Antoine Héroët L’Androgyne de Platon Epistre de l’auteur au roy François de ce nom (dédicace de l’adaptation du texte de Platon) Ce me sera grande presumption, Veu le bas lieu de ma condition, Syre, troubler la divine Nature De vos espritz par indocte escripture. Peu me vauldra mes rithmes excuser Sur la bonté dont vous soulez user, Humainement ung chascun escoutant, Qui va ses faicts et œuvres racomptant. Ma hardiesse a bien ce jugement De croyre au vray que vostre entendement, Sans se partir du naturel, s’applicque Premierement au regime publicque ; Puis, s’il demeure aulcune heure vacante, Le las esprit se repose et contente Sur les discours d’ung non vulgaire autheur. O Roy, premier des lettres amateur, Rien ne lisez qui ne soit elimé, A nul parlez qui ne soit estimé ; Les propos sont de science dorés, Industrieux, graves, elabourés, Que devant vous on ose presenter : Ce qui m’a faict des miens mescontenter, Et les tenir longuement en silence. Si vault il myeulx rougir par ignorance, En descouvrant mon style dur et rude, Que d’encourir vice d’ingratitude. Certes ingrat on pourroit estimer Non seulement qui ne vouldroit aymer La tresillustre et sacre majesté, Mais qui Françoys en France auroit esté, Aultant que moy, sans donner congnoissance De son vouloir et serfve obeissance. Le terrien en loysir maintenu, Recongnoissant de vous son revenu, Comme vassal vous faict foy et hommage. Ha, je vous doibs, Syre, bien d’aventage, En non moy seul; moy et touts ceulx qui sommes En voz païs mys au nombre des hommes, Ou qui sçavons, ou qui voulons sçavoir, Plus vous debvons que ne pensons debvoir. Nul ne se voit renommé de bien dire, Nul n’a le bruict de chastement escrire, Qui ne vous ayt en ses vers imité, ou que n’ayez par bienfaicts invité. Les ans passés des Princes sont records, Qui à bon droict se disoient Roys des corps ; Et telle gloire advenant de fortune Ne laisse pas de vous estre commune. Aultre louange avez, que des esprits Et des meilleurs estes le myeulx appris. A vostre tant indicible doctrine Des plus sçavants la liberté s’encline, Non par voz dons : car ils ne sçauroyent prendre Present plus cher, que vous suyvre et apprendre Tant que leurs biens de vertu soient venuz. Combien vous sont touts voz nobles tenuz, Qui de sçavoir faisoyent si peu de compte Auparavant, qui le tenoient à honte, Quand celluy plus lettres dissmuloyt, Qui plus sembler gentilhomme vouloit ? De ce temps là ne se fault esbahir Si noz voysins, qui nous souloyent hayr Comme rompeurs de querelleuses testes, Les Roys de France appelloyent Roys des bestes. Lors pour regir leur bestialité, Dieu pourvoyoit de quelcque humanité Ung homme seul, qui bien les conduysoit, Et leur donnoit ce que plus leur duysoit. Or maintenant que sommes devenuz Pleins de raisons et pour hommes tenuz, Bien que de tout Dieu soit le seul autheur, Si nous a il prouveuz d’ung conducteur Plus que mortel. Et estoit convenable Que pour conduire ung peuple raisonnable Le pasteur eust aulcune deité, Moins de mensonge, et plus de verité. Syre, pour tel nous vous recongnoissons, Et vous debvoir touts Francoys confessons Non seulement toute nostre puissance, Mais, qui plus est, de Diu la congnoissance. Livres estoient par enormes delicts Auparavant morts et ensepveliz, Doctes estoient par ignorantz tués ; De vostre regne on voit restitués Grec et Hebrieu (langages trop hays) Et les bannys remys en leur païs. Soubz vostre nom, soubz vostre bon exemple, On peult venter ce Royaulme tresample De n’estre moins en lettres fleurissant Qu’on l’a congneu par guerre trespuissant. Sur ce propos ma langue ne peult taire Ce que vous doibt nostre langue vulgaire, Laquelle avez en telz termes reduicte, Que par elle est la plus grand’ part traduicte De ce qu’on lict de toute discipline En langue Grecque; Hebraicque et Latine, Et a acquis telle perfection Que lon dira, sans adulation, De vostre langue, ainsi que lon disoit Du temps que Tulle au Senat devisoit ; Romme brusloit de seditions villes, Cesar vaincquoyt en batailles civilles, Les bons fuyoient ; et toutesfoys j’entends, Quiconques faict memoire de tel temps, Que siecle heureux chascun autheur le nomme ; Tant a valu la facunde d’ung homme. De vostre Regne aussi ; Syre, on dira, A l’advenir quiconque en escrira, Quant bien voz gens auroient les cueurs faillis Aultant de foys qu’ilz seront assaillis, Et les Francoys sentiroyent par leurs terres Touts les malheurs qui proviennent des guerres ; Bien qu’on ayt sçeu les vostres conjurés, Traitres aulcuns, aultres desasseurés, Bien qu’on ayt veu la Provence destruicte, Vous en bataille et l’Empereur en fuytte, Et de l’effroy tout le monde paoureux, Si dira lon le vostre siecle heureux. Pourquoy heureux ? Heureux pour l’eloquence Que seul aurez laissée à toute France. Et, Syre, à vous, de si peu qu’il m’en vient, Ma Muse tant obligée se tient Que pour le moins je le confesseray, Et pour le plus je vous presenteray Non pas ouvrage extrait de mon sçavoir, Car je n’en ay, et je n’en puis avoir, Et ne sçay rien, sinon que la science Des plus sçavants n’est que pure ignorance, Jusques à tant que l’ame soit obligée. Si ce pendant que sommes endormys, Si ce que Dieu a dans nostre corps mys, Dict, ou faict bien, il le fault nommer songe, Ou le tenir pour expresse mensonge, Ou comme fable aux enfants racomptée : Il en fut une aultre foys recitée Entre les Grecz par Philosophe sage, Que j’ay traduict, Syre, en vostre langage. Hardye elle est, si à vous se presente ; Bonne sera, si vostre œil s’en contente.