FJ0B794 Biografické fikce v současné francouzské literatuře kwartalnik neof1lologiczny, lxv, 3/2018 KATARZYNA THIEL-JAŇCZUK (UNIWERSYTET ADAMA MICKIEWICZA, POZNAŇ) FICTIONS BIOGRAPHIQUES CONTEMPORAINES EN FRANCE : ENTRE LE NARRATIF ET LE VISUEL Abstract Contemporary biographical fictions in France: between narrative and visual - This paper discusses an evolution of point of view on biographical fictions from 90' to the present, due to the important increase of literary practices exploring images and their role in the constitution of the biographical discourse. The relation between fiction and reality presented from the point of view of Paul Ricoeur's 'narrative identity' in first approaches of biographical fictions is now substituted by the reflection about the relation between narrative and visual which discloses, particularly in the case of biographical portraits of writers, the commemorative aspects of a literary text. Keywords: biographical fictions, writer's portrait, biographical portrait, imaginary lives, narrative identity, images, imaginary, reality, visual, cultural memory STRESZCZENIE Wspólczesne fikcje biograficzne we Francji: miqdzy narracyjnošciq a wizualnošciq. Artykut omawia zmiane podejscia w badaniach nad fikcjami biograficznymi, jaka dokonata sie od lat 90. do wspótczesnosci. Zwiazana jest ona z wzrastajacym znaczeniem literackich praktyk odwotujacych sie do obrazu, gtównie fotograficznego, i jego roli w konstytuowaniu biograficznego dyskursu. Relacja pomiedzy fikcje a rzeczywistošciq, we wczešniejszych badaniach fikcji biograficznych rozwažana w perspektywie „narracyjnej tožsamošci" Paula Ricceura, zastapiona zostaía refleksjq nad relacjq pomiedzy narracyjnošciq a wizualnoáciq, która obejmuje równiež, w szczególnošci w przypadku biograficznych portretów pisarzy, upamietniajqcy aspekt tekstu literackiego. Slowa kluczowe: fikcje biograficzne, portréty pisarzy, portrét biograficzny, žywoty wyobražone, tožsamošč narracyjna, obraz, šwiat wyobražony, rzeczywistošc, widzialne, pamieč kulturowa La recherche sur les « fictions biographiques », un vaste ensemble de productions littéraires qui constitue un courant important de la littérature fran^aise de ľextréme-contemporain et dont 1'émergence date de la moitié des années 80, a déja son histoire. Témoignant ďun intérét croissant des critiques et des universitaires qui saluent, dans un premier temps, dans cette nouvelle forme d'écriture, ľexpression littéraire d'un courant analogue observe dans les sciences > THIEL-JAŇCZUK, K. (2018): « Fictions biographiques contemporaines en France: entre le narratif et le visuel», in: Kwartalnik neofilologiczny, Warszawa: Dom Wydawniczy Elipsa, 2018, LXV, 3/2018, s, 382-392. ISSN 0023-5911. fictions biographiques contempora1nes en france 373 humaines (en particulier en histoire), celui du « retour de la biographie » (Arnaud 1989)1, eile elabore progressivement un discours critique sur le nouveau phenomene qui au cours des annees 90 devient de plus en plus repandu grace notamment ä la creation en 1989 par le philosophe et psychanalyste Jean-Bertrand Pontalis d'une collection editoriale « L'un el l'autre » chez Gallimard. La presentation de celle-ci, ä la quatrieme de couverture de chaque volume, joue le role d'un texte programmatique : Des vies, mais telles que la memoire les invente, que notre imagination les recree, qu'une passion les anime. Des recks subjectifs, ä mille lieues de la biographie traditionnelle. L'un et l'autre : l'auteur et son heros secret, le peintre et son modele. Entre eux, un lien intime et fort. Entre le portrait d'un autre et 1'autoportrait, oii placer la frontiere ? Les premieres publications critiques qui commencent done ä paraftre ä partir de 1991 (parmi elles il faut compter le numero 224 de la Revue des sciences humaines consacre au « biographique » en litterature), donnent preuvc autant d'une fascination par le phenomene que d'une hesitation terminologique: le neologisme « biofiction ». forge par Alain Buisine (1991) a alterne pendant tin certain temps avec 1'expression « biographies fictives » (Viart 2002 :16)2 pour Stre finalement supplante par la notion de « fictions biographiques ». Son imposition a ete confirmee par un article dans le supplement Universalia de I'Encyclopaedia Universalis de 1992. par des chapitres qui leur sont destines dans les histoires litteraires et manuels scolaires (Gefen 2007 : 56) ainsi que par le colloque Fictions biographiques XlX'-XXl" si&cles organise ä 1'Universite Stendhal ä Grenoble en mai 20043. Si les premieres etudes consacrees ä ces nouvelles productions litteraires discutenl leur «indecidabilite generique » (Viart 2001 : 338). tächent de leur trouver une genealogie dans l'histoire de la litterature francaise et mondiale et reTlechissent sur leur dimension ethique, elles sont en meme temps fideles ä un paradigme qui, en particulier avec la reference ä l'image de plus en plus frequente dans les pratiques litteraires et artistiques contemporaines. semble s'affaiblir sinon s'e"puiser. Ainsi la recherche sur les fictions biographiques. qui s'est beaucotip intensifiee et international!see depuis une dizaine d'annees4. 1 Dans le monde anglo-saxon le phenomene analogue, connu sous le nom de « biographical turn », a vu la consecration dans les sciences humaines grace ä des publications telles que The Turn to Biographical Methods in Social Science: Comparative Issues and Examples (ed. P. Chamberlayne, J. Bornat. T. Wcngraf) London: Routledge 2000 ou plus recemment The Biographical Turn. Lives in History, {id. H. Renders Binne de Haan. J. Harmsma). London: Routledge 2017. - Ce texte, publie en 2002. a presente par Dominique Viart lore du Colloque International de Litterature Francaise et Francophone a Dalhousie University en septembrc 1998, Dans sa version abregee, publiee sons le litre « Essais-fictions : les biographies (re)inventres » (voir L'edatement des genres au XX' siecle. Paris : Presse Universitaires de la Sorbonne nouvelle. 2001. pp. 331-346) le terme « biographies fictives » disparait, ce qui est significatif pour I'hesitation terminologique donl nous parlons ici. 1 Les organisateurs soulignent faspect fondateur du colloque lorsqu'ils declarant que l'un des objectifs est d'attester « l'emergence et la confirmation de la fiction biographique » (cf. Monlucon, Salha : 9). 4 Nous pensons notamment aux ouvrages suivants : Fictions biographiques et arts visuels, dir. A. Salha (2006); Fictions biographiques au XlXe-XXle slides, dir. K.M.. Monlucon, A. Salha (2007); 374 katarzyna thiel-jaňczuk oscille-t-elle aujourd'hui entre deux poles, narratif et visuel, qui ont ďailleurs étč signalés subrepticement par le manifeste de Pontalis cité ci-dcssus et qui peuvent étre considérés comme deux formes complémentaires du « retour de la biographie » dont les modalités nous nous proposons de commenter dans le present article. FICTIONS BIOGRAPH IQU ES ET IDENTITE NARRATIVE « Fictions litteraires de forme biographique (vie d'un personnage imaginaire ou vie imaginaire d*un personnage rfel) » (2005 : 305). Cctte definition des « biofictions », proposee par Alexandre Gefen, est l'effet de la relecture par ce chercheur des Vies imaginaires de Marcel Schwöb (1895)5 qu'il considere comme modele du renouveau de r&riture biographique contemporaine initiee parla publication de Vies minuscules de Pierre Michon en 19846. En suivant Schwöb pour qui « Fart est ä I'oppose des idees generates, ne decrit que l'individuel, ne desire que Funique » (1979 : 171), Gefen comprend en fait les fictions biographiques comme une quete de singularite, mais retravaillee par une « esthetique litteraire de la fin du XXe sieclc », oü le « retour du sujet » se realise sur le mode de « l'identite narrative », « d'un nouvel intimisme fait d'une observation du quotidien et de sa mise ä distance ethnologique » dans un « gout 'poslmoderne' de la manipulation du savoir et des jeux ontologiques » (2005 : 305). Comme Vies imaginaires, mais aussi comme Vies des liommes infames de Michel Foucault, les fictions biographiques font vivre leurs personnages dans le discours, tout en mettant au second plan la question de leur reelle existence : [...] la fiction biographique, qui fait desormais de I'homme, comme I'histoire, un etre en attente du recit, concurrence la biographie historique dans ses functions originelles : Tetablissement des fails, la construction de la memoire collective, la penssSe des cas exemplaires. (...) Elle en emprunte non seulement parfois l'&riture, mais aussi les themes et la topique, allant jusqu'ä produire des ieurres. (Gefen 2007 : 61) Ce « nouveau pari sur le langage » (75), qui fait comprendre une existence comme legendaire7 ou, en particulier dans le cas des ecrivains et artistes, la transforme R. Dion, M. Lepage. Portraits biographiques (2009) : R. Dion, F. Fortier, Ecrire I'icrivain. Formes contemporaines de la vie d'auteur (2010); Les nouvelles e'eritures biographiques. dir. R. Dion, F. Regard (2013) : A. Gefen, Invertier une vie. La fabrique litteraire de l'individu (2015). 5 Gefen initie egalement la rendition de Poeuvre de Marcel Schwöb, ecrivain un peu oubli£ ä ce moment-la en France, qui parait chez Les Belles Inures en 2002. " Cette parente litteraire n'a pourtant pas 6t4 confirmee par Pierre Michon lui-meme qui avail designe comme son inspiration les textes anciens. en particulier Vies des dotize Casars de Suetone. Voir, entretient avec Pierre Michon dans la revue Pretexte (n° 9, 1996). citd par D. Viart (2007 : 36). ■ Au sens faucaultien du terme : « Le legendaire. quel que soil son noyau de re'alite', n'est rien d'autre finalement que la somme de ce qu'on en dit. II est indifferent ä I'existence ou ä l'inexistence de celui dont il transmet la gloire. Si celui-ci a existe, la legende le recouvre de tant de prodiges, elle fictions biographlques contemporaines en france 375 en un « mythe culturel » (63). est bien évidemment ľ affaire du biographe dont une implication manifeste dans le récit constitue ľun des plus importants topoi de ces productions littéraires et pour lequel la narration sur autrui devient une forme de I'auto-connaissance. Dans ce dialogue entre « soi-méme » et « un autre », comme dit Gefen en termes de Paul Ricoeur, la fiction biographique s'impose comme « réappropriation emotive » (75) d'une vie par le biographe qui devient son garant discursif. Le concept ricoeurien permet ainsi de dépasser {'alternative entre deux types ďidentké devant lesquels le genre biographique a été posé au cours de son développement : une identite comprise comme le méme (idem), c'est-ä-dire. une identite fixe dans le temps et servant de modele identificatoire. qui a été portée ä son paroxysme au X1XC siecle (avec la reflexion de Sainte-Beuve, Taine ou I^anson) et une identite plurielle, rhizomatique, d'une singularitě sans sujet apportée par la postmodernité (Dosse : 2013). Seulement la dialectisation de ľidentité comprise comme le meme (idem) et ['identite au sens de soi-méme {ipse) permet. par le biais de ľidentité narrative, de « restituer une cohesion de vie qui ne cesse de se faire et de se défaire » (ibid.). Le recueil le plus recent d'essais de Gefen, intitule Inventer une vie. La fabrique littéraire de I'individu (2015) dont chacun est consacré ä un autre personnage, reel (tels Sade, Emily Dickinson, Flaubert. Rance, Dora Bruder, Héliogabale) ou imaginaire (Percival Bartlebooth. Jed Martin), perpétue ä sa facon cette dialectique : en dévoilant dans chaque essai la maniere que les écrivains adoptenl pour transformer « une vie en destin », le chercheur preserve ďun côté la singularitě de chaque demarche sous la forme d'une etude des cas, et d'un autre, il montre la littérature comme une machine qui inclut ces destins particuliers dans le reservoir de la mémoire collective. FACE AU VISUEL Si done la recherche considere. dans un premier temps, les fictions biographiques comme hcritieres du genre ancien de vie et les situe sous l'embleme de I'identite narrative, elle est toute suite completee par les travaux qui montrent, d'un cote, la n&essite d'un affinement terminologique de ce vaste ensemble de productions et d'un autre, qui prennent en consideration les aspects visuels de representation d'une vie tout en rappelant, comme les auteurs de la publication Fictions biographiques et arts visuels (2006), 1'enracinement de cet ancien genre dans la tradition du portrait*. En plus, comme le fait remarquer Jean-Benoft Puech. critique universitaire fembellit de tant d'impossibilite's que tout se passe ou presquc comme si jamais il n'avait vecu. Et s'il est purement imaginaire, la le"gende rappoite sur lui tant de recits insistants qu"il prend I'epaisseur historique de quelqu'un qui aurait existe » (Foucault 1977 : 241-242). 8 Comme le declarent les auteurs du volume, la fictionnalite" de ces biographies, qui sont aussi en quetc de singularity, est Teffet d"un renversement du point de depart qui n'est pas ici artiste, mais 376 katarzyna thiel-jaňczuk et ecrivain, la majorite des etudes consacrees aux fictions biographiques se refere, contrairement a leur definition propose par Gefen (2005) ou Monlucon et Salha (2007), aux recits qui parlent des personnes ayant reellement existe, en particulier des ecrivains et artistes. D'ou il propose d'appeler « biographies fictionnelles » les recits dont il esl lui-meme auteur, qui racontent la vie des ecrivains imaginaires et qui se presentent, a la difference, par exemple, des romans biographiques, comme les pastiches de la biographie historique ou savante (Pucch, 2013). Cet interet pour le potentiel visuel de representation d'une vie s'explique par 1'exploitation de plus en plus frequente de 1'image, en particulier photographique, dans les pratiques litteraires et artistiques a vis£e (auto)biographique. Deja dans Manifesto photobiographique public en 1983, ses auteurs, Gilles Mora et Claude Nori, declarent : La photographic redoublera done notre vie. Temoin biographique par essence, nous la ferons rebondir de toutes nos forces au coeur de notre projet autobiographique jusqu'a ne plus savoir s'il convient de vivre pour photographier ou 1'inverse. (Mora, Nori, 1983 : 103) Dans le contexte qui nous interesse, il est important aussi de souligner l'apparition, en 2004, d'une collection « Traits et portraits » chez Mercure de France, dirigee par la journaliste et ecrivaine Collette Fellous, dont les auteurs « s'essaient a l'exercice de 1'autoportrait » et dont les textes sont ponctu^s de dessins, d'images, de tableaux ou de photos qui « habitent les livres comme une autre voix en echo, formant presque un recit souterrain »9. Cette collection, qui est la continuation et le developpement de la collection de Pontalis citee ci-dessus10, est I'effet d'une oscillation du biographique contemporain entre recit et image, biographic et autobiographic, portrait et autoportrait qui se manifeste parfois dans I'ceuvre du meme ecrivain, par exemple, d'un Christian Bobin qui passe de I'autoportrait dans Prisonnier au berceau (Traits et portraits, 2005) au portrait (sinon une espece d'essai biographique) dans La dame blanche (L'Un et l'autre, 2007). les deux tournant autour de la photographie et de la biographie d'Emily Dickinson". Portraits biographiques (2009) est ainsi le premier recueii d'etudes qui non seulement renouent directement avec cette longue tradition de portraits litteraires, mise pratiquement de cote par les travaux anterieurs qui pourtant se referent parfois son aeuvre : « Les auteurs de ces recueils créent ainsi une nouvelle forme de Vie d'artiste : le recours á la fiction n"y est plus subordonné ä revocation ou ä I'explication de I'ceuvre du peintre, il semble, au contraire, que ce soit I'ceuvre elle-méme qui serve de prétexte ä ľinvention d'une figure unique et singuliére dont le portrait littéraire devient un equivalent du tableau. » (Salha 2006 : 4). ,J Ces mots proviennent de la description de la collection sur la page web de ľéditeur : www. mercuredefraiice.fr/collection-Trails_et_portraits-21-l-l-0-l.html (consulté le 25 septembre 2017). 1(1 Pontalis semble consacrer cette liaison en publiant dans la collection de Fellous, ľannée méme de sa creation, Le Dormeur eveille', Fellous est. de sa part, ľauteure du Petit Casino publié en 1999 dans la collection de Pontalis. 11 Les modalités de ce passage, dont le médium devient ľimage photographique. sont présentées par Brigitte Ferrato-Combe dans Im maison naíale, berceau de ľécriture : Christian Bábin entre autoportrait et portrait d'Emily Dickinson (2013). fictions biographiques contemporaines en france 377 aux textes renouant avec la tradition des « vies » tout en étant portraits (par exemple des écrivains mourants comme Morts imaginaires de Michel Schneider). Tout en la confrontant aux exigences de la narration biographique, elles semblent comprendre en plus le terme de « portrait » aussi bien au sens métaphorique que liuerale. car il est souvent ici question des oeuvres oú les images - c'est-a-dire, portraits photographiques ďécrivains ou photographies qui composent leur « imaginaire damages » (Barthes) subjectif - sont entremélées á la narration. Dans VAvant propos au volume, Dion et Lepage expliquent le sens de leur approche par le contexte d'effondrement du paradigme (post)structuraliste en prenant en consideration un corpus de textes qui se développe considérablement á partir des années 80 sous ['influence ďun intérét croissant des lecteurs par la personne méme de I'ecrivain12. Aussi proposent-ils de combler un manque dans la recherche universitaire, ťocalisée sur les genres du portrait (incluant l'autoportrait) et de la biographie (incluant Pautobiographic), en se posant pour but d'expliciter les maniěres dont s'interrogent. du XIXC au XXIe siěcles, « une forme venue de la peinture, le portrait, et une forme venue de la littérature, la biographie » (7). Les portraits biographiques, qui auraient leur origine dans la modernitě dix-neuviémiste, marquee par le développement de la photographie et l'apparition des portraits photographiques ďécrivains, présentent alors deux problěmes principaux : dans quelle mesure I'image ďun sujet (qu'elle soit peinture, photographie. film ou écriture) peut étre considérée comme biographique ainsi que comment la biographie (et i'autobiographic) inclut les portraits au sein du livre. Les chercheurs s'interessent done aussi bien aux formes de reproduction des images dans le texte qu'a ce qu'ils appellent « figurativité biographique », c'est-a-dire, á la description (on observe un engouement des écrivains contemporains pour la figure ancienne ďekphrasis) et á I'image de I'ecrivain qui se produit dans la téte du lecteur. Le point de rencontre possible entre le portrait et la biographie est - comme dans le cas des fictions biographiques - l'abandon de la representation mimétique et recours á l'imaginaire : Dans sa version contemporaine le portrait, modalitě de eonnaissance parmi d'auires, abandonne la pretention á la ressemblance stride au profit d'une recreation esthétique du modele, semblable en cela á une écriture biographique qui a pris acte des límites du substrát 12 Parmi les circonstances qui ont facilite ce retour de « I'ecrivain en personne » (Buisine) on peut mentionner les cours de Roland Barthes au College de France (en particulier la conference du 19 octobrc 1978 intitulee « Umglemps, je me suis couchi de bonne heure » oft Barthes fait la fameuse distinction entre « le marcellisme », qui est I'interct porte a la vie de Marcel Proust, et le « proustisme ». qui « ne serait que le gout d'une ueuvre ou d'une maniere lilteraire » (Barthes 2003 : 465), ainsi que la seance du 19 Janvier 1980 sur La Vie comme (Euvre oil il discute les formes contemporaines du « retour de l'autcur » (Barthes 2003 : 275). L'intere't pour la vie d'un ecrivain peut £tre aussi stimulce d'une autre fa^on : Marc Fumaroli evoque ainsi la promotion d'Arthur Rimbaud par le ministre Jack Lang au cours des annees 80 et 90 qui en fait la figure majeure de sa politique culturelle (Fumaroli 2008 : 194). Une vague de productions biographiques consacrees a ce moment-la au poete maudil n"cn scrait-elle pas l'effet ? Voir a ce propos J. Tardieu (1999). 378 katarzyna thiel»jaňczuk documentaire et reconnafl désormais les vertus de l'imaginaire dans ['elaboration ďune vérité biographique. (Dion, Fortier : 14-15) La reference - et la légilimation ďune telle representation - s'elablit a ce moment-lá á 1'intérieur du discours, dans un rapport chiasmatique, voire mutuel et nécessaire, entre le visuel et le narratif, l'image et le texte, qui se trouvent « validés Tune par l'autre et trouvent chacun dans leur partenaire un prolongemenl au role transitionnel qui est le leur » (Ortel 2009 : 32). Le concept de portrait biographique semhle rompre alors avec 1'illusion, dénoncée déjá par un Jacques Derrida (De la grammatologie) ou par un Roland Barthes (La Chambre claire), de la transparence aussi bien de Fécrilure que de la photographie prises dans leur sens materiel, celui d'une trace délaissée sur le papier ou sur une pellicule photographique. Si, surtout apres la periodě textuelle dans la théorie littéraire, la valeur médiatrice de l'ecriture est aujourd'hui incontestable et elle legitime des approches qui considěrent la lecture comme un acte de perception visuelle plutót qu'intellectuelle (ou lire veut dire rcgarder, comme on regarde une image), la chose paraft plus compliquée dans le cas de la photographie qui, depuis son apparition á la modernitě, a été reconnue comme une reproduction mimétique de la réalilé ce dont les échos sont encore sensibles jusque dans Fépoque contemporaine13. D'ou. comme nous le rappelle I'un des auteurs du volume, la mise en place, par nombres d'ecrivains - á commencer par les écrivains de la Nouvelle Autobiographic - des pratiques qui jouent avec ce statut privilégié de la photographie en la considérant comme un support, une métaphore ou un double du moi écrivant (Marguerite Duras), en visualisant Facte de la prise de photo (par exemple dans les photo-textes d'un Denis Roche) ou en présentant la photographie comme impossible, absente ou rejetée (Roland Barthes. Georges Perec ou Annie Ernaux) (Ortel : 2009). LE NOIJVEAU PARADOXE DU BIOGRAPHIQUE Les difterentes approches des productions « biographo'ides » (Buisine) contemporaines que nous venons de presenter montrent alors qu'il est difficile aujourd'hui de penser le biographique14 uniquement en termes de Fidentite narrative. II est significatif que Paul Ricoeur a lui-meme remplace, dans La memoire, Vhistoire, ta Voir par exemple un violent debar, qui s'est deroule entre le metteur en scene Claude Lanzmann et le theoricien de l'image Georges Didi-Huberman qui a mis en doule la valeur documentaire du film Shoal) en demontrant qu'il est, a cause par exemple du travail de montage, representation et non pas realite (voir G. Didi-Huberman. Images malgre tout, 2003). 14 Le terme « biographique » s'impose avec I'abandon par Tecriture biographique de la pretention a une representation mimeUque et la prise de conscience des possibilites heuristiques de la fiction litteraire a partii des annees 80. Viart propose de le definir, a la suite de « I'effet de reel » barthesien, comme « I'effet de vecu » (Viart 2001 ; 24). fictions biographiques contemporaines en france 379 I'oubli, l'idee de representation narrative par le concept de « representance » ou I'ecriture dans son aspect visuel devient icöne du passe" et dont le rapport ä la realite n'est plus question d'un travail de configuration du recit, mais d'une intention referentielle mise en oeuvre par rhistorien au cours de la narration. Aussi, dans le contexte de la recherche qui nous interesse, Dominique Viart constate que « la dimension narrative en effet ne rend pas suffisamment compte du biographique » (2001 : 11). En tant que terme ambigu. qui « d&igne ä la fois un contenu et une forme, une matiere enoncde et une matiere enonciative » (24), le biographique ne se laisse done pas penser aujourd'hui sans la reference ä I'image (qu'elle soit reproduction, image mentale ou texte) et, plus generalement, au visuel15. Ceci concerne de maniere particuliere, semble-t-il, les biographies d'ecrivains dans le cas desquels le biographe doit prendre en consideration aussi bien leur relation ä 1'ceuvre que leur image sociale. Selon Jean-Benoft Puech (2013) il ne s'agit alors plus d'un « recit retrospeclif qu'une personne fait de 1'existence d'une autre, lorsqu'elle met l'accent sur la vie individuelle de celle-ci, en particulier sur l'histoire de sa personnalite », comme le voulait la reflexion narratologique, mais d'un ensemble d'activites. pas necessairement discursives, par le biais desquelles la personne reelle de I'auteur se transforme en personnage et dont la biographic traditionnelle ne constitue qu'une synthese « discursive et iconique » (30). Le biographique ainsi compris detruit la narration jusqu'ä son essence en subslituant au rtäcit de vie qui se deploie dans le temps une mise en scene de differents elements constitutifs de la vie d'un ecrivain, ä commencer par le cadre de son existence, en passant par son visage, son corps et gestes retrouves dans les portraits verbaux ou iconiques, ses relations avec les institutions litteraires, pour finir a un ensemble de temoignages dont il est lui-meme l'objet. Une telle composition, qui autorise ä penser l'ecrivain lui-meme comme oeuvre, n'est jamais definitive, mais eile subit d'incessants reajustements et interpretations. II ne faut cependant pas oublier que celte image sociale peut rejoindre un furor biograplncus (Madelenat) contemporain, voire en etre Symptome dans les societes ou ['omnipresence de I'image et la domination du visuel rend le public avide de manifestations et de shows. A l'encontre des « socieie|s| de spectacle[s] » (Guy Debord), la biographie rövele d'autres vertus du visuel que Daniel Madelenat appelle « endoscopiques » et qui sont enracin&s dans son heritage narratif meme, dans son eclectisme et son capital gen£tique ct qui, ä la difference des discours theoriques textuelles et des techniques visuelles, la rendent aptc ä expliquer les relations compliquees et intimes, voir « physiognomoniques » entre l'ecrivain et son ceuvre (2013 : 62), La biographie litteraire ainsi comprise a aujourd'hui toutes 15 II importe aussi, pour la relation entre le biographique et le visuel, que les representations biograpliiques accompagnent le développement des techniques de reproduction qui les souvent vulgarised! (comme heliogravure ou lithographic qui vulgarisent le portrait) ou font disparaitre (comme Photographie qui fait diminuer ľusage de ľhypolypöse) (Madelenat 2013 : 62). 380 katarzyna thiel-janczuk les chances de devenir un outil de resistance contre, Selon l'expression de Martin Jay « le pouvoir [contemporain) du regard » : Dans cette dynamique concitrrentielle, eile peut choisir la surenchere, le scoop, le tape-ä-l'cail, la surexposition ; ou penchcr vers l'iconophobie, le demi-jour, le clair-obscur oü le charme de l'auteur ne se dissipera pas et ou le rayonnera un feil interieur qui conteste la lumiere commune. (62) Neanmoins, meme si l'on multiplie les etudes qui laissent de plus en plus de place au röle joue" par l'image (au sens large de ce terme : texte, photographic peinture, images mentales) dans les biographies litteraires contemporaines, si l'on abandonne l'identite narrative au profit d'une identity « ä dimension topologique » (Ortel : 43) qui se definit en termes de distance plutdt que temps et l'on voit le biographique piege dans un nouveau paradoxe, celui de visibility et d'invisibilite, les deux courants presentent en fin de compte la meme forme - mineures ou faibles, sinon tout simplement litleraire - d'historicite oü le modele, legendaire (reduit ä la summe de ce que l'on en dit) ou allegorise (devenu « signe dont le sens ne s'aurait s'epuiser » comme le precise Dugast-Portes (248)), ne cesse de nous echapper. BIBLIOGRAPHIE Arnaud, C. (1989) ; « Le retour de la biographie : d'un tabou ä l'autre », Le De'bat, 54,40-47. Barthes, R. (2002) : (Ettvres completes (dir. E. 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