53 cm on papillonne ďun agregát á l'autre, on butine dans toutes les fleurs, on respire tous les parfums, on donne de la voix, on rit fortement. Homines, femmes, enfants, tout le monde se serre les mains; les sourires et les éclats de rire fusent de part en part. Cest comme un joli vernis pailleté, presque miěvre. Sur la facade du poissonnier, la photocopie d'un tract dénonce et appelle á la delation: Forte recompense pour qui nous ramenera hissouba, ethnie congolaise, génocidaire des Pygmées. lis ont oublié de laisser leur numero de telephone. Face au poissonnier, un primeur regorge de dattes. II a aussi des mandarines fraiches; elles ont encore des feuilles. II a méme des cerises. J'adore les cerises. Noires, rouges ou violacées, elles sont tou-jours le pretexte d'un petit rituel, dans le temple de ma bouche. J'en livre une tout entiěre á mes lěvres et la précipite sur ma langue. Je proměně sa forme ronde et lisse ďune joue á l'autre, puis, des canines, je frappe, assez mollement pour ne pas etre prise au piěge du noyau. Je perce la peau, ferme, et croque dans la chair, fine. Le jus, frais, se répand, glisse sur mes papilles. Deux jeunes femmes arabes choisissent des dattes. Le marchand blanc, gris et use, leur sourit du milieu de sa barbe naissante; une barbe plutót sel que poivre. Ses yeux sont clairs et son visage buriné, comme celui d'un marin. Les deux femmes paient, et disparaissent. Un jeune Blanc, en jogging et baskets noirs, demande un kilo de mandarines. Quatre dattes tom-bent de Petal, s'ecrasent sur le trottoir sale. En partant, le jeune homme marche dessus, s'arrete, semble hésiter á les ramasser, puis sen va. 17 Bessora Je commande mes cerises, Le vieux Blanc remplit un sachet de papier, en regardant s'eloigner le jeune homme qui vient d'ecraser ses dattes. Le vieux mau-gree, et insulte le jeune Blanc en parodiant grassement l'accent qu'il imagine africain: Connard de Blanc! Ah. Le joli marche multiracial de la rue Dejean. Son connard de Blanc a des airs d'encule de Blanc, que certains Caldoches s'envoient en rigolant, juste apres avoir fraternellement deblatere sur ces encules de Kanaks. Le ton du marakher est maladroit, son regard fuyant, presque inquiet: quelques encules de Negres et d'Arabes l'ont entendu; ils ne rigolent pas du tout: ils comprennent trop bien. Le trait d'esprit est rate. Une vieille Arabe, tatouee d'entrelacs de henne, glisse sur l'une des dattes ecrasees et s'affale sur le trot-toir. Elle est trop lourde pour se relever. Un Blanc, oli-vatre et robuste, de trente-cinq a quarante ans, vole a son secours. II s'agenouille, prend la femme par le bras, l'aide a se redresser et essuie son dos; elle le remercie chaleureusement et disparait. L'homme epoussette son costume trois-pieces, donne un coup de peigne a ses petites boucles noires, et lisse sa fine moustache de danseur de tango argentin. II s'exile cinquante metres plus loin, sur une petite place pavee qu'il se met a arpenter en observant les alentours. Le maraicher ricane derriere sa barbe. Je regarde mes cerises. J'ai l'intuition que je ne les mangerai pas. Je le sens: ce marchand de legumes s'apprete a exe-cuter une danse macabre devant moi. Je la sens venir, je la sens gonfler, j'entends monter la musique funeste et le grondement sourd. Le vieux se dresse derriere Petal et quitte son comptoir. II ramasse les quatre dattes 18