Charles d’Orléans A sa Dame Jeune, gente, plaisante et debonnaire, Par un prier qui vaut commandement Chargé m’avez d’un ballade faire ; Si l’ai faite de cœur joyeusement : Or la veuillez recevoir doucement. Vous y verrez, s’il vous plaît à la lire, Le mal que j’ai, combien que vraiment J’aimasse mieux de bouche le vous dire. Votre douceur m’a su si bien attraire Que tout vôtre je suis entièrement, Très désirant de vous servir et plaire, Mais je souffre maint douloureux tourment, Quand à mon gré je ne vous vois souvent, Et me déplaît quand me faut vous écrire, Car si faire se pouvait autrement, J’aimasse mieux de bouche le vous dire. C’est par Danger, mon cruel adversaire, Qui m’a tenu en ses mains longuement ; En tous mes faits je le trouve contraire, Et plus se rit, quand plus me voit dolent ; Si vouloie raconter pleinement En cet écrit mon ennuyeux martyre, Trop long serait ; pour ce, certainement J’aimasse mieux de bouche le vous dire. En regardant vers le pays de France En regardant vers le pays de France, Un jour m’advint, à Douvres sur la mer, Qu’il me souvint de la douce plaisance Que je souloie au dit pays trouver. Si commençai de cœur à soupirer, Combien certes que grand bien me faisoit De voir France que mon cœur aimer doit. Je m’avisai que c’était nonsavance De tels soupirs dedans mon cœur garder, Vu que je vois que la voie commence De bonne Paix, qui tous biens peut donner ; Pour ce, tournai en confort mon penser ; Mais non pourtant mon cœur ne se lassoit De voir France que mon cœur aimer doit. Alors chargeai en la nef d’Espérance Tous mes souhaits, en leur priant d’aller Outre la mer sans faire demeurance, Et à France de me recommander. Or nous doint Dieu bonne Paix sans tarder : Adonc aurai loisir, mais qu’ainsi soit, De voir France que mon cœur aimer doit. Paix est trésor qu’on ne peut trop louer : Je hais guerre, point ne la dois priser : Destourbé m’a longtemps, soit tort ou droit, De voir France que mon cœur aimer doit. Encore est vive la souris Nouvelles ont couru en France, Par mains lieux, que j’estoye mort, Dont avoient peu desplaisance Aucuns qui me hayent a tort ; Autres en ont eu desconfort, qui m’aiment de loyal vouloir, Comme mes bons et vrais amis : Si fais a toutes gens savoir Qu’encore est vive la souris. Je n’ay eu ne mal ne grevance, Dieu mercy, mais suis sain et fort, Et passe temps en esperance Que Paix, qui trop longuement dort, S’esveillera, et par Accort A tous fera liësse avoir ; Pour ce de Dieu soient maudis Ceux qui sont dolens de veoir Qu’encore est vive la souris ! Jeunesse sur moy a puissance, Mais Vieillesse fait son effort De m’avoir en sa gouvernance ; A present faillira son sort : Je suis assez loing de son port. De pleurer vueil garder mon hoir ; Loué soit Dieu de paradis, Qui m’a donné force et pouvoir Qu’encore est vive la souris. Nul ne porte pour moy le noir : On vent meilleur marchié drap gris ; Or tingne chascun pour tout voir Qu’encore est vive la souris. Rondeaux et chansons Le Printemps Le Temps a laissé son manteau De vent, de froidure et de pluie, Et s’est vêtu de broderie, De soleil luisant, clair et beau. Il n’y a bête ni oiseau Qu’en son jargon ne chante ou crie : « Le Temps a laissé son manteau De Vent, de froidure et de pluie ». Rivière, fontaine et ruisseau Portent en livrée jolie Gouttes d’argent d’orfèvrerie ; Chacun s’habille de nouveau : Le Temps a laissé son manteau. L’hôtellerie L’hôtellerie de Pensée ; Pleine de venants et allants Soucis, soient petits ou grands, A chacun est abandonnée. Elle n’est à nul refusée Mais prête pour tous les passants, L’hôtellerie de Pensée, Pleine de venants et allants. Plaisance chèrement aimée S’y loge souvent, mais nuisants Lui sont Ennuis gros et puissants ; Quand ils la tiennent empêchée L’hotellerie de Pensée. Cri de la rue Petit mercier, petit panier ! Pourtant si je n’ai marchandise Qui soit du tout à votre guise, Ne blâmez pour ce mon métier. Je gagne denier à denier, C’est loin du trésor de Venise. Petit mercier, petit panier ! Pourtant si je n’ai marchandise… Et tandis qu’il est jour ouvrier, Le temps perds quand à vous devise : Je vais parfaire mon emprise Et parmi les rues crier : Petit mercier, petit panier ! LXIII En la forest d’Ennuyeuse Tristesse Un jour m’avint qu’a part moy cheminoie; -oie – stará koncovka imperfekta Si rencontray l’amoureuse Deesse Qui m’appella, demandant ou j’aloye. Je respondy que par Fortune estoye Mis en exil en ce bois, longtemps a, = il y a longtemps Et qu’a bon droit appeller me povoye L’omme esgaré qui ne scet ou il va. En sousriant, par sa tres grant humblesse Me respondy: „Amy, se je sçavoie Pourquoy tu es mis en ceste destresse, A mon povair voulentiers t’aideroye; = selon mon pouvoir Car, ja pieça, je mis ton cueur en voye = il y a longtemps De tout plaisir, ne sçay qui l’en osta; Or me desplaist qu’a present je te voye L’omme esgaré qui ne scet ou il va.“ „Hélas! dis-je, souverainne Princesse, Mon fait savés, pourqouy le vous diroye? C’est par la Mort, qui fait a tous rudesse, Qui m’a tollu celle que tant amoye, = enlevé En qui estoit tout l’espoir que j’avoye, Qui me guidoit, si bien m’accompaigna En son vivant que point ne me trouvoye L’omme esgaré qui ne scet ou il va.“ Aveugle suy, ne sçay ou aler doye; De mon baston, affin que ne fourvoye, = que je ne me fourvoie Je vais tastant mon chemin ça et la: C’est grant pitié qu’il convient que je soye L’omme esgaré qui ne scet ou il va. Puis ça puis là, Et sus et jus, De plus en plus Tout vient et va. Tous on verra, Grands et menus, Puis ça puis là, Et sus et jus. Vieux temps déjà S’en sont courus. Et neufs venus. Que dea, que dea, Puis ça puis là.