vous la verrez% puif-que je vous l'ai promis routes les fois quele Soleil en parcourant le Zodiaque paffera d'un figne a un autre, & je la rendrai invilible pour route autre que pour vous\ de peur que vos fivjets en la voyant, ne Péfángon* 113 íié devinflent autant de riyaux, Tfétant pas pofíl-fole qu'un foible mortel puiffes'empecher de la fervií lors qu'ill'afeulement envifagée unefois: tout cě que je puis faire pour V amour de vous, c'eft de la cacher alix yeux de toutlemonde, &ďinfpirer auxautres hommes la méme envie de vous fervir^ que vous aurez de plake á Belle-gloire. 1 La Féé difparut en achevant ces paroles-, & le Prince fan§ faire aucune attention á toutee qu' elle venoit de lut dire contře Belle-gloire, ne fut occupé aue du de-fir de larevoiř; ílattendoit avec une impatience extreme que le Solěil changeát demaifon, & bien loin ď avoir du chagrin de ce que Clairancě venoit de lui dire, il fentit une joye fecrette, de penfeř qiťil ne feroit permis qu'á lui feul de voir & de fér* vir cette incomparable PrinceíTe. Enfm le change-iment du Soleil fi defiré arriva, &le méme jour Bel* le-gíoire parut dans le Cabinet du Roi, dans uii Char en forme dě Thfóne, parféme ďémerauďes & de laitriers, & altelé de douze cygne$: je ne par-lerai point de fonajufcemeUt, parce qu'ile toil efface par fon extrémeJbeáuté, & par ťéčiat de fes yeux quiauroit éblouí- tout le monde^ fi-elle n'eut pas été inviiible* 'l ' ;■>■ ph hru i \ . \^-.|/ ./ť?f^r;:.-;.;:,. :y :>.> m Le Prince fe jetta ď* abord á fe? pičds, & parlít tranfporté de Joye en la vo'i'ant: Mais matgré fa grande beauté> elle infpiroit taní de reípeB:, que Sans Parangon n' o fa pas íeulement lui baifer íe bas de fa robe. je fuis bien aife, lui dít-ele, qu'á jpřéfent que tu es fur un Ťíiróne řéěl, & que tu in'es plus encbanťé, tu ayes pour moi le6 mémes ieňtimens que tu avois dans le Palais de la Fee; car fí tu as aífez de vertu pour me fěrviř á ma mode, & pour me faeriheť touteš choíes^ pcut étre que le terme demon enchantement finira bientot, & que je me trouverai en éíat ďajoůter plufieurs Courotv íies ú celle que tu as héritée de tes Peres. j)é fern-' Tmu //, H bia* 114 Sans blableš paroles prononcées par une belle perfonne, font toujours beaucoup d'irnpreffion fur un Amant; mais Belle-gloire les■ aífaifonna avec tant de grace, & d' un ton de voix fi touchant, qu'il ne faut pas étre furpris fi le jeune Prince en fut trés-vivement pénétré: il ľaffura ďun attachement éternel, & lui tit mille &mille proteftations, qu'il ne trouveroit jamais de difficulté lórfqu' il Vagiroit de gagner foil eftime. Belle-gloire n'ofa point faire une plus lon-gue vifite, de peur Que la Fee pour la punir pe lui donnát quelque penible occupation- elie lui pro-mit néanmoins de profite^ de la permiffiori qui lui avoit été accordée de reveiiír unefois le mois. Sans Parangon qui étoit charmé de la voir, tácha de lui faire connoítre avec touté la politeíTe & le refpeö imaginable, qu'il auroiť été bien aife de la retenir encore quelques momens, mais elle fut inexorable, & lächa 1c cordon á les cygnes qui ľenlevérent dans ľ inílant. > Le Roi fouŕľnt ce depart fortimpa-tiemment, mais il étoit fi íbúmis aux orcjres de Belle-gloire, qu' il n'ofa pas méme s' en plaindre. Cet-te agré&ble vifite ne laiffa pas de.lui donner urie extréme joye, & de lui infpirerune vivacité qu'iln'a-voit pas encore fait voir. Toute la Cour s'aperqút de ce changement, qui fut íuivide plufieurs Fétes & galanteries que le Prince fit en faveur des Dames : car rapportanttout ä fon amour, il jugéa qu' il • devoit cet nommage au fexe de fon aimable Mai-treffe, Infenfiblement le Soleil paffa d'un figne á un autre, & la Prineeffe íe-rendit dans le Cabineť.dú Pvoi: II eft temps, lui dit-elle, que tu renonces á des amufemens peu convenables a un Prince qui fe nomme Sans Parangon, & qui s'eft dévoué á Belle-gloire; tu n'as rien fait julqu'á préíént, qui puiffe te rendre digne du nom que tu portes, & fi je ne connôiffois ton grand cceur, & que j'en jugeaffe par tes Parangon. tes aÖions, f aurois peine ä croire que tu vouluiTes te donner ä moi comroe tu me las promis; ce n'eil pas affez pour Belie-gloire, de porter une Couron-ne; je veux qu'ellefoit ornee de lausiers; les Cour-tifans Paffurent que tu es galant, jeune & bien fait, <& les Dames te traitent de Heros, lorsque tu as ex« erce tes Soldats fur des paiiibles Campagnes: il me faut des vi&imes melees de fang & de lauriers; en un mot, fonge que tu es ne pour JBelle-gloire. En achevant ces paroles eile lächa le cordon ä fes Cy-gnes fans vouloir attendre la reponfe du Pvoi, qui demeura fort honteux d' un reproche qu' il n* avoit pas merke, \ puifquefa grande jeuneffe & la deference ^qu'il avoit toujours eile pour le Druide qui l'aidoit par fes confeils ä gouverner fön Roi'aume, Pavoient empeche de fuivre les mouvemens de fon courage: Cependant, ce fenfible reproche ne laiffay pas de le piquer, & lui fit mediter de grajids def-feins dont il jugea queT execution pourroit plaire a la Princeffe; les vifites qu'eile lui rendoit Y ani-moient encore davantage, & il tächoit cependant a fe rendre digne^ d'eile par tous les endroits qui de-pendoient de lui, car il etoit d*une politeffe extreme, fort galant, fort liberal, & aimoit la probite par tout* Le fage Druide etant tnort en ce temps-lä, Sans Parangon refolut de gouverner feul les Etats, & de prendre foin lui-meme de fes affaires: mais de peur que la Princeffe n'augurät mal de fa tranquillite , il lui rendit compte de la fituatioiv oü il etoit, & de 3a neceffite oü il fe trouvoit de fe donner tout entier aux foins de 1*Etat* avant que d'entreprendre aueuoe guerre etrangere, n*ayant plus de baguette enchari-tee pour faire fortir cles Soldats armez, & ayant be-foin de^fommes confidcrables pourfoutenir les guer-res qu'il projettoit. Belle-gloirc approuva fes rai-fons, & lui dit meme.que c'etoit le, verkable ehe- H 2 min i%. •'• Sam min pour fe rendre digne ďelle; il n'cn falltit pas da vantage pour engager Sans Parangon á tenter "Pimpoflible, il s'-appliqua fortement aux affaires, & fe rendit ailidu á tous les Confcils; il commenca dans cette occafion á mettre en pratique tout ce qu'il avoit apris chezlaFée; fon application, fon afliduité & fon difcernement admirable, furprirent tout le monde, & il eft certain que par fes ibins, il déméla en peu de temps un cahos d'affaires fort in-triguées & tres-difficiles, Jk le mit en etat dé pou-voir fuivre les nobles fentimens de fon cceur. Bel-le-gloire qui jugea par ce penible travail, quyil é-toit capable de toutes les grandes chofes,' lui parla plus obligeammeirt qu'elle n'avoit Jamais fait; mais ces paroles étoient autant d'enchantemens qui redoubloient Pardeur du Prince, Sans Parangon fe mit peu de temps aprés á la téte d'une belle armée5 & fe rendit maitre de plulieurs Places importantes, malgré la refinance des Aíiiégezqui avoient mis ■ toutes leurs troupes dans ces Places pour les défen-dre. Belle-gloire qui nr avoit jamais doxité du courage du Prince, ne parut pas fort fatisfaite de cette premiére Campagne, & lui dit dans une de fes vi-lites, qu'il n'etoit pas bien extraordinaire qu'un Prince belliqueux avec de belles troupes, & dans la belle-|aifon,_ prit des Places; mais qu'un Prince qui fe nommoit Sans Parangon, & qui cherchoit á plaire á Belle-gloire> devoit attaquer les Places en plein Hiver a travers les gla^ons & les frimats, fans attendre méme que toutes fes troupes fuffent ■aífemblées. Ce terrible difcours n'etonna point le Prince, car il ne trouvoit rien de difficile lorfqu'il étoit cjueftion de 'gagner Peitime de fa Maitreffe; il partit peu de jours aprés dans le cceur del Hiver, & attaqua avec un petit'nombre de troupes, malgré le neiges & les "gla^ons, une grande Province ou il y avoit plufieurs Places trés-fortcs, dont'il fe rendit enfln le maitre par aes travaux incroyabJe>^ Parangon. iiq & apres une infinite d'aftions heroiques: ce fujt alörs auffi que Belle-gloire, ienfible ä tant de marques de valeur, lui permit de baifer pour la premiere fois le bas de fa robe. Sans Parangon flate par une grace fi particulicre, leva de nouvelles troupes, & fe difpofoit, ä entrqr de bonne heure en Campagne, fe promettant deja de conquerir plufieurs Provinces, lorfque Belle-gloire s'etant rendue dans leCabinet du Roi, lui parlaen ces termes: Je fuis fatisfaitede ton courage, & je te tiens quitte des Places que tu pourrois prendre, Je fuis mime perfuadee qu'il ne s' en trouveioit point qui put te refiiler, fur tout pendant que tes enne-mis n'ont pas d'armee pour te difputer la Campagne; de femblables conquetes ne feroient d'aucun merite aupres de moi, jc n'aime point les ViÖoires aifees, & fi tu veux me faire plaifir, tu fufpendras ta neble ardeur, & tu attendras que .tes ennemis re-venus de leur etonnement, foient en etat dp Pop-pofer des forces auffi nombreufes que les tiennes. Sans Parangon eut befoin de toute fa moderation pour renoncer aux conquetes qu'ils'etoit promis de faire; neanmoins comme iln'avoit pris les armes que pour plaire ä Belle:gloire , il falut fe fou-mettre ä lis volontez. Ce facrifice ne laiflfa pas de lui ctre tres-agreable, & eile Ten remercia en des termes fort obligeans; .comme ce Prince etoit continuellcment occupe d'un defir ardent de faire quelque chofe qui fut du goüt de fa charmante Maitreffe, & qu'il n'ayoit plus d'occafion de fe diftinguer paries armes, il s'apli-qua de nouveau aux loins de Y Etat, il abregea les iloix, reforma un grand nombre d' abus qui s'etoient gliffez dans Fadminiflration dc la Juftice, Belle-gloire donna des loüanges ä fa vigilance & ä Hm application, mais eile lui demanda une nouvellc preu- ii 3 vc HS . Sans oe de fon attach ement, qui jetta^ce Prince dans de grands embärras: Tuf^ais, lui dit-elle, Pefperance ou je Puis de voir bientöt finir rnon enchancement; tu as ofe porter tes voeux jufqu'ä moi, tu n'ignores pas que j'aime les beaux Palais, & cepcndant tu n'en as point ou tu pnifles me recevoir. iSans Pa-rangon I'afiTura qu'elle feroit bien-töt latisfaite, & ayant fait venir les plus habilcs Archite&es de PU-rivers, il fit batir dans la Capitale de fes Etats, un des plus beaux Palais dif monde, avec des Jardins tres-agreables & proportionnez a la magnificence du Palais; Ce grand ouvrage etoit prefque fini, lors que Belle-gloire etant allee vifiter le Prince ä fon ordinaire, eile lui fit connoitre qu'elle n'aimoit point le fejour des Villes, & que s'il vouloit lui donner un temoignage bien veritable de fon attache-ment, & tie fa complaifance pour eile, il falloit lui bätir a la Campagne, un^Palais & des Jardins fern-blables ä ceux qu'il avoit imagine? lui meme chez Clairance, par la vertu de fa baguette. Sans Paran-gon epouvente d*une propofition fi extravagante, lui reprefenta que le Palais de la Fee n' £toit qu'line illufion, & que tout le marbre de laTerre, ni Tor du Perou, ne fufriroient pas pour un fembla-ble edifice; Tu fcais bien, repritBelle-gloire, que les chofes^ordinaires ne nVaccommodent point, & que je n'aime que celles qui approchent de Pimpol-fible; je t'ai fait connoitre ce que je defire, c*eft a toi ä examiner fi tu as & affez de courage, & af-fez d'envie de me plaire, pour 1* entreprendre; eile iP attendit point de reponfe & difparut. b Jamais il n'y eut d'embarras pareil ä celui dece Princej, qui auroit mille fois mieux aime mourir, que d'avoir d6plü ä fa Princeffe. Cependant, quoi qu'il trouyat de l'imgoifibilite ä P execution de ce £rand deffein, il ne laiffa par pour marquer fa fou-jniffion aux ordres de Belle-gloire, de Ventreprendre? h Parangon 119 dre, fans pourtant qu'il ofat fe'flater d'y reuffir: il trac^a lux meme un Plan le plus approchant qu'illul fut poffiblc, de celui du Palais de la Fee, a peine fe donna-t-il le temps de confulter les Architettes, & commencja fans perdre un moment, a batir le Palais, & a faire dreffer les Jardins, en forte qu'au bout de deux ariS ce grand Ouvrage fe trouva fort avance. Cette diligence plut beaucoup a la Princeffe; Sans Parangon s'enetant apercu redoubla fes foins, & n' eut jamais de repos que le Palais & les Jardins ne fuffent dans lsur perfection; Tor y etoit par tout avee tant de profufion que les toits en etoient cou-verts, & quoi qu' il ne tachat qu' a imiter ce qu' il avoit deja fait chez la Fee, il eft conftant qu'il fur-paffa le Palais enchante en beaucoup de chofes. fSans Parangon nVflatant que^ la Princeffe feroit contente de fon Palais, attendoit avoit impatience qu' elfe l'eut vu pour lui en demander fon fenti-ment: maisilfut extremement furpris devoir qu'u-ne nouvelle planete prefidoit fur l'hemifphere, fans que Belle-gloire parut, eela lui donna de cru-elles inquietudes dont il fut accable jufqu' au lende-main que la Princeffe arriva, qui lui aprit que les Cygnes de fon char ayant ete.eblouis par la reverberation du Soleil qui donnoit fur Por des toits, etoient allez au Canal au lieu d' entrer dans le Cabinet, & queleurs ailes ayant efe mouillees, ii leur avoit ete impoffible de reprendre leur vol; que la Fee y etant accourue les avoit condamnez a yde^ meurer toute leur vie, & P ayant enfuite ramenee dans fon Palais, elle 1' avoit retenue jufqu7 a ce moment, qu' elle venoit de lui donner. un attelage d'Aigles qui traineroient fon char a l'avenir; elle lui temoigna enfuite beaucoup de reconnoiffance de Pempreflement qu'il avoit eu de lui plaire en ache- if 4 vant 12.$ Sans vant ce mägnifique Palais, & lui promit de ne Pou? blier jamais. Comrne par fon enchantement eile étoit invifible ä tout le monde; Sans Parangon la pria de jetter les yeiix un inftant fur Pafíemblée des apartemens; eile y confentit, aprés .les avoir bi^ en examin ez, eile V afiura qu' eile y trouvoit plus de magnificence, u.ne mufique bien plus excellen-te, & beaucoup meilleure* compagnie, que dans ceux de la Fée. Dans une autre vifite le Prince la fuplia de Tq promener fur le Canal, & lui fkremarquer ťagré-. able Chateau do porcelain e, qui paroiffoit ä Pex-* tréraité; eile le trouva fort reffemblant á celu; de la, Chine9 & convint ave-c peine que celui de Sans Parangon étoit plus galant & plus parfai't que P autre, IVlais {bit que cela méme lui donnät quel que jal ou-, fie, ou qiť eile eut change de gpůt^ eile pria le Kot dePabattre, & ď en faire bátir un autre de marbre & de jafpe ä la place de celui-lä^ ce qui fut éxecu* té peu de jours aprés.. Ce fuperbe Edifice auffi bleu quo les riches meiu bles dont il étoit orné, augmentérent la reputation que Sans Parangon s' étoit déja aquife par fesf-conquetes* Les Etrangers arriyoient de toutes parts dans fori Roiaume, & admiroient c es gran des rich tfíes, une infinite de curiofitez dilferentes, & plus, que toutlQ cependant préferoit un leul regard de fa MaitreílQ aux applaudiffemens de tout r Univers enfemble: & dans P empreffement qu'ilavoit de faire toůjours. quelque chofe de grand pour gagner fon e.itime, il fe plaignit un jour á cetce Prinoeffe de ce qifelle ne lni donnoit plus ďoccafion de lui marquer ie plailir qu'U avoit $ lui obeir. Helasl lui dit-ellc, tu nf as ( Parangon. m'as fait admirer le Canal de ton Jardin, comme ml ouvrage fort extraordinaire, '& cependant je nVa-per^ois que plufieurs parti culiers en opt aiitant dang ieiirs maifons de Campagne,^tu fcais bien que je n'aime pas ce qui eft commun : ma'is frtu avois bien envie de me plaire, U que fu vbulu&s verita-blement me marquer que tit ne penfes qu' a te ren-dre digne de moi, je-fonhaiterois que tu memTes un CanaLqui trgverfat de Tune a Tautre mer & qui les joignant toutes deux me donnat le' yMaifir lors que je ne ferai plus enchantee, de paffer del-Ocean, a la Mediterranee, fans nYexpofer aux hazards ni aux difficultez d'une longue navigation, Cette entreprife, repondit le Prince, feroit plutot foil? ' vrage d'une Fee que celui d!un Prince comme moi, Quoi, reprit la Princeffe ea, col ere, tu as la teme-rite de pretendre mon ellime, &une femblable en-treprife t'etonne? Rien.n'eft capabje de nfetonner, continua Sans Parangon, lors qu* il ,s' agit du fer-vice de Belle-gloire, & puifque'vous. voulez abfo-lument ce Canal, je le ferai ou je mourrai dans la peine. La Princeffe feretira fort fatisfaite de la re-iblution de Sans Parangon, quoi qu'elle dorjtat el-le-meme qu'il put jamais reiifiir dans une entreprifc f\ nouvelle v& fi hardie: 11 cbmmenca P ouvrage avcc des foins & des d« penfes inflnies, tout autre Prince que Sans Parangon fe feroit rebute par V im-poffibilue qu'on lui faifoic voir a lecontinuer; Mais ce Monarque qui fqavoit que les grandes difficultcz £toient autant de raoyens de plaire a Belle-gloire, continua toujours fon entreprife, .& Tacheva enfin avec une patience & des travaux qui approehoient de ceux d'Hcrcule, La Princeffe fut dans le dernier etotmement devoir finir un travail fi penible;' & des la premiere vifite, elle affura Sans Parangon que lui feul lui paroiffoit digne de fon eiume; qu'elle defiroit cependant qu'il retournat cueillir de nouveaux Launers dans le Champ de-Mars. H 5 Sans 122 Bans Sans Parangon ravi d' un ordre fi conforme ä fes defirs, affembla denombreufes troupes avec une diligence extraordinaire, & commenca fa Campagne par un Siege fameux; les Affiegez fe d£fendirent affez vigoureufement, mais il fallut coder aux efforts de Sans Parangon. Belle-gloires'appercevant de la faclire* qu'il avoit ä faire des Conquetes, lui dit un jöur que les autres Heros prenoient des places a force de terns, que s'il vouloit fe diftinguer, & lui donner un ipeclacle nouveau, ce feroit de prendre chaque jour une place. A peine eut-elle acheve de parier que Sans Parangon entra comme un torrent dans le Pais ennemi, & y prit tcus les jours une Fortereffe nouvelle; la rapidite de tant de Conquetes £tonna plufieurs Potentats voifms, qui crurent rieanmoias etre en feurete, parce que Sans Parangon ne trouvaiit.plus de place ä conquerir, etoit oblige s'ii vouloit aller plus loin, de pafTer , une grande & profonde Riviere, & comme des Ar-mees ne traverfent^as les Rivieres auflj facilement que desoifeaux, ii falloit des temps infinispoury conitruire des Ponts; mais Sans Parangon cherchant toüjours äplaire ä fa Princeffe, par des aÖions extra-ord'maires, s'avifa fans s'embaraffer ni du peril ni des difficultez, de faire paffer fon Armee ä la nage; la nouveauie' de cette grande a£lion deconcerta ft fort les ennemis, que tous les Peuples voifms ac-coururent pour fe foümettre au Vainqueur, qui fe feroit. aifement rendu maitre de plufieurs grands Etats, ii Belle-gloireetonnee de ce qu'il avoit paffe fes efperances, ne lui eüt repreTente, que ne trou-vant par tout que de la terreur & point d7 ennemis, eile ne prenoit plus fur fon compte les Conquetes qu'il pourroit faire für des gens qui fe rendoient fans combattre. Sans Parangon qui ne fongeoit qu'ä plaire ä fa charmante mattreffe, lui fit encore ce facrifice, & fe retira dans fes Etats. / Ligour- Parangon. 123 ; Ligourde, jaloufe des profperitesdu Prince, vo-yant Petonnement &la conflernation de fes enne-mis, lenr fit apercevoir cm'ils avoicntdans leur Pais un oifeau jaune, a qui eile avoit donne plulieurs forts; & quoi qu'ilfut encore jeune, & qu'il n'eut pas les ailes affez fortes pour aller bien loin, elle les affura quil pqurroit dans les ftiites les fervir Utilement. Cet avis leur donna beaucoup d'attention fur T oifeau jaune, & ne lajffa pas de leur rele-ver le courage; mais tout cela leur fut inutile, car Belle-gloire, ayant vifiteSans Parangon au retour de fa Campagne, elle lui temoigna la fatisfa&ion qu'elle avoit de tout ce qu'ii venoit "de faire pour ion fervice, & lui fit entendre qiPil etoit de fa ge-nerofite de meprifer les Conquetes aiiees, & qu'il devoit fe contenter a" avoir reduit fes ennemis dans la confirmation ou lis etoient, fans vouloir profiter de leur defordre- Sans Parangon trop heureux de pouvoir plaire ä Belle-gloire, y confentit fanshefi-ter. Ce noble procede dans des conjon£hiresfi favo-rables, lui attira plufieurs paroles obligeantes de la part de fa maitreffe. Sans Parangon qui dans fori plus graiid repos fongeoit toujours a tout ce qui pourröit faire plus de plaifir ä fa Princeffe, s'appliqua de nouveau ä proteger les Sciences & les Arts, en etabliflant plulieurs Manufactures & Academies de Peinture, & de Sculpture en divers ,endroits de fon lVoyaume. Belle-gloire Payant vifite peu de temps apres, lui parla en ces termes: Tu asfait une infinite de belles actions, je tel'avoue, il me parojt cependant que tu n'as gueres d'attention ä ce qui me regarde perfonnellement, puifque tu u as pas feu]ement encore penfe* a te mettre en etat de pouvoir envoyer une Ambaffade ä PEmpereur de la Chine, mon Pe-re, pour me demander lorfque mon enehan'tement fera fini; 011 font tes Ports, Oü font tes Armee* Nava- 124 Sans.. Navälss? Sans Parangon fut ravi que fa maltreffe fongeät elle-meme aux moyens d'etre ä lui; & quoi qu ileut deja & des Ports & des Vaiffeaux, ü fit batir un .nouvcau Port, & conflruire plufieurs grands Vaiffeaux, avec des Joins & des. depenfes immenfes. Belle-gloire en parut fort contente, eile ne laiffa pas de dire aux Prince, que le voyage de la Chine etant fort long & difficile, ii feroit fron de faire par avance quelque etabliffement dans 1' A-merique,~pour fervir a'entreport, en cas de be-fbin de retraiteaux Ambaffideurs, qui fans eel a cou-roient rifque de fe perdre dans line fi longue navigation. Auffi-tot dit, suffi-tot fait. Sans Parangon donna de fi bons ordres, qu'il affura peu de temps apr.es plufieurs Ports dans le nouveau Monde, & y etablit des Compagnies qui avoient un commerce eontinuel, & aux Indes, & en Amerique. Belle-gloire qui avoit deja ete fervie par plufieurs grands Heros, fut obligee de convenir qu'elle n'en avoit jamais trouve qui entrat fi genereufe-ment dans tout ce qui lui faifoit plaifir, ni qui eut travaille ä lui plaire avec tant duplication & tant de iucces que bans Parangon. II faut convenir, lui dii-ei.le, que tu as de grandes richeflfes, de belles armees, des palais magnifiques, & des Jardins delicieux; mais il te manque encore un trefor d'un prix ineftimable & dont PEmpereur mon pere fai-ibit plus de cas que de fa Couronne, (c?eft un ami fidele) je lui ai iouvent oui dire cru'il plaignoit beaucoup la condition des Rois^ qui etoient envi-ronnez d'une foule d'adorateurs, qui avoient la clerniere complaifance pour toutes leurs volontez,'" mais rarement d'amis fideles qui leur parlaffent avec franchife, & fans quelque vue particulierc: il en avoit un fort definterefTe, qui avoit beaucoup d'e-fprit, uiie grande douceur, beaucoup de penetration 3 qui raiibqaoit jufte fur toute forte de matie- res, Parangon. 12^ res, qui ne leflatoit jamais, & qui aimoitmon Pere ind6pend.emment de 1 Empereur. Co portrait qui frapa'le Prince fe trouva fi fort de fon gout, & li conforme a fes inclinations, qiPil s'eilima malheureux au milieu de fes riclieffes, puis:-qu'il n* ay oil pas till ami dece cara&ere; il remer-■cia la Prineeffe'de fes avis, & les Aigles ayant pris leur vol a leur ordinaire, le Prince demeura fort reveur faifant de ferieufes reflexions fur tout ce qu'il venoit d"entendre. II obferva depuis ce temps-la ceuX qui P appro-clioient, il examina leur efprit & leur cceur, cner-chant tou jours la reflemblance du portrait cjue la Princeffe venoit de lui faire. Enfin aprcs bien des epreuves differentes, il fut affez heureux de trou-ver une perfonne d'line rare vertu, & d un merite extraordinaire, qui avoit pre^ifement toutes les qua-litez du portrait. Sans Parangon qui jufques-la avoit ete livre' a des Courtifans paflSonnez, qui fouvent fe d^chai-noient lcs uns contre les autres, fe trouva fi foula-ge de pouvoir parler de toutes chofes a cceur ou-vert, & fans craindre qiP on lui dit du mal de perfonne, qu'il ne perdoit jamais d'occafion deFeri-tr'etenir, toutes les fois que fes grandes occupations pouvoient le lui p.erme:tre* Cependant Belle-glo^re n'aimoit pas a le voir long-temps tranquille , elle lui infpira peu de terns apres, d'entreprendre de nouvelles guerres- L' oi~ lean jaune qae Ligourde avoit enchante, &qui s* e-toit fort accredits depuis, ne^laiffa pas de fe Conner beaucoup de mouvement, & de faire pluiieurs -tentatives pour arretcr les progres de Sans Parangon; mais fes -foins-a' empecherdnt pas- qua ce Prince r& centi- 126 Sans. continuát .toujour? 1st guerre avec le méme íuccéá5 car paroítre en Campagne, & faire des Conquétes, étoit pour lui une méme chofe; toutes lesffaifons lui étoient égales, il faifoit des Sieges indifferem-meilten Hiver conime enEté,, il campoit fur la neige, comme fur une prairie couverte de fleurs; fes ennemis s'etant liguez par les foins de Poifeau jau* re, firentde nouveaux efforts, & marchérent á la téte ď une puiffante armée, pour s'oppofer ä fes Conquétes; ee qui n'empecha pas qu'il ne prit plu-fieurs places devant eux, & leur préíence ne fervit qu' á lui donner plus de témoins de fes Vičfcoires, Belle-gloire voiant que rien ne pouvoit refifter á cet incomparable Prince, lui fuggéra de nouveau de pofer les armes, & lui fit connoitre que puif-qu'il ne trouyoit plus d'ennemis dignes de lui, eile fouhaiteroit qu'il s'attachát ä embellir fes maifons & fes Jardins , ce qu'il éxecuta^avec une magnificence qu'il eft plus aiß ď imaginer que d'eerire, Belle-gloire ayant reconnu par plufieurs experiences, que ce Prince bien loin de fe délaffer quelque-fois, fe donnoit tout au public, lorfque les foins de la guerre lui permettoient de prendre quelque reHche, eile lui dit un jour, quelle ne comprenoit pas comment il pouvoit foůtenir P embarras d'une fuite continuelle d'affaires;, queTEmpereur de la Chine fon pere étoit bien d'un meilleur gout, puifqu' aprés avoir rempli une partie de la femai-ne les devoirs d'Empereur, il devenoit lerefte du temps homme přivé, & fe retiroit dans un agréable Palais environné de jardins délicieux, oü tout étoit ď une propreté furprenante; on y voyoit une infinite de choíes curieufes qui faifoient plaifir á voir, mais particuliérement une Riviéře qui fe précipi-toit du haut ďune moniagne, qui faifoit une ca-fcade li extraordinaire, que dans les beaux jours, la reverberation du Soleil qui donnoit fur la cafcadev réjailliffoit fur le Palais,, & éclairoit tons lesapatte- mens. Parangon. 127 mens. C e'toit dans ce beau fejour qu'il vivoit fans contrairite, eloigne de la foule, & accompagnc d'un petit nombre de perfonnes choifies, qui ne Fentretenoient que de clioles agreables, fans jamais lui.parler de leurs affaires particulieres. Sans Pa. rangon admira le bon gout de l'Empcreur de la Chine, & aflura Belle-gloire qu'il profiteroit de cet; exemple. La reputation de Sans Parangon, fes anions hero/i'ques, & fes grandes vertns,, allerent auffi loin que la lumiere du Solcil; plufieurs grands Poten-tats des cxtremitez de la terre, lui envoyerent des Ambaffadeurs avec de richez prefens: fon Roiau-meetoit une pepiniere de# perfonnes illuflres, tou-tes les Nations y etoienf bien recues, & on y abor-doit de toutes parts, pour admirer ce Prince incomparable, & pour apprendre par fon exemple, & la politeffe & la pratique des vertus. Belle-gloire qui P avoit mis a toute forte d' epreuves, P aifu-roit dans fes vifites, qif elle n'attendoit plus que la fin de fon enchantement pour lui marquer fa recon-noiffance; mais ce Prince craignoit toujours de n'avoir pas affez fait pour elle, & cherchoit conti-nucllement de nouvelles occafions de" ^agner fon eilime. Quoi que la Fee Clairanee lui eut fait evi-ter par fes foins un des forts de Ligourde, & qu' elle V eut rendu d'une fante parfaite, fes campemens fur la neige & les autres fatigues de la guerre lui cauferent une facheufe incommpdite, dont les fuites parurent tres-dangereufes, mais Sans Parangon ne consultant que fon courage, fans donner le terns a fes fujets de s' appercevoir de ce grand peril, y fit appliquer le fer & le feu, ekguerit^ cette furpre-nante ferrnete donna de P admiration a tout le monde. Belle-gloire PafTmja dans fa premiere vifi-te, qu' elle avoit etc fort touchee de la grande re- i28 ' Sans ' folution qu* il avoit fait paroitre, & qiť eile la trot> voit fort digne de lui. Quoi que Sans Pärangon n'eut auesune connoift fance du temps que devoitfinir V enchantement de ]a Princeffe, ií fut neanmoins bien aife do lui mar* quer qu'il fongeoit toüjours ä eile, & lui en donnä une preuve trés-feníible en envoyant des Vaiffeaux aux extrémitez de la terre, '& fort pres de la GvL ne, afin ď accoůtumer par-lä fes Sujets á connoitre les Mers éloignées, & prévenir de bonne heure leá diřncultez qui pourroient s* opofer á la longue navigation qu' il méditoit, lořfqu' il voudroit envoyeť á la Chine pour y, demander la Princeffe. Cette prévoyance plut beaucoup ä Belle-gloire , qui ne voyoit quafi plus efendroits pour demander á fori amant de nou veil es marques de fon attachement^ eile avoit épuifé U matiére dans la gueřre & danS la paix, dans la parfaite difeipline des troupes, dans la reformation de la Juftice^dans Pétabliffe-ment du commerce & de la navigation, dans le bon ordre des finances, dans la protection des Sciences & des Arts, dans la magnificence des bátimens, dans Pembelliffement des Jardins, dans les actions de fermeté, dans la pratique de toute forte de vertus, ~& généralement dans tout ce qu'elle imagina, qui pouvoit convenir ä un grand Heros. Ce Prince troüvä moyen par fa valeur, & par fä parfaite 'moderation, de n* avoir plus ď ennemis * mais fes grandes'actions que la Pvenommée publi-oit par toute la terre, lui firent une infinite ďenvi-eux; il fit un fonge en ce temps-lá, qui lui donnä quelqjUe inquietude. Í1 voyoit un Coq attaqué pat tin Aigle, parun Paön, par plufieurs Dindons, & par un grand nombre de Canards, qui 1'environ-noient de toutes parts, & le preffoient vivement; Tinégalité du Combat n'empéchoit pas que le Coq ■Parangon* ne fe defend! t vigoureufement contre tous, & qu'il lie leur donnät de ft rudes coups de bee ^ qu' il leur arrachoit quelquefois des plumes. Le g&ie-reux Sans Parangon tout endormi qu'il ctoit^ voulut aller au fecours du Coq, & fe reveilla; comme c' eteit le Prince du monde le moins fuperfti-tieux, il ne fit aucune attention a ce fonge, mais ayant apris quelque temps apres, que plufieurs grands Potentats cabaloient contre lui, il fe fou* vint de fon fonge qui lui fit quelque peine, parcc que fon r£veil ravoit empecne de voir le denoue* ment du combat; neanmoins affurö de lui-meme^ & ravi d*ailleurs de trouver de nouvelles occafions de plaire ä fa Princeüe; il ne s' embaraffa point de tous les bruits publics. Cependant le fonge ne fe trouva que trop veritable, car Sans Parangon fut informe que 1' oifeau jsmne qui commen$oit ä efla-yer fes ailes, voltigeoit de toutes parts, & avoit enfin engage un grand nombre d'Empereurs, de Pvois, de Pv^publiques, & d*autres Princes Souve-rainsj a fe liguer contre Sans Parangon, & qu'il follicitoit nieme fes Alliez & fes amis d* entrer dans cette formidable ligue. Le bruit de ce grand ora-^ ge qui fe formoit contre lui, ne l'etonna jamais; il ne laiifa pas neanmoins de fe tcnir fur fes gardes, & d'affembler fes troupes. Belle-gloire qui aprit que tant de grand es Puif-fances confpiroient contre Sans Parangon,m & etoient pretes ä fondre fur fes Etats, Penfelicita au lieu de le plaindte; & cömme eile connoiffoit parfaitement le grand courage du Prince, eile lui mipira de prevenir fes ennemis fans attendre qu'ils euffent 1' audace de V attaquer. Le Prince marcha d'abord fur la Frontiere, & fe faifit malgre les nombreufes troupes de fes ennemis , d'une place qui pouvoit leur fervir de paffage pour entrer dans fes Ftats; Cette fage prevoyance rompit toutes les mefures, & ils furent obligez d' attendre une Tmt iL I autr« Sans autre Campagne pour commencer a fa ire quel que entreprife. Cependant les ailes del'oifeau jaune s'etoient fi bien fortifiees, qu1 il paffa la mer d' un feul vol; la joye qu'il eut d' avoir reuffi dans ce hardi pro-jet, ou la peine qu'il fe donna pour arriver a terre, le firent changer de plumage, & il lui vint une crete rouge fur la tite, femblable a celle du coq, qui lui donna un grand relief. Ce fut par fes preffantes inftanees que les Al-liez equiperent un grand nombre de Vaiffeaux & mirent de prodigieufes armess en Campagne. Bel-le-gloire dans une de fes viiites en parla au Prince en ces termes: Voici le temps, brave Sans Paran-gon, de moiffonner des Lauriers: fi jenecontois plus fur ton courage que fur tes forces, je craindrois beaucoup pour toi, car les Rois tes■ predecefieurs n'ayant qu'un feul ennemi en tete, ont eu befoin de toute la valeur pour foiitenir la guerre; fonges que tu as plufieurs PiiilTances a combattre, e'eftun Hydre qui a une infinite de teres, tes trefors font epuifez par les complaifances que tu as cues pour moi, au lieu que tes ennemis qui n'ont encore fait aucune depenfe, ne manquent ni d' hommes ni d' argent; je crains que tu ne lucepmbes, & que le grand nombre net'accable, & ce qui me fait plus de peine, e'eft que mon enchantement eft tel, que malgre tout ce que tu as deja fait pour moi, fi quelque autre^Heros, quoi qu'il nem'eut jamais vue, de-venoit ton^ vainqueur, je toublierois, & je'pour-r rois devenir fa recompense; ainfi fonges encore une fois, qu'il s'agit de perdre Belie-gioire, ou de fe Faffurer pour toujours. Sans' Parangon qui ne craignoit point fes ennemis, & qui fe fentoit affez de courage pour fe de-fendre contretous, fut ofTenie du difcours de la Princeffe, mais faifant reliexion que Finteret qu'el-le pcenoit a fa perfonne lui donnoit cette inquietude Parangcn. de', il lui pafdortna fes remontrances. II fe mit pen de terns apres en Campasrne, & nonobftant lesin-utiles efforts de tant de puiffances liguees contre lui, & les nombreufes armies qu'ils lui oppoferent, il les battit, & gagna une grande bataille fur eux. La mer ne leur fut pas plus heureufe, car leur Flo-te fut encore defaite par farmee navale deSans Pa-rangon, & perfonne ne douta que cette liglie qui £toit compofeede plufieurs Potentats qui avoient tant dMnterets differens amenager, & qlucepeiidant etoient battus par tout> ne fut bien-tot des-imie, ft'y ay ant pas d'apparence qu'elle put fubfifter long-temps. Belle-gloire ne fut pas la derniere a felici-ter Sans Parangon de tant d' helireux fucces> qui ne produifirent pourtant pas TefFet qu'on en avoit attendu; car bien loin de fe rebuter, ilsl'attaque-rent en plufieurs endroits differens tout a la fois> perfuadez qu4ils pourroient le vain ere plus facile-ment lors que fes forces feroient divifees; mais f» Vigilance & favaleur fuppleerent a tout, & il fut toujours viclorieux; cependant m les Places impor-taiites qu'il prenqit fur eux,_ ni les batailles qu'il gagnoit, ne decidoient jamais de rien ; leur norri-bre «^toit fi grand, qu'ils fe trouvoient toujours en tot de reparer leurspertes, & de renouveller leurs troupes. Belle-gloire admiroit egalement, & la conduite, & la valeur, & la prevoyance du Prince 5 qui foutenoit fi courageuiement une guerre fi difficile, & qui fe croyoit toujours trop recompenfe de fes travaux, par la fatisfaftionque la Princeffe lui en tcmoignoit; foil unique crainte etoit den*avoir pas affez fair, pour elle, & il etoit continuellement occupe a chcrclier de nouvelles occafions de meri-ter Ion eitime. Rempli de cette penfee, & fongeant a attiret les ennemis pour les engager a un combat general & decifif, il attendit que toutes leurs troupes fuf-fent en Caffipagne, & alia attaquer en leur prefeft- I a ce Sans ce une roche imprenable, dont le feul nom doh-noit de la terreur a tous les Pa'is voifins; une refo-i lution ft furprenante etonna fort les Alliez qui envo-y^rent cent mille hommes pour fecourir la place, quoi qu'ils fuffent fart periuadez qu'elle ne feroit pas prife dans le temps que Sans Parangon la pref-ibit vivement. La mecnante Ligourde, apres lui avoir fufcite tous les elemens, fit encore gliffer chez ee Prince une de les luivantes appellee poute, & un defes Couriers qu'onnommoit Mauvaife-nouvel-le; tout autre que Sans Parangon fe feroit trouve fort embaraffe dans une conjonfture aulTi delicate que cellela, mais ce Heros ne chercha dc fecours que dans fa fermete, & oubliant fon mal, il ne confulta que fon courage; il fe fit porter a la queue de la trenches, & anima fi bien toutes chofes par fa presence & par fon exemple, quePcnnemi fut repouffe & la Place prife. Belle §loire pour lui marquer combien cette grande a£hon lui etoit agreable, lui donna fa main a baifer pour la premiere fois de fa vie, qui fut line faveur fi fignalee pour lui, qu'il auroit ete bien fache dans cette occafion de n' avoir pas eu autant d'ennemis & autant d'affaires qu'il en avoit. Cependant les PuifTances liqud:es perfifloient dans leur opiniatrete, toujours pre* venues que leur union & leur perfeverance Cpuiferoient cnfin les forces de Sans Parangon qui etoit feul contre tous. Mais fon courage ne fe ralentiffoit jamais & il les battit encore dans pluficurs occafions les Campag-nes fuivantes. Belle-gloire e^onnee de la fermete de Sans Parangon, qu clle trouvoit fi fort au deffus des Heros qui l'avoient fervie, & remarquant qu'il fe jotioit de cette guerre, refolnt de le mettre a une nouvelle epreuve qui n' etoit pasmoins difficile que toutes lesautres; elle lui dit un jour, que les importans fervices qu*il lui avoit rendus, lui fai- foient i) i 'ŕ 69451 foi f e réf de ľ L vir av( qiť cet q u1 bie apt-ten pré dre voii que taní mal diffi fort eůt Bell a utr ne i choí eút dit-c puií mar( préc exec gage bom le de rang' foit, Parangon. 133 foient defirer d'etre bien-tot des-enchantee, afin dc le voir en etat de le recompenfer, mais que faifant reflexion , & au nom de Sans Parangon, & a celui de Belle-gloire, elle ne croyoit pas qu'il y cut daris PUnivers une etoffe affez digne d'elle pour lui fer-virde manteau Pvoyal le jour defes noces; qu'elle avoit autrefois oui" parler de la toifon d'or, & qu'elle auroit fortement fouhaite de 1'avoir pour cette grande Ceremonie; qu'elle efperoit de lui qu' il voudroit bien envoyer aux Indes une Flote bien equipee, pour enlever cette toifon, & la lui apportcr. Le Prince fut dans le dernier £tonnement d' entendre une proportion ii extraordinaire, il lui re-preTenta qu'il n'heliteroit jamais a tout entrcpren-dre, lorfcju' il s' agiroit de lui plaire, qu' elle pou-voit fe fouvenir defes Conquetes, de fes magnifi-ques Palais, de la jonclion des deux mers, & de tant d'autres chofes qu'il avoit^ faites pour elle, mais que les Indes etant fort eloignees, la Toifon difficile a trouver, & fes ennemis beaucoup plus forts que lui fur la mer, il ne voyoit pas qu'il y eut aucune apparence de faire reiiHir ce projet*, Belle-gloire qui £toit de l'humeur de la plupart des autres perfonnes dc fon fexe, qui n'ecoutent aucune raiion iors qu' elles veulent fortement quelque chofe , trouva fort mauvais que Sans^ Parangon lui eut fait toutes ces difficultez; il etoit inutile, lui dit-elle, de recapituler ce que tu as fait pour moi, puifque je ne l'ai pas oubhe, ^&que tu as p il re-marquer que je n* y etois pas infenfible, & c' eft precifemeut la facilite que tu as toujours trouvee a executer tout ce qui pouvoit me plaire, qui m'en-gage a te faire une demande fi nouvelle; j'ai affez bonne opinion de toi, pour croirc que puifque je ledefire> ccla ne te fera pas impolfible. Sans^ Pa-raugon confus de l'honneur que fa Princefie lui fai-foit, ne balanca point a tenter ce ridicule projet, I 3 & «34 Sans & jetta les yeux fur un Capitaine de qui la valeur & Pexperience lui faifoient tout efperer, & Yenyö-ya aux Indes avec une belle Flöte; il y arriva a-pres une longue & penible navigation, il deeouvrit; par fes foins une forteretfe oü l'cn gardoit la Toi-fon, mais il trouva qu'elle etoit defendue par defl Cyclopes dont le nombre etoit fort fuperieur ä la Flöte; il ne laiffa pas de Vattaquer, & i\ s'apper-cüt peu de temps apres, que la reputation de Sans jparangon etoit auiTt connue dans le nouveau mon-de, que dans fes propres Etats, & que le feul ef-froi de fön nom avoit intimide les Cyclopes, qiP il forca a lui remettre la Toifon, & la raporta ä Sans Parangon. Ce Prince la mit aux piecis de Belle-gloire qui fut charm$e de ce riche prefent, &■ lui en fcut plus de gre que d'une Conquete beaucoup plus confiderable; les loüanges qu'eile lui donna, lui plaire, en taehant d'attirer PArmee des Alliez a line bataille; il affiegea de nouveau en leur prefen-ce, une place tres-importante qu'il prit fans qu'ils iiffent aucun mouvement pour s'y oppofer- Alors il fe determina d'entrcr bien avant dans le Pais en-nemi, & d' ailieger par mer & par terre une fameu-fe Fortereffe qui fervoit de rempart a un grand Pvo-yaume, & qui etoit gardee par des troupes audi tiombreufes que celles des Afiiegeans. Cette entreprife parut fort temeraire, mais le General qui conduifoit ce Siege, anime du meme fang de Sans Parangon , & fortifie par les ordres & par le grand courage de ce Prince, preffa fi vive-ment les affiegez ? qu'apres mille & mille furpre-nantes aQions qui fe firent de part & d* autre, la place fut enftn forces a capituler, & fe rendit au Vainqueur. Belle-glojre en fut tranfportee de joye> & de-rmeura convaincue que rien ne pourroit refifter a PaveniraSans Parangon. Lamefure eft comble. nouvelles occafions de lui Parangon. iui dit eile, & moil efprit fertile en epreuves, ne me fournit'plus rien pour exercer ton grand courage; les experiences que j' en ai dejafaites, me pen juadent affez & me font juger dequoi tu es capable: jeveux que tufurprcnnes tes ennemis par une victoiretoute nouvelle; on eft fi accoütume ä tevoir prendre des Places, que celan'eft plus d'aucun me-rite pour toi; mais puifque tu cherches a faire des actions extraordinaires, & dignes de^ Sans Parangon, rends a tes ennemis ces fameufes Fortereffes qui leur donnent tant d'inquietude, & qu'ils ne icauroient jamais reprendre fur toi, Ceft pour Pa-mour de vous, charmante Princeffe, repondit Sans Parangon $ que ie les ai prifes, je me trouve trop recompenfe puifque je fuis affez heurcux de vous plaire en les rendant, Cettc furprcnante moderation plüt beaucoup ä Belle - gloire, fur tout dans un temps oü Sans Parangon ie trouvoit en etat dedonner la loi par tout, s'il cut voulu profiter de tant de cönjon£hires favo-rabies. Cela delarma aufli les Puiffances confederates , qui s' emprefterent toutes ä gagner la bien-veillance de ce Prince, & fe repentirent meme de lui jfvoir fait la Guerre, ä mefure qu'ils connurent de plus pres & fon tnerite, & fes rares vertus. Ce fut alors que Belle- gloirefentit plus vive-ment le' malheur d'etre enchanter, ne fachant pas quand il finiroit, & fe voyant hors d'etat de coü-ronner Sans Parangon; eile ne le difftmula point k ce Prince, & lui temoigna le chagrin qu'eile en avoit, lui faifant connoitre que dans 1» incertitude oü elle etoit, fi fon enchantement finiroit bien-tot, ou s il dureroit encore plufieurs fiecles, fon grand courage & les chofes extraordinaires qu'elle lui a-voit vu faire, lui avoient infpire une penfeequi paroitroit extravagante, mais qu'elle trouvoitdigne de Sans Parangon; Tu as, lui dit elle, defarme les Puiffances de la Terre, par tavaleur3 & par tes I 4 ver- 13 6 Soils' vertus; qui fempeche d'attaquer a prefent les En-fers, & de faire la guerre aux Fees, qui par le fe-cours des Demons font tant de defordres fur la terse ; j' avoue que les Armes, dont tu te fers pour tes expeditions militaires, n*y font pas propres, il en faut pour cette guerre d'autres fort differentes; mais je fuis affuree que tu les trouveras, fi tu veux bien fappliquer ä les chercher, & qu'il netien-droit qu' ä toi de rompre mon enchantement. Quoi-quc ce grand Projet fut tres-conforme aux fenti-mens de Sans Parangon, & qu'il füt fort touchy des raifons de Belle-gloirc, & fur tout du plaifir de la des-enchanter, le fouvenir des grandes obligations, qu* il avoit ä la bonne Fee, s' etant prefente-ä fon imagination, fa reconnoiffance l'empecha de goüter tout le plaifir qu'il auroit eu par la feule idee de pouvoir delivrer fa charmante Princeffe. Mais Belle-gloire qui connoiffoit fon coeur ge-liereux? s'etant apercu de fon embarras, le defabu-fa en 1'informant de tous les rhyfteres dont eile s'e-toit eclaircie, par le fejour de plufteurs fiecles qu* eile avoit fait dans le Palais de Clairance, & qu' eile n'avoit jamais ofe reveler, par la crainte des cru-els fupplices cm'on lui auroit fait fouffrir, & qu'el-le commencoit ä meprifer, dans l'efperance oü elle etoit que le Prince pourroit bien-tot la delivrer; elle lui aprit que la bonne & la mauvaife Fee n' e-toient que la mcme perfonne, qui jotioit ces diffe-yens perfonnages pour mieux impofer au Public, que tous les enchantemens, & CKemeles riches Pa^ lais des Fees, n'etoient qu'une illufion; que pour donner ces forts par lefquels elles fe rendoient li re-doutables aux hommes, elles profitoient de la con-noiflance que les Demons leur donnent de Pave-nir; & quoi qu* elles n'euffent aucun pouvoir de changer en naiifant la deftir^e de perfonne, elles ne foifibient pas de donner des forts qu'eltes regloient Parangon. 137 fur la connoiffance qu' dies avoient de ce que cha-cun devoit devenir. Sans Parangon lurpris d'apprendre un detail fi curieux, & qu' il trouvoit fort vrai-femblable, füt bien aife d'etre defabufe, & affura Belle gloire que puifqu'eile etoit contente de hit, & qu'il n'avoit plus d'enncmis, il alloit mettre tons fes loins a trouver ces armes ft diniciles pour entreprendre la nouvelle guerre qu' eile venoit de lui propofer. La Princefie fe preparoit a lui repliquer, lorf-que les Aigles de ion char partirent brufquement, & fans attendre fes ordres. C $toit la Fee elle-me-me qui trainoit ce char fous la figure des Aigles, & qui fut terriblement irritee de la hardieffe de Belje-gloire, & des temcraires delfeins qu'elle avoit ia-fpirez au Prince: elle nc voulut plus que la Prin-ceffe continuät fes vifrtes, & fe preparoit ä lui faire fouffrir d'horribles fupliccs, fi ellene fe füt ap-perdue que Sans^ Parangon ne voyant plus faPrin-ceife,_ s'appliquoit bien ferieufement ä la delivrer; la crainte quelle eut que ce redoutable Manarque, de qui elle connoiffoit le grand courage, ne vain-quit encore les Puiffances infernales, lui fit fufpen-dre 1 execution de fes cruautez, & diifirpuler fa colere; eile affe&a au contraire de bien traiter Bel-le-gloire en lui faifant connoitre qu'elle etoit inte-reffee elle-meme ä detourner le Prince de fa teme-raire entreprife, puifque s'il y reüffiffoit, & qu' il rompit fon enchantement, qu'elle n'etoit qu'une fimple mortelle, & qu'il etoit meme dangereux que ce rrince ne s'attachat pour une bonne fois ä une gloirc plus folide, & qu'il ne meprifat tout le reite. La Princeffe qui fe deficit des Artifices de l'Enchantereffe, & qui jugea que 1'entreprife du Prince n'etoit pas impoffible, puifque la Fee en a-voitpeur, la remercia fierement.de fes avis, & at-tendit avcc beaucoup de confiance, que Sans Parangon allät rompre fon enchantement, I 5 CON*. 138 La Reim & a $ » k & © © * *. & * # * ^ # & CONTE MOINS CONTE DES FE'E S, IL y avoit une fois un Roi qu'on appeiloit le Roi Guillemot; c'etoit bien le meilleur Prince de la terre, qui ne demandoit qu1 amour & firnpleffe, on afiure Rieme qu' il fe mouchoit a la manche de ion pourpoint; il'n'avoit aucun empreffement pour le Manage, Cependant comme la race Guillemote etoit fort ancienne, les Pen pies fouhaitoient qu'il leur donnat des SucceiTeurs, on-avoit parle de plu-fieurs manages different, .^rnais ii s'y etoit toujours trouve des difficultez invincibles. Une Princeflfe du voifinage quite nommoit Urraca, avoit des Etats qui ctoient fort a la bienfeance du Roi Guillemoty mais Urraca aVoit toujours marque de la repugnance pour le manage, & beancoup d'infenfibilite pour les foins que piufieurs Sbuverains, & particuliere-ment le Comte d'Urgel, s' etoient donnez pour lui plaire. Sa paflion dominante etoit PAftrologie, & elle ne fe detcrriiina a fe marier , qu' apres avoir recon-nu dans les Ailres qu'elle feroit mere d'une Princeffe toute parfaite, qui feroit un prodige de beaute mune voix qtť on lui déclareroit la guerre- & quoi que les Etats du Roi Guillemot fuffent ďune plus grandé etendue" que ceux de lä Reine Urraca, fes Sujets étoient fi períuadez de la pcrfidie du Pvoi Guillemot, & de ľ innocence de la Pveine, qu'ils jurérent tons de hazardér leurs biens & leur s vieš pour la reparation de cette injure* On déclara la guerre au Roi Guillemot, & on leva des troupes dc toutes parts, on fe préparoit fort férieuíement ä la guerre, & chacun raifonnoit fur nneavanture ft ex^ traordinaire. Ceux qui connoiffoient la fimplicité du Roi Guillemot, & foil peu d'emprefíement pour les Dames, jugeoiertt que ľeňfant n' étoit pas de lui, ftachant bíen qu'il n' étoit pas capable d' en-treprendte Un tel voyage^ ni de fairc Une femblablc galantérie: lá Pveine étoit en reputation ď étre la plus . verili eufe Prirtceffe de la terre, plus on exa-minoit toutes fes actions, moins on trouvoit ďocca-íionni merne de prétexte de foitpcjonner la conduite. Pluileurs Potentats voifins voulurent fe méler ďáccommodement, mais les Guillemots jaloux du point d'honneur, rejettérent toutes les proportions qui tendoientá reconnoitre ľ enfant; &la Pveine qui croyoit avoir étéabufée fous la foi du jnariage^ aimoit mieux périt avec tons fes Sujets, file Roi Guillemot ne convenoit du fait, &n'alloitiui de-mander pardon de fa perfidie. Le Comte ď Urgel fut un de ceux qui s' em-prefľérent davantage p©ur cet accommodement, & comme il aimoit toujours la Reine, & qu'il ne fai-foit pas grand cas des Guillemots % il propofa pour épargper le fang de tant de Peuples, de decider ľ afTairc dans un Combat en champ clos, & s' offrit ä défendre ľhonneur de la Reine en qualité de fon Ch e- des Fees. Chevalier. Le Roi GvJiHemot nevoulut point accepter ce parti, ma is le Prince Guilledin {'on frere, qui avoit li'n courage digne des anciens Guillemots, pria les Etats du Royaume affemblez, de lui per-mettre de combattre le'Comte d' Urgel: Comme ll ne s'agiffoit pas de moins que de la perte du P^oyaume, les Etats lui permirent le Combat avec de grandes acclamations, & s* etant rendu au jour marque par le Cartel, arme de toutes pieces, dans la Ville Capitate des Etats de la Reine, il y trouva ie Comte d' Urgel > uui temoigna beaucoup de mepris pour un Champion qu' il croyoit fort au deffous de ion courage* Le Combat fe fit en prefence de la Heine & de fon Confeil; & foit que le Prince Guilledin fut plus adriot que le Comte d* Urgel, ou que la Victoire fe declare toujours pour la verite, le Prince renveria ie Comted'un coup de lance,dont illeblefTa mortel-ment. Les juges y etant accounts, il declara avant que de mourir, qu'il avoit trompe la Pveine par le fecours de la nourrice. Cette mechante femme fut arretee, & n- cut pas la force de difconvenir de tout ce que le Comte venoit de dire. La malheureule Reine eclaircie d*un myfrere, qui malgre la bonne foi la faifoit paroitre coupable, feroit morte de douleur, fi par les Confeils de Bel-funfinc elle n' eut lufpendu fon defefpoir pourPa-mour de Meridiana: elle ne lairfa pas d* ordonner que la nourrice fut remife au Prince Guilledin, & de lui faire rendre la ceinture doree, les epingles, le petit couteau & les cizeaux, que le Pvoi Guillemot lui avoit envoyez* ■ Le Prince Guilledin fe retira vi&orieux, & fut recti dans les Etats de fon frere avec des applaudif-femens extraordinaire?. La nourrice, enfermee dans une csge de fer, fut long-temps trainee par les rues; & on la jetta enfuite dans la mer. Le Roi Guille-rnotpqui avoit refufejle den du Comte d'Urgel, fut tondu 144 La Reme tondu & enferme" > & 1c Prince Guilledin mania Cut le Trone. Urraca honteufc de fes malheurs, n'eut pas le courage dc fouffrir la vue d'aucun de fes So jets* & fe retira avec fa chere fille & la Fee Belilmfine dans une montagnedes Pyrenees, qui eftla plus haute de toutes, & qu'on nomme le Pic dc midi; elle mit toute fon application a bien clever Meridiana, a lui infpirer du mepris pour tous les hommes, & a lui apprendre tout ce qu'elle fcavoitd'Aftrologie; cette jeune perfonne devenoit chaquc jour plus agreable, & avoit de'ja beaucoup plus d'efprit & de raifon, que n' en ont d' ordinaire les enfans de cet age. Bel-funfine l'aimoit auffi tendrement que fa pr'opre mere, Tune & T autre lui faifoient part> Urraca de fa fcience, & la Fee de fes fecrets furnaturels; elle fe fouvenoit de tout ce qu' on lui avoit dit une feule fois, & elle etoitd'un naturel fi doux, qu' elle obe-"iffoit toujours fans replique a tout ce qu' on vouloit exiger d'elle. La grande beaute de Meridiana, fa docilit6, & les progres continuels qu'elle faifoit dans les Sciences & dans tous les fecrets des Fees, confoloient beaucoup fa trifte mere, mais comme tous les bonheurs de la vie font de peu de duree, une autre Fee qu^on nommoit Barbafia, jaloufe de la beaute & des talens extraordinaires de la jeune Prin-ceffe, l'enleva fecretement, & de peur que Belfun-fine ne decouvrit fa retraite, elle brula du genievre & d'autres graines dans tous les endroits de fon paf* fage, & alia enfermer la Princeffe dans une tour fort haute qui eft au Chateau de Pau , iitue au pied des Pyrenees; elle lui donna pour tache de tirer dc Feau dun puits fort profond, de la mettre dans un criblc, & de monter enfuite cinq cens degrez pour la porter au haut d'une Tour, ou la Fee avoit un petit Jardin qu' elle lui faifoit arrofer. La Pveine Urraca de'ja accablee par fes malheurs, ne put iurvivre a la perte dc fa chere fille, & mou- rut . des Fees-f iq.f rut peu de tems apres F enlevement de Meridiana* fans que l'amitie que Belfunfine lui temoignoit^ m toute;s les affurances qu* eile lüi donnöitj de n' avoir jamais de repos qü* eile n' eüt deeouvert fa retraite^ fuffent capables de la confoler. Cependant Meridiana^ bien loin de fe plaindr« de fa penible tache,. s' en acquittoit avec bcaucoup de fucces, & s'aidoit meme des fecrets que Beifuß-fine liii ävoit deja apris, fans que Barbafta s'en ap-percnt jamais; en forte que toütes les fois que cette mechante Fee paroiubit^ la Princeßje la reGevoit d'un air fort gracieux ,. la fuppliant toüjours de lui ördonner quelque chofe de plus difficile> äzTaflu-rant qu' eile ne'f$ auro.it jamais prendre ajffez de peine poür plaire ä line fi bonne Fee. Barbafta furprife & du rude travail & de la patience de la PrinceiTe, ne iaiffoit pas de lui donner chaque jour de nouvelles occupations^ dont les der-iiieres Ctoient toüjours plus penibles que les autres^ juf & qui fcavoitles obligations qu* eile lui avoit, affiira la Reine qu'elle feroit ravie de lui conferver ce eher Als, & lui dit que fi les droits qu' eile avoit déja fur la Couronne ne füfiiföient pas, eile lui donneroit un tre-for d'un prix ineftimable; la Reine P embrafía mille fois, & le trefor ayant été trouvé dans Pendroit que. la Fee avoit indiqué, le mariage fe fit aveo des magnificences extraordinaires, & une fatisfa&ion reci-pro que des deux amans. Merldiana ravie ď avoir fini une fi grande affaire* s'en retournadans fagrote desPirenées; fa vigilance & fón bon coeur ne lui permirént pas de demeurer long-temps tranquille; eile fetrouvoit aux couches de toutesles Reines, & ne fe contentoitpas d'empecher la fupercherie des autres Fees, elledoüoitles Princef-fe ďune extréme beau té, &les Princes ďune grande valeur, & les rendoit méme quelquefois invulnéra-bles; de lä vient que dans les fiécles paffez les enfans des Rois n' avoient befoin que de leur épée pour eon-quérir plufieurs Royaumes, La reputation de Mp-ridiana s'etendit par tout P Univers; & quelcrueenvie que les autres Fées lui portaiTent, eile les traitoit avee tant de eivilité, & eile leur feavoit faire des petits préfens fi agréables&fi á propos,qu'elleiPavoitprek que point d'ennemi es, & étoit généralement eftimée dans tout le corps des Fées. Leféoours qu*elle donnoit aux Tétes couronnées ne F empéchoit pas de rendre fervice aux' perfonnes ďunecondition mediocre; &ft eile troíivoit wnepau^ vre Bergere, qui n* eut pas la force de defendre les moutons centre un loup afTamé, eile voloit á fön fe-cours & la conduifoit dans un bon paturage, d'oules loups n' auroient pas ofé approcher. Si im Bucheron endormi avoit perdu fa coígnée, elie ne dédaignoit point de la lui rapporter3 & fi un pauvre voýageur ton> / Aes Fees. ijt ■ rat*--- tomboit ehtreles mains des.voleurs, eilefetrouvoit a fa defenfe, &le garantiffoit de leurs cruautez. En-fin tonte perfonne qu> rc.clamoit la Fee Meridiana e-toit,affuree d'etre promtement fecourue: Ce,futpar \ de femblables aBions qu'elle gagna le eneurdes perform es de tonte forte de conditions, faifant tout fori plaifir a procurer le bien & a empecher le mal. Comme iin*yaperlbnne quin'approuve les bonnes actions, quoi que toutlemonden1 aitpaslavertu de les faire, les Fees^ etoient rayies de tout le bien qu'elles entendoient dire de leur compagne, & s'ap-percurent avec plaifir que la terreur qu'elles infpi-roient autrefois, fe tournoit en, affection, qu'elles e-toient bicn revues par tout, & appellees dans tousles Confeils des Rois, meme des families particulieres. Belfunfme & Barbafta publioient par tout qu*elles - avoient cettc obligation a lajxelle Meridiana, & les autres Fees n'en difconvenoient pas. L' ambition qui fe gliffe danstoute forte d'Etatss fit juger aux Fees que li eUeS choififfoient line Reine> leur corps en deviendroit bien plus confiderable, puifque cette Reineauroitrangparmi les autres Tetes couronne.es, Ce pro jet ay ant ete applaud i par toutes les Fees, elies arretcrentun jour pour faire Pele&ion,. S'etant rendues dans le lieu marque Paffaire fut fort agitee; on y propofa de limiteitle pouvoir de celle qui feroit elue; mais ce choix etant tombe fur Meridiana, toutes les Fees avoient tanf d'efrime pour elle, & tant de confiance en fa prubite, qu*elles lui donnerentuneautorite tans bornes, jufqu'a pouvoir interdire celles qui lui auroient depiu, Meridiana fut enfuitc couronnee malgre fa refi-ilance, & nonobllant les raifons qu'el!e donna pour obliger l'affemblee a lui prefererla Princeffe Mtrlu* /w^ce'pendant elle n'abufa point de fon autorite, & cut encore plus d'egards pour les Fees qu'elle n en avoit auparavant. Cette bonne conduite les charma a un point, qu'elles n*avoient aucune peine a lui obeir. La nouvelle Reine ay ant bien ctabii fa Man, K 4 m. La Reine 'afrchie, renvoya les Fees ävec ordre del'informer; riBgulierement de tout.ce qui fe pafferoit dans les dif, ferentes Contr6es oü elles habitoient; & fe retira el-le-meme dans fa grotte des Pyrenees, oü eile rec^üt plufieurs Ambaffades de la part d'un grand nombre de Souverains qui lui avoient de V obligation, &qui la feliciterent fur fa nouvelle dignity. Son elevation lui donna de nouveaux foins, nefe menageant fur rien, <&toüjours emprefTee de fe trou-yer dans tous les endroits oü elle jugeoit qu* eile pou-voit etre utile a quelqu'un; eile fouffroit avec impa-. tience qu'on la rernercidt d' un bjenfait, & affuroit i qu'elle avoit beaucoup plus de plaifir a le faire, que les autresn' en trouvoient ä lerecevoir, Elle blämoit les Grands fur le peu 4'-attention qu'ils ont ä faire la fortune de leurs inferieurs, puifque celaleur coütefi peu: eile excufoit les defauts de tout le monde, &ne comprenoit pas comment on pouvoit fe reibudre ä rendrc un mauvais office, ouä faire du mal ä quel-qu'un. Enfin il n' y eut jamais perform e qui Ii onorät davantage la vertu, ni qui eut tant d'indulgencepour les foibleffes des hommes; elie-fe laÜPoit voirtantöt dans fa grotte, quelquefois fur le Pic de midi, &ibu-vent dans d'autres^ endroits diiPerens, oü eile ecoutoit tons ceux qui vouloient lui parier, & fe fervoit meine des treforsqu'elle decouvroit, pour les indigens, donnant ali-ffi liberalement un boiffeau d'or ä une Princefle pour etre mariee, qu' eile donnoit une fom-me modique äune Bergere pour reparer la perte d'u* sie brebis qui lui etoit mörte. Une Marquife qui avoit ete long-^tems mariee fans avoir q" enfans, fut enfin affez heureufe pour devenir groife; eile choifit une femme de confiance qui V a-voit deja fervie pour nourrir fon fils. Cette nourrice ayant fort fubtilement change fon enfant avec le fils de la IVlarquife, ce jeune homme eut les inclinations fort baffes, & donnoit mille chagrins ä ies pr6tendus parens, jufques lä que le Marquis accufoitfa femme d^nfideiite, a'etant pas poffi- I < ble \ des Fies, $1© quMl füt pere d'un garcon fi mal tourne*. La Marquife quin'avoit rien afe reproeher, geniiffoit pleuroit cöntinuellement, car ä mefure que ce faux Marquis devenoit plus grand, fes mauvaifes inclinations fe decouvroient davantage. Ell $ avoit oui parier dela Reine Fee & defesmerveilles,ce qui Pobli-gea de faire un voyage aux Pyrenees pour implorer fon fccours; la Marquife fe jetta aux pieds de la Fee, laconjurant de la faire mourir, ou de changer 1 es inclinations dc;fbn fils. . La Fee la releva fort gracieu-fement, & lui dit qu'eile-avoit aucitn fujet de fe irtaindre ni de fon fits ni d' eile merae, puifque cefils Ui reffembloit & de corps & d* efprit, La Marquife mortifiee & honteufe d*une reponfe qui lui paroiffoit fi defobligeante, fe difpoibit.deja. afe retirer, lorfquc Meridiana l'embrafla, & lui aprit de quelle maniere. fon fite avoit ete change par fa nourrice, cnmme Ü lui feroit aife de le juftifier par une petite marque jau^ ne qiPil avoit fur le bras gauche; la Marquife s'en fouvint d'abord, & eut de P impatience de quitter la F£e pour aller chercher fon fils; Meridiana qui sf en appercut, &; qui jugea que le voyage lui paroitroit bien long pour fe rendre aupres de fön mari & lui faire part de cette bonne nouvelle,lui fit prefent de deux chevaux qui faifoient cent lieues par heure, & la renvoyatres-contente. Le Marquis, qui nepou-voit fe confoler de fe voir un heritier liindigne, pen-fa mourir de joye en ecoutant le recit de fa femme; fon premier mouvement fut de tucr cette rnechante nourrice, mais la Marguiie Pappaifa, & iis allerent enfemble cbez la nourrice, qui demeuroit dans une de leurs terres; ilslui demanderent d'abord des. nouvolles de fon fils: eile repondit en pleurant, que c*etoit le plus m^'hant gar$on de tout le Pais, qu'il laiffoit perdre leur troupeau, & paffoit les purnees ä la dhaffe, ajoutant qu'il auroit ete bien plus propre ä etre Marquis que Berger. Voudriez vons le changer avec le nötre, lui dit la Marquife? V.ous croyez. rire,reparcitla maligne Bergere, peut-etre vous fcroit- & 5 il La Reine il autant d'honneur que le votre; mais faites mieu^ chargez-vous des deux. Pendant ce Dialogue * le jeune chaffeur arriva charge de gibier qu* il prefenta au Marquis, avecune politeffe dignede fa naiiTance. La Marquife qui erüt ie voir dans un tniroir en regardant ce jeune homme qui lui reflembloit beaueoup, ne püt retenir plus long-temps les mouvemensde lanature, & Pembraf-fa a plufieurs reprifes les yeux baignez de larmes: Nous parlions, lui ditleMarcjuis, de faire un echange de vous avec mon fils, en feriez-vous fache? ß cela pouvoit etre, repartitle jeune homme, fans faire tort a Monfieur vötrefils, je me fens affez de courage pour foütenir un rang fi illuftre: Oüi, continua le Pere f mais c'eit une neeifüte pour etre Marquis, d'avoir une marque jaune fur le bras gauche; le jeune homme retrouüb auflitöt fa manche & montre fa marque jaune. Le Marquis-& fa femme ne pouvant douter de la verite, 1' embrafferent de nouveau; & la nour-rice voyantlcmyfteredecouvert,n*eüt pas la force de foütenir fon impojlure, & leur avoüa tout. Ce fut par de femblables actions que la Reine des Fees s' aquit V eftime & la veneration d'une infinite de peuples. Sa genörofite etoit admiree de toutes les Fees, mais il s'en trouvoit fort pen qui vouluffent Fimiter; la plüpart au contraire fe fervoientde leur pouvoir pour faire mille maux afcx homines, & foit par envie ou par malice, elles s'attachoient d' ordinaire äperfecuter les belles perfonnes, & fur tout les grands Princes; ce qui faifoit beaueoup de peine ä la Reine Meridians, qui auroit bien voulu etre par tout pouryremedier; eileeßaya plufieursfois äleur donner de Phorreur pour le mal, &ä leur infpirerde nobles fentimens, mais cefut inutilement. 11 y avoit de vieilles boffues qui ne fe nourriffoient que des larmes & des fanglots des Princeffes periecutees, & & quiauroiont mieuxaimemourirquedecefler leurs malices. Meridiana voyant que la mauvaife habitude avoit pris le defluSj & que la chofe etoit fans recede, des Fies* mede, réfolut enfin. de'fc fervir de fon autorité & du pouvoir niť eile avoit deles interdire de leurs functions de Fee, pour autant de temps qu'elle voudroit; eile les affembla routes, & leur témoigna le fenfible déplaiíir qu eile avoit, de voirque les Fees qui fe-roient honorées comme des^ Divinitez ü elles s' appli-quoient au bien, ne fongeoient la plůpart qu'a tour-menter les perfonnes illuílres; que les hommes étoient afíez malheureux par la courte vie^ par les maladies, parle manque debiens,&paruneinfinite d'accidens imprévůs qui leur arrivoient journellement, fans que les Fées miffent toutejeur induftrie á les perfécuter, que cela patoiífoit íi injuíle, qu'elle avoir réfolu de les interdirepour trois uécíes,^ deneleur laiffer que laliberté de faire du bien, afinqu' clles euffentletémps de s'appliquer ä des exercicesde vertu, &qif ellesfe xořrigeaífent de leur malice invétérée; eile leur or-donna enfuite de fe trouver dans les derniéres années du troifiěme fiécledans la fale du Chateau de Montar* gis, qui étoit grande & f pacieufe, pour lui rendre com-pte des progres, qu' elles auroient fait, promettant de rétablir dans leur fonQions toutes celles qui fe feroient bien conduites, & qui auroient quelque bonne a&ion pardevers elles. Ce fulminant Arret fit murmurer toutela troupe, mais il fallut obéir; la plůpart des Fées abandonnérent les montagnes, & fe retirérent prefque toutes dans des vieuxChateaux, oüelless'a-mufěrentá filer en attendant la fin deleur interdiÓionj & depuis ce temps-La on n'entendit plus parier, ni ďenlevementj ni ď autres femblables vexations que les Fees faifoient; & la memoire s'en feroit perdue* li leurs Contes ne nous fuffent demeurez. La Heine Meridiana toujour appliquéeaubien, fit un voyage dans 1'Arabie heureufe, d'oü eile raporta le Quinquina, la Sauge, & la ßetoüane, & plufrcurs autres herbes qui avoienť ia vertu de prolonger.la vie; elle les planta dans les Pyrenees, oú P onlestrou-ve encore aujourď hui, & dreffa un magnifique Parterre, garni de toute fortele fleursa fur le haut du Pic ifS La Reine. . ' demidi, fans quele temps ait pii detruire cet agreabie Parterre, qni fubfifte enenre, *&que tous les curieux yont voir avecplaifir: Elle s' ättacha enfuite pendant plufieurs annees ä connoitre les eaux cryftalines qiil fortent des Pyrenees; &s'etant apercue que ces eaux avoient plufieurs verius differentes, eile jugea que fi eile pouvoit les faire paffer dans les mines d*or, de plomb&de ibulphre qu'il y a dans ces Montagues.^ les eaux prendroient la vertu de ces minerauxv & feroient d'un grand fecoufs pour le foulagement des hommes;elle examina leurs ionrecs, les fit coulerpar de nouveaux conduits, & les melafi bien, que ces eaux giierilToient toute forte de maladies; &c' eftauxfoins de cette illüiire Fee queWöüs devons les eaux de Bag-vires pout les fievres & dautres maladies differentes; eelles de Bareges pour toüte forte de blelTures; celles de Cauteres pour les indigeftions; Aigue-bwne pour les ulc6res, &Aigue cnutes pour le Rhumatifmes. Quoi que Meridiana füt bienfaifante pour tout le iUoiide* eile avoit une prediicäioh partictiliere pour fon Pais; & fongeant que laplupart des llois de ce temps-lä etoient faineants ou imbecilles, eile etoit touchee de compaffion de voir que les homines etoient gouvernez par de fertiblabics Princes; P opinion öü eile etoit qüe les gens de fon Pais fe portoient tous au bien, & la connoilTance qu'eile avoit de leurbori eiprit^lui avoit fouvent faßt deiirer, qu* ün Prince de &r«r»pütregner quelque jour dans le beau Royaume de France; mais cosnnie clleetoit enuernie desinjiU ftices, & que cela ne pouvoit fe faire fans detrqncr les Pxois legitimes^ eile dilferä long-tents 1'execution1 de' ceprojet; enfih eile en trouval' occafion par le ma-riage d'Antoine de Bourbon^ avec Jeanne d* Albret hindere de Navarre & de Bearn; la Fee difpofa Ii bien les efptits, que P affaire rcüfilt. La Pveine aecopeha de quatre enfans differens* que la Fee qui avoit de grandes viies abandonna aux deftinees, ne troüvantpas cju'ils euffent les qualitez neeeffaires pour remplir fon projet; mais enlin la , Reine des FeeL ■Heine étaní devenue groffe pour une cinquiémefoíš^ la Fée doiia 1* enfant d* un bon efprit & ď une grande valeur, & fit en forte qu'il fut élevé fgns aucune dé-íicatefíé, tout comme les enfans des particuliers, & ce fut lui qui parvint á la. Couronne de France pat fon mérite, &peut-étře aufíi par lesfecoursdelaFéeo Ce Prince eut un fils que la Fée doua de beaucoůjV d* efprit, de Valeur & de juftiee; mais ayantoublíé dě dotierees deux premiers d'unelongue^vie, & š'ápéř-eevant qUe les hommes avoient befoin d* exemples qui leur fuífent long-temps préfens poUř les exciter á la vertu, elle refolut de réparer cette faute ala premiére occafion; en effet, elle dolit le fils dé ce dernier Prince de la juftice de fon Pere, de la valeur de fon ayeul, &y ajoúta encore une grande piété, &urie longue vie. Satisfaitě de tant dé boňnéš acíionš, & fur tout de péufer que les Beařnois qu*elle eftlmoit beaucoúp* auroient óccafion áVavenir deřaireqUelqUe ufagedč lcuřtalens &de leur bon efprit, par la faveur des Roís quife trouveroienUeuřs compatriotes, elle voulutef-facer de la mémoire des hommes le fouvenir déš Fées, & fe retirá dans fa grotte, oú elle ctemeura plufieurs années fans fe laiffer voir á perfonnér .11 ne s'.en falloit qu'environ deux ans, que les třolš fiécles de 1' interdiction des Fées ne fuffent paíféSj, lořfqne leur Pveine qui lesayoit afílgnées au Chateau de Montargists'aper^ůt qu'il étoit trop en defordr© pour y recevoir fi bonne compagnie; neanmoins comme la fituation dece Chateau eft třés-avantageufej, qu'il y a une Sale fort fpacienfe,upe vůe charmantej, Une grande Forét, & Une belle Riviéře, Meridiaňa de* fira que 1* affemblée ý fiat tenuě, mais ne voulaňt paš fe ferviř de fon art pouř le rétabliř, elle fe fouvint que le grand Prince qui en étoit le maítre,tiroit fon originedu yoifmage des Pyrenees, & elle étoit infor*^ méc qiťil fcavoit embellir les maifons aveC lamémé facilitéqiťilgagnoitdesbatailles; ellefefervit fořta propos de cette connoiffance, &infmua á ce Prince Tome ííi - L> ářeta* *S8 La Reine retablir le Chateau de Montargis, ce qui fut execute avec autant de diligence, que li les Fées y euffent tra-vaillé,en forte quecette maiíbn abandonnéedepuisplu-fieurs années, fe trouva en fort peu de temps en état ďy loger commodément plufieurs grandes Princef-fes; Meridiana y étant arnvée, toutesles autresFées impatientes de faire lever leur interdiction, s' y ren-direntauffi. La Reineles ayant recues trés-favorablement, leur témoigna la joye qu'elle avoit de les revoir, &futl* premiére á leur rendre compte de fes occupations {>endant les trois fjécles de leur abfence: famodeítie a fit paffer fuccintement fur tous les biens qu'elle avoit procurez, & eile ne parla que de 1'impatience qu'elle avoit cue de les révoir; perfuadée que cha-* eune de fes fceurs avoit bien fait, &s'étoit conduit© beaucoup mieux qu' eile. La Merlufine ayant fait une profonde reverence^ affura la Pveine qu'elle n'avoit jamais^perdu d*occa-fton de faire du bien á ceux de fa maifori, & á beaucoup d'autres; & quoi qu'elle habitat depuis long-temps les montagnes de Dauphine, eile avoit cédé fa yeťraite aux Chartreux,& s'etoitretiree dansle Chateau de Saífenage oů eile faifoit fecrettement tous les biens dont eile étoit capable, fans autre motif que la satisfaction que les ames bien nées trouvent á prati-quer la vertu; la Pveine la traita fort civilement, & aprés lui avoir fait beaucoupd'honneur & donned© grandes loüanges, ellelevafon interdiction. Une vieille Fee fort chaífteufe &mal bätie,fepré-fenta devant la Reine, & lui remontra qu'elle s'etoit retiree dans le Chateau de Pierre-encife, oü eile a-voit empéché que les prifonniers ne re^uffent point de lettres de perfonne, & qu'aucun ďeux n'echapät de cetterudeprifon, demandant pour récompenfe que la Reine lui permit de Féer comme eile faifoit autrefois^ la Reine lui répondit que puiíque Y emploi de Geoliére étoit fifort de fon gout, eile lui ordonneit 4e le coRtinyer. fans fe jnéler ú* autse ehofe: ce juge,* ment des Fees, 15 j ment fut applaudi, & il s' éleva une grande huée con* tre la pauvre vieille» Alors une grande Fée de bonne mine s* avanca vers JaPveine,& lui apprit qu' eile avoit choifi pour fare-traitele Chateau de Moncalier fur le. Po, qu'elle s'é-toit trouvée aux couches ď une Ducheffe qui alloit dé pair avec les Reines, qu'elle avoit doué la petite Princeíľe dont eile étoit accouchée de bcaucoup d*e«< fprit, ď une folide vertu, des plus beaux yeux d\i mondeTďunbeauteint, & merne ď une bonne con-duite fort prématurée, parce que des fa naiffance eile P avoit deftinéeá occuperleplus augufte Trônede la Terre, ajoütant que fa connance fir les bonnes qualitez de cette aimable Princefie, avoit été filoin* qu' eile avoit perfuadé á la Ducheffe fa mere, de la. donner á Pépreuve pendant un an, affurée que plus ©n la connoitroit, on ľ aimeroit toujours davantage, ce qui avoit réurfi comme elle ľ avoit dit: La Fee voulut enfuite parier de beaucoup ďautres avanta-ges qu* elle avoit procures á Ibn PaYs; mais la Reine voyant qu' elle entroit dans des details trop déli-cajs, 1 interrompit, & Paffura que ce qu'elle avoit fait pour la charmante Princefíe dont eile venoit de parier, étoit plus que fuffifant pour meriter qu' elle continuát á Féer avec la méme liberie qu' elle faifoit avant fon interdiction; & pour lui marquer plusfor-tement combien fa conduite lui étoit agréable, eile leva encore en fa faveur ľ interdiction ď une autre Fee de fes amies, qui n'avoit rien fait pour mériteE cette grace. II paru t une autre Fee qui avoit ľ air fort compofé; «lle aprit á la Reine, qu' elle étoit depuis long-terns retiree au Chateau de Ferrare, qu'elle avoit empéché dans plufieurs occafions les Princes voifins des'en rendre maitres, & que fon zéle pour la Religion Pa-von engagée a faire tomber ce beau Duché entre les , mains du Pape; la Reine fans entrcr dans aucun detail, la bláma ď avoir laifíe éteindre la maifon des anciens Dues de Ferrare, & la renvoya. ■ la- Reine Mors il feprefenta une autre F£e quiportoit une toque de velours noir fur fa tete, & dit ä la Reine tju' elle habitoit au Chateau de Bolfu en Fl andre, & que pour imiter les bonnes anions fie la Pveine des F demandant ä etre re'tablie dans les droits; mais la Reine qui fefbu-vcnoit qu'elle avoit donne occafion ä tout ce qui s'etoit pane dans les derniers Etats de Blois, & qui avoit la memoire encore r^cente^ des pernicieux confeils qu'elle avoit infpirez depuis peu ä un grand Prince qui habitoit dans ce Chateau, lui ordonnade travail-ler a perfe&ionner la creme de Blois, & lui defendit de fe meler jamais d* autre chofe. II fe prefentaune autre Fee affez fimplement ve-tue, qui dit ä la Reine qu'elle etoit une des plus an-ciennes Fees de V Univers; qu* eile habitoit dans le Chateau de Pons en Xaintonge, qif eile V avoit vu avec douleur changer fouvent de maitre, & dans la crainte qu' il ne tombät enfin en de mauvaifes mains, elle en avoit procure la poffeffion a un Prince qui n'etoit pas moins recommandablepar fonefprit&par line infinite de bonnes qualitez, que par fa grande naiffance; la Reine en faveur de cette bonne a£tion , permit ä la Fee de continuer äFeer comme autrefois. Une autre Fee s'avanca qui dit ä la R.eine qu'elle laabitoit ail Chateau d' Epagny en Bourgogne, dont elle des Fees. J6$ It avoit procure la poíTeffion a une grarrde Princéffe, qui par ion extreme beauté, par fon air majeftueux, & par fa bonne con-duite, m.ériteit ď étre compare'e ä la Reine des Fees, puifque fa reputation e'toit connue par tout 1' Univers, jufques-lä que des jjenples des extrénmez de la terre en faifoient lenr Divinité : la Fee demands ď étre rétablie dans fes privileges, & ajoüta méme qu'eile n'avoit" jamais fait ď autre malice, que de ronapre une fois le Pont-lcvis du Chateau, pour y retenir plus long-temps la plus auguile Compagnie dumonde qu'elle y avoit attire'e; laRei-ne tronvaqu' eile étoitde bon gout, & leva fon interdiction. II en parut une autre qui avoit la mine řort farieufe, & qui dit qu'elle habitoit dans le Chateau de Nancy: que c'étoit avec beaucoup de regret qu'elle aveit vu V abience de fon Prince, que fi quelque chofe avoir contribué ä i'en confoler, ť é-toit 1'Alliance qu'il avoit faite avec une Reine d'un fangauga-fte, qui avoit beaucoup de vertu & de piéte'; qu'elle avoit a-bandonné pour quelque temps le Chateau de Na#cy pour fe trouver aux premieres couches de cette Reine, & qu' eile avoir doué ťenřant ďune bonne mine,ďune grande valeur,& d'ane forte inclination de retourner dans fes Etats ; que ee Prince fe trou-vant en äge d' étre maric, eile avoit ii bien conduit fes affaires» qu'ellelui avoit procure une jeune PrinceiTe, qui ne comptoit que des Rois & des Empereurs parmi fes Ayeuls, mais beaucoup moins confiderable par fa haute naiífance, que par fa do-«ilite, par fon efprit & p*r fes inaniéres noble: Je me fiate, grande Reine, continua la Fée, qu'en faveur de cet illuítre couple, vous me re'tablirez dans ir.es anciens droits, dans 1'af-furance que je vous donne que le premier enfant qui naitra de cet augnfle mariage,fne manquera pas ď étre doiié fort§avan-tageufement. La Keine fe prit ä rire, & leva l'.interdidioa de la Fee. II fe préfenta une aurre Fee qui parloit un Francois cor-rompu, & qui dit ä la Reine qu'elle habitoit dans le Chateau de Rifwick, oil eile avoit attiré par fon adreífe les Anibaífďdeurs des plus grands Princes de la ten e, & spies plufieius Conferences les avoit enfín obligez á conclure une bonne Paix. Elle voulut parier enfuite du mérite des Princes de la maifon de Naf-fau, a qui ce Chateau appartient, mais la Reine qui en étoit tres-perfuadée, V aífura qu'elle n'aveit pas feefoin ď autres raifous fiour I' engager ä lever fon interdi&ion; eile denna de grandes oüanjges ä fon zéle, & non feulement la rétablit dans loutesfes anciennes fon&ions, mais eile lui accorda la méme grace pour une autre Fe'e, telle qu'il lni plairoit de la choifir. line Fee fort décrépite parut devant la Reine, ck lui remontra qu'elle habitoit depuis t rés-long temps dans ie Chateau de Loches, oú il ne s' étoit jamais rienpafTé contre le fervice du Prince* qui mime l«s htigloh ayantaffiégéee Chateau qu'iUcroyoieat 164 La Reine des Fees. prendre par famine, & ayant reduits les afli^gez ä la derniere <*tf» tremite fame de vivres, eile imita la voix d' un cochon, & fe mit a crier jour & nuit fur les rempats, en forte que les Angloisper-fuadez qn il y a /ok encore de grandes p.rovilions dans le Chateau, leverent le liege} que d'ailleurs elle avoit. ete d'une fi grande delicatefle fur le choix des Gouverneurs de cette place, qti'elie n' y avoit jimais fouffert que des perfonnes d'un grand merke',5c d une probit-e connue, fans que daiis ccs derniers temps ou ce Chateau n'avok plus ni garnifon ni fortifications, elle fe fut jamais relächee fur la probite du Gouverneur; la Reine qui ai-meit les anions d' honneur la retablk dans tous fes privileges* il fe prefenta une autre Fee qui dit ä laReine qu'.elle habitoit dans le Chateau, de Barcelone, qti'elle avoit toiijonrs aime les belles actions \ que neanmoins, quelque predilection qu' elle euc .pour fa Patrie, elle avoit cteli touchee de 1'extreme valeur de deux Princes qui avoicnt attaqne' fes remparts, qu'elle n' avoit pu ■leur refufer 1- entre'e de fon Chateau; laReine repliqua, quetou-tes les femmes feroient vertueufes fi elles n'.etoient touche'cs du merke de quelqu'un-; que puifqu'elle avoit eu plus d'attention a la valeur de ces deux Hero$ qu' a Ton devoirs-die lui ordonnoit de (brtir du Chateau de Barcelone, & de fe rendre ä celui d' A,* net, ou eltepourrok veiller a. l'.embelliflemcnt de cette Mai* fciijliii laifT.int la liberty de fe fervir'de t©us fes anciens Privileges pour cela. La Reine vpuloit Unit la feance, lotfqu'il pärtitüne autre Fee vetue ä la Turque, qui dit qu' elle habitoit depuis long-temps ail. Chateau d,' Adrinople, ou elle avoit fouvent change' la condition .d'une Efelave en celle de Sultane, & que pour fe conformer an caracle. e de la Reine des F nt a- u-la if- ia-ic 11É as čc les pit m —;,i. " ■* ■■•--------• - - "i f. í 2610457056 eod books2ebooks.eu www.books2ebooks.eu elektronické knihy získáváte prostřednictvím ^jl^^^j j eBooks on Demand digitalizaci provedla Moravská zemská knihovna v Brně l/l MORAVÁKA ZEMSKÁ KNIHOVNA