La présence de la littérature canadienne française et québécoise en milieu tchèque (Petr Kyloušek) Pour des générations des Tchèques le toponyme étrange de Québec reste lié à un livre pour enfant Ferdův slabikář (Abécédaire de Fernand la Fourmi), paru en 1939 et constamment réédité depuis, où le dessinateur et auteur Ondřej Sekora (1899-1967) a placé sous la lettre Q le dessin de deux garçons penchés sur une carte du Canada dont l’un demande : « Quido, ty jsi ve kvintě,/ kde je Quebec, prosím tě » (« Quido, tu es en cinquième,/ Dis-moi, où est Quebec, s’il te plaît »). Cette comptine enfantine qui a à jamais lié Québec à la lettre Q - graphème rarissime en tchèque, à la différence du français – ne précise pas s’il s’agit de la ville ou de la Belle Province. Il ne dit rien non plus sur la situation linguistique, ni sur les Canadiens Français. En effet, le Canada reste pour la majorité écrasante des Tchèques un pays anglophone. À l’époque où Sekora dessinait son Abécédaire, l’auteur canadien largement lu fut Mazo de la Roche (Mazo Louise Roche, 1869-1961), une Ontarienne anglophone, dont la série Jalna, en seize volumes, fut traduite dès 1934, avec un grand succès populaire. Autant dire que pour le public tchèque, la face francophone du Canada reste longtemps voilée par un écran anglophone qui ne se déchire que pour céder, d’abord, à un autre écran, celui que représente la littérature française. En effet, si l’on examine les débuts et les grandes lignes de la réception de la culture canadienne française et québécoise, le passage par le « vieux pays » et Paris paraît inévitable. La francophonie canadienne semble inséparable de l’histoire de la francophilie tchèque et c’est dans ce contexte qu’il convient d’examiner aussi bien les premières traductions qu’une émancipation progressive de l’image du Québec aux yeux du lectorat tchèque, à partir des années 1960. Aussi bien que celle du Canada français, la culture tchèque représente un espace mineur, non-autosuffisant et par conséquent ouvert sur le monde environnant. Pour la littérature tchèque, l’importance des traductions relève entre autres de la nécessité de saturer le champ littéraire. C’est dans ce cadre qu’il faut envisager et, éventuellement, évaluer la présence de la littérature française et francophone. Un jeu d’équilibres y est observable. Plusieurs éléments devront être pris en compte pour comprendre la situation : 1^oun bref aperçu des facteurs qui fondent la « différence » française et francophone par rapport à l’influence des autres cultures ; 2^o les facteurs qui participent à la différenciation de la part canadienne française et québécoise ; 3^o l’analyse de la situation actuelle et des perspectives. 1^o Facteurs historiques de l’influence française L’influence de la culture française est liée à la situation de la culture tchèque au 19^e siècle: situation d’une culture périphérique, mineure, mais déjà lancée, comme le Québec d’alors, sur la voie de l’autonomisation. La dynamique culturelle fait partie du processus de l’émancipation nationale et de l’autodétermination qui aboutira à la création de la Tchécoslovaquie en 1918. Trois facteurs ont contribué à renforcer la francophilie tchèque. Le premier, d’ordre politique, est extérieur à la littérature: la déception des élites politiques tchèques qui, à la différence des Hongrois, se sont vu refuser l’autonomie dans la nouvelle organisation politique de l’Autriche-Hongrie après 1867. Un allié du moment, et d’ailleurs le seul qui soit de poids, est alors une France déstabilisée par la défaite et la perte de l’Alsace-Lorraine. Les contacts politiques, même timides, rejoignent, en les renforçant, les tendances de la culture tchèque qui à ce moment cherche à échapper à l’encerclement germanophone. La culture tchèque tente alors de ménager son propre accès, non plus médiatisé par le milieu allemand, à l’universalité. La nécessité des traductions – notre deuxième facteur – s’impose comme le moyen naturel de compléter et saturer le champ littéraire d’une littérature mineure. Si l’ouverture – par le voie de la traduction – est « générale » (littératures scandinaves, russe, italienne, anglaise et autres), l’avantage de la littérature française – notre troisième facteur – consiste à la fois en sa modernité et sa capacité d’offrir aussi bien une littérature élitiste (poésie, roman) qu’une littérature populaire, de consommation et qui satisfait le goût de la bourgeoise moyenne, cultivée (comédie, théâtre de boulevard, cabaret). La jonction du politique et du culturel peut être illustrée par le nombre croissant des Alliances françaises. Celle de Prague, fondée en 1886, comme la première à l’est du Rhin, a été complétée par 18 autres avant 1914. Le nombre des alliances a atteint, dans une Tchécoslovaquie qui avait des liens privilégiées avec la France, le chiffre de 72 en 1938, soit une succursale dans presque chacune des villes de 10.000 habitants,[1] avec une configuration efficace – bibliothèque, lycée, théâtre local. 2^o Facteurs différenciateurs La toute première traduction de la littérature canadienne française fut un des classiques de la québécité – le roman de Louis Hémon Maria Chapdelaine, paru, en tchèque, en 1923 (Marie Chapdelainova. Praha : Vilímek, 1923, trad. Maryša Šárecká-Radoňová. Ce fait, pour emblématique qu’il puisse paraître, ne doit pas faire oublier la réalité de l’influence parisienne, décisive, à savoir le prestige de la maison d’édition Grasset qui avait publié le roman d’Hémon en 1916. Les nouveautés des éditeurs parisiens étaient suivies de près. Ainsi Maria Chapdelaine s’insère dans la série Hémon des étitions Vilímek - La Belle que voilà (Ona kráska. Praha : Vilímek, 1924), Battling Malone, pugiliste (Román boxéra. Praha : Vilímek, 1927) – prolongée, aux éditions Štorch Marien, par Collin Maillard (Hra na slepou bábu. Praha : Štorch Marien, 1927). Il est douteux que l’écrivain, à l’époque, soit perçu comme un auteur canadien français. Toujours est-il que les deux maisons d’édition pragoises semblent illustrer, en partie, la place assignée à Louis Hémon dans le contexte tchèque. Les éditions Vilímek étaient l’une des plus vastes entreprises éditoriales, à large diffusion, allant des collections consacrées à la littérature mondiale aux collections illustrées pour jeunesse (Jules Verne), alors que Štorch Marien, plus modeste financièrement, mais plus proche aussi de la critique littéraire et des avant-gardes, mettait l’accent sur la qualité littéraire. Dans ce contexte, Maria Chapdelaine semble s’insérer d’une part dans la tradition tchèque de la prose ruraliste du 19^e siècle, d’autre part dans le courant minoritaire de l’avant-garde catholique (« katolická moderna ») qui tente entre autres d’infléchir, par la lyrisation, la vision de la campagne. L’exotisme nordique d’Hémon s’y prête au même titre que les traductions de Selma Lagerlöf ou de Tryggve Gulbranssen. Maria Chapdelaine a été aussi traduite en slovaque (Mária Chapdelainová: Príbeh z francúzskej Kanady, Turčianský Svätý Martin : Živena, 1932, trad. Fedor Jesenský; réédité en 1945), puis retraduite dans les deux langues, en tchèque par Věra Dvořáková, en slovaque Felix Kostolanský et Michal Chuda, et republiée, en 1994, par des maisons d’édition de tendance catholique, respectivement Vyšehrad, à Prague, et Spolok svätého Vojtecha, à Trnava. L’étape suivante – et le vrai commencement de la prise en compte de la littérature québécoise - ne commence qu’à la fin des années 1960. À part le fait même de l’effervescence culturelle québécoise il faut prendre en compte la situation interne des cultures tchèque et slovaque, mais aussi plusieurs contingences favorables. Le « dégel » politique et idéologique, lent, mais progressif, des années 1960 en Tchécoslovaquie a non seulement conduit à l’éclosion de la grande prose moderne illustrée par Kundera, Hrabal, Škvorecký, Fuks, Klíma et d’autres, mais il a aussi renouvelé l’orientation occidentale de la littérature. Plusieurs revues, dont surtout les bimensuels tchèque Světová literatura (Littérature mondiale) et slovaque Revue svetovej literatúry (Revue de la littérature mondiale) composent des numéros spécialisés destinés à compbler des lacunes et rattraper des retards. D’éminents traducteurs et rédacteurs de plusieurs maisons d’édition, dont il faut mentionner surtout Odeon, mettent à la disposition des lecteurs les grands auteurs de la modernité – Duras, Butor, Robbe-Grillet, Vian, Pasolini, Calvino, Beckett, Ionesco, Pinter, Dürrenmatt, Böll, Ferlinghetti, Ginsberg, Kerouac. Si la francophonie reste présente, elle ne domine plus comme au début du 20^e siècle. En effet, dès les années 1930, les traductions de l’anglais, surtout de la littérature étatsunienne (Faulkner, Hemingway, Hammet, Chandler) commencent à l’emporter. Les années 1960 ne font que confirmer la tendance. Un événement important a tourné l’attention vers le Canada et le Québec : l’exposition universelle de Montréal, en 1967, à laquelle plusieurs représentants de la culture tchèque ont participé en se familiarisant, tant soit peu, avec le milieu. L’autre facteur important est la personnalité d’Eva Janovcová, éminente critique et traductrice, qui a fait sienne, lors de son séjour au Canada, la cause de la littérature québécoise. En 1967, elle publie dans la Světová literatura l’étude critique « La problématique littéraire du Canada français »[2], précédée et suivie entre 1967 et 1972, de traductions d’extraits et de commentaires de Marie- Claire Blais, Jacques Ferron, Réjean Ducharme, Félix Leclerc, Yves Thériault.[3] En 1972 Jan Rubeš va y ajouter la présentation de la poésie québécoise – Alain Grandbois, Saint-Denys Garneau, Anne Hébert, Éloi de Grandmont, Roland Giguère, Jacques Godbout, Claude Gauvreau - vec traductions.[4] C’est Le libraire de Gérard Bessette qui a joué un grand rôle culturel, voire politique, dans les années qui ont suivi l’intervention de l’armée soviétique en août 1968. Le titre tchèque choisi par Janovcová a été Skandál v knihkupectví (Le scandale dans la librairie). Le livre a été publié en 1972, au moment du durcissement idéologique et des premières persécutions des intellectuels, par la prestigieuse maison Odeon qui est devenue un îlot de résistance intellectuelle à la soi-disant « normalisation » idéologique. La noirceur duplessiste et l’hypocrisie sociale et religieuse était perçue comme une critique de l’actualité politique tchèque. Moins exposée que la française, la littérature québécoise pouvait échapper en partie à la vigilance de la censure communiste. Eva Janovcová en a profité pour faire passer d’autres titres : Yves Thériault, Agaguk (Praha : Československý spisovatel, 1972) et une anthologie Cinq nouvelles canadiennes (Pět kanadských novel. Praha : Odeon, 1978) qu’elle a complétée d’une postface critique. L’anthologie à laquelle ont contribué quatre autres traducteurs – Vít Hořejš, Eva Pilařová, Vlasta Macková et Václav Jamek – contient les textes de Marie-Claire Blais Manuscrits de Pauline Archange (Rukopisy Pavlíny Archandělské), de Claude Jasmin Ethel et le terroriste (Ethel a terorista), Gabrielle Roy La Petite Poule d’eau (Malá vodní slípka), Yves Thériault Le Dernier Havre (Poslední přístav) et Gérard Bessette L’Incubation (Inkubace). La liste des traductions de Janovcová est complétée par celle de Kamouraska d’Anne Hébert (Praha : Odeon, 1977), celle de Pleure pas, Germaine de Claude Jasmin (Neplač, Germaino. Praha : Odeon 1982). Janovcová a aussi traduit Marcel Dubé - Au retour des oies blanches (Když odlétají divoké husy. Praha: Dilia, 1980), Antonine Maillet - La Contrebandière (Mokrý kontraband. Praha: Dilia, 1986) et René-Daniel Dubois - Panique à Longueil (Odysea o sedmipatrech, littéralement Odyssée des sept étages. Praha: Dilia, 1988). À la même période deux autres auteurs dramatiques font leur apparition sur les scènes tchèques : Gratien Gélinas Bousille et les justes (Spravedliví a pytel dobroty. Praha: Dilia 1972, trad. Ivana Vadlejchová) et Michel Tremblay Les Belles-soeurs (Švagřičky. Praha : Dilia, 1972, trad. Julek Neumann). La fin des années 1970 se clôt par la parution de Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy (Štěstí z výprodeje. Praha : Svoboda, 1979, trad. Eva Strebingerová), trente ans après la traduction slovaque (Prítežitostné šťastie. Turčianský Svätý Martin : Živena, 1949, trad. Fedor Jesenský). Les lecteurs slovaques disposent aussi de la traduction de Pélagie-la-Charrette d’Antonine Maillet (Akádie, zem zasĺúbená, littéralement Acadie, terre promise. Bratislava: Slovenský spisovateľ, 1983, trad. Elena Kršáková). Le bilan de la période 1960-1990 est loin d’être négatif. Plusieurs traductions ont vu le jour, plusieurs prosateurs – Marie-Claire Blais, Gérard Bessette, Claude Jasmin, Anne Hébert, Gabrielle Roy – ont marqué le public tchèque; les théâtres tchèques ont eu à leur disposition quatre auteurs d’importance – Dubé, Tremblay, Gélinas, Dubois. Le mérite d’Eva Janovcová, la principale traductrice, est d’avoir su présenter la littérature canadienne française et québécoise comme une littérature à part, distincte de la française. 3^o Situation actuelle et perspectives Les changements politiques de 1989 ont instauré une nouvelle situation. L’ouverture politique a facilité les échanges intellectuels, de nouveaux contacts ont pu être noués tant au niveau universitaire que dans le domaine éditorial. L’économie libérale a complètement transformé le marché du livre. Plusieurs des piliers traditionnels de l’édition de qualité ont disparu lors de la privatisation de la propriété de l’État : dans certains cas on peut même parler d’une braderie du patrimoine intellectuel national. Dans l’ensemble toutefois, l’édition tchèque et slovaque connaît un essor sans précédent au cours des années 1990 qui ont vu le nombre de titres passer de l’ordre de 2000 à 10000 par an. En ce qui concerne la littérature française et québécoise, la traduction est soutenue institutionnellement par les subventions accordées aussi bien par l’Institut Français de Prague que par les autorités canadiennes, notamment le Conseil des Arts du Canada et l’Association Internationale des Études Québécoises. Les années 1990 ont connu aussi le développement des études canadiennes dans les universités tchèques et slovaques sous les auspices et avec le soutien financier du Conseil International d’Études Canadiennes et de l’Association d’Études Canadiennes en Europe Centrale. Le système des bourses du gouvernement canadien a favorisé l’introduction des cours universitaires centrés spécialement sur la problématique canadienne et québécoise. Une nouvelle génération de traducteurs se forme, mieux instruite des spécificités de la situation canadienne, canadienne française et québécoise. Une collaboration régulière s’établit entre les départements universitaires tchèques et slovaques et les universités canadiennes : échanges d’enseignants, colloques, cotutelles des thèses de doctorat. Les deux décennies qui ont suivi la chute du communisme peuvent être considérées comme une analogie des années 1960 – une période de rattrapage dans le but de combler des lacunes culturelles et intellectuelles. La traduction, encore, joue un rôle incontournable. Dans le domaine francophone, la France garde sa position dominante, avec toutefois un glissement notable au profit du discours théorique : philosophie, historiographie, critique littéraire et poétique. En comparaison avec les littératures française, belge, suisse, maghrébines ou africaines, qui ont attiré l’intérêt des maisons d’édition, la littérature québécoise reste à l’ombre. La concurrence élargie et l’amplitude du champ éditorial semblent jouer en défaveur du Québec. Un des rares événements marquants a été la publication d’une anthologie du roman québécois contemporain, colligée par Eva Le Grand et Gaëtan Lévesque À la recherche de l’Amérique (Hledání Ameriky. Brno : Host, 2003) où plusieurs auteurs ont été présentés au lecteur tchèque : Aude (L’enfant migrateur), Noël Audet (L’ombre de l’épervier), Yves Beauchemin (Le Matou), Victor-Lévy Beaulieu (L’héritage), Nicole Brossard (Le Désert mauve), Louise Dupré (La Voie lactée), Louis Hamelin (Cowboy), Sergio Kokis (Le maître de jeu), Monique Proulx (Homme invisible à la fenêtre), Michel Tremblay (Objet de beauté), Yolande Villemaire (La Constellation du cygne). À côté d’Eva Janovcová qui publie en 1998 Volkswagen Blues de Jacques Poulin (Praha : Volvox Globator), une nouvelle génération de traducteurs entre en activité – Jovanka Šotolová, Petr Vurm, Luděk Janda, Petr Christov et d’autres. Mentionnons d’autres traductions d’importance : Wajdi Mouawad Littoral (Pobřeží. Brno: Větrné mlýny, À la recherche de l’Amérique, trad. Marek Sečkář), Gaétan Soucy La petite fille qui aimait trop les allumettes (O holčičce, co si ráda hrála se sirkami. Praha : Academie, 2002, trad. Dagmar Steinová), Dany Laferrière Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (Jak se milovat s černochem a neunavit se. Praha : Argo, 2008, trad. Anežka Charvátová), Nancy Huston Lignes de faille (Rodová znamení. Praha : Odeon, 2008, trad. Alexandra Pflimflová). Les trois derniers exemples montrent, comme d’ailleurs pour les littératures maghrebines, africaines ou autres, la persistance de la situation privilégiée de Paris pour les éditeurs tchèques qui continuent à considérer la capitale française comme le lieu de reconnaissance des valeurs et le lieu de légitimation et d’autorité. Autrement dit, l’image du modèle traditionnel de l’espace francophone avec, au centre, la France qui dominerait les périphéries francophones - européenne, américaine ou africaine, reste profondément ancrée dans les esprits tchèques. Cependant, une lente évolution s’esquisse au profit d’une perception autonome, spécifique, de la diversité littéraire. Quatre exemples peuvent l’illustrer. La revue internet iliteratura (www.iliteratura.cz) qui constitue un lieu d’échanges de lectures, critiques, comptes rendus, interview, réflexions sur l’actualité littéraire, regroupe, sous la rubrique « littératures » (http://www.iliteratura.cz/Literatury/) les différentes littératures répertoriées : le Québec y est détaché de l’ensemble des littératures française, suisse, maghrébines, etc., rassemblées sous l’entrée unique « livres », et il est associé au chapitre du Canada bilingue et dont le bilinguisme est résolument marqué par les mots « books, livres ». Serait-ce l’indice que le Québec commence enfin à être perçu, dans le cadre canadien, comme un territoire à part? L’autre exemple est l’édition de 2008 du Festival « Mois de la lecture » qui se tient chaque année au mois de juillet à Brno. Dans le cadre du festival, 32 auteurs canadiens sont venus présenter leurs oeuvres et parmi eux bon nombre d’auteurs québécois : Nicole Brossard, Martine Audet, Louise Dupré, Jean-François Chassay, Denise Desautel, Pascal Millet, François Barcelo, Élise Turcotte, Sylvie Massicotte, Hélène Rioux, André Roy, Louise Desjardin. Le troisième facteur qui contribue à fixer, dans le public tchèque, l’idée d’une littérature québécoise indépendante, est le Dictionnaire d’écrivains francophones (Slovník francouzsky píšících spisovatelů. Praha : Libri, 2001) dont la préface traite la situation canadienne séparément dans un sous-chapitre spécial. Enfin, une Histoire de la littérature canadienne française et québécoise en tchèque (Kyloušek, Petr. Dějiny francouzsko-kanadské a quebecké literatury. Brno : Host, 2005) est désormais à la disposition des lecteurs avertis. En 2010, la revue Splav, « Mensuel pour la littérature mondiale » et rejeton éloigné de Světová literatura des années 1960, a consacré son double nuéro de juillet-août, à la littérature canadienne. À côté des anglophones Thomson Highway, Margaret Atwood, Don McKay, Dennis Cooley et d’autres, on y trouve la présentation et les traductions de la poésie de Jacques Brault (trad. Eva Koryntová) et des proses de Monique Proulx (« Français, Françaises », « Francouzi, Francouzsky », tiré des Aurores Montréales, trad. Eliška Matyášová), de Sylvie Massicotte (« Puisque c’est comme ça », « Prostě to tak je » et « Le vent doux », « Hřejivý vánek », tirés de Partir de là, trad. Klára Ležatková), de Roch Carrier (« L’ouvrier modèle », « Příkladný dělník » et « Magie noire », « Černá magie », tirés de Jolis deuils, trad. Eliška Matyášová), de Jacques Ferron (« Paysagiste », « Krajinář », tiré de Contes, trad. Klára Ležatková), de François Barcelo (« Fernand Fournier », tiré de Ville-Dieu, trad. Eliška Matyášová). Conclusion Près d’un siècle s’est écoulé depuis la traduction de Maria Chapdelaine. C’est l’occasion d’un bilan. Les critiques québécois auraient peut-être du mal à reconnaître l’image de leur littérature que la traduction en tchèque et en slovaque leur renvoie. Sauf les quelques noms que nous avons répertoriés dans notre présentation, le public tchèque et slovaque ne dispose toujours pas encore de l’ensemble des grands auteurs qui constituent le canon littéraire québécois, il ne possède pas non plus de présentation tant soit peu « intégrale » ne serait-ce que d’un seul auteur, comme c’est le cas par exemple de Balzac, Camus, Vian, Houellebecq. Membra disiecta – telle est la situation de la littérature québécoise en République tchèque et en Slovaquie. Néanmoins, le balayage commencé par Eva Janovcová à la fin des années 1960 a sans aucun doute amorcé l’esquisse d’un aperçu et a familiarisé les lecteurs avec certains auteurs et oeuvres clés qui, après tout peuvent être considérés comme représentatifs des grandes tendances et thèmes : roman du terroir, roman urbain et social, révolution tranquille, problématique du joual, littérature migrante. Un acquis positif en résulte : la littérature québécoise ne se confond plus avec la française dans l’esprit du public cultivé. Mais pour donner une idée plus complète, il s’agit désormais de creuser et de systématiser les traductions, de remplir les cases vides. ________________________________ [1] Milena Lenderová, « Le démantèlement des Alliances. Une histoire de l’Institut français a Prague, 3e partie, 1918 – 1938 », Štěpánská 35, Prague, Institut français de Prague 1993, pp. 9-10, avec une référence à G. Pistorius, Destin de la culture française dans une démocratie populaire, Paris 1953, p. 36. [2]Janovcová, Eva. « Literární problémy francouzské Kanady ». Světová literatura, 6, 1967, pp. 44-50. L’étude présente la littérature canadienne française depuis les origines jusqu’à la Révolution tranquille et la génération du Parti pris. On y relève, entres autres, les noms de Léo-Paul Desrosiers, Gabrielle Roy, Jacques Ferron, Gérard Bessette, Suzanne Paradis, Marie-Claire Blais, André Major, Jacques Godbout, Hubert Aquin, Gilles Vigneault, etc. Il s’agit d’une présentation succinte, mais complète, fondamentale pour la connaissance de la littérature canadienne française. [3]Ferron, Jacques. « Buddhista » (« Le Boudhiste »), « Marina » (Martine »), « Lvoun » (« L’Otarie »), « Návrat do Kentucky » (« Retour au Kentucky »), « Smrt staříka » (« La mort du bonhomme »). S větová literatura, 4, 1967, pp. 171-180. Les traductions, tirées des Contes, sont accompagnées de l a présentation de l’auteur. Janovcová, Eva. « Réjean Ducharme, člověk, který nechce být pohlcen » (« Réjean Ducharme, homme qui ne veut pas se laisser avaler »). Světová literatura, 2, 1968 (compte rendu avec des extraits de l ’Avalée des avalés); Blais, Marie-Claire. « Jedno období v Emanuelově životě » (« Une saison dans l a vie d’Emmanuel »). Světová literatura, 4, 1967, pp. 3-43. Leclerc, Félix. « Thalia », Světová literatura, 1, 1972, pp. 244-248. Le texte est tiré du Hamac d ans les voiles et il est accompagné d’une succinte présentation de l’auteur. Thériault, Yves. « Úřední dopis » (« Lettre du gouvernement », iré des Contes pour un homme seul). Světová literatura, 1, 1972, pp. 249-252 (avec un court portrait de l’auteur). [4] Rubeš, Jan. « Současná francouzsko-kanadská poezie » (« La poésie canadienne française contemporaine »). Světová literatura, 1, 1972, pp. 237-243.