eod books2ebooks.eu Aulnoy, Marie-Catherine Le Jumel de Barneville, baronka, Les Contes Des Fees : contenant tous leurs ouvrages en neuf Volumes ; Avec Figures. Par Madame D'Aunoy A Nuremberg : Chez Gabriel Nicolas Raspe, 1762 Moravská zemská knihovna Brno: STl-1248.844,2 elektronické knihy získáváte prostřednictvím I eBooks on Demand digitalizaci provedla Moravská zemská knihovna v Brně MORAVSKÁ ZEMSKÁ KNIHOVNA EOD - milióny knih z katalogů knihoven více než 10 evropských zemí jsou nyní k dispozici jedním kliknutím myši. Děkujeme, že jste si vybrali EOD! V evropských knihovnách jsou uchovávány milióny historických i novověkých knih. Velká část těchto dokumentů může být nyní velmi jednoduše k dispozici v podobě elektronické knihy - eBook. Požadovaný titul si můžete kdykoli objednat prostřednictvím online katalogů knihoven zapojených do projektu EOD (eBooks on Demand - elektronické knihy na požádání). Tištěnou knihu převedeme do digitální podoby a zpřístupníme v elektronické podobě. Co Vám můžeme nabídnout (a proč využívat službu EOD?) Z> Získáte téměř identický dojem, jako kdybyste si prohlíželi originál. Z> K prohlížení elektornické knihy postačí běžný software, samozřejmostí je možnost zvětšení stran nebo jednoduchá navigace. Z> Můžete si vytisknout jednotlivé strany nebo celou knihu. Z> K dispozici máte vyhledávání jednotlivých slov z plného textu knihy* Z> Jednoduše zkopírujete obrázek nebo část textu a přenesete je do jiných aplikací, např. textového editoru* * Nelze poskytnout u každé knihy. Podmínky služby Objednáním služby EOD přijímáte podmínky stanovené knihovnou, která vlastní knihu. EOD poskytuje přístup k digitalizovaným dokumentům výhradně pro osobní potřebu, komerční využití není dovoleno bez svolení vlastníka dokumentu. Z> Všeobecné podmínky: http://books2ebooks.eu/odm/html/mzk/cz/agb.html Více o projektu Službu EOD nabízí již 25 knihoven z více než 10 evropských zemí. Podrobné informace o projektu získáte na http://books2ebooks.eu eo books2ebooks.eu Moravská zemská knihovna v Brně l/l MORAVÁKA ZEMSKÁ KNIHOVNA • v.-j ■■■■■ • -, •; . M? $.\ T),< „ lg I': '4g ...■f ■ i. ; •:. ".Ü- -ä' -í*--., .ft, 'Ír mW "... , ÄÄTVÍ .i si .■ .;.:j!;.^(.,..^j,'vt:,.._ .í* v .. ■flulí -S6 ' Pán Jan Korčian, farář v Jamném LES CONTES DES FEES contenant tous kurs ouvrages enneuf Volume s MADAME AD>/AUNOYtf/ * Nouvelle Edition Avec Figures if äff- ■" TOME IL . 4 NU RE MB ERG eliez GABRIEL NICOLAS RASPE 11 s kr s £ ¥ í 7 í i< 4? i m. L E PALAIS DE LA VENGEANCE. C 0 N T£. ^ 2\1L fut autrefois tin Roi& une Reine d'Island^ qui apres vine-1 ans de Mariane ewent une fil-^s^W le, dont la naiflance lcur donnad* autant plus Ä de joie, qu* lis defefperoient depuis long-tems d} avoir des enfans quHucc£daffent uii |our ä leur Roi'aume. La jeune Princefle fut nominee Imis, fes charmes nai flans prornirent^ desfon enhance, toutes les merveilles que Vont vit briller en e-lle dans un age un pen plus avance. Pvien n'au* roit &6 digne a* eile dans tout l'Univers, fi l'A* niour qui crut etre de ibn honneur de pouvoir a£ fujettir un jour ä fon empire une fi merveilleufe perfonne, n*eut pris foin de faire naitre dans cette meme Cour un Prince auffi charmant, que la Prin-ceffe Imis |tojt aimable. II s^appelloit PhIlax, & il etoit ills d' un-frere du Roi d*Islande; ilavoit deux ans plus que la Princeiie, &c lis furent (sieved enfemble avec toutes les libe-rtez que donnePen, Ä 2 . £anc€ Le Palais fauce & la proximité du lang. Les premiers mou-vemens de leurs coeurs furent donnez kV admiration & á la tendreffe. Iis ne pouvoient rien voir de fi beau qu' eux-mémes, auifi ne trouvoient-ils den ailleurs qui put les détourner ďune paíiion qu' ils íentoient Tun & I*autre, meine fans fcavoir encore comment on la devoit nommer. Le Koi & la Reine voíoient naítre cet Amour avec plaifir; ils ai-moient le jeune Philax, il étoit Prince de Jeur Sang, & jamais un enfant n'avoit donné de ft belles efperances. Tout fembloit ď accord avec 1' a-mour, pour rendre tin jour Philax le plus heu-reux de tous les hommes. La Princefíe avoit environ douze ans, quand la Pveine qui T aimoit avcc une tendreffe infinie, voulut conkilter fur fa deili-née une Fée, dont la fcience prodigieufefaifoitalors grand bruit. Elle partit pour V aller trouver. Elle mena Imis avec elle, qui dans la douleur de quitter Philax, s1 étonna mille & mille fois erne Ton put fonger á Pavenir, quand le préfent étoit agiéa-ble. Pnilax demeura auprěs du Pvoi;oi tousles plaifirs de la Cour ne le confoiérent point de 1' ab-fence de la Princeffe. La Reine arriva au Chateau de la Fee, eile y fut magnifityiiement recue, niais la Fee ne s'y trouva pas. Elle habitoit ď ordinaire fur le fomrnet d'une montagne á quelaue diilance de fori Chateau, oü eile demeuroit feule, oceupée de ce profond f^avoir qui la rendoit ft célébre par tout le monde. Des qiť elle f$ůt Parrivée de la Reine ? eile revint: la Reine lui préfenta la Princeffe, lui apritfon nom, l'heure de fa naiiTance, que la Fée í^avoit auffi bi-cn qu'elle, quoi qifelle n' y eút point été, (maisla Fée de la Montagnef^avoit tout,.) elle prornit a la Reine de lui rendre réponfe dans deux jours, & puis elle retourna fur le fommct de fa Montagne. Au commencement du t£oifi£m.e joux elle revint, žit tie- de la Pengeance. defccndre la Reine dans un Jardin^ &lui dönna des Tablettes defeüilles de Palmier bien ferme^es, mais eile lui ordonna de ne les otivrir qu' en ptefeitcc du Roi. La Reine,, pour fatisfaire du moins en qucl-que facon fa curioute, lui fit diverfes queftions fur la fortune de fa filler Grande Reine, lui dit la Fee de la Montague, jene vous fcaurois dire precife-ment de quelle^ efpeee de maltieur la Princeße eft menaced; je vois feulement que V Amour aura beau-coup depart dans les ^venemens de fa vie, & que jamais beauts' n* a fait naitre de fi violentes pafliqns que celles que doit infpirer Imis. 11 ne falloit point etre Fee pour promettre des Amans ä cette Princefle» Ses yeux fembloient de ja exiget* de tous les coeurs 1* Amour que la Feeafluroit que 1'on aurpit pour eile» Cependant Imis, beaucoup moins in-quiete.de fa deftinee que de Pabfence de Philax, s' ämufoit ä cueillir defleurs: mais occupee de fa tcttdreffe & de I' impatience de partir, eile oublia le bouquet qu'elle avoit commence de faire, & jet* ta en revant les fleurs qu'elle avoit d'abord amaiTöes avec plaifir; elle alia rejoindre la Reine, qui di-foit adieu a la Fee de la Montagne. La Fee em-braffa Imis, & la regardant avec V admiration qu* elle meritoit: Puifqu*ilnenV eft pas poflible (dit-elle apres quelque moment d'un nlence^ qui avoit quel-que chofe de mifterieux) piiifqu* il ne in' eft pas poffible, belle PrineefTe, cfe changer en ta fäveür V ordre des deftinees, du rnoins je tächerai de te faire e viter les rualheurs gu' clles te pr£parent. A-pres ces mots eile cucillit elle-meme une touffe de Muguet, & s'adreffant ä la jeune Imis: Portez tou-jours ces fleurs que je vous donne, lui dit-elle, el-les ne fe fletriront jamais; & tant que vous les au-rez fur vous, elles vous garentiront de tous les maux, dont le deftin vous menace. Elle attacha enfuite le bouquet fur la coeffure d* Imis, & les fieurs obeiffant aux intentions de la Fe'e; desqu'el- A $ les 6 Le Palais les furent fur la tete de la PrincefTe, s'ajuft&ent d* elles-meines & formerent line efpece d' aigrette, dont la blancheur fembloit ne fervir qu% ä faire voir que rien ne pouvoit effacer celle du teint de la belle Imis, La Reine partit apres avoir encore remerci^ mille fois la Fie &revint en Islande, ou toute la Cour attendoit avec impatience le retsur de la Prin-cefle. Jamais la jaie ne parut plus brillante & plus &imable que dans les yeux d5 Imis, & de fon A-snant. On n'expHqua qu' au Pvoi le mifUre de?aigrette de Mugmet; elle faifoit un effet fi agreable furies beaux cheveux bruns de la Princeffe, que tout le monde la prit feulement pour un ornement qu' elle avoif choifi cUe-meme dans les Jardins de la Fee. 'La Princeffe parla beaucoup plus ä Philax des chagrins qu'elle avoit fenti en ne le voiant pas, que des maiheurs que lui promettoient les deituies, Fhilax en flit pourtant allanne^ mais la joie dc fe aretrouver 6toit prefente, les maiheurs encore incer-tains, ils les oubli^rent, & s'abandonnerent au doux plaifir de fe revoir, Cependant la Keine ren-dit compte au Röi de fon voltage, & lui donna les Tablettes de la F6e. Le Roi les ouvrit, & y trou^ va ces paroles Writes en lettres d* or, £e deßin pour Imis fius un cfyoir ß4tteura Cache une peine rigourtttfi^ £Se devietedra malbeareufi War It long esurs de fin bonheur. Le Roi & la Reine furent fort affiigez de cet Oracle, & chercb^rent vainement ä le pouvoir ex-pliquer. lis n'en dirent rien a la Princeffe, pour ne lui pas donner une inutile douleur, Un jour que Philax £toit alle ä la Chaffe, ce qui lui arrivoit affez fouvent, Imis fe promenoit feule dans un labyrinths de mirthesj eile ^toit fort trifte, parce qu' elle de la Pcngeance. $uv elle trouvolt que Philax tardoit tropa revering oc elle fe reprochoit nne impatience qu' il ne parta-gcoit pas avecelle; elle etoit occupee de fa reverie, quand elle ewtendit une voix qui luidit, pour-quoi vous affiigez-vous, belle Princeffe? ft Philax n'eft pas affes fen fib le au bonheur d'etre ajme de vous, je viens vous offrir un coeur miile fois plus reconnoifTant, un coeur vivement touche de vos charmcs, & une fortune affez brillantc, pour devoir etre defiree par toute autre que par vous, dont tout le monde doit reconnoitre P empire. La Princeffe fut tres-iurprile d' entendre cette voix, elle croioit etre feule dans le labyrinthe, & comme elle n' avoit point parle, elle s' etonnoit encore plus que cette voix eut repondu a la penfee; elle regar-da antour d' elle, & elle vit paroitre en 1- air un petit liomme monte fur un Hanneton. N'ai'ez point peur, belle Imis, lui dit-il,vous n'avez point d'Amant plus foumis que moi, & quoi que ce foit aujourd' hui la premiere fois que je parois devant vous, il y a long-terns que je vous aime, & que je vous vois tous les jours. Que vous m' etonnez, lui dit la Princeffe! Quoi! vous me voiez tous les jours, & vous fcavez ce que je penfe? Sicelaeft* vous avez du voir qu' il eft jnutile d' avoir de Pa-mour pour mei. Philax a qui j' ai donnc mon coeur efttrop aimable, pour pouvoir ceffer d'en etre le maitre; & quoi que je ne fojs pascontente de lui, je ne Pai jamais tant aime: dites-moi qui vous etes, & ou vous m' avez vue? Je fuis Pagan PEnchan-teur, lVli dit-il, & mon pouvoir s' etend fur tout le monde, hors fur vous. Je vous vis^dans les Jar-dins de la Fee de la Montagne. J'etois^cache dans line des Tulypes que vous cueillites, je pris d' a-bord pour un heureux prefage le hazard qui vous avoit fait choifir la fleur ou j'etois. Je me flattai que vous m'cmporteriez avecvous: mais vous etiez trop occupee du plaifir de penfer a Philax, vous A 4 jet- S Le Palais jettätes les flenrs apr£s les avoir cueillies, & vdlis me laifsätes dans le Jardin, le plus amoureux de tous les hommes. Depüis ce moment, j'ai fenti que rien ne pouvoit me rendre heureux que V efp£-ranee d'etre airri de vous. Penfez ämoi, belle Imis, s* il vous ell poffible. & permettez-moi de vous faire fouvenir quelquefois de mon amour. Apres ces mots il difparut, & la Princeffe retour-ns au Palais, ou la vüe de Philax qu'elle retrouva, difllpa la peur qu* eile avoit cue. Elle avoit tant - d* empreffement de Y entendre le juftifier du long-terns qu'il avoit pa0e ä la Chaffe, qu'elle penfaou-blier de lui conter lbn avanture. Mais enfin clle 3ui aprit ce qui lui venoit d' arriver dans le laby-rinthe des Myrthes. Le jeune Prince malgre lbn courage, craignit un Rival aile" contre lequel il ne pourroit difputer fa Princeffe aux döpens de fa vie. IViais PAigrette du Muguet le raffuroit contre les enchantenieos & la tendreffe qu' Imis avoit pour lui, ne lui permettoit pas de craindre lbn change-ment. Le lendemain de 1* avanture du labyrinthe , 3a Princeffe en s'^veillant, vit voler dans ia cham-bredouze getites Nymphes affiles fur des Mouches ämiel, qui portoieut dans leurs mains de petites Corbeilles d'or. Elles sr appro cherent du lit d'I-mis, la faluerent, & puis alle>ent mettre les Cor-beiUes fur une table de marbre b:anc, qui parut au milieu de la Chambre. Des qu elles Furent pofees, elles devinrent d'une grandeur ordinaire. Les Nymphes apres avoir quitte leuts Corbeilles, faluerent encore Imis, & une d'eritr' elles sfappro-chant de fonlit plus pres que les autres, laiffatom-ber deffus quel que chofe, puis elles s'envolerent. La Princeffe malgre I'^tonnement que lui donnoit un fpe&acle ft nouveau, prit ce que la Nymphe avoit laiffe tomber aupres d'elle, c* 6toit une Eme-raude d' une beauty merveilleufe. Elle s'ouvrit des que la Princeffe y toucha3 elle trouva qu'elle ren- de la Vengeance. p fermoit line feüille de rofe, fur laquelle eile lüt c.cs Vers: Que V Ünivcrs apprtnm avec' etortnement, Du potcvoir de vos ycux les ejfets incroiabltt | Vous me rendez en voits äzmanl Les tourmens meme deßrahles. LaPrinceffe ne pouvoit revenir de fa furprife, enfin eile appella les Dam es qui la fervoient, elles furent auffi £tonnees qu'Imis ä la vüe de la table & des Corbeilles. Le Roi, la Pveine, & Philax äc-coururent au bruit de cette avanture; la Princefle ne fupprima dans ion recit que la Lettre de fon A-mant. C 6toit au feul Philax qu'elle cro'ioit en devoir rendre compte. Les Corbeilles furent examinees avec foin, & elles fe trouverent toutes rem* plies de Pierreries d' une beaute extraordinaire ck d'unfi grand prix, qu'elles redoubleVent encore I* etonnement des Speftateurs. La Princefle n'y voulut point feoucher; & ai'ant trouve un moment oü perfonne ne V ecoutoit, eile s'approcha de Philax } & lui donna V Emeraude & la feüille de rofe. II kit la Lettre de fon Rival avecbeaucoup depei^ ne.^ Imis pour le confoler dechira devant lui la feüille de rofe. Mais que ce facrifice leur coüta eher! 11 fe pafTa quelques jours fans que la Princef-fe entendit parier' de Pagan: Elle crut que fes me-pris pour lui auroient steint fon amour, & Philax le flata de la meme efperance. Ce Prince retourna ä la Chaße comme il avoit accoütume. II s' arreta feul au bord d'une Fontaine pour fe rafraichir. II . avoit fur lui If Emeraude que la Princeffe lui avoit donnee, & fe fouvenant de ce Sacrifice avec plaifir, il la tira de fa poche pour la regard er; mais ä peine Teut-il tenue unmomeut, qu'elle lui echapa des mains, & des qu'elle eut touche" la terre, eile fe A 5 chan- l& Le Palais* changca en un Chariot, Deux Monftres ailez for-tirent de la Fontaine, & s'y attelcrent eux-memes. Philax les regardoit fans peur, car il etoit incapable d' en avoir; mais il ne put s' empccher de Jentir quelque emotion, quand il fe vit transporter dans le Chariot d' Emeraude par une force invisible; & auffi-töt eleve en 1'air oü les Monflres ailez firent voter le Chariot, avec une facility & unerapiditc prodigieufe. Cependant la nuit arriya, &les Chaf-feufs apres avoir cherche Philax par tout le bois in-utilement, revinrentau Palais, 011 ils crurent qifil pourroit etre retourne. Iis ne Fy trouyerent pas, & perfonne ne F avoit vu depuis qu' il etoit alle avec eux ä la Chaffe. Le Pvoi ordonna que Fon retour-nat chercher le Prince. Toute la Cour prit part a foil inquietude; Fon retourna dans le Bois, on cou-rut aux environs, on n'en revintqu' au point du jour, & Fon en revint fans avoir apris aucunes nouvellcs du Prince. Imis avoit paffe la nuit ä fe defefperer de Fabfence de fon Amant, dont elle ne pouvoit comprendre la caufe. Elle etoit alors fur line terraffe du Palais, pour voir revenir ceux qui etoient alle chercher Philax $ & elle fe flatoit dele voir arriver avec eux: mais rien ne peut exprimer Fexces de la douleur dont elle fut faifte, quand elle ne vit point arriver Philax, & qu* on lui dit qu'il avoit etc impolfible d'apprcndre ce qu'ilCtoit devenu. Elle s* evanouit, on F emporta, & une de fes fcmmes qüi s'empreffoit de la mettre au lit, detacha de defius la tete de la Princeffe FAigrett* de Muguet qui la garantiffoit des enchantemens. Des qu' elle fut otee un nuagc obfcurcit la cham-bre, cz Imis difparut. Le Roi &; la R.eine furent au defefpoir de cette perte; & ne purent jamais s* en confoler* La Princeffe en revenant de fon cva-nou'iffement, fe trouva dans une Chambre de Corail de diverfes couleurs, parquetee de nacre de Perles, eiivironnee de Nimphes qui la fervoient avec un pro- de la Vengeance. II profond refpečt EUes étoient belles, & včtuěs ď habits fnagnifilqiiés &galans; ď abord Imis de-manda oú elle étoic. Vous étes dans un lieu ou Ton vous adore, lili dit une des Nymphes. Ne craignez rien, beilc Princeífe, vous v trouverez tout ce que vous<' pouvez deftrer. Philax eít done lei (dit alors la Princeífe avec un mouvement de joie qui parut dans les yeux,) je ne fouhaite que íe bonheur de le revoir. Cell vous fouvenir trop Jong tems ďun ingrat (dit alors Pagan en fe faifant voir á la Princeífe) & puifque ce Prince vous a quitté, il n'eft plus digne de 1'amour que vous a-vez pour lui, joignez le dépit & Jes foins de vótre gloire á la paífion que f ai pour vous- Régnez a jamais dans ces lieux, belle Frinceífe, vous y trouverez des. richefiTes immenfes, <& tous les plaiíirs imaginables ftront attachez á vos pas. Imis m répondit au difeours de Pagan que par des larmes. II la quitta de peur ď aigrir fa douleur. Les Nymphes reftérent auprés ďelle, & effaiérent par leurs foins de la confoler. On lui fervit un repas magni-fique, elle refufa de manger; mais enfin le lende-main le defír de voir encore Philax la fit réfoudre a vivre. Elle mangea, & íes Nymphes pour difíiper fa douleur la menérent en divers endroits du Palais; il étoit tout báti de coquillages luifans, mélezavec des Pierres précícufes de differentes couleurs; c© qui failbit le plus bel effet du monde: tous les nleubles en étoient d*or, & d'un travail íi mer-veilleux, qu5 on voyoit bien qiťil ne pouvoit venir que de la main des Fées, Les Nymphes aprés avoir fait voir á Imis le Palais, la conduifirent dans des Žardins, dont la beauté ne peut étre reprefentée. lie y trouva un Char fort briliant, attelé de fix Cerfs qu'un Nain conduiíoit. On. la pria ďentrer dans le Char, Imis obéít, les Nymphes s'y affirent á fes pieds: on les mena fur le bord de la Mer , ou une Nymphe apprit á la Princeffe que Pagan rég- CCií r% Le Palais noit dans cette Isle, dont il avoit fait par la force de fon art, le pkis beau lieu de 1'Univers. Un bruit d' inftrumens interrompit le difcours de la Nymphe, tonte la Mer parut couverte de petltes Barques de Corail couleur de feu., remplies de tout ce qui pouvoit eompöfer Unc Fete maritime fort galante. Au milieu des petites Barques il y en avoit line beaucoup plus grande que les autres, fur la-quelle les chiffres d'Imis paroiffoient par tout for-meziavec des Perles, eile etoit train nee par deux Dauphins. Elle s'approcha du rivage. La Prin-ceffe y entra avec ks Nymph es ; des qu* eile y fut, une füperbe Collation parut devant eile, & eile en-ten dit un Concert merveiileux qui fe faifoit dans les Barques qui entouroient la fierme. On n'y chan-» ta que fes loüanges; mais I ails ne fit attention ä ri-en. Elle remonta dans fon Char, & retourna a fon Palais accablee de trifteffe. Le fbir Pagan fe pre-fenta encore devant eile. II la trouva plus infen-fible ä fon amour , qu' ellenelui avoit encore pa-ru; mais il ne fe rebuta point, & fe flata fur la foi de fa conflance. II ignörbit encore qu'en ampur les plus conilans ne font pas toujours les plus lieu-reux; il donnoit chaque jour des Fetes ä la Princef-fe, des divertiffement dijgnes d'attirer 1'admiration de tont le monde, excepte de celle pour qui on les inventoit Imis n'etoit touchee que de F ab fence de fon Amant. Cependant ce malheureux Prince avoit tpe conduit par les Monftres ailez dans une Foret, dont Pagan etoit le maitre. Elle s'appelloit la Foret trifte. Des que Philax y fut arrive, le Chariot d* Emeraude 6l les Monftres difparurent Le Prince furpris de cette avanture, appella tout fon courage ä fon fecours, & c* etoit le leul fccours fur lequel il pouvoit compter dans ce lieu-lä. II parcourut d'abcrd quelques routes de la Foret, elle etoit affreufe, & le Solcil n' en penetroit jamais r obfcurite. tin' y trouva perfonne, pasj memedes de la Vengeance. Animaux cT aucune cfpece; il fembloit que les A-nimaux meme euffent de 1'horreur pour un fi trifle fejour. Philax y; vecut des fruits fauvages qu'ily trouva. II paffoit les jours dans une douleur mor-telle. L'abfence de la Princefle le mettoit au defe-fpoir, & quelquefois avec fon epce qui lui etoit de* meuree, s'amufoit a graver le nom d'Imis fur des tendre; mais quand on aime veritaolement, on fait quelquefois fervir a V amour les chofes du monde qui lui paroiffent le plus contraires. Cependant le Prince avancoit tousles jours dans la Foret, & 11 y avoit environ un an qu'il Phabitoit, lors qu'u-ne nuit il entendit des voix plaintives, dont il ne put diftingner les paroles. Quelques eifrai'antes que diuTent etre ces plaintes pendant la nuit, & dans un lieu ou le Prince n'avoit jamais vu perfonne, le deiir de if etre plus feul K & de trouver du moins des malheureux comme lui, avec qui il put fe plaindre de fes infortunes, lui fit attendrele jour avec impatience, pour eher.s tous en-femble poür fuir ce fnfiefle fejoiir^ qüand en paf-fant dais,la Lour oil nous fonimes, le Ciel parut tout en feu, un t.onnerre epouventable fe fit entendre, & il noils fut impoffible de changer de place ; la Fee parut en V air, montee furun grand Serpent, & s* ad reliant ä nous avec un flirj de voix qui marqüoit fa furetir: Princes inconftans^ nous dlt-elle, je vais pünir par uhe peine, qui iie finita jamais le crime que vous avez commis eh rorn-pant mes chaines qu' il voüs etöittrop glorieux de porter; & toi ingrat Orizee , je triemphe enfin de V amour que tu rn' avöis dönne. Centente de cetteV Vi&oire, je vais^te Faire eprouver les meme mal-neurs qu'ates Rivaux, & f or dome ^ ajouta t-elle^ en memoire de cctte avaxiure 5 que (jUand C ufage des Miroirs ßra connu dzns tout f Llmucrs, erne la perte de ces glaces fa^ tfiles foi&ii toujours un ajfure pHftge de V wjidiliti £ un A- vnan't. La Fee fe permit en Fair apres avoir prönön-ce ces paroles. Nous fumes changez en Arbres^ "& la cruelle Ceore holts laiffa'fans doute la raifoii pour nous faire ibuffrir dä vantage". Les.tents Ont 'djktruit ce (up erbe Chateau qui fut le temOiri de üös tiilgraces, & tüeslefeüi qui foit venii dans cette af-freute Foret, depuis. deux mille ans que nous y JTömmes. Phjlax alloit repondre aux difcotirs dii Cypres, qitand ilfut tout d'uii coup tranfporte dariS Tome It. X ü Uli i) Le Palais ■ ttn Jardm fo-rt agréable; il ytrouva une belle Nymphe, qui s'approchant de. lui ďunair gracicux : íl vousvoulez Philax, lui dit dle, je vous ferai voir laPrinceffe Imis dans trois jours. Le Prince trails fporté de |oie_ á une proportion fi peu attčňduě, £e jetta á fes pieds pour, lui témoigner fa reconnoif-' fanee. Dans ce rnéme iníiant Pagan étoit en Tair^ cache dans un nuage avec la Princefíe .ímis. II lui avoit dit mílie fois^ que Phiiax étoit infidéle, eliěř avoit toůjours refufé de le croire fur ía parole ďuri Amant jaloux;^ il .la conduilbit en ce lieu pour la convaincrc, difo.it il, de la legereté ď un prince qu? eile lui préféroit fi injuíteraent La Princeffe vit Philax ďuri air content aúx pieds de la Nymphe , eile fut au defefpoir de ne potí voir plus f© tromper fur la •chofe du monde qu'elle' craignóit le qu ene s etoit.preientee a cernnce; Imis dans fon Isle, ou apres V avoir cOnvaincue de rinndelite de. Philax, il trouva qu'il avoit feule-jnent redouble la douleur de cette belle Princeffe,, 4z qu'elle n'en etoit pas phis fenfible pour lui; de-fefpere de voir que cette infidelite prctendue, dont II avoit efpere un plus doux iucces, liri dev'enoit inutile, il' refolut de fe venger de la conftance de ces deux Amans: il n' etoit pas cruel, comme la Fee Ceorc ion a'ieule ; aufii imagma-t-il une autre vengeance que celle.dontelie avoitpuni fes malheu-reux Amans. II lie voulut pas faire perir ni la Princeffe qu'il avoit fi tendrement aimee, ni me me Phi-la's, qu il avoit affez fait ibuffrir; bornant fa veiiW geance a detruire une paition qui avoit ete ii eon-tmre a la fienne3 . ii eleva dans fon Isle un Palais cle criftal, prit loin d5 y mettre tout ce qui peut £tte agreable a la vie; hors le moi'en d en pouvoir fortir 3 il y renferma desNymp hes & des Nains pouxr fovis de la Vengeance. xg fevir Imis & fon Amant, & quand tout fut difpo-£e pqtir les y recevoir, il les y tranfporta Tunc $ avoit qu ä lui faire voir Raviffante, rien ne pou-voit echaper a les yeux, & la Fee efpera que les lb ins de ce feune Prince pourroiept un jour toucher fon coeur, 11 etoit' fils d' un Roi frere de la Fee ^ 11 etoit aimable; & la jeune Princeffe non feulement n avoit point encore eud'Amant, eile it avoit pas meme vu d homme depuis qu elle etoit dans ce rocher. La Fee fe flata que la nouveaute du plaitic d'etre tendrement aimee, Pengageroit peut-etre k aimer a ion tour: elle tranfporta done le Prince? qui fe nommoit Arifton, dans ce meme roch er qui fervoit de Palais & de prifon ä la belle Raviffante; il la trouva qu* elle s' amufoit ä faire des guirlandes de fleurs avec de jeunes lilies de fa Cour dans une Foyet de Hyacintes bleues, oü elles fe prome-iioient alors, car la Fee en donnant au rocher le don de produire des plantes & des arbres, avoit renferme ce pouvoir dans la couleur du rocher meme. II y avoit de ja quelque terns qu' elle avoit apris ä la Princeffe que le Prince Arifton devoit venir dans cette Isle, & elle avoit a}out£ en faveur de cq Prince; tout cequ'elle avoit cm capable delefai-te defirer; mais elle fe trompa cette fois, & elle no ^cpnnut point a a V arrivie d' Arifton4 dans les lpeaux ties Feiiilles. a 3 beanx yeux de la Princeffe £ ce trouble & cette fur-grife qui preface d' ordinaire une tendre pafiion, Pour le Prince , fes lentimens furent d'accord avec les efperances de la Fee, il devint pailionnement amoureux des qu' il cut vu Raviffante, & il n* e-toit pas poffible de la voir fans V adorer; jamais les graces cz la beaute ti? avoient ete fi parfaitemcnt nnies, qu' elle le paroiffoient dans toute la perfon-ne de cette aimable Princeffe. Elle avoit le teint d'une beaute merveilleufe, & fes cheveux bruns eri redoubloient encore lablancheur: fa bouche avoit des agrernens infinies, fes dents etoient d'une blan-cheur plus aimable que celle des Perles; fes yeux, les plus beaux du monde, etoient bleusbruns, & lis paroiffoient fi brillans & fi touchans tont enfem-ble, qu* il n' etoit pas poffible de foutenir leur eclat & leur vivacite, fans livrer pour toujours fon coeur an pouvoir fatal que Y amour avoit attache a leurs regards J fa taille n'etoit pas des plus grandes, mais elie etoit parfaitemcnt belle, toutes fes anions avoient une grace particuliere; tout ce qu* elle faifoit, toutfce cm'elle difoit, plaifoit eplement, & fouvent un founs, ou un feul mot fumfoit pour prouver qu'elle avoit autant de charmes dans fon efprit que dans fa perfonne. Telle & mille fois encore plus aimable que je ne viens de la peindre; il eut e'te bien difficile qu' Arifton n* en fut devenu ^perduement amoureux; mais la Princeffe recut fes foins fans attention, & n' en parut point touchee; la Fee le remarqua, & en eut une douleur qui ti' e-toit lurpaffee que par celle qu' eri reffentit le Prince; elle avoit remarque dans lesAftres, que celul qui etoit deiline a poffeder Pvaviffante, . davoit etendre fon pouvoir par toute la terre, & meme fufques fur les JMers. Ainfi elle fouhaitoit autant par ambition que fon neveu put toucher le coeur de la Princeffe, qu* Ariflon le defiroit par fon A* saour* Elle crut cependant que fi ce Prince £toit B 4 auaa * ■ 34 Le Pmce auffi fcavant qu'elledans fon Art, peut-etre trouve* roit-il quclque fecret pour ie rendre plus ai finable? aux yeux de Raviflante; mais la Fe> qui n* avoit jamais aime, ismorolt que le fecret de plaire ne fe trouve pas toujours, quel que foit Y empreffement & V ardeur avec laquelle on le cherche. ' Elle aprit done en peu de terns au Prince Arifton, toutes ces fcience» qui ne font fcues que par les F6es; iln'eut de plaifir a les apprendre, & il ne fongea a les employer que par rapport a fa tendreffe : il commenca de s'en fervjr pour- donner tous Jes jours de npu* velles fetes a la ^rinceffe: elle en adiniroit les pro-, diges, elle daignoit meme quelquefois louer ce qui lui paroiffoit de plus galant dans ce que le Prince, Jaifoit pour elle: mais apres tout, elle recevoit fes. j>ins & fes voeiix; com me des hommages juftement dus a fa beaute, & dont eHe le croioit paier affez dignement par labontd qu'elle avoit de les recevoir fans colere, Arifton ie defefperoit^ du peu de iuc-ces de fa paffion^ mais peu apres il fut cOntraint d'ayouer par de nouvelles infortunes, que ce terns ou il fe plaignoit fi juftement, & dans lequel il ref-fentoit fi vivement le malheur de fon amou*, avoit pourtant etc \e plus heureux de fa vie. / Un an apres fon arrive^ dans Isle, il fit cdebrer par des, Jeux ce jour fi remarquable pour lui, ou pour la premiere fois il avoit vu Raviffante; le foir il lui donna une fete dans la Foret de Hyacintes, il y eut tine Mufique merveilleufe, que Pon entendoit ega-lement dans tqus les endroits de la Foret, fans voir d'ou pouvoient venir des fons fi agreables. 'lout ce qui fut chantepar ces Muftciens invifibles expri^ inoit tendrement Y amour d'Arifton pour la Prin-ceffe; lis finirent leur admirable concert par ces pa-Spies qui furejit r^petees pluiieurs fois* m $c Feuilles* as $i la raifin, ni mo,n fert rigoureux tfont pu finir m* cruelle Jouffranet^ Sam le fecours de la douce ejpérance 5 Je fins mon caeur brultr des tneme s f eux-^ V amour eut ignore ť exces de fa puijfance , Sjje ti avois fin%i le pouycir de tjos jeux^ Aprěs la Mufíque il parut tout ďun coup une fuper>e Collation fous un Pavilion de gaze d^ argent relevé également avec des cordons de perles. 11 étójt tout ouvert du, cóté qui regardoit la Měr qui bornoit la Forét dans cet endroit-lá, & il étoit éciáiré par un grand nombre de luílres dediamans brillans,, qui jettoient une lumiére pen dhTerente deVelle du Soleil, Ge fut á cette clarté que les, Jsfymphes de la Cour de Raviffante lui firent remar-quer une Infcription qui étoit a 1* entrée du Pavilion , écrite cn lettres ď* or fur un rubis d*une grandeur prodigieufe, & qui étoit foůtenuě par douze; petits Amours qui s' envolerent ? dés que la'Prin-éetíe eut qui lire cette ínfcription, qui contenoit ees Vers; En quclquc lieu de ť Univers % Ok, vos beauxyettx fajfent porter des férsy Vous ne fáauriez trouver un cceur aujfifidelity Que celui qui pour vous hrule dans ces defirts | JSiais pour vous ajfurer une gloire immqrteUe , £í voir le monde entier aux p.ieds de vos Autels ^ fržnceffe} nous aUons publier aux mortals^ Gombien vous éíes belle. La féte contínuoit, & le Prince Ariílon avoit du isaoins le plaifir ď ocaiper le loilir de la Princeffe* B 5 f $6 Le Prince s' II ne poiivoit occuper fon coeurr Mais il fut ptu ve de ce plaiiir par un fpeQacle furprenant qui pa* rut de loin fur ia Mer, &i qui attira la curiofite & F attention de Raviffante, & de toute fa Cour; ce que Ton voiolt s'approcha, & Ton diftingua o;ue c'etoitun Berceau forme de Mirth es & de tauriers melez enfemble, ferme de tons cötez, & qu' tin iiombre infini de poiffonsaiiez pouffoiencavec beau-* coüp de rapidite, Ce fpeQacle fut d' autant plus siouvcau pour Raviffante, qu' elle n* avoit jamais rien vu de la couleur de ce Berceau. La Fee aiant pr^vu que cette couleur devoit caufer quelqne mal-lieur au Prince fon neveu, 1'avoit abfolument ban-. nie de fon Isle. La Princeffe defiroit avec une im-i patience qui parut un mauvais gprefage ä Ariilon, pour fon amour, que ce qu'elle voi'oit s'approehat, davantage^ elle n* eut pas long-terns ä le fouliaiter, car les poiffons ailez poufferent le Berceau en pei$ de momens jufqu' au pied du rocher oü üs s* arreted rent, & redoublerent Vattention de lajeune Prin^ ceffe & de toute fa Cour. Le Berceau s* ouvrit^ & il fortit un feune honu me d'une beaute merveilleufe, qui paroiffoit feiz© ©u dix-fept ans. II n'etoithabille que de quelques branches de Myrthes entrelaflees avec une ecbarpe de rofes dc diiterentes couleurs. Ce bei inconnu eprouva un etonnement pareil a celui qu'il caufoit; la beautd de Raviffante ne iui laiffa pas la liberte de s* amüfer ä regarder le re/le du fpe&acle * dont V £clat T avoit attire d'affezlofri jufques ä ce rocher^ il s'approcha de la Princeffe avec une grace qu'elle n'avoit jamais vue qu'en elle-meme; Je fuisfi iiir-pris, lui dit-il, de ce que je trouve fur c & il n'oibit prefque plus i')aroitre devant eile. 'Cependant Iss Papillons ne 'avoient point quittle, & eile les regardoit fou-vent.avec plaifir, parce qu' ils Venöient du Prince des Feüilles; Urijour qu'elle etoit encore plus trifte qu1 aF ordinaire; re van t für une terraffe qui etoit au plus haut de la Tour, le Papillon coüieur de feu voiä fur un des vafes remplis de fieurs qui ornoient la bäluftrado; poürquoi, dit-il tout d'uri coiip ä la Princeffe, ne m' envoiez-vous pas avertir le Prince des Feüilles ? il viendroit infailliblement a votre fecours? RavifTante füt d'abord fi etonnee d*entendre parier le Papillon, quoi que fon Arnant l'eut preparee ä cettenonveaute, qu'ellefut quelques rnomens fans lui riendhre, cependant ie nom du Prince des 'Feüilles lui aidant ä dißlper fon etonne-ment: J'ai ete fi furprife^ dit-elle au Papillen, de vous entendre parier comme nous, que j* ai£te quel-que terns fans pouvoir vcfus repondre, je vois bien que vous pouvez-aller avertir le Prince de Feüilles ;de mon mallieitr: mais que fera-t-il, que s'enaffll- i;er inutilemci.c? II ne pourra me trouver dans un ieu que la crüaute- denies ennernis a pris foin de rendre invifible; il reft moins que vous ne pen-fez^ rc'pondit le Papillon jaune en volant aüpres de la Princeffe pour ib mettre dans la conversation; f ai "Le Prince ©bfervé tantót vótre prlforij fai vole, &faimě* me riage a Y entour; elle difparoit quand on ell fur les eaux, mais ellě cěiie d* étrě invifible dés que Ton eíl élevé dans les airs. Sans doute que la Fee n'a pas crú ce chemin affež facile pour devoir íbří* ger á la défendre cóntre celui de la Mer; c'eft uri avis que f allois vous donneř^ continua íé PapiU lon^ quand moii frere a rómpu le ílience qUě nous avons garde jufques ici; tine fi agréablě nouveííe aiant rendu quelque efperance ala PrinčeíTe, eft-il poííible, lui dit elle i qďAriíton áit neglige quelque precaution pour.fatisfaire. fa cruauté & foil á-mour? Sans doute, ion pouvoir & celui de la Féé qui pent tout fur la IV! er & fuj la terre ne s'etcnd "pas jufques dans les airs, c étoit piéčifément la rai-ion qui avoit empéché le Prince <& la Fée de rendre la Tour & le Rocher inviíibles du cóté du Ciel; mais, ajoúte Raviffante, aprés quelqíie moment de reflexion, le Prince des Feuilles potirra-t-il quelqiié chofe dans les airs? Non, Madame, řeprit le Pa« pillon.couleur de feii, il n'y petit rien j & vótre prií ion fera invifible polir lui, quoi quMl fojt ini demi-Dieu, comme elle íe feťoit pour un homme; mais i . í . Ce Prince fera done auTÍÍ riialhetireux que moi, interrořnpit la triíle Raviffante, en veř-ř fant des larrries qui aúgtnentérent fa beanté, & qui attendrirént extrémemeiit les deux Papilíons, & je fens que je ferai encoreplus iňfořturée par les mal-heurs du Prince des Feuilles que pař les miens: 0ué dois-je done faire, contiryia-C-elle en foúpirant?vme faire partií tout á Y heure, repartit- brufquement lě Papilldn coiileuř de feu, j'ir'ai avertir le Prince des Feuilles de vos .infořtuňesi & il viendřa vous fecoUrirj. quoi qtie fon pouvoir ne"s'etende pas dans les airs^ il a un Prince de fes amis qui f petit tout-& dont il peiit diípofer conirne deluimeme; c* eíí de quoi mon frere qui demeure aúprés de vous$ pouřra Vous informieř pendant rnon voiáge: Adieu^ bellcr des FeüilleS. belle fříneeffej contintia le Papillen eft s*envo1ant par deffus la baluítrade* ceffež de vous inquiéter, & Cömptez fur ma diligence; je vai volet avec au-taut de repidité que vous íbuhaitez; apresces paroles le Papillon fe perdit dans les airs, & la Píiňceffe fentit alors cette joie ň vive & fi cli arm ante que donne T eípoir de voir bien-töt Ce que Ponaime. Elle retourua dans fa chambre; & le Papillou jaune la fuivit; eile fentit une extréme impatience de i§ä-Voir de quel Prince fon Amant deVoit efpérer un fe-tours fi neceflaiřé á ieur bonheür> poiirneplus g-norer, eile pria Je Papillen jaune de íui apprendre tout ce qui poiivoit čontribuer' ä áugmenter & ä Hater ifon efpérance i eile ie fit rřiettre fur une petite Corbeille de fleurs qiť eile appörta für üne table äußres ď eile j & íe Papillon qui fe faifoit un honneur de lui plaire^ eommenca ainfi fon recit* Äupres de ť Islé dli Joüf oü regne le Prince des feinlies, il y en a üne autre plus petite, mais auÖi agréabíe; la terře y eft tou jours con verte de fleurs. ^ & Ton affure que ďeft line grace que Flore a fait ä nótre terre, pourimmortalifeř lá n é noire des joučs heureux oú eile y venoit troüver Zephir; car 1' on tient que c'etoit dans nöfre Isle qu'its. fe voioient^ quand leur ainour étoit encore fecrettě & nouvellěr eile s'appelle ťlsle des papillonS; les hábitans iť en font pas de la figure que vous mé voiež, ce font de petits hommes ailež, fort foils, fort galans, trés-amoureux, ar la deftru&ion de, fon Ifle, le Prince des Papii-ons fatisfa.it d1 avoir rendu au Prince des Feiiilles. un fervice femblable a eelui qu'il avoit rec;n de lui^ conduifit en volant la belle Kaviffante jufques dans un Vaifieau de jones ornez de guirlandes. de fleurs. ou le Prince des Feyilles 1* attendoit avec toute 1'im-patience qu'un violent amour peut caufer, L'on ne f^auroit exprimer le plaifir qu'il rellentit en volant arriver la Princeffe; jamais la joie & Y amour ne parurent plus vivement^ qu£ dans le cceur & dans les difcours de ce Princeil &t voguer en diligence vers llfle da jour, le Prince des Pagilkms s'envo-la pour rejoindre plutot Taimable PrincevTe des Li-nottes; Raviflante envoia deux Papillons au Roi (on pere, pour lui apprendre quelle avoit ete fa fortune;: le Son Roi en lolia les deftinees, & fe rendit en peu de terns dans 1'Ifte du Jour, ou le Prince des Feiiiljes & la belle Ravifiante regnerent avec toute la felicite imaginable, & furent toiijours heureux, parce qn'ils ne ceflerent jamais d'etre amoureux & fideles,/ ^u' on doit porter d*envie au firt dt Raviffantt y Par um ardenr vive conftante VAmom r des Feuilles, - jjj & Amour lui prodigua Jet trefbrs pre'eieux % Pour en pouwair jouir comme elle y Hdas t que V on fercit heureux, , it fuffifoit d" fore fidelk. LE BGNHEUR DES MOINEAUX, CONTE* ^tie e*eft un deflirt rigoureux Be ri avoir point de biens durahles h ■ Tous les plaijirs font courts., autant qtS Us font aimables^ Be deux Amans Amour comblpit les vceux, 11$ goutoient les douceurs d? un ji charmant myflere Bans leurs jtuneffe , Us 4toient amoureux % Us faifoknt tous leurs Joins de cbercher d fe plaire ^ He / que faut il de plus pour etre heureux ? On voioit d r envi croitre de ft beaux feux y Mais^ hi las I par malbem pottr eux% Lajeune Iris avoit cncor fa meret gyti.pour mitux V arracher d V objet de fes voeux% Lui [fit a" un prompt dip art unt-loi neceffaire> Tout ce que pent V Amour au. defe/poir * i %>Ans cu Uxdres- Amms vivewcnt fe fit- win L'beureufe Jri $ partit; ifiais cofnmmt peut-on fatru Pour foütenir de tels malheurs ? Síle alloit cbaefuejour dam un Bois folitajrc^ Entretenir les prejfantes douleurs 6}ue ton reßbzt en perdant ee op? on aitne^ il rí efi point de touvment, tpi coü$e tant de pleum% Unjour aprés avoir ředit fa peine extréme Aux Arbres, au« Ruißeaux , aux Ecbos £ alentour Sile vit deux Moineaux, cent fais plus, beureux qu'elfe gut fuivoitnt librement les t ran/port s de Pamoürl líelas! petits Qifiaux, dit-clle^ Fmez , fuiez un ß cruel fijour, On troubkroit hkn tbt -vos ardttígi mutuelles* Si par malhtur ma mére en étoit le témoin3 Vous kes amoureux, paßiwnez^ fidcles ; Helasl eile envdiroit un de votts deux bien loin^ UHEUREUSE PEINE* CONTE. L flit autrefois un grand Pvoi, qui devint eperdu> ment amoureux d'une belle Pnnceffe de fa Cour; desqu'il 1'aima, il lui parla de fa tendreffe, les Jlois ont d'autres privileges que les vulgajres Amans. La Princeffe ne s'offenfa point d'un Amour, qui pou- . voit 87 Peine. AS voit la placer fur le Tróne, rnais eile parut toüjours auffi fage au Roi, qu'il la trouvoit charmante, íl ľ épouia, la nôce íe fit avec une magnificence incro* i'able, & ce qui I eft encore bien davantage, c'eft qu'il fut Epoux fans ceffer d'etre Amant JLe bon-heur ďun f» doux Hymenée ne fut trouble que par latriftefíé de n* avoir point dVenfans pour fuccédeŕ á leur bonheur^ & ä leur Roíaume. Le Roí pouč pouvoir du moins jouir de la douceur de ľeípéran-ce> fe réfoľut d'aller confulter une Fée, qu'il cro-Xoit fort de fes amies 3 eile s'áppelloit Formidable, mais eile ne í avoit pas toüjours été pour le Roi, on dit méme que ľon trouvoit encore dans de viéux Recueils de ce Pais-la des vau- de-villes qui difoient beaucoup de fes nouvelles, tant les Poétes ont été téméraires de tout temps, car la Fée étoit fort re- , fpečlée, & paroiffoit fi farouche, qu'il n' étoit prel-que pas poffible de s'imaginer qu'elle eüt reíľenti le pouvoir de ľ amour; mais oú font les coeurs qui lui échapent? Le Roi quiavqit toújours été Galaňd, <& qui avoit beaucoup d'efprit, n'ignoroit pas que les apparenees font fouvent trompeufes. 11 trouva ■Formidable dans unßois oü il étoit alle á UChafíej eile parut ä fes yeux fous une figure fi gracieufe, & avec un air fi charmant, que le Roi n e doüta pas un moment qu'elle ne voulut plaire. Rarement op fait briller tant de charmes fans intention. Le Pvoi ľ äi-ma. ^ La Fée trouva plus de plaifir á étre aimée qu'á 4infpirer toüjours de la terreur; cette tendŕefíédura quelques années, mais un jour qiťelle comptoit fur le coeur defon Amant, comme fur un bien qui ne pouvoit ceffer ď étre ä eile, eile fe laiffa voir au Roi fous fa veritable figure, Elle n'étóit plus jeune, eile n'avoit guéres cle beauté; eile fe repentit par le trouble quJ eile rémarqua fur le vifage du Roi, d* a-voir eu trop de coníiance en elle-mémé, & eile re-connut peu aprés que les &ntimens du coeur, quelques tendr es qu'ils puiíľent étre, nepeuventtoucher,, & m 4-6 V beureufe & lie fcauroient rehdre 1'amour heureüxV s'ils ne font lbütenus par une figure aimable, Le Roi fut honteux de n'avoir ete araoureux que d'une belle idee. 11 cefifa d'aimcr la Fee, & conferva feulement i)our eile des egards, &dc la deference. Formidab-e par unegloire qui lui etoit naturelle feignit ilbien d*etre contente de l'ämitie du Roi^ qü'elie le per-fuada qu*elle etoit la meilleure de ies amies; eile fut meme ä lanöce, comme ies autres Fees du Pai's qui en furent prices, pour ne pas doimer ä penfer par un refus eklatant, quelle eüt lieu d'etre fäehee de ce mariage» Lfe Roi comptarit done fur l'ämitie de fon ancieii-ne Mai treffe, 1' alia trouver dans fa demeure: e' e-toitun Palais de marbre eouleurde feu au milieu d'une vafte Foret L bn y arrivoit par une avenue dune longueur prödigieulbj eile etoit bordee des deux cötez par cent Lions couleur de feu. Formidable n'aimoit que cette couleur, dk eile avoit fee ainfi tous les animaux qui nauToient dans fa Foret; au böut de Yavenue, on trouvoit une grande Place carree, oCt une troupe de Mores vetus de couleur de feu & or, magnifiquernent armez, faifoient uie garde perpetuelle. Lc Roi traverfa feul la Foretj ll en f^avoit les chemins ä merveille, il traverfa memel'avenue des Lions fans danger; car il leur jctta en entrant des renoncules que la Fee lui avoit donnees autrefois poUr traverfet ce paffage, fans craindre ces redoutables Lions \ des que le P^oi leur eut jette ces belles ileürs ils devinrent doux & p.ai-fibles. II fe trouva enfin a la garde des Mores, ils tournerent d'abord leurs Heches contre lui: mais le Rot'leur jettant des fieurs de grenades qu'il tenoit aulfi de la Fe* comme les renoncules, les Mores tt-rerent en 1'air leurs fleches, & fe rangerent en haye" .pour le laiffer paffer; il entra dans le Palais de Formidable, eile etoit dans un Sallon affile fur un Tfo- ■Peine. ' 47 fre de rubíš au milieu de doužé Mpreffes vétuěs de gáze, couleur de feu & or, fon habit íétoit pareil aux leurs, & ií couveřt depierreries,quvelle brilloit comme leSoleib maisělle n'en étoitpas plusbelle; leRoiře* garda, & écouta quelques momensavant que d'entrée dans le Sallon^il y avoit auprés delaFée quantité děLi-vres fur une Table de marbre rouge; il vit qu'clle en prenoit un, & continuoit ďínftruire les Moreííeš de ces fecrets qui rendent les Fées fi redoutabies, mais Formidable ne leur apprenoit que eeux q'Ut font contraires au repos, & au bonheuř des hommes* Elle fe gardoiťbien de leur cnfeignér ceux qui peu-vent contribueř á leur Tel i cite. Le Roi en fentit dé la haine pour la Fee; & entrant dans Je Sállon^ in-terrompit ceťte fatale lecon, & furprit Formidable pat fon arrivée; mais fe remettant, dans le moment méme, elle renvoia ces Moreífes, regardant leRoi avec uň air de fierté & de colére: Que venez vous chercher ici, lui dit-elle, Prince inconílant? Pour-quoi pař vótre odieufe préience venez-yous troubleř encore le repos dont je táche de jpuir ici? Le Roi fut tout furpris ďun difeours qu'il n'attendoit pas, & la Fée ouvrant un de fes li v res, je voi bién ce que vous voulez^ continua-t-elle? Qui, vous auře2 une fille de cette Princeffe, que vous nťavez préfe-rée II injuítement; mais ne croíez pas étre toújouřs heureux, il eft terns qiie je me vange. La fille que vous dévez avoir fera autánt haíe de tout le monde, que je vous ai autrefois aimé. Le Roi fit tout ce qu'il lui fut poíiible pour adeucír la colére de la Fée; mais ce fut inutilement, la haine avoit iuccédé á V amour, & c' étoit V amour feul qui pou-vok attendrir la Fée, car la pitié & la générolité ■étoient des fentimens quelle ne connoiffoit point Elle ordonna fiérement au Roi de fortiř de fon Palais^ & ouvrant une voliéře, il en fortit un Pefroqiiet couleur de feu, Suivež cet Oifeau > dit-elle au Roi, & řendez graces á ma bonté3 qui ne vous livre pas .á la ĽJseufeufčé la fiireur de m es Lions & de rrfes Gardes. , íľOifeaíi vola. Le Pvoi le fuivít* & par im chemin qui lui étoit inconnu,- &beaucoup plus court que celui qu'il connoiíľoit, il fut conduit dans fon Roi'aume. La Reine qui letrouva ä ion retour ď une triííeffe extréme , lui en demanda tant le fujet, que le Roi luí aprit la cruelle prediction de la Fée, fans toutefois lui apprendre tout ce qui s'étoit paffe autrefois en-tr'eux, pour ne pas attirer de nouveaux malheurs fur la belie Reine* Cette jeune Princefíe fcavoit qu'une Fée ne peut pas empécher abfolurnent cq qu'uae defes pareilles a préait, mais qu'elle peut adoucir les peines qui Ont éié ordonnéeSí J'irai$ dit la Reine, trouveŕ Lumineuíé^ Souverame de ľEmpire heureux; e'eft une Fée célébre qui fe plaít á protéger les malheureux. Elle ©íl ma parente* eile m'a toújours favorifée; <& eile irľavoit mém e prédit la fortune ou ľ Amour me devoit faire parve-iiir. Le Roi approuva fort le voiage de la Reine ^ &üen eípéra.beaucoup, fon equipage étant prét3 eile fut chercfier Lumineufe^ eile portoit ce nom^ parce que fa beau té étoit ii brillante, quvá peine en pouvoit-on foútenir ľéclat, la grandeur de fon ame répondoit parfaitement á fa beauté$ la Reine arriva dans une vaíle campagne,- & apercút de fort loin une grande Tour; mais quoi qu? on la vit de loin, il y avoit bien des détours pour y ar river. Elle étoit de marbre blane, eile n'avoit point de porte, les fenétres fáites en arcades etoient.de eri-flal, une belle riviére, dent les qndes paroiffoient ď argent; battoit íe pied de la Tour.- Elle totírnoit neuf f o is a ľentour. La Reine avec toute fa Cour arriva au bord de ľeau, qui commenejoit lá le premier cercle qif eile faifoit autour de la demeure de Iii Fée. La Reine la paffa fur im Pont de Pavots blancs> que le pouvoir de Lurnineufe avoit rendu auífi fuť & äufft durable, que s' il eut été báti ď aiŕain ; quoi qu'il ne füt que de fleurs4 il ne laifíbit pas d'etre ŕedouk Peine. 49 frcdoutable; II äyoit le pouvoir ď endbrmir £our fept ans eeux qui le paffoient contre la -volonte de la Féě. La Keine appercut au dé lá du Pont fix jeunes homines magnifiquement vétus endormis für děs lits de gazon fous des Pavillons de feüillage. Cétoient des Princesamoureux de la Fee; & eom-jme eile ne voulojt point entendre parier de PAmour, eile ne leur avoit pas permis de paifer plus loin. La Heine apres avoir paffe lePoht, fe trouvia dans le prem;er efpace qüe la Pviviére laiffoit libre; il étoit oceupé par Un Labyrinthe charmant, tout de Jafmins & de Lauriers-Pvofěs, il in* y en avoit que de blancs, car c' étoit la couleur qu' aimoit Lumi-neufe. Aprés avoir admiré cette belle promenade^ & en avoir démélé facilement les détours qui h'é-toient embarraffans que pour ceiix que Paimablé Lumineufe ne vouloit pas qu'ils puflent ehtrer dans fon agréable demcure, la Pvéine repaffa la Riviere, fur un Pont ďAnemones blanches, elle faifoit en eet endroit fon fecoiid tbUr, & 1'efpace qiPelle laiffoit libře avanť qtie de faire fon troifiéme cercle, étoit očcupé par une Forét ď Aeaciats toůjours fleu-ris, lés routes en étoient charmantes & li fombres, qUe le Soleil ne le polivoit pénétrer: on y* voiöit de tendres Colombes, doht les plumes pouvoient faire honte á la neige; tons les arbres, étoient cou-verts ďnii nombre iňfiňi de Serains blancs qui fai-Foient des concerts agřéables, Lumineufe ďun coup de baguette leur avoit apris les plus beaux & les plus aimables chants du monde. On fortoit de cetíe belle Forět par uri Pont de Tubéreufes, & Ton entroit dans une bellt: Campagne toute couverte ď Arbres chargez de fi beaux fruits^ & fi clelicieux, quelemoihdrc Ařbře de ce lieu-lá faifoit honte aux fameux Jardiňs des Hefpe-rides. Cependant la Reine trofivoit touš les íbirs les plus belles tentes du monde 3 & dě magniíiques ■ fwizíí. í) repas jo Ľheureufe repas fe trouvoient fervis des qu' eile arrivoit, fails que ľ on vit aueun defes Officiers fi diligens & fi habiles; la Fee qui avoit apris dans les livres 1 arri-vée de la Reine prenoitfoin de fon voi'age, eile ne vouloit pas méme qu'elle pút étre fatiguée un mo* ment. La Keine pour íbrtir de eette merveilleufe Campagne paffa la Riviére fur un Pont d'Oeillets blancs, & entradans le Pare dela Fée. II étoit auífi beau mae tout le refte, la Fée y venok chaffer quel-quefois, il étoitrempli ď un nombre infini de Cerfá & de Biches blanches, & ď autres Animaux de la méme couleur; une meute de "^evrons blancs étoit difperfée dans ce Pare,' & couchée fur ľ herbe avec des Biches & des Lapins blancs, & ď autres Animaux qui ď ordinaire font fauvages: mais iis ne ľ é-toient point en ce lieu-la, ľ Art de la Fée les avoit apprivoifez, &quand les Chiens chaíľoient quelque bete pour amufer Lumineufe, il fembloit qiťils euŕ fent compris que ace n'étoit qu^un jeu, car ils fai-ibient tout ce cm'ils devoient faire, excepté qu'ils ne fe faifoient jamais de mah En celieu, la Pvivié-re faiíbit fon chiquiéme cercle autour de la demeure de la Fée. La Reine pour lortir du Pare, la paffa fur un Pont de petits Jafmins, & fe trouva dans un Hameau charmant. Toutes les petites cabanes y étoient bäties ď Albátre, les habitans de cetaimable lieu étoient fujets de la Fée; ils gardoient fes trou-peaux, leurs habits étoient de gaze ď argent; ils é-toient couronnez de guirlandes defíeurs, & leurs Houlettes étoient toutes brillantes de pierťeries; tous les Moutons étoient d* une blafícheur ťufpré-nante; toutes les Bergeres étoient jeunes & belles, & Lumineufe aimoit trop la couleur blanche, poür avoir qublié de leur faire un teint fibeau5 qu'il fembloit que le Soleil méme aidät ale rendre plus éclatant; tous les Bergers étoient aimables, & le défaut qu* on pouvoit trouver dans ceť agréable Pais, c1 eft qü'il n'y avoit pas une feule beauté brülle; Peine. % i he; les Bergéres fuŕent tecevoirla Pveiné, & lui préfentéŕent ä eš Váfes de porcelaine, ŕempíis des plus belles fleürs du mpnde. la Réine & toute fá Co.uŕ étoiént chaŕmez ďun voíagefi galant, <& cetté Princeffe en tiŕoit u n héureux préLge pour cé quelle defiroit de la Fée. Comraé eile íe mettoit en chemin pöur foŕtiŕ du Haŕneau, uné jeuné Ber-gere s'avancjant vérs )a Reine, lui appbrta une petite LevŕetteTuŕ un carŕeaú de velours blane, Jbrodc ď argent & depeŕľes, á peine diftiguoit-on ja Lé-vrette fur fori carreaú, tant leur couleur e^oit fem-blable» La Fée Lumineufe, Souveraine del'Empi* re heureüx, dit ia jeüne ßergere a.laFveine> m'si ördönne dé vöus préfenter Blanc Blanc de fa part^ c' eft le nom de la petite Levrette; elle ä ľ honnéur d'etre äimée de Lurnineufe, ion art en a Fait tme merveille; & eile íui a command é de vous con^ duire jufques á la l otir* voüsif auŕez, grandje Princeffe, qu'á la laiffer aller* & la fuiyre* La Keine recüt la petite Levrette avéc plaifir^ chaŕmée Hu foin que la Fée prenoit ď elle. Ellecareffa Bíánc Blanc ^ qüi apres lui avoir rendu fes car effés a vec beaucoup ď ďpvlt & de grace, fauta legéremérjt ä terré, & fe mit á marcher devant la Reine 5 cjui lá fuiyit avectöute Ta Coim lis arrivéreht au bbeddela Pviviére^ qüi ťaífoit .lá fon fixieme toúŕ, ilš fu-íľent étonnež ,dé n'y point trouver de Pont pourlä paffer. La Fée he vouloit pas que fes Bérgeŕs al-laffentia tŕoiibleŕ dans fa ŕetraité, il n'y avbit ja--hiaiš dé Pont dahs eé iieú-la j, que qusr.d elle y vouloit pafler, ou y ŕecevbit fes amis. La Reine-ŕé*. vo.it pŕofondement ä cette. áväntuŕej quand elle en-téndit Blanc E lune qui aboya troiš fois; aufíi-tôt úŕi Zephir agita íés arbŕés qui étoiént au dela de lä Riviére, & fit toinbéŕ danš ľeaii line fi grandé triiaňtité de-fleurš cľ Oranges.^ qu'il š'en forma uh Pönt, & la "Reine paffa la"Riviére defťus. Eile re-tnereia Blanc Blanc par des cáreíľes, & elle fe tŕou- d q v'á v ^2 Vheureufe va dans une avenue de Mirthes & d* Orangers deli-cieux, & apres 1' avoir traverfee fanss* ennuier, quoi qu'eile fut d'une longueur extreme, eile re-trouva le bord de la Rudere qui faifoit fon feptie-me tour dans cet endroit lä: eile n* y vit point de Pont, maisTavanture du matin la rafluroit; Plane Blanc frappa la terre trois fois avec fa petite patte, & dans le moment meme il parut un Pont de Hya-cinthes blanches. La Pvcine le pafla * & eile en'tra dans une Prairie toute emaillee de fieurs; de belies tentes s'y trouverent dreffees, eile s'y repofa, puis eile continua fon chemin^ & eile trouva encore le bord de P eau. II n* y avoit point de palfage, ßlanc Blanc s'avan^a, but dans cette belle Riviere, & aUffitöt il parut un Pont de Rofes blanches, qui fervit a la Reine pour entrer dans le Jardiri de la Fee; il etoit fi rempli de fieurs merveilleufes, de jets d'eau extraordinaires, & de ftatues d unebeau-te furprenante, qu'il n'elt paspofüble d' en faire une exafte defcription. Si la Reine il' avoit pas fenti une impatience extreme de prevenir les maux, dont la cruelle Formidable 1' avoit menacee, eile auroit refte plus lqng-tems dans ce beau lieu, toute fa Cour en fortit ä regret; mais ilfallut fuivre Plane Blanc qui conduifit la Reine ou la Riviere faifoit fon dernier cercle autour de; la demeure deLumi-neufe, la Reine vit enfin depres la Tour de la Fee5 ilft'y avoit que la Rivi6re entre-deux; eile la re-garda avec plaifir, comme etant le iujet de fon vo-i'age; eile lüt cette Infcription qui etoit ecrite fus la Tour en lettres d* or. . Gy eft ici le charmant fijour De la felicitÖ parfaite ; Lumincuß a bAti cette belle retraite s \ Elle y reqoit les ris> die en bannit V amour ^ Et pour Im cepe?idant eüc fembU ttre faitc. ö: ; a . '• ' v ' ^ette Peine. S3 Cette Inscription avoit ete faite ä fa gloire par les Fees les plus renommees de fon tems; ellesavoient voulu laifler ä la poilerite ce temoignage de leur ami tie & de leur eftime. Pendant que la Reine s'amulbit ainfi au bord de l'eau, Blanc ßlanc paffa ce petit trajet ä la nage, & faifant le plongeon rap-porta une Coquille de Nacre de perle qu'eile laiffa retombcr dansla Pviviere: ä ce bruit fix belles Nim-phes vetucs d' habits brillans, ouvrirent ■cine granule fenetre de Criftal, il en fortit un degre de Perles qui s'approcha peu-^-peu de la Reine; Blanc Blanc monta promptement juiques ä la fenetre de la Fee, & entra dans la Tour, la Reine-prit le merne che-min; mais ä nie iure qu'elle montoit ce joli degre, les marches qu'elle avoit paffeesdifparoiffoient, & 1' empecherent ainfi d' etre fuivie. Elle entra dans la belle Tour de Lumineufe, & la fenetre fut refermee. Toute la Suite de la Pveine fut au defefpoir de ne la voir plus, & de ne pouvoir la fuivre, car eile etoit extremement aimee; leurs cris fe firent entendre juiques au lieu ou Lumineufe entretenoit la Reine, & pour raffurer ces malheureux, la Fee envoia une de fes Nimphes pour les conduire au Hameau,-oü ils devoient attendre le retour de la Reine, le degre de Perles reparut, & leur rendit Pefperance. La Nimphedefcendit, 6c la Reine parut ä la fenetre pour leur ordonner de la fuivre & de lui obeir. Cette Princeffe demeura avec la Fee, qui la recüt avec une magnificence prodigieufe, avec un air divin qui gagnoit les cceurs. La Keine y demeura trois jours qui ne fuffirent pas pour voir toutes les merveilles de la lour de Lumineufe, & il auroit fallu des fecles entiers pour admirer tout, & les beautez de la Fee. Le quatrieme jour Lumineufe apres avoir donne a la Pveine des prefens auffi ga-lants que magnifiques: Belle Princeffe* lui dit-elle, Vheureufe. Je íuís fáchée de ne pouyoir réparer- le malheur dont Formidable vous a menacée; mais c'eft la feute du ďeftin, il nous permet de répandre 4es biens fur ceux que nous favprifons, mais il nous defend de gárentir, & de íinir les maux ordonnez par une autre Fee ;Ainfi pour vous confoler du malheur que 1 on vous prepare, je vous promets avant qiťil jfbit un an une fiíje fi belle, que tons ceux qui la yerront en feront charmez, & je prendrailoin, sjou-ta la Fée, de faire naitre un Prince digne ď elle. Une prediction fi favorable fit oublier pour quelque terns a la Pveine. la haine de Formidable, & le mal-lieur qu'eile attendoit4 Lumineufe ne dit point á la Reine ce qui rendoit Formidable ion ennemie. Les Fees qui méme nes'aecordent pas enfemble, confervent exaQement entre-elles les fecrets. qui peu-' vent les rendre méprifaVles aux mortels, & ľ on -A\ fure que ce font les feules femmes qui ont eút ľ efprit de ne point dire de mal les unes des autres. Aprés de remercimens infinis de la part dela Pveine, Lumineufe ordo.nna ä ďouze deíesNimptíes de fe charger de préfens, & de recondiiire la RíÉíie jufques áu Hameau, * teau des Portraits, c[ étoit un lieu digne de ía fca-vaňte Fee qui ľ avoit báti il y avoit quatre milic ans: les Jardins & toutes les Promenades des environs client admirabíes, rnais ce qu'il y avoít de plus beau étoit une Gaílerie ä perte de vůě, oú P on voi'oit les Portraits de tous les Princes, & de toutes les Princeffes du Sang Royal de ce Roiaume, & ceux.des Pais voifms; dés^qu'ils avoient quinzeansp leurs Portraits s'y trouvoient peints, avej: un art qui ne pouvoit étre que foiblement imité par tout autre que par une Fee. Ce don. devoit durer juf-ques au terns qu' il entreroit dans ce Chateau la plus belle Princeffe du monde. Cette Gaiierie féparoit deux Appartemens vaftcs, 6 magniftqúes; les deux Princeffes les oceupérent, elles eurent mem.es. Maitres, méme education, on n'apprenoit rien á la charmante Aimée, que 'ľ on. n'eníeignát áfafusur: mais Formidable yenoit lu Peine. 57 faire des lecons qui gätoient toutes iesautres, & LuminCufe venoit de fon cöte par fes converfations .rendre Aimee digne de P admiration de tout l'U'ni-vers. 11 y avoit trois ans que les Princeffes etoient dans ce Chateau 'eloignees de la Cour: Elles enten-dirent un jöur un bruit inconnu, qui fut fuivi d'une Mufique charmante: Elles regardoient de tous cö-tez pour voir d' oü partoient ce bruit & ce Concert agreable, quand elics apparcurent trois Portraits qui remplirent trois places qui, un moment aupa-ravant, etoient vuides; ilgy en avoit un qui etoit: couronne deiteurs par deux amours5 Tun regardoit ce beau Portrait, avec toute Tattention quMl meri-..toit, & fembloit en avoir oublie le foin detirer une ßeche qu' il* avoit toute prete ä partir fur fon Ares* L' autre tenoit une petite banderolle fur laquelle etoient ces Vers: Aimfa eut en. naijfant^ de la fage Nature Les folides beautez qui ne meurent jamais , Les graces prirent Joins d embeüir fes attraits x Et Venus, pour toitjöurs lui donna fa Ceinture* Iis ff 6toient pas neceffaires pour faire connoitre }e portrait de la belle Aimee, on y remarquoit tous fes traits, & cette grace charmante qui attiroit les Coeurs: Elle avoit le teint a une blancheur furpre-nante,lesplus belles GOuleursdumonde,levifagerond5 les cheveux d'un blond admirable,les yeux bleus, mais qui brilioient d'un feu fi vif, que tous ceux qui a-voient le plaiftr de lesvoir jugeoient qu'il etoit inutile que Luniineufe eut fait prefent ä Aimee d'un don qu'eile avoit en elle-mcme; fa bouche etoit charmante, fes dents etoient aufli blanches que fon teint; elle ne man-quoit pas de beaute; mais ce Portrait etoit comme elle-rneme, il ne plaifoit point; ces mots etoient; ecrits au deffous en lettres d ■ or:. Naimfo avec fis (raits^cfui formmt la beaut Dans tous Its cceurs ne petit trouver de places r Apprens de-la poßirite , Que la beaute n e(i rien fans V ejprit & Us graces.. "J Ces deux Portraits accupoient toute 1' attention; ctes deux Princeffes, & de toute leur jeune Cour; quand Aimee.qui n'etoit point vaine de fes propres, charmes; & laiffant au refte du monde le foin de les admirer, fetta les yeux fur le troifieme Portrait qui avoit paru en meme terns que le ften, eile y trou-va dequoi attirer fes regards, c*etoit celui d'un jeune Prince plus beau rnille fois que PAmour; il avoit plus Pair d*un Oieu que d'un homme, fes cheveux' etoient noirs, &. tomboient par groffes boucles furleiepaules, &; fes yeux promettoieht au* tant d'efprit qu' on vo'ioit de charmes dans fa perfon-. ne: ces paroles etoient ecrites au deffous cjLu Por*. trait: C eß le Prince de I Isle Galante.. Sa beaute furprit tout le monde, mais elle tön-, eha plus vivement la belle Aimee;. fön jeune coeur en fentit une emotion inconnne, & rSfaimee meme. ä la vüe dece/beau Portrait ne-fut pas exemte d'une paffion, dont perlbnne ne pouvoit etre touche pour elle; cette avanture ne furprit perlbnne, car on etoit accoutume ä voir ces. merveilles en ce lieu-lä. -Le Pvoi &. la Heine vinrent .au Chateau voir les Princeffes, ils firent faire un grand nombre de Copies de leurs Portraits. lis en envo'ierent dans tous les Fvoi'aumes voifms. Cependant Aimee, .des qu' elle |toit feulc, entraineepar un mouvementinvoloutaire, alloit Peine. 5,9 alloit dans la Gallerie des Portraits; celui du Prince de I'Isle galante occupoit tonte ion attention, & attiroit tons fes regards; il paroiffoit digne de Fun & de 1' autre. Naimee qui n1 avo.it rien de cornmim avec fa foeur, que le meme ernpreffement pour le portrait all Prince, paffoit pref^ue tons fes jours dans la gallerie. Cettepaffion naiffante augmentafi bien lahai-ne de Naimee pour la belle Princeffe, queue pou-Yant trouver le leeret de lui nuire, eile prioit fans ceffe Formidable de la yeriger des charmes de fa foeur; la cruclle Fee ne refuioit jamais les occafions de faire du mal, fuivant done fon inclination & les priores de Naimee, eile fut trouver Pairnable Princeffe qui fc promenoit au bord d' une Iliviere qui paffoit au pied dii Chateau des Portraits: Va, lui clit Formidable, en latouchaiit d'une baguette d*E-bene qu'elle tenoit dans fa main, va, fui tou jours le £ord de cette Riviere jufques au jour 014 tu trouve-ras une perfonne qui te naifle autant que moi & jufques ä ce moment tu ne fejourncras en mil lieu clu monde. La Princeffe a cet Ordre terrible fe mit ä pleurer, quelles larmes! il n*y ayoit dans tout i' Üniyers que le coeur de Formidable incapable d'en etre attendri. Lumineufe accourut au fecours de la telle & malheureufe Aimee; confole-toi, lui dit-el-le, ce voiage oil Formidable yient de te condamner finira par une avanture agreeable, & jufques ä ce jour til ne trouyeras que des plaifi.rs. Aime-, apres ces mots favorables partit avec le feul regret de ne plus voir le beau Portrait du Prince de V Isle Galante, mais eile n'ofa en temoignet fa douleur a laFce, elle fe mil done en chemin, & tout fembloit ctre feniible a fes charmes. Le Zephir regnoit feu! dans les lieux 011 eLle paffoit. Elle trouvoit par lout des Nimphes pretes a la fervir avec un rcfpe^l extreme^ les Prairies fe couvroient de fleurs ä fon abord, & quahd ßO 2? heureufe quand !c Soleil étoít trop ardent, les Boís redovj-bloient leur ombrage. Pendant que k belle Prin-ceffe fait un voíage n charmant, Lumineufe ne borne pas fa vengeance ä rendre le deiTein de Formida-* ble inutile: Elle fut trouver Naimée, & la frappant d'uiie baguette d Yvotre; Va, lui dit-elle, pars ä ton tour fur le bord de la Riviére, tu ne te repoferas Jamais que tu n' ayes trouvé une perfonne qui ťaimeautantque tu mérites peu de ľétre. Naimée partit & ne ťut point regreti^e. Formidable méme á qui tout paroiffoit á fon gré, pourvú qiťon fitfouffrir quelque peine, ne fongea plus á Naim.ee, & ne daigna pas la protéger plus; long-terns. Les deux Princeffes continuerent ainft leur voíage: Naimée avec toutes les fatigues ima-ginables; les plus belles fleurs fe chahgoient en é-pines fur fon paflage, & la belie Princeffe, avec tous les plaifírs que Lumineufe lui avoit fait efpé-rer, eile en trouva méme de plus fenfibles que ceux, qui lui avoient été promis, .• i. Sur la fin ďun beau jour, ä ľheure 311 e le Soleil va fe repofer entre les bras de Thetis; Aimée s'affit au bord de la Riviére, auffi-tôt un nombre infini de fleurs naiffantes autour ď eile formérent une efpece de lit de repos, dont eile eút admirée plus long-terns ľagrément, fi eile n* eút appercú un autre objet fur la Riviére qui ľempécha de pen fee-pour lors á toute autre chofe; c'étoit une petite barque ď Ametifte, eile étoit ornée de miíle bande-, rolles de la méme couleur, ehargée de chiffres & de deyifes galantes. Boitze jeunes hommes vétus ď habits legérs, grjs-de-lin & argent, couronnezde guirlandes d*immortelles, ramérent avectant de diligence, c|ue la barque fut en peu de tems affez prés du rivage,. j pour iaifier rcmarquer a la belle Aimée toute cette diííérente beauté. Ce fut avect uu / Peine „ 61 un ctonnement & une furprife agreable, qu'elle ap-percüt par tout fon nom & fes chiffres: un moment apres la Princcffe reconnut ion Portrait .fur un petit Autel de Topaze^elevc au milieu de la Barque, au deffous du Portrait elk hit ces paroles: Si ce n eft I' Amour, qu eft ce done ? Apres avoir donrie fes premiers mouvemens ä Tad-miration, eile craignit de voir defcendre de la Barque ces Etrangers> qui lui avoient d abord paru ft galans. Tout me parle del'amour d'un inconnu, difoit Aim£e en eile meme, & je fens que le Prince de ITsle Galante, ell feul digne de m'infpirer les fentimens dont je vois trop qu'un autre eft fans dou-te touche poiir moi. Portrait fatal, ajoüta-telle, pourquoi le deflin t'a-t-il offert ä mes yeuxdans un terns, oü loin de pouvoir me defendre, j'igno-rois meme encore ft V on pouvoit aimer quelque cho-ie plus tendrement que les fleurs? Cctte reftexiön füt fuivie de quelques foüpirs, & eile eilt demeure plus long-terns dans fa douce reverie j fi un bruit agreable dc divers Inururriens jae T en eüt tiree. Elle regarda vers la Barque d'ou partoient ces aimables fons. Un homme dont elle lie put voir le vifage , •vetu d'un habit magnifique de la meme couleur qui brilloit dans tout fon equipage , lui parut n' avoir d' attention qu ä regarder fon Portrait, tandis que fix belles Nimphes form£-rent un Concert charmant, & accompagn^rent ces paroles, qui furent cnantees par ceiui qui avoit toüjours regarde le beau Portrait de la Princeffe, U air etoit de Duboulai: Que tout parle de mon amour , Et des charmes de ce que j atme ^ Aimie a plus,£attraits que ri* m a P Amour ir.bnt $QUT V heureufe Pour fiater ma tendrejfe extreme : Nimpbes, redites tour d tour ^ Que tout park de won amour j « Et des čbarmes de če que f aimé. Les Graces pour la fuivre abandonnent les Cieiii j j£t quittent fans regret la Reine de Cit ere ; Le plaifir de la voir, la douceur de lui plaire } Vaut mietix que ie jéjoúr $ le plaifir des Ďieúx. Aimée a plus d at traits que »' en a V Amour mime | ■ Pour fiater ma tendtejfe extreme; Nimpbes, redites tour a tour, Que tout parle de mon Amour $ Et des cbařmiS de ce que f aime. £>' un fiul de fes regards uh čceur eft enflami: Tout lui cede, tout rend les armes, Et jufqti au terns beureux que brillérent fes cbarmi's $ On devroit h avoir point aimé, Aimée a plus ď attraits que n' én a I' Amour mime -Pour fiater ma tendr ejje extreme > Nimphes , redites tour a tour ^ Que tout parle de mon amour 9 Et des cbarmes de ce que f aimé La douceur de ce Concert árréta la belle Aimée fur le bord de la Riviéře; quand il fut fini, Hn-connu tourna la téte de fon cóté, & lui laiifa reniar-quer avec autant ue trouble que de plaifir, les ai~ mables traits du Prince de F Isle Galánte : Quelle furprifel quelle joie: de voir ce Prince charmant^ Peine. £3 & d*apprendre qu'il n'etoit occupe que d'eile. -II fau droit fcavoir aimer auffi parfaitement qu'autems des Fees, pour bien compreudre tout ceque fentit alors la jeune Pfinceffe JLe Prince de PIsle Galante epjrouva la meme furprife, il fe hata de defcendre fur le rivage for-^ tune ♦ qui offroit ä fes yeux la divine Airnee. Elle h' eut pas la force de fuir un Prince fi parfait, eile accufo mille fois le deftin de fa foiblefle: en fem-blable occafion^ On ne manque gueres de s' fcn pren-dreälui. II eil impoffible d* exprimercequecesjeu-. nes Ämans fe dirent^ & fouvent meme ils s' entendi-rent fans fe parkr. s Lumineufe qui avoit conduit en ce lieu, & la jolie Barque, & les pas d Aimeei parut tout d'un coup pour raifurer la timide Prin-ceffe, qui avoit enfin pris le parti de quitter un Prince fi charmant & fi dangcreux; feile leur ap*it qü'ils etoicnt deftinez ä s' aimer & ä s*Unif pour toüjoursi mais, ajoütalaFee, avant ce terns heureux, ilfaut achever le voYage ordonne pat Formidable. On ne peüt defob^i'r aux Fees; la belle Aimee,. & le Prince etoient fi fatisfaits du plaifir d'etre en-iemblev que tout ce qui iie les feparoit point, leur paroiffoit trop doux. Iis continuereiit done leur chemin, tan tot dans lä jolie barque, taiitot en tra-verfant une belle & vafte folitude que la Pviviere arrofoit de fes eaux; ce füt dans ce lejour tranquil -le que le Prince de PIsle Galante, achevade perdre le repos de fon cceilr. II aprit ä la belle PrincefTe tout ce qu'il avoit fenti pour eile depuisle jourheureux oü fon divin Portrait avoit et£ porte a la Cour, 41 qU'Uil jolir fe promenant ail bord deTeau, &re-vant ä fon amour, Lumineufe lüi appsrut & lui montrant la barque d'Ametille, lui ordonna de s! embarquer, & lui promit un fucces favorable pour fon voiage & pour fon amour, Tandis que le Pria- 64 L Ifeütihfe Prince & lä belle Aimee achevent d' obeir aux or-dres de Formidable, & que tons les jours leurs &r-deurs s'augmenterit,^ ils deviennent fi heureux qu'ils craignent d'arriver, de peur d etre oceupez de quelque autre chofe que de leur tendreffe. Nai-mee finiflbit aüifi de Ton cote' fori penible voi'age. Le cours de la Riviere que fuivoient les deux Princeßes les conduiiit infenfiblement dans Tlsle1 Galante, & ils y arrive'rent tous en mime terns. Lumineufe ne manqlia pas de s y rendte« Elle aprit /a Aimee que Ja vengeance de Formidable etoit ac-compile, puifqu'ea rencontrant la lbeuf $ elle trou-voit la feule pefforine du monde qui la put hiiir: & le yoiage de Naimee eft done atiffi fini, dit la belle Princeffe, car rien n' a pit diminuer V amitie que j'ai pour eLe? elle pria enfliite la Föe d'adoucir^ s* il etoit poflible^ la trifte deftinee de fafoeur: mais cette grace etoit inutile ä demander pour Naimee; des qu* eile eut vut le Prince de 1' Isle Galante, qu* elle reconnut facilement pour celiii dont 1 aima-blc Portrait avoit touchy fon coeur, & qu' elle en-tendit dire a Lumineufe que le terns aprochoit de ibn himen avec la jeune Aimee; elle fe precipita dans cette meme Riviere; qu elle fuivoit depuis un sn avec tant de peine, fans pourtant avoir rccours autrepas: mais les malheurs de 1'Amour touchent plus vivement que ceux de la fortune; . -.. . Lumineufe qui vit tomberla Princeffe dans Veau, la changea en un petit animal, qui marque encore par fa maniere de marcher, quelle 6toit l'humeur de la malheureufe Naimee. Son deffcin s' accömplit meme apres la mort, elle ne fut point rcgrettee; il en coüta pourtant quelques larmes ä Aimee; mais de quels malheurs iter cut pas confoJee le Prince de 1Isle Galante? Elle etoit fi toucheede fa tendreffe j qu' elle ne le fmgprefqüe point de toutes les Fetes Peine,. tes rque Port inventa povr ia recevoir dans fonilb-laume, le Prince y prit auffi peu de part Quand on eft bien amoureux, on ne connoit plus de vrais jplaifirs que celui d* etre aime de ce qu' on aime. Le Roi & la Reine avertis par Lumineufe ^ vin-rent retrouver leur aimablefille: Cefut en leur pre-fence que la genereufe Fee declara, que la belle &U rnee avoit eu la gloire de mettre a An V avantUre du Chateau des Portraits, parce que rien n'avoit encore paru fi beau qu' elle dans tout le monde* L' a-mour du Prince de iTsle Galante etoit trop violent pour pouvoir attendre davantage; il fupplia le Roi & la keine de confentir a ion boriheur, i_Umineu-fe elle-meme honora de fa prefence un jour li. beau & fi defire. La Noce fe fitavec toute la magnificence que 1' on doit attendre des Fees & des Rbis: mais quelque heureux que ce jour dut etre, je n1 en fe*-rai point la defcription; car qiioi que fe promette 1* AmoUr heureux, une Noce eft prcfque toujours une trifle Fete. Tant qrf Amour fait Jentir ft$ craintts , jfes Unrmms^ Et les doux tranfports qti tl infpift 11 refte cent chafes d dire Pour les Po'etes, les Amans\ Mais pour V Hymen, c1 eft en -vain qu'on reclame £e Dieu des Vers Us neuf doftes Soeurs$ 'Ceft le fort des Amours, f£ celui des AutcHrs^ D' icbomr d V Epitalame* tmt IL £ LES Sftr •foe $g 2>s Avantures S^bLES AVANTURES DE FINETTE. A MADAME LA COMTESSE MURAT. VOus faitcs les plus jolies Nouvelles du monde en Vers 3 mais en Vers auffi deux que naturels: je voudrois bien \ cliarmante Comteffe ■ vous en dire uue a moh tour ; cependant je ne fai fi yous pour-rez vous en divertir: je fuis aujourd' hui de f hu-rneur du Bourgeois-Gentilhomme; je ne voudrois ni Vers, ni Prole pour vous la conter: point de grands mots, point de brillans, point de rimes; un tour naif m'accommode mieux; en un mot, un rccit fans facon & comme onparle; jenecherche que quelque moralite. Mon Hiftoriette en fournit affez,J & par la etle pourra vous etre agr6able. lille roule fur deux Proverbes, au lieu d'un: c'eft la mode: vous les aimez: je m'accommode a V ufageavecplaifir. Vous y verrez comment nos Ayeux favoient mftnuer qu' on tombe dans mille defordres, quand on fe plait a ne rien faire, ou pour parler comme eux; qu' Oifmt4 eft mere de tous vices; & vous aimerez, fans doute^ leur maniere de perfuadcr qu' il faut etre toujours fur fes gardes: vous voyez bien que je veux dire que Defiance eft mere de feureH* K Non de Finette. Hon /' Amour ne triomphe guires Que des cceurs qui n* ont point £ affaires. Vous, qui crargnez que d' un adroit vainqtteur Voire raifbn ne devienne la dupe, Bcautez, fi vous voulez c^nßrver vbtre coeur , IL faut qUe vbtre efprit s* occupe. hiais^ fi malgri vos fiins, vbtre fort efl d"1aimer Gardez du moins de vous Uijfer sharmer Sans connoi'tre Velui que vbtre cceur veutß donner poüf mäitrh Craignez les Blondins doucereux öfi fatiguent les RueUest Et ne facbxrit que dire aux Seiles Soüpirent fans Hre amoureux. DSßiZ-Vütis des Conteurs de ßeurettes , Connoifßz bien le fond de leurs efprit s g Aupres de tout es Us Iris Us debit ent mille for nett es. JDefiez-voüs enfin de ces briifques Äma'ns Qui fe difent en feu des les premiers momens 5 Et jurent une vive fiame ; Moquez vous de ces vains ßrmens l Pour bien affujeitir une ami tl fatit qu' il en coüte du temp's, Gardez qtt u/i peti de complaifmce JV> d&farmcz trop tot vbtre äußere fierU i j)e vbtre juße dißance. Biptnd vbtre reptf & vbtre furtth 6§ Les Ävantures Mais je n'y fonge pas, Madame! J'ay fait des Vers! Au lieu de nV en tenir au goüt de Monfieur Jourdain* j'ai rime fur le ton de Quinaut! Te re-prens le tour fimple au plus vite, de peur d*avoir part aux vieilles naines qu' on cut pour cet agreable Moralifeur, & de peur qu'on ne m'accufe de le piller & de le mettre en pieces, comme tant d'Au-teurs impitoyables font tous les jours. Du temps des premieres Croifades, un Pvoi de je ne fai quel Royaumc de YEurope, fe refolutd*aller faire la guerre aux Infideles dans la Palestine. Avant que d'entreprendre un fi long Voyage, ilmit un fi bon ordre aux affaires de fon Royaume, & il en confia la Pvegence ä un Miniilre ii habile, qiY il fut en repos de ce cote-la. Ce qui inquietoit le plus Prince, ' c' etoit le foin de fa famille. II avoit perdu la Reine fon Epoufe depuis affez peu de temps: eile ne lui avoit point laiffe de Iiis; mais il fe vo'ioit pere de trois jeuncs Princeffes ä marier. Ma Cronique ne m' a point apris leur veritable nom: je fai feulement que comme en ces temps heu-reux la fimplicitd des Peuples donnoit fans fa^on des furnoms aux perfonnes eminentes, fuivantleurs bonnes qualitez, ouleurs defauts, on avoit furiiom-me Painee de ces Princeffes, Nonchalante, ce qui fignifie Indolente en ftile morderne; la feconde, 3abillaxde, x& la troifi^me, Finette, noms qui avoient tous un julle raport aux caratteres de ces trois Sceurs. Jamais on n'a rien vu de fi indolent qu' etoit Nonchalante. Tous les jours elle n'etoitpas£veill£e ä une heure apres midi i on la trainoit ä V Eglife telle qu'elle fortoit de fon lit: fa coiffure en defordre, la robe detacher, point de ceinture; & fouvent une^ mule d'une fac,on & une de Yautre. On corri-geoit cette difference durant la jounce: mais on ne — t_ de Finette. ' 69 ne pouvoit refoudre cette Prjncefle äetre jamais au-trement qu' en mules: eile trouvoitune fatigue infu-portable ä mettre des fouliers, Quand Nonchalante, avoit dine, eile fe mettoit ä faToilette, oü eile etoit jufcm'au foir: eile emploi'oit le refte de fon temps, jufqu'a minuit, ä joüer, & ä fouper: en-fuite on etoit prefque auffi long-temps ä la desha-biller qu'on avoit ete ä Thabiller, eile ne pouvoit jamais parvenir ä fe coucher qu'au grand jour. Babillarde menoit une autre forte de^vie, cette Princeffe etoit fort vive, & n'employoit que peu de temps pour fa perfonne: mais eile avoit une en-vie de parier fi'etrange, que depuis gif eile etoit eveillee jufqu'ä ce qu'elle fut endormie la bouche ne lui fermoit pas. Elle fcavoit 1' Hiftoire des mau-vais menages, des Haifons tendres, des galanteries, non feulcment de tonte la Cour, mais des plus pe-tits Bourgeois. Elle tenoit regiftrede toutes les femmes qui exer^oient certaincs rapines dans leur domeftique pour iVdonner une parure plus eklatante, & etoit informee precifement de ce que gagnoit la Suivante de la Comteffe une teile & le Maitrc d* Hotel du Marquis un tel. Pour etre inftruite de toutes ces petites chofes, eile ecoutoit fa Nourrice & fa Couturiere avec plus de plaifir qu' eile n'auroit fait un Ambaffadeur; & enfuite eile etourdiffoit de ces belles Hiitoires depuis le Roi jufqu'a fes Valets de pied : car pour vu qu'elle paiiät eile ne fe fou-cioit pas a qui. La demangeaifonde parier produi-fit encore un autrc-mauvais effet chez cette Princefc fe*. Malgre fon grand rang, fes airs trop familiers donnerent la hardieffe aux Blondins. de la Cour de lui debiter des douceurs, Elle ecouta leurs ileuret-tes fans facjon, pour avoit le plaifir de leur repon-dre/ car a quelque prix que ce flit, il falloit que du matin au foir elle ecoutat ou caquetat; Babillarde, non plus que Nonchalante, nes*accupo.it ja> E 3 mais fo Les Avantures mai$ ni a penferx ni a faire aucune reflexion ^ ni a lire; elle s-embaraffoit auffi peu d'aucun foin do-meftique ni des amufemens que produit 1'aiguille & le fufeau. Enfin ces deux fceurs dans une eter-nelle oifivete, ne faifoient jamais agir ni leur efprit ni leur main. La foeur cadette de ces deux PrincerTes etoit d'un carattere bien different, Eiie agiffrit inceffam-ment de fefprit & de fa perfonne: elle avoit une vivacite furprenante, elle s'ayjliquoit a en faire un bon ufage. Elle favoit parfaitemeflt bien danfer, chanter, jouer des Inftrumens; reiiiiTifibit avecune adreffe admirable a tout les petits travaux de la main, qui amufoient d ordinaire les perfonnes de fon fexe: mettoit 1 ordre & la regie dans la Maifon du Roi, & empechoit par fes foins les pilleries des petits Officiers: car des ce terns-la ils fe meloient de voler les Princes. Ses talens ne fe bournotent pas 3a* elle avoit beau coup de jugement & une prefence d*efprit fi merveilleufe, qu'elle trouvoit fur les champ des moyens pour fortir- de toutes fortes d'affaires. Cet-te jeune Princeffe avoit decouvert par fa penetration, uu piege dangereux qu'un Ambaffadeur de mauvaife foi avoit rendu au Roi fon Pere dans un Traite, que ce Prince etoit tout pret de figner. Pour punir la perfidie de cet Ambaifadeur & de fon Maitre, le Roi changea Particle du Traite, & en le mertant dans. les. term.es que lui avoit infpire fa fille, il trompa a fon tour le trompeur me me. La jeune Princeffe decouvrit encore un tour de fourbe^ rie qu'un Ntiniftre vouloit joiier au Roi, & par1q confer quelle donna a fon pere, il fit retomber rinudelite de cei homme-la-fur luirmeme- La Princeffe donna enplufieurs autres occafions des marques de fa penetration. & de fa fineffe d'efprit; elle en donna ' de Finette* ,*rf donna tant que le Peuple lui donna le furnom de Finette. Le Roi l'aimoit beaucoup plus que fes autres filles, & il faifoit un fi grand fonds fur fori bon fens; que s'il n'avoit point eu d'autre enfant qu1 elle, il feroit parti-fans inquietude: mais ilfe defioit autant de la conduite de fes autres filles, qu'il fe repofoit fur celle de Fiaette. Ainfi pour etre fur des demarches de fa famille, eomme il fe croioit fur de celle de fes Sujets, il prit les mefu-res que je vais dire, Vous, qui etes fi favante dans toutes fortes d'an-tiquitez, je ne doute pas, ComtefTe charmante, que vousn'ayez cent fois entendu parler du mer-veilleux pouvoir des Fees. Le Roi dont je vous parle etant ami intime d'uile de ces habiles femmes, alia trouver cettc amie: II lui reprefenta V inquietude ou il etoit touchant fes filles. Ce n> eft pas, lui dit ce Prince, que les deux ainees, dontjem'in-quiete; a'ient jamais fait la moindre chofe contrc leur devoir: mais elles ont fi peu d'efprit, ellesfont fi impruderites & vivent dans une fi grande defoc-, cupation, que je crains que pendant mon abfence elles n'aillent s'embaraffer dans quelque folle intrigue pour trouver de quoi s'amufer. " Pour Finette, je fuis feur de fa vertu: cependant je la traiterai comme les autres, pour faire tout egal; c' eft pour-quoi, fage Fee, je vous prie de me fairetroisQue-nouilles de verre pour mes filles, qui foient faites avec un tel art, que chaqne Quenouille ne manque, point de fe caffer, fi-tot que celle a qui die appar-tiendra, fera quelque chofe contre fa gloire^ Comme cette Fee etoit des plus habiles elle donna a ce Prince trois Quenouilles enchantees & & travaillees avec tous lesfoins neceffaires pour le deffein qu'il avoit: mais il ne fut pas content de cette precaution. II mena les Princeffes dans une E 4 Tour Les Amntiwes, Tour fort haute,, qui etoit batie dans up lien bies defert. Le Roi dit a fes filles qu'il leur ordonnoit; de fake leur d.emeu.re dans. cetteTour, pendant tout le.temps de ihn abfence, & qu'il leur defendoit d'y recevoir aueime perfonne-que ce fut. 11 leur 6ta tous leurs Offici.ers de Tun & 1'autre fexe* apres leur aYoir fait prefent des Quenouilles enchantees dont il leur expliqua \$s qualitez, il embraffa les Princeffes & fermrt les portes de la Toura dont if prlt lui-memeles clefs j puis il partita Vous allez peut-e.tre croirc^ Madame, que-eel Princeffes £ioient la en danger de mourir de faim; Point du tout,. On avoit; euA foint; d* attacher une Poulie a une des fenetres de la Tour • on y avoit. mis une corde a laquelle, les Princefles attachoieiit' Corbillon,, qu'ejles deXccndoient chaqu.e jpur», pans"ce Corbillon, on mettoit leurs provifions pout JajQurnee, & quan del les l'avqient remonte, elleS; ^etirpient ay eg: foin la. corde dans la chambre.. Nonchalante & Babillarde menoient dans cctte folitude une vie. qui jes deTefperoib elles s'ennu-loient a un point qu? on ne,fauroit exprimer; maisr il palloit prendre patience: car on leur avoit fait Iai Qjenotfille fi terrible, qu'elles craignoient que la xrioindre demarche un $>eu equivoque ne la. fut c„afferv pour pinette elle ne s^ennuioit point du, tout. Son fufeau, ion aiguille, & fes inftrumens de Mu-^ fique lui fourniffoieot des amufemens;- & outre ce-la, par l'ordre du Minirtre qui gouvernoit FEtats on mettoit dans le corbillon. des Princeffes, desleU tres qui les informoient de tout cq qui fe paffoit au cjelans & au dehors du Ro'iaume. Le Roi Vavoit fe'iiiis ainfi, & le Miniftre pour faire favCour aux; riilceffss ne man quoit pas d'etre exacl fine cet ar- ticle, de Finctte, 73 tide. Finette lifoit toutes nouvelles avec empref-fement & s'en divertifibit: Pour fes deux fceurs elles ne daignoient pas y prendre la moindre part: elles difoient qu'elles etoient trop chagrines pour avoir, la force de s'-amufer de Ii peu de chofes: il lein* falloit au mains des cartes pour fe deienmrfer pendant Pabfence de leur pere. | Elles paifoient done ainfi triftement leur vie en murmurant eontre leur deftin, & je crois qu'elles ne manquerent pas de.dire, qtfilvaut wieux etre m heureux, que d' etre ne fils de Roi: Elles etoieht fouvent aux fenetres de leur Tour, pour voir du moins ce qui fepafTeroit dans la Campagne. ,. Un jour, com-rne Finette etoit fort occüp^e dans fa chambre ä quel que Joli ouvrage, fes fceurs qui itoient ä la fe-netre, virent au pied de leur Tour une paiivrefem-me vetue de haillons dechirez, qui leur crioitfa mifere fort pathetiquement Elle les prioit a mains jointes de la laifler entrer dans leur Chateau, leur repröfentant qu'elle ctoit une malheureufe Etran-gere qui favoit mille fortes de chofes, ck qu'elle leur rendroit fervice avec la plus,exaöe fidelity. PVabord les Princeffes fe fouvinrsnt de V ordre qu' avoit donne le Roi leur pere, de ne laiffer entrer perfonne dans la Tour: mais Nonchalante ctoit.fi laße de fe fervir elle-meme, &: Babillarde fi ennui'ee de n'avoir que fes foeurs ä qui parier, que T envie qu'eut 1'autre d| avoir une perfonne de fer entrer la pauvre Etrangere. Perifez-vous? dit Babillarde ä fa feeur que la defence du Roi s'etendc fur des gens com me cette jnälheureufe? Je croi qiie nous la pouvons receyoir fans coniequence? Voüs ferez ce qu'il vous plaira, rna feeur, repondit Nonchalante, Babillarde qui n' attendoit que ce confentement, defeendit autiU ES tot \ 74 Juts Avantures tôt lc Corbillon: La pauvre femmefe mit dedans, & les Priŕiceffes la montérent avec les fecours de la Poulie. Quand cette femme fut devant leurs yeux, Y horrible mal propreté de les habits les dégoúta; Elles voulurent lui en donner ďautres; mais eile leur dit qu'elle en changeroit le lendemain, & que 'pour ľheurequ'il étoit, eile aľloit fonger ä les ier-vir. Comme eile achevoiť de parier, Finettc re-yint de fa chambre: cette Princeffe fut étrangement iurprife de voir cette inconnue ävec fes foeurs: Elles lui dirent pour quelles raiíbns elles.ľavoient fait montér j . &. Finette qui vit que c'étoit une chofe faite, diffímula le chagrin qu'elle éut de cette imprudence. -■<•••) . r ■ rfju • i >: 3i> m » ü i ■ T*' ■" Cependant la noiivelje Ofíiciére des Princeffes fit cent toursdans le Chateau íbus prétexte de leur fervice; mais en effet pour obferyer la difpofition du dedans; Car, Madame, je ne fai fi vous nevous en doutez point "deja: niais cette gueufe prétendue-étoit .aufíi darígereufe dans le Chateau, que le fut le Comte Of y dans le Convent ou il entra déguife cn Abeffe fugitive. Pour ne vous pas tenir davaiítage en fufpens, je vous diraique cette creature couverte dehaillons, étoit le fils aíné dim Hoi puiffant, voifin du pere des Princeffes. Ce jeune Prince, qui étoit un des plus artificieux efprits de fon temps, gouvernoit entiérement le Pvoi fon pere; & il n'avoit pas be-. foin de beaucoup de finefíe pour cela:, car ce Pvoi étoit ďún caračtére fi doux & fi facile, qiťonlui en avoit donne le furnom de Moult-benin.^ ' Pour le jeune Prince, comme il n' agiffoit que par artifices & par détours,les Peuples ľavoicntíurnommé Riehe- < fä-cautelle, & pour abreger, Oll difoit Riehe-cautelle. tle Finette, 75 II avoit ún frere cadet, qui étoit aufíi rempli de belles qualitez, que Ton aíné V étoit de défauts>; ce^ pendant malgréJa difference ďhumeurs, on yoioit entre ces deuxfreres une union i) parfaite que tout le monde en étoit iurpris, Outre les bonnes qualitez de Tame qu1 avoit-le Prince cadet; la beauté de fon vifage & la grace de fa perfonne eroicnt íi re-marquables qu'elles 1' avoient fait nommer Bd-A-yoir. C étoit le Prince liicbe-cautcíe qui avoit inlp.iré á ¥ Ainbaffadeur du Roi foir pere, ce trait de iřiauvai-fe foi que Padreífe de Finette avoit fait retomber fur eux, ítiche-cautelle,'qui iV aimoit déja gnéreš le Pvoi pere des Princeffes, avoit achevé'par la de le prendre en averfion : ainfi qttand il fút les pré> cautions que ce Prince avoiť pris a T égard de Tes filles, il fe fitun pernicieux plaifir de tromper la prudence d'un pere ii foupe,onneux, Pviche-cau telle obtint permiffion du Roi fon pere ďaíler faire yoíage fous des prétextes qiťil invents, & il prit des melures^ qui le firent parvenir á entrer dans la Tour des Princeffes comme vous avez vív; En examinant le Chateau ce Prince remarqua qu'il étoit facile aux PrinceíTes de fe faire entendre des paffans, & il en conclut qu'il devoit refter dans fon déguifement pendant tout íe jour; parce qiť elles pourroient bien, Ti elles s*cn aviíbient, appellor du monde & le faire punir de fon ěnťrepriíV té-méraire. II conferva done 'ionte la jourr.ee les habits & le períbnnage d*une gueufe de profeííion; & le foir, lors que les trois íbeurs eurent foupé, Pviché-cautelle jetta les haillo'ns qui le cptfvroient & laiffa voir des habits de Cavaliers touš couverts ď or & de pierreries. Les pauvres Princeffes furent fi épouyentées de cette \úe, que ,toutesTe mirent a fuir avec precipitation Finette & Babillarde qui etoient agiles, eurent bien-tót gagne leur chaiíibre: mais 76 Les Ävantures mais Nonchalante qui avoit ä peine l'ufage de marcher,, fut en un inftant atteinte par le Prince., Audi tot il fe jetta a fes pieds, lui declara qui il etoit, & lui dit que la reputation de fa beaute §i fes Portraits l'avojent engage ä quitter une Cour delicieufe pour lui venir offrir fes voeux & fa foi. Nonchalante fut d'abord fi eperdue, qu' eile ne pouvoit reporidre au Prince, qui etoit toujours ä fes genoux: mais comme en lui difant mille douceurs & lui faifant mille proteftations, il la conju-roit a.vec ardeur de le recevoir pour Epoux des ce moment-la meine; fa molcffe naturelle ne luilaik fant pas la force de difputer , eile dit nonchalam-ment ä jrViehe-cautelle qu' eile le croyoit fmcere & qu' eile acceptplt fa foi. Elle n* obferva pas de plus grande formalitez que celles-la dans la conclufion de ce mariage; mais auffi elle en perdit fa Quenoiiille; eile fe bnfa en mille niorceaux, Cependant. Babillarde & Finette etoient. dans des inquietudes' etranges. Elles avoient gagne fepare-jnent lcurs chambres, & elles s'y etoient enfer-mees: Ces chambres etoient affcz eloig-necs Tune del*autre, & comme ehacune de ces Princeffes ig-noroit enüerement le deltin de fes foeurs, elles pa£ ferent la.nuit fans fermer 1* peil. Le lendemain le pernicieux Prince mena Nonchalante dans un ap* partcmenXbas qui etoit au bout du Jardin: & la cette Princeffc temoigna ä Pviche-cautelle. Y inquietude oü eile etoit de fes fceurs, queiqu' elle n' ofat fe prefenter, devant elles, dans la crainte qu'elles ne blamaffent fort fon mariage. Le Prince lui dit quMl fe chargeoit de le leur faire aprouver; & apres quelques d.ifcours il fortit, . & enferma Nonchalante fans, qu'elle.s'en aperlitt: enfuite il fe mit a chercher les Princeffes avec foin. 11 fut quelque tejrips fans pouvoir decöüvrir dans quelles chambres elles v de Fhettč. 77 dies étoient enfermées: Enfin Tenvie qu'avoit Ba-billarde de toujours parier, étant cauie que cette Priíícefíeparloít toute feule en feplaignant; lePrince I' aprocha de la porte de fa chambre & la vit par le trou de la ferrüre. Riche-cautelle lni parla au travers de la porte, & lui dk, cornme il avoít dít a fa fceur, cjue ďé-toit pour lui oíFrir fon cceur & fa foi, qiťil avoit fait T entreprife ď enťrer dans la Tour: II loüoit avec exagération fa beauté & fon efprit; & Babillarde qui étoit trés perfuadée qu'elle poffedoit un méríte extréme futaffez folie pourcroire ce que le Prince lui diíbit: eile lui répondit un fiux de paroles qui n' é-toient pas trop defobligeantes« II falloit que cette Princeffe eút une étrange fureur de parier pour s*en aqnitter comme eile faifoit dans ces momens; car eile étoit dans un abattement terrible ; outre qu'elle n' avoit rien mangé de Ja journée par la raifon qu' il n' y avoit rien dans fa chambre propre á manger. Comme ellc étoit ďnne pareffe extréme & qu'elle ne fongeoit jamais i rien qiť á toujours par-^ ler, eile n' avoit pas la moindre prévoyance: quand eile avoit beibin de quelque chofe, eile avoit re-cours á Finette; & cette aimable Princeífé qui étoit aulfi laborieufe & prévoyante que fes fcetirs Tétoient peu, avoit toujours dans fa chambre une infinite de Maffepains, de Pátes, & de Confitures feches fy liquides, cjii'eile avoit fait eile méme. Babillarde done qui n* avoit pas un pareil avantage, fe fentailt preffée par la taim & par les tendres prote-ílations que lui faiíbit le Prince au travers de la porte, Pouvrit enfin á ce fédu&eur, & quand eile eút ouvert, il fit encore parfaitement le Comedien auprés ďelle: il avoit bien étudié fon řolle. i Enfuite ils fortirent tons deux de cette chambre! & s*en allerent al'Office du Chateau, oüjils trou- rérent / j% Les Avantures vereiit toutes fortes de rafraiehiüemens: car le Cor-billon en fournifToit toujour* les Princefles d'avan-cc. Babillarde contiiiuoit d'abord ä etre en peine dece qu'etoient de venu es fes foeuirs; mais eile s'al-la mettre dans Pefprit, fur je ne fai quel fmde-ment, qu'elles öroient fans doute toutes äeux.eit-fermees dans la chambre de Finette, oü elles ne manquoient de rien. Riche-cautelle fit toils fes efforts pour la confirrner dans cette penlee, & luidit qu'üs iroient trouver ces Priuceffes vers le io\t4 Ellene fut pas de cet avis, eile repondit qu'il fal-Ioit aller les chercher quand ils auroient mangel Enfin le Prince & la Princeffe mangererit en-femblc de fort; bon ascörd; & apres qu* ils eitrent acheve^ Riche-cauteile demanda ä allet Voir le bei apartement du Chateau: II doiina lä main ä la Princeffe; qui le mena dans ce lieu; & quand i? y fut $ il recömmenca ä exagerer lä tendfeffe qu'il avoit poür eile &les avantagcs qü'elle trouveroit en l'e-poufant: 11 luidit, comme-il ävoit dit ä Nonchalante, qu' eile devoit accepter fa foi aü moment meine; parce que ficelle alloit trouver fes fceiirs $ a-vant qiie de I'avoir rCQii poür Epoux^ elles lleman-quetöient pas de s'y^oppofcr: puifqu* etant fans contredit le plus puiuant Prince voifm^ il paroii-foit plus vrai-femblablement ua Parti poür l'ain^e que pour eile: qu* ainfi cette Princeffe ne confen-tirolt jamais ä une Union qii' il fouhaitoit avec tou-tePardeur imaginable. Babillarde, apres bierideS difcours qui ne fi|nifioient rieii, fut aitffi extravagante qu* avoit ete fa foeur: eile accepta le Prince pour Epoux^ & ne fe fou /int des effets de fa Que^ noüille de verre^ gü' apres qUe cette Quenoüille fut caffee en cent pieces. Vers le foir Babillarde retoürna dans fa criäitt-bre avec le Prince 3 & la premiere chofe qüe Vit Cette de Finette. 79 eette Princeffe, ce fut fa Quenoüille de verre en morceaux: Elle fe troubla ä ce fpeöacle: le Prince lui demanda 1c fujet de ion trouble: Com me la rage de parier la rendoit incapable de rien taire, eile, dit Ibttement ä Riebe - cautelle le miftcre. des Que-noirilles; & ce Prince.eut une joyede fcelerat, de ce que le Pere des Princeffes feroit par lä enti-erement convaineu de la mauvaife conduite de fes fill es* Cependant Babillarde n* etoit plus en liumeur d'aller chercher fes feeurs; eile craignoit avec rai-fon qu' elles ne puflbnt aprouver fa conduite: mais le Prince s'offrit de les aller trouver, & dit, qu' il he manqueroit pas de moyens pour les perfuader de Vaprouver: Apres cette affurance, la Princeffe qui n' avoit point dormila nuit, s'affou-' pit> & pendant qu' eiledormoit Riche-cautelle Pen-fermä ä la clef, comme il avoit fait Nonchalante. N1eft-il pas vrai, belle Comteffe, que ce Riche-cautelle etoit un grand feel erat > & ces deux Princeffes de läches & irhprudentes perfohnes? Je fuis fort en colere contre tous ces gens-la, & jene doüte pas que vous if y foyez beaueoup aiiffi • mais ne vous inquietez point, il feront tous traiteZ comme ils meritent: II n'y aura que la fage & coura-geüfe Finette qui triomphera, Qüaild ce Prince perfide eüt enferme Babillarde, il alia dans toutes les chambres du Chateau les ünes apres les autres, & comme il les trouva toutes ou-Vertes, il conclut qu'une feule> qu'il voyoitfermöe i>ar dedans., 6toit affurement celle oü s'etoit retiree finette. Comme il avoit compofe" une Harangue circulaire , il s'en alia debiter ä la porte de Finette les memes ehofes qu'il avoit dit ä fes freürs: Mais cette Princeffe, qui 11'etoit pas une-dupe comme fes $ö Lis Avaniures fes ainees, Y ecouta long-tems lans lui ^epondfe *' Enfin voyant qn'il etoit eclairc! qu'eile 6toit dans cette chambre, eile lui eilt, que s* II etoit vraiqu*il eüt une tendreffo auffi forte & aufli fin cere pour eile qu il vouloit le lui^ perfuader; eile le prioitde defeendre dans le Jardin > & fe jetta fur le lit avec precipitation, & fa pefahteur ayant fait tout d'un coup rompre les petits batons, il tomba ait fond deTEgout, fans pouvoir fe retenir, en fe fai-fant vingt boffes a la tete, & en fe fracaffant de tous cotez. La chute du Prince fitun grand bruit dans le tuyau: d'ailleurs il n' etoit pas eloigne de la chambre de Finette; elle fut auffi-tot que fori artifice avoit eu tout le fucccs qu'elle s'etoit promis^ & elle en reffentit une joye fecrette qui lui fut ex-tremement agreable: On ne peut pas decrireleplal^ fir qu'elle eut de 1*entendre barboter dans l'Egout* II meritoit bien cette ^unition: & la Princcffe avoit raifon d' en etre fatisfaite, Mais fa joye ne 1'occupoit pas fi fort qif elle lie i>enfat plus a fes foeurs. Son premier foin fut de es chercher. II lui fut facile de trouver Babillar-de: lviche-cautelle apres avoir enferme cette Prin-ceffe a double tour, avoit laiffe la clef a fa chambre: Finette entra dans cette chambre avec empref-fement, & le bruit qu'elle fit reveilla fa foeur en fuffaut. Elle fut bien confute en ?a voyant: Finette lui raconta de quelle maniere elle s'etoit defaite du Prince fourbe qui etoit venu pour les outrager. Babillardefut frapee de cette nouvelle comme d'un coup de foudre: car malgre fon caqu£t elle etoit fi peu eclairee qu' elle avoit cru ridiculement, tout ce que Pviehe-cautelle lui avoit dit. II y a encore des dupes comme celle-la au monde. Cette Princeffe dilumulant .1' exces defa douleur fortit de fa chambre pour aller avec Finette chercher Nonchalante: •• • Eiles de .tinette. $3 Elles paŕcouruŕent toutes les chambres du Chateau fans'trouver leur fceur: enfin Finette s'avifa qu' eile pouvoit bien étre dans ľ aparrernent du Jardin: EU les ľ y'trouvérent en efľet demi-morte de deíeípoir & de fôiblelľe; car eile n7 avoit pri s aucune nourri-ture de la journée. Les Princeíľe lui donnérent tous les fécoUrs néčeíľaires; enfuite clles firent en-femble des éclair,-i ffemens qui mirent Nonchalante & Babillarde dans une douleur mortelle: puis toutes trois s' allérent repoier, Cepeiidant Pviche-caUtelle paíľa la nuit fort mal á fon aife> & qualid le jour fut venu, il ne rut gué-res mieux. Ce Prince fe trouvoit dans des Caver-iies dont il ne pouvoit pas voir toute ľhorreur, par-ce que letjour n'y donnoiť jamais:. Néanmoíns á force de fe tourmenter, il trouva ľiffue de ľEgout, qui donnoit dans une RivLre afíez élotgnée du Chateau. 11 trouva moíen de fe faire entendre ä des gens qui péchoiertt dans'čette Riviére », dont ilfut tiré dans un etat, qui fit companion ä ces bonnes gens* II fe fit tranfportcr á la Cour du Roi fon pere pour fe guérir ä loiiir, & la difgrace qui lui étoit arrivée lui fit prendre une fi fone haine contre Finette, qu'il fongea moins á fe guérir qu'ä fe veil* ger d* eile. .... .' Cette Princcíľe paíloit des mom en š trifles; ja gloire Uli étoit mill.é föi.s plus chére que la vie, & la honten fe foibleffe de fes lbeuts la mettoit dans un defefpoir dont eile avoit peine á íe ŕendre maítreffe» Cepeiidant la maUVaife fante de ccs cíeux Princef-fes, qui étoit cauíee par les fuites de leurs maria* ges'indigrtes, mit encore la eonílancé de Finette á ľ épteuve. Ŕiche-čauielie, qui étoit deja un habile--fourbe , rapella tout fön eiprit depüis fon, avantu-re pour devenir fourbiííime I Ľ Egout, ni les con- .F 2 tuiU §4 Les Avantures tufions, ne lui donnoient pas tant de chagrin, que le depit d' avoir trouve quelqu'un plus fin que lui. 11 fe douta des fuites de fes deux manages; & pour tenter les Princefies malades, il fit porter (bus les fenetres de leur Chateau des grand es caiffes rem-plies d' arbres tous chargez de beaux fruits. Nonchalante & Babillarde qui etoient fouvent aux fenetres , ne manquerent pas de voir ces fruits: auili-tot il leur prit une envie violente d' en manger, & elles perfecuterent Finette de defcendre dans le Cor-billon pour en aller cuetllir. La complaifance de cette Princefie fut affez grande pour vouloir bien contenter fes foeurs: elle defcendit & leur raporta de ces beaux fruits, qu'elles mangerent avec la der-niere avidite. Le lendemain il parut des fruits d'une autre efpece. Nouvelle envie des Princeffes: nouvelle complaifance de Finette : mais des Ofnciers de Ri-che-cautelle cachez,& qui avoient manque leur coup la premiere fois, nele manquerent pas celle ci: lis fe faifirent de Finette & 1'emmenerent aux yeux de fes foeurs qui s'arrachoient les cheveux de de-fefpoir. i 1 Les Satellites de Riehe - cautelle firent fi bien qu'ils menerent Finette dans une maifön de Campagne oil etoit le Prince pour achever de fe remettre en fante. Comme il etoit tranfporte de fureur con-tre cette Princefie, il lui dit cent chofes brutales, a quoi eile repondit toujours avec une fermete & une grandeur d'ame digne d'une heroine comme el-le etoit.^ Enfin apres 1* avoir gardee quelques jours prifonniere, ilia fitconduire au fommet d'une mon-tagne extremement haute, & il y arriva lui-meme un moment apres elle. Dans ce lieu il lui annon^a qu on F ailoit faire mourir d'une maniere cjui leveh-geroit des tu\urs.qu' elle lui avoit fait; 'Enfuifce ce peril. \ cle Finette, 35 perfide Prince montra barbarement á Finette un íonneau tout herilTé par dedans decanifs, de ra-foirs & de clous á crochet, & lui dit que pour la punir cornme ellc le méritoit on Failoit letter dans ce Tonneau; puis le rouler du haut de la montag-ne en bas. Quoi que Finette ne fut par Romaine, elle lie tut pas plus effra'iee du íuplice qiťon lui préparoit, queRegulusl'avoit été autrefois á la vůě d'un deftin pareil: Cette jeune Princeffe conferva toute fa fermeté & méme toute fa préfence ď efprit. Pviche-cauteile au lieu ď admirer fon caraclére he-ro'ique, en prit une nouvellerage contre elle & fon-gea á háter fa mort. Dans cette vůě il febaiffavers P entrée du Tonneau, qui devoit étre 1' inftrument defa vengeance, pour examiner š'ilétoit bienfour-ni de toutés fes armes meurtriéres. Finette qui vit fon perfecuteur attentif á regarder, he perdit point de temps; elle le jetta habilement dans le Tonneau, & elle le fit rouler du haut de la montagne en bas j fans donner au Prince le temps de fe reconnoitre. Aprés ce coup elle prit la fuite, & les Officiers du Prince, qui avoient vú avec une extréme douleur-la maniére cruelle dont leur Maitre vouloit trai-ter cette aimable Princeffe, n'eurent garde de cou-rir aprés elle pour 1'arréter. D' ailleiirs ils étoient fi eiFraiez de ce qui venoit cfarriver á Riche-cauteU le: qu ils ne purent longer á autre chofe qu'ata-cher ďarréter le Tonneau qui rouloit avec violence: mais leurs foins furent inutiles : il roula juf-quau bas de la montagne, & ils en tirérent leur Prince convert de mille plaies. L' accident de Riche-cautelle mit au defefpoir le Pvoi iVloult-benin & le Prince Bel-á-voir. Pour les Peuples de leurs Etats, ils n' en furent point tou-chez: Riche-cautelle en étoit trés-hai; & mémefon s'étonnoit de ce que le jeune Prince qui avoit des fenthnens fi nobles & fi généreux, put tant aimer F 3 cct gg Les Jvantures cet indignc ainej Mais tel etoit le bon naturel d§ Bel-a-voir qu'il s'attachoit fortemcnt a tons ceux de lbn fang; & Rich e-cau telle avoit toujour* en l'a-. drefie de mi temoigner tant d' amkie, que ce gene-reux Prince n' auroit jamais pü fe pardonner de n'y pas röpondfeavecvivacire. " Bel-a-voir eut done line douleur violente des blefiüres de fonfrere, & Ii mit tout en ufage pour tacher de les gu'erir prompt tement: cependant malgre les foins empreffez que tout le monde en prit, rien ne foulageoit Riche-cautelle: au contraire fes pla'ies femblofent toujours' s* envenimer de plus en plus & le faire fouftrir long-temps, Finette, apres s etre degag^ee de PefFroiable dan« ger qu' eile avoit couru ; avoit encore regagne heu-reufement le Chateau oü eile avoit laiffe les foeurs, & elle n'y fut pas long-temps fans; etre livr.ee a de noUveaux chagrins. Les deux Princeffes mirent au jnonde chacune un fils, dont Finette fe trouva fort embarafTce, Cependant le courage de cette jeuries Princeffe ne s'abattit point: l'envie cju'elle cut de cacher la honte de fes foeurs la fit reioudre ä s'ex-poier encore unefois, quoi qu'elle en vit bien le. peril. Elle prit pour faire reüfiir le deffein qu'elle avoit, toutes les mefures que la prudence pent in-ipirer: elle fe deguifa en homme: enferma les en-fans de fes foeurs dans des Boetes, & eile y fit des fjetits trous vis-a-vis la bouche de ces enfans pour eur laiffer la refpiration: elle prit un cheval: em-porta ces Boetes & quelques autres: & dans cec e-. quipsge elle arriva ä la Ville capitale du Roi Moult-, penin, ou etoit Pviche-cautelle, Quand Finette fut dans cette Ville, elleaprit que la maniere magnifique dont le Prince Bel-a-voir recqmpenfoit les remedes qu'on donnoit ä fon frere avoit attire a la Cour ious les Charlatans de l'Euro* de Finette. 87 pe: Car des cc temps-la il yavoitquantited'avantu-riers fans emploi, fans talent, qui fe donnoient pour des hommes admirables, qui avoient recu des dons du Ciel pour gnerir toutes fortes de maux. Ces gens, dont la feule fcience etoit de fourber hardi-ment, trouvoient toujours beaucoup de cro'iance parmi les peuples: lis fcavoient leur impofer par leur exterieur extraordinaire, & par les noms bizar-res qu'ils prenoient. Ces fortes de Medecins ne re-ftent jamais dans le lieu de leur naiffance, & la prerogative de venir de loin, fouvent leur tient lieu de merite chcz le vulgaire, » L'ingenieufe Princeffe, bien informee de tout cela, fe donna un nom parfaitement etranger pour ce Roiaume-la: ce nom etoit Sanatio; Puis elle fit annoncer de tous cotez que le Chevalier Sanatio e-toit arrive avec des fecrets meryeilleux pour guerir toutes fortes de bleffures les plus dangereufes &les plus envenimees. Aufli-tot Bel-a-voirenvoia querirle pretendu Chevalier. Finette vint: fit le Medecin empirique le micux du moncle: debita cinq ou fix mots de 1* art d'un air Cavalier; rien n' y manquoit. Cette Princeffe fut furprife de la bonne mine & des manieres agrcables de Bel-a-voir, & apres avoir raifonne quelque temps avec ce Prince au fujet des bleffures de Richecautelle, elle dit qu'elle alloit querir une bouteille d'une eau incomparable9 &ce-pendant elle laiffoit deux Boites qu elle avoit apor-tees, qui contenoient les onguents excellens, pro-pres au Prince bleffe. La-deffus le pretendu Medecin fortit; il ne re-venoit point: Ton s'impatientoit beaucoup de le voir tant tarder. Enfin, comme on alloit envoYer le prefler de revenir, on entendit des cris de petits ehfans dans la chambrc de Pvichc cautelle. Cela fur-prit tout le monde, car il ne paroiffoit point d'en- F 4 fans: 88 Les Avantures fans: Quelqirun preta loreille, & on.decouvrit que ces cris venoient des boetes de 1* Empirique. Cetoit en effct les ncveux de Finette. Cette Princeffe leur avoit fait prendre beaucoup de nour-riture avant que de venir au Pahis: rnajs comme il y avoit deja long-temps, ils en fouhaitoient de nou-velle, & ils expliquoient leurs befoins en chantant fur un ton dolent.. On ouvrit le boetes& Y on fat fort furpris d' y voir bien effe&ivernent deux Marmots qipon trou.va fort jolis. Riche-cautelle fe douta aitffi-tot que c' etoit encore un nouveau tour de Finette: il en concut une fureur qifon ne peut pas dire, & fes maux en augmenterent a un tei point, qu' on vitbien qu* ilfalloit qu' il en mourut. Bel-avoir en fut penetrc dedouleur, & Riche-cautelle, perfidc jufqu'a fan dernier moment, fon-gea a abufer de la tendreffe de ion frere. Vous m avez toujours aime:, Prince, lui dit-il& vous. pleurez ma perte. Je n1 ai plus befoin des preuves de votre ami tie par raport a la vie. Je meum imais li je vous ai etc veritablement cher, promet-tez-moi de m'accorder la priere que je vais vous faire. Bcl-a-voir qui dans l'etat ou il votoit: fon frere fe fentoit incapable de lui rien refufer, lui pro-mit avec les plus terribles fermens de lui acsorder tout ce qu'it lui demandoit. AurTi-tot. que Riche-cautelle eut entendu cesfermens, il dit a foil frere cn 1 embraffant: jemeurs conlMe, Prince, puifque je ferai vange; Car la priere que j'ai a vous faire, c'eft de demander Finette en mariage auffi-tot que je ferai mort: vous obtiendrez fans dome cette ma-ligne Princeffe, & des qu'elle jera en votre pou7 voir, vous lui plongerez un poignard dans le fein. Bel-a-voir frcm.it d*horreur a ces mots: il fe rcpen- tit J de Finette. 89 tit de P imprudence de fes fermens: mais il n' etoit plus temps de ie dedire, & il ne voüliit rien te-moigner de fon repentir a ibn frere; qui expira peu de temps apres. Le Roi Moult-benin eneutune fenfible douleur : Pour ibn peuple, loin de regret-1 ter Iliche-cautelle, il fut ravi qae ia mort aflurät la fucceffion du Pvoiaurae ä Bel-a voir, dont ie merite etoit cheri de tont le monde. Finette qui etoit encore une fois heureufement retournec apres de fes ibeurs, aprit bien-töt la mort de Pviche-cautelle, & peu de temps apres on annon^a mix trois Princelles le retour du Pvoi leur pere. Ce Prince vint avec emprefieraent dans leur Tour, & ibn premier ibin fut de demander ä voir les Que-noüilles de verre. Nonchalante alia querirla Que** noüille de Finette, la montra au Roi; puis ay ant fait une profonde reverence, elle reporta la Que-noüille oü eile l'avoit prife. Babillarde fit le meine manege, & Finette ä fon tour aporta fa Que-noüille: Mais le Pvoi, qui etoit foupconneux, vou-lut voir les trois Quenoüilles.ä la fois: il n'yeut que Finette qui put montrer la fienne, & le Roi entra dans une telle fureur centre fes deux filles ai-nees, qu' il les envoia ä Pheure meme a la Fee qui ]ui avoit donne les Quenoüiiles, en la priant de les garder toute leur vie aupres d' eile & de les punir comme elle le meritoient. Pour commencer la punition des Princeffes, la Fee les mena dans une galerie de fon Chateau en. chante, oü elle avoit fait peindre FHifloirc d'un nombre intini de femmes illuitres, qui s' etoient ren-dues celebres par leurs vertus & par leur vie labq-rieufe. Par un effet merveilleux de Part de Fcerre toutes ces figures avoient du mouvement & etoient en action depuis le matin jufqu*au, loir-: On vcyost de tous cötez des trophees & des de vifes a. la glflite, F s -de $0 Les Avantures de ces femrfles vertueufes; & ce ne fut pas une legere mortification pour les deux foeurs, de comparer le triomphe de ces heroines avec la fituation mé-prifable oü leur malheureufe imprudence les avoit réduites. Pour comble de chagrin, la Fée leur dit avec gravité ; Que íi elles s' étóicnť aufíi bien occu-pées que celieš dont elles voyoient les Tableaux, elles ne féroient pas tombées dans les indi'gnes éga-remens ou elles s* étoient perdues; mais que ľoifi-veté étoit mere de tons vices & la foírrce de tous íeurs malheurs, La^Fée ajoúta que pour les cmpčcher de retomber jamais dans des malheurs pareils, &. pour leur faire réparer le temps qiťelles avqient perdu, eile alloit les occuper ď une bonne maniere. En ef-fet, ell e obligea les Princeffes des' employer aux tra-vaux les plus gro fliers & les plus vils, & fans égard pour leur teint, eile les envoyoit cueillir des pois dans fes Jardins & en arraclier les mauvaifes herbes* Nonchalante ne pút réfifŕer au defefpoir qiťelle eut de mener une vie fi peu conforme á fes inclinations:■ eile mourut de chagrin & de fatigue. Babillarde qwi trouvamo'íen, quelque temps aprés, des'é-chaper la nuit du Chateau de la Fée, fe cafía la tete contre un arbre & mourut de cette bleffure entre les mains des Pa'ifans. Le bon naturel de Finette lui fit reffentir une douleur bien vive du dellin de fes foeurs: & au milieu de fes chagrins eile aprit que le Prince Bel-ä-voir ľ avoit fait demander en mariage au Roi fon pere, qui ľ avoit accorclée fans ľen avertir: car des ce temps-lá P inclination des parties étoit la moindre chofe que ľ on confideroit dans les manages. Finette trembla ä cette nouvelle: eile craignft avec raifon que la haine que Riehe-cautelle avoit pour eile n* eút pafľé dans le coeur ďun frerc dont il étoit ft chéri; & eile aprehenda que ce jeune Prince ne voulút ľépoufer pourla facrifier á fonfrere. Plei-. ne. • de Finette* 91 lie de cette inquietude, la Princeffe alia confulter la Tage Fee, qui Feftimoit autant qu' eile avoit me-prife Nonchalante & Babillarde, La Fee ne voulut rien reveler ä Finette: eile lux dit feulement: Princeffe, vous etes läge & pruden-te: vous n'avez pris jufqu'ici des mefures Ii juftes pour vötre conduite qu'eu vous mettant toüjours dailS 1efprit que defiance efl mere de feurete. CoutillUeZ de vous louvenir vivcment de V importance de cette maxime, & vous parviendrezä etre heureufe fans le fecours de monart, Finette n'ayant pü tirer d'autre, eclairciflement de la Fee, s.'en retourna au Palais dans une extreme agitation, * Quelques jours apres cette Princeffe fut epoufee par im Ambaffadeur au ncm du Prince Bel-a-voir: & on 1' emrnena trouver fön Epoux dans un equipage magnifique. Qn lui fit des entrees de meme dans les deux premieres Villcs frontieres du Roi Moult-benin; <& dans la troifi^me eile trouva Bel-ä-voir, qui etoit venu au devant d'elle par P ordre de fori Pere. vTout le monde etoit furpris de voir la trifleffe de ce jeune Prince auxaproches d'un manage qu' II avoit temoigne fouhaiter: le Roi meme lui en faifoit la guerre, & 1'avoit envoye malgre lui au devant de la>Prince{Te, Quand Bel-ä-voiria vit, il fut frape de fes char-mes: il lui en fit compliment; mais d'une maniere fi. confnfe que les deux Cours qui favoient combien ce Prince etoit fpirituel & galant, crurent qu'il en etoit fi vivcment touche, qu' ä force d' etre amou-reux il.perdoit fa prefence d'efprit, Toute la Vit-le retentiffoit de cris de joye, &. Von n'cntendoit de tous cötez que des Concerts & des Feux d artifice, Enfin apres un foupe magnifique, on fongea a mener les deux Epoux dans leur apartement. Finet- 92 Les Avantures Finette qui fe fouvenoit toujours de la maxime que la Fee lui avoit rennuvellee dans l'efprit, a-voit fon deffein en tete. Cette Princeffe avoit gag*-ne une de fes femmes, qui avoit la clef du Cabinet de Y apartemcnt qu' on lui deftinoit, & elle avoit donnc" ordre a cette femme de porter dans ce Cabinet, de la paille, uneveiiie, du fang de mouton, & lcs boyaux de guelques-uns des animaux qu' on avoit mangez au loupe. La Princeffe paffa dans ce Cabinet fous quel que pretexts & compofa une figure de paille, dans laquelle elle mit les boyaux & fa veffie pleine de fang: Enfuite elle ajufla cette fU fare en deshabille de femme & en bonnet de nuit. .orfque Finette cut acheve cette belle A'larionnet-te, elle alia rejoindre la compagnie, & peU de temps apres on conduifit la Princeffe & fon Epoux dans leur apartement. Quand on eut doune a la Toillette le temps qu'ils lui falloit donner, la Da-, me d'honneur emporta les flambeaux & fe retira. Auffi-tot Finette jetta la femme de paille dans le lit^ & fe cacha dans un coin de la chambre. Le Prince apres avoir foupire deux oil trois fois fort haut,- prit fon epee & la paffa au travers du corps de la pretcndue Finette: Au meme moment il fentit le fang ruiffeler de tous cotez, & trouva la femme de paille fans mouvement. Qu'ai-je fait!; s'ecria Bel-a-voir. Quoi! apres tant de cruelles a-gitations! Quoi! apres avoir tant balance ii je gar-derois mes fermens aux depens d'un crime, j'ai ote la vie a une charmante Princeffe que j' etois ne pour aimer! Ses charmes m'ont ravi des le moment que je 1'ai vue; cependant je n'ai pas eu la force de m'aifranchir d'un ferment qu'un frere poffede de fureur avoit exige de moi par une indigne furprifc! Ah! Ciel! peut-on fonger a vouloit punir une femme d'avoir trpp de vertu! Pie bien! Riehe-cautel-le j j' ai fatisfait ton injufte vengeance: mais je vajs, vanger de Finette. 93 vanger Finette jk fon tonr par ma mort. Oiii, belle Princeffe, il faut que de la meme epee,.». A ces mots Finette enteodit que ]e Prince, qui dans fon trarifport avoit lajffe tomber fon epee, la cher-choit pour fe la paffer au travers du corps: elle ne voulut pas qu'il fit une telle fottife: ainfi elle lui cria, Prince, jenejfuis point morte: Votre bon coeur m'a fait deviner votre repentir, & par une tromperie innocente, je vous ai epargne 1111 crime. La-deffus Finette raconta a Bel-a-voir la prevo-yance qu'elle avoit cue touchant la femme de pail-le. Le Prince tranfporte de joye d* apprendre que la Princeffe vivoit, admira la prudence qu'elle avoit en toutes fortes d'occalioms, & mi eut une obligation infinie de lui avoir epargne uri crime a quoi il ne pouvoit penfer fans horreur, & il ne compre-noit pas comment il avoit eu la foibleffe de ne pas voir la nullite des malheureux fermens qu' on avoit exige de lui par artifice. Cependant fi Finette n'eut pas toujours ete bien perfuadee que dtfiance eft mere de fturett7 elle eut ete tuee, & fa mort eut ete caufe de celle de Bel-a-voir, & puis apres on auroit raifonne a loiiir fur la biza-rerie des fentimens de ce Prince. Vive la prudence & la prefence d'efprit! elles prcferverent ces deux Epoux de malheurs bien funeftcs, pour les refcrver a un dellin ie plus doux du monde. lis eiirent toujours fun pour 1'autre une longue fuite de beaux jours dans une gloireck dans une felicite qu' on auroit peine a bien d ecrire. 1M CONTE CONTE MOINS CONTÉ SANS PARANGOK IL y avoit line fois tin Roi cVuiie Reine qui me^ noientune vie fort paticuliére; un jeune Prince & une Princeffe fort airnable,- etoient le fruit de leur mariage; la petite Princeffe fut nominee Belle-main, parce qu' elle avoit efre£tivement la plus beU le main qu'il fut poffible devoir. Cétoit Tufage dece temps lá d'implorer !e íecourš des Fees aux couches des grandes Princeffes; cependant ce Roi qui mfprifoit leurs enchantemens, & qui icavoit combien il eíl dangereux de pénétreř" dans l'avemr, n'avoit jamais voulii fouftrir qu'on confultát les Fees fur la de.íUnéé de Belle-main, ce qui les avoit fort irritées: La Reine qui aimoitfa fillc avec une extréme tendrcífe, tomboit dans line profonde mé-lancolie, toutes les fois qu' elle foflgeoit qiť il fau-droit quelque jour fe fépater de cette aimable Prin-ceife par un mariage; Cétte penlee lui donnoit tant d*inquietude, qu'elle s'irnaginoit n* avoir jamais de repos, qu'elle ne fut édaircie de la deftinée de fa chére fille, ce qui la fit réíbudre malére les defences du Pv.oi, de voir fečřétemejit une Fee qui habitoit dans les Montagnes du yoiiinage, qu'on nommoit Ijgourde: cette Fee qui étoit-fort méchaiite, & qui cherchoit a fe vanger de ce que la Reine ire 1'avoit jamais appellee á la naiííance de fes enfans* la re-cut dans un Palais enchanté, tout lambrifle cťor & d'azur, Aprés que la Pvcine> lui cut expofé le iu- jet Parangon. jet de fon voyage, & qu'elle Teiit priee tres-civi-lement de lui apprendre la deftinee de Belle-main, Ligourde lui reppndit avec beaucoup de fierte, qu'elle fe tourmentoit imitilement pour rendre fa fille heureufe; qu'elle feroit donriee en echange d'line autre Princeffe; que Time & Tautre feroient fort maiheureufes, avec cette difference que les malheurs de Belle - main feroient beaucoup plus longs; qu' eile feroit marice a un Prince qui aime-roit fort les oifeaux, j8z pirticuiierement un oifeaii rouge, qui cauferoit de grands chagrins a la Princeffe; qu'elle feroit expofee a tous les mepris d*u-ne longue ifrMlite: que fes Sujets fe revolteroient contrc-elle* que fes Parens lui feroient la guerre; & qu'enfin un.nioiilYre lui decliireroic les entrailles, & la devoreroit, Toutes les paroles de la Fee fu-rent autant de coups de poignard pour ja malheu-reufe Heine qui tomba evanoui'e aux pieds de Ligourde. La Fee fans s' embarraffer de la faire re-venir, ne fit point d'autre racon que de la tranfpor-ter en cet etat dans le lit du itoi fonMari* Ce Prince qui ne s'etoit point appercu delab-fence de la Reine-, fut fort furpris de la voir evanoui'e, il appella du fecours, & la fit revenir avec peine \ il lui demanda avec beaucoup d'empreffe-ment la caufe de fon mat Mais la Reine alt lieu de lui r^pondre, verfa un torrent de larmes, &laif-fa entendre au Roi au milieu de fes fanglots^ qu'elle youdroit de tout fon cceurque fa fille ne fut jamais nee; elle Tinforma enfuite de tout ce que la Fee lui avoit dit: le Roi s'en moqua, affurant qu'il falloit que la Reine eut reve ce qu'elle venoitde lui' conter: Mais la Reine qui ie fouyenoit diiiincle-ment de tout ce que la Fee lui avoit dit, demeura inconfolable, & aiant fait appeiler Belle-main, elle X embraffa les yeux baignez de 1* armes, & la con* jura de lui bien promettre de ne jamais fe marier* La $6 Sans La PrincefTe l'affura qu'elle feroit toujoitrs foumi* fe afes volontez; la Reine la tenant embraffee lui parla avec beaucoup de tendr^fTe, & lui fit confidence d'une parti e-des malheurs d'o'llt elle etoit me-nacee par la mechante Ligourcle, & ajouta qu* elle pourroit les detourner aifement en demeurant tou* jours fille. Cependant plufieurs grands Rois informed de la beaute & des furprenantes qualkez dela PrincefTe Belle-main, envoyerent dcs Ambafladeurs pour la demander en mariage: mais la Reine y fit toujour* naitre des obftacles, & demeura inexorable aux in-ftances qu'on lui faifoit de toutes parts. . La Princeffe qui tenoit beaucoup de Pfcumeur du Roi fon Pere, & qui n' etoit pas bien perfuadee que toutes les predictions des Fees fuffent infailli-bles, fe donna des loins inutiles pour cn defabufcf la Reine, & fe determiria enfin a fake connoiffance avec une autre Fee qu* on nommoit Clairance , & qui etoit en reputation de n'etre pas malfaifante, pour tacher par fon moyen a s'inilruire de leurs fe-crets, & detourner s' il etoit poffible la fatale defti-flee dont Ligourde )a menacoit: elle avoit oiu dire que les Fees meprifent les richefles, & qu'on les gagnoit bien plutot par des prefens fort fimples, qu' avec del'or & de 1*argent, ce qui l'obligea dc choifir neuf paquets de lin le plus fin qu'il fut poll fible de trouver, avec neuf quenoi'iilles, & neuf fuzeaux de bois de cedre; elle y ajouta encore trei-zenavettes d'yvoire, & chargea fa nourrice de por-ter ce prelent a la Fee, de lui faire milie & mille amitiez de fa part, & denerien oublier pour V engager a la venir voir dans le Palais. La nourrice qui etoit fort adroite s'aqtiitta mer-veilleufement bien de fa commiffion, en forte que Clai- Parangon. $7 Ciairance touchee^ & du preTent & de lä confiance que la Princeffe Uli temoignnit, renvoya la nourri-ee> lui promettant qu'cll'e iroit voir la Princcfle Belle-main lors qu' eile y penferoit les moins, La Princeffe fatisfaite de la negociation de la iiou.rrice, att'endpit avec impatience r arrivee de Clairanee, lors qu'ün jour fe promenant avec la Reine la mere dans un Jardin,. elles remarquerent dans un coin une Vieiile qui filöit, & qui leur demanda Paumone. La Pveine fe fächa, & gronda bien fort de ce qu' on avoit laiffe entrer eette Vieiile dans for* Tardin: mais la Princeffe qui etoit fort charitable i de fa qüenoüüle, fit trois cercles, & en un mflant ce Jardin fut metamorphofe en un autre beaucoup plus beau, rempli d'une infinite de fleurs, & de grandes allees d'Orangers a perte de vüe, avec des cafcades & des jets d'eau: Je fuis bien aife, dit la Vieiile, de^reeompenfer la Princeffe de fa lib^rali-te, & de faire connoitre ä la Reine qu'elle pouvoit s' epargner la peine^ de fe mettre en colore de ce qu1 on m'avoit laifiee entrer dans fon Jardin. La gauvre Reine e.tonnöe de ce changemenc & de ce di-fcours jugea bien que la Vieiile etoit une Fee, & lui demanda^mille fois pardon de, fon ignorances Jeluis^ reprit la Vieiile, la Fee. Clairanee, jeyiens Voir Belle-main qui me paroit digne d'une meilleu-re fortune que celle que la mechante Ligourde lui promet. La Pveine ravie de P entendre, fe jetta ä fon col pour Pembraffer; & Clairanee ay ant bien attentivement examine les yeuxj les traits du vifa-ge & les mains de la Princefle: Ligourde, leur dit-eile, eft une Fee fort habile, mais il faut qu' eile ne fe foit.pas bien expliquee, ou que vous nel'a-yez pas bien entendue, car je vous.repons que Belle-main fera mariee arin grand Pvoi: eile aura ä la Verite quelques chagrins, mais fes chagrins tour- d or.. Alors la Vieiile fe joüant Twm IL G iieront ( \ Sans neront afagloire & afon avatitage, elle aura un Fils qui fera un prodige, vous n'avez a craindre que les pieges de la cruelle Ligourde, qui tachera a le faire perir dans fa jeiineffe. La mete & la fllle conjurerent la Fee d' avoir pi-tie d* elles > & de les prot^ger contre la malice de Ligourde; mais Belle-main la fcut fi bien flate'r, & lui demanda fon fecours avec tant de confiance .& des inftances fi preffantes, que la Fee s' engage a a ne 1' abandonner jamais, elle difparut enfuite, Si It beau Jardin auffi. . La Reine & la Princeffe fe retirement fort emerveillees &furprifes, d'une avantu-te fi extraordinaire* II arriva quclque temps apres des Ambafladeurs a la Cour, pour dcmander auRoi la Princeffe Belle-main de la part d' un puiffant Monarque fon voifm j qui temoignoit beaucoup d' empreffement pour V e^ poufer. La Pvcine qui craignoitles malheurs dont la rrinceffe avoit et£ menacee, ne pouvoit jamais fe refoudre a la marier; mais le Roi qui avoit apris que fon pretendu Gendre avoit une foeur fort bieii faite, defira que le Prince fon fils l'epoufat Auffi-tot dit, auffi-tot fait; carl'amoureux Roi qui ne fongeoit qu' a poffeder la Princeffe Belle - main 9 qu'on avoit deja refufee a tant d'autres Monarques^ donna fon confentement au Mariage de fa foeur. Jamais on n* avoit vu tant de magnificence qu' il s'ert fit a ce double mariage, Ligourde qui ne dormoit point ,t donna des la premiere nuit des Ndces, plu-fieurs forts a la Bru du Pvoi, fi bien que cette pau-vre Princeffe fut dans la fuite fort malheureufe: Mais lors quelle en voulut faire autant a la Princeffe Belle-main, que nous ncmmerons a 1'avenir Reine, Clairance qui etoit ineognit* aupres d' elle* r en empecha. Lés dělix Fées eurent de grandes contefíatíons, tomme elles convenoient toutesdeuxquelanouvell« Reine pourroitbien-tót devenir groffe ďun Prince* IJgoúrde de peiir que Clairancc ne la derancát, donna ďabord troisforts au Prince qui naítroit de Belie-mainj Le premier Fút de grandes maladies dans fa jeuneffe, le fecondbeaucóupďennnemis, &le troifiéme uněMai-treffe fi difficilej qu' il pafTeroitla meilleure partie de fa yie á la feryir porn la contenteř! Arréte > méchante * interrompit Claiřance ^ & attens que je lui aýe don-hé auffi mes trois forts: le premiér fera une fort lón-? guč vie > le fecond toůjours viQoire fur fes ennemis^ & le troifiéme de grandes rieheffes. LigoUrde. pa* rut fort oífenféě que Claiřance eůt donné děs* forts fioppofez aux fiens, & ne put s'empécher de lui dire qúe le temps décideroit laqüelle des deux f^au^ roit mieux foutenir fes forts. Claiřance parut lui répondre avecafíez de moderation > tächant tóujours ä la détoumeř des mauvais deíTeiňs qu'dle mědi-toit cóntre la Reine. Les deux Fées fe retirérenteit grondant Belle -maýi fut recůé' dans les Etats du Röi fon mari, avec des acclamations & deš applaudiffemens inöu'fs^ & comme c'etoit 1'uíáge de baifer la main ä la Pveine, & que jamais Princeffe ne Pavoit eue ii belle, ceia lui attiřoit Padmiration de tous íes ftf-jets. Le Roi qui aimoit fort la Chaife, avoit uii gra *d nömbre d'oifeaux fort rares,; il les fit toüs voir ä la Pveine, & lui éxagéra particuliérement les bonnes qualilez ďun oiiéau rouge qui avoit la tetě baute j &; lc bec & la ferre fortdangereux: La Pveine fe fouvint. aiors des menaces de Ligourde* & quoi qu' eile fut fort perfuadée des bonnes qualitez de Poifeaii rouge, néanmoins dle le eraignoit toüjoürSi & ne le voyoit qu' avec peine. Dés la premiére ahne e du mariage de la Reine^ ón eut quelque íbup-|on de fa grofiefle, eile étoit elle-mime dans Tin- lo® -Suns certitude, lors qu'un jour qu'eile etoitfeule dans fori Cabinet, une de fes femmes y entra pour lui propofer d'acbeterun Perroquet qui parloit plufieurs Tortes de langues, & fur tout celle du Pais de laKeine: cette derniere circonftanee rcveilla toute fa curiofite' , & eile co mm an da qu'on lui apportät le Perroquet, qui lui fit un beau difcours dans fa langue naturelle. La Pveine lui ayant fait enfuite plufieurs que-flions differentes, 1' oifeau y repondit fort juice. II n'eft pas croyable combien ee Perroquet donna de joye ä la Reine, qui s' imagina qui eile ne poiirroit plus s' cnnuyer ayant aupres d' eile ce merveillcux oifeau: toute la CourTadmira comme un prodige, & le Roi paffoit mime fort fouvent dans le Cabinet de la Reine, pour entendre parier le Perroquet qui fe laffa enfin de toutes les queftions qu'on lui faifoit, & ne voulut plus repondre: la Reine qui craignoit qu'il ne fut malade, etoit fort chagrine de fon filence, & lui faifoit toutes les careffes dont eile pouvoit s'avifer. Le Perroquet touche de la douleur de la Reine, & fenfibleaux marques d'a-initie qu' eile lui donnoit, lui parla en ces termes. Ccffe de fafHiger, belle Reine, je fuis ta bonne amie Ciairanee, qui ai pris la figure d'un Perroquet afin de pouvoir fentretenir plus commodement^ fans que perfonne en cut auciin foup^on: tu es af-furement groffe, &la mechante Ligourde medite? deja d'etouffer ton enfant dans le berceau \ je fuis accounre pour le fauver, & fen viendrai ä bout: Si tu as la force de me garder le fecret, & que tit ayes affez de confiance en moi, pour me remettre ton enfant, je le delivrerai des embücbes de Ligourde, & je lui donnerai une education digne de fa naiffance, & fort differente de cejle qu'on donne d'ordinaire aux autres Princes; mais comme le premier fort que Ligourde lui a donne durera vingt & un an, il taut que tu me le confies, & que tu ayes Farangon. xox Ii patience d' attendee qne ce long terrnefoit pafft, savant que de revoir ce eher enfant. Quoi que la Pveine füt penetree des foins obli-geans de la boHne Fee, il lui fut neanmsins irapof-fible de fufpendre fa douleur: eile verfa un torrent de larmes fans pouvoir lui repondre un fenl mot. Hefiterois-tu au moins ä me le conner, continua la Fee: tJelas, repritla Reine, vous f$avez que je me fuis abandonnee ä vos confeils, mais je crains bien que le Pvoi ni fes Peuples n'y donnent jamais leur confentement. Le tien me fuffit, ajouta Clai-ranee, car je rendrai ta groffeffe invifiblc; je te feral meme accoucher fans que. tn le leaches, & tu peux compter que j**aurai foin de ton enfant comme ae laprunelle de mesyeux, &qu*apres queleterme fatal lera paffe, je te le rendrai, & tu eh accoueheras de nouveau aux yeux de tout le monde: mais fur toutes chofes, garde le fecret, & prens ton parti de bonne heure, fans t'allarmer de tous les chagrins oü tu feras expofee par une longue fterilite: Jets promets auffi qu'apres la naiiTance de ce eher fils, que je yeux nommer Sans Paraxon, parce que jamais Prince ne pourra lui etre compare, tu feras encore confolee par unfecondfils que tu aimeras tendre-ment, & pour qui je mcdite un fort arm qu' il foit aime de tous ceux qui l'approchcront, & que toute fa vie q|irifera des plus longues, nefoit qu' unc fuite con-tinuelle de gloire & de plaifirs. La Reine etoit fi perfuadee de bonnes intentions deClairance, qu'elle donna volontiers ion confentement ä tout ce qu'elle Itii propofa, gmitant par avance toute la joye d'unfc fecondp fecondite. Elle achevoit de la conjurer d' a-voir bien foin du rcjetton de tant de Heros, lorfque lePvoi entra dans fon Cabinet. Le Perroquet femit ä chanter une Chanfon fort agreable qui fit beau-coup de plaiftr au Roi; il fauta enfuite fur une fe-netre & s'envola. La Pveine feignit d'en etre fort G 3 al- mm Sam tllarmfe, & envoya de tons cotez pour ticket ä donneroit cinq cens piftoles ä celui qui en donneroit des nouvelles., mars, il fut impoffible dv ea rien d^couvrir, & on affure que le Pvoi qui aimoit les. oifeaux pafliorinement, en temoigna beaucoup plus de chagrin que la Reine. Cependant la groffeffe de la Reine fut inconnu& ä tout le monde, 6z eile accoucha fans que perfon-ne s'en appercut. Clairance enleva Sans Parai> gon; & comme fon art lui apprenoit les grandes, chofes que ce Prince opereroit äPavenir, eile fe $t un grand plaifir de le bien £lever, elle eut une attention particuliere ä lui preparer un ar>artement tres-propre & fort fain; & comme la Fee fcavoit que les enfans tiennent forwent; deleurs nourrices^ ©lie 1-ui choifit pour le nourrir line Reine enchantee, qui etoit d un bon temperament, & avoit les inclinations fort nobles;, plufieurs graces.& amours en-<$hantez eurent ordre de bercer P enfant: il me fe-?ok aiff de faire une defcription de fon berceau & de fes langes, maisjon n*a qu'a imaginer tout cq. qu'il y pent avoir de plus richc, ck de meillcur-gout dans un Palais'enchante, & cela ft trouvera encore fort au deffous du berceau & des langes de Sans Parangon« La bonne Fee qui ne le voyoit jamais affez, ayant remarque qu'il avoit de la peine ä fe rendormir lors qu' une fois il fe re veilloit, fe fouvint que la Princeffe de la Chine, qui etoit fans contredit la plus belle & ä mSmc temps la plus fiere Princeffe de la terre ,. & qui etoit enchantee pour plufieurs filcles, avoit la plus belle voix que jar mais mortelle eut eue, la Fee lui ordonria de fe te-siir aupres de 1*enfant, & de Y endprmir par fes Chanfons, lorfqu' il fe rcveilleroit, L* extreme beaute de cette Princeffe avoit fait kntde bruit avant fon enchaiitementA que les plus reprendre; on fit publie tout le Roiaume qu* oh. grand Pärangon. Écýj §*rands Princes de la terre s'eitimoient trop heureux qle hazarder leur vie pour mériter fon eíiime; & quoi qu'elle eůt des nianiéres fort flateufes, & fort infmuantes,, eile avoit fi bonne opinion de ion pror pre mirite, que les plus généreufes actions lui pa-řoiffoient trop récompenfées d'un feul de fes regards; die nefouffroit que des Heros a. fon fervi-ce, eile exigeoit d'eux qu'ils cntrepriffent pourPa-mour ď eile des chofes extraordinaires y & fouvent impoffibles; s' ils réuffiffoient, melle leur permettoit pour toute r^compenfe de continuer ä la fervir; & s' Iis fuccomboient, il lui fembloit que leur deili-née étoit digne d'envie, puifqu'ils mouroient á fon fervice, Sa grande fierté donna occafion ä la fairc nommer Belle-gloire, Les Fees jaloufes de fon extreme beauté réfolurent Penlever, de 1'enchanter pour trois mille ans; Clairance s'y oppofa long-temps, mais voyant qu' elle faifoit peril* une infinite de Heros pour fatisfaire f$s caprices, & fans qu'ellc leur en 1911t aucun gré, elle confentit á fon enchantement, & exigea néanmoins des auťres Fees, que la Prin-ceffe ne vieilliroit point pendant ce long efpace d* temps, & qifelle auroit toujours la meme beauté que le jour de fon enlevement. On lui avoit donné pour täche de divider onze mille pelotons de ill par jour; mais Clairance en fa-veur du petit Prince, la deiivra de cette penible occupation, & lui ordonna de chanter toutesles fois qu' il fe réveilleroitj jufqu'ä ce qu'il fut rendormi. Cette occupation lui parut ft douce aprés le penible emploi qu'elle venoit de quitter, que celane coru tribua pas peu á faire naítre 1'inclination qu'ellea-voit eue depuis pour le jeune Sans Parangon qui étoit toüjpurs content toutes lesfois qu'il entendoffc chanter Belle-gloire. Clairance qui étoit idolátre du jeune Prince, voyant que Bclle-gloire s'aqpit-. teit de fa commiffion avec tant de fuccés, }ui dit G 4 . quel- < fl©4 $am quelque parole obligeante, & lui fit cfperer qu'eltl pourroitla laiflef lorig tems au fervice de Sans Pa^ rangon: Des f age de fept ans la Fee lui fit appren^ dre plufieurs fortes de Langues, & lorfqu'il fut af-fez fort pour commencer fes exercices, eile luichoL-fit des Maitres habiles \ & comme eile fe propofoit de le rendre fort robufle, eile ne lui donnoit que d'une forte de viande dans fes repas, & ne mettoit jamais d'autre herbe dans fespotages, que de la, fauge, quoi qu'elle lui fit fervir qiielquefois despc«, tites falades de betoüane* Belle-gloire s'aquit un (s furieux afcendaht fur fon efprit, qu'il s' ennuyoit toujours par tout ou, il ne la voyoit pas 5- eile etoit auffi tellement fatisfaite & du coeur & de la Nobler fe des ientimens du jeune Prince, qu' eile ne fe fai-foit aucune violence d' etre toujours aupres de luia & de T gmufer le plus agmablement qu* il lui etoit poülble. Ce Prince d£s & plus tendre jeuneffe, cut tanfc d*inclination pour la gueo*e, qu' il lui arrivoit fou-vent de faire armer de piques öl moufquets k$ fem-Hies qui le fervoient, & il leur commandoit 1* exer-cice avec beaucoup d'adreffe, ne fe propofant en> toutes chofes que de plaire ä feelle-gloire, Cepeni* dant ä mefure qu'il avantjoit en äge, la fiere Prin-ceffe ne fe rendoit plus fi affidue aupres de lui, & lui cachoit mime I'inclination fecrette qu'elle avoit pour lui* . La Fee admirant la forte paffioo que le Prince avoit pour les armes, voulut lui donncr moyen d'ex-ercer cette noble ardeur, & lui fit prefent dxun pe-« tit" fillet d'y voire, avec lequel il failbit fortir mill© hommes armez chaquefois qu'il fifioit, en lbrteque dans une matinee il avoit des armee» de plufieurs rnilliers d'hommes, qu'il difperfoit en divers en-droits, & les faifoit toujours a^ir fans aucune con^ fuftoiV J Parangon. 105 fufiow. La Fee defira encore qu'il devint Politique, & qu' il apprit V Art de regner; & ce fut dans cette vug qu* elle lui donna un Confeil compote de plu-fieurs grands hommes, ou Ton traitoit toute's fortes de matieres importantes. Le Prince euc d'abord qudque peine a fe eon-traindre d'entrer au Confeil; mais enfin la complaisance qu'il avoit pour la Fee 1'emporta, & il s^y rendit fort affidu'. Ce fut-la ou il apprit a conno'i--tre la juftice, a demeler le vrai d'avec le faux, & enfin a penetrer jufques dans le fonds du cceur des liommcs, Ces occupations militaires & politique*; ne fuf-fifoient pas pour occuper ce vaile genie, il feplai-ibit encore aux beaux Arts; & quoique le Palais de Clairance fut grand &fuperbe3 il y trouvoit des defauts, & faifbit voir que la fimetrie n'j avoit pas ete bien obfervec; il avoit un gout particulier pour les Jardins, & pour tout ce qui etoit propre a les embellir. La Fee ravie de lui trouver tant de ta-lens, & de fi bonnes difpofitions, lui donna pour s* exercer, une baguette dont il n'avoit qu' a frapper trois fois pour faireparoitre toutce qu'il imaginoit; la vertu de la baguette ne dcmeurapas inutile, carle Prince donnant carriere a fon imagination, batit un Palais d'une etendug prodigieufe, ou il auroit pulo-ger en cas debefoinla ilupart des Officiers defes trou-pes; il y avoit des C'curs fort fpacieufes; les cfca-liers etoient de marbre & de jafpe, avec tous les embelliffemens que Part peut fournir; on entroit dans une enfilade d* apartemens magninquement meublez, & ornez d'une infinite de Peintures ex-' cellentes. Enfin, on admiroit bien moins For, Pazur, les broderies, les belles peintures, & les criftaux, que la maniere dpnt tous ces ornemcns etoient difp'ofez; on paffoit enfuitc dans une graiv G 5 cl$ de galerie ornee de glaces & de belles Statue's de marbre & de broKjze, avec des Peintures merveil-leufes, oü Pon remarquoit des a£üons d'irn Heros fi prodigieufes, qu'on ne voyoit rien de pareil meine dans la Fable, L* or etoit fi commun dans ce fu-perbe Palais, que tout en etoit couvert jufqu'au toit, .& fi quelque chöfe pouvoit donner de Y attention apres avoir vü tant de richefTes, c'^toitle magnifique Jardin oü l'on entroit en tbrtant du Palais; on rencontroit de grands baffiss de marbre blanc, avec des jets d'eau, des napes,, des gerb es «8? des cafcades^ enfin c'etoient des Puvieres, qui au lieu de ferpeater coinme eil es font ailleirrs, re-montoient dans le Ciel, &rejailliflbient jufques. dans lesnues, -on voyoit enmeme temps de charmans parterres & de belles allees d'Orangers, de forte qu'on fe trouvoit toujpürs embaraffe ä cboifir par oü. l'oa commenceroit la promenade, patrce qu'on auroit fouhaite de tout voir-a la fojs. Ceux qui vouloient fe rctircr dans quelque coin, pour y rever ä leur aife, trouvoient d'agreables Fontaines entourees de, fieges de marbre &de gazon; on y voyoit des ani-maux de toute forte d'efpece, qui n'y etoient que pour refoüir les Spe&ateurs;- les Lyons, les Ty-gres, & les Leopards etoient dgpoüilles de toute; leur ferocite; Jes Serpens n'avoient aueun venin, on n'y craignoit pa's meme les Dragons, dont le feul afpect etoit fi terrible par tout ailleurs: fi_par hazard on fe trouvoit las de lä promenade, on rencontroit a Fextremite des Jardins, un bras de Mer en forme de Canal; & ä meme temps un grand nombre de Mariniers fe prefentoient avec des Barques & des Galeres richement ornees, s'©ffroient a donner de nouveaux plaifirs fur 1' eau. La Fee ayant u;n jour ordonne a Belle-gloire, d'aecorapagner le Prince i la promenade fur ce beau Canal, Sans Paran-sron eüt la curioiite de f^avoir fon fentiment fur (out ce qu'elle venoit de voir; mais la Prineeffe lui yep on- Parangm. 107 fépondít řroidement x que les rkhefíes étoíeut \\ communes dans P Empire de la Chine, que V Empe-reur fon Pere préféroit toiijours les rnaifons íimples & propres, aux fuperbes Palais. Sans Parangon ře trouva á P autre bout du Canal, Iorfque Belle glaire lui tint ce langage; & comine ii ayoit une attention Particuliére á tout ce qui pouvoit plaire a cette .rinceíTe, ii ftuta á terre, & ayant frapé trois Ibis de fa baguette, ii parut tout ďun coup un Chateau tout de Porcelaine, entouré d'un parterre rempli de jafmhvavec une infinite de petits jets ďeau, & le tout enfemble faifoit le plus ágréable eífet quMl íut poíiible de voir. Quoi que la galanterie du Přin ce, & P eny i e qu' il té-moignoitďevouloir fe conform^ en toutes ebofes au * gout de Belle gloire, fit plaifir á cette Princefíe, ellc diffimula néannioins fafoye, &ne lui en témoignarieii { Mais Clairance ayant examine avec plaiiir, &la magnificence du.Palais,la propreté desJardins, admirále bon goůt du Prince, 6? ordonna pour lui faire hon- ^neur, que cha que jour pendant trois heures, toutes les pcríonnes enchantées auroient une entiérc liberie de fe promener dans les apartemens de ce beau Palais; qu'il y auroitune charmantemuíique + qifon y pourroit JGiier toutes fortes de jeiix* qiPil y auroit mé-me de magnifiques Collations oú tout le mo'nde tron-veroit á fatisfaire íbn gout: Sans Parangon fut vj-vement touché de cette grace 2 par raport au plaifir qu'il jugea que cela pourroit faire ^Belle-gloire; znais cette Princefíe étoit ď une humeur ft extraordinaire, ,qiť on ne fcavoit Jamais comment on étoit avec elle, &lbu venť les íbins qu*on fe donnoit pour lui plaire, la chagnnoient;. die s'imagina que la curiofité du Prince Pavoit engage á dernander ces, divertifTemens á Clairance, pmi? étre en occafion, "$e voir, & d*entretenir plus cornniodément les belles perfonnes enchantées qui itc-iesiS dans ce Palais; log Sans & quoi que toute forte de defirs dere^lez foientban-nis de lieux enchantez, & que la jaloufie n'y foit connue de perfonne, Belle-gloire ne pouvoit fouf-frir que lc Prince eut la moindre attention pour d'autres que pour eile, perfuadee qu' eile feuleme-ritoit tout fon attachement, & que tout le refle etoit indigne de lui. Sans Parängon qui aimoit fort la mufique, ne perdoit jamais d'öccafion de Pentendre/ mais ßelle-gloire lui ay ant temoigne gu'elle le trouvo.it mauvais, iln'hefzita point ä lui faire ce Sacrifice, & fe priva de la mufique. Pendant que Sans Partngon > qui avoit de ja pres de yingt & un an, s'att&choit uniquement äplaire ä Belle-gloire, & fe perfeöionnoit dans toute forte dr exerciccs, la Reine fa mere attendoit avee uneinv patience extreme, PefFet des promefTes de la bonne* Fee, & fe flatoit qu'au premier jour eile lui.ren-droit fon eher enfant: Cette grande Princeffe fouf-froit avec une vertu fans exemple les perfections de fes ennemis, & ecoutoit fans s'em'ouvoir les murmur es du Peuple qui crioit tout haut qu* il fal-^ loit la renvoyer en fon Pais, & donner au Roi une PrinceiTe plus feconde, n'6tant pas raifbnnabie qu'un grand RoTaume manquätd'hepitiers par la fterilite de la Reine> pendant qu' il itoit facile d'en trouver d'autres qui ieroient bien äifes d'occuper fa place, & qui donneroient infailliblement des fucceffeurs a la Couronne., Sa grande vertu lui faifoit foufFrir tous ces murmures avec beaucoup de patience, attendant toujours que le terme de vingt & un an fut expire; elle ne fe trompa point, car la Fee voyant que le temps fatal des menaces de Ligourde etoit paffe., deciara au - Prince que fon enchantement etoit fini, & qu* il etoit temps d* aller confolcr ies Parens. Sans Parangon qui fe croyoit fils de la Fee, parut fort allarme' de ce difcours, fur tout lorfqti' il comprit qu' il falloit s* eloigner de Beli- Parangon.. 109 le-gloire; mais la Fee lni ayant expliqué tout lemy-ítére dc fa naiffance, il marqua beaucoup de docílíte, & demanda^ pour derniére grace á Clairance> qiť eile voulüt bien Taller voir le plus fouvent qu' il feroit pofllble, la fupliant fur toutes chofes de merer toújours Belle-gloire avec elle. é La Fee qui ne lui pouvoit rien refufer, lui promit tout ce qu'il fouhaita, ^& s' étant fervie de les enchantemens, le Prince difparut, & la Keine fe trouva groffe> au grand contentement du Pvoi & de fes peuples; eile accoucha quelque terns aprés: &comme jamais Prince n'avoit été ü deliré que celui-lá, il n* eft pas é-tonnant que fa naiffance caufát une joye univerfel* le: tout le monde fut furpris de le trouver plus grand, & plus forme que les autres enfans ne le font ď ordinaire en naiffant^ mais ce qui caufa bien plus ďétonnement, & qui faillit ä tout gäter, fut lorfqu'on s'apperait qu'il avoit des dents, la Fee ayant oublié deles y enchanter: en effet on eut toutes lespeines du monde á lui trouver des nourrices, parce qu'il les blefíbit avec fes dents, & leur é> corchoit le tetoru L'extréme joye que tout le Pvo-yaume eut de fa naiffance, empěcha qtieperfonne ne s'arréta ä examiner ce prodige, on fit de toutes parts des réjouíffances publiques & particuliéres, & chacun tácha de fe diííinguer parades déraonftra-tions ďune veritable joye; La Reine voulut toújours qu'il s'appellat Sans Parangon ] eile Taimoit avec tant de tendrefie, qu'elle fouiFroit avec peine qu* on le lui etat quelques heures dela journéepour commence? á Pinílruire; mais ä mefure qu'il avan-coit en áge, Pidée de ce qu'il avoit apris dans le Palais deClairance, groffiifoit, & il apprenoit fa-cilement toutes chofes ^ fe fouvenant bien qu'il les avoit déja fcues^ il eut mémc des lbn enfan.ce beaucoup de complaifance pour toutes les belles perlbn-nes, par Phabitude qu'il s'etoit faite de plaire ä Belle-gloire, dont il n'avoit plus qu' une idée con- rule j 1 110 Sans fufe; on reriiarqiioit cependant qiPil ne srioit qü*aüie chofes agreables, qu'il parloit peu; maisce quifur-prenoit davantage, il ne donnoit fon applaudijQe-ment qu'aux chofes fenfees, & fcavoit de ja refu feie & doiiner ä propos; le fouveni/de BeUe-gloire fe renouvelloit infenfiDlement dans fon efprit, & en meine temps fa_ complaifance pour les Dames aug--mentoit* la Pveine qui rarement le perdoit de vüe $ fe rejoui'fföit de^ le trouver d'une humeur fi douce & fi portee au bien. Le Roi Ion Pere etant mort pendant que Sans Parangon etoit encore bien jeune, fon Re"gne commence par le gain d*une Bataille qui fut dornte par fes G£n&raux > ce qui parut de bon aügure ä tout le monde; la Reine ne pouvant foütenir feule tout le pöids du Gouvernement, choifit un fameux Druide fort experiment© dans les affaires, pour Paider deles conieilsj mais cc choix divifa la Cour, & cau-fa de grands defordres clans tout le Roiaumej Li-gourde troüvant Poccafion favorable ^ pour exciter' des troubles,, Infinua ä plufieurs Grands qu' on leur iaiföit injuilice de les eloigner du , Gouvernement des affaires: plufieurs d' entf'eux fe ligugrentj & prirent les armes, en forte que la Pveine cut be-ioin &#dc töute fa prudence & de fa grande vertu, i>our diffiper leurs eabales, & pour raaintenir le Jniide dans le Poiie qu'clle luiavoit domic* Sans Parangon qui avoit plus de penetration qü'il n'fctoit permis d'en avoir ä fon age, & qui •cQnnoiffoit deja le bon efprit du Druide> ecoutä toüjours fes confeils avec beaucoigp de döcilite; & comme il avoit encore les memes inclinations qu'il avoit eues dans le Palais enchante, il aimoit fort .jes.foldats, & fe faifoit un extreme plaifir deleur Vöir faire Pexercice, cju'illeur commandoit fou-.vent luknemej & quoi qu'il n'eüt plus de fiflet pour ParcMgüb. ^ Sil pour faire fortir autant d'hemmes arraezqu'ii au-roit voulu, il prit im foin particulier.de ceüx qui étoient älbnfervice, donnant ordre qtťils ne man-quafíént jamais derien; comme il étoit retenupar les fáges conieils du Druide, qui Pempéchoit de fuivre tous les mouvcmens de fa noble ardeur, il fe contentoit de bien difcipliner fes troupes, & de les paffer foUvent en revůč, il ne dpnnqit fa faveur qu'ä ceux qui fäifoient leur devoir mieúx que les autres, & favorifoit particuliérement les Ofnciers lors que leurs troupes fe trouvoient en bon etat, ce qui faiíbit que chaěun y Uavailloit ä Fenvie; & ii eft certain que jamais Prince n' avoit pris tant de íoin de fes Soldats, que Sans Pařangon. Ce Prince méditoit pluficuts grands deffeins-lors que la méchante Lis;ourde, qui ně comprenoit pas comment il avoit évitíé dans fon bas äge-, lefort qiť ělle lui avoit donné, trouva moyen de faire glif-ier adroitement dans le Palais du Prince une de fes fuivantes;. qu' eil« nommoit Fiévře, qui par fa malignitě faillit á faire mourir le jěune Prince; JVlais Clairancc en étant avertie y accouriit, chafia la fuivante., & giíérit le Prince. _ Cette Fée qui avoit découvert que Belle-gloire ětoit cette maítreť fe capricíeuíé, dont Ligourde avoit menace le Priu* ce, & quiprévoyoit les embaras oü eile le jetteroit^ évitoit expres degaroitre devantlui, de peur d'etre obligee de tenir la parole, & de lui mener Belle-gloire; mais le péřil extréme oů Sans Parangoň fe trouvoit, la fit paííer par deffus toute forte de confidérations. S'étant adrefíée h la .Reine: Voici, Madame, lui dit eile, les derniers efforts de vótre ennémie, que jai rendus inutiles, & je vousré-pons qu'ä l'avemr Sans Paran'gon jouira d>une lon-gue vie. La Reine fut fort lenfible aux foins de la Fée, & n'oublia rien pour lui marquerfa recon-noiífance, eile la préfenta au Roi fon fés, en luiéx* ageřaat 11% Sans agerant lcs graudes obligations qu' il lui &voit. SanS Parangon qui eMt fort reconipiffant, cut une fen-ilble joye de voir fa bienfaitrice, & dans ce moment tout ce qu' il avoit apris chez elle , lui reyint dans l'efpnt, il lui prit les mains pour les baifer, lui fit miile & mille amitiez, & lui may qua par tous les endroits dont il put s'avifer,. la fati*fa£fci-on qu'il avoit de la voir; & comme il eonnoilfoit parfaitetnent le gout des Fees, il ordonna qu on lui apportat une Collation compofee^de noifettes, de pain bis^ de mieL & d'eau clake. La Fee fut tres-fenfible afon attention, & quo! qu' elle ne man-geat jamais hors de fon Palais, elle lie laifla pas par complaifance pour le Prince, de gouter de fa Collation. Ce fut alors, que tous les charmss de Belle-glo-*(re fe prefenterent dans 1'efprit de Sans Parangon^ il mouroit d'envie d' en demander des nouvclles a la Fee, mats ,il ne TDibit de peur qu'elle ne crut qu'il hit reprochoit adroitemept deJUii ayqlr manque de parole. Clairance devinant fa penfee: & e-* tat ou vous etes, lui dit-elle, ne me permettoit pas de vous mener la Princeffc de la Chine, il eft Vrai que je me fuis avifee ua peu tard , que je m'y etois engagec trop legerement: Helas! continua-t-elle^ vous ne la vcrrez que trap tot, je ne vous en dirai pas davantage, car il eft inutile de raifpnner fur les chofes qu* on ne fcauroit e>iter, c'eft 1c fort que! vous a donne la mechante Ligourde; Mais puifcjuei je n'ai pas le pouvoir de vous on garantir, au moms vous me difpenferez d'autorlfer par maprefence^ fes dangereux confeiis^ & les efperances ehym^ri-ques dont elle vous amufera. Vous la verrez% puif-que jc vous l'ai promis toutes les fois quele Soleil en parcourant le Zodiaque paffcr'a d'un figne a un autre, & je la rendrai invilible pour toute autre que pour vous\ de peur que vos lujets en la voyant, ne Péfángon* 113 rit devinflent autant de riyaux, Tfétant pas pofíl-fcle qu'un foible mortel puiffes'empecher de la fervií lors qu'il lVíeulement envifagée unefois: tout cě que je puis faire pour V amour de vous, c'eft de la cacher alix yeux de tout le monde, &ďinfpirer auxautres hommes la méme envie de vous fervir^ que vous aurež de plake á Belle-gloire. 1 La Fée difparut en achevant ces paroles-, & le Prince fan§ faire aucune attention á toutce qu' elle venoit de lut dire contře Belle-gloire, ne fut occupé que du de-fir de larevoiř; ílattendoit avec une impatience extréme que le Solěil changeát demaifon, & bien loin ď avoir du chagrin de ce que Clairance venoit de lui dire, il fentit une joye fecrette, de penfeř qiťil ne feroit permis qu'á lui feul de voir & de fér* vir cette incomparable PrinceíTe. Enfm le change-iment du Soleil fi defiré arriva, &le méme jour Bel* le-gioire parut dans le Cabinet du Roi, dans uii Char en forme dě Thfóne, parféme ďémerauďes & de laitriers, & attelé de douze cygne$: je ne par-lerai point de fonajiifcement, parce qu'ile toil efface par fon extrémeJbeáuté, & par ťéciat de fes yeux quiauroit éblouí- tout le monde^ fielle ďeut pas été inviiible* 'l ' ;■>■ ph hru i \ . \^-.|/ ./ť?f^r;:.-;.;:,. :y :>.> m Le Prince fe jetta ď* abord á fe? pičds, & parii't tranfporté de Joye en la vo'i'ant: Mais matgré fa grande beauté> elle infpiroít taní de reípeB:, que Sans Parangon n' o fa pas íeulement lui baifer íe bas de fa robe. je fuis bien aife, lui dít-ele, qu'a jpřéfent que tu es fur un Ťíiróne řéěl, & que tu in'es plus enchanťé, tu ayes pour moi le6 mémes ieňtimens que tu avois dans le Palais de la Fee; car fí tu as aífez de vertu pour me fervir á ma mode, & pour me faerineť touteš chofěs^ peut étre que le terme demon enchantement finira bientot, & que je me trouverai en éíat ďajoůter píufieurs Courotv íies ú celle que tu as héritée de tes Peres. j)é fern-' Tmu //, H bia* 114 Sans blableš paroles prononcées par une belle perfonne, font toiijours beaucoup ďimpreífion fur un Amant; mais Beíle-gloire les affaifonna avec taut de grace, & d' un ton de voix fi touchant, qu'il ne faut pas étre furpris fi le jeune Prince en fut trés-vivement pénétré: il ľaffura d'un attachement éternel, & lui tit mille &mille protections, qu'il ne trouveroit jamais de difficulté lórfqu' il i* agiroit de gagner ion eítime. Belle-.gloire n'ofa point faire une plus lon-gue vifite, de peur que la Fée pour la punir ne lui donnát quelque penible occupation- eile lui pro-mit néanmoins de profite^ de la permiťfion qui lui avoit été accordée de revenír unefois le mois. Sans Parangon qui étoit charmé de la voir, tácha de lui faire connoítre avec touté la politeffe & le refpeö imaginable, qu'il auroiť été bien aife de laretenir encore quelques momens, mais elle fut inexorable, & lächa 1c cordon á les cygnes qui ľenlevérent dans ľ inílant. > Le Roi fouftnt ce depart fortimpa-tiemment, mais il étoit fi foúmis aux orďres de Bel-le-gloire, qu' il n'ofa pas méme s' en plaindre. Cet-te agréable vifite ne laiffa pas de.lui donner urie extréme joye, & de lui infpirerune vivacité qu'iln'a-voit pas encore fait voir. Toute la Cour s'aperc/it de ce changement, qui fut fuivide plufieurs Fétes & galanteries que le Prince fit en faveur des Dames : car rapportant tout ä ion amour, il jugéa qu' il • devoit cet hommage au fexe de fon aimable Mai* treffe, Infenfiblement le Soleil paffa d'un figne á un autre, & la Prineeffe íe-rendit dans le Cabineť.dú Pvoi: II eft temps, lui dit-elle, que tu renonces á des amufemens peu convenables a un Prince qui fe nomme Sans Parangon, & qui s'eft ddvoué á Beilegloire; tu n'as rien fait julqu'á préíént, qui puiffe te rendre digne du nom que tu portes, & fi je ne connôiffois ton grand cosur, & que j'en jugeaffe par tes Parangon. tes aÖions, f aurois peine ä croire que tu voulußes te donner ä moi comroe tu me las promis; ce n'eil pas affez pour Belie-gloire, de porter une Couron-ne; je veux qli'ellefoit ornee de lausiers; les Cour-tifans Paffurent que tu es galant, jeune & bien fait, <& les Dames te traitent de Heros, lorsque tu as ex« erce tes Soldats fur des paifibles Campagnes: il me faut des vi£times melees de fang & de lauriers; en un mot, fonge que tu es ne pour Belle-gloire. En achevant ces paroles eile lächa le cordon ä fes Cy-gnes fans vouloir attendre la reponfe du Pvoi, qui demeura fort honteux d' un reproche qu' il n* avoit pas merite, \ puifquefa grande jeuneffe & la deference /nPil avoit toüjours eile pour le Druide qui Paidok par fes confeils ä gouverner fön Roi'aume, Pavoient empeche de fuivre les mouvemens de fon courage: Cependant, ce fenfible reproche ne laiffay pas de le piquer, & lui fit mediter de grands def-feins dont il jugea que V execution pourroit plaire a fa Princeffe; les vifites qu'eile lui rendoit Y ani-moient encore davantage, & il tächoit cependant a fe rendre digne^ d'eile par tous les endroits qui de-pendoient de lui, car il etoit d*une politeffe extreme, fort galant, fort liberal, & aimoit la probite par tout* Le fage Druide etant mort en ce temps-lä, Sans Parangon refolut de gouverner felil fes Etats, & de prendre loin lui-meme de fes affaires: mais de peur que la Princeffe n'augurät mal de fa tranquillite, il lui rendit coiripte de la fituatioiv oü il etoit, & de 3 a neceflite oü il fe trouvoit de fe donner tout en tier aux loins de 1*Etat* avant que d'entreprendre aucuoe guerre etrangere, n* ay ant plus de baguette enchari-tce pour faire fortir cles Soldats armez, & ayant be-foin de^fommes confidcrables pourfoutenir les guer-res qu'il projettoit. Belle-gloirc approuva fes rai-fons, & lui dit memc.que c'etoit le, veritable che- H 2 min i%. •'• Sam min pour fe rendre digne ďelle; il n'cn falltit pas da vantage pour engager Sans Parangon á tenter Timpoflible, il s'-appliqua fortement aux affaires, & fe rendit aflidu á tous les Confcils; ilcommenca dans cette occafion á mettre en pratique tout ce qu'il avoit apris chezlaFée; fon application, fon afiiduité & fon difcernement admirable, furprirent tout le monde, & il eft certain que par fes ibins, il déméla en pen de temps un cahos d'affaires fort in-triguées & trěs-difficiles, Jk le mit en etat dé pou-voir fuivre les nobles fentimens de fon cceur. Bel-le-gloire qui jugea par ce penible travail, quyil é-toit capable de toutes les grandes chofes,' lui parla plus obligeammeirt qu'elle n'avoit Jamais fait; mais ces paroles étoient autant d'enchantemens qui redoubloient Pardeur du Prince, Sans Parangon fe mit peu de temps aprés á la téte d?une belle armée5 & fe rendit maitre de plulieurs Places importantes, malgré la refinance des Affiegež, qui avoient mis toutes leurs troupes dans ces Places pour les défen-dre. Belle-gloire qui nr avoit jamais doxité du courage du Prince, ne parut pas fort fatisfaite de cette premiére Campagne, & lui dit dans une de fes vi-fites, qu'il n'etoit pas bien extraordinaire qu'un Prince belliqueux avec de belles troupes, & dans la belle-faifon,_ prit des Places; mais qu'un Prince qui fe nommoit Sans Parangon, & qui cherchoit á plaire á Belle-gloire> devoit attaquer les Places en plein Hiver a travers les gla^ons & les frimats, fans attendre méme que toutes fes troupes ftiffent alTemblées. Ce terrible diícours nVetonna point le Prince, car il ne trouvoit rien de difficile lorfqu'il étoit queftion de 'gagner l'eitime de la Maitreffe; il partit peu de jours aprés dans le cceur del Hiver, & nttaqua avec un petit nombre de troupes, malgré le neiges & les "gia^ons, une grande Province ou il y avoit plufieurs Places trés-fortcs, dont'il fe rendit eniin le maitre par aes travaux incroyabjes^ Parangon. iiq & apres irrte infinite d'actions heroiques: ce fujt alörs auffi que Belle-gloire, ienfible ä tant de marques de valeur, lui permit de baifer pour la premiere fois le bas de fa robe. Sans Parangon flate par une grace fi particuliere, leva de nouvelles troupes, & fe difpofoit, ä entrer de bonne heure en Campagne, fe promettant deja de conquerir plufieurs Provinces, lorfque Belle-gloire s'etant rendue dans leCakinet du Roi, lui pari a en ces termes: Je fuis fatisfaitede ton courage, & je te tiens quitte des Places que tu pourrois prendre, Je fuis meme perfuadee qu'il ne s' en trouveioit point qui put te refiller, fur tout pendant que tes enne-mis n'ont pas d'armee pour te difputer la Campagne^ de femblables conquetes ne feroient d'aucun merite aupres de moi, jc n'aime point les Victoires aifees, & fi tu veux me faire plaifir, tu fufpendras ta neble ardeur, & tu attendras que .tes ennemis re-venus de leur etonnement, foient en etat dp t'op-pofer des forces aufii nombreufes que les tiennes. Sans Parangon eut befoin de toute fa moderation pour renoneer aux conquetes qu'ils'etoit promis de faire; neanmoins comme iln'avoit pris les armes que pour plaire ä Belle:gloire , il falut fe fou-mettre ä les volontez. Ce facrifice ne lailTa pas de lui etre tres-agreable, & eile Pen remercia en des termes fort obligeans; .comme ce Prince etoit continuellcment occupe d'un defir ardent de faire quelque chofe qui fut du goüt de fa charmante Maitreffe, & qu'il n'ayoit plus d'occafion de fe diftinguer paries armes, il s'apli-qua de nouveau aux loins de I' Etat, il abregea les iloix, reforma un grand nombre d' abus qui s'etoient gliffez dans l'adminillration de la Juftice, Belle-gloire donna des loüanges ä fa vigilance & ä foil application, mais eile lui demanda une nouvellc preu- ii 3 vc HS . Sans oe de fon attachement, qui jetta^ce Prince clans de grands embärras: Tuf^ais, lui dit-elle, Pefperance ou je Puis de voir bientöt finir raon enchantement; tu as ofe porter tes voeux jufqu'ä moi, tu n' ignores pas que j'aime les beaux Palais, & cependant tu n'en as point ou tu puiffes me recevoir. iSans Pa-rangon I'afTura qu'elle feroit bien-töt flitisfaite, 6% ayant fait venir les plus habilcs Architeftes de PU-rivers, il fit batir dans la Capitale de fes Etats, un des plus beaux Palais difmonde, avec des Jardins tres-agre'ables & proportionnez a la magnificence du Palais; Ce grand ouvrage etoit prefque fini, lors que Belle-gloire etant allee vifiter le Prince ä fon ordinaire, eile lui fit connoitre qu'elle n'aimoit point le fejour des Villes, & que s'il vouloitlui donner un temoignage bien veritable de fon attache-ment, & tie fa complaifance pour eile, il falloit lui bätir a la Campagne, uri_Palais & des Jardins fern-blables ä ceux qu'il avoit imagine? lui meme chez Clairance, par la vertu de fa baguette. Sans Paran-gon epouvent£ d*une propofition fi extravagante, lui reprefenta que le Palais de la Fee n' e>toit qu'line illufion, & que tout le marbre de la'Perre, ni Tor du Perou, ne fuffiroient pas pour un fembla-ble edifice; Tu fcais bien, repritBelle-gloire, que les chofes^ordinaires ne nVaccommodent point, & que je n'aime que celles qui approchent de Pimpol-fible; je t'ai fait connoitre ce que je defire, c*eft a toi ä examiner fi tu as & affez de courage, & af-fez d'envie de me plaire, pour 1* entreprendre; eile iP attendit point de reponfe & difparut. b Jamais il n'y eut d'embarras pareil ä celui dece Princej, qui auroit mille fois mieux aime mourir, que d'avoir deplü ä fa Princeffe. Cependant, quoi qu'il trouyat de Pimpoffibilite ä P execution de ce £rand deffein, il ne laiffa par pour marquer fa fou-jniffion aux ordres de Belle-gloire, de Ventreprendre? h Parangon 119 dre, fans pourtant qu'il ofat feniter d'y reiiffir: il tra$a lux meme un Plan le plus approchant qu'illul fut poffiblc, de celui div Palais de la Fee, & peine fe doima-t-il le temps de confulter les Architeftes, & commenc;a fans perdre un moment, a batir le Palais, & a faire dreffer les Jardins, en forte qu'au bout de deux ariS ce grand Ouvrage fe trouva fort avance. Cette diligence plut beaucoup a la Princeffe; Sans Parangon s'enetant apercu redoubla fes foins, & n' eut jamais de repos que le Palais & les Jardins ne fuffent dans l$ur perfection; Tor y etoit par tout avee tant de profuilon que les toits en etoient cou-verts, & quoi qu' il ne tachat qu' a imiter ce qu' il avoit deja fait chez la Fee, il eft conflant qu'il fur-paffa le Palais enchante en beaucoup de chofes. fSans Parangon fetlatant que^ la Princeffe feroit contente de fon Palais, attendoit avoit impatience qu'elle l'eut vu pour lui en demander fon fenti-ment: maisilfut extremement furpris devoir qu'u-ne nouvelle planete preiidoit fur P hernifphere, fans que Belle-gloire parut, eela lui donna de cru-elles inquietudes dont il fut accable jufqu' au lende-main que la Princeffe arriva, qui lui aprit que les Cygnes de fon char ayant ete.eblouis par la reverberation du Soleil qui donnoit fur For des toits, etoient allez au Canal au lieu d' entrer dans le Cabinet, & queleurs ailes ayant ete moiiillees, ii leur avoit ete impoffible de reprendre leur vol; que la Fee y etant accourue les avoit condamnez a yde^ meurer toute leur vie, & P ayant enfuite ramenee dans fon Palais, elle V avoit retenu£ jufqu7 a ce md-ment, qu' elle venoit de lui donner. un attelage d' Aigles qui traineroient fon char a l'avenir; elle lui temoigna enfuite beaucoup de reconnoiffance de rempreiTement qu'il avoit eu de lui plaire en ache- ii 4 vant 12.$ Sans vant ce.mägmfique Palais, & lui promit de ne Pou? blier jamais. Comrne par fon enchantement eile étoit inviíible ä tout le mande; Sans Parangon 1$ pria de jetter les yeux un inftant fur Paffemblée des apartemens; eile y confentit, aprés .les avoir bi^ en examin ez, eile V afiura qu' eile y trouvoit plus de magnificence, u.ne mufique bien plus excellen-te, & beaucoup meilleure^ compagnie, que dans ceux de la Fée. Dans une autre vifite le Prince la fuplia de fe-promener fur le Canal, & lui fk remarquer ťagré-. able Chateau de porcelaine, qui paroiffoit ä Tex-* tréraité; eile le trouva fort reffemblant á celu; de 1^ Chine9 & convint ave-c peine que celui de Sans Parangon étoit plus galant & plus parfait que T autre, IVlais {bit que cela méme lui donnát quel que jalou-, fie, oil qu' eile eut change de gpůt^ eile pria le Kot dePabattre, & ď en faire batir un autre de marbre & de jafpe ä la place de celui-lä^ ce qui fut éxecu* té peu de jours aprés.. Ce ftiperbe Edifice auffi bien quo les riches meiu bles dont il étoit orné, augmentérent la reputation que Sans Parangon s' étoit déja aquife par fesf-conquetes* Les Etrangers arriyoient de toutes parts dans fori Roiaume, & admiroient c es gran des rich efíes, une infinite de curiofitez dillerentes, & plus, que toutlQ cependant préferoit un leul regard de fa MaitreíiQ aux applaudiffemens de tout 1' Univers enfemble: & dans P empreffement qu'ilavoit de faire toůjours. quelque choíé de grand pour gagner fon ejtime, il fe plaignit un jour á cetce Prinoeffe de ce qu/elle ne lui donnoit plus ďoccafion de lui marguer ie plailir qu'U avoit $ lui obeir. Helasl lui dit-ellc, tu m* as ( Parangon. nVas fait admirer le Canal de ton Jardin, comme ml ouvrage fort extraordinaire, '& ccpendant je m'a-perc.ois que plufieurs parti culiers en opt autant dang ieiirs maifons de Campagne,^tu fcais bien que je n'aime pas ce qui eft commun : mais frtu avois hi* en envie de me plaire, & que fu voulv^?bs verita-blement me marquer que tit ne penfes qu' a te ren-dre digne de moi, jefouhaiterois que tu'memTes un CanaLqui traverfat dc Tune a Tautre mer & qui les jdignant toutes deux me donnat le' plaifir lors que je ne feral plus enchantee, de pafier de T O-cean a la Mediterranee, fans m'expofer aux hazards ni aux diflkultez d'une longue navigation, Cette entreprife 5 repondit le Prince, feroit plutot Poii? ' vrage d'une Fee que celui d!un Prince comme moi, Quoi, reprit la Princeffe en, col ere, tu as la teme-rite de pretejidre mon ellime, &une femblable entreprife t'etonne? Rien.n'eft capabje dc rn'etonner, continua Sans Parangon, lors qu* il s' agit du fer-vice de Belle-gloire, & puifque'vous. voulez abfo-lument ce Canal, je le ferai ou je mourrai dans la peine. La Princeffe feretira fort fatisfaite de la re-Iblution de Sans Parangon, quoi qu'elle doiltat el-le-meme qu'il put jamais reiiflir dans une entreprife fi nouvelle v& fi hardie: 11 comments P ouvrage avec des foins & des d« penfes infinies, tout autre Prince que Sans Parangon le feroit rebute par V im-poffibili've qu'on lui faiibic voir a lecontinuer; Mais ce rVlonarque qui fqavoit que les grandes difrlcultcz etoient autant de raoyens de plaire a Belle-gloire, continua toujours fon entreprife, .& Pacheva epfin avec une patience & des travaux qui approehoient de ceux d'Hcrcule, La Princeffe fut dans le dernier etotmement devoir finir un travail fi penible;' & des la premiere vifite, elle affura Sans Parangon que lui feul lui oaroiiToit digne de fon cftime; qu'elle defiroit cependant qu'il retournat cueilliv de nouveaux Launers dens le Champ de-Mars. H 5 Sans 122 Bans Sans Parangon ravi d' un ordre fi conforme ä fes defirs, affembla denombreufes troupes avec une diligence extraordinaire, & commence fa Campagne par un Siege fameux; les Affiegez fe difendkent affez vigoureufement, mais il fallut c£der aux efforts de Sans Parangon. Belle-gloires'appercevant de la faclite1 qu'il avoit ä faire des Conquetes, lui dit un jöur que les autres Heros prenoient des places a force de terns, que s'il vouloit fe diftinguer, & lui donner un ipe&acle nouveau, ce feroit de prendre chaque jour une place. A peine eut-elle acheve de parier que Sans Parangon entra comme un torrent dans le Pais ennemi, & y prit tcus les jours une Fortereffe nouvelle; la rapiditc de tant de Conquetes £tonna plufieurs Potentats voifins, qui crurent rieanmoias etre en feurete, parce que Sans Parangon ne trouvant,plus de place ä conquerir, etoit oblige s'ii vouloit aller plus loin, de paffer , une grande & profonde Pviviere, & comme des Ar-mees ne traverfent^as les Rivieres auflj facilement que desoifeaux, ii falloit des temps infinispoury conftruire des Ponts; mais Sans Parangon cherchant toüjours äplaire ä fa Princeffe, par des aÖions extra-ordinaires, s'avifa fans s'embaraffer ni du peril ni des difficultez, de faire paffer fon Armee ä la nage; la nouveaute' de cette grande a&ion deconcerta ft fort les ennemis, que tous les Peuples voilins ac-coururent pour fe foümettre au Vainqueur, qui fe feroit. aifement rendu maitre de plufieurs grands Etats, fi Belle-gloireetonnee de ce qu'il avoit paffe fes efperances, ne lui eüt reprgfente, que ne trou-vant par tout que de la terreur & point d7 ennemis, eile ne prenoit plus fur fon compte les Conquetes qu'il pourroit faire fur des gens qui fe rendoient fans combattre. Sans Parangon qui ne fongeoit qu'ä plaire ä fa charmante mattreffe, lui fit encore ce facrifice, & fe retira dans fes Etats, / Ligour- Parangon. 123 ; Ligourde, jaloufe des profperitesdu Prince, vo-yant Fetonnement &la confirmation de fes enne-mis, leur fit apercevoir qu'ils av-oientdans leur Pais un oifeau jaune, a qui eile avoit donne plulieurs forts; & quoi qu'ilfut encore jeune, & qu'il n'eiit pas les ailes affez fortes pour aller bien loin, elle les afllira quil pourroit dans les fuites les fervir Utilement. Cet avis leur donna beaucoup d'attention fur T oifeau jaune, & ne lajffa pas de leur rele-ver le courage; mais tout cela leur fut inutile, car Belle-gloire, ayant vifiteSans Parangon au retour de fa Campagne, elle lui temoigna la fatisfa&ion qu'elle avoit de tout ce qu'ii venoit de faire pour ion fervice, & lui fit entendre qu'il etoit de fa ge-nerofite de meprifer les Conquetes aifees, & qu'il devoit fe contenter d* avoir reduit fes ennemis dans la confternation ou lis etoient, fans vouloir profiter de leur defordre- Sans Parangon trop heureux de pouvoir plaire ä Belle-gloire, y confentit fanshefi-ter. Ce noble procede dans des conjon£hiresfi favo-rables, lui attira plufieurs paroles obligeantes de la part de fa maitrefie. Sans Parangon qui dans fon plus grarid repos fongeoit toujours a tout ce qui pourroit faire plus de plaifir ä fa Princeffe, s'appliqua de nouveau ä proteger les Sciences & les Arts, en etabliffant plufieurs Manufactures & Academies de Peinture, & de Sculpture en divers ,endroits de fon lVoyaume. Belle-gloire Payant vifite peu de temps apres, lui parla en ces terrnes: Tu asfait line infinite de belles actions, je tel'avoue, il me parojt cependant que tu iPas gueres d'attention ä ce qui me regarde perfonnellement, puifque tu mas pas feu]ement encore penfe* a te mettre en etat de pouvoir envoyer une Ambaffade ä PEmpereur de la Chine, mon Pe-re, pour me demander lorfque mon enchancement fera fini; 011 font tes Ports, Oü font tes Armees Nava- 124 Sans.. Navälss? Sans Parangon fut ravi que fa maltreffe fongeät elle-meme aux rnoyens d'etre ä lui; & quoi qu ileut deja & des Ports & des Valfieaux, il fit batir un .nouvcau Port, & conflruire plufieurs grands Vaiffeaux, avec des Joins & des. depenfes immenfes. Belle-gloire en parut fort contente, eile ne laiffa pas de dire aux Prince, que le voyage de la Chine etant fort long & difficile, ii feroit fron de faire par avance quelque etabliffement dans 1' A-merique,~pour fervir ü'entreport, en cas de be-fbin de retraiteaux Ambaffideurs, qui fans eel a cou-roient rifque de fe perdre dans line fi longue navigation. Auln-tot dit, suffi-tot fait« Sans Parangon donna de fi bons ordres, qu'il affura peu de temps apr.es plufieurs Ports dans le nouveau Monde, & y etablit des Compagnies qui avoient un commerce eontinuel, & aux Indes, & en Amerique. Belle-gloire qui avoit deja ete fervie par plufieurs grands Heros, fut obligee de convenir qu'elle n'en avoit jamais trouve qui entrat fi genereufe-ment dans tout ce qui lui faifoit plaifir, ni qui ent travaille ä lui plaire avec tant duplication & tant de iucces que bans Parangon. II faut convenir, lui dii-eile, que tu as de grandes richejQTes, de belles armees, des palais magnifiques, & des Jardins delicieux; mais il te manque encore un trefor d'un prix ineftimable & dont FEmpereur mon pere fai-ibit plus de cas que de fa Couronne, (e'eft un ami fidele) je lui ai iouvent oui dire cvu'il plaignoit beaucoup la condition des Rois^ qui etoient envi-ronnez d'une foule d'adorateurs, qui avoient la derniere complaifance pour toutes leurs volontez,'" mais rarement d'amis fideles qui leur parlaflent avec franchife, & fans quelque vue particulierc: il en avoit un fort defmtereffe, qui avoit beaucoup d'e-fprit, une grande douceur, beaucoup de penetration 3 qui raifonnoit jufte fur toute forte de matie- res, Parangon. 12^ res, qui ne leflatoit jamais, & qui aimoitmon Pere ind6pend.emment de 1 Empereur. Co portrait qui frapa'le Prince fe trouva fi fort de fon gout, & li conforme a fes inclinations, qu'il s'eilima malheureux au milieu de fes riclieffes, puis* qu'il n* ay oil pas tin ami dece cara&ere; il remer-■cia la Prineeffe'de fes avis, & les Aigles ayant pris leur vol a leur ordinaire, le Prince demeura fort reveur faifant de ferieufes reflexions fur tout ce qu'il venoit d"entendre. II obferva depuis ce temps-la ceuX qui Pappro-clioient, il examina leur efprit & leur cceur, clier-chant toujou.rs la reffemblance du portrait giie la Princeffe venoit de lui faire. Enfin aprcs bien des epreuves differences, il fut affez heureux de trou-ver une perfonne d'line rare vertn, & d un merits extraordinaire, qui avoit precifementtoutesles qua-litez du portrait. Sans Parangon qui jufques-la avoit ete livre' a des Courtifans paflSonnez, qui fouvent fe d^chal-noient lcs uns contre les autres, fe trouva fi foula-ge de pouvoir parler de toutes chofes a coeur ou-vert, & fans craindre q'u' on lui dit du mal de perfonne, qu'il ne perdoit jamais d'occafion deFeri-tretenir, toutes les fois que fes grandes occupations pouvoient le lui p.erme:tre* Cependant Belle-gloyre n'aimoit pas a le voir long-temps tranquille , elle lui infpira peu de terns apres, d'entreprendre de nouvelles guerres- L'oi~ feau jaune qpue Ligourde avoit enchante, &qui s'e-toit fort accredits depuis, neTaiffa pas de fe Conner beaucoup de mouvement, & de faire pluiieurs -tentatives pour arretcr les progres de Sans Parangon; mais fes-foins-a'empechere'nt pas- qua ce PrinceIfre poriti- 126 Sans. continuát .toujour? 1st guerre avec le méme íuccés5 car paroítre en Campagne, & faire des Conquétes, étoit pour lui une méme chofe; toutes lesTaifons lui étoient égales, il faifoit des Sieges indifferem-meilten Hiver conime enEté,, il campoit fur la neige, comme fur une prairie couverte de fleurs; fes ennemis s'etant liguez par les foins de Poifeau jau* re, firentde nouveaux efforts, & marchérent á la téte d* une puiffante armée, pour s'oppofer ä fes Conquétes; ee qui n'empecha pas qu'il ne prit plu-fieurs places devant eux, & leur préfence ne fervit qu' á lui donner plus de témoins de fes Vičfcoires, Belle-gloire voiant que rien ne pouvoit refifter á cet incomparable Prince, lui fuggéra de nouveau de pofer les armes, & lui fit connoitre que puif-qu'il ne trouyoit plus d'ennemis dignes de lui, eile íouhaiteroit qu'il s'attachát ä embellir fes maifons & fes Jardins , ce qu'il éxecuta^avec une magnificence qu'il eft plus aiß ď imaginer que ďéerire, Belle-gloire ayant reconnu par plufieurs experiences, que ce Prince bien loin de fe délaffer quelque-fois, fe donnoit tout au public, lorfque les foins de la guerre lui perméttoient de prendre quelque relache, eile lui dit un jour, quelle ne comprenoit pas comment il pouvoit foutenir 1* embarras d'une fuite continuelle d'affaires;, que TEmpereur de la Chine fon pere étoit bien d'un meilleur gout, puifqu' aprés avoir rempli une partie de la femai-ne les devoirs d'Empereur, il devenoit lerefte du temps homme přivé, & fe retiroit dans un agréable Palais environné de jardins délicieux, oü tout étoit ď une propreté furprenante; on y voyoit une infinite de'chores curieufes qui faifoient plaifir á voir, mais particuliérement une Riviéře qui fe précipi-toit du haut ďune moniagne, qui faifoit une ca-fcade li extraordinaire, que dans les beaux jours, la reverberation du Soleil qui donnoit fur la cafcadev réjailliffoit fur le Palais,, & éclairoit tons lesapatte- mens. Parangon. 127 mens. C etoit dans ce beau fejour qu'il vivoit fans contrainte, eloigne de la foule, & accornpagne d'un petit nombre de perfonnes choifies, qui ne l-'entretenoient que de chofes agreables, fans jamais lui.parler de leurs affaires particulieres. Sans Pa. rangon admira le bon gout de l'Empcreur de la Chine, & affura Belle-gloire qu'il protiteroit de cet exemple. La reputation de Sans Parangon, fes anions heroi'ques, & fes grandes vertns,, allerent auffi loin que la lumiere du Solcil; plufieurs grands Poten-tats des cxtremitez de la terre, lui envoyerent des Ambaffadeurs avec de richez prefens: fon Roiau-me-etoit'une.pepiniere deperfonnes illuftres, tou-tes les Nations y etoient bien recues, & on y abor-doit de toutes parts, pour admirer ce Prince incomparable, & pour apprendre par fon exemple, & la politeffe & la pratique des vertus. Belle-gloire qui P avoit mis a toute forte d' epreuves, P aiTu-roit dans fes vifites, qu' elle n'attendoit plus que la fin de fon enchantement pour lui marquer fa recon-noilTance; mais ce Prince craignoit toujours de n'avoir pas affez fait pour elle, & cherchoit conti-nuellement de nouvelles occafions de" ^agner fon eilime. Quoi que la Fee Clairanee lui eut fait evi-ter par fes foins un des forts de JLigourde, & qu' elle V eut rendu d'une fante parfaite, fes campemens fnr la neige & les autres fatigues de la guerre lui cauferent une facheufe incommpdite, dont les fuites parurent tres-dangereufes, mais Sans Parangon ne consultant que fon courage, fans donner le terns a fes fujets de s' appercevoir de ce grand peril, y fit appliquer le fer & le feu, ekguerit^ cette furpre-nante fermcte donna de P admiration a tout le hionde. Belle-gloire l'aiTiuja dans fa premiere vifi-te, qu' elle avoit etc fort touchee de la grande re- i28 ' Sans ' folution qu* il avoit fait paroitre, & qiť ellé la trou-voit fort digne de lui. Quoi que Sans Pärangon n'eůt aueune connoif. fance du temps que devoit^fmir V enchantement de ]a Princeffe, ií fut néanmoins bien aife dp lui mar* quer qu'il föngeoit toüjours ä eile, & lui en donnä une preuve trés-feníible en envoyant des Vaiffeaux aux extrémitez de la terre, '& fort pres de la GvL ne, afin ď accoůtumer par-lä fes Šujets á connoitre les Mers éloignées, & prévenir de bonne heure leá difncultez qui pourroient s* opofer á la longue navigation qu' il méditoit, lorfqu' il voudroit envoy eť á la Chine pour y, demander la Princeffe. Cette prévoyance plut beaucoup ä Belle-gloire , qui ne voyoit quafi plus d'endroits pour demander á fori amant de nou veil es marques de fon attachement^ elle avoit épuifé U matiére dans la guerre & dans' la paix, dans la parfaite difeipline des troupes, dans la reformation de la Jultice^dans 1*établiffe-ment du commerce & de la navigation, dans le bon ordre des finances, dans la protection des Sciences & des Arts, dans la magnificence des bátimens, dans rembelliffement des Jardins, dans les anions de fermeté, dans la pratique de toute forte de vertus, ~& généralement dans tout ce qu'elle imagina, qui pouvoit convenir ä un grand Heros. Ce Prince troüvä moyen par fa valeur, & par fa parfaite 'moderation, de n* avoir plus ď ennemis * mais fes grandes'anions que la Pvenommée publi-oit par toute la terre, lui firent une infinite d'envi-eux; il fit un fonge en ce temps-lá, qui lui donnä quelqjUe inquietude. Í1 voyoit un Coq attaqué' pa£ Un Aigle, parun Paön, par plufieurs Dindons, & par un grand nombre de Canards, qui 1'environ-noient de toutes parts, & le prefibient vivement; Tinégalité du Combat n'empéchoit pas que le Coq ■Parangon* ne fe defend! t vigoureufement contre tous, & qu'il lie leur donnät de ft rüdes coups de bee, qu' il leur arrachoit quelquefois des plumes. Le gene-reux Sans Parangon tout endormi qu'il ctoit^ voulut aller au fecours du Coq, & fe reveilla; comme c' etcit le Prince du monde le moins fuperfti-tieux, il ne fit aucune attention a ce fonge, mais ayant apris quelque temps apres, que plufieurs grands Potentats cabaloient contre lui^ il fe fou* vint de fon fonge qui lui fit quelque peine, parce que fon reveil ravoit empecne de voir le denoue* ment du combat; neanmoins affurö de lui-meme^ & ravi d*ailleurs de trouver de nouvelles occafions de plaire ä fa PrinceHfe; il ne s'embarafla point de tous les bruits publics* Cependant le fonge ne fe trouva que trop veritable, car Sans Parangon fut informe que 1' oifeau jsmne qui commen^oit ä efla-yer fes ailes, voltigeoit de toutes parts b & avoit enfin engage un grand nombre d'Empereurs, de Pvois, de Ripubliques, & d'autres Princes Souve-rainsj a fe liguer contre Sans Parangon, & qu'il follicitoit nieme fes Alliez & fes amis d* entref dans cette formidable ligue. Le bruit de ce grand ora-^ ge qui fe formoit contre lui, ne l'etonna jamais; il ne laiifa pas neanmoins de fe tcnir fur fes gardes, & d'affembler fes troupes. Belle-gloire qui aprit que tant de grand es Puif-fances confpiroient contre Sans Parangon,m & etoient pretes ä fondre fur fes Etats, Penfelicita au lieu de le plaindre; & cömme eile connoiffoit parfaitement le grand courage du Prince, eile lui mipira de prevenir fes ennemis fans attendre qu'ils euffent 1' audace de V attaquer. Le Prince marcha d'abord fur la Frontiere, & fe faifit maigre les nombreufes troupes de fes ennemis , d'une place qui pouvoit leur fervir de paffage pour entrer dans fes Etats; Cette fage prevoyance rompit toutes les mefures, & ils furent obligez d' attendre une Tmt iL I autre Sans autre Campagne pour commencer a faire quelque cntrepriie. Cependant les ailes del'oifeau jaune s'dtoient fi bien fortifiees, qu1 il paffa la mer d' un feul vol; la joye qu'il eut d' avoir reuffi dans ce hardi pro-jet, ou la peine qu'il fe donna pour arriver a terre, le firent changer de plumage, & il lui vint une crete rouge fur la tete, femblable a celle du coq, qui lui donna un grand relief. Ce fut par fes preffantes inftances que les Al-liez equiperent un grand nombre de Vaiffeaux & mirent de prodigieules armess en Campagne. Bel-le-gloire dans une de fes viiites en parla au Prince en ces termes: Voici le temps, brave Sans Paran-gon, de moiffonner des Lauriers: fi jenecontois plus fur ton courage que fur tes forces, je craindrois beaucoup pour toi, car les Rois tes-predecefieuts n'ayant qu'un feul ennemi en tete, ont eu befoin de toute la valeur pour foiitenir la guerre; fonges que tu as plufieurs Puiffances a combattre, c' eft nil Hydre qui a une infinite de teres, tes trefors font epuifez par les complaifances que tu as cues pour moi, au lieu que tes ennemis qui n'ont encore fait aucune depenfe, ne manquent ni d' hommes ni d' argent; je crains que tu ne lucepmbes, & que le grand nombre net'accable, & ce qui me fait plus de peine, e'eft que mon enchantement eft tel, que malgre tout ce que tu as deja fait pour moi, fi quelque autre^Heros, quoi qu'il ne m'eut jamais vue, de-venoit ton^ vainqueur, je t'oublierois, & je'pour-r rois devenir fa recompenfe; ainfi fonges encore une fois, qu'il s'agit de perdre Belie-gioire, ou de ie Paffurer pour toujours. Sans' Parangon qui ne craignoit point fes ennemis, & qui fe fentoit affez de courage pour fe de-fendre contretous, fut offenfe du difcours de la Princeffe, mais faifant reliexion que Pinteret qu'el-le pcenoit a fa perfonne lui donnoit cette inquietude ParangoH. de', il lui pafdonna fes remontrances. II fe mit pen de terns apres en Campasrrie^ & nonobftant lesin-utiles efforts de tant de puiffances liguees contre lui, & les nombreufes armees qu'ils lui oppoferent, il les battit^ & gagna une grande bataille fur eux. La mer ne leur fut pas plus heureufe, car leur Flo-te fut encore defaite par I* armee navale deSans Pa-rangon, & perfonne ne douta que cette liglie qui etoit compofee.de plufieurs Potentats qui avoient tant d'int'erets differens amenager, & quicependant etoient battus par tout> ne fut bien-tot des-iinie, ft'y ay ant pas d' apparence qu'elle put fubfifter long-temps. Belle-gloire ne fut pas la derniere a felici-ter Sans Parangon de tant d' helireux fucces, qui ne produtfirent pourtant pas Teffet qu'on en avoit attendu; car bien loin de fe rebuter, ils Pattaque-rent en plufieurs endroits differens tout a la fois> perfuadez qif ils pourroient le vain ere plus facile-ment lors que fes forces feroient divifees; mais fa Vigilance & favaleur fuppleerent a tout, & il fut toujours viftorieux; e'ependant m les Places impor-taiites qu'il prenoit fur eux,_ ni les batailles qu'il gagnoit^ ne decidoient jamais de rien ; leur norri-bre etoit fi-grand, qu'ils fe trouvoient toujours en etat de reparer leurspertes, & de renouveller leurs troupes. Belle-gloire admiroit egalement, & la conduite, & la valeur, & la prevoyance du Prince 5 qui foutenoit li courageuiement une guerre fi difficile, & qui fe croyoit toujours trop recompenfe de fes travaux, par la fatisfaction^que la Princeffe lui en tcmoignoit; foil unique crainte etoit den*avoir pas affez fait pour elle, & il etoit continuellement occupe a cherclier de nouvelles occafions de meri-ter Ion eilime. Rempli de cette penfee, & fongeant a attired les ennemis pour ks engager a un combat general & decifif, il attendit que toutes leurs troupes fuf-fent en Caffipagne j & alia attaqiier en leur prefeft- I a ce Sans ce une roche imprenable, dont le feul nom doh-noit de la terreur a tous les Pais voifins; line refo-i lution ft furprenante etonna fort les Alliez qui envo-y^rent cent mille hommes pour fecourir la place, quoi qu'ils fuffent fart periuadez qu'elle ne feroit pas prife dans le temps que Sans Parangon la pref-ibit vivement. La mechante Ligourde, apres lui avoir fufcite tous les elemens, fit encore gliffer chez ee Prince une de les fuivantes appellee poute, & un defes Couriers qu'onnommoit Mauvaife-nouvel-le; tout autre que Sans Parangon fe feroit trouve fort embaraffe4 dans une conjonfture auffi delicate que cellela, mais ce Heros ne chercha de fecours que dans fa fermete, & oubliant fon mal, il ne confulta que fon courage; il fe fit porter a la queue de la trenches, & anima fi bien toutes chofes par fa presence & par fon exemple, quePcnnemi fut repouffe & la Place prife. Belle §loire pour lui marquer combien cette grande a£hon lui etoit agreable, lui donna fa main a baifer pour la premiere fois de fa vie, qui fut une faveur fi fignalee pour lui, qu'il auroit ete bien fache dans cette occafion de n' avoir pas eu autant d'ennemis & autant d'affaires qu'il en avoit. Cependant les PuiiTances liqud:es perfiltoient dans leur opiniatrete, toujours pre* venues que leur union & leur perfeverance epuiferoient cnfin les forces de Sans Parangon qui etoit feul contre tous. Mais fon courage ne fe ralentiffoit jamais & il les battit encore dans pluficurs occafions les Campag-nes fuivantes. Belle-gloire dtonnee de la fermete de Sans Parangon, guelle trouvoit fi fort au defTus des Heros qui l'avoient fervie, & remarquant qu'il fe jouoit de cette guerre, refolnt de le mettre a une nouvelle epreuve qui iP etoit pasmoins difficile que toutes lesautres; elle lui dit un jour, que les importans fervices qu'il lui avoit rendus, lui fai- foient i) i 'ŕ 69451 foi f e réf de ľ L vir av( qiť cet q u1 bie apt teil pré dre voii que taní mal dim fort eůt Bell a litr ne i choí eút dit-c puií mar( préc exec gage bom le de rang' fok9 Parangon. 133 foient defirer d'etre bien-tot des-enchantee, afin de le voir en etat de le recompenfer, mais que faifant reflexion , & au nom de Sans Parangon, & a celui de Belle-gloire, elle ne croyoit pas qu'il y cut dans PUnivers une etofFe affez digne d'elle pour lui fer-virde manteau Pvoyal le jour defes noces; qu'elle avoit autrefois oui" parler de la toifon d'or, & qu'elle auroit fortement fouhaite de 1'avoir pour cette grande Ceremonie; qu'elle efperoit de lui qu' il voudroit bien envoyer aux Indes une Flote bien equipee, pour enlever cette toifon, & la lui apportcr. Le Prince fut dans le dernier etonnement d' entendre une proportion ii extraordinaire, il lui re-preTenta qu'il n'heiiteroit jamais a tout entrcpren-dre, lorfqu' il s' agiroit de lui plaire, qu' elle pou-voit fe fouvenir defes Conquetes, de fes magnifi-ques Palais, de la jonQion des deux mers, & de tant d'autres chofes qu'il avoit^ faites pour elle, mais que les Indes etant fort eloignees, la Toifon difficile a trouver, & fes ennemis beaucoup plus forts que lui fur la mer, il ne voyoit pas qu'il y eut aucune apparence de faire reuiTir ce projet, Belle-gloire qui £toit de Phumeur de la plupart des autres perfonnes dc fon fexe, qui n'ecoutent aucune railon iors qu' elles veulent fortement quelque chofe , trouva fort mauvais que Sans^ Parangon lui eut fait routes ces difficultez; il etoit inutile, lui dit-elle, de recapituler ce que tu as fait pour moi, puifque je ne l'ai pas oubhe, ^&que tu as p u re-marquer que je n? y etois pas infenfible, & c' eft precifemeut la facilite que tu as toujours trouvee a executer tout ce qui pouvoit me plaire, qui m'en-gage a te faire une demande fi nouvelle; j'ai affez bonne opinion de toi, pour croirc que puifque je ledefire> ccla ne te fera pas impolfible. Sans^ Pa-raugon confus de Phonneur que fa Princefie lui fai-foit, ne balanca point a tenter ce ridicule projet, I 3 & «34 Sans & jetta les yeux fur un Capitaine de qui la valeur & Pexperience lui faifoient tout efperer, & l'envo-ya aux Indes avec une belle Flöte; il y arriva a-pres une lorigue & penible navigation, il deeouvrit par fes foins une fortercfle oü Pen gardoit la Toi-fon, mais il trouva qu'elle etroit defendue par defl Cyclopes dont le nombre etoit fort fuperieur ä la Flöte; il ne laiffa pas de Vattaquer, & i\ s'apper-cüt peu de temps apres, que la reputation de Sans jparangon £toit aufft connue dans le houveau mon-de, que dans fes propres Etats, & que le feul ef-froi de fon nom avoit intimide les Cyclopes, qu' i\ for$a a lui remettre la Toifon, & la raporta ä Sans Parangon. Ce Prince la mit aux pieds de Beilegloire qui fut charm$e de ce riche prefent, &■ lui en fcut plus de gre que d'une Conquete beaucoup plus confiderable; les loüanges qu'eile lui donna, lui plaire, en taehant d'attirer PArmee des Alliez a line bataille; il affiegea de nouveau en leur prefen-ce, une place tres-importante qu'il prit fans qu'ils iiffent aucun mouyement pour s'y oppofer. Mors il fe determina d'entrcr bien avant dans le Pais en-nemi, & d' allieger par mer & par terre une fameu-fe Fortereffe qui fervoit de rempart a un grand Pvo-yaume, & qui etoit gardee par des troupes audi fiombreufes que celles des Afliegeans. Cette entreprife parut fort temeraire, mais le General qui conduifoit ce Siege, anime du meme fang de Sans Parangon , & fortifie par les ordres & par le grand courage de ce Prince, preffa fi vive-ment les affiegez ? qu'apres mille & mille furpre-nantes aQions qui fe firent de part & d* autre, la place fut enfin forces a capituler, & fe rendit au Vainqueur. Belle-glojre en fut tranfportee de joye> & de-meura convaincue que rien ne pourroit refifter a J'avenir a Sans Parangon. Lamefure eft comble. nouvelles occafions de lui Parangon. iui dit eile, & mon efprit fertile en epreuves, ne me fournit'plus rien pour exercer ton grand courage, les experiences que j' en ai dejafaites, me pen juadent affez & me font juger dequoi tu es capable: jeveux que tufurprcnnes tes ennemis par une vittoiretoute nouvelle; on eft fi accoütume ä tevoir prendre des Places, que celan'eft plus d'aucun me-rite pour toi; mais puifque tu cherches a, faire des actions extraordinaires, & dignes de^ Sans Paran-gon, rends ä tes ennemis ces fameufes Fortereffes qui leur donnent tant d'inquietude, & qu'ils ne icauroient jamais reprendre fur toi. Cell pour Pa-mour de vous, charmante Princeffe, repondit Sans Parangon $ que ie les ai prifes, je me trouve trop recompenfe puifque je fuis affez heurcux de vous plaire en les rendant, Cettc furprenante moderation plüt beaucoup ä Belle - gloire, fur tout dans un temps oü Sans Parangon ie trouvoit en etat dedonner la loi par tout, s'il cut voulu profiter de tant de cönjon£lures favo-rabies. Cela deiarma aufli les Puiffances confede-rees, qui s' emprefferent toutes ä gagner la bien-veillance de ce Prince, & fe repentirent meme de lui svoir fait la Guerre, ä mefure qu'ils connurent de plus pres & fon merite, & fes rares vertus. Ce fut alors que Belle-gloirefentit plus vive-ment le' malheur d'etre enchantee, ne fachant pas quand il finiroit, & fe voyant hors d'etat de cou-ronner Sans Parangon; eile ne le difftmula point k ce Prince, & lui temoigna le chagrin qu'eile en avoit, lui faifant connoitre que dans 1» incertitude oü eile etoit, fi fon enchantement finiroit bien-tot, ou s il dureroit encore plufieurs fiecles, fon grand courage & les chofes extraordinaires qu'elle lui a-voit vu faire, lui avoient infpire une penfeequi paroitroit extravagante, mais qu'elle trouvoitdigne de Sans Parangon; Tu as, lui dit elle, defarme les Puiffances de la Terre, par tavaleur, & par tes I 4 ver- 13 6 Soils' vertus; qui fempeche d'attaquer a prefent les En-fers, & de faire la guerre aux Fees, qui par le fe-cours des Demons font tant de defordres fur la terse ; j' avoue que les Armes, dont tu te fers pour tes expeditions militaires, n*y font pas propres, il en faut pour cette guerre d'autres fort difTerentes; mais je fuis affuree que tu les trouveras, fi tu veux bien fappliquer ä les chercher, & qu'il netien-droit qu' ä toi de rompre mon enchantement. Quoi-quc ce grand Projet fut tres-conforme aux fenti-mens de Sans Parangon, & qu'il füt fort touchy des raifons de Belle-gloirc, & fur tout du plaifir de la des-enchanter, le fouvenir des grandes obligations, qu* il avoit ä la bonne Fee, s' etant prefente ä fon imagination, fa reconnoiffance l'empecha de goüter tout le plaifir qu'il auroit eu par la feule idee de pouvoir delivrer fa charmante PrincerTe. Mais Belle-gloire qui connoiffoit fon coeur ge-liereux? s'etant apercu de fon embarras, le defabu-fa en V informant de tous les rhyfteres dont eile s'e-toit eclaircie, par le fejour de pluiieurs fiecles qu* eile ivoit fait dans le Palais de Clairance, & qu' eile n'avoit jamais ofe reveler, par la crainte des cru-els fupplices au'on lui auroit fait fouffrir, & qu'el-le commencoit ä meprifer, dans l'efperance oü eile etoit que le Prince pourroit bien-tot la delivrer; elle lui aprit que la bonne & la mauvaife Fee n' e-toient que la mcme perfonne, qui jotioit ces diffe-yens perfonnages pour mieux impofer au Public, que tous les enchantemens, & rcemeles riches Pa^ Ids des Fees, n'etoient qu'une illufion; que pour donner ces forts par lefquels elles fe rendoient li re-doutables aux hommes, elles profitoient de la con-noiflance que les Demons leur donnent de Pave-nir; & quoi cm'dies n'euflent aucun pouvoir de changer en nailfant la deftinee de perfonne, elles ne foifibient pas de donner des forts qu'ellcs regloient Parangon. 137 fur la connoiffance qu' dies avoient de ce que cha-cun devoit devenir. Sans Parangon furpris d'apprendre un detail fi curieux, & qu' il trouvoit fort vrai-femblable, füt bien aife d'etre defabufe, & affura Belle gloire que puifqu* eile etoit contente de lui, & qu* il n'avoit plus d'enncmis, il alloit mettre tons fes foins a trouver ces armes fi difficiles pour entreprendre la nouvelle guerre qu' eile venoit de lui propofer. La Princefie fe preparoit a lui repliquer, lorf-que les Aigles de fon char partirent brufquement, & fans attendre fes ordres. C ^toit la Fee elle-me-me qui trainoit ce char fous la figure des Aigles, & qui fut terriblement irritee de la hardieffe de Belle-gloire, & des tömcraires deffeins qu'elle avoit ia-fpirez au Prince: eile ne voulut plus que la Prin-ceffe continuät fes vifrtes, & fe preparoit ä lui faire fouffrir d'horribles fupliccs, fi ellene fe füt ap-per^üe que Sans^ Parangon ne voyant plus faPrin-ceffe,_ s*appliquoit bien ferieufement ä la delivrer; la crainte quelle eut que ce redoutable Manarque, de qui eile connoiffoit le grand courage, ne vain-quit encore les Puiffances infernales, lui fit fufpen-dre 1 execution de fes cruautez, & diifirpuler fa colere; eile affe&a au contraire de bien traiter Bel-le-gloire en lui faifant connoitre qu'elle etoit inte-reffee elle-meme ä detourner le Prince de fa teme-raire entreprife, puifque s' il y reüffiffoit, & qu' il rompit fon enchantement, qu' elle n'etoit qu'une fimple mortelle, & qu'il etoit meme dangereux que ce rrince ne s'attachat pour une bonne fois ä une gloire plus folide, & qu'il ne meprifat tout le reite. La Princeffe qui fe deficit des Artifices de PEnchantereffe, & qui jugea que V entreprife du Prince n' etoit pas impoffible, puifque la Fee en a-voitpeur, la remercia ficrement.de fes avis, & at-tendit avcc beaucoup de confiance, que Sans Parangon allät rompre fon enchantement, I 5 CON*. 138 La RcMt ft H & » fee & © © * *. & * # * ^ # & CONTE MOINS CONTE DES FE'E S, IL y avoit une fois un Roi qu'on appeiloit le Roi Guillemot 5 c'&oit bien le meilleur Prince de la terre, qui ne demandoit qif amour & fimpleffe, on allure Rieme qu' il fe mouchoit a la manche de ion pourpoint; il'n'avoit aucun empreffement pour Id Manage, Cependant comme la race Guillemote etoit fort ancienne, les Peuples fouhaitoient qu'il leur donnat des Succeffeurs, on-avoit parle de plu-fieurs manages differens, ^mais ii s'y etoit toujours trouve des difficultez invincibles. Une Princeflfe du voifinage quite nommoit Urraca, avoit des Etats qui ctoient fort a la bienfeance du Roi Guillemot y mais Urraca aVoit toujours marque de la repugnance pour le mariage, & beancoup d'infenfibilite pour les foins que plufieurs Sbuverains, & particuliere-ment le Comt'e d'Urgel, s* etoient donnez pour lui plaire. Sa paflion dominante etoit PAftrologie, & elle ne fe d&crriiina a fe marier , qu' apres avoir recon-nu dans les Ailres qu'elle feroit mere d'une Princef-fe toute parfaite, qui feroit un prodige de beaute uui temoigna beaucoup de mepris pour un Champion qu' il croyoit fort au deffous de fon courage* Le Combat fe fit en prefence de la Heine & de fon Confeil; & foit que le Prince Guilledin fut plus adriot que le Comte d* Urgel, oU que la Viftoire fe declare toujours pour la verite, le Prince renverfa ie Comted'un coup de lance,dont illeblelfa mortel-ment Les juges y etant accounts, il declara avant que de mourir, qu'il avoit tromp6 la Pveine par le fecours de la nourrice. Cette mechante femme fut arretee, & n- cut pas la force de difconvenir de tout ce que le Comte venoit de dire. La malheureule Reine eclaircie d*un myMre, qui malgre fa bonne foi la faifoit paroitre coupable, feroit morte de douleur, fi par les Confeils de Bel-funfinc elle n' eut fufpendu fon defefpoir pourPa-mour de Meridiana: elle ne laiffa pas d* ordonner que la nourrice fut remife au Prince Guilledin, & de lui faire rendre la ceinture doree, les epingles, le petit couteau & les cizeaux, que le Roi Guillemot lui avoit envoyez* ■ Le Prince Guilledin fe retira viQorieux, & fut recti dans les Etats de fon frere avec des applaudif-femens extraordinaire?. La nourrice, enfermee dans une cage de fer, fut long-temps trainee par les rues; & on la jetta enfuite dans la mer. Le Roi Guille-rnot^qui avoit refufejle defi du Comte d'Urgel, fut tondu 144 La Reme tondu & enferme, & 1c Prince Guilledin mania Cut le Trone. Urraca honteufc de fes malheurs, n'eut pas le courage dc fouffrir la vue d'aucun de fes Sujets, & fe retira avec fa chere fille & la Fee Bellunfine dans une montagnedes Pyrenees, qui ellla plus haute de toutes, & cju'on nomme le Pic dc midi; elle mit toute fon application a bien clever Meridiana, a lui infpirer du mepris pour tous les hommes, & a lui apprendre tout ce qu'elle fcavoitd'Aftrologie; cette jeune perfonne devenoit chaquc jour plus agreable, & avoit deja beaucoup plus d'efprit & de raifon, que n' en ont d' ordinaire les enfans de cet age. Bellunfine l'aimoit auffi tendrement que fa pr'opre mere, Tune & T autre lui faifoient part> Urraca de fa fcience, & la Fee de fes fecrets furnaturels; elle fe fouvenoit de tout ce qu' on lui avoit dit une feule fois, & elle etoitd'un naturel fi doux, qu' elle ob6« "iffoit toujours fans replique a tout ce qu' on vouloit exiger d'elle. La grande beaute de Meridiana, fa dociiit6, & les progres continuels qu'elle faifoit dans les Sciences & dans tous les fecrets des Fees, confoloient beaucoup fa trifle mere, mais comme tous les bonheurs de la vie font de peu de duree, une autre Fee qii^on nommoit Barbafia, jaloufe de la beaute & des talens extraordinaires de la jeune Prin-ceffe, Penleva fecretement, & de peur que Bellunfine ne decouvrit fa retraite, elle brula du genievre & d'autres graines dans tous les endroits de fon paf* fage, & alia enfermer la Princeffe dans une tour fort haute qui eft au Chateau de Pau , iitue au pied des Pyrenees; elle lui donna pour tache de tirer dc Peau dun puits fort profond, de la mettre dans un criblc, & de monter enfuite cinq cens degrez pour la porter au haut d'une Tour, ou la Fee avoit un petit Jardin qu' elle lui faifoit arrofer. La Pveine Urraca deja accablee par fes malheurs, ne put lurvivre a la perte dc fa chere fille, & mou- rut . des Fees-f iq.f rut peu de tems apres F enlevement de Meridiana* fans que ramitie que Belfunfine lui temoignoit^ nt toute;s les affurances qu* eile lüi donnöitj de n' avoir jamais de repos qif eile ri' eüt deeouvert fa retraite^ fuffent capables de la confoler. Cependant Meridiana^ bien loin de fe plaindr« de fa penible tache,. s' en acquittoit avec bcaucoup de fucces, & s'aidoit meme des fecrets que Beifuß-fine liii ävoit deja apris, fans que Barbafta s'en ap-percnt jamais; en forte que toütes les fois que cette mechante Fee paroiübit, la Princeßje la reGevoit d' inj air fort gracieux , la fuppliant toüjours de lui ördonner quelque chofe de plus difficile> &ratTu-rant qu' eile ne'f$ auro.it jamais prendre ajffez de peine poür plaire ä line fi bonne Fee. Barbafta furprife & du rude travail & de la patience 4e la PrincefTe, ne iaüToit pas de lui donner chaqne jour de nouvelles occupations, dont les der-nieres ötoient toüjours plus penibles que les autres^ juf grands Princes ibientdifpenfezdecette fa-tale viciffitude; alors elle fe confirm a dans la resolution quelle avoit deja prife, & que la Heine fa mere lui avoit 11 fouvent infpiree, depratiquer la vertu, derenoncer au commerce des hommes, de s* appliquer de nouveau d la connoiffance des Aflres, &de profiter delabpnne volonteque les Fees avoieht pour elle; remplie de ces fentimens elle s'attacha fortement a Belfunfine, qui acheva deluiapprendre tout cequ'ellefca'voit. Earbafta qui ne Patmoit pas meins que fa com-pagne, lui fit part auffi detous fe? fecrets; elle fe trouva en plufieurs alfemblees de Fees, ou elle fut fort admires & spplaudie; commeellesremarquerent qu' elle ctoit informee de tons leurs fecrets, & qu'elle etoitentierement'detach ee de la vie, ehes rcfolu-rentde la recevoir au nombre des Fees; elle parut touchee de fhonneur quvon lui faifuit, mais lorfque dans laceremonie onluipropofa de prendre la figure d'un Dragon pour avoir le don des illuiions, & pour faire paroitre un magnifique Palais ou iln'y avoit que dela fumee, elle s'en oefFendit, .c^alleguaqu'ellene vouloit romper perionne; la plupart oes Fees murmur ere nt contre cette delicateife 3 mais cela paffa a la üw Fees H? pluralite des voix en faveur de fabeauté & de fa gran-de naiffanee. Auffi-tôt qu'elle fut Fée, eile ne.fön«-gea qü'ä propter des avantages du Féiíme pourfou-lager uneinfinite de perfonnes opprimées; eile choifit pour fa demeure une grotte au pied des Pyrenees,, qü eile orna ď une infinite de belles Statues, &qu' on apelle encore aujourd huil'Efpalungue de Meridiana^ eile parcourut toutes lescontrées de P Uni vers, íbus. prétexte d® vifiter les Fées fes compagnes, á qui eile fit de riches préfens, quoi qu' eile n' eut entrepris ce Voyage que pour connoitre les mceurs de toutes-ces Nations. Mais eile reconnut qu* il y avoit partout de la malice, deľinfidelité, &de lafoibleiľe, &que la plüpart des hommes avoient prefque toujours les mémes défautsen quel que Pais qu'ils fuffent, &n'en trouvant aucun qui f tit parfaitement heureux, &qui ne defirát encore quelque chofe, cette connoißance lui donna beaueoup de compaífion pour leurs miieres, & la fortifia dans la réíblution oü eile étoit de íbu-lager toújours les malheureux. Pendant tout fon voyage eile ne perdit jamais d^oe-cafion de faire du bien; étant arrivée aux Indes chez la Fee Mamelec, elle remarqua dans fon Palais une jeune perfonne ď une bcauté lurprenante, qui étoit occupée ä couper du chaume pour faire de la litiére ä cinquante Chameaux. Meridiane jugeant qu'ilpouvoit y avoir quelque • chofe fort extraordinaire, lui demanda qui eile étoit; la belle lui avoüa qu'eile étoit fille duRoi de Mono-motapa, & luiditque fa marátrecherchant ä fevan-ger de ce qu'elle n* avoit pas voulu époufer undefes freresj avoit prie la Fée Mamelec deľ enlever, & que la Fée ľ avoit enchantée pour trois cens ans, dont il n'y en avoit encore que deux cens de pafféz; ellefe mit ä pleijrer en achevant ces paroles, & pria Meridiana de ne la détourner pas de fon travail, par-ce que s'il n* étoit pas fini ä Pheure marquee, quatre vieilles, qui étoient fes furveillantes, fe relayeroient a la battre, la premiere lui donneroij: cinquante coups K z de La Reine & qui f^avoitles obligations qu* eile lui avoit, affiira la Reine qu'elle feroit ravie de lui canferver.ee eher Als, & lui dit que fi les droits qu' eile avoit déja fur la Couronne ne füffiföient pas, eile lui donneroi-t un tre-for d'un prix ineftimable; la Reine Fembrafía mille fois, & le trefor ayant été trouvé dans Pendroit que. la Fee avoit indiqué, le mariage fe fit aveo des magnificences extraordinaireSj & une fatisfa&ion reci-pro que des deux amans. Merldiana ravie ď avoir fini une fi grande affaire* s'en retournadans fagrote desPirenées; fa vigilance & fón bon coaur ne lni permirént pas de demeurer long-temps tranquille; eile fetrouvoit aux couches de toutesles Reines, & ne fe contentoitpas d'emppcher la fupercherie des autres Fees, elledoiioitles Princeffe ďune extréme beau té, &les Princes ďune grande valeur, & les rendoit méme quelquefois invulnéra-bles; de lä vient que dans les fiécles paffez les enfans des Rois n' avoient befoin que de leur épée pour «on-quérir plufieurs Royaumes, La reputation de Mp-ridiana s'etendit par tout P Univers; & quelqueenvie que les autres Fées lui portafíent, eile les traitoit avee tant de eivilité, & eile leur feavoit faire des petits préfens fi agréables & fi á propos, qu'elle iPavoit pref que point d'ennemies, & étoit généralement eftimée dans tout le corps des Fées. Lefécours qtPelle donnoit aux Tétes couronnées ne P empéchoit pas de rendre fervice aux' perfonnes ďunecondition mediocre; &ft eile troíivoit unep&iJL vre Bergere, qui n* eut pas la force de defendre fes moutons contre un loup affamé, eile voloit á fón fe-cours & la conduifoit dans un bon.patu rage, d'oules loups n' auroient pas ofé approcher. Si im Bucheron endormi avoit perdu fa coígnée, eile ne dédaignoit point de la iui rappoxter3 & fi un pauvre voýageur ton> / Aes Fees. ijt ■ rat*--- tomboit ehtreles mains des.voleurs, ellefetrouvoit a fa defenfe, &le garantiffoit de leurs cruautez. En-fin tonte perfonne qui rc.clamoit la Fee Meridiana e-toitaffuree d'etre promtement fecourue: Ce,futpar \ de femblabies aBions qu'elle gagna le coeur desper-fohnes de toute forte de conditions, faifant tout for* plaifir a procurer le bien & a empecher le mal. Comme iin*^ a perfonne quin'approuve les bonnes actions, quoi que toutlemonden1 aitpaslavertu de les faire, les Fees^ etoient rayies de tout le bien qu* elles entendoient dire de leur compagne, & s'ap-percurent avec plaifir que la terreur qu'elles infpi-roient autrefois, fe tournoit en, affection, qu* elles e-toient bicn revues par tout, & appellees dans tousles Confeils des Rlois, meme des families particulieres. Belfunfme & Barbafta publioient par tout qu*elles - avoient cettc obligation a lajxelle Meridiana, & les autres Fees n'en difconvenoient pas. L' ambition qui fe glhTe dans toute forte d'Etatss fit juger aux Fees que li elles choifirToient une Reine, leur corps en deviendroit bien plus confiderable, puifque cette Reineauroitrangparmi les autres Tetes couronne.es, Ce pro jet ay ant ete applaud i par toutes les Fees, elles arretcrentun jour pour faire Teleclion,. S'etant rendues dans le lieu marque Paffaire fut fort agitee; on y propofa de limiteitle pouvoir de celle qui feroit elue; mais ce choix etant tombe fur Meridiana, toutes les Fees avoient tanf d'efrime pour elle, & tant de confiance en fa prubite, qu* elles lui donnerentuneautorite fans bornes, jufqif a pouvoir interdire celles qui lui auroient depiu, Meridiana fut enfuitc couronnee malgre fa refi-ilance, & nonobllant les raifons qu'el!e donna pour obliger l'affemblee a lui prefererla Princeffe Mtrlu* /w^cependant elle n'abufa point de fon autorite, & cut encore plus d'egards pour les Fees qu'elle n en avoit auparavant. Cette bonne conduite les charma a un point, qu'elles n* avoient aucune peine a lui obeir. La nouvelle Fveine ay ant bien ctabii fa Man, K 4 m. La Reine 'archie, renvoya les Fees ävec ordre del'informer/ riegulierement de tout ce qui fe pafferoit dans les dif«. ferentes Contf6esoü elles habitoient; & fe retira el-le-meme dans fa grotte des Pyrenees, oü eile re^ut plufieurs Ambaffades de la part d'un grand nombre de Souverains qui lui avoient de 1* obligation, &qui la feliciterent fur fa nouvelle dignity. Son elevation lui donna de nouveaux foins, nefe menageant fur rien, <&toüjours emprelfee de fe trou-yer dans tous les endroits oü elle jugeoit qu* eile pou-Voit etre utile a quelqu'un; eile fouffroit avec impa-. tience qu'on la rernercidt d' un bienfait, & affuroit i qu'elle avoit beaucoup plus de plaifir a le faire, que les autresn' en trouvoient ä lerecevoir, Elle blämoit les Grands fur lepeu.d'attention qu'ils ont ä faire la fortune de leurs inferieurs, puifque celaleur coütefi peü: eile excufoit les dcrauts de tout le monde, & ne comprenoit pas comment on pouvoit fe relbudre ä rendrc un mauvais office, oira faire du mal ä quel-qu'un. Enfin il n' y eut jamais performe qui honorät davantage la vertu, ni qui eüt tant d'indulgencepour les foibleffes des hommes; elie-fe lailfoit voirtantöt; dans fa grotte, quelquefois fur le Pic de midi, &ibu-vent dans d'autres^ endroits differens, oü eile ecoutoit tous ceux qui vouloient lui parier, & fe fervoit meine des treforsqu'elle decouvroit, pour les indigens, donnant aüffi liberalement un boiffeau d'or ä une Princeife ponr etre mariee, qu' eile donnoit une fom-nie modique 3 une Bergere pour reparer la perte d'u> sie brebis qui lui etoit mörte. Une Marquife qui avoit ete long-^tems mariee fans avoir o" enfans, fut enfin affez heureufe pour devenir groffe; eile choifit une femme de confiance qui 1' a-voit deja fervie pour nourrir fon fils. Cette nourrice ayant fort fubtilement change fon enfant avec le fils de la Marquife, ce jeune homme cut les inclinations fort baffes, & donnoit mille chagrins ä ies pr6tendus parens, jufques lä que le Marquis accufoitfa femme d'infidelitejn'etant pas poffi- I < ble \ des Fies, $1© quMl fut pere d'un garc,on fi mal tourne*. La Marquife qmn'avoitrien afc reproeher, geniiffoit & pleuroit continuellement, car ä mefure que ce faux Marquis devenoitplus grand, fes .mauvaifes inclinations fe decouvroient davantage. Ell $ avoit oui parier dela ReineFee & defesmerveilles,cequi Fobli-gea de faire un voyage aux Pyrenees pour implorer fon fccours; la Marquife fe jetta aux pieds de la Fee, laconjurant de la faire mourir, ou de char.gerl es inclinations de -fon fils.. . La Fee la releva fort gracieu-fement,. & lui dit qu'elle B'avoit aucitn fiqet de fe i^laindre ni de fon fits ni d' eile merae, puifque cefils Ui reffembloit & de corps & d* efprit, La Marquife mortifiee & honteufe d*une reponfe qui lui paroiffoit fi defobiigeante, fc'difpofbit.deja. äfe retirer, lorfquc Meridiana l'embrafla, & lui aprit de quelle maniere. fon fite avoit ete change par fa nourrice, comrae il lui feroit aife de le juftifier par une petite marque jau^ ne qu'il avoit fur le bras gauche; la Marquife s'en fouvint d'abord, & eut de P impatience de quitter la Fee pour aller chercher fon fils; Meridiana qui sf en appercut, &; qui jugea que le voyage lui paroitroit bien long pour fe rendre aupres de fön mari & lui faire part de cette bonne nouvelle,lui fit prefent de deux chevaux qui faifoient cent lieues par heure, & la renvoyatres-contente. Le Marquis, qui nepou-voit fe confoler de fe voir un heritier liindigne, pen-fa mourir de joye en ecoutant le recit de fa femme; fon premier mouvement fut de tuer cette mechante nourrice, mais la Marguife Pappaifa, &iisallerent enfemble chez la nourrice, qui demeuroit dans une de leurs terres; ilslui demanderent d'abord des. nouvcl-les de fon fils: eile repondit en pleurant, que c* etoit le plus m^'hant gar$on de tout le Pais, qu'il laiffoit perdre leur troupeau, & paffo-it les purnees a la dhaffe, ajoutant qu'il auroit ete bien plus propre ä etre Marquis que Berger. Voudriez vons le changer avec le nötre, lui dit la Marquife? V.ons croyez. rire,reparcitla maligne Bergere, peut-etre vous fcröit- & 5 il La Reine il autant d'honneur que le votre; mais faites mieuxV chargez-vous des deux. Pendant ce Dialogue * le jeune chaffeur arriva charge de gibier qu* il preTenta au Marquis, avecune politeffe dignede fanaiffance. La Marquife qui erüt ie voir dans un miroir en regardant ce jeune nomine qui lui reflembloit beaueoup, ne püt retenir plus long-temps les mouvemensde lanature, & l'embraf-fa a plufieurs reprifes les yeux baignez de larmes: Nous parlions, lui ditle Marquis, de faire un echange de vous avec mon fils, en feriez-vous fache? ß cela pouvoit etre, repartitle jeune homme,fans faire tort a Monfieur vötrefils, je me fens affez de courage pour foütenir un rang fi illuftre: Oüi, continua le Pere f mais c'eit une ne'cifüte pour etre Marquis, d'avoir une marque jaune fur le bras gauche; le jeune nomine retrouüb auffitöt fa manche & montre fa marque jaune. Le Marquis & fa femme ne pouvant douter de la verite, 1' embrafferent de nouveau; & la nour-rice voyantlcmyfteredecouvert,n*eüt pas la force de foütenir fori impojture, & leur avoüa tout. Ce fut par de femblables aclions que la Reine des Fees s' aquit V eftime & la veneration d'une infinite de peuples. Sa generofiie etoit admiree de toutes les Fees, mais il s'en trouvoit fort pen qui voulufTent Fimiter; la plüpart au contraire fe fervoientde leur pouvoir pour faire mille maux afcx homines, & foit par envie ou par malice, elles s'attachoient d' ordinaire äperfecuter les belles perfonnes, & fur tout les grands Princes; ce qui faifoit beaueoup de peine ä la Reine Meridiana, qui auroit bien voulu etre par tout pouryremedier; eileeffaya plufieursfois äleur donner de Phorreur pour le mal, &ä leur infpirerde nobles fentimens, mais cefut inutilement. 11 y avoit de vieilles boffues qui ne fe nourriffoient que des larmes & des fanglots des PrincefTes periecutees, & & quiauroiont mieuxaimemourirquedecefler leurs malices. Meridiana voyant que la mauvaife habitude avoit pris le defluSj & que la chofe etoit fans recede, des Fieu mede, réfolut enfin. de'fe fervir de fon autorité & du pouvoir niť eile avoit deles interdire de leurs functions de Fée, pour autant de temps qíťelle voudroit; eile les affembla toutes, & leur témoigna le fenfible déplaiíir qu eile avoit, de voirque les Fees qui fe-roient honorées comme des^ Divinitez ü elles s' appli-quoient au bien, ne fongeoient la plůpart qu*á tour-menter les perfonnes illuílres; que les nommes étoient afíez maltieureux par la courte vie^ par les maladies, parle manque debiens,&paruneinfinite d'accidens imprévus qui leur arrivoient journellement, fans que les Fées miffent tonte al eur induílrie á les perfécuter, que cela paťoiífe-it íi injuíle, au'eile avoir réfolu de les interdire pour trois uécíes,^ deneleur laiffer que laliberté de faire du bien, afinqu' clles euffentletémps de s'appliquer ä des exercicesde vertu, &qif ellesfe xofrigeaífent de leur malice invétérée; eile leur or-donna enfuite de fe trouver dans les derniéres années du troifiéme fiécledans la fale du Chateau de Montar* gis, qui étoit grande & fpacieufe, pour lui rendre com-pte des progres, qu' elles auroient fait, promettant de rétablir dans leur fon&ions toutes celles qui fe feroient bien conduites, & qui auroient quelque bonne action pardevers elles. Ce fulminant Arret fit murmurer toutela troupe, mais il fallut obéir; la plůpart des Fées abandonnérent les montagnes, & fe retirérent prefque toutes dans des vieuxChateaux, ouelless'a-mullrentä filer en attendant la fin deleur interdiÓionj & depuis ce temps-La on n'entendit plus parier, ni d'enlevement, ni ď autres femblables vexations que les Fees faifoient; & la memoire s'en feroit perdue* li leurs Contes ne nous fuffent demeurez. La Heine Meridiana toujour appliquéeaubien, fit un voyage dans 1'Arabie heureuie, d'oü eile raporta le Quinquina, la Saiige, & la ßetoüane, & plufrcurs autres herbes qui avoienť la vertu de prolonger.la vie; elleles planta dans les Pyrenees, oú 1* onlestrou-ve encore aujourď hui, & dreffa un magnifique Parterre, garni de toute fortejde fleursa fur le haut du Pic ifS La Reine. . ' demidi, fans quele temps ait pu detmire cet agreabie Parterre, qni iübfifte encore, *&que tous les curieux yont voir avecplaifir: Elle s' ättacha enlüite pendant plufieurs annees ä connoitre les eaux cryftalines qiil fortent des Pyrenees; &s'etant apercue que ces eaux avoient plufieurs vertus differentes, eile jugea que fi eile pouvoit les faire paffer dans les mines d*or, de plomb&de foulphre qu'il y a dans ces Montagues* les eaux prendroient la vertu de ces minerauxv & feroient d'nn grand fecours pour le foulagement des hommes;elle examina leurs ioiirccs, les fit coulerpar de nouveaux conduits, & les melafi bien, que ces eaux gueriffoienttoute forte de maladies; &c' eftauxfoins de cette illüiire Fee qucrföüs devons les eaux de Bag-vires pout les fievres & dautres maladies differentes; Celles de Bareges pour toüte forte de bleifures; celles de Cauteres pOÜl* les indigeftions ; Argue-httne pOUr les vlceres, & Argue cnutes pour lc Rhnmatifmes. Quoi que Meridiana Int bienfaifante pour tout le iUoiicle* eile avoit une predilection particUÜere pour fon Pais; & fongeant que laplupart des Pvois de ce temps-lä etoient faineants ou imbecilles, eile etoit touchee de compaffion de voir que les homines etoient gouvernez par de fertiblablcs Princes; P opinion öü eile etoit qüe les gens de fon Pais fe portaient tous au bien, & la connoiflfance qu'eile avoit de leurbori efprit^lui avoit fouvent f.tit defu^sr, qu* ün Prince de &r«r»pütregner qiielque jpurdans le beau Royaume de France; mais cosnnie cVld dtoit eilnemie desirijui ftices, & que cela ne pouvoit fe faire fans detrqncr les Pxois legitimes^ eile differälong-terrfs 1'execution1 de' ceprojet; .enfiii eile en trouval' occafion par le ma-riage d'Antoine de Bourbon^ avec Jeanne d* Albret heritiere de Navarre & de Bearni; la Fee difpofa Ii bien les efprits, que Y affaire reüfilt. La Pveine aecopeha de quatre enfans differens, qüe la Fee qui avoit de grandes vües abandonna aux deftinees* ne trouvantpas cju'ils cuffent les qualitez neeeffaires pour remplir fon projet; mais enlin la , Reine des feeL ■Heine étaní devemie groffe pour une cinquiémefoíš* la Fée doiia 1* enfant cr un bon efprit & ď une grande valeur, & fit en forte qu'il fut élevé fgns aucune dé-íicatefíé, tout comme les enfans des particulierš, & ce fut lui qui pařvint á la. Couronňe de France pat fon mériteb &peut-étře aufíi par lesfecoursdelaFéeo Ce Prince eut un fils que la Fée doiia de beaucoůjV ďefprit, de Valeur & de juftiee; mais ayantoublíé dě dotierees deux premiers d'unelongue^vie, & š'ápeř-cevant qtie les hommes avoient befoin ď exemples qui leur fuífent long-temps préfens poUř les exciťéř á la vertu, elle refolut de réparer cette faute ala premiére occafion; en effet, elle doiia le filš dé ce dernier Prince de la juftiee de fon Pere, de la valeur de fon ayeul, &y ajoúta encore une grande piété, &urie longue vie. Satisfaitě de tant dé bonnéš a&ionš, & fur tout de péirfer que les Beařnois qu*elle eftimoit beaucoúp* auroient óccafion áTavenir deřaireqUelque ufagede lcuřtalens &de leur bon dprit, par la faveur des Roís quife trouveroienUeuřs compatriotes, elle voulutef-facer de la mémoire ďes hommes le fouvenir déš Féeš, & fe retirá dans fa grotte, oú elle demeura plufieurs années fans le laiffer voir á perfonnér .11 ne s'.en falloit qu'environ deux ans, que les třolš fiécles de P interdiction des Fées ne fuffent paíféSj, lořfqne leur Pveine qui lesayoit affignées au Chateau de Montargists'aper^ůt qu'il étoit trop en defordr© pouť y receyoiť fi bonne compagnie; n'eanmoins comme la fituation dece Chateau eft třés-avantageufea qu'il y a une Sale fort fpacieiife^upe vůe charmante^ Une grande Forét, & Une belle Riviéře, Meridiaňa de* fira que P affemblée ý fát tenué^ mais ne voulaňt paš fe ferviř de fon art pouř le rétabliř, elle fe fouvint que le grand Prince qui en étoit le maítre,tiroit fon originedu yoifmage des Pyrenees, & elle étoit infor*^ méc qu'il fcavoit embellir les maifons aveC lámeme facilitéqiťilgagnoitdesbatailles; ellefefervit fořta propos de cette connoiffancc3 & iníinua á ce Prince ú& Tome ííi - L> ářeta* *S8 La Reine retablir le Chateau de Montargis, ce qui fut execute avec autant de diligence, que ii les Fées y euffent tra-vaillé,en forte quecette maiíon abandonnéedepuisplu-fieurs années, fe trouva en fort peu de temps en état ďy loger commodément plufieurs grandes Princef-fes; Meridiana y étant arnvée, toutesles autresFées impatientes de faire lever leur interdiction, s' y ren-direntauffi. La Reineles ayant recues trés-favorablement, leur témoigna la joye qu'elle avoit de les revoir, & tutlá premiére á leur rendre compte de fes occupations {>endant les trois fjécles de leur abfence: famodeítie a fit paffer fuccintement fur tous les biens qu'elle avoit procurez, & eile ne parla que de V impatience qu'elle avoit cue de les révoir; perfuadée que cha-* eune de fes fceurs avoit bien fait, &s'étoit conduit© beaucoup mieux qu' eile. La Merlufine ayant fait une profonde reverence „ affura la Pveine qu'elle n'avoit jamais^perdu d*occa-fton de faire du bien á ceux de fa maiíbn, & á beaucoup d'autres; & quoi qu'elle habitat depuis long-temps les montagnes de Dauphine, eile avoit cédé fis yetraite aux Chartreux,& s'etoitretiree dansle Chateau de Saífenage oů eile faifoit fecrettement tous les biens dont eile étoit capable, fans autre motif que la satisfaction que les ames bien nées trouvent á prati-quer la vertu; la Pveine la traita fort civilement, & aprés lui avoir fait beaucoupd'honneur & donned© grandes loüanges, ellelevafon interdiction. Une vieille Fee fort chaffteufe & mal bätie, fe pre-fenta devant la Reine, & lui remontra qu'elle s'étoit retiree dans le Chateau de Pierre-encife, ou elle a-voit empéché que les prifonniers ne re^uffent point de lettres de perfonne, & qu'aucun d'eux n'echapät de cetterudeprifon, demandant pour récompeníé que la Reine lui permit de Féer comme elle faiioit autrefois^ la Reine lui répondit que puiique Y emploi de Geoliére étoit fifort de fon gout, elle lui ordonneit 4e le continues fans fe jnéler ú* autre ehofe: ce juge* des Fees. 15 j ment fut applaudi, & il s' éleva une grande huée con* tre la pauvre vieille» Alors une grande Fée de bonne mine s* avanca vers JaPveine,& lui apprit qu' eile avoit choifi pour fare-traitele Chateau de Moncalier fur le Po, qu'elle s'é-toit trouvée aux couches ď une Ducheffe qui alloit dé pair avec les Reines, qu'elle avoit doué la petite Princeffe dont eile étoit accouchée de bcaucoup d*e«< fprit, ď une folide vertu, des plus beaux yeux du mondeTďunbeauteint, & merne ď une bonne con-duite fort prématurée, parce que des fa naiffance eile P avoit deftinée á occuperleplus augufte Trônede la Terre, ajoütant que la connance íur les bonnes qualitez de cette aimable PrincelTe, avoit été filoin* qu' eile avoit perfuadé á la Ducheffe fa mere, de la. donner á ľépreuve pendant un an, affurée que plus ©n la connoitroit, on ľ aimeroit toinours davantage, ce qui avoit reüift comme elle ľ avoit dit: La Fee voulut enfuite parier de beaucoup ďautres avanta-ges qu* elle avoit procures á Ion Pais; mais la Reine voyant qu' elle entroit dans des details trop déli-cajs, 1 interrompit, & ľaffura que ce qu'elie avoit fait pour la charmante PrincelTe dont eile venoit de parier, étoit plus que fuffifant pour meriter qu' elle continuát á Féer avec la méme liberie qu' elle faifoit avant fon interdiction; & pour lui marquer plusfor-tement combien fa conduite lui étoit agréable, eile leva encore en fa faveur ľ interdiction ď une autre Fee de fes amies, qui n'avoit rien fait pour mériteE cette grace. II paru t une autre Fee qui avoit ľ air fort compofé; «lle aprit á la Reine, qu' elle étoit depuis long-terns retiree au Chateau de Ferrare, qu'elle avoit empéché dans plufieurs occafions les Princes voifins des'en rendre maitres, & que fon zéle pour la Religion ľavou engagée a faire tomber ce beau Duché entre les , mains du Pape; la Reine fans entrcr dans aucun detail, la bláma ď avoir laiiíe éteindre la maifon des anciens Dues de Ferrare, & la renvoya. L a Alos« ■ La- Reine i Alors il feprefenta une autre F£e quiportoit une toque de velours noir fur fa tete, & dit ä la Reine qu' eile habitoit au Chateau de Boffu en Flandre, & que pour imiter les bonnes aclions fle la Pveine des Fees, eile avoit crü ne pouvoir mieux faire que de purger lemonded'une infinite de libertins; que pour y reülfir eile attiroit tous les .ans aux environs de fon Chateau^ plufieurs miliers d'hommes de toute forte; de Nations,&en faifoit perir une bonne partie;la bonne Reine eut horreur de cettegrande cruaute; &lui aiarit reproche la mort deplufieurs Heros, eile lui de-fendit de paroitre jamais en fa prefence. Une autre Fee en habit de chaffe fe prefenta de-Irant la Reine, &lui dit qu* eile habitoit dans le Chateau de Fontaine-bleau long-temps avant que Fran-* $ois premier en eüt augmentele bätiment, quellea-y.oit ete expofee ä une infinite de medifänces3 jufc. ques-lä qu'on la faifoit paffer pour un phantome, ipus piretexte qiPelle chaffoitquelqiiefoisdans laFo-ret; qu' eile affiiroit Sa Feale lYIajefte, qu*eilen*avoit Jamais fait de mal ä perfonne, evitant memo de faire peur aux Bergers, & qu*eile avoit eu la fatisfaclior* de fe trouver aux premieres couches d*unefage Reine, & de doüer fon enfant de toutes les vertus d' un Heros, & fur tout d*une bonte femblable ä celledela Reine fa mere, & qu'eile voyoit avec plaifir que ce Prince ne s'&oit jamais dementi en rien, foit que le Roi fon pere V eut mis a la tete de fes Armees, qu' il i'eut appelle dans fes Confeils, ou qu' il 1* eut charge d' autres foins. La Reine qui s* interefföit beaucour> au Prince de qui la Fee venoit de parier, leva foa interdiction, & fit meme fon eloge. Üne autre Fee, qui paroiffoit la fuivantedc celle de Fontainebleau, fe jetta aux pieds de la Reine, & lui aprit qu'elle demeuroit dans le Chateau deCham^ feor, oü eile n* avoit prefque point eu d'occafion de faire ni bien ni mal, que cependant eile avoit toujour? eu bonne volonte, & que ne pouvant mieux faire, §11§ avoit fouventempeche lesRenards de manner le^ Fais 'äes'Ftek Í6Í< Faifans; elleavoüa méme que la feulé malice qíťeílě eilt jamais faite, étoit de fe préfenter á im chaffeur fous la figure dun Renard, de fe faire tirer plniieurs^ coups de fuzil, &dereveoir fous la méme figure de-manderau malheureux chaffeur, s'il nT avoií point vú) paffer deux defespetíts camarades; toute la cornpa* gnie fe prit ä rire, & la Reine aufíi, íla Fée,pria cependant la Reine de la rétablir dans les prerogatives de Fée; la Reine y confentit, mais eile les borna á faire du mal auxrenards,^ aux loups, aux chats, &atoutes les autres betes qui mangent le gibier. Une autre Fee qui avoit la mine fort fpirituelle, fe prcfenta devant la Reine, & lui dit qu' elle s' étoit retiree au Chateau de Chantilli, ou elleavoit beaucoup contribué ä Teducation deplufieurs grands Heros; demandant ä etre retablie dans les droits; mais la Reine qui fefbu-vcnoit qu'elle avoit donne occafion ä tout cequis'e-toitpaffe dans les derniers Etats de Blois, & qui avoit la memoire encore r^cente^ des pernicieux confeils qu'elle avoit infpirez depuis peu ä un grand Prince qui habitoit dans ce Chateau, lui ordonnade travail-ler a perfeclionner la creme de Blois, & lui defendit de fe meler jamais d* autre chofe. II fe prefentaune autre Fee affez fimplement ve-tue, qui dit ä la Reine qu'elle etoit une des plus an-ciennes Fees de V Univers; qu* elle habitoit dans le Chateau de Pons en Xaintonge, qif elle P avoit vu avec douleur changer fouvent de maitre, & dans la crainte qu' il ne tombät enfin en de mauvaifes mains, elle en avoit procure la poffeffion a un Prince qui n'etoit pas moins recommandablepar fonefprit&par line infinite de bonnes qualitez, que par fa grande iiaiflance; la Reine en faveur de cette bonne a£tion, permit ä la Fee de continuer äFeer comme autrefois. Une autre Fee s'avan^a qui dit ä la Pveine qu'elle laabltoit ail Chateau d' Epagny en Bourgogne, dont elle des Fees. J6$ It avoit procure la pofieffion a une grarrde Princéffe, qui par ion extreme beauté, par fon air majeftueux, & par fa bonne con-duite, m.ériteit ď étre compare'e ä la Reine des Fees, puifque fa reputation e'toit connue par tout 1' Univers, jufques-lä que des jjenples des extrénmez de la terre en faifoient lenr Divinité : la Fee demands ď étre rétablie dans fes privileges, & ajoüta méme qu'eile n'avoit" jamais fait ď autre malice, que de ronapre une fois le Pont-lcvis du Chateau, pour y retenir plus long-temps la plus ÄUguile Compagnie dumonde qu'elle y avoit attire'e; laRei-ne tronvaqu' eile étoitde bon gout, & leva fon interdiction. II en parut une autre qui avoit la mine fort fárieuíe, & qui dit qu'elle habitoit dans le Chateau de Nancy: que c'étoit avec beaucoup de regret qu'elle aveit vu V abience de fon Prince, que fi quelque chofe avoir contribué ä i'en confoler, ť é-toit 1'Alliance qu'il avoit faite avec une Reine d'un fangauga-fte, qui avoit beaucoup de vertu & de piéte'; qu'elle avoit a-bandonné pour quelque temps le Chateau de Na#cy pour fe trouver aux premieres couches de cette Reine, & qu' eile avoir doüe l'enfant ďune bonne mine,ďune grande valeur,& d'ane forte inclination de retourner dans fes Etats ; que ee Prince fe trou-vant en äge d' étre maric, eile avoit ii bien conduit fes affaires» qu'ellelui avoit procure une jeune PrinceiTe, qui ne comptoit que des Rois & des Empereurs parmi fes Ayeuls, mais beaucoup moins confiderable par fa haute naiíTance, que par fa do-«ilite, par fon efprit & p*r fes inaniéres noble: Je me fiate, grande Reine, continua la Fée, qu'en faveur de cet illuítre couple, vous me re'tablirez dans ir.es anciens droits, dans 1'af-furance que je vous donne que le premier enfant qui naitra de cet augnfle mariage,fne manquera pas ď étre doiié fort§avan-tágeufement. La Keine fe prit a rire, & leva l'.interdidioa de la Fee. II fe préfenta une aurre Fee qui parloit un Francois cor-rompu, & qui dit ä la Reine qu'elle habitoit dans le Chateau de Rifwick, oů eile avoit attiré par fon adrefíe les Ambafíadeurs des plus grands Princes de la ten e, & spies plufieius Conferences les avoit enfin obligez á conclure une bonne Paix. Elle voulut parier enfuite *du mérite des Princes de la maifon de Naf-fau, a qui ce Chateau appartient, mais la Reine qui en étoittres-perfuadée, V aífura qu'elle n'aveit pas feefoin ď autres raifous fiour T engager ä lever fon interdi&ion; eile denna de grandes oüanjges ä fon zéle, & non feulement la re'tablit dans loutesfes anciennes fon&ions, mais eile lui accorda la méme grace pour une autre Fe'e, telle qu'il lni plairoit de la choifir. line Fee fort decre'pite parut devant la Reine, ck lui remontra qu'elle habitoit depuis t rés-long temps dans ie Chateau de Loches, oú il ne s' étoit jamais rienpafTé contre le fervice du Prince* qui mijne l«s htigloh ayantaffiégéee Chateau qu'ils croyoieat 164 La Reine des Fees. prendre par famine, & ayant reduits les afli^gez ä la derniere isst* tremite fame de vivres, eile imita la voix d' un cochon, & fe mit a crier jour & nuit fur les rempats, en forte que les Angloisper-fuadez qn il y a /ok encore de grandes p.rovilions dans le Chateau, leverent le liege} que d'ailleurs elle avoit. ete d'une fi grande delicatefie fur le choix des Gouverneurs de cette place, qu'elie n' y avoit jimais fouffert que des perfonnes d'un grand merke',5c d une probite' connue, fans que daiis ccs derniers temps ou ce Chateau n'avok plus ni garnifon ni fortifications, elle fe fut jamais reläche'e fur la probite du Gouverneur; la Reine qui ai-rneit les anions d' honneur la retablk dans tous fes privileges* il fe pre'fenta une autre Fee qui dit ä laReine qu'.elle habitoit dans le Chateau, de Barcelone, qti'elle avoit toiijonrs aime les belles actions \ que neanmoins, qnelque predilection qu' elle euc .pour fa Patrie, elle avoit cteli touchee de 1'extreme valeur de deux Princes qui avoicnt attaqne' fes remparts, qu'elle n' avoit pu ■leur refufer 1' entre'e de fon Chateau; laReine repliqua, quetou-tes les femmes feroient vertueufes fi elles n'.etoient touche'cs du merke de quelqu'un ; que puifqu'elle avoit eu plus d'attention a la valeur de ces deux Hero$ qu' a Ton devoirs-die lui ordonnoit de (brtir du Chateau de Barcelone, & de fe rendre ä celui d' A,* net, ou eltepourroit veiller ä r.ernbelliffement de cette Mai* fciijliii laifT.int la liberty de fe fervir'de t©us fes anciens Privileges pour cela. La Reine vpuloit Unit la feance, lotfqu'il pärtitüne autre Fee vetue ä la Turque, qui dit qu' elle habitoit depuis long-temps ail. Chateau d,' Adrinople, ou elle avoit fouvent change' la condition .d'une Efelave en celle de Sultane, & que pour fe conformer an caracle. e de la Reine des F nt a- u-la if- ia-ic 11É as čc les pit m —;,i. " ■* ■■•--------• - - "i f. í 2610457056 eod books2ebooks.eu www.books2ebooks.eu elektronické knihy získáváte prostřednictvím j eBooks on Demand digitalizaci provedla Moravská zemská knihovna v Brně l/l MORAVÁKA ZEMSKÁ KNIHOVNA