TOXOPLASMA justement, prend le relais. Comme quand on trouve la solution d’une énigme compliquée, ou qu’on réussit un saut difficile à Super Mario le matin, après une soirée entière passée à crever. C’est ça qu’elle cherche, ce déclic, quand la réalité devient son intimité, ou le contraire. Quand elle se retrouve à l’envers d’ellemême, ou que le monde devient l’en-dedans. Elle s’agenouille, ouvre son calepin pour le dessiner. On dirait une sorte de bonhomme, entouré de signes illisibles, une écriture peut-être. Un alphabet à décoder. Est-ce vraiment le même signe? Elle n’a pas osé le dessiner la veille, de peur d’attirer l’attention du milicien du parc, mais peut-être qu’aujourd’hui de Gaspé sera de nouveau safe, elle pourra prendre le temps de comparer. The game is afoot, comme il dit l’autre. TROPHONION V888c-ggg 1003AM c’est sa copine catho qui lui a mis tout ça dans la tête trop influençable la rebelle dites les post-modernes, les post-humains, les post-chieries, post-ivresse, post-gamers, post-violeurs, post-pipo, vous captez,rien sérieux ahaha la rebelle de la console sérieusement allez vous faire foutre, vous pensez quoi, que c’est mieux d’être un robot que d’être une femme? au moins les trans ils essaient d'être ce qu’ils sont, c’est ça le courage 42 BEAU DOMMAGE libérale mais vous comprenez pas Nikki se trompe aussi, on voit tout depuis le ciel, vers la terre. Du plus grand vers le plus petit. Tout vient du ciel, il nous a fait à son image, putain, c’est n’imp, comment tu veux qu’on prenne conscience de quoi que ce soit, tout est transcendant, alors que non, non, on sait très bien que ça part de nous, de nos pieds, des petites abeilles, et que ça grandit vers l’infini pour toujours, et que c’est que comme ça qu’on arrivera à comprendre notre place, notre destin de poussière, notre désir de nous étendre à... déjà, si on pouvait prendre conscience de notre désir à plus détruire cette putain de planète, ça me ferait des vacances on a le silicone pas dans les foufounes kiim tu crains tu veux pas voir que c’est mort, l’humanité pue, elle chie dans son eau potable, t’as pas à t'intéresser au destin de tes congénères, tout le monde s’en fout, tu vas sacrifier ta vie pour une vertu qui te donnera rien dans les foufounes et les seins mais toi t’as des méga gros lolos finalement t plus catho que je le pensais @stan tu dis n’imp, c’est pas en privilégiant une caste qu’on va faire un futur ensemble - le posthumain c'est un truc marketing pour aider les plus riches à se sentir spéciaux et dans un film de sf 43 TOXOPLASMA mais au final c'est juste un argument pour vendre plus de plastique comme tes seins C'est bien beau la nanotechnologie, encore faut-il avoir la sécu Craignant le retour imminent de la pluie, Nikki retourne au parc dessiner le premier signe, pour être sûre qu’il s’agit bien du même. Pas tout à fait : les écritures sont différentes. Assez pour commencer un alphabet peut-être. Elle se demande si quelque chose a eu lieu près de ce signe, s’il ne marquerait pas une sorte d’événement. Une performance d’artiste? Fort possible, vu les tarés qui officient dans cette ville. Un rituel ? Nikki n’est pas très familière des aspects les plus occultes de Montréal, quelques tunnels, des maisons hantées, mais des sociétés secrètes? Il faudrait que ce soit récent. L’arrivée des fascistes au pouvoir aux USA a considérablement libéré la pensée spirituelle - les sectes sont à la mode, elles ont d’ailleurs fracturé plusieurs Etats là-bas, inaugurant la mode des micro-guerres civiles. Certains pensent même que c’est un modèle d’avenir. Quand les guerres en Europe ont pris le relais après la Septième Crise, c’est le monde qui s’était engouffré dans la brèche du mysticisme. Elle en sait quelque chose : elle a fui les griffes d’une communauté pseudo-chrétienne instrumentalisant la femme et refusant toute ouverture des frontières. Leur argument avançait d’obscures théories économico-théologiques mêlant avènement céleste et rétablissement du marché libre. Kim a même un slogan pour ça : « Le jour où le nazisme sera rentable, tous les capitalistes seront nazis. » 44 BEAU DOMMAGE «... le monotone de mes monologues quotidiens. Vous écoutez Radio GRA, il est neuf heures. Ici du haut de ma tour de sorcier maudit,je vous regarde, petitesfourmis, etje me dis qu’on vit dans le meilleur des mondes possibles. Au bord du gouffre, dans l’attente que le volcan s’éveille et nousfossilise dans le souffle de son éternité. Nous et nos Rayban de pilotes d’hélicoptères, nos portables qui marchent pu et nos espoirs de démocratie directe.» La pluie a fini par s’abattre sur la ville, explosion de chaleur humide qui semble goutter d’un monde invisible, un monde du dessus qui pisserait sur les étages d’en-dessous. Nikki se pose dans un café lituanien pour commander une sorte de soupe flasque pleine de tofu irradié qu’elle paie avec un livre de poésie de Whittier qu’elle a réussi à protéger de l’eau. Posée sur le four une radio déverse un flot de guitares folk, pis l’animateur reprend la parole. «Alors à propos du raton laveur, je vous signale que la Phalange Protection Animaux Sauvages de Montréal a lancé un appel à témoins, je cite le bonhomme qui est venu nous papoter ici: “Ce geste inqualifiable est cruel pour les animaux et traumatisant pour les défenseurs des droits des animaux dans l’île libérée”... Ouais bon, je sais on enfait des caisses alors que lesfafs tabassent à tour de bras et qu’on parle déjà de bûchers anti-fem et tout mais ouais, tuer des animaux c’est pas mal poche. Comment vous voulez qu’on ait l’air crédible si on se permet des trucs pareils? Le monde nous regarde les loulous. C’est pas le moment de vous toucher la nouille en dépeçant des rats. » 45 TOXOPLASMA Nikki ne connaît pas cette entité, l’une des multiples nanomilices créées dans le sillage de la Commune. Il va falloir leur rendre une petite visite. Peut-être embrasser cette carrière de détective qu’elle souhaite de tout son cœur. C’est dans la panoplie de ce métier imaginaire qu’elle décide de s’inventer, installée devant ses indices. Détective publique, car personne ne la paie pour. Même si personne ne sait ce qu’elle fait. Personne pour la cadrer, pour l’apprécier. Personne pour la mettre en valeur. Aucune musique pour rythmer ses recherches. Juste elle et son fredonnement intérieur. Elle se fait son film, elle se fait des films. Dans quel film es-tu aujourd’hui Nikki? Dis-nous, montre-nous. Quel nom portes-tu au générique? Qui te produit? Elle rit de sa misère, mais s’en contente. Quelque part, elle sait, quelqu’un la regarde rire. « Ouais ben voilà, Radio GRA vous sert la soupe et moi j’ai encore faim. Heureusement qu’on a nos jardins communautaires et nos petits balcons pour nourrir ce beau monde eh ? Les nouvelles du front sont bonnes, on tient les tanks à distance et tous les ponts hors de la ville sont bouclés, alors pourquoi toute cette angoisse? Nous pouvons, nous devons prouver que ce que nousfaisons ici est un modèle pour l’avenir. Nous avons toutes les cartes en main pour prouver aux vieilles nations européennes que l’autonomie n’est plus une utopie, que nous pouvons fédérer nosforces et supprimer nos armées et nosfrontières. Notre Commune est un caillou lancé dans la mare dufutur - et si nos camarades en Amérique du Sud continuent leur pression sur le mur de Trump, les derniers bastions des USA de l’estfiniront par tomber et c’est tout le continent qui viendra à notre secours. Nefaiblissons pas ! » 46 Z BEAU DOMMAGE I ’ans le café, des jeunes travaillent en buvant des jus d’asperge. Ils griffonnent dans leurs copies de Moleskine pour revivre h' inonde ancien des réseaux sociaux, entre romances et faux boulots, perpétuant le meilleur de cette vie d’avant quand on avait encore Internet. Dehors la pluie ruisselle en galaxies de sourires sur la vitre. Nikki s’y reflète, assise, elle se regarde, une bande-son inaudible contextualisant sa pose - elle croit deviner un morceau de Mitch Murder qu’elle aime beaucoup, Remember When. Elle s’observe, comme elle observerait une actrice en train de jouer. Spectatrice de sa propre évanescence, se laisse délier. Lui reviennent en tête des images de forêt abandonnée, d’une présence gracieuse au fond des bois détruits une Déesse peut-être. Elle s’efforce de retrouver les images, invisibles pour les spectateurs absents, ou alors en insert de ilashbacks : entre les arbres démolis, une forme qui danse, folle ou ivre. Mais un autre détail, là, dans ce tronc éventré. Un liquide, un glouglou, comme ces gouttes qui tombent depuis tout là-haut et qui... Elle regarde la montre de son voisin. Elle craint vraiment de perdre son job si elle montre pas sa bouille dans l’aprèm. Cut. TROPHONION GSS-FFS-BBTM 0423AM et pourquoi tu crois qu'ils voulaient des putains de capsules sub-orbitales ? C’est pas pour coloniser l’espace, c’est juste pour avoir leurs culs 47