236 Probléme* de linguistique generále etre sinon remplacee, au moins interprétée, dans 1'ordre 7- Pai Une ^tínction entre personne stride - « stnguhcr ») et pmonne amplifiée « pluriel »). Seule lÍrLr^Hcrr30nne étiint n°«-P—, adLt un CHAPITBE XIX Z-w relations de temps dans le verbe frajqais L'ensemble des formes pcrsonnelles du verbe francais est traditionnellement réparti entre un certain nombre de paradigmes temporels dénommés k present », « imparfait », « passé défini », etc., et ceux-ci á leur tour se distribuent selon les trois grandes categories du temps, present, passé, futur. Ces divisions, incontestables dáns leur principe, restent cependant loin des réalités ďemploi et ne suffisent pas á les organiser. Nous ne trouvons pas dans la seule notion de temps le eritěre qui décidera de la position ou méme de la possibility ďune forme donnée au sein du systéme verbal. Comment savoir, par exemple, si il alluit sortir appartient ou non au paradigme de sortirl En vertu de quelle classification temporelle devra-t-oh 1'accepter ou le rejeter? Si 1'on essaie de ramener aux divisions temporelles les oppositions qui apparaissent dans la structure matérielle des formes verbales, on rencontre une grave difficulté. Considérons par exemple l'opposition des formes simples et des formes composées dans le verbe. S'il y a lieu ďopposer il courait et »7 avait. count, ce n'est pas en tout cas sur le méme axe de temps oil il courait s'oppose a il court. Et cependant il a couru est bien en quelque maniére une forme temporelle, puisqu'il peut équivaloir á il courut. Mais il a couru sert en méme temps de partenaire a il court. Les rap-•ports des formes composées avec le temps restent ainsi ambigus. On peut certes transferer la distinction des formes simples et composées au comptc de V a aspect », mais on n'y gagnera rien de clair, car 1'aspect ne fournit pas non i. Bulletin de ta Société de Linguistique, LIV (1959), fasc. 1. Problémes de linguistique generále Y> sion : toutc énonciation supposant un locuteur et un audi-teur, et chez le premier 1'intention ďinřluenccr 1'autre en quelquc manitre. Cest ďnbord la diversité des discours oraux de toute nature et de tout niveau, de la conversation triviale á la harangue la plus ornée. Mais c'est aussi la masse des écrits qui reproduisent des discours oraux ou qui en empruntent le tour ct les fins : correspondances, mémoires, theatre, ouvragea didactiques, bref tqus^les genres ou^ quel-qu'un s'adresse á_quelqu'un, s'enonce comme locuteur ct organise ce-qu'il" dít dans la categoric de la personne. La distinction que nous faisons entre récit rústoníiue ct ^cours ne coincide done mdlement avec celíc entre langue eerite ct langue parlée. L'enonciation historique est réservée aujourďhui a la langue éeritc. Mais le discours est éerit autant que parlé. Dans la pratique on passe de Pun a Pautre instantanément. Chaque fois qu'au sein ďun récit historique apparaít un discours, quand Phistorien par exemple repro- -duit les paroles d'un personnage ou qu'il intervient lui-míme pour jugtt les évéiicments rapportés1, on "passe á tin autre systéme temporel, celui du discours. Le propre du tángage est de perniettre ces transferts iiistantanés. Indiquons par parcnthčse que l'enonciation historique et celle de discours peuvent á Poccasion se conjoindre en un troisiéme type ďénonciation, ou le discours est rapporté en terrues ďévénement ct transpose sur le pian historique; c'est ce qui est communément appelé « discours indirect ». Les regies de cette transposition impliquent des problémes qui ne seront pas examines ici. Par le choix des temps du verbe, le discours se distingue nettement du récit historique 2. Le discours emploie librc-ment toutes les formes pcrsonnelles du verbe, aussi bien jejtu que il. Explicite ou iion, la relation de personne est iprésente partout. De ce fait, la « 3° personne » n'a pas la iliíéíne vileiir'que dans le récit historique. Dans celui-ci, J\c narratcui n'intervenant pas, la 3e personne ne s'oppose I á aueunt: autre, elle est au vrai une absence de personne. Mais dai.s le ducours un locuteur oppose une non-peršonne ' i/a um personne jejtu. De měme le registre des temps verbaux est bien plus large dans le discours : en fait tons 1. C'csi le cas ci-dessus, p. 241, n. 1. 2. Nbuj parlous toujour^ des temps du • récit historique » pour éviter le terme « tempt narrauta » qui a i.réé tant de confusion. Dans Ja perspective qui nous trucons ici, l'aonste est un > temps nurrutif », mais le purfaic peut ausai en tut- un, ce qui obscurcirait lu distinction essentielle entre Jes deux plans d'enoiici; don. * • • • - Uhonme dans la langue 243 lesJejnps_^oiiLp^silbks,jauf_UD.Jlaoriste, banni aujourd'hui de ce plan ďénonciation alórs qu'il est la forme typique de Phistoire. II faut surtout souligner lesjrois-temp^jfjojida-mentaux d_u_discours : present, futur, et jjarfait/tous les trois^exc]u§..llu récit historique (sauf le plus-qué:parfaít). Comn\yn^ux deux_piari3 fat Pimpaifajt. La distinction opérée ici entre deux plans ďénonciation au sein de la langue met dans une perspective difterente le phénomene qui a etc appelé, il y a cinquante ans, « la dispa-rition des formes simples du préterit» 1 en francais. Le terme « disparition » ne convient assurément pas. Une forme ne disparait que si sa function n'est plus nécessaire ou si une autre forme la remplit mieux. II -s'agit done de préciser la situation de Paoriste par rapport au double systéme de formes et de fonctions que constitue le verbe. II y a deux relations distinctes a observer. D'une part, c'est un fait, Paoriste ne s'emploie pas dans la langue parlée, il ne fait pas partie des temps verbaux propres au discours. En revanche, comme temps du récit historique, Paoriste se maintient fort bien, il n'est d'ailleurs nullement menace et aucun autre temps ne poúrrait le suppléer. Ceux qui le croient en voie d'extinction n'ont qu'ä faire Pexpérience de reniplacer, dans les morceaux cites plus haut, les aoristes par des parfaits. Le résultat serait tel qu'aucun auteur ne se résoudrait ä presenter Phistoire dans une perspective pareille. On peut mettre en fait que quicoiique sait écrire et entreprend le récit ďévénements passes cmploie sponta-nément Paoriste comme temps fondamental, qu'il évoque ces événements en historien ou qu'il les crée en romancier. Par souci de la varieté, il pourra changer de ton, multiplier les points de vuc, et adopter ďautres temps, mais alors il quitte le plan du récit historique. II nous faudrait dea statis-tiques précises, fondées sur de larges dépouillements de textes de lonte sorte, üvres et journaux, et comparant Pusage de Paoriste il y a cinquante ans ä celui ďaujourďhui, pour établir ä tons les yeux que ce temps verbal demcure aussi nécessaire qu'il Pétait, dans les conditions strictes de sa fonction linguistique. Parmi les textes qui serviraient de témoins, on devrait inclure aussi les traductions, qui nous renseignent sur les equivalences spontanées qu'un auteur trouve pour faire passer un récit éerit en une autre I. C'est le titre d'un article de Meillet, public cn 1909, qui a été recucilli dans Linguistique historique et linguistique generale, I, p.140 sq. 244 Problěmes de linguistique generate langue dans le systéme temporel qui convient au francais l. Inversement la statistique ferait ressortir la rareté des récits historiques rédigés entierement au parfait, et mon-trerait combicn le parfait est peu apte á convoyer la relation objective des événements. Chacun peut le verifier dans telle ceuvre conteniporaine oú la narration, de parti pris, est entierement au pnrfait2; il serait intéressant ďanalyser les effets de style qui naissent de ce contraste entre le ton du récit, qui se veut objectif, et l'expression employee, le parfait a la iro personne, forme autobiographiquc par excellence. Le_narfait établit un lien vivaut entre l'événement passé etTě present oú sou evocation trouve place. Cest le tenips de ceTui qui relate les faits en témoin, en participant; e'est done aussi le temps que choisira quiconque veut faire retentir jusqu'a nous 1'événement rapporté et le rattacher á notre present. Cornme le present, le parfait appartient au systéme linguistique du discours, car le repére_temporel du parfait„est le moment du rdiscours. alors que íe^riéjre de l'aoriste est le moment deu'^&iftment^ En outre, il ne faudrait pas tráiter de l'aoriste conune d'une unite globále dans son paradigme entier. Ici encore la frontiěre passe á 1'intérieur du paradigme et séparé les deux plans d'enonciation dans le choix des formes person-nelles. Le discours exclura l'aoriste, mais le récit histo-rique, qui 1'emploie constamment, n'en retiendra que les formes de 3e personne3. La consequence est que nous arrivames et surtout vous arrivátes ne se rencontrent ni dan3 le récit historique, parce que formes personnellcs, ni dans le discours, parce que formes ďaoriste. En revanche 1. Pour citer deux exemples de traductions récentes, ]c traducteur de la nouvellc d'Emcst Hemingway intitulée La Grande Riviéře au eutur double (dan* le recueil The Fifth Column and the Forty-nine First Stories, en francais Paradis perdu, Paris, 1949) a employe continument l'aoriste au long de quarante pages (avec 1'imparfait et le plus-quc-parfait). Sauf deux ou trois phrases de monologue intérieur, le récit entier est, en francais, installs dans cette relation temporelle, parce qu'aucune autre n'est possible. — De měme lu version francaise de Heyerdahl, L'Expedition du Kon-Tiki, présente exelusivement á l'aoriste, en chapitres enticrs, la plus grande partie du récit. 2. Cest le cas de L'Etranger d'Albert Camus. L'cmploi exclusiť du parfait dans ce récit com me temps des événements a été commenté avec penetration, mais a un autre point de yue, par M. Jean-Paul Sartre, Situations I, p. 117-118. 3. II faudrait nuancer cette affirmation. Le romancier emploie encore sans effort l'aoriste aux ir"» personnes du singulier et du pluriel. On en trouv«;ra á chaque page ďun récit comme Le Grand M tat dnes d'Alain-Fournier. Mais il en va autrement de l'historien. L'homme dans la langue 245 il arriva, ils arriverent se présenteront á chaque instant sous la plume de l'historien, et n'ont pas de substituts possibles. Les deux plans d'enonciation se délimitent done en traits positifs et négatifs : — dans 1'énonciation historique, sont admis (efi formes de 3e personne) : l'aoriste, 1'imparfait, le plus-que-parfait et le prospectif; sont exclus : le present, le parfait, le futur (simple et compose); — dans 1'énonciation de discours, sont admis tous les temps a toutes les formes; est exclu l'aoriste (simple et compose). ( Les exclusions sont aussi importantes que les temps admis. / PouíTEstorien, le present *, le parfait et le futur sont exclus • parce que la dimension du present est incompatible avec l'intention historique : le present serait nécessairement alors le present de l'historien, mais l'historien ne peut s'historiser sans démentir son dessein. Un événement, pour étre posé comme tel dans l'expression temporelle, doit avoir cessé d'etre present, il doit ne pouvoir plus étre énoncé comme present. Pour la méme raison le futur est exclu; il n'est qu'un present projeté vers l'avenir, il implique prescription, obligation, certitude, qui sont modalités subjectives, non categories historiques. Quand, dans le récit des événements et par le jeu de l'enchainement historique surgit une imminence ou doit s'accuser une. fatalitě, L'historien use du temps que nous appelons le prospectif (« il allait partir, .ľ ; « en un instant il eut écrit cette lettre ». «II aura écrit cette lettre dana une heure ». Ľ komme dans la langtie 247 20 Les temps composes ont une autre fonction, distincte de la precedente : ils indiquent VarUeriorite\JZt terme prete facilement ä discussion, mais nous nen trouvons pas de meilleur. Dans notre vue, l'anteriorite se determine toujours et seulement par rapport au temps simple correlatif. Elle creje_un rappgrtjpgique et mtra-linguistique, elle ne rcflete pas un rapport chronmogtque-qui"'serait pose dans la realite objective. Car l'anteriorite intra-linguistique maintient le proces dans le meine temps qui est exprime par [a forme correlative simple. C'est la une nofion propre ä la langue, originale "au plus haut point, sans equivalent dans le temps de I'univors physique. On doit rejeter les approximations de V « anteriority » telles que « passe du passe », « passe du futur », etc., selon une terminologie assez repandue, ä vrai dire denuee de sens : il n'y a qu'un passe, et il ne peut admettre aucune qualification : « passe du passe » est aussi peu intelligible que le serait « infini de l'infini ». La marque formelle des formes d'anteriorite est double : i° elles ne peuvent se construire comme formes libres; 2° elles doivent s'employer conjointement avec des formes verbales simples de meme niveau temporel. On trouvera les formes d'anteriorite dans des propositions non libres introduites par une conjonction telle que quand. Elles se rangeront done ainsi : anterieur de present : quand il a ecrit une lettre (il l'envoie) anterieur d'imparfait : quand il avait ecrit... (il l'envoyait) anterieur d'aoriste : quand il eut ecrit... (il l'envoya) anterieur de futur : quandjl quraJ&iL^dl\mwrra). La preuve que la forme d'anteriorite ne porte par elle-meme aucune reference au temps est qu'elle doit s'appuyer syn-taxiqucment sur une forme temporelle libre dont elle adop-tera la structure formelle pour s'etablir au meme niveau temporel et remplir ainsi sa fonction propre. C'est pourquoi on ne peut admettre : quand il a icrit..., il envoy a. Les temps composes, qu'ils indiquent l'accompli ou l'ante-riorit^, ont la meme repartition que les temps simples quant aux deux plans d'enonciation. Iis appartiennent aussi, les uns au discours, les autres au recit. Pour ne pas en prejugcr, nous avons formule les exemples ä la 3e personne, forme commune aux deux plans. Le principe de la distinction est le meme : it quand «7 a fini son travail, il rentre chez lui » est du discours, ä cause du present, et, aussi bien, de l'anterieur de present; — (i quand il eut fini..., il rentra » est un 6nonce historique, ä cause de l'aoriste, et de l'anteVieur d'aoriste. 248 Problhnes de linguistique generále L'homme dans la langue 249 La realite de la distinction que nous posons entre formes d'accompli et formes d'anteriorite nous p a rait mis e en evidence par unHautre~inlfice encore. Suivant qu'il s'agit des unes ou des autres, la structure des relations entre les formes temporelles est differente, Dans la categorie de l'accompli, la relation qui s'etablit entrcT^ormesl co'mpose,es est syme-tnque a celle qui r^gne entre les formes simples correlatives : il a ecrit et /"/ avail ecrit sont entre eux dans le raeme rapport que il icrit et il ecrivait. lis s'opposent done sur 1'axe du temps par une relation^temporelle paradigmatique. Mais les formes d'anteriorite n'ont pas de relation temporelle entre elles, Iitant syntaxiquemerit des Formes non librcs, elles ne peuvent entrer en opposition qu'avec les formes simples dont elles sont les correlats syntaxiques. Dans un exemple comme : « Quand il a fait son travail, il part », l'anterieur de present « (quand) il a fait » s'oppose au present« il part », et doit sa I valeur a ce contraste. C'est une relation tempprdle syntag- \ matigiie, Tel est le statut double du parfait. De la provient la situation ambigue d'une forme comme il avail fait, qui est membre de deux systemes. En tant que forme (libre)) d'accompli.) il avait fait s'oppose comme imparfait au present il a fait, a l'aoriste il eut fait, etc. Mais en tant que forme (non libre) d'anteriorite, (quand) il avait fait, s'oppose a la forme libre il faisait et n'entreticnt aucune relation avec (quand) il fait, (quand) il a fait, etc. La syntaxe de l'enonce decide de l'ap-partenance de la forme de parfait a Tune ou a 1'autre des deux categories. Ici se place un proces de grande portee et qui interesse le developpement de la langue. C'est l'equivalence fonctionnelle entre jefis tt j'ai fait, qui discrimine precisement le plan du recit historique et celui du discours. En fait, la ire personne je fis n'est admise ni dans le recit, etant ira personne, ni dans le discours, etant aoriste. Mais l'equivalence vaut aussi pour les autres formes personnelles. On discerne pourquoi je fis a ete supplante pat fat fait. C'est a partir de la ire per-sonne que le processus a du commencer, la etalt 1 axe de la 8ubjectivite. A mesurc qde l'aoriste se specific comme temps de l'evenement historique, il se distance du passe subjectif qui, par tendance inverse, s'associe a la marque de la personne dans le discours. Pour un locuteur parlant de lui-meme, le temps fundamental est le «j)resent a; tout ce qu'il prend a son compte comme accompli en l'enoncant a la ire personne du parfait se trouve rejete immanquablement dans le passe. A partir de lk, l'expression est fixee : pour specifier le passe subjectif, il suffira d'employer dans le discours la forme d'accompli. Ainsi de la forme de parfait j'ai lu ce livre, oů j'ai lu est un accompli de present, on glisse a la forme temporelle de passe j'ai lu ce livre Vannée derniere ;j'ai lu ce livre des qu'il a pant. Le discours est alors pourvu d'un temps passe i symétrique de l'aoriste du récit et qui contraste avec lui pour la valeur : il fit objectivise 1'événcment en le détachant du present; il a tatí, au contraire, met révénemenj passé en liaison avec no ire present. Seulement le systéme du discours subit de ce chef une atteinte sensible : il gagne une distinction temporelle, mais au prix de la perte d'une distinction fonctionnelle. La forme j'ai faitdevient ambigue et crée une déficjence. En soi, j'ai "fait est un parfait qui fourAit soit la forme d'accompli, soit la forme d'anteriorite au present je fais. Mais quand j'ai fait, forme composée, devient 1* s aoriste du discours », il prend la fonction de forme simple, de sorte que j'ai fait se trouve étre tantót parfait, temps compose, tantot aoriste, temps simple. A ce trouble, le systéme a remédié en recreant la forme manquante. En face du temps simple je fais, il y a le temps compose j'ai fait pour la notion d'accompli. Or puisque/ai fait glisse au rang de temps simple, il aura besoin d'un nou-veau temps compose qui exprime á son tour l'accompli : ce sera le surcomposé j'ai eu fait. Fonction nellément, j'ai eu fait est le nouveau parfait d'un j'ai fait devenu aoriste. Tel est le point de depart des temps surcomposés. Le systéme est ainsi réparé et les deux paires d'oppositions redeviennent symétriques. Au present, je mange s'oppose un parfait j'ai mange qui fournit au discours i° un accompli.de present (p. ex. « j'ai mange; je n'ai plus faim »); z° un antérieur de present (p. ex, « quand j'ai mange, je sors me promener »). Lorsque j'ai mange devient aoriste, il se recree un nouveau parfait j'ai eu mange qui pareillement donne i° un accompli d'aoriste (p. ex. «j'ai eu mange mon repas en dix minutes »); 2° un antérieur d'aoriste (p. ex. « quand j'ai eu mange, je suis sorti »). En outre le parallélisme temporel est rétabli entre les deux plans ďénonciation : au couple il rnungea (aoriste) : // eut mange (parfait) du recit historique, le discours répond maintenant par il a mange (nouvel aoriste) : il a eu mange (nouveau parfait). Nous n'avons donné ici qu'une esquisse sommaire d'un vaste sujet qui demanderait de longues analyses ct des statis-tiques detaillées. L'cssentiel était de faire apparaitre ces grandes divisions, parfois peu visibles, qui parcourent le systéme temporel du verbe francais moderně. Les unes, I 250 Problěmes Je linguistique generale comme la distinction du récit historíque et du discours, créent deux sous-systěmcs de temps et de personnes verbales; ['autre, celie du present et du parfait, n'est pas ďordre tem-porel; mais ä chaque niveau temporel lc parfait porte tleux \ fonctions que la syntaxe distingue : fonction ďaccompli et fonction ďantériorité, symótriquement réparties, en partie par refection, entre le récit et le_discours. Le tableau ďune conjugaison ďun verbeTrancais, 011 les paradigmes s'alignent, complets et uniformes, ne laisse méme pas soupconner que le systéme formel du verbe a une structure double (conjugaison de present et conjugaison de parfait), comme est double cette organisation temporelle, fondée sur des relations et des oppositions qui sont la realite de la langue. 4* «3 ClIAPITRE XX La nature des pronoms i Dans le debat toujours ouvert sur la nature des pronoms, on a ľhabitude de considérer ces formes linguistiques comme formant une méme classe formelle et fonctionnelle; ä ľins-tar, par exemple, des formes nominales ou des formes verbales. Or toutes les langues possedent des pronoms, ct dans toutes on les définít comme se rapportant aux měmes categories d'expression (pronoms personnels, démonstratifs, etc.). Ľ universalitě de ces formes et de ces notions conduit ä penser que le probléme des pronoms est ä la fois un probléme de langage et un probléme de iangues, ou mieux, qu'il n'est un probléme de langues que puree qu'il est d'abord un probléme de langage. Cest comme fait de langage que nous le poserons ici, pour montrer que les pronoms ne constituent pas une classe unitaire, mais des espéces différentes selon le mode de langage dont ils sont les sighes. Les uns appartiennent ä la syntaxe de la langue, les autres sont caractéristiques de ce que nous appellerons les « instances de discours », e'est-a-dire les actes discrets et chaque fois uniques par lesquels la langue est actuatisée en parole par un locuteur. On doit considérer d'ubord la situation des pronoms personnels. II ne suffit pas de les distinguer des autres pronoms par une denomination qui les en séparé. II faut voir que la definition ordinaire des pronoms personnels comme conte-nant les trois termes je, tu, il, y abolit justement la notion de « personne ». Celle-ci est propre seulement k jejtu, et fait défaut dans il, Cette difference fonclére ressortira de ľanalyse átíje. Éntre je et un nom référant ä une notion lexicale, il n'y a pas seulement les différentes formelles, trěs variables, qu'tm- I. Extrait de For Roman Jakobson, Mouton& Co., La Haye, 1956. 238 Probihnes de linguistique generale plus un principe univoque de correlation d'un type de formes ä l'autre, et ce fait demeure que, malgre tout, certaines des forines composées sont bien ä considérer comme tempo-reües, certaines seulement. II s'agit done do chercher dans une vue synchronique du systéme verbal en francais moderne, les relations qui orga-nisent les diverses formes temporelles. Cest ä la faveur de ce qui semhle une faille dans ce systéme que nous discerne-rons mieux la nature reelle des articulations. II y a un point oü le systéme se fait indůment redondant : e'est l'expression temporelle du « passe », qui dispose de deux formes, 1/ fit et il a fait. Dans l'interpretation traditionnelle, ce seraient deux variantes de la meine forme, entre lesquelles on choisit selon qu'on éerit (il fit) ou qu'on parle (il a fait). Nous aurions ici l'indice d'une phase de transition oü la forme ancienne (il fit) se maintient dans la langue éerite, plus conservatrice, alors que la langue parlée indique par avance la forme de substitut (il a fait), concurrente instullée, destinée ä s'imposer seule. Mais avant de réduire le phéno-méne aux termes d'un proces de succession, il conviendrait de se demander pourquoi langue parlée et langue éerite divorceraient sur ce point de la temporalité et non sur un autre, comment il se fait que la měmc difference ne s'etend pas ii d'autres formes paralleles (par exemple il fera et il aura fait restent absolument distincts, etc.), et tout d'abord si l'observation exacte confirme la distribution schématiquc par oü l'on a 1'habitude de les opposer. D'un probléme ä l'autre, e'est la structure entiére du verbe qui se trouve soumise a un nouvel examen. II nous a paru que la description des relations de temps constituait la táche la plus núces-saire. Les paradigmes des grammaires donnent ä croire que toutes les formes verbales tirées d'un méme théme appar-tiennent ä la méme conjugaison, en vertu de la seule morphologic Mais on se propose de montrer ici que l'organisation des temps relěve de principes moins évidents et plus complexes. Les temps d'un verbe francais ne s'emploient pas comme les meinbres d'un systéme unique, ils se distri-buent en deux systemes distincts et complémcntaires. Chacun d'eux ne" comp rend qu'une partie des temps du verbe; tous les deux sont en usage concurrent et demeurent disponibles pour chaque locuieur. Ces deux systémes manifestem deux plans ďénonciation différents, que nous distin-guerons comme celui dt_Yhi$loite et celui du tiscours. L'enonciation hutorique, aujourďhui réservée ä la langue L'homme dans la langue 239 ecrjte, caracterise le reck des evenements passes. Ces trois termes, « recit », « evenement », a passe », sont egalement a souligner. s'agit deTa~presentation des faits survenus a un certain moment du temp's, sans aucune intervention du locuteur dansle recit. Pour qu'iIs^uiss~entT"etre enregis-i tres comme s'c-tant produits, ces faits doivent appartenirj au passe. Sans doute vaudrait-il mieux dire : des lors qu'ils sont enregistres et enonces dans une expression temporelle historique, ils se trouvent caracterises comme passes. L'intention historique constitue bien une des grandes fonc-tions de la langue : elle y imprime sa temporalite speciiique, dont nous devons maintenant signaler les marques formcllesJ Le plan historique de l'enonciation se reconnait a ce qu'fl impose une delimitation particuliere aux deux categories verbalcs du temps et de la personne prises ensemble. Nous definirons Ie~ recit historique comme le mode d'enonciation qui exclut toute forme linguistique « autobiograpliique ». L'historien ne dira jamais je ni tu, ni ici, ni maintenant, parce qu'il n'empruntera jamais l'appareil formel du discours, I qui consiste d'abord dans la relation de personne je : tu. \ On ne constatera done dans le recit historique strictement poursuivi que des formes de « 3s personne » \ Sera pareillement defini le champ dc l'expression temporelle. L'enonciation historique comporte trois temps : I'aoriste (= passe simple-ou' passe' "defini) ' a~Timparfait (y compris la forme en -rait dite conditionnel), le_plus-que-parfait. Accessoirement, d'une maniere limitce, un temps periphrastique substitut de futur, que nous appelle-rons le prqspectif. Le present est exclu, a l'exception — tres rare — d'un present intemporel tel que le « present de defini- \ tion »3. Jfour mieux eclairer 1'ossature « historique » du verbe, nous reproduisons ci-dessous trois specimens de recit, pris au hasard; les deux premiers sont du meme historien, 1. Nous nous referons ici aux distinctions qui ont rt<- enoncees dans un article dc ce Bulletin, XLIII, p. 1 sq.; ci-dessus, p. 225. 2. On nc trouvera pas, esperons-le, d'inconvc-nicnt a ce que nous appelions^n aoristc »lc temps qui est le « passe simple » ou le « pusse defini » de nos grammaires. Le terme 0 aoriste » n'a pas ailleurs de connotations assez difierentes et assez precises pour creer ici une confusion, et il est preferable a celui de « prdterit » qui risquerait d'fetre confondu avec «imparfait ». 3. Nous laissons entierement de cote les formes modales du verbe ainsi que les formes nominates (intinitif, participes). Tout ce qui est dit ici au sujet des relations temporelles vaut pour ces formes cgalcmcnt. 240 Problems de linguistique geiierak mais de genres differents, l'autre est emprunte a ia littera-ture d'imagination1. Nou3 avons souligne les formes ver-bales personnelles, qui toutes relevent des temps enumeres ci-de3sus. Pour devenir les mattres du marche mediterraneen, les Grecs deployment une nudace et une perseverance incomparables. Depuis la disparition dea rn"!nes iiiuiocnne et myctnienne, l'Egee eto.il infestcc par des bandes de pirates : il n'y eul longtemps que des Sidonicns pour o*er s'y aventurer. Les Grecs finirent pourtant par se debarrasser de cettc plate : ils donrtiient la chasse aux ecumeurs de nvages, qui durent transferer le principal theatre de leurs exploits dans l'Adriatique. Quant aux Phcniciens qui ovuient fait protitcr les Grecs de leur experience et leur avaient appris l'utihte commer-ciale de l'ecriture, ils jurent evinces des cotes dc l'lonie et chasscs des pecheries de pourpre cgeennes; ils trowverent des concurrents a Cypre et jusque, dans leurs propres villcs. Ils portirent alors leurs regards vers l'Ouest; mais la encore les Grecs, bicntot installes en Sicile, separirent de la inetropole orientate les colonies pheniciennes d'Espagne et d'Afrique. Eiitrc l'Aryen et le Semite, la luttc commercial no devait cesser * dans les mers du Couchant qu'a la chute de Carthage. (G. GLOTZ, Histoirt grecque, 1925, p. 225.). Quand Solon eul accompli sa mission, il fit jurer aux neufs archon-tea et a tous les citoyens de se conformer a ses lois, serment qui fut desormais prete tous les ans par les Atheniens promus a la majority civique. Pour privenir les luttes intestines et les revolutions, il avuit present a tous les membres de la cite, commc line obligation correspondent a leurs droits, de se ranger en cas de troubles dans l'un des partis opposes, sous peine d'atimie entrainant l'exclusion de la communuutc : il comptait qu'en sortant de la neutrality les hommes exempts de passion formeraient une majoritc sufusantc pour arreter les perturbatcurs de la paix publique. Les craintes itaxent justes; les precautions fuient vaines. Solon n'avait satisfail iu les riches ni la masse pauvie et disuit tristcment : a Quand on fait de grandes choses, il est difficile de plaire a tous *. » II etait encore archoute qu'il etait assailli par les invectives des mecontents; 3uand il fut sorti de charge, ce/ut un dechainement de rcproches et 'accusations. Solon se defertdit, comme toujours, par des vers : e'est alors qu'il invoqua le temoignage de la Terre Mere. On Vacca-blait d'insultes et de moqueries parce que «le ca;ur lui avuit manque » pour se fuire tyran, parce qu'il n'avait pas voidu, « pour etre le tnaitre d'Athcncs, nc fut-ce qu'un jour, que de sa peau ecorchee on fit une outre et que sa race fut abolie * ». Entoure d'ennemis, mais resolu u ne rien changer de ce yu'i/ avait fait, croyant peut-dtre aussi que 1. Bien entendu l'enonciation historique des iSvenements est independante de leur virite < objective ». Seul compte le dessein • historique » dc l'ccrivuiu. 2. Exemple de « prospectif » (p. 239). 3. Intrusion du discours duns le recit, avec changement correlatif des temps. . . 4. Sur le discours indirect, cf. ei-aprcs p. 24a. L'homme dans la langue 241 1 son absence calinerait les esprits, it dicida de quitter Athcnes. II voyagea, il parut a Cypre, il alia en Egypte se retiemper aux sources de la sagesse. Quand il revint, la lutte des partis etait plus vive que jamais. II se retira de la vie publique et s'enferma dans un repos inquiet : il « vieillissait en apprenant toujours et beaucoup », sans cesser de tendre l'oreille aux bruits du dehors et de prodiguerles avertissements d'un patriotisme alarme. Mais Solon n'etait qu'un homme; il ne lui appartenait pas d'arrfiter le cours des cvenements. II vecut assez pour assister it iu ruine de la constitution qu'il croyait \ avoir affermie et voir s'etendre sur sa chcre cir6 l'ombre pesante de 0 la tyrannic. {Ibid., p. 441-2.) Apres un tour de galerie, le jeune homme regarda tour a tour le ciel et sa montre, fit un geste d'impatience, entra dans un bureau de tabac, y alluma un cigare, se posa devant une glace, et jcta un 1 regard sur son costume, un peu plus riche que nc le permcUcut1 ' en France les lois du gout. II rajusta son col et son gilet de velours * noir sur lequel se croisait plusieurs fois unc de ces grosses chaines d'or fabriquees a Genes; puis, apris avoir jcte par un seul mouve-ment sur son epaule gauche son mantcau double de velours en le drapant avec elegance, il reprit sa promenade sans se laisser distraire par les ceil hides bourgeoises qu'il rtcevait. Quand les boutiques commencerent a s'illununer et que la nuit lui parut assez noire, il se dirigta vers la place du Palais-Royal en homme qui craignait d'etre reconnu, car il c<5toya la place jusqu'a la fontaine, pour gagner a 1'abri des fiacres l'entree de la rue Froidmanteau... (Balzac, Etudes pliilosophiques : Gambara.) On voit que, dans ce mode d'enonciation, l'eifectif ct la nature des temps demeurent les memes. 11 n'y a aucune raison pour qu'ils changent aussi longtemps que le recit historique se poursuit, et il n'y a d'ailleurs aucune raison pour que celui-ci s'arrete, puisqu'on peut imaginer tout le passe du tnonde commc un recit continu et qui aerait entie-rement construit sur cette triple relation temporelle : agjriste,. imparfait, plus-que-parfait. II faut et il suffit que l'auteur reste iidfcle a son propos d'historien et qu'il proscrive tout ce qui est etranger au recit des cvenements (discours, reflexions, comparaisons). A vrai dire, il n'y a meme plus alors de narrateur. Les cvenements sont poses comme ils se sont produits a mesure qu'ils apparaissent a l'horizon de l'histoire. Persqnne ne parle ici; les evenements semblent se raconter eux-memes^fce Temps fundamental est l'aoriste, qui est le temps de I'evenement hors de la per.sonne dun narrateur. Nous avons, par contraste, situe~ d'avance le plan du discours. II faut entendre discours dans sa plus large exten- 1. Reflexion de l'auteur qui echappe au plan du recit.