^fi^' tíct-vJL «W/u. / Čl^/qj^^ f JtÁ .L&t-i. j Jj\ 142 Crüiques liltéraires en particulicr qumid il nous monlre son lióros réfléchissanl but leg raisons cle son eiiiprinonno-menta«. Or, e'est ce procérlé analytique qui explique 1'emploi dans L'Elrange.r de la technique améri-cainc. La presence de la mort au bout de nu tře route a dissipé notre avenir en fumée, notre vie eat « sans íendemain », c'est une succession de presents. Qu'est-ce á dire sin on que riiomme absurd e applicjue nu temps son esprit d'analyse? Lá oil Bergson voyait une organisation indecomposable, son ceil nc voit qu'une série d'instants. C'est la pluralitě des instants incommunicables qui rendra compte finalement de la pluralita des etrcs. Ce que notre auteur emprutite á Hemingway, c'est done la discontinuity de ses phrases hachées qui se caique eur la discontinuité du temps. Nous comprenons micux, á present, la coupe de son récit: (chaque phrase est un present. Mais non pas un present indécis qui fait tache et se prolonge un peu sur le present qui le suit. La phrase est nette, sans bavures, fermée sur soi; elle est séparée do la phrase . auivaule par un néant, comme Tinstant de Descartes esL séparé de Tinstant qui le suit. Entre chaque phrase et la suivante le monde s'aneantil et renatt: la parole, děs qu'elle a'elevo, est une creation ex nihilo; une phrase de VStranger e'eet urie He. Et nous cascadons de phrase en phrase, de néant en néant. C'est pour accentuer la solitude de 26. L'Etranger, pp. 103,104. Explication de * VĚtranger » chaque unite phraslique que M. Camus a choisi de faire son reci) ay par-rail compose. Le passé défini est le teiňp de la continuilé: «II sc proměna longlemps », ces mots nous ronvoienl ä un plus-que-parfait, ä un futur; In realitě de la phrase, c'est le verb*;, c'est l' icle, ftVec son caraclere transitif, avec sa transcend nice. «II s'est promené longlemps I dissimule la verbaute du verbe; le verbe est romßu, brise en deux : ďun cóté nous trouvons un participe passé qui a perdu toute transcendance, inerte comme une <;iose, de 1'aulre le verbe « étre i qui na que le sens dune copule, qui rejoint le participe au 8ubstanLif comme 1'attribut au sujet; le caractěre transitif du verbe s'est évanoui, la phrase a'esfc figée; sa réalité, k present, c'est le nom. Au lieu de se jeter comme un pont entre le passé et 1'avenir, elle n'est plus qu'une petite substance isolée qui ae Buffit. Si, par-dessu3 le mařené, on a soin de la réduire autant que possible á la proposition principále, sa structure interne devient ďune simplicitě parfaile; eile y gagne d'aulant en cohesion. Cest vraiment un insécable, un atome de temps. Natu-rellement on n'organise pas les phrases entre elles : elies sont purement juxlaposéesj en particulier on évite toutes les líaisons_cau3ales, qui inlroduira/enl dans le récit un embryon d'explication et qui mettraient entre les instants un ordre different de la succession pure. On éerit: t Un moment aprěs, elle m'a demandé si je l'aimais. Je lui ai répondu que cela ne voulait rien dire mais qu'il me semblait que non. Elle a eu l'air triste. Mais en préparant le 144 Critiques littéraires déjeuner et á propos de rien, eile a encore ri de telle facon que je 1'ai embrassée. Cest á ce moment quo les bruits d'une dispute out éclaté chez Raymond27. » Nous soulignons di'ux phrases qui dissi-mulent 1c plus soignfusetncul possible tin lien causal sous Ja pure apparence dc lu suecfssion. Lorsqu'il faul absolurnent faire allusion dans une phrase á la phrase antérieure, o i utilise les mots de « et. », de « mais *, de I puis », de « c'est á ee moment que... », qui n'evnquent rien sinon la disjunction. Pop position on I'addition pure. Les rappi rts de ees unites temporelles sont externes, cornme ccux que le neorealisme établit entre les clu ses; le reel apparait sans ělre amené et disparait sans étre détruit, le mondc s'effondre el. reriail chaque pulsation temporellc. Mais n'allons pus (roire qu'il se produit lui-rnĚme : il est inerte. Toule activiť' de sa part tendrait ä subslituer des pouvoirs redoutftbtes au ras* iraiit děsordrc du hasurd. Un nätur&lisl u du Y\: siécle eůt écrit: « Lín pont enjamhuil la ivn.ru. » M. Camua st; refuse .1 cet aul hropoiiior-phisme. II dira : « Au-dessus de la riviéře, il y avait un pont. i) Ainsi la chose nous livre-t-etle toul de suite sa pasivito. Elle est lá, simplement, indifferent ciée : « ... 11 y avait qnatre hommes noirs dans la pTěce... devant la porte il y avait une dame que je ne SOnnaisaais pus... Devant la porte, il y avnit la voiture... A cóté ďelle, il y avait 1'op. uina-teur28... t On disait de Renard qu'il finirait par 27. L'Elranger, p. 51, 28. Id., p. 23. ■ ' ■ - Explication de «l'Élranger » 145 écrire : « La poule pond. » M. Camus et beaucoup ďauteurs contemporains écriraient :« íl y a la pnule et elle pond. » C'est qu'ils aiment les choses pour elleB-mémea, ils-ne veulcnt pasJes.diluer.dans_ le ílux dejadurée. « II y a de ľcau »: voilajin petit morccau ďéternilii, passif, impenetrable, incommunicable, rutilunt; quelle jouissance seiisuclle si on pent le touľber! pour ľhornme absnrde, c'est ) unique bien de ce monde. Voilä pourqiioi le romancier préíí'ic ú un récil organise ce scintille-inent dc peliU iV.lals_ aans lendemain dont ehueun est une volupté; voilä pourquoi M. Camus, en éerivanl Ľ ŕ't r anger, peut croire qu'il se tait: sa phrase n'appartient pas ä ľunivers du discours, ellc n'a ni ramifications, ni prolongcmcnls, ni structure intéríeure; elle pourrait se délinii, comme le Sylphe de Vale ry : A'f" c« n i connu : /.e temps ďun sein nu ľ.ntre deux chemises. Rile est mesurée Lrés exactement par le letups d'une intuition sileiieieuse. Pans ces conditions peut-on parler d'un tout qui seraitje rornan de M. Camus? Toutes les phrases de son livre sont óquivalenles, comme sont équiva-lenles toutes les experiences de ľhornme absurd e; chaeune se pose pour cllc-meme el rejelle les aut res dans le néanl; mai.'i, du coup, sauí dans les rares moments oú ľauteur, infidéle ä son princípe, fail de 10 f [f ItSM 146 Critiques littiraires la poesie, aueune ne se detache sur lo fond doa autres. Lea dialogues mem-a sont inti>grcis au recit: le dialogue, en effet, c'est le moment de 1'explica-tioh7 de la signification; lui donrier une place privilegiee, ce serait admettre que les significations existent. M. Camua le rabote, le resume, l'exprime sciuvent en style indirect, lui refuse tout privilege typographique, en sorte que les phrases prononcees opparaissent comme do., dvSnements aemblables aux autrea, miroitent un instant et di: paraiBsent, comme un eclair de chaleur, comme un son, comme une odeur. Aussi, lorsqu'on commence la lecture du livre, il ne semble point que Ton ae trouve en presence d'un roman mats p!utot tl'une »..el>p6e monotone, du chant nasillard d'un Arabe, On peut croire alors que le livre reasemblera a un de ces airs dont parle Courteline, qui «s'en vont et ne revtemient jamais» ft qui s'arrStent tout d'un coup, sans qu'on sar.be pourqu ii. Mais peu a pen l'ouvrage .^organise de lui-rnSmc sous les yeux du lecteur, il r^vele la solidi: substructure qui le soutient. II n'est pas un detail inutile, pas un qui ne soit repris par la suite et verse au debat; el, le livre fei-me, nous comprenons qu'il ne pouvait pas commencer autrement, qu'il ne pouvait pas avoir une autre fin : dans ce rnonde qu'on veut nous donner'comme absurde eL dont on a soij^ejasejn^nt exlirp6 la causalite, le plua petit incident a du poids; i) n'en est paa un qui ne cont.ribue a conduire In hems vers le crime et vers Vexecution capitate. L'stranger est une ceiu B lassique, une ceuvrc Explication de « /'£tranger » 147 rl'ordre, composee a propos de l'absurde et contre I'absurde. Est-ce tout a fait ce que voulait I'auteur? Je ne sais; c'est l'opinion du lecteur que je donne. Et comment classer cet ouvrage sec et net, si compose anus son apparent desordre, si « humain », si peu secret des qu'on en posaede la cle? Nous ne saurions I'appelcr un red I. : le recit explique ct coordonne en jnSmeJemps qu'il retrace, il substitue Vordre causal a renchainement chronologique. M. Camus le nomme « roman |, IVm-lant le roman exige one duree continue, un devenir, la presence manifeste de l'irreversibilite du temps. Ce n'est pas sans hesitation que je donnerais ce nom a cette succession de presents inertes qui laisse entrevoir par en dessous l'ecciiomie mecanique d'une piece monlc'e. Ou alors ce serait, a la maniere de Zadig et de Candide, un court roman de moraliste, avec une discrete jiointe de satire et des portraits ironi-ques2S, qui, malgre 1'apport des existentialistes allemands et des rojnanciers americains, reste trea proche, au fond, d'vyi conte_de Voltaire. • Fevrirr ID43. 29. Ceiu du souteneur, du juge d"ii\stniction, de l'avocat general, etc.