Philippe Besson, Un homme accidentel (extraits) Imaginez un enchevêtrement d’autoroutes, on dirait des tentacules qui encerclent et transpercent une métropole, rétrécissent pour devenir des interstates, des boulevards. Des veines qui irriguent un cœur malade. (...) Bienvenue à L.A. (p. 15–16) La scène du crime était encerclée par un ballet de gyrophares. Les barrières avaient été installées pour tenir les badauds à distance et éviter que des indices précieux soient soustraits à la légendaire sagacité policière. McGill me suivait, j’étais le plus gradé des deux. (...) Je me suis approché du mort, couché sur le ventre. J’ai vu son visage légèrement tourné de côté, vers moi, ses yeux ouverts, le sang qui avait coulé de sa tempe. J’ai vu sa jeunesse. (p. 25–26) J’ai appelé Laura ce matin-là pour lui signaler de ne pas m’attendre pour le petit déjeuner. Je l’ai cueillie à son réveil, elle avait la voix encore toute pleine de sommeil, comme un léger mugissement. La voix de Laura, quand elle traîne comme ça, quand elle est dans la lenteur, elle est bouleversante, vous ne pouvez pas imaginer. Je lui ai raconté la découverte d’un corps, sans entrer dans les détails. (p. 33) Je ne partageais pas son optimisme. Pourtant, il y avait du vrai dans son analyse : de nos jours, il est très délicat d’échapper à la vigilance d’une caméra ou à l’efficacité, même laborieuse, des fichiers d’empreintes digitales. Mais quelque chose me murmurait que nous allions manquer de veine sur ce coup-là. Et que notre meurtrier serait plus difficile à pincer qu’on ne le supposait. (...) Par la fenêtre, les nuages se déchiraient progressivement pour laisser toute la place à un ciel d’un bleu impeccable. (p. 38–39) McGill était déçu. L’enquête n’avançait pas aussi rapidement qu’il l’aurait souhaité. (...) Toutes les vidéos qui avaient été collectionnées dans les villas avoisinantes et visionnées par les équipes ne donnaient rien. On n’y voyait que des plans fixes interminables, ou les allées et venues de voitures et de camions de livraison, ou les pas saccadés ou lents de piétons anonymes. Mais pas le moindre meurtre. Pas la plus petite agression. (p. 81) Il est descendu de la voiture, entré dans le hall du Lone Oak. Je suis descendu à mon tour, me suis appuyé contre le métal brûlant de la portière. J’ai allumé une cigarette et avisé les balustrades du motel, l’alignement des chambres, entendu le rugissement des vagues juste derrière. Le soleil était à son zénith et, pourtant, j’ai repéré des granules sur l’avant de mes bras, la chair de poule. (p. 124) J’ai repéré cette femme, accoudée au comptoir, une femme solitaire et belle dans le commencement d’un jour, (...) et le visage de Laura s’est imposé à moi. Cette femme que j’apercevais seulement de profil ne ressemblait probablement pas du tout à Laura mais son geste, sa chevelure, le cambré de ses reins sur le tabouret trop haut, tout cela m’a ramené à elle. (p. 131)