premieres poesies T'aimera le vieux patre, Seul, tandis qu'a ton front D'albatre Ses dogues aboieront'. T'aimera le pilotc Dans son grand batiment, Qui flottc, Sous le clair firmament! Et la fillette pres"re Qui passe le buisson, Pied leste, En chantant sa chanson. Comme un ours a la chaine, Toujours sous tes yeux bleus Se tratne L'Ocean monstueux'. Et qu'il vente ou qu'il neige, Moi-memc, chaque soir, Que fais-jc, Venant ici m'asseoir? Je viens voir a la brune', Sur le clocher jauni, La lune Comme un point sur un i. Pcut-etre quand dechante' Quelque pauvre mari, Mechante, De loin tu lui souris. Dans sa douleur amere, Quand au gendre beni La mere Hvrc la clef du nid, Le pied dans sa pantoufle, Voila l'epoux tout pret Qui souffle Le bougeoir indiscret. 87 premieres poesies Au pudique hymenee La vicrge qui se croit Menee, Grelotte en son lit froid, Mais monsieur tout en flamme 'i.$.ti(. u^'^C Commence a rudoyer Madame, Qui commence a crier. « Ouf! dit-il, je travaille, Ma bonne, ct ne fais rien Qui vaillc; Tu ne te tiens pas bicn. » Et vite il se depeche. Mais quel demon cache L'empcche De commettre un peche ? « Ahl dit-il, prcnons garde. Quel temoin curieux' Regarde Avec ces deux grands yeux? » Et c'es"t, dans la nuit brune, Sur son clocher jauni', La lune Comme un point sur un i \LARDOCi-IE' Voudriez-vous dire, comme dc fait on peut logicalemcnt infŕrcr, que par ci-devant le monde cuít étč fat, maintenant seroit devenu 2&"? »,y ivsage? . Pontngrttfl, liv. V*. Q X- fr j l*t> -M' I ** f£v 0 / •"• -iV I J' at connu, ľan dernier, un jeune homme nommé Mardoche, qui vivait nuit et jour enfermé. ."if... á. í "7ťT 'fíi /c í fi BS PREMIERES POÉSIES Ö prodige! il n'avait jamais lu de sa vie Le Journal de Paris ni n'en avait envie. II n'avait vu ni Kean % ni Bonaparte, ni Monsieur de Metternich; — quand iJ avait fini De soupcr, se couchait, precisement ä l'heure Oü (quand par le brouillard la chatte rode et pleure) Monsieur Hugo va voir mourir Phoebus le blond Vous dire ses parents, cela serait trop long. Bornez-vous a savoir qu'il avait la pucelle D'Orleans pour aleule en ligne maternclle'. D'ailleurs son compagnon, compare et confident, Etait un chien anglais, bon pour l'ceil et la dent. Cet hommc, ainsi reclus, vivait en joie. — A peine P Le spleen le prenait-il quatre fois par semaine ' Pour ses moments perdus, il les donnait parfois A. Vart mjfierieux ae charmer par la voix : Les muses visitafent sa demeure cachee, Et quoiqu'il fit rimer idee avec Jackie", m On le lisait. C'etait du řešte un esprit fort; 0 II eut fait volontiers ďune téte de mott Un falot, et mange sa soupe dans le crane De sa granďmére. il~ Au fond, il estimait qu'un áne, Pour Dieu qui nous voit tous, eřt autant qu'un ánier. Peut-étre que, n'ayant pour se désennuyer Qu'un livre1'(c'eSt le coeur humain que je veux dire), II avait su trop tót et trop avant y lire; Ccst un grand mal d'avoir un esprit trop hitif. — II ne dansait jamais au bal par ce motif. IV Je puis certifier pourtant qu'il avait l'ame Aussi tendre en tout point qu'un autre, et que sa femmc (En ne le faisant pas c—)/n'eút pas été Plus fort ni plus souvent battue, en vérité, Que celle de monsieur de C***//En politique, Son sentiment était třes ariítocratique, 1 \\ PREMIERES POÉSIES *0 Et je dois avouer qu'ä consulter son gout, II aimait mieux la Porte et lc sultan Mahmoud', Que la chrétienne Smyrně, et ce bon peuple hellěne Dont les flots ont rougi la mer hellcspontienne, ---.---■ V Et taché de leur sang tes marbres, 6 Paros! — Mais la chose ne fait rien á notre héros. Bien des heures, des jours, bien des longues semaines Passěrent, sans que rien dans les choses humaines Le tentät d'y rentrer. — Tout ä coup, un beau jour... Fut-ce l'ambition, ou bien fut-ce l'amour? (Peut-étre tous les deux, car ces folles ivresses " Viennent ä tous propos déranger nos paresses); Quoi qu'il en soit, leftcur, voici ce qu il advint A mon ami Mardoche, en l'an mil huit cent vingL 0 VI Je ne vous dirai pas quelle fut la douairiere Qui lui laissa son bien en s'en allant en terre, Sur quoi de cenobite il devint elegant, Et n'allait plus qu'en fiacre au boulevard de Gand. 'V h Que dorme en paix ta cendrc, 6 quatre fois beniea ta, douairiere, pour le jour'ou cette sainte envie, ■ Cdmme un rayon d'en haut te vint prendre en toussant, De demander un pretre, et de cracher le sang! Ta tempe fut huilec, et sous la lame neuve Tu te laissas clouer, comme dit Sainte-Beuve". VII Tes meublcs furent mis, douairiere, au Chatelet"; Chacun vendu le tiers de l'argent qu'il valait. De ta robe de noce on fit un parapluie; > Ton boudoir, d Venus, devint une ecurie. Quatre grands levriers chasserent du tapis Ton chat qui, de tout temps, sur ton coussin tapi" S'etait frotte le soir l'oreille a ta pantoufie, Et qui, maigre aujourd'hui, la queue au vent, s'essouffle, "y A courir sur les toits des rep as incertalns. — Admirable matiere a mettre en vers latins! it Si 11 '-I 8 <1 u •i 90 premtěres poésies VIII Je ne vous dirai pas non plus a quelle dame Mardoche, ayant d'abord laisse prendre son ame, Dut ccs douces lecons, premier enseignement Que l'amie, a regret, donne a son jeune amant. Je ne vous dirai pas comment, a quelle Fete II la vitj'qui des deux voulut le tete-a-tete, Qui des deux, du plus loin, hasarda le premier L'idllade itnlienne, et qui, de l'ecolicr Ou du maitre,',;trernbla le plus. — Helas! qu'en sais-je Que vous ne sachiez mieux, et que vous apprendrais-je? IX II se peut qu'on oublie un rendez-vous donné, Une chance, — un remords, — et l'heure ou Ton est né, Et l'argent qu'on empruntc. — II se peut qu'on oublie Sa femme, ses amis, son chien, et sa patrie. — II se peut qu'un vieillard perde jusqu á son nom. Mais jamais l'insense, jamais le moribond, Celui qui perd l'esprit, ni celui qui rend 1'ame, N'ont oublid la voix de la premiére femme Qui leur a dit tout bas ces quatre mots si doux Et si mystérieux : « My dear child, I love you". * ' ^ g x Ce fut aux premiers jours d'automne.'au mois d'o&obre, Que Mardoche revint au monde.|— II était sobre D'habitude, et mangeait vite. -ft- Son cuisinier Ne le génait pas plus " que son palefrenier. II ne prit ni cocher, ni groom, ni gouvemante, Mais(j(honni sqit qui mal y pensel)]une servantě. De ses facons ďailleurs ricn ne parut change. Peut-étre dira"-t-on qu'U était mal loge; Cest á quoi je réponds qu'il avait pour voisine ^ Deux yeux napohtains qui s'appelaient Rosinc. XI J'adore les yeux noirs avec des cheveux blonds. Tels les avait Rosine, — et de ces regards, longs ; premieres poésies 91 Á s'y noyer. — C'ctaicnt deux dtoiles d'ebene Sur des cieux de criStal: — tantot mourants, a peine Entr'ouverts au soleil, comme les voiles blancs Des abbesses de cour; — tantót étincelants, Calmes, livrant sans crainte une áme sans melange, Doux, et parliint aux yeux le langage d'un ange. — Que Mardoche y prit goůt, ce n'est aucunement, Judicieux ledteur, raison d'etonnement. XII M'en croira qui voudra, mais depuis qu'en decembre La volonté du ciel eft qu'on garde la chambrc, Á coup sur, paresseux et fou comme je suis, Á réver sans dormir j'ai passé bien des nuits. Le soir, au coin du feu, renversé sur ma chaise, Mon menton dans ma main et mon pied dans ma braise, Pendant que l'aquilon frappait á mes carrcaux, J'ai fait bien des romans, — báti bien des chateaux; — J'ai, comme Prométhee, animé ďune flamme Bien des étres divins portant des traits de femme; XIII Blonds cheveux, sourcils bruns, front vermeil ou páli: Dante aimait Beatrix, — Byron la Guiccioli". Moi (si j'eusse été maitre cn cette fanraisie), Je me suis dit souvent que je l'aurais choisie ť A Naples, un peu brulée á ces soleils de plomb Qui font dormir le pátre á l'ombre du sillon; Une lěvre á la turque, et, sous un col de cygne, Un sein vicrge et doré comme la jeune vigne; Telle que par instants Glorgione " en devina, Ou que dans cette hištoire était la Rosina. XIV II en est de l'amour comme des litanies De la Vier^e. — Tamais un ne les a finies; Mais une fois qu'on les commence, on ne peut plus S'arrcter. — C'est un mal propre aux fruits defendus, C'est pourquot chaque soir la nuit etait bien prochc Et le soleil bien loin^ quand mon ami Mardoche r 9a PREMIERES POESIES r Quittait la jalousie ccartee ä dcmi, D'oü l'indiscret lorgnon plongeait sur l'ennemi. — MSme, quand il faisait clair de lune, Paurore A son poSte souvent le retrouvait encore. XV Pbilosophes du jour, je vous arrete id. Ö sages demi-dieux, expliquez-moi ceci. On ne volerait pas, a coup sür, une obole A son voisin; pourtant, quand on peut, on lui vole... Sa femmel — Car ü faut, 6 Ie£teur bien appris, Vous dire que Rosine, entre tous les mans, recu du cicl, par les mains d'un notaire, Le meilleur qu'a Dijon avait trouve son pere. On pense, avec raison, que sa mere, en partant, N'avait rien oublie sur le point important. XVI Rien n'est plus amüsant qu'un premier jour de noce; Au debotte, d'ailleurs, on avait pris carrosse. — Le reSte ä 1'avenant. — Sans compter les chapeaux D'Herbeau" rien n'y manquait. — C'est un mecbant propos De dire qu'ä six ans une poupee amuse Autant qu'ä dix-neuf ans un mari. — Mais tout s'use. Une lune de miel n'a pas trente quartiers Comme un baron saxon. — Et gare les derniers! L'amour (helasl I'etrange et la fausse nature!) Vit d'inanition, et meurt de nourriture. i xvn l//f ?// Et pais, que faire?—Unjour,c'eStbienlong.— Etdemain? Et toujours ? — L'ennui gagne. — A quoi rever au bain ? Et Et toujours t — L'ennui gagne. — A qi__ — Hdlast 1'Oisivete s'endort, laissant sa porte Ouverte. — Entre 1'Amour. — Pour que la Raison sorte II ne faut pas longtemps. La vie" en un moment Se remplit; — on se trouve avoir pris un amant. — L'un attaque en hussard la decsse qu'il aime, L'autte fait I'^coUer; cbacun a son syStime. Hier un de mes amis, se trouvant ä souper Aupres d'une duchesse, eut soin de se tromper PREMIERES POESIES jtj XVIII De verre, « Mais, vraiment, dit la dame en colere, Etes-vous fou, monsieur ? vous buvez dans mon verre. » 0 l'homme peu gaknt, qui ne repondit rien, Si ce n'est: « Fattcs-ea, madame, autant du mien. » , Assur^ment, lecteur, le tour ctait perfide, Car, Payant pris tout plein, il le replaca vide". La dame avait du bknc, et pourtant en tougit. Qu'y faire? On chuchota. Dieu sut ce qu'on en dit. Mon Dicu! qui peut savok lequel on recompense Le mieux, ou du respeft " — ou de ccrtaine offense ? XTX Je n'ai dessein, lecteur, de faire aucunement 4 Tci ce qu'a Paris on appelle un roraan, Peu s'en faut qu'un auteur, qui pas a pas chemine, Ne vous fasse coucber avec son heroine. Ce n'esl pas ma maniere, et, si vous permettez, Ce sera quinze jours que nous aurons sautes. — Un dimancbe (observez qu'un dimanchc la rue Vivienne esl tout a fait vide, et que la cobue Est aux Panoramas ou bien au boulevard), L Un dimancbe matin, une beure, une beure un quart, XX Mardocbe, babit marron, en landau de louage, Par devant Tortoni" passatt en grand tapage. — Garc! criait le groom. — Quoi 1 Mardochc en landau ? — Oui.—La griscrre a pied, trottant comme unperdreau, Jcta plus d'une fois sans doute a la portiere Du jeune g'entlemaTtTce'illade meurtriere. Mais il n'y pruTpas garde; un important projet A ses reflexions semblait donner sujet. Son regard £tait raide, et jamais diplomate Ne parut plus guinde, ni plus haut sur cravate. XXI Ou done s'en allah-il I — II allait a Meudon. — Quoi! Si matin, si loin, si vite? Et pourquoi done? 94 premieres poesies — Le void. D'oii sait-on, s'il vous plait, qu'on approche D'un village, sinon qu'on en entend la cloche? Or, la cloche suppose un clocher, — le clocher Un cure. — Le cure, quand c'eft jour de prccher, A besoin d'un bedeau. — Le bedeau, d'ordinaire, Eft en memc temps cuiftre a I'ecole primaire. Or le cuiftte" du lieu, lcfteur, etait l'ancien Allie des parents de Mardoche, et le sien. XXII Ayant done debarque, notre heros fit mcttre " Sa voiture cn un lieu sut, qu'il put reconnaitre, Puis s'eloigna, sans trop rcgarder son chemin, D'un pas plus tnesute qu'un senateur romain. Longtemps et lentement, comme un baycur aux grues, II marcha, coudoyant le monde par les rues. II savait des longtemps que le bon magiftcr, Les dimanches matins sortait pour prendre l'air; C'eft pourquoi, sans Taller demander a sa porte, ^ II detourna d'abord le coin du bois, en sorte -, ^ xxni Qu'au bout de trente pas il était devant lui: « And how do you do", mon bon pere, aujourd'hui ? » Le vicilkrd, ä vrai dire, un peu surpris, etXQpmc Distrait d'un reve, 6ta de ses lévres la pommí De sa canne, « Mon fils, tout va btcn/Dieti merci, Dit-ilj et quel sujet vous fait venir ici? — Sujet, reprit Mardoche, excessivement sage, Trcs moral, un sujet trés logique. Je gage Ma barbe et mon bonnet, qu'on pourrait vous dormer Dix-sept éternités pour nous le deviner. » XXIV La matinee était belle; les alouettes Commencaient á chanter; quelques lourdes charrettes ? Soulevaient cá et lä la poussiere. Cétait Un de ces beaux matins un peu froiďs, comme il fait ^ En oČrobre. Le ciel secouait de sa robe Les brouillards vaporeux sur le terreftre globe. premieres poesies 95 K Asseyez-vous, mon fils, dit le pretre; vpila L'un des plus beaux instants du jour. — Pour ce vent-la, Je le crois usurier, bon pere, dit Mardoche, Car il vous met la main malgre vous a la poche. XXV — L'un des plus beaux instants, mon fils, ou les humains Puissent a l'Eternei tendre leurs faibles mains; L'ame s'y sent ouveirte, et la priere aisee. — Oui; mais nous avons la les pieds dans la rosee, Bon pete; autant vaudrait prier en plus bas lieu. — Les montsf dit le vieillard, sont plus proches de Dieu, Ce sont ses vrais autels, et si le saint prophete Moise le put voir, ce fut au plus haut faite. — Helas! reprit Mardoche, un homme sut le ham Du plus pointu des monts, serait-ce le Jung-Frau, XXVI Me fait le meme effet juftement qu'une mouche Au bout d'un pain dc Sucre". Ah! bon pere, la bouche Des homines, £ coup sur, les met haut, mais leurs pieds Les mettcnt bas. — Mon fils, dit le dofteur, voyez Que vos cheveux sont d'or et les miens sont de neige. Attendez que le temps vienne. — Et qu'en apprendrai-je Prit T autre, souriant de son mechant souris; Science des humains n'eft-elle pas mepris? II s'assit a ce mot. « Laissons cela, mon pere, Dit-il, je suis venu pour vous parler d'affaire. xxvn 1» Comme vous lc disiez tout 4 l'hcure, je suis Jeune, par consequent amoureuxj'je ne puis Voir ma maftresse; elle a son mati. La fenetre Eft haute, a parler franc, ct.J, — Je vous ai vu naitre, Mon ami, dit le pretre, et je vous ai tenu Sur les fonts baptismaux. Quand vous etes venu Au monde, votre pere (et que Dieu lui pardonne, Car il eft mort) vous prit des bras de votre bonne, Et me dit: Je le mets sous la protection Du ciel; qu'il soit sauve de la corruption! I ? 96 premieres poésies 4// — Lc malheur, dit Mardoche, eft que les demoiselles Sont toutcs, par nature ou par mode, cruelles; Car je tous entends bien, et je sais que c'eft mal. Mais que voudriez-vous, monsieur, qu'on fit au bal? — Oui! vous avez raison, dit le bedeau, le monde t Eft un lieu de misere et de ptue profonde. — Done, dit Mardoche, avec votre consentement, Je reprends mon recit et mon raisonnement. Or je ne puis pas voir ma maltresse; hier mcme J'ai failli m'y casser le cou. |— Bonti supreme! XXIX A 'é Dit le bedeau, c'eft Dieu qui vous aurait frappe. Quel eft le malheureux que vous avez trompe ? — Malheureux ? dit Mardoche; il n'en sait rien, mon pcre. —11 n'en sait rien, mon fils I Nul secret sur la terre N'eft secret bien longtemps. — Bon, dit Mardoche, maisT? Je ne bavarde guere, et je n'ecris jamais. — Et quand cela serait, mon fils, jc le demande, Une injure cachee en eft-elle moins grande? En auxez-vous done moins dessdche, desuni Un lien que la main d'un pretre avait beni? XXX En aurez-vous moins fait le plus coupnble outrage A la soci&e, dans sa lot la plus sage ? Ce secret, qu'a jamais la terrc ignorera, Pensez-vous que le del, qui le sait, l'oubliera? Songez a ce que c'eft qu'un monde, et que le notre A quatre pas de long, et, pour l'horizon, l'autrc. — Quittons ce sujet-ci, dit Mardoche, je voi" Que vous avez le crane autrement fait que moi ". Je vous racontais done comme quoi ma mattresse T Etait gard6e a vue : on la promene en laisse. XXXI — Et 1'on a, dit le pretre, ^minemment raison. Ah 1 qu'elle pense done a garder sa maison, premiéiiľs poésies 97 Á vouer au seigneur un coeur exempt de feintc, Á donner á ses fils un kit pur et la crainte Du ciel. >— Mon reverend, dit l'autre, les oiseaux Qui sont les plus charmants, sont ccux qui chantent faux. Ne vous parait-il pas simple et tout ordinaire Qu'un rosstgnol soit laid, honteux, lorsqu'au contraire Le paon, ce mal-appris, porte un manteau doré, Comme un diacre á Noel á côté du cure? XXXII Ne vous ctonnez done aucunement, bon p&re, Que le plus hel oiscau que nous ayons sur terre. La femme, chantc faux, et sur ce, laissez-moi Vous finir mon recit, je vous dirai pourquoi. Hier done, je revenais, ayant failli me rompre Les..v— Et, dit le vieillard, qui done l'a pu corrompre f Ainsi, fils d'un tel pcre, et jeune comme il eft! N'eft-ce pas monftrueux? — J'ai, dit Mardoche, fait ? Mes classes de bonne henrc, et puis, dans les families, Voyez-vous, j'ai toujours trouve quatre ou cinq fillcs xxxni Contre un ou deux garcons, ce qui m'a fait penser Qu'on pouvait en aimer la moitie, sans blesser Dieu. — Dieul mon cher enfant I voyons, soycz sincere. Y croyez-vous ? — Monsieur, dit Mardoche, Voltaire ? Y croyait". — Comment done l'ofTensez-vous ainsi? — Or, dit le jouvenceau, je reprends mon recit. J'adore cette femme, et ne connais de joie Qu'a la voir; vous sentez qu'il faut que je la voie. Et j'ai compte sur vous dans cctte occasion. — Sur moil dit le bedeau, perdcz-vous la raison? XXXIV — La raison, reverend, helas! je 1'ai perdue; Ht si, par un miracle, ellc m'etait rendue, Vous me la vcrriez fuir, ou plutot renvoyer Comme un pigeon fidele au toit du colombier. Ah! secourez-moi done; votre bonne assiftance Peut seule mc sauver dans cctte circonftance. 98 PREMIERES POÉSIES — Et de quelle facpn, mon ami ? — Vom sentez, Dh Mardoche, que j'ai chercheVde tous cötds, Pour la voir, une chambre, un lit, un trou, n'Importe; Y venir n'etait rien, mais il faur bien qu'on sorte. XXXV Et le ruftrc la guette. — Eh bien! dit le bedeau, Puis-je J'en cmpechet? — Vous avez un tres beau T Lit ä rideaux bleu-ciel, monsieur; un presbytere N'cSt pas suspcö...i—-Jamais I dit le vieillard. — Bon pere, Dit l'autre^je n'ai pas-si peu de temps vecu Qu'au premier jour d'ennui' je crote une vertu De partir''(cn parlant ainsii'lami Mardoche Titait tout bas un long pistolet de sa poche). — Porter la main sur vous, mon filsl dit lc chretien. En 6tes-vous done lä? ne croyez-vous ä rien? -I XXXVI I , ■ f 7 — Reverend, repondit Mardoche, je m'ennuie. Shakspeare, dans Humkt, dit qu'on tient ä H vie Parce qu'on ne sait pas ce qu'on doit voir apres"; Ses vers " me semblent beaux, mais Us seraientplus vrats, S'ils disaient qu'on y tient parce qu'une cervefle A pcur d'un piSrolet qui s'applique sur eile, Pour la faire craquer et sauter d'un seul bond, Comme un bouchon 3e vin de Champagne, au plafond, Je ne suis pas douilletl — Un suicide I on se damne, ion nisi -H- Nous n'avons pas, dit Mardoche, le crane XXXVII Ľ Fait de memfi. — Attendee du moins jusqu'a demain, Mon Els, et retires ceci de votre main. Songez-y done: chez moi! dans ma chambre 1 une femme t Mon enfant, un suicide! Ah I songez a votre ame. . — Henri huit, reverend, dit Mardoche, fu: veuf r jj De sept reines, tua deux cardinaux, dix-neuf Evenues, treize abbes, cinq cents prieuis, soixante- P Un chanoines, quatorze archidiacres, cinquante Do&eurs, douze marquis, trois cent dix chevaliers, Vitigt-neuf barons Chretiens, et sis-vingt roturiers. premieres poésies XXXVIII 99 Moi, je nJen tuerai qu'un, reverend; mais, de grace, Parlez, et dites-nous ce qu'il vous plait qu'on fasse. — Qu'on fassel dit le přetře; et ľenfer, mon diet filsl L'enferl — Monsieur, reprit Mardoche, je ne puis Rcpondre lä-dessus, n'ayant eu pour nourrice Qu'une chevre, » Le bout de ľatme tcntatrice Brillait en plein soldi, et son Pas nonchalant? ywv,-' Efle n'etak pas scute; un homme a face pale L'accompagnait, d'un air d'aisance conjugale. XLIII Quoi qu'it en soit, lefteur, notre heros suivit Cette beaute" voilee, aussitut qu'H la vit. Lougtemps, et lentcment, au bord de la terrasse, II marcha comme un chien basset sur une trace, Toujours silencieux, cat il deliberait S'il devait passer outre ou bien s'il attendrait. L'ennemi tout a coup, a sa grande surprise, Fit volte-face. II vit que Tin slant de la crise Approchait; tenant done le pied ferme, aussitot II rajuSta d'un coup son col et son jabot. Le soir, seul, en automnc, —- ayant un rendezvous? PREMIERES P0ÉSIE5 103 11 eft de trop bonne heure, et l'on ne sait que faire Pour tuet, comme on dit, le temps, ou s'en distraire. On s'arrete, on revient. — De guerre lasse, enfin, On entre. — On va poser son front sur un coussin. -Sur 1c bord de son lit, — place i jamais sactce I Tiede encor des patfums cl'une tete adorcc"! — On ecoute. — On attend. — L'ange du souvenir Passe, et vous dit tout bas : « L'Entends-tu pas venir? » LI3 !'aj vu, sur les autels, le pudique hymenee oindre une sěche main de prude surannée \ la main sans pudcur ďun roué de vingt ans. Au Havre, dans un bal, j'ai. vu les yeux maur ants D'une petite Anglaise, ä Pair mélancolique Jeter im Jong regard plein ďarňour romantique 5ur un buveur de punch, et qui, dans le moment, Vcnait de se griset abominablementl j£ Tai im des apnrentis sěTvendre a~člě¥ douairiěres Ft des Alma vivas payer leurs chambrieres. LIU Eit-iL done étonnant qu'une fois, á Paris, Deux jeunes cceurs se soient rencontres — et compris ? HelasI de belles nuits le ctel nous es~t avare Autant que de beaux jours! — Freres, quand la guitare 5c mele au vent du soir qui frisc vos cheveux, Quand le clairet vous a rantmé de ses feux, Oh] que votre maítiesse, alors surtout, soit belle 1 I Sinon, quand vous voudrez jeter les yeux " sur elle, Vous sentirez le cceur vous manquer, et soudain 1/infrrument, malgré vous, tomber de votre main. LTV LWeur du present livre, en cet endroit, supplie Si leftrice, si peu qu'elle ait la main jolie (Comme il n'en doute pas), d'y jeter un moment Les teux, et de penser a son dernier amant. Qu'clle songe, de plus, que Mardoche etait jeune, Amoureux, qu'il avait pendant un mois fait jcune,