POESIE HAÍTIENNE CONTEMPORAINE (anthologie) i 2 Saint-John KAUSS POESIE HAITIENNE CONTEMPORAINE (anthologie) Passerelle 3 Edite par Association Culturelle Passerelle www.e-passerelle.ca Courriel: e.passerelle(g),gmail.com Imprime en version papier et numerique © Copyright by Saint-John Kauss, 2011. Premiere edition: Association Culturelle Passerelle, Montreal, 2009. Dessin de couverture : Ronel Marcellus, peintre 4 (Euvres parues 1979.- Chants d'hommepour les nuits d'ombre, poemes, Editions Choucoune, Port-au-Prince, Haiti, 70 pages (epuise). 1979. - Autopsie du jour, poemes, Editions Choucoune, Port-au-Prince, Haiti, 120 pages (epuise). 1980. - Hymne ä la survie et deux poemes en mission speciale, poemes, Editions Damour, Port-au-Prince, Haiti (epuise). 1981. - Ombres du Quercy, poeme, Editions Nelson, Montreal, Canada, 25 pages (epuise). 1981. - Au fllin des cceurs, poemes, Editions Nelson, Montreal, Canada (epuise). 1982. - Entre la parole et I'ecriture, essai, Editions Nelson, Montreal, Canada (epuise). 1983. - Zygoeme ou Chant d'amour dans le brouillard, poeme, Kauss Editeurs, Montreal, Canada (epuise). 1984. - Twa Degout, poemes Creoles, Editions Choucoune, Port-au-Prince, Haiti, 35 pages (epuise). 1986. - Tel Quel, pamphlet, Editions Choucoune / Kauss Editeurs, Port-au-Prince / Montreal (epuise). 1987. - La danseuse exotique precede de Protocole Ignifuge, poemes, Editions Choucoune, Port-au-Prince, Haiti (epuise). 1991.- Pages fragiles, poemes, Editions Humanitas, Montreal, 120 pages (epuise). 1993.- Testamentaire, poemes, Editions Humanitas, Montreal, 135 pages (epuise). 1995. - Territoires, poemes, Editions Humanitas, Montreal, 130 pages (epuise). 1996. - Territoire de l'enfance, poemes, Edition bilingue : francais-roumain, Humanitas / Libra, Montreal / Bucarest; Version roumaine, Traduction de Andrei Stoiciu, Editura Cogito, Oradea, Roumanie, 1997, 110 pages. 1998.- Pour une nouvelle litterature : Le manifeste du surplurealisme, essai, Editions Presence, Montreal. 5 1998.- Le livre d'Orphee, poeme, Editions Presence, Montreal, 30 pages. 2005. -Paroles d'homme libre, poemes, Editions Humanitas, Montreal, 138 pages. 2006. - Le manuscrit du degel, poemes, Editions Humanitas, Montreal, 162 pages. 2007. -Hautes Feuilles, poemes, Editions Humanitas, Montreal, 185 pages. 2007. -Poemes exemplaires, poemes, Editions Joseph Ouaknine, Montreuil-sous-bois (France), 110 pages. 2008. -L'Archidoxepoetique, essai, Editions Humanitas, Montreal, 143 pages. 2009. - Poesie haitienne contemporaine, anthologie, Editions Passerelle-ACP, Montreal, 254 pages. 2011.- Eloge de VInterlocuteur, entretiens, Editions Joseph Ouaknine, Montreuil-sous-Bois (France), 140 pages. 6 á Richard Brisson á Jean-Claude Charles morts, barques de larmes 7 8 « L 'anthologie n 'est ni permanente ni épisodique, mats parente éloignée du musée. » (André Malraux) «... car je n 'ai jamais compris la poesie qu 'á deux époques de la vie humaine : jeune pour chanter, vieux pour prier. line lyre dans la jeunesse, une harpe dans les jours avancés, voilá pour moi la poesie : chant d'ivresse au matin, hymne de pietě le soir; I 'amour par tout. » (Lamartine) « J'appelle poesie un conflit de la bouche et du vent la confusion du dire et du taire une consternation du temps la déroute absolue J'appelle poesie aussi bien le cri que le plaisir m 'arrache ou la phrase écrasée avec une pierre J'appelle poesie á la fois ce qui ne demande point d'etre compris et ce qui exige la revoltě de I'oreille... » (Aragon) 9 10 Avant-Lire Ce n'est pas sans fierté que nous présentons aujourd'hui cette somme de la poesie et des reflexions haitiennes écrite dans l'ile et dans la diaspora, c'est-a-dire au Quebec, aux États-unis et ailleurs. Ce travail qui constitue certes la derniěre née des contributions apportées á la littérature haitienne rejoint celles déjá publiées par des anthologistes et critiques littéraires de renom, comme Édouard La Selve, Duraciné Vaval, Ghislain Gouraige, Maurice Lubin, Prádel Pompilus, Frěre Raphael Berrou, Jules André Marc, Raymond Philoctěte, Léon-Francois Hoffmann, Maximilien Laroche, Pierre Raymond Dumas, Eddy Arnold Jean et Christophe Charles. Nous avons lu quelque part que toute littérature est «la mise en ceuvre d'une mythologie, c'est-a-dire d'un modele verbal de la culture propre á une société ». De celle que constitue l'ethnie haitienne en general, nous pensons qu'il existe une nouvelle littérature distribuée autour de forces et de tendances éparses, différentes de celles qui dominaient les années antérieures. La Revolution et l'apport des poětes du groupe Haiti Littéraire plus versés dans le lyrisme universel, ont force de toute evidence les plus jeunes des generations suivantes á écrire différemment. L'eclairage a done aujourd'hui pour trame l'actualite des mots et des images. Et dans le champ de la conscience et de l'animation poétique, il s'agit ici pour les nouveaux écrivains de créer et d'apporter une ceuvre vigoureuse qui serait une ceuvre de jouissance continuelle, un objet de val eur et ďesthétique quotidienne capable de rehausser la culture haitienne du dehors. Formés ďabord á la rude école de 1'exil, la majorité des écrivains ici présentés, malgré un séjour prolongé á 1'extérieur d'Haiti, se sont toujours toumés vers 1'investigation verbale avec pour territoire les mots ... et l'ile de la memoire. Et á mesure que ces derniers atteignaient la maitrise de 1'écriture et forcaient la mise en page de 1'imprimé, certains ont forge une nouvelle littérature, sans tendance déclarée, ni école et ont donné naissance á de nouveaux groupes ď écrivains, développant de nouvelles méthodes ďécriture et explorant de nouveaux champs de la creation. D'autres, bien sůr, sont restés dans la tradition intellectuelle de cette éeriture créée par les faiseurs ďétoiles, pour ainsi dire dans la lignée directe des hommes comme Hölderlin, Göngora, Blaise Cendrars, Aragon, Paul Eluard, Valéry et Perse, dont ils se réclament ď ailleurs. Aprěs plus d'une trentaine ďannées au Quebec, aux États-Unis et ailleurs, ces poětes de l'exil ont singuliěrement évolué, leur conception de l'art également. Des arguments majeurs plaident aujourd'hui en faveur de cette nouvelle éeriture tour á tour multifactorielle, étoilée, renfermée et fréquemment ineriminée. Ces chasseurs ďétoiles, ces poětes libérés doivent étre plutöt salués dans le développement de leurs activités si positives, associées á la relance de 1'art du dire. Leurs trav aux, pour ainsi dire leurs écrits, abordent principal ement les contraintes affectives de 1'art haitien en particulier, d'une culture si prospěre toujours á 1'affůt de 1'originalitě. 11 Les écrivains présentés ici (anciens et nouveaux pour fins de comparaison) sont néanmoins l'expression naturelle de cinq á six generations de poětes haitiens qui ont cru au pouvoir des mots. Le couraní central actuel de cette littérature est, sans exagération, ďun optimisme süffisant. Ces écrivains ne cherchent plus une issue. Dans l'angoisse perpétuelle, parmi les pauvres et les ruines ďune société universellement décadente, leurs interrogations relěvent avant tout d'un trouble existentiel et langagier. Ces poětes semblent renforcés par la conviction de transmettre aux generations futures des ceuvres pressées d'affirmer l'essence d'une littérature de grand calibre. Iis sont conscients des ceuvres de discipline d'ou scintille la réalité des images précieuses. Iis ont créé, en d'autres mots, un optimisme séducteur par le style qui, chez eux, est « le lieu et le signe de la qualité ». Qu'a cette derniěre presentation de poětes haitiens suivent d'autres au plus haut point! Saint-John Kauss 19avril 2009 12 Yves ANTOINE Yves Antoine, ne a Port-au-Prince (Haiti) le 12 decembre 1941. Etudes : comptabilite, pedagogie, lettres francaises. Enseignant, poete et critique litteraire, Yves Antoine a publie de nombreux ouvrages dont principalement Les sabots de la nuit (1974), Alliage (1979), La Veillee (2010) et surtout 1'excellent Semiologie et personnage romanesque chez Jacques Stephen Alexis (1993). II figure dans plusieurs ouvrages de reference sur la litterature noire d'expression francaise. L'INDELEBILE Ma maison est legere comme un oiseau Elle n'a ni porte ni fenetre et donne sur la saison couleur de cendre Une chanson l'habite Qui s'appelle silence Ma maison a perdu la memoire des mots confond riviere et sang statue et fantome rires et pleurs Le chemin qui conduit a ma maison est un fil qui imite les gestes du vent La ouje vais je traine sous le bras ma maison telle une piece a conviction. POUR CELLE QUI PART AGERA MA DERNIERE NUIT En chantant je te ferai un collier d'arc-en-ciel Devant tes pas de porcelaine je deroulerai un tapis de fleurs : tubereuses, orchidees, lauriers, bougainvillees Tu poseras la tete sur le traversin de ma tendresse En signe de victoire sur le temps Enfin dirai-je tu es venue tu es lä Ä coups de mots je sculpterai ton visage ä travers la grisaille de l'avenir Mes mains se sentiront moins derisoires. 13 Coriolan ARDOUIN Coriolan Ardouin, ne ä Port-au-Prince (Haiti) en 1812. Enfance d'orphelin des Tage de douze ans. Triste et malheureux par la mort ä la meme epoque (1824) d'une soeur aimee et, en 1835, par celle de sa femme apres seulement quelques mois de mariage, sans oublier le deces d'un de ses freres ä peine fut-il ne, Coriolan Ardouin est, ä notre avis, le prototype par excellence du « poete maudit ». Poitrinaire, il mourut le 12 juillet 1836 ä Tage de vingt-quatre ans. LE DEPART DU NEGRIER Le vent soufflait, quelques nuages Empourpres des feux du soleil, Miraient leurs brillantes images Dans les replis du flot vermeil. On les embarque pele-mele, Le negrier, immense oiseau Leur ouvre une serre cruelle, Et les ravit ä leur berceau! L'une, le front sur le cordage Repand des larmes tristement, L'autre de l'alcyon qui nage Ecoute le gemissement, L'une sourit dans un doux reve, Se reveille et sourit encor, Toutes en regardant la greve Demandent son aile au Condor — Minora, quel exil pour ton cceur et ton age! Son ceil reflechissait le mobile rivage, Elle etait sur la proue : on dirait a la voir, Toute belle et des pleurs coulant sur son visage, Cet ange qui nous vient dans nos reves du soir. 14 Cen est fait! Le navire Sillonne au loin les mers. Sa quille entend l'eau bruire Et ses matelots fiers Aiment sa voile blanche Qui dans les airs s'etend Et son grand mát qui penche Sous le souffle du vent Car á la nef qu'importe La rive qui l'attend, Insensible elle porte Et l'esclave et le blanc! {Les betjouanes) 15 Robert BAUDUY Robert Bauduy, ne a Jacmel (Haiti) le 21 decembre 1940. Diplome du Conservatoire National d'Art Dramatique, il a egalement etudie a la Faculte d'Ethnologie de l'Universite d'Etat d'Haiti. Tres actif au niveau du theatre, il a collabore avec Franck Fouche. La majorite de ses poemes, articles-critiques et etudes sur le theatre populaire haitien se trouvent dissemines dans plusieurs journaux et revues de Port-au-Prince. Robert Bauduy n'a publie que deux ouvrages, un recueil de poemes et un essai : Oracle du mal d'aurore (1973) et Un second souffle pour le theatre haitien (1974). II est mort et mis sous terre a Jacmel en 2008. ORACLE DU MAL D'AURORE (extraits) A mon peuple, lune combien de temps encore loucheras-tu d'un ceil mourant la Maitresse de l'eau lorsqu'elle s'engouffre derriere la tete les cataractes de chagrins qui dansaient leurs epees dans l'emeraude des regards ou alors jouant au lago avec un nuage noir au masque de galant sur la lisiere des rives de la Gosseline ou cuipent les caracos sous la grele des battouels. (...) Jacmel O ma ville de raras en plein jour et des refrains de trieuses de cafe vers les glacis du bord de mer. Balise au vent des demesures et dechue aux prieres Tes fagots d'esperance en falbalas de mines. (...) 16 Ma ville aux bras des mers á narguer les émois aux avant-jours de cataclysmes. La fumée aux abois et 1'épouvante au paroxysme dans le tumulte des discordes. Au pavé de tes fiěvres le cadavre des vents. Désastre le chant des ouragans. Á la parade ď éclopés tes rues ďáge révolu ivres d'enfants aux joues dévalisées d'innocence. 17 René BÉLANCE René Bélance, né á Corail (Sud ďHaíti) le 8 janvier 1915. Enseignant et poete, il a vécu aux Etats-unis oú il enseigna á Brown University. II a publié Luminaires (1941), Pour célébrer l'absence (1943), Survivances (1944), Epaule ďombre (1945) et, pres de quarante ans plus tard, Nul ailleurs (1983). René Bélance fut, avec Saint-Aude et Davertige, considéré vers les années 60-70 comme un poete mythique et surrealisté. GEÖLE ä Daniel Arty Absurde l'air de croire qu'un peu de seve coule dans la veine de l'arbre Voir clair Absurde si le geste joue ä faux dans la danse des momies Pourtant le sang giclant de tes mains germera Ton cri passera l'orage mais ce n'est pas de nos cceurs desseches par la peur que surgira l'echo Je crois fertile tout sacrifice raeme si nous toumons en rond quand ton dire seditieux appelle une levee de bras Nous ayons gree sur la peur Je ne chante pas dans l'orage de nos jours absurdes Lächete ou peur de vivre 1'horreur des fauves Je savais dejä que ta voix dans la houle ignore les chemins de la moisson lis ont ferme la ville pour torturer des ombres L'amour est interdit Car il n'est pas juste d'aimer parmi les contempteurs du reve Dejä nous avons recu 1'ordre d'incinerer la joie Pas une goutte d'eau 18 ne tombera sur nos feuilles Pas une main de femme sur la biěre ďune liberté souillée giflée violée garrotée Profane le sein charnu de fille en sourire Médusée la ville froide portant tellement son sexe dans les yeux On viole pour ľhumilier la femme interdite au défoulement du moribond Une ville castrée une ville percluse Je ne chante pas si ľhomme cede á la gifle Et je suis lache de voir clair si la semence n'est au bout du songe Je ne sais plus si tes menottes ne sont une couleuvre pour se muer en épée du réveil immanent et si le sang de ta main n'est pas le sang proche du bourreau Je n'ai méme pas á battre ma coulpe de ne rien dire Et je crois á la toute-puissance du venin de ma langue Ma ville amputee sans bras pour barrer la nuit gagnante tu n'es qu'une ville qui a peur couchée dans sa bave oses-tu un soupir avec cette voix bouclée Je sais que la goutte d'eau jamais ne déborde si le vase est vide Nous avons crié dans la nuit ľ echo de notre hallali en a ri á perdre hal eine Mon chant n'a méme pas un accent de blessure honteuse Mon chant n'endort méme pas cette ville prostrée muette Mon chant n'est pas ľalléluia de notre faim capitale Mon chant n'est pas une encre qu'on efface Mon chant de dernier hoquet Mon chant qui n'est pas un faux quand l'arbre est une pierre la poignée de main d'homme un poignard ... {Nul ailleurs) 19 Franz BENJAMIN Ne ä Port-au-Prince, Franz Benjamin vit ä Montreal. Poete et diseur, il a dejä publie Valkanday (2000), Chants de memoire (2003), Dits d'errance (2005), Lettres d'automne (2007). II a aussi participe ä plusieurs anthologies dont Montreal vu par ses poetes (Paroles / Memoire d'encrier, 2006), Perles de mots (Dossiers d'Aquitaine, Bordeaux, 2007), Palabras pueden I Power of words I Les paroles peuvent (UNICEF, Panama, 2007). 1- A la blancheur de la page je cherche encore mes mots de raison mon mal de cerf-volant Tu ne m'as laisse qu'une feuille a bruler les chaumieres de ton toi afin d'oublier les recettes de la douceur de ton corps poussiere d'etoiles 2- Quel est done ce dieu zebre qui t'a donne le pouvoir de m'enfanter une nuit de pluie ou nos langues se sont deliees dans la musique de Cervantes et de tes routes savantes Toi l'erudit de lajoie et des agapes de jujube tu deambules en moi habillee de vers et de 1'insolence de la nuit Tu n'es qu'horizon dans mes malles de reve ma premiere quete de larmes sucrees dans la cargaison des femmes-poemes Dans mon livre a venir je t'ai garde la derniere strophe la seule phrase de mes draps de mer. 3- Sequence des ombres de tes handles de silice 20 il n'est bruit que d'oiseau sur les pages de ton ciel Haut vol marin en ta marge Soufriere de tous les petits poissons d'eau douce brules en tes larves qui marchent sur les epaules du soir C'etait au temps de l'angelus ou mes prieres recitees a voix basse avaient donne des noms de fleur a tes dix doigts 4- Tu m'es encore mer ouverte au linceul des ouvrages de brume Agape en ta nuit de vendange et des melodies de guitare clouees a tes cheveux Tu me fais bateau pour tes voyages d'escrime la jetee des soupirs en tes escales d'avril Pas a toi en tes marees hautes sur tes seins qui me disent encore leurs secrets d'ananas 5- Combien de connivences faudra-t-il deterrer pour t'agripper une goutte sur ma tempe Combien de nuits faudra-t-il etaler sur cette heure a 1'infini de tes enlisements 6- A l'auvent de tes bourgeons je suis la plants qui roucoule sur une pointe de ta seve je suis la branche qu'on arrache a 1'embouchure des adieux ci-git la feuille 21 ci-git la plume signant l'adieu des connivences A l'auvent de nos bourgeons ma nudite seche te tiendra compagnie jusqu'a la prochaine saison d'averse Regnor C. BERNARD Regnor C. Bernard naquit á Jérémie (Haiti) le 18 octobre 1915 et mourut á Montreal le 2 septembre 1981. Son ceuvre littéraire comprend trois recueils de poesie : Le souvenir demeure (1940), Péche ďétoiles (1943), Něgre\\\ (1945) et un court essai intitule Sur les routes qui montent (1954). II a laissé, parmi des poěmes epars, un manuscrit au titre significatif, Silence au dur visage, jusqu'a present inedit. AUBE Je poserai mon poing lourd sur la table Et vous rentrerez dans le silence comme des ombres. Et la nuit sera en vous, Autour de vous, quand un eclair naitra dans mon regard, II y a des socles qui crouleront Quand je chanterai ma chanson souveraine Et quand mon doigt se levera dans le soleil. Vos citadelles se sont elevees sur ma chair; Mais si ma chair en est meurtrie, La souffrance n'aura pu que bander ma volonte Comme un arc. Et je suis encore le volcan qui saluera D'une musique dangereuse et belle La fin du lourd cauchemar L'appel de la Releve. Le savez-vous? II me suffira de remuer mon echine Et de poser mon poing lourd sur la table Pour que dans le silence et dans la nuit Vous rentriez Comme des ombres. (Negrelll) 23 Robert BERROUET-ORIOL Robert Oriol, ne ä Port-au-Prince (Haiti) le 29 octobre 1951. Emigre au Quebec en 1968, il y passa sa premiere annee en tant que laique, au Couvent Albert-Le-Grand, hante par le desir de devenir moine dominicain. Passa par la suite d'une position de croyant ä celle d'un athee. Le recueil de poemes, Lettres urbaines (1986), fut son premier ouvrage. II a fait paraitre depuis lors trois autres recueils : Thdraya (2005), En haute rumeur des Steeles (2009) et Poeme du decours (2010). PAR DECOURS DE MES LAMPES nos voix nous precedent caracolent par petites touches d'ivresse consentie sur nos terres non dites affleure sans appel ce visage tien gracile fragile tragique statuesque beaute comme poncee dans l'argile seule la Reine de Saba y eut droit par decret de l'encre a ton effigie cent fois auscultee a guetter souffles primeurs alpages dans la lumiere bleue irisant ton visage l'as-tu choisi ce halo d'eternite ainsi se declinent tes traits de douce cire saurai-je un jour solfier l'Angelique Opera a hauteur de ta voilure gorgee de reves de rives lointaines aquilin le nez en tracee de compas flaire route en jambees baladines hume sel d'aube tes levres nees de l'offertoire Creole deux siecles metis a celebrer tes levres chamues gourmandes provocantes sculptees pour croquer males foes et la vie follement bandee fleur fureur et rage au pubis tout a la fois levres crepues dressees en jets prolixes elles parlent paroles de feu au quotidien rendez-vous de mon sextant tu sais e'est par ces levres-la que s'ouvre toute la beaute du monde par elles qu'il est bon le frais pain du jour aux coulees du dire aux plissement des paupieres mais hormis pelerinages cathodiques je n'ai jamais vu tes yeux je les devine marronnant trop-plein de larmes citeme fissuree sous l'arche de tes cils veux-tu ainsi voiler a mon regard ta retine braisee accrochee a tes songes attends ne reponds pas tu as deja promis chaleur a ma nuque cassee d'avoir trop mire mes propres reves nos voix nous precedent caracolent par petites touches d'ivresse consentie sur nos terres non dites affleure sans appel ce visage tien gracile fragile tragique statuesque beaute comme poncee dans l'argile seule la Reine de Saba y eut droit par decret de l'encre a ton effigie cent fois auscultee a guetter souffles primeurs alpages dans la lumiere bleue irisant ton visage l'as-tu choisi ce halo d'eternite ainsi se declinent tes traits de douce cire saurai-je un jour solfier l'Angelique Opera a hauteur de ta voilure gorgee de reves de rives lointaines aquilin le nez en tracee de compas flaire route en jambees baladines hume sel d'aube tes levres nees de l'offertoire Creole deux siecles metis a celebrer tes levres chamues gourmandes provocantes sculptees pour croquer males foes et la vie follement bandee fleur fureur et rage au pubis tout a la fois levres crepues dressees en jets 24 prolixes elles parlent paroles de feu au quotidien rendez-vous de mon sextant tu sais c'est par ces levres-la que s'ouvre toute la beaute du monde par elles qu'il est bon le frais pain du jour aux coulees du dire aux plissement des paupieres mais hormis pelerinages cathodiques je n'ai jamais vu tes yeux je les devine marronnant trop-plein de larmes citeme fissuree sous l'arche de tes cils veux-tu ainsi voiler ä mon regard ta retine braisee accrochee ä tes songes attends ne reponds pas tu as dejä promis chaleur ä ma nuque cassee d'avoir trop mire mes propres reves j'ai tire ma reverence en trait de fusain sur les levres du jour ne m'attends plus sur ce boulevard aux pieds borgnes epuise d'avoir trop compte mes maux j'ai fait vceu de marcher desormais ä cote de mes pas ä l'aune meme de l'ile que je porte dans ma tete on y accede par chemins de patience aucun pont ne la relie aux glaciers qui l'entourent pour feter ton absence vieille dejä de ces jours comptes en decades tremblees je dresse table amene face ä l'unique quai d'oü l'on ne part ni ne revient sans risquer d'y retrouver son arne mettre table hospitaliere est un rituel legue par Edmond mon aieul paternel notaire de son etat au temps des oceances traversees il vint des pentes vertigineuses du Monte Cinto en ile Corse les malles sanglees de reves et d'effroi ä bord de la Coloniale apres escale et sejour en Basse-Terre de Guadeloupe il y prit femme une Creole aux seins gonfles par tendresse rouee et certifiee d'Afrique ä sa demande modifia son patronyme scalpant les deux premieres notes pour n'en garder qu'une seule ä l'image du sien sans doute en gage de fidelite ä ses reins vibrants et aux nombreux alambics dont il allait avec succes armer les meilleures guildives de Saint-Domingue jusqu'ä l'actuel Mont d'Oriol commune de Cap-Rouge aux parages de Jacmel un jour au lever de ce siecle j'y decouvris une amphore portant mon patronyme eile attendait pour memoire que je lui fasse destin (En haute rumeur des Steeles) 25 Jeanie BOGART Nee en Haiti, Jeanie Bogart vit aux Etats-Unis oü eile mene une carriere de « designer » et d'ecrivain. Apres des etudes en journalisme, eile a, tour ä tour, ete « reporter », presentatrice et redactrice de nouvelles ä la radio, ä la television en Haiti et aux Etats-Unis. Elle a gagne avec son poeme A la foli, le premier prix Kalbas Lo Lakarayib 2006, un concours de poesie reunissant les poetes Creoles des Ameriques, d'Afrique et de l'Ocean Indien. Son premier recueil, Un jour, tes pantoufles, a paru aux Editions Paroles ä Montreal en 2008. Ses poemes ont ete publies, entre autres, dans "Plaisir des Mots" et "Poesie du Monde, Monde de la Poesie" des Dossiers d'Aquitaine, Bordeaux (France) en 2007-2008, aussi bien que dans la revue litteraire Passerelle, ä Montreal en 2008. DANS TON POEME SANS TITRE A trop me promener, denudee, dans le lit de ta poesie, les mots se sont mis a me tripoter les sens. Mon territoire est un minuscule point, un appendice tetu dans le champ de ton verbe. Mon sol est foule, ma ville fouillee de fond en comble. Aux fenetres cassees de mes illusions, ton image s' interpose. Entre la rue et ma vue. Entre ton angel us et ma muse. Puis reviennent les mots aux doigts desosses chatouillant le fin fond de ma pensee. Un apres-midi de pluie, tes mots partirent a l'assaut de mes secrets de femme. Un soir de clair de lune, j'ai egare la cle de ta solitude entre les eclipses du dire et mes rires. Entre des lacs de bonheur et nos fievres. Apres deux saisons d'amour et de hautes caresses, les aiguillons de tes mots chatouillent, comme au premier jour, ma curiosite. J'ai cherche longtemps aux perimetres de tes silences un poeme sans mots, sans doigts. Un poeme dur d'ecorce, au sang cassant les plus minces desirs de liberte. Je n'ai retrouve que l'opiniatre ardeur du verbe se cheminant dans ma sensualite en stupefaction. Reve ou realite. Dans le brouillard diffus d'un poeme sans titre, un matin de maigres caresses, j'ai vu tes mots sucer le dernier de mes sucre-d'orges. 25 avril 2008 26 EN MARGE DES MIROIRS II y a le miroir qui defait le reve. II y a le miroir qui, d'une coupure, nous reveille. Mon miroir imaginaire s'endort et reve de petits matins suspendus entre le reveil et le soleil, entre la rosee et la fatalite. II porte le reflet de mes murmures, les brandit a qui veut les voir, sans mes yeux comme temoins de leurs jugements. J'ai cesse de me rechercher au dedans des miroirs. Je les ai tous casse. Des quadrillages de toutes dimensions qui s'enroulent a mes pieds avec mes rires et mes pleurs. Je n'aime pas les mirages ni les ombres. Je prefere l'authenticite du moi; le non partage de l'etre, meme dans 1'image. Je m'aime demesurement, m'approprie l'exclusivite de mes reflets dans le verbe. Je me suis fait ecorcher les reves et blesser le regard au miroir d'une humanite qui affiche chaque parcelle de mes hesitations a la face du monde, qui tresse mes detresses a 1'indiscretion des yeux de faience. II y a de ces miroirs qui reproduisent l'invisible. II y en a d'autres qui font danser la tristesse sur fond de nago. Mon miroir imaginaire defie l'opacite d'un poeme couleur brouillard. Des doigts inexistants tracent sur la vapeur des melancolies surfaites. Et quand part le rempart de la gloire, il ne reste que 1'eloquence du dire en filigrane pour briser les glaces. Puis il y a ce miroir qui se reconstitue a chaque fois; le miroir ensanglante de mes silences qui rentrent bredouilles de la guerre des mots. PAYS MIEN Sur la chaussee de ma vie je te retrouve l'air pensif 6 mon pays aux mille et une voix j'ai appris a compter chaque bourrasque du vent te coiffant te decoiffant a volonte tes enfants etales dans leur nudite 1'innocence a bout portant s'attendaient 27 a voir surgir un monstre ils ne l'ont pourtant pas vu venir sous forme de maree haute s'engouffrant dans l'antre de tes cotes eaux et larmes confondus cris etouffes ventres remplis non pas de ce pain quotidien tant attendu mais du raz-de-maree qu'accompagne l'ouragan cette image me poursuit il m'arrive parfois de marcher la tete baissee par peur d'intimider le soleil il m' arrive de mordre dans le bleu eclatant du ciel sans souci de sa douleur il m' arrive parfois la nuit de dormir sur une paillasse d'etoiles et rever de t'offrir une gerbe lumineuse au petit matin il m' arrive aussi souvent de danser interminabl ement au rythme endiable d'un gede ibo histoire de rentrer au bercail maquiller d'un sourire ta desolation 1'image m'obsede regard ravage larmes sechees pensées boueuses mon pays me dévisag Jean-Francois BRIERRE Jean-Francois Brierre, né á Jérémie (Haiti) le 23 septembre 1909. "Fils de Fernand Brierre et d'Henriette Desrouillěre (...). Jean-F. Brierre descend ďun colon francais, Francois Brierre, qui avait acheté aux enchěres, á Saint-Domingue, une négresse dahoméenne, prénommée Rosette, soeur cadette de Marie-Cessette Dumas, qui donna le jour au general Alexandre Dumas". En 1928, il devint á dix-neuf ans directeur de 1'École normále de Chatard pour instituteurs ruraux. J.-F. Brierre fut nommé, á moins de 21 ans, Secretaire de Legation á Paris oú il suivit des cours en sciences politiques. En 1931, il débuta des études de Droit qu'il termina en 1935. En 1932, il fonda le journal La Bataille, oú ses critiques virulentes contre le regime de Sténio Vincent et 1'occupation yankee, lui valurent deux années de detention ferme au Pénitencier national. Jean-F. Brierre demeure, avec Etzer Vilaire, le poete le plus célěbre de Jérémie. On lui doit plus de dix-sept recueils de poesie parmi lesquels on peut citer: Chansons secretes (1933), Black Soul (1947), La nuit (1955), La Source (1956), Découvertes (1966), Un noěl pour Gorée (1980), Sculpture de proue (1983). Jean-F. Brierre a également essayé le roman: Province (1954); et un essai sur 1'Union Soviétique ancienne: Un autre Monde (1973). Le 5 novembre 1984, il obtint le Grand Prix "Lotus" des écrivains afro-asiatiques, qui couronne son oeuvre. Jean-F. Brierre fut également enseignant et diplomate jusqu'a son exil en 1962, aprěs neuf mois de prison avilissante sous le regime de Duvalier, pere. II a vécu la plus grande partie de son exil au Senegal (Afrique), avec 1'aide du président-poěte Leopold S. Senghor, oú il occupa différentes hautes fonctions de 1964 á 1986 jusqu'au lendemain de la chute de Duvalier, fils, c'est-á-dire jusqu'a son retour en Haiti. Jean-F. Brierre, le plus grand poete haitien de tous les temps, est décédé á Port-au-Prince dans la nuit du 24 au 25 décembre 1992, á 1'áge de 83 ans. LA NUIT (fragment) Cest d'elle que je me souviens, du limon originel aux adventices de la pensée Elle qui calfatait les cales du vaisseau négrier Et les houles sur quoi flottaient les douleurs noires enchainées Et latouffeur que ponctuaient les ráles des mourants. Elle, le passager clandestin dont la seule presence Peuplait de conjonctions de soleil, de terre et de ciel le voyage tombal. Elle que pressentaient mes yeux fermés sur l'inconnu trouble du sang, Qui gantait du velours triste de sa caresse insolite Mes doigts sans os refermés sur le vide oú se forme la vie. Elle que j'ai trouvée présente dans 1'ombre de mon pere 30 Qui l'avait senti vivre a 1'ombre de son pere et son pere de son pere. Elle qui remplissait les cheveux et la voix et le front de ma mere Si bien qu'elle coulait, source sans eaux, de ses mains brunesjusqu'a mon cceur, Ses mains, sceurs animales des feuilles neuves d'avant le deluge. Elle qui fut avant le Verbe d'or et logea le chaos. Elle de qui sont nees les etoiles et les galaxies, Dans les prunelles de Tether ocean, fleurs de gel, Songes desalterants dans le sable accumule de rinsomnie. Tout se meut autour d'elle et son silence ponctuera la voix de l'Eternel. Elle a dicte les mots et le frisson cosmique du verset. C'est dans sa caveme aux parois lisses de carrare Qu'ayant touche d'un doigt inattentif le lourd coffret des temps Dieu eparpillera ses dessins primitifs peuples de fleurs et d'emaux. Quand l'homme a commence de réduire ses dieux intérieurs En fragments essoufflés de sons étrangers á ses firěres d'espace Et de les tracer en pointe dans la chair végétale, Elle a garde sa densité inviolée de Commencement des Commencements. Son langage sans heurts oú tout se chante sur le monde mineur, Son visage agreste qui répugne au rouge et á la poudre, Son corps dont le squelette est la fluiditě de 1'air Pénětrent chaque chose et chaque vide avec amour, Au rendez-vous ineluctable des noces sans froissements. Elle fut dans 1'éden la confidence de nos inquietudes, Quand 1'Aíeule adorable sentant vivre dans ses entrailles Une absence infinie et qui désirait s'incarner En ce coin chaud fait pour l'ombre et la voix des Visitations, Trouva pres ďune main anxieuse que hantait son miracle inné Au milieu du corps nu du fraternel auteur de sa langueur, Tout érecté, le fruit perpendiculaire á la terre Qui jamais séparé du tronc ne donne sa semence Que si l'a remué jusqu'au tréfonds de ses racines Le rythme dont s'obtient le lait spongieux du pis engourdi. Elle seule pouvait couvrir de son ombre vaste et bleutée Dans 1'auguste complicité des choses et des étres La découverte du baiser, lěvres horizontalement arquées, Et de la grotte pubescente sous le voile velu de deux pétales verticaux, Vie abyssale sous de lourdes chevelures ďalgues. Elle abrita le flux et le reflux de cet amour immemorial Et gardera 1'odeur tiěde du désir assouvi, Le souvenir de la morsure au noyau succulent de la concupiscence Qui s'ouvrait, qui s'ouvrait jusqu'au jaillissement touffu de la récolte Parmi des cris d'oiseaux, le bruit des betes dans les fourrés 31 Et des plaintes pareilles a l'echo sourd du scalpel de l'eclair. Quand la honte, eventail decoupe dans le reflet du sang, Deferlera du coeur inquiet jusqu'a la plage du front, Lorsque pour mettre un masque a la Soif ardente et a la Source vive lis les recouvriront de la minceur d'une paume verte et vineuse, Comme a la Guinaudee,1 une paysanne en gros bleu Enrobe chaque fruit dans des fraicheurs de chlorophylle, Lorsque la Voix terrible aura parle dans le tonnerre, Que le serpent tout chaud des effluves du secret expose Sera tapi, mollement endormi dans le secret de soi Et qu'ils auront appris de la Bouche inexorable de feu La loi de la douleur et des entrailles dechirees, La loi du dur labeur qui fait ruisseler votre corps Celle qui fait qu'un jour chaque paupiere se referme Sur des prunelles ensablees que guette la vermine, Comme s'ils avaient pris dans leur filet et l'amour et la mort Et que la mort ne fut que la froide rancon de l'amour, Le soleil etait la, boulet incandescent au cou du cosmos, Les arbres etaient la, possedes du vent et delirant, Offrant, laches, leurs branches comme des fouets au courroux eternel. Et commenca l'exode et commenca l'aride solitude. ... des oiseaux, les bruits, etranges passages de fantomes, Le remords se heurtant a des embuches irreelles, La biche qui prend peur et brame a leur penible sillage, Et le soleil posant partout des tentures de sang... Alors, tres doucement comme circule la cocaine du reve, LaNuit s'en vint d'une main lente eteindre l'incendie Et tirer les rideaux de ses frondaisons sur leur double angoisse. Les arbres n'etaient plus des arbres, mais des grandes ombres d'epiphanie Le paysage etait contre le mur du ciel un fusain Et si de quel que nid s'egarait une plainte etrange, Cetait l'echo houleux et heurte des sanglots de la femme La nuit regnait. Une paix ideale, Un parfum d'orangers. La pleine lune morcelee en fragments d'or dans le feuillage Versait des pleurs de miel derriere son hublot fragile. La peine de la femme avait le chant frileux des desespoirs d'enfants Et le chagrin d'Adam veillait dans le flot noir de ses cheveux. Les yeux ouverts pour la premiere fois sur le cham sans limite de la nuit. Car la nuit a vaincu l'hostilite de la nature, De sa douceur elle a contamine chaque etre et chaque chose. Elle regie le rythme neuf du sang de la bete et de la seve d'arbre. Elle est le jardinier sans visage, sans forme et sans couteau Qui de son geste flou, nourrissant le désir, le transforme en bouton, Choisit une couleur, du satin, du velours, de la soie, Préparant le gala minutieux de chaque aurore Veillant sur le metier de la diligente araignée Pour que demain ne manque un fil aux perles du matin, Et pour que le regard fasse escale dans plus de ciel, Elle murmure la berceuse irresistible ou chaque inflexion Vous invite á fermer les portes pales de vous-méme. A voiler le miroir étroit de vos flaques sensibles Afin de regagner l'escalier spirále du songe Ou vous precede le cortege rouge de vos demons intérieurs. Et c'est grace ala nuit qu'ils entrěrent dans le sous-bois de l'amour, Qu'ils épuisěrent le délice infini du baiser, Cette caresse humide, émaillée ďéclairs ou Ton mange et boit, Ou Ton engendre comme un susurrement de source, Un bruit nocturne d'eaux dans les anfractuosités des rochers, Un murmure mouillé de mer insomnieuse et lasse A travers le ballet languide des palmes huilées. Le ciel était tout renversé dans les yeux de la femme. Et le mále regard contenait la nuit dense et profonde... (La nuit) 1 Campagne d'Haiti pres de Jérémie (Sud) ou est né le General Dumas. [Note de l'auteur] 33 Richard BRISSON Richard Brisson, ne a Port-au-Prince (Haiti) le 2 mars 1951. Acteur de talent, il a participe, avec Francois Latour, en 1972 a la creation du Theatre National d'Haiti. Animateur d'emissions culturelles a la radio et de spectacles de varietes (Show Pourri 76, Musicorama 78), il fut exile en 1980. Richard Brisson est mort en prison (egalement son pere ou son oncle Gerald Brisson) - suite a sa participation au debarquement arme a l'ile de la Tortue en 1982. II a laisse Poemons (1973) et Phrases (1975). TRISTIE Je l'appelle Tristie Et porte son prenom chagrin Au pinacle des univers En flamme de non fleur En larme de non joie. Le souvenir tant pis D'un souvenir de solitude Trainant d'un pas incertain La lourde carapace D'un printemps non moins incertain Sa triste melodie, inquiete, Caresse la prairie jaune cuir de secheresse Ne voila-t-il pas qu'en chantant J'ai fait mourir l'oiseau, Faner la rose, tarir la source, Fletrir mon arne. De ton chant Tristie, De ton chant divagation Nous avons cree un souffle de non vie : Malheureusement! Aussi, Tristie, je t'invite ä ma fenetre, Vois le vent qui efface les nuages, Un soleil qui renait Et l'aube qui disparait. Ecoute le soir qui s'installe ä sa place En criant ä tue-tete Pour qu'on le sache ä toujours Qu'il y reste puisqu'il y est Dommage! Qu'avons-nous fait Tristie, 34 Qu'avons-nous fait? Que t'ai-je fait? Je l'appelais Tristie Et porte son prenom tristesse Au pinacle des univers En larme de non etre. (Poemons) Carl BROUARD Carl Brouard, né bourgeois á Port-au-Prince (Haiti) le 5 décembre 1902. Journaliste de talent (La Trouée, Revue Indigene, Les Griots), il fut, á l'instar de Magloire Saint-Aude, le poete de la vie de bohéme, le poete des cabarets, le diable des poětes. De son vivant, Carl Brouard a publié Ecrit sur du ruban rose (1927). Les Editions Panorama, en 1963, ont pris soin de réunir en recueil intitule Pages Retrouvées, la plupart de ses poěmes éparpillés dans différents journaux et revues. Et les Editions Memoire d'encrier, son Anthologie secrete (2004). Carl Brouard mourut, ivre, le 27 novembre 1965. Roger Gaillard lui a consacré, en 1966, une magnifique étude: La destinée de Carl Brouard. II recut en 1961 le Prix Dumarsais Estimé et, en 2004, le Prix Deschamps, á titre posthume, lui a été décerné. L'HEURE Ä 1'église du Sacré-Cceur l'heure, l'heure sonne, et ma mélancolie se déroule, volutes molles, au rythme du son. Heure qui sonnez, heure qui fuyez en la nuit brěve, en la nuit brune, sonnerez-vous mémement au jour de mon agónie! (Ecrit sur du ruban rose) 36 NOUS Nous, les extravagants, les bohemes, les fous, Nous qui aimons les filles, les liqueurs fortes, la nudite mouvante des tables ou s'erige, phallus, le cornet a des. Nous, qui aimons tout, tout: L'eglise, la taverne, 1'antique, le moderne, la theosophie, le cubisme. Nous aux coeurs puissants comme des moteurs qui aimons les combats de coqs les soirs elegiaques, le vrombissement des abeilles dans les matins d'or, la melodie sauvage du tam-tam, l'harmonie rauque des klaxons, la nostalgie poignante des banjos. Nous, les fous, les poetes, nous qui ecrivons nos vers les plus tendres dans des boug et qui lisons l'lmitation dans les dancings. Nous qui n'apportons point la paix, mais le poignard triste de notre plume et l'encre rouge de notre cceur. (Pages retrouvees) vous Vous, les gueux, les immondes, les puants : paysannes qui descendez de nos mornes avec un gosse dans le ventre, paysans calleux aux pieds sillonnes de vermines, putains, infirmes qui trainez vos puanteurs lourdes de mouches. Vous tous de la plebe, debout! pour le grand coup de balai. Vous etes les piliers de 1'edifice : otez-vous et tout s'ecroule, chateaux de cartes. Alors, alors, Vous comprendrez que vous etes une grande vague qui s' ignore. Oh! vague, assemblez-vous, bouillonnez, mugissez, et que sous votre linceul d'ecumes, il ne subsiste plus rien, rien, rien rien que du bien propre du bien lave, du bien blanchi jusqu'aux os! (Ibid) Frederic BURR-REYNAUD Frederic Burr-Reynaud, ne a Port-au-Prince (Haiti) le 9 juillet 1886. Avocat. Depute en 1930, il dirigera par la suite le journal La Phalange. II est mort le 3 fevrier 1946. Burr-Reynaud a publie quatre recueils de poesie : Ascensions (1924), Poemes quisqueyens (1926), Aufilde I'heure tendre (1929) QtAnatheme (1930); un drame en vers : Anacaona (1941), ecrit en collaboration avec Dominique Hyppolite; et une oeuvre en prose : Visages d'arbres et de fruits d'Haiti. CAONABO Les grands fauves velus et dont la force etale La sombre majeste, circulent pesamment A travers les fourres, et leur rugissement Retentit jusqu'au cceur de la jungle natale. Imposants et royaux, leur presence brutale Fascine rennemi qui se tait prudemment Et, pour les affronter dans leur retranchement, Recourt aux trahisons qu'au loin la ruse installe. Ainsi Caonabo, le Cacique puissant, Entend sourdre en son cceur et fluer dans son sang La volonte, la force ardente de la race. II cambre son courage, appelant les combats Aux sons d'hymnes guerriers chantes par les Sambas, Et l'astuce d'un piege enfantin le terrasse. {Poemes quisqueyens) 39 Roussan CAMILLE Roussan Camille, né á Jacmel (Haiti) le 27 aoůt 1912. Jonrnaliste, il fut directeur ďHaiti-Journal et co-directeur du quotidien Le National, et collabora á différents journaux et revues d'Europe, d'Afrique et d'Amerique. Dans 1'administration de l'Etat haítien, il a occupé plusieurs hautes fonctions comme vice-consul d'Haiti á New York (1947-1948), secretaire přivé du president Dumarsais Estimé (1948-1950). Contrairement á son intense carriěre de journaliste (de reputation), Roussan Camille n'a publié, de son vivant, que deux recueils de poesie : Assaut á la nuit (1940) et Gerbes pour deux amis (1945, en collaboration). Son ouvrage, La multiple presence, écrit en 1951, parut en 1978 en coédition chez Naaman (Sherbrooke), aprěs sa mort survenue á Port-au-Prince le 7 décembre 1961. ÉLÉGIE Á JEAN-FRANCOIS BRIERRE Aux suprémes detours des routes du mystěre, je saluais encore avec des mains émues ouvertes dans le vent comme pour offrir le monde, parce que malgré tout ce que savent les hommes, - contre méme l'espoir, la science et les preuves - j'esperais fermement retrouver le grand signe de tes ferventes mains fiancees aux soleils. Je ne savais pas ou je devais te revoir pour ťécouter parler en quel que fin de jour, á l'un de ces instants si nobles en couleurs qui font de ton visage ainsi que de ta voix un seul grand monument de bronze et de musique. Mais quelque chose en moi, un invisible instinct, savait parfaitement que je retrouverais, méme loin de la vie, un peu de ta parole, la force et la grandeur de tes gestes de frěre. Or, revoici les fleurs, le monde et ses embuches et mes yeux reconquis á la splendeur des choses. Déjá, je reprends gout á vivre et á chanter, á revoir les chemins ou jadis nous passámes comme des enfants fous, avec, aux bras, des filles qui parlaient de Kayam sans jamais l'avoir lu... J'ai retrouvé surtout l'odeur de ce village, dont je ťai parlé, oú réva mon enfance. Ici tout est brulé ; la saison est sans gloire. Mais tu mis en mes yeux tant de fraternita que dans tous les jardins je vois germer des astres pour je ne sais quel printemps du cceur et de l'idee... (La multiple presence) 40 Georges CASTERA (fils) Georges Castera (fils), ne ä Port-au-Prince (Haiti) le 27 decembre 1936. Creolophile reconnu, il a publie plusieurs ceuvres poetiques en creole dont le celebre Konbeiann (1976). Nombreuses autres publications poetiques en vers libres francais dontZe retour ä l'arbre (1974), Ratures d'un miroir (1992), Les cinq lettres (1992). Une retrospective de ses oeuvres en francais a paru en 2006 aux Editions Actes Sud (Arles, France) sous le titre tres significatif de L 'encre est ma demeure. Georges Castera a vecu en Espagne et ä New York avant de s'installer en Haiti. L'AIR LIBRE a Jacques Alexis qui comprenait automatiquement mes instincts les plus sauvages Locataire de noeuds il n'avait pas les rides du metier les arbres sont chers visage corbillard cercle il installa en lui l'intestinale splendeur des arbres personne ne put 1'aider avant tant d'arbres sur le dos en se deplacant il faisait un bruit de grande feuille affamee comme des rires d'enfant pares de toutes les plumes de basse-cour lacere de gouffre grand apache au milieu des mots il jouait sa contrebasse a la troisieme personne 41 les yeux déchirés comme une fourmi ou peut-étre troués jusqu'á la cendre du souvenir a-t-il souffert ? le jour est une embólie de nuage chaque année aux heures flasques des enterrements ďoiseaux la foudre recoud ses haillons á la pointe de son miroir (in Nouvelle Optique, j an vi er 1971) Jean-Claude CHARLES Jean-Claude Charles, ne a Port-au-Prince (Haiti) le 20 octobre 1949. Apres des etudes a la Faculte d'ethnologie de Port-au-Prince, puis des etudes de medecine qu'il a abandonnees a l'Universite Autonome de Guadalajara (Mexique), Jean-Claude Charles a finalement etudie le journalisme en France ou il demeura. En Haiti, il avait collabore au Nouvelliste et a Radio Haiti ou il animait des emissions culturelles et de varietes. Jean-Claude Charles a publie, entre autres, en France : Negotiations (1972), Sainte-Derive des cochons (1977), Le corps noir (1980), De si jolies petites plages (1983), Bamboola Bamboche (1984), Manhattan blues (1985), Ferdinand, je suis a Paris (1987). Jean-Claude Charles est, malheureusement, decede a Paris le 7 mai 2008 a l'age de 59 ans. LA LEGENDE D'UN HOMME SANS LEGENDE (...) Je suis un homme sans legende n'ayez point crainte de me nommer barque de larmes l'enfance s'en est allee avec la metaphysique de la perpetuelle tranquillite l'enfance demeure introuvable depuis le tocsin de ce premier soir ou j'ai cesse de fignoler des etoiles dans la mer cesse de nouer des serpentins de lumiere autour de nos banjos les trous du malheur j'y mettais a la fois trop d'inhumaine ferveur et trop d'esperance aujourd'hui je bois un alcool malefique nos decors nos masques sont epiques et de verre on a casse les antennes de nos desirs je dois done me rassembler dans la patience pour qu'en plein mitan de cette rue ou j'ai vecu ballon becane et chat botte renaissant mon enfance je vous retrouve vous aussi perdus dans votre histoire assis dans vos legendes de pois de riz matin midi soir et tous les jours de la semaine vous direz que ma jeunesse menait au marche son ane d'innocence tout charge d'arbres nains d'herbes a venins (...) Je suis un homme sans legende je suis venu au monde par un temps de fatigues et d'esperance a Port-au-Prince aux environs de midi 43 la souffrance faisait tournoyer ses lanternes dans nos chateaux de seconde main ma mere accouchait d'un langage transpirant de curare son foetus devenait cri et la radio m'apportait un cortege immense de joujoux il faut battre l'enfant tandis qu'il nait chaud un peu plus tot d'autres enfants imprimaient leurs ombres sur l'asphalte a Hiroshima comment mon pere pouvait-il savoir lui qui ne lisait sans doute jamais les journaux lui qui ne connaissait que le clairon de huit heures chassant nos tourments tous les jours de l'annee par un magistral deploiement de drapeau... (Negotiations) Max CHARLIER Max Charlier, né á Port-au-Prince (Haiti) le le juillet 1949. II a vécu au Senegal et au Guatemala. S'interesse á linguistique et á la géographie. N'a pas encore publié Mes sages aux děs que j 'ai cries (poesie) et L 'honorable indicateur (récit). REVEIL DU SINGE Le sel est une plage sur l'ovale tapis noir Rouge et blanc, orange et jaune Derriere la baie vitree, la neige farineuse imprime sa courbe aux feuilles safran de l'erable presque nu L'arbre noir paraphe la ligne poudree de ses rameaux Sur les lattes, larges de trois doigts, blondes et vernies du plancher presque nu, a cote d'un bouchon de liege veritable, dans le ventre vide d'un verre a pied, le cercle incandescent de vin seche Au moyen rouge de cette roue de manege, tendues, les partes greles d'un cafard alcoolique Ailleurs, quelque part, un macaque a mal 45 POURTANT L' ARTIB ONITE... Pourtant l'Artibonite continue a rouler ses eaux chaudes sous le rude temps d'hiver Pourtant sous sa pelisse le tambour deroule tendrement le yanvalou voluptueux Pourtant je change et passe et reste le meme par tes regards et ton sourire Pourtant tout fleuve s'ecoule vers sa source et le scarabee aile vole vers sa renaissance Pourtant 1'infinite ne se mesure que par mon reve et ton delire Pourtant si difficile reste accorder deux lyres, deux corps et une chanson Pourtant la chanson continue a rouler ses accords chauds dans fair cassant d'hiver Pourtant dans l'air cassant d'hiver ton sourire voluptueux marque la renaissance de mon delire, de mon desir, de ma chanson. 24/10/80 46 Jean CIVIL Jean Civil, né á Jacmel (Haiti) le 5 juin 1932. Ancien élěve de 1'École Normale Supérieure d'Haiti (Memoire de sortie sur Justin Lhérisson). Licence ěs lettres de 1'Universite de Sherbrooke et maitrise es Arts (Memoire sur Ringuet et Jacques Roumain) de la méme universitě, il a été vice-president de 1'Association des Auteurs des Cantons de l'Est, et directeur de la revue Passages. Récipiendaire en 1984 du prix littéraire Jules Lemay de la Société Saint-Jean Baptisté de 1'Estrie. A publié Entre deux pays (1979) et Au bout Vábíme (1985). II est décédé en Haiti en 2010, aprěs le tremblement de terre. CE PEU trop lointaine l'essence de l'arbre pour bercer l'insomnie du marron et contenir la colere du tourbillon dans sa chevelure en bataille une etrange lueur vesperale prolonge la nonchalance d'une saison nul regret dans ses gestes debonnaires la-bas l'etendue de son sourire cette echarde a ma nuque a mon talon d'Achylle et a l'oeil gauche de mon cceur la-bas dans la foret s'en aller pieds-nus dans le vent pour refaire son humeur la-bas dans la foret folatrer dans les orties pour apprendre le secret de l'arbre la-bas dans la foret cabrioler avec les mots craches sur des visages de vierges 47 la-bas dans la foret exorciser ses angoisses sur des couches libertines la-bas dans la foret s'abimer dans la contemplation pour nourrir sa solitude casse-tete a rognonner les tempes deviner si le poeme-fait-chair n'arrivera jamais a offrir a ton autonomie precoce ce peu que tu recherches dans la foret et le vent l'arbre et la solitude (Au bout I 'abime) LA RELEVE la croix parure dans l'eau et sur les promontoires collier au cou et chaine aux pieds pauvre peuple assassine dans son sang ses forets et son verbe et nous fumes traines sur des bateaux puants pour la releve avec la princesse d'ebene perdue dans la mer noble femme porteuse de naissances interdites et son suicide soulagera les blessures des enchaines qui retracerent leurs courses dans les savanes amies parmi fauves inoffensifs cactus et ronces sans rancune plus humains que ces negriers mangeurs de foetus Alleluia pour les chansons qui ont chavire le destin des negrillons nes pour cirer les bottes des princes blancs et travailler dans les champs de coton des colons Abobo et Hourra nos artistes en coumbite ont zigouille les negro spirituals et pi ante au cceur du continent des airs de jazz plus violents et plus constructeurs que des millions de megatonnes (Au bout I 'abime) Massillon COICOU Massillon Coicou, ne ä Port-au-Prince (Haiti) le 9 octobre 1867. Contrairement ä Oswald Durand, l'autre poete de la meme epoque, il fit des etudes assez serieuses et entra dans 1'enseignement en 1891 comme professeur au Lycee Petion, l'une des meilleures institutions scolaires de l'epoque. Jusqu'en 1897, il y enseigna. En 1900, il fut nomme Secretaire de Legation ä Paris. De retour en 1903, il fonda la bibliotheque AMICA et la revue litteraire L 'Oeuvre. II est Tun des fondateurs du cercle litteraire, Les Emulateurs, qui donna naissance kLa Ronde. II collabora egalement au journal L'Avenir: Massillon Coicou a publie: Poesies Nationales (1892), Passions (1903) et Impressions (1903). II a egalement ecrit pour le theatre: Liber te (1904, represents au theatre de Cluny, Paris), L 'Alphabet (1905), L 'Empereur Dessalines (1906), Vincent de Paul (1907). Son unique roman, La Noire, a ete publie en feuilleton dans le journal Le Soir du vendredi 3 novembre 1905 au mardi 5 juin 1906. Autres publications rapportees par l'histoire litteraire: Primes Vers d Amour; Cents sonnets, Caprices (poesie Creole), Etudes sur la litterature hcätienne, Philosophie pour la race noire, Le fils de Toussaint (theatre), L'oracle (theatre), etc. Firministe convaincu, trahi par un de ses "proches", le general Jules Alexis, il fut execute, sur l'ordre du president Nord Alexis, dans la nuit du 15 mars 1908, accompagne de ses deux freres, Horace et Louis, ainsi que d'autres conjures. Massillon Coicou etait partisan de 1'integration du "patois" Creole dans les lettres haitiennes. Ä TOUSSAINT LOUVERTURE Je te consacre un culte, á toi que transfigure En Dieu notre humble orgueil qui jamais ne décroit; Ä toi qui, pour l'amour de nous, souffris le froid, La faim, l'affront cruel, la plus lache torture ! Apötre précurseur des rédempteurs du Dieu, Tu mourus immortel ! Ton martyre ťépure; Tes fils ont le front haut quand ils parlent de toi, Car ta gloire est sacrée, ö Toussaint Louverture ! Lorsqu'un traitre pour toi dressa le Golgotha ; Quand dans l'enfer du Joux un ingrat te jeta, Dans l'äme de tes fils tu fis passer ton äme. 50 On t'appelait « le Negre ! », on t'appelait « l'lnfame ! L'infame a su charmer l'auguste Liberie, Du negre, avec orgueil, un peuple se reclame. (Poesies Nationales) A PETION Rayonne, demi-dieu, toi qui, parmi ces braves Dont nous nous proclamons l'humble posterite Brisant partout comme eux la chaine des esclaves. Sur des droits eternels fondas leur liberie. Dedaigneuse, stoique, au milieu des entraves, Ton äme s'imposa tant de serenite, Que tous ces vils serpents bavant sur les plus graves N'ont pas ose siffler ton immortalite ! Or, rien qu'en les nommant, ainsi qu'elle s'incline Devant Toussaint, Capois, Christophe, Dessalines, Ces noms sacres auxquels ton nom sacre s'unit, Devant toi-meme que reflete sa gloire Et soutiens ses pas, toute la race noire T'offrant l'apotheose, ä genoux, te benit. (Ibid) A CHRISTOPHE Dans ta sphere sereine - oh ! tu fais bien - repose Impassible, certain que jamais nul affront, Rien de tout ce qu'on dit, rien de tout ce qu'on ose, Ne temira 1'éclat dont rayonne ton front. Ayant moulé le bronze - ö noble Forgeron ! Que t'importent ceux-la que l'ceuvre grandiose Fait bondir de colěre ! en vain ils baveront: lis prendront part quand méme á ton apotheose ! Oh ! oui, garde ton calme ainsi que ta fierte ; On finira, demain. par comprendre ton role Dans son cote sublime ; et la posterite, Deposant sur ton front une blanche aureole, T'invoquera souvent comme un vivant symbole Du travail cimentant l'Ordre et la Liberie. (Ibid) Jean André CONSTANT Jean André Constant, né le 30juin 1968 aux Cayes (Sud d'Haiti). Sa vie est partagée entre l'ecriture, l'enseignement et le travail social. Sa passion pour la littérature l'a poussé vers plusieurs fronts: il est poete, nouvelliste, critique littéraire, éditeur. A publié plusieurs articles et deux recueils de poesie : Folitude (2005) et Pwezi san aksan (bilingue créole/anglais, 2007). Jean André Constant est fondateur et co-directeur, avec le poete Saint-John Kauss, de la maison ďedition Pages Folles. II a aussi été rédacteur en chef de la revue trilingue Connecticut Haitian Voice. Aprěs un périple d'un an (2007-2008) en Afrique, en République Démocratique du Congo oú il a coordonné un atelier ďécriture, « libre-écrire », il s'est rétabli aux États-unis d'Amerique. pour traverser mon seuil d'exile j'attends le laissez-passer du sable je traine mes fins de funerailles je traine mes reves de clandestin et la faim du monde entre mon pays sans pepin et la vallee des fesses barbelees autour de la tour de Babel entre le ciel et les fausses promesses alafrontiere... j'attends le laissez-passer du sable Kinshasa, 01/03/2008 á Barbara 53 entre le bonheur et ses nuits ensevelies y aurait-t-il parcours plus long ? montre-le moi avant que je te raconte mes morts et leurs reves peu clairs avant que je leur tende une main trop tendre hors memoire mes sens se precipitent anticipent fleurs et gorges bien accordees au bord du precipice palpitation de ma memoire prise d'insomnie prete ä me pousser... dis-moi me retiendras-tu voix d'alumine triplet de voyelles synonymes juche sur double consonne d'eau forte fille legitime de longues guerres dis-moi... Lubumbashi, 03/10/08 á Gabriel Garcia Marquez sauf cľune chronique morose et solitaire autour de toi á jamais d'ombre océane je me contenterai du bleu majestueux de faits divers et autres belles banalités des luttes et mythes tissés me conteras-tu le secret dans ľouragan du passé-présent que diras-tu des automnes en faience de belles putains vierges calquées sur la memoire amére nos géhennes quotidiennes la perversion et la solitude séculaires me conteras-tu des oracles de lá-bas vers un autre tróne ďérable lointain á ľimminence de ton ascension c'est peur d'etre triste de sommeil tous les cceurs musiciens au festin ďune fumée menacant jamais tu ne m'avais invite dans la noblesse des douleurs indomptees dans le firmament des jours innocents tu savais trop bien égayer le passé jamais étouffées du patriarche des angoisses touffues toujours témoin toujours témoin de grande fidélité aux lévres fertiles dans ta sente de vie dense et tendre c'est réve que je recense ses amours de cholera ses voix amalgames ses Constances en quarantaine ses vies d'immense insomnie sur le labyrinthe d'un continent je recense tes yeux-sentinelles contre la poitrine des parias dissipes dans une longue course de tes fievres humaines et severes on ne m'avait rien dit etait-ce pour m'en eloigner ? longues nuits moites orageuses on ne m'avait rien dit de tes peri pies sans traverser par le sillage de tes contes d'homme tout aussi mortels que la mort impossibles des illusions on disait aussi bien avant le deluge sur ton ombre des songes journaliers inalterables eternels jurait-t-on je recense l'innommable imminent Lubumbashi, novembre 2007 Joelle CONSTANT Née á Camp-Perrin (Haiti) le 17 juin 1955, Joelle Constant est diplómée de 1'École Normále d'Institutrices, de 1'École de Secretariat bilingue Christ the King Secretarial School, et de l'lnstitut Biblique Nazaréen du Quebec ou elle a complete un cycle ďétudes pastorales et théologiques. Elle a ensuite poursuivi des études au HEC, á l'UQAM et á l'lnstitut des Banquiers Canadiens ou elle a obtenu plusieurs diplómes dont un Brevet en gestion bancaire, un diplome en administration generále, un autre en finance personnelle et un certificat en planification financiere personnelle. Elle est á tour de role mere de famille, pastoresse, éducatrice, banquiěre, metteur en scene. Aujourd'hui, elle nous révěle une autre facette d'elle jusqu'ici ignorée en nous présentant des poěmes ďune facture intimiste et chrétienne. Quatre ouvrages inédits á son actif: Amours et délices, Correspondances; Camp-Perrin, Reminiscences; Priěres & Reflexions et Poéme á deux voix. « Pour ce qui est de 1'amour fraternel, vous n'avez pas besoin qu'on vous en écrive; car vous a vez vous-mémes appris de Dieu á vous aimer les uns les a utřes ». 1 Thessaloniciens 4.9 UN DIEU JALOUX Toi qui es Amour et qui nous demandes d'aimer Dis-nous quelle devrait en etre la dimension L'amour etant parfait et sans condition Comment garder le juste milieu entre Toi et l'admire Le «Je t'adore», nous voudrions le garder pour Toi Mais un «Je t'aime» s'avere des fois insuffisant Pour exprimer a l'etre cher nos sentiments Et la flamme qui traverse notre cceur en emoi Malgre notre connaissance de ta Parole si severe II nous arrive dans nos rapports avec 1'autre moitie De lui accorder dans notre cceur l'espace tout entier Et d'oublier de t'adresser notre priere 57 N'entre done pas avec nous en jugement Nous dependons de toi et, seuls, nous ne pouvons rien L'amour que nous vivons est branche sur le tien Et nul ne peut aimer un autre s'il ne T'aime avant. (Prieres et Reflexions) « Mon dme, retourne a ton repos car I 'Eternel t 'a fait du bien ». Psaume 116.7 IL EST UN MOMENT Lorsque dans notre vie nous avons tout experiments Lorsque nous tournons nos regards loin de toi Pour mieux faire des folies par nos cceurs desirees II est un moment ou nous entendons ta voix Qui nous invite a ne pas nous attarder Dans ce chemin que nous avons choisi de suivre Et qui nous rappelle que nous encourons le danger De ne point te voir un jour et de ne plus pouvoir vivre. Lorsque nous semblons perdre patience Et que nous voulons prendre les choses en main Lorsque nous mettons en doute ta puissance Et que nous ne pouvons plus attendre a demain II est un moment ou tu viens jusqu'a nous Pour nous ramener de nouveau a Toi Nous apprendre a encaisser les mauvais coups Et nous inviter a obeir a ta voix. Lorsque nous n'avons plus la force ni l'envie De continuer a nous confier en toi Lorsque la priere ne fait plus partie de notre vie Et que nous voyons faiblir notre foi II est un moment ou tu te reveles Comme pour redresser la situation Tu nous raffermis par ta Bonne Nouvelle Et nous rassures de tes visions. (Ibid) 58 POEME A DEUX VOIX (extraits) Douce melodie empreinte de declarations folles et tant souhaitees sorties de levres pincees qui preferent boire et mordre sans se lasser et sans apparat ma deuxieme virginite longtemps vouee a un avortement sans lendemain Mes yeux commencaient a en etre envieux pour avoir a eux seuls profits jusqu'ici des aveux non avoues de rhomme inexplore preferant dissimuler emotions et perceptions Aujourd'hui, mes ouies entendent et voient ces vers ou sur chaque syllabe est depose un do, un si, un fa ou une note baroque ou populaire pour me faire frissonner de desirs voraces Je reponds volontiers a cette invitation de danser cette valse qu'effectue l'ensemble des lettres servant a ecrire ton nom et le mien pour enfin te sortir des cavernes enfouies Mon amour mon amour mon amour telle est a present ma nouvelle chanson mon amour mon amour mon amour que je me plairai a te chanter toujours (...) II me plait de te couvrir du pied a la tete pour eviter les regards curieux d'intrus qui ne voudront, sachant ta faiblesse que f asservir et t'exploiter afin de satisfaire leur convoitise et leurs desirs inassouvis Le temps, l'espace ne sont qu'illusion laissons notre amour voguer dans ce tourbillon de sensations fortes N'est-ce pas merveilleux et ose de defier l'agenda humain et de vivre chaque seconde de cette aventure comme si c'etait la derniere! Tu m'as demande de mourir avec toi et j'ai repondu oui sans hesiter car vivre sans toi c'est mourir et mourir avec toi c'est vivre immortellement dans l'au-dela Reginald O. CROSLEY Reginald O. Crosley, né á Petit-Goäve (Haiti) le 10 juillet 1937. Médecin, il est Tun des membres-fondateurs d'Haiti-Litteraire, groupe fonde á Port-au-Prince autour des années 60. Specialisté en médecine interne et en néphrologie, il pratique la médecine privée dans 1'État de Maryland (Baltimore) depuis pres de trente ans. Emigre aux États-unis en 1967, il lui a fallu attendre 1'année 1988 pour publier les Immanences au CIDIHCA, á Montreal et, entre autres, plus tard les Harmoniques (2001). Métaphysicien, il est l'auteur ďun essai sur le Vaudou, The Vodou Quantum Leap (2000), et d'un ouvrage de médecine alternative, Alternative Medicine and Miracles (2001). Nombreuses publications inédites dont quatre romans. LE SENS á mon oncle Marcel Bichotte Galerien des navires du bonheur Mange le zero Ce singe de l'absolu A la frontiěre de la formule! L'ivresse martyre des pans d'outre-mer Mouchetés ďétoiles Dans 1'auréole des serments nocturnes, Cest le secret d'Aton. En seile Tu crěves ta monture Hors des passerelles du Verbe. Poete, usurier des sublimes energies, Brúle ta bouffarde bourrée de tabac inspirateur! Broyeur des visions intérieures Quéteur des regards au ciel mortuaire, Des couchants impossibles et cruels, Amant des vagues d'effroi, Des feuilles affolées, De tes appels sourds Le cri des nuits précambriennes! 61 Peintre des arabesques reposantes, Amoureux des lignes reveuses, Des rayonnements du carmin sensuel, De l'etreinte adamique de terre de Sienne Des propulsions du vert de Sevres Nageur des mers jalouses des dels rouge-solarine, Empoisonne tes brasses dans la tourmente du pole nord (...) Chers malheureux assieges d'au-dela! Beliers inveteres de la barriere cosmique, Je connais le sentier etranger aux faites balistiques. Meprise par les radars et les telescopes curieux! J'ai le mot de passe reclame par les cerberes Et le lin des apparats du roi, Et le sourire vainqueur de l'amour en croix! Dans l'unite premiere se croise l'energie De nos regards eternels. Je connais le Perou des reves inacheves Et des fidelites a toute epreuve, Le Cheops des harmonies perdues, Des sons lourds de timbres inconnus. La Delphe des bonnes pilules, Le spectre des coloris ambitionnes, Des vermilions de laser. La geometrie des lignes vertigineuses Des rondeurs gonflees d'impossible, Des biceps chers a Vinci, Les poses refusees aMichel-Ange! Je siege sur les autels de paix Au nadir du parabellum. J'ai la mer interdite aux savants des coquilles, Le Logos amoureux pleurant du fond des ages! {Immanences) Fritzberg DALEUS Fritzberg Daleus, ne a Port-au-Prince (Haiti). Diplome de l'UQAM en arts plastiques et ayant une formation en etudes cinematographiques et scenarisation, avec plusieurs annees d'animation et de production radiophonique, il dirige depuis 20 ans le Centre d'union multiculturelle et artistique des jeunes (CUMAJ). Sa vision de la vie repose sur trois grands principes : amour, justice et paix. Tres engage aupres des jeunes dans des initiatives et des projets sociocommunautaires, soutenu par une formation complementaire aupres d'Equitas (Parlons droits), il s'est donne pour mission de leur inculquer cette vision de la vie. Fritzberg compte aussi de nombreuses annees en politique et est tres implique dans le milieu communautaire. II est formateur de langue francaise, chroniqueur, journaliste, auteur-compositeur-interprete et poete. En un mot, c'est un artiste multidisciplinaire dont le charisme et le savoir-faire sont reconnus de tous. Plusieurs ouvrages inedits a son actif: Essence-del; Rage en prose; Femme Cayemite; Muse en He; Seul, mure de fantasmes... SEUL, MURE DE FANTASMES (fragment) Seul je reste la mure de fantasmes egorges de luxure frileuse dans l'exigue palmeraie inadequate pour la rituelle oscillation de l'arbre tenu se coiffant oasis d'un panache Le Sacre pour eviter que la degoulinure d'Y chromo nes de X ne soit puerilement intransmissible ou n'engendre que du vacuum a concu genomes qu'il relie aux genitaux organes conjecture engendrant autosomes äl'echelon des surrenales hormones Ne sont-ils pas ä l'antipode de la surproduction testiculaire que reconnait Darwin sur le flanc de ses trouvailles ? II decouvre enfin qu'on est en train de se reprogrammer et que les centenaires rechargent leurs sources genetiques et physiologiques ä chaque neuvieme printemps Ainsi le nombre double sur l'echiquier d'existence limitant l'esperance des Saisons ä atteindre ä cent trente boucles du temps 63 Pourtant l'etreinte fut fusion en ce temps declinant suite a l'universalite du grand deluge malgre les larves decoulant de nos veines et du son lointain qui resonne du Big-bang profondeur infroissable moins beni que votre amas chaud au firmament de nos reves ou 1'infini ceint en eclats sous la voute qui s'elargit quand la flamme d'un biaise desir d'entre les sains d'esprit en temoigne la nuit venue pour palper en reve et guetter en songe la lueur de nos gestes qui s'affirment que peu n'osent se reconnaitre sans voir le crepuscule s'eclipser de si tot en restreignant le post impact qu'aurait eu Sodome sur Gomorrhe fusse meme que Noe fut sauve Eden votre objet s'etale jouvence et la saison s'annonce en carillonnant carillonnant l'angelus si d'aventures vous ne vous en doutiez et que vous ne vous aperceviez au puis clair nos gestes etes censuree mur-a-mur et muree de baisers fous vous qui vous croyiez au paradis perdu nulle autre que vous n'aura acces a mon secret enrobe enrobe de virginite masculine conduit depuis a ton fond baptismal sans temoins mon secret des la naissance idyllique du lien qui nous a unis A raz le pelletage effeuille les roses mais de la pomme suspendue virilement les pieds au ciel je vous decouvre enfin timide timide jusqu'a ronger le majeur de mes mains epoustouflantes je voguerai en hiatus sur mes fantasmes plus de fois qu'il me sera possible pour que vos prouesses se consument 64 pile dans le vif afin de combler ce vide et de meubler votre appartement sain sans rat cherchant a m'inspirer a Noel comme a la mi-careme juste assez de sacrileges pour que le Cure en chef de la congregation des anonymes et des sans papier nous en depeignent et dont il fut l'objet Cette nouvelle eclair et surprenante eclaire bien diffusement bien toutes les lanternes de ma classe et sa suite vite repandue en traversant aisement les cours de recreation et les rues des quartiers voisins sans citer l'auteur de peur de se faire flanquer a la porte raeme au beau milieu de l'annee eleve etant Sitot apres On avait tous le gout de pecher et de cogner a la porte d'une gamine praticienne de peches mignons innocente a ses heures mais pour cette fois elle ne manquait pas de nous la laisser seduire tous les deux a meme ce laboratoire ou l'essai en tout nuit On croyait entendre et soupconnait a peine le froissement ou le bruit de son objet malgre tout tres singulierement silencieux et discret a l'heure de cet Opera mineur en si bemol et dans sa ralle on dirait une sirene pleurant sa mere qui part en voyage En ce temps la mon frele moi degustait maladroitement son jeune vin a mon gout d'enfant deja fut-il repugnant amer ou abject meme etant limpide? Si vin il y en avait a son age deja et on avait presque tout sauf qu'il nous manquait pour le sacrifice le pain rompu et le calice Trilogique L'accomplissement de ses mots sa loi a travers les siecles Croissez ! Multipliez ! Et remplissez l'aire ou les progenitures decuplent les mythes en pudeur degonflent en cuves les tetes trop pleines rien que pour etre en dessus des dais guindes II nous voit etre souvent aux prises a la tentation ceuvrer sur son habitation touffue de peches rudes et mignons non selon ses commandements Le Divin Labeur est nos regards 1 argues a outrance sur le parvis de la chair qui campe tout desir sain pueril a mesure que se lamentait tout esprit accoude aux multiples vices en trans e de gamins maladroits soupconnes de cambrioler la peur d'engendrer la vie ou tout interdite qu'elle soit la passivite mais le constat revele que ce boulot si peu ardu devait se ranger aux cotes du lot pour le partage dont la repartition des taches quelles qu'elles soient sera executee si consentant on sera 66 Alix D AMOUR Alix Damour, né en un quelconque endroit inconnu d'Haiti. Poete et journaliste, théoricien du surpluréalisme, il a marqué toute une generation. Grand voyageur, il a vécu successivement en République Dominicaine, en Haiti, au Japon et á New York ou il est mort en 1990. II a publié en 1980, á Port-au-Prince, Pages blanches et un poěme pris en otage; quelques années plus tard, Ruelle Vaillant de nos amours et Carlos Grullon (Port-au-Prince, 1988), et nous a laissé plusieurs inédits comme Dieu sait-il que le soleil est parti en voyage avec une vierge (roman, inedit). Alix Damour admirait Pedro Mir, le grand poete dominicain; Yukio Mishima, le grand romancier japonais; et Pablo Neruda, le grand poete chilien. PAGES BLANCHES (fragment) fragilita de 1'idée germe la vie sur la route de l'incertain mon ile collée sur ma peau ma parole cantique bruit que le bruit résonne dans les profondeurs l'heure n'a pas renversé mes réves de douleur clameur de l'erreur d'exister pour des mots de musique et de lumiěre j'ecris et je dis mon ceuvre mouillée de sang qui m'etreint et m'etrangle je suis táché de sang ma plaie béante dans le silence des mois de touffeur si la parole n'est pas blessée ce matin aux braguettes de pue j'irai baiser les lěvres de l'aurore mon poěme d'eau du siěcle aux sons multiples la flamme quadrangulaire patrouille sur les espaces de mes soupirs d'homme qui a change la mouvance de l'illusion aux recoins des monuments baignés d'images de dieux? 67 je n'irai plus vers les grandes assiettes de rayons mes poumons sont remplis des brulures du temps civilisation du papier et du dire je vous salue ma gorge nouee s'englue au-dela des directions du soleil j'enleve les rideaux et mon ombre a vole vers le hasard bras tendus yeux creves mes rayons cherchent les bleus des grands espaces royaume de fous genese du bien parler j'appelle les jours au chevet de mon poeme regarde les rubans mouilles de mon ame en detresse pieds nus j'ai marche, erre sur les cotes des vibrations l'air libre m'empoigne dans le desastre j'ai vu dans les contrees de la danse l'angoisse de la terre pourquoi es-tu assise souffrance sur les branches des arbres eternels? (Pages blanches et un poeme pris en otage) 68 Un enfer de betes sauvages Jamais vues depuis la creation du monde Le sang du sang Par le sang Pour le sang Toujours du sang Ruelle Vaillant de mes Amours devenue en un clin d'ceil Une riviere de sang Et ce pays est devenu par la grace des Horreurs Une fabrique de sang Mais ce sang des hommes et des femmes Nous dit dans nos reves que le ciel est a partager que le monde sera libere du mensonge que notre peuple trouvera peut-etre le chemin des liberies de la Democratie et de la Revolution (Ruelle Vaillant de nos amours et Carlos Grullon) DAVERTIGE Davertige (pseudonyme de Villard DENIS), né á Port-au-Prince (Haiti) le 2 décembre 1940. Peintre et poete célěbre, il a séjourné durant plus ďune dizaine ďannées en France. Emigre á Montreal en 1977. Poete fasciné par Magloire Saint-Aude, s'inspirant de la poesie de Milosz, et influence par Aragon. N'a publié qu'un seul recueil de poěmes Idem (1962) qui a été réédité en 1964 á Paris par les Editions Seghers {Idem et autres poěmes), et en 1983 par les Editions Nouvelle Optique de Montreal. Cofondateur d'Haiti Littéraire. II a été rendu célěbre par Alain Bosquet du journal Le Monde (France). II est décédé á Montreal le 25 juillet 2004. LA LEGENDE DE VILLARD DENIS La legende de Villard Denis Est une legende simple et amere Sous le toumoiement des couteaux de l'ardoise du verre rempli Et de la corde en coryphee dans les branches Elle voit au loin la cendre du cceur toumer Entre les crocs et les salives Pour dire le geste du cceur-aux-chiens La legende etait a leurs pieds Avec mes vitres brisees devorantes Ma chemise trop fine voulant encercler l'incendie Voici la legende du cceur-aux-chiens Avec la celerite des flammes de la main Qui disent non pour son sang vif Ses cloches sonnent avec un bruit de bois sec Dessus les arbres brises en paraboles Pour l'entrainer dans les dangers des fantomes tourbillonnants Pres du parapet des mots en serpents 70 La legende de Villard Denis a vos oreilles Court a pas d'enfant dans les feuilles Elle etait docile aux pieds de la Sainte aux yeux d'argent Le brasier recouvrant sa face Elle est broyee par les pierres de vos entrailles Et veut parler au braiement du soleil Le langage de rhomme pathetique Et que viennent les poetes d'antan Et s'en aillent ceux d'aujourd'hui Dans le cycle de ses lamentos Derriere le voile du crane ou se tissent les funerailles fissurees Pour contenir son dos dans la gloire de sa parole revenue Un voyage qu'elle entreprend a sa facon Pour penetrer dans Tor ouvert Des bras de la Vierge aux cheveux blonds C'est le cceur de Villard Denis Emerveille d'un monde en pature Sous les nuages violets des chiens Ou gisent le glas de la tombe et remerveillement de ses nuits Crepitant dessous les sanglots dans le crachoir imberbe de sa face Un cceur aux pourceaux dans la patrie brulee des passants Et qui craque sur les femurs de la fleur aux dents Devidant la bouteille de ses mots sans age Mourant dans la chaine des flots Sous les flutes de farine du cceur O suaire de ma naissance Sur la table au tiroir ouvert Ou le verre creuse le puits pour devider le miracle Des roses fanees sur la surface de la legende S'appuyant la tete a vos genoux Ce n'est pas adieu que je dis aux etoiles de vos talons Qu'en Enfer les dieux vous benissent Et sous la girouette du sang Chante la legende de Villard Qui est une legende immortelle (Idem et autres poemes) 72 DÉITA DÉITA (pseudonyme de Mercedes Foucard Guignard), née á Port-de-Paix le 21 septembre 1935. Elle a publié Les Désespérés (1963), Majôdyôl (1981), Nanchon (1985), Esperans Déziré (1989), Contes des Jardins du Pays de Ti Toma (2 tomes, 1989 et 2003), La Legende des Loa - Vodou Haitien (1993 et 2004), Mon Pays Inconnu (2 tomes, 1997 et 2000), Objets au quotidien-Art et culture populaires en Haiti (1993). Déita est partisan de ľintégration du folklore dans les lettres haitiennes. QU'IMPORTE Esprits de la nuit Mon ciel Est nu d'etoile Est nu de lune L'angoisse se liquefie Goutte a goutte Sur ma desesperance M'encerclant de taches de tristesse Soudain mon chagrin se detache Cette transmutation tire de ma conscience Des plaintes qui charment Les genies de la nuit. Qu'importe si le soleil va poindre Qu'importe si ma joie doit mourir au lever du jour Qu'importe tout le reste Si j 'ai pu voir la beaute de mon ame L'espace d'une nuit. 73 TROIS MOTS Dans le silence immobile de la ville J'ai percu le tressaillement D'un mot Amour Dans l'inquietante moiteur de la nuit J'ai senti sur mon front L'haleine chaude de la tendresse Dans le ciel frileux J'ai vu filer une etoile qui pleurait Et dans son sillage j'ai visualise Le pathetique de trois mots « Je vous aime ! » RETROUVAILLES Minutes breves Treve de quietude Sourire narquois Moue coquette Doigts tremblants Yeux noyes Enchantement des retrouvailles Si longtemps souhaitees Joies profondes Renaissance des souvenir d'antan Dialogues des regards Impuissants ä sceller Les elans d'une timidite Peur premonitoire soudaine Efforts pitoyables de fuite Resignation a l'ombre D'arbres verdoyants Sous le soleil palissant Silhouettes indecises sur le banc dans un pare D'une grande ville quelque part dans le monde. (1967) UN MORCEAU DE SOLEIL Sur laterre d'exil il reve d'un morceau de soleil venu de son ile natale Ce morceau de soleil Je l'ai derobe pour lui Mais ou le dissimulerai-je Pour que le froid hiver Ne le congele point Dans ma bouche j'ai recueilli une brise marine tropicale avec mes doigts j'ai capte une complainte nocturne dans mon corps j'ai garde l'ardente chaleur de sa terre desiree et mon amour charrie des rayons de soleil pour rechauffer sa nostalgie. SILENCE CHUT ! Poings fermés Paupiěres closes visage abandonné Lěvres entrouvertes Tresor précieux Ecrin mystérieux Une vie est la Silence Chut! Mon joli bébé S'amuse avec les chérubins Ne riez pas si fort. Vous briseriez le sourire qui éclot sur ses lěvres Ne souille pas ce sommeil innocent Par vos rires profanes Chut silence ! II explore le monde céleste Des anges roses et bleus Faites silence ! Ne brisez pas déjá ses douces illusions CHUT ! Pour l'amour d'une měre. (1968) 76 DECHIREMENT Mon chagrin se colore Du sourire laiteux de ma fille Le soupir exhale de mon dechirement Embaume du parfum des cheveux de ma fille Et ma memoire sculpte son corps menu Alors que ma peine cristallisee Concretise ma douleur Immense lassitude Inutile revolte Etrange desesperance O nuit exquise garde dans ta profondeur L'infini du dechirement de la separation. (mai 1968) René DEPESTRE René Depestre, né á Jacmel (Haiti) le 29 aoůt 1926. Poete de stature universelle, exile de son pays depuis 1946, il a voyage á travers le monde. II est l'auteur de plus d'une vingtaine d'ouvrages dont Gerbe de sang (1946), Minerai noir (1957), Poete á Cuba (1976), Le mát de Cocagne (1979), Bonjour et Adieu á la négritude (1980 et 1989), Hadriana dans tous mes rives (1988), Journal d'un animal marin (1990), Au matin de la négritude (1990), Anthologie personnelle (1993), Le metier á métisser (1998), Ainsi parle le fleuve noir (1998), Comment appeler ma solitude (1999), Encore une mer á traverser (2005), Rage de vivre (ceuvres poétiques completes, 2007). René Depestre a enseigné á 1'Université de la Havaně (Cuba) et á 1'Université de West-Indies (Mona, Jamaique). Aprěs avoir vécu pres de vingt ans á Cuba, il reside aujourd'hui en France (Occitanie). Détenteur de plusieurs Prix importants (Grand Prix du roman de la Société des gens de lettres, 1988; Prix Antigone de la Ville de Montpellier, 1988; Prix du roman de l'Academie royale de langue et de littérature francaises de Belgique, 1989; Prix Tchicaya U'Tamsi de la poesie africaine, 1991; Prix Apollinaire de poesie, 1993; Grand Prix de poesie de l'Academie francaise, 1998; Prix Carbet de la Caraibe, 1998), sans oublier le Théophraste Renaudot en 1988. Nobélisable, la plupart de ses ouvrages ont été traduits en plusieurs langues. JE CONNAIS UN MOT Je connais un mot aux resonances d'ailes il provoque le vertige du bonheur il ressuscite les heures immortelles il gonfle le voile de mes reves il fige une lueur d'amour au coin de mes yeux. Je connais un mot en tourment d'epopee il flotte sur 1'email des prairies sur la brise menetrier volant sur l'erosion des collines sur la detresse des cigales sur la flute du rossignol sur la mer immobile et inquiete. Je connais un mot aux charmes caraibes il brille dans les detours des rivieres dans la lune au fond des mares dans le bruissement des feuilles dans le gazouillis du berceau dans la fumee panache des chaumieres. 78 Je connais un mot au passe innombrable il piétine la moue des lěvres poseuses il tróne dans la misěre des mansardes dans le trop plein des villas dans la solitude des tombes. Je connais un mot tout flambant d'histoire, il représente la diane des matins incendiés les rassemblements dans les bois fraternels les champs de canne rôtis par la souffrance ľ inquietude de milliers ďopprimés la liberté voltigeant sur les ailes de la mort. Je connais un mot qui est le bien de tous et des paysans enchainés et des donzelles en robes de rubis et des pontifes aux tétes d'abime et des enfants aux joues émaciées et des pintades dans les clairiěres. Je connais un mot qui renferme toute ma vie mes espoirs ma tristesse mes soirs de téte-á-téte mes bondissements de poulain lache dans la savane du monde. Ce mot donne un sens á ma vie il explique la couleur de ma peau la fatalitě de mes baisers ma haine des compromis la detente de mes mains prétes á gifler ceux qui auront prostitué leur metier ďhomme ce mot est mon avenir ce mot est mon amour ce mot est ma folie : HAITI. (Étincelles) Joel DESROSIERS Joel Des Rosiers, né aux Cayes (Haiti) le 26 octobre 1951. Emigre á Montreal en 1965. Publia son premier recueil en 1987. Deux excellents ouvrages de poesie á son actif: Tribu (1990) et Vétiver (1999). René Char, Saint-John Perse, Francis Ponge, Michel Maffesoli, Mallarmé et Magloire Saint-Aude sont ses auteurs favoris. Médecin, il pratique la médecine au Quebec et vit á Laval (Quebec). PAYSAGE SOUS VOILE or 1'image n'est pas faite pour etre vue ou alors dans la delectation secrete recouverte du voile de 1'amour que le Prince ecarte de la langue comme si 1'offrande faite au regard s'accompagnait de l'anonymat de la jeune fille qui cherche a etre vue mais la jeune fille n'est pas toute sans celui qui pleure a son pertuis extraordinairement emu et convulse ses anneaux ses chevilles au plus haut bareme et le regard s'acharne sur les mammees supremes le morne des capresses sous la fumee des Indes il l'envisage et reconstruit son corps dispendieux la beaute du portrait sans visage desormais livre et l'envie lui prend soudain de luire noir a son flanc 80 LUMIERES DU CORPS nul n'est assez habile au franchissement des lignes ecrites quand le Prince repand l'encre sur terre pour vous figures humaines qui venez de loin les danseurs disent avec leurs bras qu'il y a une chose vivante eux tissent 1'amour sans lieu dans 1'invisible entracte et la jeune fille pose les mots en creole animal sur la couche en tant que sonores c'est pour vous qu'elle est courbee de lettres et je viens en elle ecouter ma parole la langue de feu descend sur des geometries infiniment repandues sous son seing de la chair 1'amour nait incredule et il y a un etre vivant entre ses bras ou en est la nuit dans l'inventaire du monde toujours je veille aux lumieres de son corps LES CHAMBRES DU COEUR de quel divin est 1'exorde du poěme couché au flanc de la servitude la jeune fille affaiblie sous les bougies creusant mon torse de son corps bai l'hiver est embrasé et ma langue n'est pas froide autant de traitrises du muscle ď amour qui s'ebroue sur des ponts de soufre et la premiere arythmie résonne dans 1'inconsolation d'une phrase car ma langue est pleine d'ancetres que les mots ont sauvés des iles je me séparé en des fleurs qui s'inhument et chaque homme en son périple va vers la jeune fille á nul autre destinée qui cherche sa voix depuis sa naissance depuis l'aurore d'avant les siěcles il n'est pas excessif selon les trésors que les morts nous lěguent de jeter sa propre vie au dehors dans son corps bai sombre et la mer est affaire qui veille sur nous de si loin SENTES 6 Prince exalte par la majeste de l'Aimee humble Prince subjugue par les chaudes levres de celle qui lui flambe la langue en apnee profonde dans les sentiers poudres de blanc ou de grandes promesses les devancent en ces lieux lumineux pleins d'empathie il faut parler tout bas aux commissures hauts parages domines par les feuillus dont l'ombre se detachait en effusions pures et faisait un corps fuyant a l'amour et le lit de la Riviere au Diable s'evasait en volutes l'eau comme injectee d'illuminations fugitives et au fond des defiles alentis par les embacles au lyrisme ancien remonte des vieux livres que la jeune fille emprunte la detentrice d'une tres haute gaiete comme sa voix rentre dans mon cceur et que la lumiere de l'amour nous hale quand j'aurai plonge les mains dans son bouquet mon chant odorant sera pour ses flancs seuls Marie Flore DOMOND Nee ä Jacmel (Haiti). Elle a publie : « Ecrivain en residence [qui] demeurera definitivement une oeuvre singuliere en son genre. Apres avoir realise cet entretien d'emblee en etroite collaboration avec Saint-John Kauss, Marie Flore Domond a franchi seule la limite de l'introspection en donnant une äme ä Perle Noire, son recueil de poesie paru en 2006. Bienfaits de la chose echte (etude inedite) se porte ä merveille bien que le prochain echantillon tarde ä se concretises Perpetuer l'ecriture feminine represente pour l'auteur un devoir infaillible commandite ä vie pour avoir ete recipiendaire en 2003 du Grand Prix Litteraire de l'Association Haitienne des Ecrivains. » ESPACES MONOTONES Tout le temps parcouru sur le boulevard du désir á guetter la femme de réve méme les nuits de lune des grands vents au peril de la bohéme prisonniěre des foudres en derive Tous ces moments la d'un choix febrile et de grande incertitude que comptent d'innombrables heures cruelles á la souffrance du coeur cloitré Tous ces sacrifices consacrés pourtant á la fausse vertu des passions majestueuses Toutes ces declarations sans reserve adressées á des passants envieux et farouches qui n'ont su réagir que par des médits ou sinon maudire De ce stupide pari voué á 1'échec sur un coeur bohémien contrarié par des mains invisibles Tous ces cris d'innocence captés par rennemi déguisé en ami de son attachement suspect ce beau manege de ruses de haute trahison et d'embrouille surtout l'odeur suffocante du pesticide destine á l'herbe trop verte du voisin 84 La dose fatale dissimulée sous des ongles au jour de la grande détresse Tous ces torts causes á l'insu de la méfiance de l'autre Je parle aussi de tous ces vceux synthétiques aujourd'hui révélés sur le parchemin d'une quelconque pierre couleur turquoise d'une tribu amérindienne Toutes ces saisons décolorées de promesses trompeuses les espaces soudainement vides denudes d'entrain De tous ces malaises entassés, enchássées et qui s'enchainent sous le poids des absences multipliées Tous ces instants de brin de folie démesurée engagée sur le sentier du cap diamant aveuglant á la rencontre de cette femme inaccessible Ce sentiment á 1'état de fermentation vieux comme le monde mais immature et fade á l'usage Tout ce bonheur convoité et que l'approche effraie terriblement l'intime Toutes ces contraintes envahissantes rassemblées aux pieds de l'union mise á jour Cette immense fierté ravagée de tristesse ces mélancolies qui n'arrivent pas s'eteindre dans l'iris satiné de tes yeux noirs Tous ces mots d'amour benis désormais sans pouvoir affectif ni espoir sur la femme idéale de toutes les autres sombres predictions que la formidable femme espěre ne pas avoir á témoigner 85 Toute cette lutte acharnee de longue duree sans avoir applique l'option de la victoire Tout ce calvaire dans la passivite Toutes ces ardeurs detournees en de gigantesques voutes de monotonie Tous ces petits riens qu'il fallait posseder a tout prix qui se refugient en realite au comptoir des objets abandonnes une offrande delaissee a l'autel du souvenir une prime en solde dediee a un mendiant orgueilleux Tous ces souhaits deja implores aunom de l'Occident sous forme de serment au passage d'un train au soleil levant Tout ce mirage de noblesse demolie en debris sans delai de renonciation Tous ces aveux d'esperance confies a 1'orient dans l'ere du temps sans avoir eu 1'endurance d'attendre Tout ce temps en vain A ne pas attendre l'avis du sage que pourraient apporter les cours d'eau paisibles d'une magnifique vallee de la plenitude. Aout 2007 PHASE ENSOLEILLEE DE L'AMITIE Que faut-il de temps pour ecrire une ode parfaite a famine ? Apprendre le langage muet des allies / de l'intimite assoupie Parler de la face cachee des arterites confuses - de la detresse qu'il faut conduire au rendez-vous de l'oubli, du vent menacant de l'abandon, des vraies couleurs de latristesse, du poids de l'ennui — de l'attachement suspendu aux desarrois. Du reve ! De precieuses images interrompues, des cris eparpilles, de l'ivresse en chute libre De l'espoir affole, de la solitude a genoux, des chagrins noyes dans le vide... Du premier pas en faux depart Des regrets accumules et enfonces dans l'abime du souvenir De toutes les cicatrices douloureuses transporters sur la civiere du cceur /des jours sombres condamnes a l'eclipse de la souffrance. Des pactes refuses aux pieds du bonheur et de failure coupable des belles promesses en fuite - de l'etincelle du remord pris au depourvu aux quatre coins du temps Des aveux barricades sur la place du sacrilege De toutes ces peines inutiles a maudire... Des besoins affectifs expires prematurement. Et puis, le regne outrancier du doute a contourner Du saut precipite de l'hesitation De l'arome distingue de la tendresse perdue au fil du temps, des maux incurables a effacer pour le triomphe de la paix interieure De l'assurance reciproque a troner De la crainte a liquider et de la peur a incendier enfin ! Mais surtout, la reconciliation a signaler jusqu'a la pointe du jour. Juillet 2007, Saint-Leonard 87 ally a quatre coins a mon lit, II y a quatre anges a ma tete, Mathieu, Marc, Luc et Jean. Benissez le lit dans lequel je dors.» (Une priere d'enfants) TORRENT EN PEINE Silencieux cortege des portes paroles indignes Brigade des envieux nuit et jour Dissimilant le fiel sous du miel Jusqu'a la falaise anonyme Au devant jour de leurs persecutions En chute libre Leurs ennuis ferules ignorent la dette du jour en evidence J'entends la rumeur a travers le courant fievreux Du lit de la riviere Depuis Devenue absinthe versee en abondance Le long d'un cauchemar insurmontable Murmure indocile Des vagues affolees preparent l'exil permanent Coulant d'argile pourpre Transportant la febrile depeche des conspirations II vaut mieux se soumettre a l'asile force Que d'etre complice des tourments malfaisants Que d'atteindre le total malaise De la conduite insipide et indesirable Du desastre de l'irreverencieux II s'agit la D' innocentes victimes... II faut trouver refuge Sous le temple d'une rencontre inattendue Car le temps ne portera pas secours aux jours imparfaits des fabricants de viles calomnies issus du futile de glaise subtile qui blesse Transperce d'embarras Et emprisonne inutilement Toute vie paisible. Gérard DOUGÉ Gérard Dougé, né á Port-au-Prince (Haiti) le 8 juin 1923. Ingénieur-architecte, licencie en droit, professeur de lettres, il a séjourné au Canada et aux États-unis. Fondateur du Pluréalisme, nouvelle esthétique littéraire de ľannée 1973, il a également publié Femme noire (1969), La lune, l'Amérique (1969), Souvenir (1969), Pollen (1971). Son román, Transfert, prime (3e prix) au concours des Editions de ľan 2000 realise en 1970, reste encore inédit. II a collaboré au quotidien Le Nouvelliste. Gérard Dougé est décédé en 2008. LA RELIURE Noire reliure De mon conte de fee ta peau Beaute suggeree de ton livre J'aime j 'aime ta reliure Et la manipuler De mes doigts d'antennes J'aime ta reliure Et la presser entre mes mains de chair Ses grains imbriques Dans les grains de ma peau J'aime ta reliure Et l'ouvrir brusquement A la page du hasard La page noir sur blanc De ta peau noire sur le drap blanc J'aime oui j 'aime ta reliure Mon livre de chevet Peau de soie basanee Ma bible ouverte sur l'oreiller La page noir sur blanc De ton corps d'ebene sur le lit blanc 89 J'aime ta reliure Mon nom grave á la page de garde Ma main libre d'écrire Sur toutes les pages De ton tome charnu Et toutes les plus belles pages Signées du sang vif de mon nom Mon amour acajou sur tranches Garde sous noire reliure. (Femme noire) VOYAGE Sur le pont des cargos au rang des colis de la cale nous serons freres parmi les blancs nous regarderons dans les yeux bleus de Dieu le Capitaine Sur le pont des cargos nous serons chairs et freres d'infortune nous oublierons les querelles tribales face a la mer houleuse du Capitaine Sur le pont des cargos nous reclamerons les chaines des ancetres nous serons tres fiers du meme sang noir de la meme peau garantie cuir du capitaine Sur le pont des cargos nous eviterons le bastingage nous nous cacherons en cale de la gueule sanglante des freres requins du Capitaine Sur le pont des cargos nous agiterons les mouchoirs d'adieu et les lions les tigres les elephants d'Afrique repondront a leurs freres de la brousse permettez mon capitaine c'est de la nostalgie Sur le pont des cargos nous aimons trop nos communes miseres pour ne pas hurler de tous les dechirements pardon encore mon capitaine je ne suis pas ton frere Sur le pont des cargos qui s'eloignent de la cote les cocotiers eux-memes se penchent sur le rivage pour 1'adieu definitif au capitaine (Souvenir) PRESENCE Sur la Lune Trois lambis lancés Encore sifflants jusqu'au pied de la hampe Hommage dentelé A Pembléme étoilé Sur la Lune Une quintette de vaccines á longue perce Majesté biblique Prelude ce Nouveau Millénaire qui descend Lourdement 1'échelle partie du Ciel Sur la Lune Roulement de Tonnerre Une batterie de tam-tam gronde Sous la voute des Galaxies Le triomphe de 1'Humanité Et le regard lateral de l'Aigle perché Sur la flěche du Symbole glorieux ! (La lune L 'Amérique) 91 r Jean Armoce DUGE Jean Armoce Duge, ne ä Maniche (Sud d'Hai'ti) le 30 aoüt 1964. II est professeur de francais et de Creole ä l'enseignement superieur, de litterature au secondaire. Animateur, auteur d'articles sur la litterature et la culture, il a ete, entre autres, intervenant au Colloque international Paul Claudel ä York University en octobre 2005. Prime lors du concours Les Belles provinciales avec son texte Entre lune et miel qui fut publie dans le Nouvelliste (2000), cite dans plusieurs anthologies, l'ceuvre poetique de Duge fait l'objet d'etudes, entre autres dans Politique et culture ä l'ha'itienne, essai paru en mai 2007 sous la plume de Pierre Castel Germeil et de Marie Marcelle Ferjuste. Correcteur et traducteur, Duge a collabore en tant que tel ä un dictionnaire bilingue creole-francais sous la direction d'Albert Valdman pour le compte de l'lndiana University. Jean Armoce Duge a publie plus d'une dizaine de recueils de poesie et d'essais dont le celebre poeme Mer des hommes, mere des ties qui le fit connaitre parmi ses collegues-poetes des Cayes. ENTRE LUNE ET MIEL a Djulissa J'ai perdu la deraison, 6 ma fille, pour sacraliser les aveux du silence. La mievrerie du temps de nos amours edulcore les sillons de nos rengaines. Feterons-nous le mois le plus beau sans la vidange de nos paresseuses folies accrochees a la mouvance des vagues tardives des jours pernicieux? Combien de nuits pour faire de toutes les etoiles une seule, une grosse qui puisse enlever le voile de l'eternite? Entre-temps mes promesses remplissent les fissures orphelines abandonnees entre rires et pleurs. J'ai reduit au silence l'idee du simple paradis afin qu'a cela ton reve, ne du mien, ne soit confondu. J'aime ces journees pleines de soleils d'enfants. J'en ai maintenant assez pour illustrer les recits des vieillards precoces. Entre lune et miel, raison et deraison donnent le concert du siecle en guise de dissuasion pour mieux savourer l'art de la trilogie temporelle : hier, aujourd'hui, demain. Depuis les premieres eternites, la nuit, notre samaritaine, vit avec le jour un amour de maquis. J'aime les voir main dans la main qui fetent. A l'insu des dieux. Ma fille, au nom de la solidarite humaine, je les ai aides a dompter pour vrai l'amour. Eux, ils m'ont appris l'art d'apprivoiser rhomme et laterre. 92 Depuis ta venue au monde, Homme et Dieu ont des projets paralleles... Le temps murmurera, mon amour, átes oreilles les paroles que j'ai omises. Pour la sensualité de la nuit et la virilité du jour, j e les unis pour la vie et pour la mort. MER DES HOMMES, MERE DES ÍLES (extraits) terre de mer ô ma terre mere des iles apprends-moi á dessiner ľart de modernité en étemité je soufflerai dans ses narines pour qu'il naisse arbre de vie la mer art primitif description et poésie gothiques chavire-moi vent de ľ est pour autographier le bleu du jour pris pour vert des temps prodigues dessine-moi miracle abandonné des vierges dans leurs mains pieuses voici le scandale de la mort pardonnez messieurs mesdames cieux et dieux fabriquez-moi des pistolets qui n'offensent pas la vie article un que la vie soit hors de danger de mort article deux n'importe quoi peut étre ajouté éloge de la débauche priére pour demander pardon pour les pécheurs defense de pisser sur les places publiques en plein jour école et santé pour tous en ľan trois mille mariage double honore ton pere et ta mére vive le president de la république á bas la corruption j'ai dit article un que la vie soit hors de danger de mort mer femme modeme en tenue de galas elle a mangé les dieux dans son festin orpheline la mythologie les enfants tristement regardent la mer puis protestent et crient article sans numero vive la legende le vieux ajoute la vérité sort de la bouche des enfants (...) 93 cousins o vous qui habitez le long de la mer vous dont le va-et-vient n'a ni saisons ni siecles cousin o j 'appelle la mer par son nom le nom de la mer est le nom de la mer cousins la mer a garde pour elle seule vos noms de grands pretres vos prenoms de princes vos sobriquets d'artistes (...) cousin o vous semblez des heureux vos corps corps de la mer et du soleil vos reves reves du silence et de l'oubli vos luttes luttes de paix et d'eternite vos paroles paroles de la brise et de la nuit (...) mer des mers rends-moi les propos tout originels de mes cousins au moment de leur refuge dans tes lieux eternels d'ivresse de danses de chansons le temps s'empresse toujours pour ne rendre compte de rien aux enfants curieux tant pis pour le jour a venir murmure-t-il la verite sera nue sur toutes les plages des iles sceurs terre pays soleil saluera terre bois d'ebene les terres danseront la danse de 1'amour et de la folie l'amour et la folie se mettront a causer... - elles se ressemblent dans leurs yeux et leurs cheveux - elles se ressemblent dans leurs voix et leur emoi - dans leur sourire et leurs desirs - dans leurs corps et leur entetement - dans leur abondance et leurs legendes - elles se ressemblent les terres l'amour les enveloppera avec le voile de la folie tous les fils chanteront ils danseront tous les enfants des deux terres de toutes les terres Oswald DURAND Charles Alexis Oswald Durand, né au Cap-Haiti en (Haiti) le 17 septembre 1840. Veritable autodidacte, c'est á peine s'il fréquenta 1'école. Adolescent, il exerca plutöt le métier de ferblantier. Mais Oswald Durand, jeune homme, lisait toutes sortes d'ouvrages. Apres avoir fréquenté plusieurs grands lettrés de son époque, principalement Démesvar Delorme, et collaboré au journal L'Avenir, il publia en 1896 Rires et pleurs, poesie en deux tomes. Sous la présidence de Salomon (1879-1888), il fut élu depute durant six Legislatures et fut responsable de la redaction des Actes du gouvemement. II mourut á Port-au-Prince le 22 avril 1906. LE FILS DU NOIR I Je ne puis plus aimer ; le souffle d'une femme Ne fera plus fremir mon cceur maintenant froid, Car, il a fui, ce temps ou deux yeux en mon ame Aluminaient un desir mele d'un vague effroi: Vieillard de trente etes, mon cceur n'a plus de flamme : Je m'en vais las, courbe, sans joie et sans emoi: Le colombe roucoule et l'amante se pame, Tout s'aime et se caresse en vain autour de moi... Pourtant mon cceur est plein de seve encore ! Le monde Ne l'a point desseche de son haleine immonde Ni fletri des baisers impurs de ses Phrynes. A vingt ans, j'aimai Lise ; elle etait blanche et frele ; Moi, l'enfant du soleil, helas ! trop brun pour elle, Je n'eus pas un regard de ses yeux etonnes... II 95 Pourtant ma mere etait aussi blanche que Lise ! Elle avait des yeux bleus ou s'endormaient les pleurs ; Quand elle rougissait de crainte ou de surprise, On croyait voir soudain une grenade en fleurs !... Sa chevelure etait blonde aussi. Sous la brise, Elle couvrait son front pali dans les douleurs. Mon pere etait plus noir que moi. Pourtant l'Eglise, Dans un pieux hymen maria leurs couleurs... Puis Ton vit - doux contraste - a sa blanche mamelle Pendre un enfant dore comme nos bruns mais, Ardent comme un soleil de notre beau pays. Orphelin, je vis Lise et je l'aimai comme elle ; Mais son front pur palit a mes aveux troublants : Le fils duNoir fit peur a la fille des Blancs... (Rires et pleurs) Henri-Robert DURANDISSE Henri-Robert Durandisse, ne ä Leogäne (Haiti) en 1966. II a publie en 2004 un disque de poesie et de musique, Amour, je te tutoie, ainsi qu un recueil de poemes Langay lanmou, en 2008. Outre en 2006, il a participe ä la publication d'un recueil collectif, Montreal, vu par ses poetes, publie aux Editions Memoire d'encrier. Encore en 2008, il a collabore ä la publication d'une anthologie sur Felix Leclerc ayant pour titre Felix, le Roi-Poete paru aux Editions Rencontres Europeennes. De plus, la meme annee, ses textes figurent dans l'anthologie Poesie du Monde editee par les Dossiers d'Aquitaine (Bordeaux, France) et dans La poesie prend le metro et le bus (Collectif, Danielle Shelton editeurs, Montreal, 2008). ODE Ä LA PAROLE tu es lettre tu es mot je t' imagine flamme douceur et seduction j'entends l'echo de ton ombre repeins la forme de ta voix par la tendresse tu m'es lumiere mille fleurs mille odeurs vers mon horizon lettre apres lettre tu te devoiles en toi je me retrouve en toi toutes les complaintes du monde 97 ELSA complaints d'amour misere du beau bonheur des jours raison folie Elsa ton regard m'emerveille par tous les cotes de la vie pulsion de vie seve de lumiere passion d'ete fleur de septembre Elsa Elsa Elsa sans trahir le silence de ton etre j'ecris ton nom sur notre premier je t'aime NEW-YORK une lune pi eine de rumeurs s'anime toute serree contre nous des vagues protestataires troublent le calme endormi de Brooklyn intimite de ton souffle visitee par des ämes epaves de la nuit sirotant la Symphonie du diable tandis que monte peu ä peu le rythme de l'aube New-York multiple cruaute squelette inhumain broyant son propre reve voix desarticulee cortege d'espoirs oublies New-York monstre tentaculaire l'echo de satoile sur toute la planere New-York beaute du chaos orgies de formes et de lumieres de cris et de creations battements de cceur ce matin de septembre onze heures tapant des cris inondent le ciel en feu des mines sans fin assiegent les rues cendres sans flamme brulant les yeux perdus des passants silence de plomb la mort aspire la vie aux pieds des complaintes le soleil chatouille les heures funebres visage etoile le pianiste pleure sous une pluie de sang se demande desesperement si la terre chante encore 1'amour et le beau temps il fait un temps inquiet dans nos bagages 99 DEUX ÍLES personne ne connait ma tristesse aucun n'imagine ma revolte 6 ma terre natale de tes alizes a la blancheur du nord j'ai deporte ton visage 6 terre natale humee dans toute la trame du present Leclerc au prenom de bonheur a trempe son souffle dans la candeur du printemps me chantant a merveille rhymne a la liberte independance je te cotoie depuis longtemps independance a ton nom je salive du fond de cette foret boreal e et juxtapose mes notes insulaires a chacun de tes instants itineraries de decouverte et du possible je te salue ile d'adoption ou les yeux d 'Elsa charges de reves puisent la source de l'avenir personne ne connait ma tristesse nul n'imagine ma revolte Saint-Laurent - Artibonite engouffrés dans mon cceur l'un déploie un air lumineux le ciel y nettoie ses étoiles 1'autre conjugue un temps complexe la nuit étale s'y habille de hiéroglyphes je me souviendrai toujours de toi ile natale de tes légendes vespérales gorgées de merveilleux du čoude á čoude des kombit paysannes pas elegants des payses de fiers combats au quotidien Gérard V. ÉTIENNE Gerard Vergniaud Etienne, ne au Cap-Hai'tien (Haiti) le 28 mai 1936. II s'exila a Montreal en 1964 et fut depuis 1971 professeur a l'Universite de Moncton, au Nouveau-Brunswick. II a fait paraitre une trentaine de titres a Port-au-Prince, Montreal, Paris, Geneve et Rio. Parmi ses ouvrages, on peut citer : Le negre crucifie (1974), Un ambassadeur macoute a Montreal (1979), La pacotille (1991), La charte des crepuscules, poesie 1960-1980, publie en 1993. Certains de ses poemes et romans sont traduits en anglais, en portugais, en italien et en allemand. Gerard Vergniaud Etienne est decede a Montreal le 14 decembre 2008. LETTRE A MONTREAL (extraits) Montreal, au bout de l'irreel traverse par le reve je t'apporte la presence des visions a l'emporte-piece. Des chevaliers vetus d'aurore et de sabre multiplient leurs gestes pour remettre a tes rivages longtemps abandonnes l'orientation des jours prometteurs. D'aube en aube sous le poids des aiguilles etrangeres a la signification de ton haleine, tu cherches une volonte toute neuve pour franchir les limites de 1'ombre. D'aube en aube, tes enfants au clair du sourire et de la magnificence du verbe cherchent le lait des paysages pour nourrir leurs passions fortes et belles. Montreal me voici a tes pieds, sur tes places a cote de ceux qui desertent le sommeil pour le scandale des tableaux. O Montreal me voici devant ta double opale tenant a l'oreille tous les sacrements du peche de la chair sur ses courants legers le jour m'aura trouve comme un pelerin fatigue dans ce royaume d'aveugles aux consonnes elegantes Me voici devant toi comme une rue deserte avec mes doigts sur le blanc gravier du rire dessinant les mots grises d'une chanson commune des champs aux visages ouverts et decors partages D'etre ainsi soumis aux grisailles occultes de griffonner ton nom sur des gouttes de pluie d'apprendre á cuire ta colěre pour que viennent les vapeurs d'une seconde de roses, De saisir la fumée de mon cigare et de ma crainte que tout cela O tresor millénaire du ciel en bandouliěre soit pour mon image un ferment de pitié 101 Dans la vaste conscience des regards endormis Suzanne m'aura appris tes supplices-brouillards 1'amour des coquillages que tu gardes au coin de l'ceil et toutes les eaux tranquilles que nous n'aurons pas avalees faute d'une paix de colombes taches invisibles des nappes du credo. NATANIA (fragment) Si tu me quittes Tout moi-meme sera broye Ecrabouille Je serai un chien errant A la recherche d'une sympathique maitresse Tous les lampadaires de la ville Viendront s'eteindre a mes pieds Et je ne pourrai non plus seul Regarder Jeunesse d' Aujourdhui Ou la nouvelle chanson de Claude Leveillee M'a emu jusqu'aux larmes. Si tu me quittes Tu me laisseras entre les partes De ces envieux et des jaloux de notre amour Qui ont jure de me trancher la tete Pour la poser sur le lit de leur president Dans un petit seau de fer blanc Car au fond je merite Que tu me donnes une lecon Je sais. Tu devras en avoir assez D'un homme aux masques de fer forge Avec une personnalite a voie multiple qui enrage les petits bonshommes de Matane Qui dit oui quand le monde entier dit non Qui derange un petit groupe de Moncton Cherchant ses heros caches dans les grottes Le portrait de ses valeureux ancetres Si tu me quittes Le monde entier approuvera ton geste Celui de te liberer d'un animal Aux dents pointues. Si tu me quittes 102 Je serai un homme mort Je n'aurai aucune matrice a nourrir Tant les veines de mon cceur Seront asphyxiees Si tu me laisses Je les rendrai responsables De mes jeux hypocrites De cette facon sauvage De te demander de partir Apres que tu m'aies laisse a manger Devant la porte Si tu me quittes C'est sur ma figure desossee Que tomberont Tous les mauvais coups que je t'ai donnes lis n'attendent que cela Les envieux mes bourreaux Au bee sale Que tut'en ailles En me laissant dans mon cercle Je n'aurai personne pour me proteger Contre ces hideux personnages Qu'on colle sur ma peau Puisque je serai seul avec mes laideurs. Or fille de Sion le soleil dans tes yeux Est mon astre de redemption Je dis que je meriterais que tu me quittes Pour demeurer fidele aux lois de ta religion Qui a horreur des comedies loufoques Pour demeurer aussi fidele a toi-meme De la fille qui ne tolere aucune presence Dans ma chambre Qui ne soit l'expression d'une infinie tendresse Je sais. Tu devras en avoir assez D'un homme aux masques de fer forge Avec une personnalite a voie multiple qui enrage les petits bonshommes de Matane Qui dit oui quand le monde entier dit non Qui derange un petit groupe de Moncton Cherchant ses heros caches dans les grottes Le portrait de ses valeureux ancetres Si tu me quittes Le monde entier approuvera ton geste Celui de te liberer d'un animal Aux dents pointues. Si tu me quittes Je serai un homme mort Je n'aurai aucune matrice a nourrir Tant les veines de mon cceur Seront asphyxiees Si tu me laisses Je les rendrai responsables De mes jeux hypocrites De cette facon sauvage De te demander de partir Apres que tu m'aies laisse a manger D'une beaute qu'on ne saurait ecrire En cinq petites lettres Je dis qu'une fille de Sion ne doit aimer a la folie Un garcon dont le passe Est une suite d'histoires decousues Dont l'enfance porte encore Les morsures des betes Qui ont etrangle sa maman Bien sur il existe des miracles Au fond des puits Toute la rue se massait dans une cour Pour voir un certain saint Qui marchait sous l'eau Je n'etais pas parmi les personnes Qui le regardaient passer J'etais deja un garcon rebelle Aux superstitions des infames religions Peut-etre Avec toi Je detruirai toutes les armees du monde Tous les professeurs faisant leurs Dons Quichottes Devant une salle de classe de garcons innocents De jeunes filles violees J'aurai la force avec toi Avec ton Dieu De traverser seul une foret pleine de tigres Et toutes les difficultes D'etre moi-meme Quand rugissent des lions Devant ma porte. Si tu me quittes Je serai un autre homme Avec une autre peau que celle-la Une peau devenue la toile de fond D'une comedie Jouee par des acteurs invisibles. Venus de contrees differentes. Si tu me quittes Mes douleurs seront si atroces Qu'elles feront craquer mes os. Et läj'aurai mal Comme je t'ai fait mal En te laissant seule faire des cent pas Dans un appartement jusqu'ä quatre heures du matin Et puis en rentrant j'ai boude Au lieu de me jeter ä tes pieds Quelle horreur mon Dieu D'une beaute qu'on ne saurait ecrire En cinq petites lettres Je dis qu'une fille de Sion ne doit aimer ä la folie Un garcon dont le passe Est une suite d'histoires decousues Dont l'enfance porte encore Les morsures des betes Qui ont etrangle sa maman Bien sür il existe des miracles Au fond des puits Toute la rue se massait dans une cour Pour voir un certain saint Qui marchait sous l'eau Je n'etais pas parmi les personnes Qui le regardaient passer J'etais dejä un garcon rebelle Aux superstitions des infames religions Peut-etre Avec toi Je detruirai toutes les armees du monde Tous les professeurs faisant leurs Dons Quichottes Devant une salle de classe de garcons innocents De jeunes filles violees J'aurai la force avec toi Avec cette fierte de Noir qui resists ä tout Les tempetes tropicales La chute d'un manguier dans un ravin L'eclatement des lampadaires Sous un vent violent Et que dire des richesses de mon apprentissage Jamais d'echecs echaudant la jeunesse Toujours pret ä redire Les passages les plus compliques D'un savoir en equation Toujours pret ä recommencer une operation Qui brüle les mauvaises herbes de mon esprit. Et le testament d'un pere Que tous les anges du ciel ont maudit Que non. Je ne suis la victime D'aucune terreur D'aucun peuple Nourri seulement de chants d'oiseau Je ne suis la victime D'aucun groupe de mecreants De ces jeunes hommes qui m'en veulent Uniquement pour ma voix qui fait frissonner Des femmes trop sensibles Uniquement pour toi ä mes cotes Tous les jours de l'annee Tu comprends pourquoi Tu es ma seule boussole Me quitter c'est m'enfoncer Dans les nuits noires C'est mettre dans ma gorge Des os de vache enragee Pour me soutirer de la terre Tu ne dois pas me quitter Tout ce qui te derange chez moi Tout ce qui te fait vomir C'est Pimpossibilite de te cracher la verite Sur tous les pans de mon existence De te faire un portrait fidele De celles qui me faisaient confondre L'ombre avec la lumiere C'est l'impossibilite d'extirper de mon corps Les vermines qui le rendent puant L'impuissance quand il faut frapper De dire qu'ils sont laids Quand leur laideur enleve ä la creation Ses mille et une merveilles Maintenant que tu es touchee Par une confession faite avec sincerite Je peux fermer le rideau Car je suis persuade Que personne ne devra assister ä notre lutte Puisqu'il nous faut gagner Malgre les temps inassouvis Malgre les armes des assassins Malgre les brülantes diffamations De ceux qui ne croient pas au ciel Donne-moi la main Et partons a la recherche de nouveaux paysages Nous jurons qu'avec ton Dieu Toutes les nuits seront moins noires. Et voici la religion que j 'attendais II y a bien longtemps. Une religion qui exalte tous les jours L'alliance sacree du vainqueur Des tenebres Du premier produit de l'univers Avec Son Createur... CRI POUR NE PAS CREVER DE HONTE (fragment) J'ai peur la nuit crache du sang C'est mon sang avec la nuit avec de quoi nourrir les anges du President Je fuis ta silhouette parallele a ma case Je fuis tes sommeils tes regards et je crains meme d'avancer trop pres tant mon geste est lourd et ma bouche puante Je ne crois pas que soit abondante la force brisee sans force l'humidite exposee a mon grand desespoir Mais ma vie sous les doigts tremblants du mendiant Je l'assassinerai pour leurs crachats parmi les coquillages l'histoire du pays livree en fruits pourris que s'eveille le jour de nos souffrances d'esclaves et vienne se casser la misere contre le roc caravanes de mendiants tournant autour de moi cris etouffes dans la gorge sous les griffes du bourreau vagues bouillonnant de colere a l'approche du dragon toute ma terre reduite a une prison de sang Mendiant mon ami mon double mon dechirement J'ecris mon exil leur rage feodale le froid mepris du roi aux histoires fanees terre antillaise generatrice de seismes sanglants mon patrimoine aux veines gonflantes de matins Tu es dans ma chambre avec tes baves que signe la peur Un cimetiere suspendu aux lisieres du sommeil Tu mets sur mes epaules tes mains de pauvresse cette barque de paysans defiant la haine des dieux O cette terre pour qui la conscience se fait Pierre et pour qui mon desir ebranle le silence O cette terre ma poesie paralysee cette vermine grugeant ma sensibilite Comme une torture revecue a chaque mot qu'on prononce Je ne veux etre que toi malgre ma haine leurs betes dans ma memoire les cyclones prolonges l'espoir courtise le reve l'histoire se dechaine L'image se developpe sous l'acide et l'amour lance ta vie par-dessus l'impuissance avant que nos suicides ebranlent les cathedrales... Jean-Claude FIGNOLÉ Jean-Claude Fignolé, né á Jérémie (Haiti) en 1941. Des études de Droit, ďAgronomie et ďÉconomie. Écrivain, journaliste (Le Petit Samedi Soir, Le Nouvelliste), critique d'Art et enseignant, il avait fonde avec René Philoctěte et Frankétienne le mouvement littéraire « Le Spiralisme ». II est l'auteur de six romans (Lespossédés de lapleine lune, 1987 ;Aube tranquille, 1990 ; Hofuku, 1993 ; La derniere goutte d'homme, 1999 ; Moi, Toussaint L'Ouvertüre, 2004 ; line heure pour Věternitě, 2008) et de cinq essais (Oswald Durand, 1968 ; Etzer Vilaire, ce méconnu, 1970; Pour unepoesie de l'authentique et du solidaire: Ces ties qui marchent de René Philoctěte, 1971; Sur Gouverneurs de la rosée : hypotheses de travail dans une perspective spiraliste, 1974; Vceu de voyage et intention romanesque, 1978). Jean-Claude Fignolé est aujourd'hui Maire d'un petit village dans la Grande Anse, Les Abricots. CARAIBES Le temps irreel ! Avancee de mots aux sonorites affligees qui elisent deja la tristesse de l'histoire. Le temps fige ! Une mascarade de noms scandant l'imposition et sacralisant le pervers sinon l'odieux regard de l'autre. Le temps meurtri ! La marche lente de soi vers soi, dans l'ecartelement et dans l'ivresse (l'epouvante apprivoisee) lorsque la terre gronde, tremble, craque et que dessus sa beance, telle innomee blessure, des vents jubilatoires assaillent le sommeil nu des mornes. Alors le cri: Caraibe ! J'atteste ici les monticules auxquels la lave des volcans a tresse un destin insense. Etre plus de mer que de terre. N'etre que poussiere, ecaille, ecume. Parce que l'eau a garde la memoire des origines, l'Ocean ä jamais ä fixe les bornes et decide la reference : Caraibe, continent liquefie, martele de points d'ancrage, les lies. En vis ä vis, quelques ports de lumiere accrochent, paquebots desarmes, leurs bastingues ä je ne sais quel reve echoue de l'autre cote de la vie. Veracruz, Colon, Carthagene, Maracaibo, inlassablement orchestrent leurs legendes dorees. Tant de saisons d'absence ! Des lies aux ports, l'Elan. L'Appel. Toutes ouvertes. Tendues vers. Un besoin inavoue de rompre. Denver. Aux bords mysterieux de quelles attentes ? De quelles desesperances a nommer solitude ? Par necessite, imaginee choix, les iles organisent l'errance et l'imaginent passage. Facon de sublimer l'impuissance face a 1'intemperance de la nature et de l'histoire. Aussi vivre articule-t-il ses pulsions autour de la symbolique contradictoire des isthmes et canaux. Ce qui 109 séparé et ce qui relie. Le Vide. Or la peur du vide. Vivre, en Caraibe, c'est essentiellement gérer l'angoisse. S'eparpiller. Las ! Réussir la géographie comme une particularité géologique. Cassures, failles, essaiment, arrimant la tourmente des lies et des profondeurs ďabysses ; poussent, excroissées, érigent des clivages (le mot anglais clift drossé á l'humour mitoyen des vents et des vagues) á des hauteurs impossibles ; étirent lignes, arrondissent formes qui s'evanouissent de la course échevelée du temps. On chercherait vainement un point ďéquilibre autour duquel assembler 1'espace. Pour nier le vide. De quelque cóté que Ton tourne les regards, la Caraibe est éclats. De sueur et de sang. Postés du fini de la terre á l'infini du ciel. Montés du Sud au Nord, si ce n'est 1'inverse, voguant, indéfiniment tournés vers l'ouest. Etemel et vain éloignement du silence ! Une imposture (la mer cemée de terres or l'enclos ouvert) force á la double illusion du pourtour et contour. Ainsi l'imagination oblige á des references qui piěgent le réel : chapelets ďiles en autant ďarchipels. Chapelets ? Comme pour tracer á 1'avance á la Caraibe un destin autre que celui de subir les colěres de la tectonie. Crucifiée ! Le vent, porte par la scansion de 1'histoire, convoque la parole aux lieux méme du silence. Nulle part la geographie ne s'est mieux accordee a l'histoire. Le tragique eparpillement de la terre appelle de ses vceux la dramatique dispersion des hommes. Venant d'ou ? Venus ou ? Echoues ! Les premieres migrations defient les memoires de l'enfance. Peuples Natifs ? Plutot un flux circulaire dont on ne sait d'ou il vient, ou il va. Sauf ici et la quelques haltes qui, meme prolongees, ne presument pas la fin du voyage. Or la Horde, un jour, porteuse de « bannieres et de benedictions ». Ivre d'un reve heroique et brutal, comme a dit Heredia. Et puis l'Afrique avec ses melopees qui planterent sur tout le pourtour l'espoir douloureux d'une race. Enfin l'Orient, le moyen et l'extreme, aux prises avec les mutilations de l'Histoire et cessant d'etre eligible aux fastes d'un passe millenaire. Si pour les uns, europeens puis asiatiques, l'esperance avait un nom, pour les autres, natifs et africains, l'enfer n'etait plus une fable. La ligne d'arrivee departagea, en Caraibe, les souhaits et les contraintes. De l'enrichissement fou a la pauperisation absolue. L'Histoire s'est erigee sur des tensions, impulsant une dynamique de la contradiction qui, pesant sur le destin des lies, a bade la rencontre des races. Et des peuples. Engagee depuis cinq siecles dans une permanente confrontation avec elle-meme, (les conflits ethniques occultant lalutte des classes) l'Histoire sans cesse recuse le vceu de la meme turbulence qui, les disposant en arc de cercle, leur impose un destin definitif : Assumer le ferme pour mieux mettre l'ouvert. C'est-a-dire l'Ailleurs. Et de facon plus symbolique, 1'Absence. Ce qui n'est pas ici. Ce qui n'est plus la. Theme a reverie, par excellence ? Les turbulences de l'Histoire attendent par contre d'accoucher de la vision unique d'un destin. Pretexte sans aucun doute a fantasmes. Difficulty d'assumer l'ouvert ? Sans doute. Parce qu'il s'est avere que le Castrisme n'a pu etre la reponse appropriee (briser le cercle etroit de dependance) face aux rigueurs de l'Histoire, les necessites de vivre au quotidien invoquent, ici et la, des pratiques convergentes qui interpellent dans les lies et sur le pourtour continental les choix de societe. Les affmites langagieres poussant necessairement a une concentration des moyens et des efforts dans un lieu unique d'existence. De la confrontation des races, (le passe simple) a la 110 confrontation des potentialites (le futur simple), le choc des cultures. Non pour aggraver les differends mais pour affirmer et assumer ensemble la difference. C'est-a-dire postuler la relation et l'echange. S'ouvrir. Partager. La dialectique du ferme et de l'ouvert. Une probable sinon possible civilisation caraibeenne, estampillee du gout de la fete (l'insouciance, tel art de vivre !) provoque les races et les peuples a rompre avec eux-memes. Tous ces departs, eprouves dans l'arrachement et le cri - maints horizons dilues dans les larmes -herissent les arrivees dans 1'appropriation des aires de cultures. Nous voici desormais face a face dans les creux-creuset des lies. Obligee de taire les rancceurs de l'histoire, l'existence quotidienne, celle du cri devoye (l'etonnement), appelle a nous re-connaitre. Penches aux bords de son miroir, la mer recompose nos etres deracines et les voue au ressouchement, qui n'est point ressourcement, par le cri, autant de depart que d'arrivee, fecondant. La mer, une nouvelle matrice Originelle. Caraibe, notre mere. Avons-nous d'autres origines que les frasques des vents et de cette terre en gesine engrossee... par l'Histoire ? Peuples venant, peuples venus. Peuples noues ! lors raeme que l'appel du grand large nous soumet a toutes tentations et que le vceu de depart, installe dans les plis de notre memoire, repond trop souvent a la fascination de l'Ailleurs. Traversers aventureuses par quoi la quete de la vie ose parfois se confondre avec la quete de soi. Certainement nommer la le drame de la Caraibe : la problematique identitaire. Tant de races, tant de peuples echoues, regardant vers eux-memes et pourtant sur les autres le regard hautain et haineux de l'Histoire. Les voies d'enracinement s'effraient d'enregistrer les voix des sirenes, quand nos pas nous detournent de nous-memes. Revendiquer toutes identites qui ne soient pas caraibeennes. La mer, notre mere, en est singulierement chaviree, qui interroge : Mer interieure ? Fermee. Ou les multiples pulsions de refus creent les necessaires conditions d'implosion. Mer intermediaire ? Ouverte. Sur des tentations plurielles. Les deux Atlantiques, l'europeenne et l'africaine, le Pacifique et 1'Orient lointain, au travers du Canal qui demeure notre inalterable dechirure. Une fuite du vide. Mais pourquoi pas Mer convergente ? Tous les chemins du monde nous mangent dans la main, citait, en un moment d'eblouissement, Saint-John Perse qui rata d'etre le heraut d'une authentique identite caraibeenne. La conscience que nous avons de nous-memes n'est jamais celle de l'autre. Indien. Europeen. Africain. Asiatique. Pourquoi pas Caraibes ? La double tentation d'etre (l'etre ici nous empechant assurement d'etre la, d'etre-le-la de Heidegger) nous commande a tout instant a nous situer. A nous definir. Parce que notre Etre profond nous echappe, les exigences de l'Histoire ont determine dans l'aire caraibeenne une personnalite schizophrenique qui s'eprouve et s'exalte dans la creation. L'art collectivement vecu comme une facon autre d'etre au monde. II en est resulte un sens du tour et du detour par lequel nous marronnons avec delices et notre etre et notre reel. Barroco. Une maniere autre aussi de voir le monde. De parler les autres. Au niveau litteraire, cela se manifeste par une lesion de la parole qui dit ce qu'elle veut dire. De facon profuse. Pour ne pas avoir a me-dire ce qu'elle mal entend. Entre la geographie et 111 l'histoire, ecoutez les crevasses, les failles, les blancs et les fuites. Une polyphonie de l'errance et de rerrement qui revendique de localiser toute action, hors de « l'Ego transcendantal » de Husserl, dans un site privilegie, celui du dire, impliquant le tout exprime, qui s'affirme comme une manifestation de l'emergence de l'ouvert. Debridee. La symbolique d'un monde en attente. D'un monde en souffrance. II arrive parfois que la parole, en quete de normalite, refuse le baroque. C'est pour derailler. Entendez qu'elle ne s'egare ainsi, pour repeter Oury, d'autre lieu que du symbolique. D'autre aire que d'elle-meme. Pour etre en avant de soi et construire son intemporalite, elle choisit de ne plus etre le lieu de questionnement d'un rapport avec l'ceuvre. Elle desidentifie. Desincarne. Classique. Or... II n'est vraie parole en Caraibe que la schizophrenic. II n'y a qu'a ecouter les discours politiques (quand l'Histoire s'ecrit au present) pour s'en convaincre. Le verbe se destructure, perd sa coherence, se substitue a l'acte, autopouvoirise et, par le biais du transfert, endosse la capacite de faire. On aboutit a une sorte de mythification de l'agir qui determine de facon retorse, rituelle, incantatoire, une poetique de l'impuissance. De l'incapacite. La politique, avec elle une litterature obligee, devient le lieu certain des fantasmes. La parole delirante donne tout projet comme realise et non comme simple possibilite. L'a-vivre sombre dans le reve, fixant la morbidite comme espace de creations dans une redefinition libre et ouverte de l'Art de la Vie. La Caraibe en marge. La Caraibe en vrac. Dissociee, dispersee, eparpillee, elle recompose son etre dans la danse, la musique, les contes, les couleurs. Au grand contentement des amateurs d'exotisme heureux de l'enfermer dans une singularity qui la force, quand le soleil danse dans sa tete, a jouer l'Art contre l'Histoire. Caraibes 6 6 6! Par la politique, le cri diverge. Par l'Art, dire multiple et diversifie, le cri refracte. Stipule. Hors fonctionnel. Chant du vide eclate. Les lies emergent dans un espace qui, a partir du non-assemble (ce que la geographie ne peut plus rassembler), donne a retrouver. Ce n'est pas a proprement parler un espace. Un lieu. C'est plutot une disponibilite. L'attente... Je songe aHeraclite : « Si on n'attend pas, on ne decouvrira pas le hors-d'attente qui est chose introuvable et vers quoi il n'y a pas de passage... » Voila formule de facon precise le diagnostic du mal (?) Caraibe. Les lies ont developpe, de memoire vive, une pathologie de l'attente. A un double point de vue. Une attente passive, celle de la geographie et du temps replie sur lui-meme : le terre en souffrance. Une attente active, celle de l'histoire et du temps ouvert. La terre « gestee », envisageant l'avenir comme possibilite, commande de bousculer le passe par l'irruption d'un present qui, en 1492, etait deja devenir. L'attente inscrit le hors d'attente, entendons la creativite, dans la double dynamique de la revolte et du rassemblement. Une exigence : le revolte pour le rassemblement. Autrement dit la determination d'une communaute d'existences pour la mise en ceuvre d'un destin commun. De fragments en fragments les lies se recomposent et composent, d'ceuvres en ceuvres, l'Epos, chant unique par lequel s'exalte la nouvelle poetique (politique) de la liberie. La poetique duNous. 112 D'un bord 1'autre de la Carai'be, l'Art confondu avec la politique, exulte du chant d'un monde ä faire. Gratifier l'Epars. Exulte du chant de l'homme ä naitre. Maitriser l'Unique. La parole, en attente d'elle-meme depuis toujours, raconte pour eile seule les histoires qui la realisent. N'est-ce pas symptomatique de ce que Freud appelait le refoulement originaire ? La litterature, depassant ses propres pulsions, procede ä un deplacement de ses champs, substitue roman, poesie, theatre, cinema de l'Histoire, celle que vivent les autres, ou plutot, expression du temps libere, eclate, annexe de l'histoire, vole ses certitudes, les transmue et, s'articulant autour de l'oubli (la memoire recluse), se metamorphose signification de ce qui est dejä signifie. On retrouve lä, sei on la belle formule de Lacan, la Metaphore Primordiale, quand la litterature, rebelle par essence au temps, investit completement le present en devenir de la Carai'be. Pour continuellement se tisser et, partant, tisser, retisser les relations de soi avec l'Histoire. Developpant comme une « pathologie de l'Etre avec les autres. » D'un ecrivain ä l'autre, la Schizophrenie comme moyen de liberation. A travers une typologie du langage systematise, au meme moment (les annees 60-70), par le mouvement « La Onda » dans un Mexique hante par ses rivages caraibeens ä travers l'apprentissage du role de puissance peripherique, et par le « Spiralisme » dans une Haiti qui experimente sous la dictature toutes les subtilites du non-dit. Ailleurs, dans la meme mouvance, Jaime Diaz Rozotto (Guatemala), Garcia Marquez (Colombie) revendiquent l'espace de creation, et le dire qui l'occupe, comme une spirale expansive. Infinie. Toujours la dialectique du ferme et de l'ouvert. Tendu entre le Mythe et l'Histoire (la critique occidentale aura parle de realisme merveilleux, reprenant ainsi la formule de l'ecrivain haitien Jacques Stephen Alexis qui a manque de saisir la dimension schizophrenique du vecu antillais : le reel dissocie, apprehende ä la fois comme reel et comme entorse ä lui-meme), ballottes entre le desir et son objet : ecrire 1'existence qu'on n'arrive pas ä refaire par la politique (Freud n'est pas loin), les ecrivains, de Carpentier ä Cesaire en passant par Fuentes, Glissant, Asturias, etc. inventorient le malaise et le mal etre de l'Histoire - rupture de soi avec soi - pour pro-jeter leur Etre au Monde. L'inevitable quete identitaire amene, singulierement, un Carlos Fuentes simplifiant ä considerer chaque mexicain comme schizophrene et invite, generalement, la Carai'be ä souder la faille interieure dans laquelle l'Histoire plonge ses destins. Nous celebrant etres ä partager. Etres partages. Differents. Installes dans la difference, sans reelle possibilite d'etablir une coherence (tentation et difficulty de l'ouvert propres aux schizophrenes), la plupart des gens de lettres aboutissent ä eprouver la difference en situant leur etre dans une entreprise de Mythification de l'Ecriture qui accouche d'un projet repetitif: liberer la geographie et l'Histoire. Parvenir ainsi ä la liberation de soi. Incapables d'assumer l'Histoire en marche sinon par la provocation et le detour, porteurs de reves qui demeurent d'eternels avant-projets pour les peuples, s'obligeant ä se definir (done ä se culpabiliser) par rapport ä ces peuples, certains ecrivains se lancent dans une fuite en avant qui devraient les conduire ä amputer leur moi, car voulant tuer en eux l'autre part d'eux-memes. L'Indianite face ä l'Hispanite, mais... l'lndigenisme ou encore sa formulation recente plus agressive sans etre pour autant plus combative, la creolite contre la Francite, pour cause... Le Black Renaissance, version coloree West Indies, contre l'arrogance imperiale anglo-saxonne, voir... L'Antillanite contestataire ! Eparpillee dans une meme chimere. 113 Se chercher. Se retrouver ? Se découvrir ? Toujours éclater. Inlassablement rassembler ses morceaux : Une permanente disponibilitě. Pour un pari. Car, ce qui compte finalement, ce n'est pas de se refaire pour se composer une personnalité, telle, autre, mais de s'inventer. En inventant l'Avenir. Simplement inventer son avenir. Etre par rapport á 1'Histoire, tel passé défini. Entre l'Action et la Creation. Plutöt de 1'une á l'autre. Faire le saut. Combler le vide. Perversion ou inversion (?), s'induire á vivre la Politique comme projet et á réserver l'Ecriture pour seule Presence au Monde. D'Octavio Paz á Del Paso, en nommant Depestre, Frankétienne, Chamoiseau, Naipaul (oui Naipaul qui choisit d'aller cloitrer dans l'lle au dehors la tragédie de Tecartelement des lies. Par refus ou par impossibilité ďidentification), on n'en finit pas avec la tentation d'etre double - étre ici, étre la - et la politique interpelle la littérature á des niveaux ou 1'ideologie parfois fait échec au dire. Vivre le réve, réver la vie. Maximin, Philoctěte s'esclaffent, tiraillés entre « leur part de vie vécue et leur part de vie révée ». La politique, en Caraibe, apparait á tout jamais comme l'endroit et l'envers de la littérature dont la fonction serait d'assurer l'a-vivre. L'eternite au quotidien. Dormant son rythme au present intemporel, la Littérature monnaye děs lors la permanence du dit comme un interminable « futur antérieur ». Entrés dans le temps vivant, (la politique ou le present progressif de l'histoire) et par le réve vécu, (la littérature ou 1'impossible reel) se perdre et se sauver á la fois. Vous avez dit Schizophrěnes ? Au plus haut du cri, Caraibe ! Caraibe ! Caraibe ! Oh ! (in Revue Noire, no 6) 114 Franck FOUCHÉ Franck Fouché, né á Saint-Marc (Haiti) le 27 novembre 1915, quelques mois á peine aprěs rOccupation militaire par les Américains. Étudia le Droit de 1936 á 1939 á Port-au-Prince. Au debut des années quarante, il fit paraitre dans une revue á Saint-Marc ses tout premiers poěmes, Les Billets á Florelle. Entre 1953 et 1954, il est rédacteur en chef au quotidien Le National. En 1957, il fut mandate par le Conseil de gouvernement comme Conseiller culturel auprěs de l'ambassade d'Haiti á Mexico. Fit un voyage en Chine et en Russie en 1959. Et en 1965, profitant ďun voyage á Montreal, il s'y établit définitivement et y enseigna le francais au Collégial, de 1965 jusqu'a sa mort survenue le 3 janvier 1978, des suites d'un fächeux accident de voiture. Marxisté endurci, Fouché fut principalement un homme de theatre et nourrissait un trěs profond respect pour la culture populaire haitienne. II a écrit, publié ou fait jouer de nombreuses pieces de theatre: Un fauteuil dans un crane (anti-farce, 1957), Trou de Dieu (1968), Bouqui au paradis (1968), General Baron-La-Croix (tragédie modeme, 1974), Adjipopo (1977), Evangile Selon Saint-Marc (1977), etc. II a également publié des oeuvres poetiques: Message (1946), Symphonie en Noir Majeur (1961). Son poéme Les lambis de la Sierra fut traduit en espagnol par le poete cubain Nicolas Guillen et publié en russe dans Le temps des Flamboyants (Moscou, 1960). II a laissé plusieurs inédits, dont Espace du vide (écriture, avril-septembre 1973) et un poéme dramatique (Un toit de soleil pour Charlemagne Péralte). II a collaboré á diverses revues haitiennes dont principalement Optique. II a aussi publié un Guide pou l 'étude de la littérature haitienne (1964), et un essai pour un nouveau theatre populaire: Vodou et theatre (1976). Franck Fouché était partisan de 1'intégration du créole dans les lettres haitiennes. II a d'ailleurs traduit en Creole haitien Yerma, la piece de Federico Garcia Lorca. LES LAMBIS DE LA SIERRA (fragment) Bouquets de villes aux noms pleins de cloches, vous toutes, Santiago, Bayamo, Las Villas, Manzanello, Camaguey, Santa Catalina et tout le long chapelet tintinnabulant de grelots d'allegresse; villes, toutes les villes d'Oriente, sonnez le glas: la mort passe et la terreur sera couleur du sang de vos fils assassines, de vos fils a assassiner. Car les bourreaux pour perpetrer leur oeuvre de mort ont pris d'autorite une option sur la vie des citoyens de cette ile des chansons et des danses. Les bourreaux ont pose leurs bottes sur la gorge de la Liberie mis en joue la dignite, sequestre le soleil de lajoie. Pour combien de temps encore lajoie ne sera-t-elle plus crime Jusque a quand 1'existence redeviendra-t-elle vie? 115 José Marti chante: La vie bravoure et la mort on doit 1'attendre avec un baiser. La mort, ils ne 1'ont point attendue les gars de la folie équipée de Moncada. Ils 1'ont devancée pour déchirer l'aube sale du devant-jour du 26 juillet et hisser au semaphore du soleil le drapeau de rhéroisme et de 1'espérance ďun peuple en agónie Et c'est la mort qui posa un baiser sur leurs fronts héroiques! A 1'assaut de la Caserne Goicuria, la témérité a pris le visage de tous ces jeunes fous sublimes des equipages de la Mort Et c'est encore Elle qui posa un baiser sur leurs fronts héroiques La vie est bravoure... Aujourďhui, dessous les larges jupons des muchachas qu'on déflore avec une crosse de revolver, il y a un nid caché de mitraillettes. Et la Sierra Maestra, imposante, secoue sa fauve criniěre de forét de commencement du monde, et dresse dans le ciel sa téte de proue dessus son encolure de mastodonte comme pour défier le soleil. Toute la Cordillěre a tremble sur son socle de granit, et ses pics et ses éboulis et ses gorges ont répercuté en fracas ďondes 1'apocalyptique tourmente. Sierra Maestra, Sierra Cristal, Sierra d'Escambray, triangle mineral et vegetal aux dimensions de la géographie ďun monstre de préhistoire, montagnes sidérales, survivances problématiques du Chaos des temps immémoriaux, oú par une nuit de vertige s'engloutit dans les flots le bateau fantome de 1'Atlantidě; Sierra Cristal, Sierra d'Escambray, vous n'etes que deux chaines jumelles d'une immense Cordillere, l'Atlantide, un continent de legende a la mesure des chimeres des geometres et des prehistoriens, mais, toi, Sierra Maestra, depuis l'aventure d'un petit matin frileux de decembre, ou le destin desespere d'un peuple, avili, baillonne, gifle, se cristallisa dans six lettres etincelantes de soleil et de foi, inscrites sur la coque d'une embarcation de fortune, tu es devenue Citadelle du Courage la Mecque qui accroche tous les regards des peuples enchaines derivant sans boussole, sans gouvemail sans avion le pic de l'Esperance derniere barricade de la Liberie S-I-E-R-R-A M-A-E-S-T-R-A 116 RUBEN FRANCOIS Ruben Francois, ne en Haiti vers 1945. Adolescent, il a vecu a New York. En 1970, il s'installa plutot a Montreal et y publia trois recueils de poemes, dont Get up and fight QtMy soul in tears. Le 4 juillet 1974, a midi, en plein centre-ville de Montreal, il s'est suicide en s'aspergeant d'essence et en mettant, par la suite, le feu a ses vetements. II n'avait que 29 ans. Ses poemes que nous presentons ici ont ete traduits de 1'anglais aux fins de cette publication. HAITI Des milliers de milles me separent de la tiedeur de ton sein Esseule, effraye, frissonnant Incapable de te rejoindre, comme tu me manques Ma bien-aimee. II y a si longtemps... Mais le souvenir de ta douceur grave dans ma memoire, Lie aux etincelles de mes amours d'adolescent, Eclaircit la noirceur de mes nuits sans sommeil. Je te les contais, ces nuits qui hantent mon ame. Jadis tes nuits les embellissaient de bleu clair Les baignaient d'allegresse, enjolivaient mes reves Et mon ame rescapee te dediait de longs poemes. Heureux, je pensais, Ses yeux noirs m'appartiennent. Aujourd'hui, languissant en exil Je compte, belle de mes nuits, les jours, les semaines, Les annees qui nous separent Mais ne cesse de celebrer ta beaute enchantee. Un étranger m'a dit qu'un dinosaure sans cervelle Laboure tes cótes de ses gros sabots noirs 1 Dinosaure sans cervelle: Jean-Claude Duvalier. 117 Et tes enfants ostracises, trahis par le destin Sont humiliés, méprisés, enrages, Écoeurés, violentés, bannis de notre terre. Qu'on me donne un fusil, qu'on nous aide a combattre II faut brandir le poing qui fracassera leur royaume Que notre envoi pour la liberie efface les larmes de nos ames. (My soul in tears) PENSÉES POUR HAITI I Alors que degoute par leur mediocrite Jeune homme, je revais de disparaitre Je recherche encore, O ma muse, Un oasis pour calmer les remous de mon ame. II Ne serais-je pas plus heureux pour chanter tes cantiques Dans le temple des graces oú tu reposes "mythe poétique"? Loin de Dinosaure2, je gémirais moins et je garnirais Ton tróne avec les roses bleues du printemps. Ill Peut-etre, mais je serais fou, cette terre qui est mienne Ne doit pas etre cedee a cette moufette repugnante Qui latransforme d'un jardin d'Eden Ou Ton reve d'amour En un enfer malodorant. Dinosaure: Duvalier pere. IV Loin de la vomissure de Doc3 Je redeviendrais moi-méme, Mais le cri pour la liberté poussé aujourd'hui Transperce mon coeur et trouble mon esprit A travers ma passion pour toi, ma muse, Se trouve mon devoir envers Haiti. (Ibid) 3 Vomissure de Doc: Duvalier fils. 119 FRANKÉTIENNE Frankétienne (Franck ÉTIENNE, dit), né á Saint-Marc (Haiti) le 12 avril 1936. II a enseigné les mathématiques et la littérature dans son propre établissement scolaire établi á Port-au-Prince. Poete, romancier et dramaturge, on peut noter de lui pres de cinquante ouvrages déjá parus, entre autres : Chevaux de Vavant-jour (1966), Múr á crever (1968), Ultravocal (1972), Dézafi (1975), Troufoban (1978), Pělen tet (1978), Les affres ďun défi (1979), Bobomasouri (1984), Kaselezo (1985), Fleurs ďinsomnie (1986), L'oiseau schizophone (1993), H'Ér os-chimér es (2002) ainsi que Les metamorphoses de l'oiseau schizophone (1996-1997, en huit volumes). Frankétienne a fonde en 1965 avec René Philoctěte et Jean-Claude Fignolé 1'école littéraire, Le Spiralisme. II est également musicien, peintre et hougan. ULTRAVOCAL (fragment) Autour de l'ile les fifres du vent La mer et ses remparts de sel. Autour de nos tetes cendres et fumee Les mauvaises betes chues dans le silence La tempete sa perruque echevelee. Bruissement matiere a suspicion Les papillons affoles a nos gorges fretillent Bavardage d'ailes et d'antennes. L'universite des eaux desordonnees Contestation des pluies de mai Main mon amour jaillissement de torrent. Les etoiles bues dans tes yeux Bassines mes lacs a fond perdu. La mer piegee aux detroits Parfaite imitation de tes hanches. La guepe maconne Bourdonne Au plafond blanc. Les abeilles sont parties al'aube Plusieurs d'entre elles ne reviendront pas. Sommes-nous condamnes a finir comme des personnages de Theatre et de cinema, dechires par nos passions? Ah la posthume comprehension des amants! Et voici revenue pour moi la chance de parler De ne rien garder derriere mes dents 120 De hurler s'il le faudra. Ma voix tourbillon de mots Ma voix depelotonnee a jamais Ma voix toute ma voix Poil a gratter Dehors dedans a travers au-dela Pleinement Infiniment (Ultravocal) Tout homme est comme une ile enfermee dans sa douleur, ses desirs profonds et ses illusions. II n'y a que des passerelles, des ponts et des connexions (miraculeuses et mysterieuses comme l'affection, l'amour, le sentiment de solidarity la Sympathie active) qui nous relient aux autres en nous permettant de communiquer, de communier avec les autres. Ainsi, seule la lumiere de la conscience solidaire et genereuse nous aide ä rencontrer les autres. Je suis une ile enfermee dans cette foutue chambre personnelle, vivant une forme tragique de solitude schizophrenique, une sorte d'exil interieur qui pourtant ne rn a pas empeche de rencontrer les autres. Solitaire / Solidaire Je demeure! (...) Dieu a besoin de moi pour la manifestation eclatante de sa puissance infinie et de sa gloire immense eternelle. Ainsi j e deviens moi-meme Dieu en partie et en totalite. 1+1= INFINI Alors je marche contre la Mort et j 'efface le Neant. 121 (...) Génial megalomane ou singe megalomane je le dis souvent de moi-méme pour agacer mes frěres trop jaloux qui n'ont aucun sens de l'ironie exorcisante et de 1'auto-dérision. J'apprends je désapprends. Rien n'est absolu et tout est relatif. (Anthologie secrete) Pourquoi avoir peur du chaos? Toute vie est chaotique. L'Univers est chaotique. Mais, il s'agit d'un chaos fonctionnel dont les structures fondamentales en perpétuel mouvement nous échappent á cause de tous nos deficits intellectuels, mentaux, organiques, biologiques, psychiques et spirituels. Le chaos c'est la vie, dans son infinie diversité combinatoire exponentielle. Seule la mort n'est pas chaotique parce qu'elle est plate, monotone, uniformě, insipide et sans relief ni densité. (...) La spirále ne peut pas étre définie comme un systéme ďécriture conditionné par des critěres rigoureusement établis. L'esthetique de la spirále implique 1'imprévisibilité, l'inattendu, 1'ambiguité, les extrapolations, le hasard, les structures chaotiques, la dimension nocturne á la limite de 1'opacité et le parcours labyrinthique. La spirále est un approfondissement de la dialectique, á travers un dépassement de la pseudo-différence entre la matiěre et l'esprit, qui se rejoignent, s'interpenetrent et se confondent dans la mise en forme de 1'energie sous des aspects infiniment varies. La spirále représente paradoxalement l'ceuvre á la fois globále et éclatée, totale et fragmentée, ouverte et vertigineuse. (Anthologie secrete) 122 Eddy GARNIER Eddy Gamier, ne a Hinche (Haiti) le 22 decembre, a l'avant-jour des annees 50. II est devenu, par la force de l'impromptu, poete, romancier, nouvelliste, auteur de contes, de monologues et autres. Metteur en scene et comedien, il fut membre-fondateur du Theatre National d'Haiti avec, entre autres, Francois Latour et Jean-Claude Exulien. Emigre a Montreal en 1972. II vit dans l'Outaouais quebecois depuis 1975. Eddy Gamier a poursuivi des etudes a l'Universite de Montreal et a l'Universite du Quebec, en plus de sa formation recue au Conservatoire National d'Art dramatique de Port-au-Prince. II detient un Bac en Administration des affaires et une maitrise en Management des Services Publics Regionaux. En 1994, il est invite a Besancon, (France) pour participer au Salon du livre en Franche Comte. En mars 1995, il est choisi comme invite d'honneur au Salon du livre de l'Outaouais quebecois dont le president, cette annee-la, fut Gilles Vigneault. En octobre 1995, il se retrouve ecrivain invite au Salon du livre de Toronto. Invite a de nombreux soupers litteraires par l'Association des Auteurs de l'Outaouais. Artiste versatile et prolifique, il touche a presque toutes les disciplines de l'ecriture et de l'art de dire. Sa bibliographie contient du roman, de la poesie, du monologue et d'autres genres tels que la nouvelle et Particle. A publie, entre autres, Plate rouillee (1987), Eclats de bourgeons (1993), Adieu bordel, bye bye vodou (1994), et plusieurs autres textes dans des ceuvres collectives. FUSION Je ne suis pas poete Pour n'avoir pas su contenir mes mots Je ne veux pas etre poete par pudeur Je veux deshabiller les phrases Effleurer les mots leur faire des attouchements Je ne suis pas poete Je ne veux pas etre poete par pudeur Je veux penetrer les mots Les egrener jusqu'au fonds Ceux qui ouvrent les barrieres immuables Les faire jouir ä l'epuisement Ne prenez pas ma forme pour mon fond Je ne suis pas poete Mon trefonds penetre ä fleur de peau Je veux nommer dans la clarte Les maux infinis du pays Peindre sur le papier 123 La misere du peuple d'un peuple De tous les peuples Sculpter dans le sable mouille d'espoirs L'avenir compromis de la jeunesse Interdite d'amour propre Je ne suis pas poete Pour n'avoir pas pu contenir mes mots Je ne suis pas poete Je ne veux pas etre poete par pudeur Ne prenez pas ma forme pour mon fond Je ne suis pas poete Mon trefonds penetre a fleur de peau En guise de plume Je reclame un scalpel Pour sculpter dans le sable mouille L'avenir compromis d'amour Des jeunesses en fusion! SEMENCE Tu m'offres tes seins ton sexe ton corps Moi c'est toi que je desire Pas tes seins pas ton sexe pas ton corps Marche en avant Que je m'enivre de ton allure Ta demarche ton sourire ton regard Qu'est-ce qui te retiens si loin de moi Viens Donne-toi a moi j'ai besoin de toi Pas de tes seins pas de ton sexe pas de ton corps De toute toi-meme De ta demarche ton sourire ton regard De tes seins de ton sexe de ton corps De toi Viens tenons nous simplement par la main. BUILDING Silencieux building Verre fer trempe Sable melange Chiourme muet Grand building Dis-nous ce secret continuel Que le vent te souffle doucement Building Masse Masse inerte pluriforme Dis-nous ce que tu ressens Quand les laveurs de vitre te chatouillent te font l'amour contoument tes intimites Building Vitre acier beton arme Corbusier fragile solide liquide air Tout ä la fois Dis-nous ce que te raconte ta solitude Building Dis-nous lequel tu preferes Des vents de l'hiver et de l'ete Building cachottier building Tu es vie inertie solitude Dis-nous pourquoi Tu as toujours mal au ventre aux pieds au cou mal partout Tu as toujours mal Building. LES BLOCS II y eut des blocs peints en blanc Et des blocs noirs Depuis II y a Le bloc blanc le bloc noir Quand il fallait eriger le firmament Les blocs blancs enfourchaient les blocs noirs Blocs blancs blocs noirs Les blancs ... et... les blocs noirs Quand il fallait rectiligner l'horizon Les blocs noirs servaient de marches Ou poser le chevalet cher valet cheval laid cheval net cher voleur quelle valeur c'est la leur Des blocs Des blancs et des blocs noirs Quand il fallait batir la maison lis ont mis les blocs noirs dans la fondation Les blocs blancs sur le toit Ou la brise ventait Constance Seulement les nez aquilins avaient le droit d'humer Au cours du voyage Lorsque les blocs noirs furent largues Sans parachute Le silence compta des milliers de numeros 126 Qui se sont additionnés incessamment Et dont la somme égalait toujours Moins que rien Les blocs noirs maintenant Sont fissures, ébréchés, fendillés. effrités Quelle gächis! Réparer ce firmament! La peinture blanche est invisible Sur le chevalet blanc Le toit se tient mal Sur des murs sans fondation La maison s'effondre Pyramide perpétuelle de blocs blancs Blocs noirs largués en chute libre Sans parachute. Hamilton GAROUTE Hamilton Garoute, né á Jérémie (Haiti) le 12 janvier 1920. II y fit ses études classiques jusqu'au baccalauréat. En janvier 1939, il entra á 1'Académie Militaire d'Haiti et fut recu officier en juillet 1941. II passa la plus grande partie de sa carriěre en province. De son mariage avec Oderte Paret, il a eu deux fils: Robert et Hans. En 1945, Hamilton Garoute avait publié une plaquette de vers libres, Jets lucides, préfacée par son ami d'enfance et camarade de promotion Paul Laraque. Colonel et membre du Haut État-major des Forces Armées d'Haiti, il fut mis á la retraite en novembre 1960, au cours de la grěve des étudiants contre le gouvernement de Francois Duvalier. Arrété en 1963, il a été depuis lors porte disparu. Poěmes posthumes: Went de caverne et Locomotive. VENT DE CARVERNE Soirs bleus d'epousailles de lune et de Silence Ou je comptais pour mille Ou prodige de ferveur j'etais la synthese ou Suis-je simplement la synthese. Me voici marque d'une eternelle venance Stigmatise d'emois Mes yeux de chat. L'amour est source de miracles Est-ce miracle. Mes yeux ne font point decouverte Ma chauve-souris m'a dit des pas qui n'etaient pas tes pas Mon chien a flaire des chairs aucune ne fut ta chair Et les chiens de rire et les chiens Me jugerent et les chiens Me condamnerent et me clouerent au poteau d'execution Comme si la reine du ciel m'etait interdite Qui pendait pourtant a la l'oreille du palmier Comme si je n'avais plus droit a la nuit Comme si je ne pouvais plus attendre au bord de la nuit Les chiens firent feu sur moi Mais je renais du feu Je suis l'Ariel qui ne meurt pas L'amour est source de miracles J'ai reparu dans le chant du coq Et dans la premiere etoile du matin Je redresse mon drapeau de bataille sur le grain d'aube Et je reprends ma course portee par le vent Ah ce beau pays Ma course est pleine de mon pays Pour les cheveux d'or de la secheresse 128 L'huile du soleil dans la brosse du vent La terre a soif ou la savane s'interrompt de bceufs noirs, Ma course est riche, ma course d'aube ou de pitie Ma course a toutes les couleurs Elle sent le benjoin l'ambre et le jasmin et s'absente Dans la ronde des fleurs Ma course est pleine de chevelure d'emeraude De ma mere premiere pourquoi ces sursauts dans ma course toi tu es au centre de toutes choses Avec tes yeux de saisons Avec ta chevelure a peau d'anolis Avec ton corps de toutes les argiles Est-ce toi qui a mis ce chapeau d'azur a ma course Pour saluer la plaine fertile (Mais ce champ de Cannes qui engraisse ton usine toi ce champ sera demain le tapis vert de la table du juge Toi gros et gras ricanant dans la tour. Ce champ aura demain des vagues de reglements de comptes Et la vague brisera le roc) Ma course est pleine de rires sources dans la source Ou palpitent des corps d'ebene que leche L'ombre des palmes Ah que n'ai-je la chaude langue du soleil Sur ces mamelons de seize ans se mirant dans l'azur Mais je tourne je tourne c'est le vent qui tourne Et ton nom ressurgi dans la parole du vent Est source de clarte Sais-je seulement ton nom toi de tous les pays J'attends de te connaitre dans le miracle de l'eau Tu es belle comme un palmier de lune Ton sourire libere un vol de colombes Et je t'attends je hume ta venance Quand le pas de la nuit ronge la medaille du ciel II y a des pas de defaillent il y a des aubes qui renaissent Tu passes comme un defi plus vite que 1'eclair Et tu te nommes Inaccessible Mais prends garde regarde ma main blessee qui tentait de te prendre Qu'est-ce qu'une main blessee si le sang qui coule A connu l'emoi de ton regard Prend garde Les partes du chat noir tissaient du velours Sur ta chair endormie Douce comme ľeau calme ť en souviens-tu Eh bien dans ta chevelure de vent du nord Dans ton rire de raz-de-marée éparpillé ďétoiles Dans tes yeux de pierreries Dans ta fuite éperdument dérisoire C'est toute ma joie de chat qui éclate ce soir J'epouse la flaque qui ťa captée Et ce nuage qui ondule module me caresse (A moi de rire maintenant chiens mes fréres qui m'avez fusillé Aboyez criez hurlez) Ma main blessée cette main merne Arrose de cette eau tes pieds roses Ma siréne Tes pieds fatigues de courir Ma siréne Car le sang de la siréne C'est ton sang c'est mon sang Les vignes ďétoiles fleurissent déjá pour nous Nous tordrons le cou au bouc rebélie blane de la lune J'ai vu ľorgueil des pyramides Humilié dans la transcendance du point Comme je vois dans notre maison d'eau L'univers rassemblé et confondu en toi. (in Conjonction, no 194, avril 1992) NAUFRAGE Mon épave en errance Sans phare Nuit Mon dos est le tambour des baguettes du ciel Effarement Ma détresse sans perspective Absence d'horizon oil fumée comme serpent aérien Tout mon étre ä la merci des elements Ciel ciel Un brin d'azur Puisque je vais sombrer Mais toujours rimmense plomb Toujours l'immense nuage noir Personne á ma rescousse Et j'ai peur de toi Grand Dieu (in Conjonction, no 193, avril 1992) Claude GEORGES Claude Georges, nee a Port-au-Prince (Haiti) le 2 aout 1959. Elle dut, aneuf ans, interrompre ses etudes elementaires commencees dans cette ville pour les poursuivre a Montreal ou elle obtint une licence en sociologie de l'Universite du Quebec. Ä LA PRUNELLE DES TREVES Au ras des marées á 1'oubli funeste les dons versés á boucle au vent súr Ä la prunelle des tréves élevées elles étaient intensitě et confortables forme et passage au matin et l'endroit á ma memoire á ma memoire constellée á ma memoire vive des réjouissances á conspirer au seuil des trépas Depuis douce et au bord du désastre leňte comme on entend les épices aux miracles lacérés c'est le chaud au malheur et au sourire rodé de tourments. 132 REPOS MAL ACCELERE Avoir muri chants defaits et les veillees lacunes deposees lentement la guerison bien decue soir apres orage surprenant Du vieil ä l'encombre inquietant des cyclones qui lovaient mon repos pendant accelere les gouttes au devoir et une tournee humide des trombes s'agitant parfait Avoir dore au plein des trefonds des assemblages meme ä l'ennui des risques frenetiqi une unique approche evasee seule muette des poussees seule qui lovait longtemps mon repos mal accelere. Fayolle JEAN Fayolle Jean (pseudonyme de Jean Léonce Sansaricq JEAN), né aux Cayes (Haiti) le 17 juillet 1953. Comédien et metteur en scene, il a emigre au Québec en 1979. Animateur ďémissions de radio et de television, il a realise son premier telefilm long métrage, Tilom alétranjé, en 1989 et publia quatre recueils de poésie : Tenue de ville (1991), Complice des voyelles (2005), Aux Cayes Belle-de-jour (2009) etDits d'elles (2009). AUX CAYES AQUEUSES 6 mer dont les dimanches S'amourachaient d'ecumes et de rendez-vous J'etais la sur le vieux quai Le Saint Simon pour tout naufrage Blaspheme de vagues retrouvailles L'ambre du couchant tangue a fleur de ressac Lorsqu'il fallut par n'importe quel radeau n'importe quelle derive Revenir solliciter ma danse d'ombre Sur le dehanchement de l'eau J'eus gagne le roulis des negriers Des etoiles a vous en offrir Pour cette enfance pleinement aimee II y avait des billes des friandises des cerfs-volants des aquarelles D'ou je me surprends les souvenirs ligotes dans les carillons du mois d'aout A ravir au ciel sa poesie ma promise Puisqu'il nous arrivait de croire En ces temps benis A la folie du plus fou Sans chercher a savoir Combien de vertige convenait a la pluie Pour reprendre a son compte Le rire degouline des toits de tole Et La Ravine en crue II y avait aussi des poissons d'avril 134 Moi qui n'ai pu profiter Des redevances de la source Au Bassin Dorela Le recit de l'aimee anonne de perle d'eau M'est donne tel un legs des siecles Comme s'il fallait au besoin d'exister Arborer l'ancienne fraicheur des dentelles Agenouillee pudique sur la beaute Comme ainsi sur cette credence d'acajou En ces dimanches venus de pluie ou de soleil Dans un pot tenu de porcelaine et de promesses Ma mere deposa des lauriers roses A la surprise des merles et des matins Les chemins du lendemain ne se lassent de nous surprendre Mon enfance et moi bras dessus bras dessous (Aux Cayes Belle-de-Jour) LES VELOS DES CAYES Qu'imports les vceux a tu et a toi Pour tisser la promenade a la renaissance des vents Les velos de ma ville Deboutonnent des matins un secret a la fois Dans la phrase sur 1'asphalts S'exaltant d'exaucer la ponctuation des distances Et des chemins de terre Je nous reviens toujours tricote de merveilleux Car j'aurais vu se reveiller Aux Cayes Belle-de-Jour Dans l'odeur du cafe savourer l'embellie Quand s'ouvrent les portes un battant sur le temps La collegienne marmaille cascadee de couleur Convaincue du trait d'union des gibecieres De se ranger altiere Et de toujours chanter en chceur Pour le pays mourir est beau Quel drame en cet hymne lui est du Avant que deja nos midis se denudent Les velos des Cayes au congediement des detours Vous diront le parcours des flirts qu'a eux deux Voyageurs blottis entre selle et guidon S'obstinent a cherir Tantot sous la pluie d'ardents baisers Tantot vers les rives de l'llet De paroles cueillies des cieux Sans omettre de redire La ville est une femme pleine de grace Toi qui l'auras vue vivre l'exode en la rose tremiere Quel bonheur lui survivra Les velos de Cayes se gardent de vous montrer la route Que nul n'ose douter de leur plaisir De vous y conduire (Ibid) Saint-John KAUSS Saint-John Kauss (John NELSON, dit), ne en Haiti, y a publie son premier recueil, Chants d'homme pour les nuits d'ombre, en 1979, aux Editions Choucoune, ou paraissaient les jeunes auteurs de l'epoque. Journaliste a partir des annees 80, il est co-fondateur du mouvement litteraire Le Surplurealisme. Enseignant et chercheur, poete et critique litteraire. De sa vie et du reel absolu, Saint-John Kauss tire ses ecrits : Chants d'homme pour les nuits d'ombre (1979), Autopsie du jour (1979), Ombres du Quercy (1981), Pages fragiles (1991), Testamentaire (1993), Territoires (1995), Territoire de I'enfance (1996), Ecrivain en residence (2004, en collaboration), Paroles d'homme librc (2005), Le manuscrit du degel (2006), Hautes feuilles (2007), Poemes exemplaires (2007), L'Archidoxepoetique (2008), Eloge de VInterlocuteur (2011), publies, entre autres, chez Humanitas (Montreal) et chez Joseph Ouaknine (France). Son ceuvre considerable et inachevee, lui a valu plusieurs distinctions et prix litteraires. II est membre correspondant de l'Academie Europeenne des Sciences, des Arts et des Lettres. Cette ceuvre fait actuellement l'objet d'etudes a Port-au-Prince (Haiti), a Montreal, a Paris, a Bucarest (Roumanie), au Luxembourg, au Mexique, en Italie, en Belgique et aux Etats-Unis (Vermont). II est traduit en plusieurs langues. LIEU DE MA NAISANCE (fragment) a Claudel et a Clarel « Je hais I 'oppression d 'une haine profonde.» (Victor Hugo) une larme entre deux fleurs sauvages deshabillant les orages / la moisson des terres cultivees la passion des mains appliquees au champ de Cannes juste une larme entre deux fleuves Artibonite et le Guayamuco simples traces d'esclaves au temps beni des colonies j'aime cette terre pour la fringale et les friandises d'enfant partagees a la soignee de nos membres j'aime cette terre pour son nom inscrit sur la pierre balafree des liberies j'aime cette terre pour l'odeur du petit-mil de la moisson esperee 137 j'aime cette terre pour les plages le sable l'eau des aimes au solstice de nos etreintes j'aime cette terre pour les libellules et les chrysanthemes a l'etrave de nos enfances j'aime cette terre pour les fleuves les sources les montagnes attentives a nos amours j'aime cette terre pour les effluves les embouchures envisagees a la croisee des chemins j'aime cette terre pour le tambour et les hounsis qui dansent au faite du plaisir j'aime cette terre pour le sel ceint de la mer et de nos songes pour les matins apprivoises les papillons de la Saint-Jean les cerfs-volants des caremes l'oree inattendue des desseins et des douleurs pour le sourire denoue de la ville sans creneaux j'aime cette terre pour les mots des poetes sur des pages endormies j'aime cette terre pour le passage des ecoliers desabuses avant l'entree j'aime cette terre pour les demoiselles aux sourires a demi-effaces j'aime cette terre surtout quand on joue aux osselets avec l'espoir de rattraper le temps et les auvents j'aime cette terre que ni la mer a l'arrivee des colons en sanglots ni la terre chaude masquee d'indigo ni l'oiseau-mouche inscrit au dos de la becasse ni la poussiere ni le sable ni les apatrides ni le soleil en bandouliere ni la douloureuse delivrance de la femme qui meurt dans ses eaux et dans l'enfance ni les echos de la misere ni la seve brute des memoires ne sauront arracher au cceur raeme des coquillages (...) 138 POÉME DU GRAND NORD (fragment) á Gérard V. Étienne «11 n 'est au monde qu 'une seule aventure : la marche vers soi-meme, en direction du dedans, oil I 'espace et le temps et les actes per dent toute leur importance.» (Henry Miller) jusqu'au jaillissement de la derniere goutte d'homme a chevaucher le long des rives sans amarres jusqu'a l'accomplissement de mes desesperances sans succes ce sont des mots que je voudrais entendre dire des mots de tous les continents a epeler doucement par la bouche et la salive des hommes des mots qu'on ne prononce que le matin d'anniversaire des mots de jeunes filles adoucis dans les levres des mots enfermes dans l'abondance des recoltes des mots aux reves les plus anciens des mots provoques par la permanence des fleurs et des ilotes des mots a la mesure des empreintes et des tendresses des mots pour que je me souvienne sans chercher des mots de ville de filles elancees de la moisson a venir des mots pour ainsi dire que je repeterai les mains ouvertes ce sont des mots que j'aimerais aussi apprendre a dire des mots de l'omoplate fatigue de tajoie des mots aussi rares que le soleil apres la neige des mots grades avant meme la sentence des mots que Ton se dit a vingt ans des mots de haute cheminee au-dela de tes yeux des mots d'un enfant orphelin egare dans le deuil des mots qu'on ne prononce qu'a la premiere douleur qu'a chaque battement de cceur d'un ultime honneur soit la migration des monarques et ses sujettes a plein la vue / la lune qui prolonge les amours / les mots au festival des tulipes ce sont des mots qui nous forcent a ecrire dans la passoire des syllabes et des voyelles entremetteuses jusqu'a la deraison 139 ce sont des mots si fragiles au large de nos bras des mots a chaque etape de mon adolescence des mots de cceur qui m'apportaient source de l'amitie ces mots ce sont les mots a chaque fois que tu es belle ma femme toujours plus belle a chaque grossesse rapide (...) des mots toujours des mots a ne pas dire dans ce pays ou se surveillent les fantomes / ou veillent les poetes de province dans tout leur mecontentement des mots que Ton se dit a vingt et un ans des mots uses sur ta joue noire des mots captifs de la main d'un enfant des mots noyes a chaque fois que tu t'interroges sur le pavot de ma conscience des mots indechiffrables a peine debarques des limons des mots de privation sans appartenance aux neuvaines et aux prieres de misaine des mots sans carte de navigation pour aller en haute mer des mots qu'on ne prononce que le dimanche de carnaval et dans les iles et voila que j'aimerais fixer l'eau de ton exil eclate comme un naufrage au fond du golfe de ses penitences afin de regarder les fleurs sur la route d'ou je suis ne villages sans racine et villes sans histoires depuis le temps de la quete inachevee des crucifies et salamandres de premiere main mais regarde avec elegance cette douleur desamorcee ce gemissement de ma geographie cette nomenclature de circonstance laissee derriere toi et tous ces mots evanouis dans la melee comme l'iguane desordonnee regarde ce qui fait la difference entre mes conquetes et les consequences a ma liberie regarde les mots ces mots de femmes de premiere vigile mots d'enfants effrayes et qui ont faim mots de putes a rabais et sans joie les mots de tous les jours de ma jeunesse dans les rues ces mots qui ne reviennent guere aux fetes de l'enfance... 140 PISTES a mon pere «Poete troubleur, au cceur exultant: C 'est un chant plus fier que chacun attend! ... » (Luc Grimard) par l'aine de tes yeux — domaine de l'eclair au cru d'une seule langue / alphabet qui redonne corps a 1'innocence jusqu'au faite de la primale tendresse et sans bornes de l'hirondelle nee d'elle-meme jusqu'aux points d'appui de 1'athlete et á la limite des hoquets de vers du poete déchiffrant 1'écriture d'un condamné á recopier les plus belles lettres du phoneme je m'acquitte de tous les fůts de la savaně - dans le brut d'etre de l'inconnu du chant que 1'on se dicte d'une main palmes de mots drus vers le seuil du poěme et je te reconnais — aveugle des mots de passe apprivoisés dans la folie des feuilles et glyphes des dieux et des hommes en fiěvres jusqu'au silence de la chair herbe folie au bond de 1'orignal á plat ventre sur le mát des vergers vasque aux cailloux de l'aieul dans l'infrangible espoir d'etre deux pour la renommer plaies / plaisirs en fraude de 1'abeille par embardées de fleurs dans les hardes du poete houlements de forges allongées autour de 1'archet fétes brutes des dieux dans un caillot de feu au plus pres de 1'exil 1'amulette / les rites / le dieu de la féte congestionnée entre les grimoires et le chiffre nu de 1'or / son poids / son interdit dans les scellés de papiers peints en guet / en guerre contre le chant de mon amour pour le projet de 141 l'arbre divin dans la melee des serres puits d'etoiles dans les versets / les tres jeunes sigles des deux mains mottons d'etincelles affranchies sous chaque forme de syllabes glaive et gloire de vertige aux sueurs de la larve handicapee dans la grotte du feminin contre son gre anses a tatons entre les deux epaules - nuque et reins de la femme du poete qui s'arque dans le maquis de son corps / piste des idoles au plus large de la mer ne d'immortelles molecules rut de la chair ancestrale sollicitee dans l'atoll des grandes eaux en esquif d'une belle cicatrice — je deraisonne tambour des cinq pennes qui murmure le chant de l'Ancetre par touffes sures / ramees de mots parle du cassis et gui dans la langue de l'octave au profit du plus jeune matin d'octobre dit des mains de ma premiere fille et dans Tangle de sa peau par fils et filles du soldat dechire entre l'ergot et le pavot epelle le nom de la derniere nee du poete par grappes de lettres lacheesjusqu'aux etoiles et cette autre griffee de l'enfance en incamats d'echos prolonges sur tous textes anonymes plaie / plaisir de rebondir jusqu'aux brouillons des pieges d'oiseaux ...... jusqu'au bout des echos de l'amande amere / de la fable et de la femme bipolaire dans l'aire et dans le vent Montreal, 21 mai 2004 142 RECUEILLEMENTS á ma mere « Les oiseaux ignorants poursuivent leur chemin et nous, tres humblement, le poursuivrons aussi, la neige de I 'hiver blanchira nos cheveux et la rafale glacee blessera nos tempes. » (Pablo Neruda, Cahiers de Temuco) ossature d'Eve pardonnée par la chair ó ma sultáne aux épaules larges de réves ďinstables poěmes ou pose ma mere acrobate de l'ile mere ďenfance cherchant bougainvillées et roses sans épines pour ses enfants terrassés des bouges tout amant mon pere aimant du corps humain demoiselles et jolis cous maniant l'arnaque et le baratinage des désirs l'acte osé d'Eros et la recondite des thuyas ma mere femme ďune méme lettre et d'un seul homme aux affres de 1'ancétre bouteille á la mer auprěs des barricades d'aimer sans se soucier de l'aveugle qui braille dans les arcanes de l'abeille mais réves de reptile et serpenteau mobiles passagers ďune rousse divinité sans bomes mere tu fus 1'alizé de l'avenir la pluie chaude de mes étés de ťaimer nasse de mes nuits au nord des scribes de l'enarque je me revois enfant maquillant les ménarches et je nous revois á vau-l'eau tranquilles dans nos sorties d'opale sans mon pere préoccupé au gré des aires de combat je nous revois dans la cour des grands aux somptueuses fétes des orchidées mais ďoú vient 1'amour ďun prince sans peur pour la Reine-měre sa reine des quatre chemins et de tous oceans qui měnent au bout de 1'aventure ďoú vient le chant qui ne sera pas d'accord avec le rut des pierres mais un chant d'accord pour les petits et les coquelicots quelques minutes de réconfort en přivé dans un délai apprivoisé á mon égard ó měre de joaillier des mots..............térébinthe d'une rose sans rets ni épines 143 qui ne reve pas de retrouver ses feux follets d'enfance de retracer dans la melasse en feu les veves des jours pinces d'amitie qui n'en reve pas qui ne dors pas j'ai connu l'exil enfant d'un homme errant sans equivoque enfant d'un pere poete avant Vilaire mais qui aimait trop l'ubac et la mer j'ai ecoute des fleurs geantes de ce pays grands dons au bond massif des recoltes communistes de cceur pour les changements a venir eternels etudiants saluant les pages pleines et les avenues princieres ecrivains et poetes pilonnant les nuits et les mefaits de 1'ombre breve 6 mere la chute soumise a notre premiere defaite mais prolongee depuis le depart de mon pere eternel predateur des feminins coeurs homme d'elocution et d'affrontement depuis la rentree des cigognes et dire que tu es la aujourd'hui 6 mere en sursauts de souhaits pour tes enfants a demi-endormis dans les phonemes et dire qu'il est ecrit que le poeme ton poeme comme une alerte revient a la douleur mais s'il aurait fallu que Tangle de ton ombre traverse l'etale presence du vide ce vide de la memoire de 1'homme aime nommant 1'amour et la victoire ou il passe 1'eclair de ses paroles aimantes redites a 1'imposture des pierres de vertige oui nous avons franchi mere l'aire requise faufile entre les doigts du temps et du mensonge nous avons sans doute en chacun de nous le vers d'immensite qui unit le cceur epuise Sainte-Therese (Quebec), 08 octobre 2008 144 Gary KLANG Gary Klang, ne en Haiti, est docteur es lettres (Sorbonne) avec une these sur Proust. Auteur de nombreux recueils de poemes, de romans, de nouvelles, d'essais et d'un conte, il a aussi fait jouer une piece de theatre ä la television, ä Montreal. II est membre de plusieurs associations (Union des ecrivains quebecois-UNEQ, Association des ecrivains de langue francaise-ADELF, Societe des Ecrivains Canadiens-SEC, Pen Club International). II est aussi membre correspondant de l'Academie Europeenne des Sciences, des Arts et des Lettres. Aimant les festivites et colloques, il a participe ä plusieurs festivals litteraires (Mali, Trois-Rivieres, Mexique, Benin et Haiti). Gary Klang a publie plus d'une dizaine d'ouvrages et recemment un roman, Un homme seul est toujours en mauvaise compagnie, ainsi que deux recueils de poesie, // est grand temps de rallumer les etoiles, et Toute terre est prison, aux editions Memoire d'Encrier, ä Montreal. II a egalement participe ä de nombreuses anthologies en France, au Quebec, en Haiti, au Luxembourg, en Belgique et en Espagne. IL EST GRAND TEMPS DE RALLUMER LES ETOILES (a Guillaume Apollinaire) II est grand temps de rallumer les etoiles Je prends ce vers a celui qui Sans rime Et sans facon Chanta le pont de Seine Et le nouveau Pour dire Ce qu'autrefonds Git par ces temps De mort Et de deconfiture Ces heures de haine Et d'amertume Ou Ton ne sait a quel saint se vouer Quel Dieu prier Puisque tout parait vide Et que les etres Ont perdu sens Et l'equilibre 145 Les petits hommes eteignent les flambeaux Et font de 1'ombre sur la terre II est grand temps Grand temps Vous dis-je De rallumer les etoiles MADRID Au pays du grand maitre qui defit les visages Et de Tours blanc plus grand que tous les autres Dans ce pays des jeux de mort Ou nous voyions l'homme a la cape defier la bete mythique Nous avions des nuits fauves et des joies Ou Famine seule avait son mot a dire C'etait le temps d'avant Celui ou la fissure ne percait pas Cachee par l'enthousiasme d'une jeunesse faite de rire et de poemes Nous ecoutions alors Garcia Lorca et Machado Son las cinco de la tarde C'etait l'heure ou le toreador rendait l'ame dans l'arene de Madrid L'heure des bars et des flamencos Je me souviens d'une fille rencontree par hasard Avec qui nous marchames dans Madrid jusqu'a l'aube Malgre celui qui citait Cervantes du haut de son balcon Et les serenos qui repondaient tres vite a l'appel de nos mains C'etait l'heure des soupers sans fin Et des promenades sur la Gran Via jusqu'au petit matin Nous relisions Hemingway et Lorca Son las cinco de la tarde LE TEMPS DU VIDE Plus rien Qu'un vide Sans accord et sans phrase Ce vide Ou le poete perd la parole Et Ton se dit Que peut-etre II n'y a plus de rythme Plus que cette quete du rien La recherche d'un ailleurs Desir fou de revoir ce qui Sans doute Pourrait revenir On attend l'etincelle Une lueur Mais l'echo ne renvoie que l'angoisse La peur de ne plus dire Le chant Qu'hier encore coulait sans heurt Meme la colere 6 muse A fait faux bond Comme ce fut naguere en grand moment d'absurde Et aujourd'hui Ou regne le rien L'on assiste A une piece ecrite dans une langue autre L'histoire folle D'un pays Ou les hommes Ne parlent plus meme langage LE POETE Tu nous leguas le Verbe a la demesure de l'etoile Empruntant les chemins d'illusion Histoire d'apprendre le maniement du feu Si loin des jeux de mort Mais c'etait l'ere des reves Ou le bas volait vers les hauteurs Tu vins sans illusions Decu par un echange qui n'apportait plus rien Et un jour Dans la paleur de la ville triste Je dus forcer pour que tu cedes Puis ce fut lors le grand pays des neiges Et toi Emmure dans un songe que nul ne peut comprendre Lisant la nuit Peignant le jour Projetant tes fantasmes Dans un soleil obscur Je te salue ö Poete laissé seul au hasard de lui-méme Nul n'a compris le grand drame qui se joue Mais tes mots demeureront á la démesure de 1'étoile LES FANTOMES DE GOYA N'aimant pas l'ecole II revait aux etoiles Et lisait Autant en empörte le vent Faulkner et le vieux Sud Toutes ces maisons ä colonnades qu'il aimait tant 148 Malgre les ombres d'infortune Comme celles qu'il avait sous les yeux Esclaves libres de leur temps Pas differents de ceux que Ton pendait Sous une grande croix en flammes Tous les chemins menent a la croix II se perdait dans le Sud qui brulait Ayant joue au malade imaginaire Afin de fuir l'ecole qu'il haissait Comme ces croix que Ton incendiait Par haine de la couleur L'eternelle haine de l'homme pour l'homme Mais quand l'esclave se libere II devient oppresseur II fait comme ceux du Sud profond Et brule toutes les croix qu'il rencontre Amour de l'homme pour le feu Goya 1'Inquisition Les fantomes de Goya Torquemada et Bernard Gui Toujours presents Car l'homme desire le mal Et quand il oublie la couleur Tout pretexte lui est bon pour refaire l'lnquisition La haine n'est jamais morte dans un cceur d'homme Amour de l'homme pour le bucher Son cceur est une flamme qui brule Et que la haine alimente Ne me dites surtout pas que l'Histoire a une fin L'Histoire est une quete sans fin du Mal Et de l'humiliation Le Sud profond avec ses croix qui brulent Symbole de ce que l'homme a fait de la croix du Crucifie Devenue croix de haine Toujours l'esclave d'hier Deviendra l'oppresseur de demain 149 Rassoul LABUCHIN Rassoul Labuchin, né le 30 mars 1939 á Port-au-Prince (Haiti). De son vrai nom Joseph Yves Medard, Rassoul Labuchin ou Boby Medard est tout á la fois professeur de francais, comédien, metteur en scene, poete, dramaturge, réalisateur, militant syndicaliste et ancien maire de Port-au-Prince. II est aussi l'auteur du livret du tout premier opera en langue Creole, Mariaj Lenglensou, inspire des Noces de sang de Federico Garcia Lorca et de l'histoire récente d'Haiti. Rassoul Labuchin s'engage en resistance contre la dictature de Francois Duvalier aux cótés de Jacques Stephen Alexis. II sera emprisonné et torture, méme aprěs la prise de pouvoir du general Prosper Avril en 1988. Une petition circula réclamant sa liberation, signée entre autres pa Sophie Marceau qui venait de partager l'ecran avec lui dans le film de Francis Girod, Descente aux enfers (1986, 88'). II atravaillé comme acteur dans Gouverneurs de la rosée realise par Maurice Faillevic en 1974 ; comme scénáristé et traducteur créole dans Map pale net de Raphael Stines. Comme réalisateur, il est l'auteui d'Anita (1982, 45'), un moyen métrage considéré comme l'un des films qui a ouvert la voie au cinema haitien. Rassoul Labuchin, poete, apublié plusieurs recueils de poesie dont Trois colliers maldioc (1962) et Compere suivi áeDégui (1968). Son dernier roman, Lesyeuxde I'aube, est encore inedit. II se consacre aujourd'hui entiěrement á 1'écriture. DU SOLEIL DANS MES RÉVES J'etais en train de faire un petit somme, qui m'a transports sur les ailes du reve, quand soudain je me vis entoure de nuages qui s'en allaient et s'en venaient au rythme d'une melodie sans nom. Je n'arrivals plus a me rendre compte si je traversais un vaste champ de songe lumineux ou si je meditais dans la grotte la plus prestigieuse de toute la presqu'ile du Sud qui se dresse comme un Gourou dans le temple de la majestueuse Grand'Anse aux mille facettes mystiques. Au carrefour de la pluie et du beau temps, des porteurs de torches, feux verts dans ma nuit, eclairaient les faces cachees de mes lunes endeuillees. Des nuages, qui m'environnaient, s'eloignaient de moi et se convertissaient en une veritable parade des jours de grande fete de la paix. 150 Dans l'espace de cillement, j'apercus dans la voute celeste; des tétins roses; dorés; couleur chair, de sucre brulé. Les écumes du jour habillées en robe de soie, tout blanc, se mettaient á danser comme dans les noces ďamour des algues avec les ondes frémissantes des oceans. Le soleil avancait á petits pas vers l'horizon. II n'etait pas encore cinq heures de l'apres-midi. Le ciel avait change de couleur. II devenait d'un rouge orange, tout pareil á la chair veloutée d'un abricot bien můr. D'un coup, les portes des maisons commencěrent á secouer; on dirait le train McDonald qui déraille. Je ne m'en étais rendu compte. J'observais plutót l'image d'une belle femme qui se détachait en ralenti d'un coin du ciel pour s'amener vers moi. Une fois sur la terre ferme, elle s'approchait tout pres de mon hamac pour me dire tout bas qu'elle s'appelle Z'Etrenne, la femme de mes réves. Ses longs cils sont des filaments de diamant que Ton devine dans la couronne de la Sirěne. Quand á l'odeur des aisselles de cette femme de réve, c'est un parfum d'amour, chérie-parlez-moi-d'-ca. L'Etrenne m'enveloppait. Le séisme redoublait ďallure. Elle s'agitait sans prendre souffle. Goudou-goudou bruissait en émettant des sons inquiétants. Elle me pressait fort contre sa poitrine. 151 Les secousses de la terre me renversaient sur le sol de ma choucounette. Elle se fondait a moi et explorait delicatement, avec ses doigts magiques, tous les espaces de mon corps. D'une allure plus lente, le sinistre s'annoncait moins violent. Elle goutait le sel de ma substance charnelle avant de commencer a m'absorber en douceur, comme une premiere communiante qui prend religieusement l'hostie du Seigneur un jour de messe solennelle. Les oscillations s'amenuisaient. Je sentais que je devenais pour elle une degustation de calalou-gombo qu'elle avalait par petites gorgees. Les bruissements allaient en decrescendo. Le plaisir que Z'Etrenne donnait a ma chair faible me fit frissonner de bonheur. Les secousses de la terre se sont arretees net. Je suppliais Z'Etrenne de rester toujours et encore collee a moi, mais la femme de mon reve s'etait evaporee, muee en fumee de chandelle. C'etait pour la premiere fois, de ma plus tendre enfance a ce soir-la, que j'ai vu du Soleil dans mes reves. 152 Dany LAFERRIĚRE Dany Laferriěre (né Windsor Klébert LAFERRIĚRE), poete haítien et romancier célěbre, vit á Montreal. A publié pres ďune vingtaine de romans dont L 'énigme du retour, Prix Médicis, 2009. CREVER DANS UN TABLEAU PRIMITIF J'aime bien grimper sur la montagne, tot le matin, pour voir de pres ces luxueuses villas si eloignees l'une de l'autre. Pas ame qui vive dans les environs. Pas de bruit, sauf celui du vent dans les feuilles. Dans une ville aussi populeuse c'est l'espace dont vous disposez pour vivre qui vous definit. Je decouvris au hasard de mes promenades que ces vastes domaines ne sont habites que par des domestiques. Les proprietaries resident a New York, Berlin, Paris, Milan ou raeme Tokyo. Comme du temps de l'esclavage ou les vrais maitres de Saint-Domingue vivaient a Bordeaux, Nantes, La Rochelle ou Paris. lis ont construit ces maisons en esperant que leurs enfants qui etudient a l'etranger reviennent prendre en main les affaires familiales. Comme ces demiers refusent de retoumer dans ce pays plonge dans les tenebres, ce sont les parents qui se rapprochent d'eux en allant s'installer dans ces metropoles ou on trouve un musee, un restaurant, une librairie ou un theatre a chaque coin de rue. L'argent ramasse dans la boue de Port-au-Prince se depense chez Bocuse ou a la Scala. Les villas sont finalement louees a prix d'or a des cadres de ces organismes internationaux a but non lucratif pourtant charges de sortir le pays de la misere et de la surpopulation. Ces envoyes des organismes humanitaires arrivent a Port-au-Prince toujours pleins de bonnes intentions. Des missionnaires laiques qui vous regardent droit dans les yeux tout en vous debitant leur programme de charite chretienne. lis se repandent dans les medias a propos des changements qu'ils comptent apporter pour soulager la misere des pauvres gens. Le temps de faire un petit tour des bidonvilles et des ministeres pour prendre le pouls de la situation. lis comprennent si vite les regies du jeu (se faire servir par une nuee de domestiques et glisser dans sa grande poche une partie du budget alloue au projet qu'ils pilotent) qu'on se demande s'ils n'ont pas 9a dans le sang - un atavisme de colon. Leur parade quand ils sont mis en face du projet initial c'est qu'Haiti semble inapte au changement. Pourtant ils continuent dans la presse internationale a denoncer la corruption dans ce pays. Tous les journalistes de passage savent bien qu'il faut passer prendre un verre pres de leur piscine pour avoir cette information solide venant de gens objectifs et honnetes - les Haiti ens, on le sait, ne sont pas fiables. Ces journalistes ne se demandent jamais 153 comment se fait-il que ces gens vivent dans de telles villas quand ils se disent ici pour aider les damnes de la terre a s'en sortir. Si Haiti a connu trente-deux coups d'Etat dans son histoire c'est parce qu'on a tente de changer les choses au moins trente-deux fois. On semble plutot interesse par les militaires qui font les coups d'Etat que par les citoyens qui renversent ces memes militaires. La resistance silencieuse et invisible. II y a un equilibre dans ce pays qui tient au fait que des inconnus dans l'ombre font tout ce qu'ils peuvent pour retarder la nuit. Quand il y a une panne d'electricite c'est avec l'energie des corps erotises qu'on eclaire les maisons. L'unique carburant que ce pays possede en quantite industrielle qui soit capable en raeme temps de faire grimper la courbe demographique. Quand on debarque dans cette ville, situee au bord d'une mer turquoise et entouree de montagnes bleues, on se demande combien de temps cela prendra pour tourner au cauchemar. En attendant il faut vivre avec l'energie de celui qui attend la fin du monde. C'est ce que m'a dit un jeune ingenieur allemand qui travaille, depuis dix ans, dans la refection des routes nationales. Nous prenons un verre au bar de l'hotel Montana. Quand est-ce que vous avez compris que l'enfer que nous venons d'evoquer n'est pas pour vous ? II m'a longuement regarde. C'est mon pere, venu passer les fetes de fin d'annee avec moi, qui me l'a fait savoir. Mon pere est un ancien militaire. C'est son metier de regarder les choses en face et de dire ce qu'il en pense crument. Que vous a-t-il dit ? Qu'on etait tous des salauds a vivre dans cet hotel luxueux et bien protege tout en se faisant croire qu'on menait une vie dangereuse et difficile. Et apres ? je suis encore la dix ans plus tard. Mais au moins je ne me raconte plus d'histoire. On se sert meme du cynisme pour ne pas crever de honte. C'est le quartier general des journalistes etrangers. Un hotel haut perche qui permet de savoir ce qui se cuisine en bas dans la chaudiěre de Port-au-Prince sans étre oblige de se déplacer. Pour les details on n'a qu'á écouter la radio locale. Le bar est assez pourvu pour tenir un mois de siěge. J'observe depuis un moment ce cameraman au bout du comptoir. Son bras légěrement posé sur 1'appareil. Je m'approche de son coin car j'aime bien les gens dont le metier est de regarder. Mais je ne vois rien, me fait-il. Je ne vois que ce que je suis en train de filmer. Je regarde dans un couloir trěs étroit. Les gens sont incroyables ici. lis participent á tout avec un tel enthousiasme. J'ai visité beaucoup de pays avec ce metier, mais c'est la premiere fois que je vois 9a. Tu demandes á quelqu'un dont la famille a été tuée de refaire la scene, et il rejoue tout devant toi en prenant soin de bien faire. L'assassin aussi, tu n'as qu'a demander et il te fait l'assassin. C'est un plaisir de travailler ici. Partout on vous demande de l'argent, mais pas ici. Bon, des camarades m'ont dit que les marchandes exigent parfois d'etre payees pour se faire photographier, mais c'est quand elles vous trouvent antipathiques. C'est la faute á ces photographes qui ne savent pas s'y prendre. lis précipitent les choses. II ne faut surtout pas bousculer les gens, ici. lis ont leur dignitě. lis sentent tout de suite si on les respecte, et quand ils ont l'impression qu'on se moque d'eux alors láje peux te dire que tu cours un grave danger, sinon c'est vraiment sympa. Et puis ce decor est magnifique, pas trop vert pour ne pas faire carte postale, tout est bien, je n'ai pas á me plaindre. Excusez-moi c'est votre pays et je parle comme 9a, je ne suis pas insensible á ce qui arrive, je vois la misěre et tout mais la je parle en professionnel, c'est comme 9a pour tous les metiers, si vous entendez ce que disent les chirurgiens quand ils vous opěrent, ils m'ont ouvert le ventre trois fois, et curieusement de les entendre parler de ce qu'ils ont mange la veille pendant qu'ils me tailladent 9a me rassure car je sais qu'ils le font pour se décontracter. je ne veux pas insinuer que ces gens sont insensibles á leur propre malheur, c'est simplement qu'ils aiment jouer, ce sont des comédiens-nes, alors que fait un comédien quand la camera s'allume ? II joue. Les gosses, surtout les gosses, et ils sont ďun naturel. Et dans un tel décor. On a l'impression que rien n'est vrai ici. J'entends les grosses huiles parler, je couvre des conferences de presse au palais, des receptions dans les ambassades, mais je peux dire, si vous me permettez, que la seule chose qui pourrait sortir ce pays de sa situation de misěre c'est le cinéma. Si les Américains laissaient tomber Los Angeles et qu'ils viennent toumer un max de blockbusters ici et que le gouvemement haitien soit assez malin pour exiger un quota, je dis bien un quota, de comédiens haitiens sur chaque tournage, eh bien dans moins de vingt ans, on verra ce pays sortir de la misěre, et ce sera de l'argent honnétement gagné car ce sont de fabuleux comédiens. Et le décor aussi, c'est trěs colore, trěs trěs vivant. Je n'aurais jamais cru qu'on puisse crever dans un tel paysage. (L 'énigme du retour) Michaele LAFONTANT Michaele Lafontant (pseudonyme: Marguerite Deschamps), née en 1949 á Port-au-Prince (Haiti). Études de lettres á l'École Normále Supérieure de sa ville natale. Děs sa quinziéme année, elle est entrée dans le monde de ľécriture en publiant son premier recueil de poémes, Brumes de printemps (1964). Suivirent d'autres publications telies que Pour que renaisse ma Quisqueya (1967), Le fwus (nouvelle poétique, en collaboration avec Rassoul Labuchin ou Yves Médard, 1971), Désert étoilé (1993) qui remporta en 1995 le Prix Caraibes décerné par l'Association des Écrivains de langue francaise (AELF), Etoiles ďivresse (1993), Chants ďamour et de sagesse (2001), et des essais littéraires et cinématographiques. Elle fut conseiller culturel á l'Ambassade de la république d'Haiti en France. LE PLUS BEL ENFANT DE LA TERRE Le plus bel enfant de la terre Sera le fruit de notre Amour Le plus bel enfant de la terre Portera ton nom et le mien Ses yeux seront couleur de pluie Sa peau couleur de Liberie Sa voix sera couleur de lune Son haleine senteur d'arc-en-ciel Le plus bel enfant de la terre Saura parler toutes les langues Des lieux ou ton peuple a souffert Des lieux ou le mien trime encore Et il aura cristallise Tout le passe dans son sourire Le plus bel enfant de la terre Chantera des hommes les louanges Le premier cri qu'il poussera Sera le mot fraternite 156 Pour que desormais l'ostracisme Ne soit plus qu'un vieux souvenir Le plus bel enfant de la terre Attend dans les nuages l'heure Ou tu me prendras dans tes bras Ou tous deux nous ne ferons qu'un Combien de temps, combien de siecles Le feras-tu attendre. ce bel enfant d'Amour? (Chants d'amour et de sagesse) J'AIMERAIS... J'aimerais te guerir De toutes tes blessures... J'aimerais effacer Jusqu'a leur souvenir Et te faire decouvrir Que les joies de 1'Amour Existent quelquefois, Cette fois qui est notre Sans ronce et sans epine. J'aurais voulu t'offrir L'ardeur de mes vingt ans... Mais qu'importe vraiment Le lourd fardeau des ans Puisque malgre la course Echevelee du temps Je garderai toujours La grace de l'enthousiasme, De l'emerveillement... Tu pourras done toujours Par un simple sourire Me conduire ravie Vers des paradis bleus. Un mot, un geste, un rien Me transportera d'aise Comme un simple regard Empreint d'indifference Me donnera tristesse. (Ibid) CONTRASTE Tu dis: mes yeux sont ta lumiere Mais tu t'abrites derriere un mur Inaccessible a mes regards... Tu dis: mon rire peuple tes reves Mais tu habites dans un palais Ou ces reves sont interdits... Tu dis: mon image te hante Mais tu choisis refuge Dans un royaume Ou je n'ai pas droit de cite... Amoureux de l'aube Tu restes captif des abimes... Toi qui dis aimer le printemps Tu restes enferme dans l'hiver... Moi, fille du Soleil, Je revendique pour notre amour Un espace de liberte Dans la clarte du jour Et la splendeur du printemps. (Ibid) Jean-Richard LAFOREST Jean-Richard Laforest, petit-fils d'Edmond Laforest, ne ä Jeremie (Haiti) le 6 aoüt 1940. Ä dix-neuf ans, il visite l'Union Sovietique. Entre 1960 et 1962, il profite de son sejour ä l'etranger pour faire des etudes de Droit International. II rentre au pays et rencontre les poetes d'Haiti Litteraire et se joint ä leur groupe. II laisse de nouveau Haiti en 1966 pour s'installer au Quebec. Poete discret, il a publie ä Port-au-Prince Insoupgonne (1960) et, en 1978 aux Editions Nouvelle Optique, un surprenant recueil de poesie intitule Le divan des alternances. Son dernier ouvrage, Poemes de la Terre penible, a paru en 1998 aux Editions CIDIHCA, ä Montreal. Quelques-uns de ses poemes sont traduits en russe et en espagnol. Parmi ses ceuvres inedites : Le proprietaire de la Maison - aux oiseaux. Jean-Richard Laforest est decede ä Montreal le mardi 7 decembre 2010. PRESENCE DE L'ABSENCE pour Gerald Brisson vivant Le vent nous emportait tous. Et de l'espace il ne restait maintenant que ces sceaux emplis d'effroi. L'orage s'eteignait dans les glaieuls. Mais son passage rougissait encore les lampes des mansardes. Soudain je vis les racines de son ombre. Alors j'apercus son visage porte dans les mains dujour. Et le jour avancait Illuminant sa tete contre son sein. Ainsi, je me souviens, (dans la grace et 1'affliction) de ses levres que cousaient la terreur et le courage, 159 la férocité et le sourire. ... Le soleil claquait ses pieds frais sur les chaumes du souvenir. REINE De la maniere qu'elles vinrent, celieš qui vinrent, et de partout, balancant leurs beaux bras blancs et en tournant leurs cheveux noirs. De ľallongement de leurs corps serrés comme la fouille d'une barque, ľidée d'un navire. Ľavenir contemple le ciel et ces feuillages. Étroitesse du profilage de la forme dans ľ esprit de ľ enfant. * De certe maniere qu'elles vinrent, et leurs tresses sur la bouche, comme des traits de lunes jaunes. Un ruissellement pensais-je, de leurs grands airs de gloire, de leurs hauts chants de fontaine. Elles furent, tout ä coup, dans la rumeur. celles qui pleurent et qui s'enchantent. Grandes mains lächees, sombres, entenebrant leurs bains. Oh sur les trains vaporeux des naguěres, adieu, adieu, pensais-je. Absoutes et saintes, dans toutes mes mémoires qui portent, girant, leurs lěvres d'eau mure sur la soif des pierres. * Quand, lors. je fis asseoir Reine sur mes genoux. La nuit pour elle s'etait vidée de ses rayons ďétoiles. Elle en montrait la moisson de poussiěre d'or dans ses mains nues, avec ses regards de vinaigre et de dentelles et l'air de ses lourdes paupiěres noires sur les tempes claires et les fougěres du crépuscule, ses cheveux de murmures dans mes yeux d'eau. Leon LALEAU Leon Laleau, né á Port-au-Prince (Haiti) le 3 aoůt 1892. A mené une double carriěre de diplomate et ďhomme de lettres. A plusieurs reprises, il fut membre du Gouvernement haitien de 1'époque. Styliste, il fut Tun des meilleurs poětes et écrivains haitiens de son temps. Leon Laleau a publié, entre autres, plusieurs recueils de poěmes dont^4 voix basse (1920), La flěche au cceur (1926), Le rayon des jupes (1929), Abréviations (1929), Musique negre (1931), Ondes courtes (1933), Orchestre (1937). Une retrospective de son ceuvre, CEuvre poétique, parut en 1978 aux Editions Henri Deschamps. Une autre retrospective, Musique negre, parut en 2005 aux Presses Nationales d'Haiti, á Port-au-Prince. SACRIFICE Sous le ciel, le tambour conique se lamente Et c'est l'ame raeme du Noir : Spasmes lourds d'homme en rut, gluants sanglots d'amante Outrageant le calme du soir. Des quinquets sont fixes aux coins de la tonnelle, Comme des astres avilis. L'ombre sue un parfum de citronnelle Sechee a 1'acajou des lits. Et montent, par moments, du houmfort tutelaire, Parmi des guirlandes d' encens, Les belements du bouc qui, dans la brise, flaire L'odeur prochaine de son sang. 162 TRAHISON Ce coeur obsedant, qui ne correspond Pas a mon langage ou a mes costumes, Et sur lequel mordent, comme un crampon, Des sentiments d'emprunt et des coutumes D'Europe, sentez-vous cette souffrance Et ce desespoir a nul autre egal D'apprivoiser, avec des mots de France, Ce cceur qui rn est venu du Senegal? CANNIBALE Ce desir sauvage, certain jour, De meler du sang et des blessures Aux gestes contractus de 1'Amour Et de percevoir, sous les morsures Qui perpetuent le gout des baisers, Les sanglots de l'amante, et ses rales... Ah ! rudes desirs inapaises De mes noirs ancetres cannibales... Paul LARAQUE Paul Laraque (pseudonyme: Jacques Lenoir), né á Jérémie (Haiti) le 21 septembre 1920. Etudes élémentaires et secondaires chez les Frěres de l'instruction chrétienne et au lycée Nord Alexis de cette ville. Diplome de l'Academie militaire d'Haiti en 1941. Ancien Assistant-Chef d'etat major des Forces armées d'Haiti, il fut mis á la retraite en novembre 1960 au cours de la grěve des étudiants. II dut quitter Haiti pour l'exil le 5 mars 1961. Vit, retraité de son poste de professeur depuis 1984, á New York. II fut en 1964 destitué de sa nationalité haitienne par Duvalier, pere. Paul Laraque a publié plusieurs ouvrages de poesie dont Ce qui demeure (1973), écrit aux alentours de 1945, Fistibal (1974), Les armes quotidiennes / Poesie quotidienne (1979), Solda mawon (1987), Camourade (1988), Le vieux negre et l'exil (1988), CEuvres incompletes (1998), Lespwa (2001). II a également collaboré á la revue Optique (1954-1956). Quelques-uns de ses poěmes sont traduits en anglais, en espagnol et en italien. Paul Laraque a obtenu en 1979 le "prix de poesie Casa de las Americas" (Cuba). II est décédé le 8 mars 2007, á New York. BALADE DE L'EXIL « C 'est un dur metier que I 'exil. » (Nazim Hikmet) pour nos enfants homme de neige et de fleurs vivant selon 1'instant et jouant sur le temps homme de toutes les saisons et surtout de printemps et d'herbe verte comme l'enfance ou la terre natale ou le desir qui fait fiamber 1'amour comme le four ou cuit le pain du jour homme de neige et de fleurs l'exil est ta prison 164 femme-enfant femme de téte et de cceur ange gardien des invalides petite fée des laboratoires princesse du royaume des livres femme libre des temps nouveaux fille de la legende qui enfante l'histoire enfant de l'espoir enfant que 1'amour invente différente mais souveraine de toi-méme femme-enfant femme de téte et de cceur l'exil est ta prison (...) fille de haute lignee dont la mere aux yeux verts comme la mer a toujours garde son regard de clarte epouse prise dans les flammes du desir epouse aux doigts de fee mere transfiguree par le feu de 1'amour mere miraculeuse tu donnas la vie aux trois que voila et redonnas la vie a celui-la qui pour la vie t'aimera pris dans les flammes de la douleur transfigures par la lumiere de l'amour l'exil est notre prison (Les armes quotidiennes) Josaphat-Robert LARGE Josaphat-Robert Large, ne ä Jeremie (Haiti) en 1942. Poete et romancier, il ecrit en anglais, en francais et en Creole. Son roman, Les terres entourees de larmes (2002), a remporte le Prix Litteraire des Caraibes en 2003. Son recit Rosanna, ecrit en anglais dans l'anthologie "Haiti Noir" sous la direction d'Edwidge Danticat (Akashic Books, 2011), a ete bien accueilli par le New York Times. Plusieurs recueils de poesie : Nerfs du vent (1975), Chute de mots (1989), Pe Set (1994 et 1996), Istwa Nanm Mwen (2010), Echos en fuite (2010). Large est membre de la Societe des Gens de Lettres de France, du Pen America et de l'Association des Ecrivains de Langue francaise. ECHOS EN FUITE (extraits) Mon ile qui tient correspondance avec mon cceur Par ses lignes de tambours sous-marines Par ses boucles de souvenirs volant dans Ma memoire Voici mon Histoire encadree de Hammes De coeurs en poussiere sous les voütes du jour Voici mon ile emballee empaquetee Dans les malles de mes maux Ma terre entouree de larmes Soulevee par les palans de l'existence C'est la mienne pourtant aux tableaux des planetes Exhibee en projections de legendes En vagues de cliches propulsees dans les airs Mon histoire est au fond une histoire de vides De regards trompeurs aux meurtrieres des mines Petite quantite d'espoirs sur des bourriques d'ombre Voici mon Histoire aux flancs de mon etre Toute belle encore et bien encadree de vent 166 Du vent enrage qui fait exploser mes contours Mes bourrasques d'eaux pournoyades en serie Vents poussant oceans et flots Voici mes cadavres flottants Mes cceurs allant a la derive Sur les routes salees de la mer Mon Histoire Un chemin de fer le long des cotes de 1'existence Pour le convoi de nos voix autour de l'ile Je le repete voici oye ! Mon histoire structuree de cyclones Histoire saoulée par le mensonge Par la langue vorace de mes sauveteurs océaniques Une histoire de mouches en quéte de pourritures Mon histoire Une histoire de loups-garous Sautant aux pistes de l'enfance Sauvée des eaux troubles des oubliettes L'oubli flottant grandeur nature Une histoire de tueries de rires d'oiseaux de proie De morceaux de paroles craquelées Souriantes le soir tombant sur nos épaules Nos filles affamées de lumiěre Une histoire ďobscurités obtuses Encore muette ma měre De désespoir en jupon ďémeraudes Devrons-nous voyager vers l'ailleurs Quitter cette terre qui s'effondre sous nos pas Et délacer ces liens d'un avenir de gloire Devrons-nous? Pour aller mourir sur une ile quelconque Vaste cimetiěre de l'exil Báti sur 1'horizon Ma fuite notre fuite Et celie aussi de nos échos Comprenez-la notre fuite II ne nous reste que le goút amer de la mer Íle en fuite meteore déboussolé II ne lui reste que la voie de ses croix Son chceur d'enfants affamés Ses tambours vaccines contre ľoubli Ľ ensemble orchestrant series de sons Éclatant de ľorgue terrestre de nos cris Et le poéme aussi En maux de naufragés J'annonce done le voyage du texte Vers le quai des lecteurs Je convoite surtout un convoi de regards Pour ľavenir du livre Appel est lancé á ceux des iles de ľ exil Qďils se mettent á ľécoute Des cris de ľécriture Et qďon le dise au soleil J'arrive Oye ! Avirons en mains Grand semeur de rumeurs Plongeur d'échos dans les airs Avec mes lignes de mots Je tracerai dans ľespace la piste De mon atterrissage dans ľ existence Serge LEGAGNEUR Serge Legagneur, ne ä Jeremie (Haiti) le 10 janvier 1937. Poete et pedagogue, il fait partie du groupe Haiti Litteraire. Emigre au Quebec en 1965, Legagneur y publia Textes interdits (1966), Textes en croix (1978), Le crabe (1981), Inalterable (1983), Textes muets (1987) et Glyphes (1989). Serge Legagneur vit ä Montreal et ne publie plus parce qu'il, selon lui, a dejä tout dit et tout ecrit. TEXTES MUETS (extraits) 1 Fille du sang Soudain Issue de la rose Metallique Ä rabais Se presents meridienne choyee Petite prairie a bon teint L'oiseau chaste resiste au vent 3 Rien ne dit Rien ne touche La femme Passage de feuille Point de presse Embarrassante enfance Point de leste 169 Interet alternatif se moque Courageux Adresse Appartenant aux saints 5 Etablissement privatif laisse peu d'air Lente cene Commune lesion Seul avoir autorise (in Mot pour Mot, octobre 1983) OÚ DÉJÄ CUVENT ou deja cuvent tantôt geste du cuivre tantôt le dragon ailes pierres marées fureur dans la terre dans le cri quel ange joufflu souffle sous le foyer (Glyphes) THALASSA AVIDE DESSEIN thalassa avide dessein depuis le bleu du sperme jusqu'au mauve piaffement de l'hippocampe un meme doigt noue le cercle improbable le fanal equivoque faisant la queue de paon modulation de l'UN la cle dans l'eau dort (Ibid) DANS L'ESPRIT DU METAL dans 1'esprit du metal entre haleine et mouvement emerge l'approximatif deja glyphes arcs tendons une licorne augurant du depart tranquille urgence dit-elle nous sommes tes emissaries (Ibid) Roland MENUAU Roland Menuau, né au Cap-Haítien (Haiti) le 26 février 1943. Études primaries chez les Frěres de 1'Instruction chrétienne et secondaires au College Notre-Dame du Cap. Études universitaires: lettres, psychopédagogie, biologie et gestion des ressources humaines, en Haiti, en Belgique et au Quebec. Roland Menuau a publié á Bruxelles deux recueils de poesie maintenant épuisés: Gouffres (1965) et Esquifs (1966/ Le livre Belle-sur-Mer (poesie, 2004) est son dernier ouvrage. II fut président-responsable des « Dimanches littéraires » de Montreal. Vit á Laval. DOUBLE JEU Nos oiseaux volent bas mais ne se poseront pas En-decä de la mer Derriere ma cage Les eaux du large ne remontent jamais En raeme temps qu'Elle Les grands rapaces rient et sifflent Un jour pourtant nous forcerons leurs Serres Le retard ne tient pas au soleil II faudra voguer les frontieres pour liberer La Belle-sur-mer S'impatientant. Ses ailes epuisees ä peine la soutiennent Sombrera-t-elle lasse dans l'ocean de haine Sous nos paupieres l'eau des ecluses s'asseche Sans cesse en amont D'Elle Un soir sans doute s'arracheront les sangles Le sordide ne sied pas au soleil II faudra crever nos oeilleres Pour ranimer La Belle-sur-mer Agonisant. 172 CHANTRES DE L'INAUDIBLE Nous chantres de l'inaudible Qui sillonnons la vie Ailes aux pieds chaines a Tame A la recherche de la verite Les veines si pleines de fraternite Qu'il en coule dans Le sang noir de nos poemes Si nous cachons un signe particulier Cette plaie toujours vive Face dorsale du coeur Nous portons dans les yeux toutes les braises De vos fievres Et si nous avons le front firappe Du sceau de l'indicible Nos levres se referment toujours Sur un acte d'espoir ou d'amour. CLAIR D'AMOUR Elle a le laurier rose et deux bougainvilliers Combien de ciels combien de mers Combien d'ailes d'abeille Pour transporter ma belle Sous un ciel bleu Antilles Combien d'yeux l'admirant Combien d'ombres sous latonnelle De rubans ä tresser tout autour de son corps Elle a trois anemones et maint myosotis Sur une mer turquoise Combien de scintillements et d'arcs-en-ciel Combien de miroirs pour sans cesse lui dire « Oui tu es la plus belle » Sur des ailes d'abeille Combien de vols de nuit et de routes de miel Pour le dernier pour le premier rendez-vous Au clair de lune d'été de ľamour Elle est si sensitive pármi ses orchidées En tout temps n'importe oú sous le bleu ciel d'Antilles Moi qui ne suis poéte que pour la célébrer Ivre de la psalmodier melódie inspirante Elle peut se regarder dans mes yeux merne fermés M'embrasser dans le cou et réveiller ma muse Marcher nue á mon bras et la nuit et le jour Voilée des phéromones de ses jardins secrets Aróme d'héliotrope et de mirabilis Avec son laurier rose et ses bougainvilliers Avec ses anemones et ses myosotis Avec ses sensitives et ses douze gardenias Et ses miroirs qui parlent Elle qui n'est musique que pour étre ma muse Je la chante elle m'envoúte Me gorge de nectar et m'enivre De son bleu ciel d'Antilles de sa mer turquoise De ses ailes d'abeille ses rubans d'arcs-en ciel Elle qui se fait mystére pour mieux m'ensorceler Voilée des phéromones de ses jardins secrets Elle ma belle-de-jour elle ma belle-de-nuit Elle veut que j'aille cueillir toute la séve qui coule Au clair de tout ľété á son jardin d'amour Moi qui me noierais nu dans ses grands yeux qui rient Pétillants pleins d'été Elle peut me faire mourir en son jardin fleuri Certe merveille-lá est gravée sur ma vie Je la voudrais empreinte dans ma paume Chaque fois que j'ouvre les doigts Je pourrais la relire comme les lignes de ma main Moi qui suis amoureux de cette belle qui chante Et qui rit et qui pleure et qui danse Sur ses tambours qui parlent et qui jouent de ľamour Je la vois devenir réve au clair d'un jardin Perdu dans les eaux caraibes juin 2009 Jean MÉTELLUS Jean Métellus, né á Jacmel (Haiti) le 30 avril 1937. II vit en France oú il exerce la profession de neurologue. Poete, romancier, essayiste et dramaturge, il a publié plus ďune dizaine de romans, plusieurs textes poétiques, quelques essais et plusieurs pieces de theatre. Jean Métellus est avec René Depestre et Anthony Phelps Tun des écrivains haitiens les plus lus et les plus connus á 1'étranger. POUR UN ECOLIER HAITIEN (fragment) Enfant d'eau et de terre qui pousses sous les Tropiques, au plus fort des saisons, quand la lune ne peut plus d'elle-meme decider si demain soir elle brillera pour des hommes ou des ossements, quand le soleil a commence au plus humain des hommes son desespoir de ne plus rire que pour ceux-la qui tuent par bombes et mitraillettes et qui s'en vont sur les cotes ou se rencontrent la mer la terre et le soleil et le sable bronzer leur corps et impregner du sel de vie l'eau de leurs veines, Enfant d'eau et de terre qui jettes sous les feux du soleil par les matinees tropicales des yeux refroidis par la faim et les pages de cahier, des yeux blanchis par du papier, Enfant, enfant qui as des cheveux tricotes des le ventre de la mere par mille soucis qui deviendront en permanence tes compagnons, Enfant noir aux cheveux en grains de poivre qui s'organisent en bataillons pour pouvoir dire un mot dans tout ce grand debat, Enfant noir extraordinaire, qui subis le joug du papier blanc, ou est ta verite, ou est la verite du maitre? D'ou vient tout ce qu'il raconte? Et pour qui toume la terre? Quelle est cette folle histoire? Quelle est cette verite? (Au pipirite chantant) 175 VOYANCES (extraits) Dieu blessé par les conquistadores Hérissé de montagnes, de plateaux Ô pays d'Haíti, ô patrie d'Anacaona Fatale pépiniěre d'or Voyance m'a visité comme une fete du sommeil Telle une graine chargée d'arbres Ô desert paternel Matrice de mes sens, origine des mystěres Ô ville côtiere d'oú je suis né Jacmel. ton destin me haňte Mais voici les dieux Stridulations encagées Silences Je ne craindrai plus ľombre de ma vie Temps mesuré Ô dieux. pétrifíez les soirees diaboliques Que coule une sěve fraiche et aromatique Sur ton corps ruissellera une immense libation Ô dieux Taillez les mauvaises herbes... Bel-Ami Jean de MONTREUX Bel-Ami Jean de Montreux, né le 8 mai 1963 d'une měre martiniquaise et d'un pere haitien. II fit ses premieres études chez les Frěres du Sacré-Coeur de Port-au-Prince (Haiti). Aprěs la mort de sa měre, il entra comme séminariste á la Fondation Vincent des pěres salésiens du Cap-Haitien (Nord d'Haiti). Laissant la prétrise, Jean de Montreux partit pour les États-unis. II s'etablit au Texas (États-unis) oú il fit des études de génie et dirigea des expeditions de recherches de pétrole. II alia par la suite s'installer en Utah et étudia á Westminster. Ses études terminées, il enseigna le francais et la littérature avant d'entrer simultanément á la Faculté des Lettres et á la Faculté de Droit de 1'Université d'Utah. En 1990, il fonda V Utah Foreign Language Review et dirigea la redaction pendant deux ans. II publia trois recueils de poěmes dans la revue: Crises nostalgiques (1992), Pour l'amour d'Alexis (1993) et Les cheveux de Melinda (1994). En 1996, il publia une compilation de ses poěmes sous le titre La chanson de Bel-Ami (1996). A la Faculté de Droit, il fut éditeur du Journal of Contempory Law et du Journal of Energy Law and Policy, et rédacteur en chef des journaux On The Merits et The Neo-Analyst. II fut chroniqueur politique au quotidien The Daily Utah Chronicle oú, en 1990, il fut nommé chroniqueur de 1'année. Bel-Ami Jean de Montreux obtint son doctorat en droit en 1991. Poete lyrique, Maitre de Montreux puise son inspiration dans le folklore ancestral et dans ses experiences quotidiennes. II vit á Salt Lake City, en Utah, oú il pratique sa profession d'avocat et joue au football. A MA MORTE Mon amie decedee, Eternelle Bien-Aimee Je t'apporte des lilas Des chrysanthemes Des faisceaux de fleurs Je viens tremblant A minuit intime Les yeux ruisselants Je viens emu L'Ame meurtrie Pour te voir te dire 6 Toi que je ne cesse d'aimer Tu m'invites dans l'abime nu De ton sepulcre parfume De tes rires et de lumiere Tes prunelles dardent sur moi Leurs sensuels feux d'autrefois Je te serre contre moi Tu n'as ni la froideur des cadavres 177 Ni la puanteur des tombes Tes levres ont encore la sapidite Et la chaleur de l'lle Notre concupiscence De vivant et de decedee eblouit C'estl'aube 6 Ma Morte! Ne dois-je pas rejoindre les vivants Laisse-moi replacer Ta carcasse dans le cercueil Que je rearrange tes pi tes dessechees de cheveux Te remettre sous le suaire poussiereux Tu restes dans cette cite cadavereuse Mais feu ma belle 6 Chere Depouille Mon Eternel phantasme Je reviendrai encore me coincer dans ta biere Pour voir ton ame gambader Dans l'emoi et le desir Le desespoir et le Nirvana De nos epousailles. CHEZ INGA Dans la soierie du Futon dans ta petite piece au Jackson on etait la toi et moi sans masque deambulant dans 1'elixir des noces clandestines la lame distraite d'une lampe orientale tatouait de grimoires ta peau armenienne soupoudree d'eaux de jasmin les grammes de ta chevelure tombaient en lianes bistre sur la trapeze de ton epaule On se peignait de perles et de caresses de baisers et de pluies plenieres des chauds parfums petunaient de la braise de ton etre Kisoula! Madone Orientale en offrande sur le marbre souverain des amours consommees tu ne manquais d'essor et de saccades toi a la vigne epanouissante et moi assoiffe le diademe et la toison en essor me desalterant dans tes calices ...et au fil des langoureuses minutes mes doigts s'attachaient aux barres molles de ta chair agreee d'images je pleurals l'eternel devouement sur les doux cocasses de tes seins jamais avant Ma Tendre Amie ne t'ai-je vue si belle! une nuee de sueurs ruisselait de ta nuque ton Ame en filigrane balbutiait des chapitres de ses livrets l'emotivite des confessions et des serments se vissait sur les ardoises de mon ame-soeur entre l'orgueil et le desir le diaphragme de la prunelle de tes grands yeux etamines s'est baisse et ramalgame tragique de ton odyssee s'est defile en pans brouilles: les poignards de Nagorno-Karabakh la persecution musulmane cette revolution paradoxe les courroux de l'errance l'Exil... les heures se sont egrenees en chapelet paresseux de l'apres-midi aux manteaux du crepuscule un arraisonnement de pas tristement s'est dissipe dans les couloirs de laine un chien ajappe l'echo frelate d'une quartette ronflait sa trompette et son saxo nasillards ses syllabes et ses cymbales desynchronisees des filaments de faceties en russe des voisins soules se sont elevees en staccatos evanouissants dans les cales des vepres conquerantes des quignons de lumieres entraient des fentes des persiennes et esquissaient des rebus sur les cartes sibyllines eparpillees une inflorescence de corolles preservees supputait l'ambiance sourde de la chambre somnambule puis les meches nocturnes se sont detressees dans les miroirs du jour de levain rougissant on etait pourtant encore la dans la soierie froissee maries dans l'orgie singuliere des destins-jumeaux MISTY DISCOTHEQUE Danse Misty Danse! Misty aux levres boudees Misty aux bras multiplies de Bouddha A la gorge qui pique Aux vertebres elastiques Aux jambes si fines 6 Misty si bien tassee Danse Misty Tambour Tes beaux cheveux furieux Se deploient en pavilion blond Quand tu tournes Et tournes Le disco anime Gronde et nasille Et tonne L'eboulement de couples Suant essoufflant Saute et chante My golden Misty Tu ondules sur les gammes Du tambour et des pistons Tu t'abandonnes aux blues De la bande en pamoison J'aime te voir danser Libellule en transe Sous les flammes du plafond Eparpillant l'aquarelle electrique Sur ton corps oscillant 181 Roland MORISSEAU Roland Morisseau, ne ä Port-au-Prince (Haiti) le 22 septembre 1933. II fit des etudes secondares au Lycee Louverture oü il decouvrit la poesie en lisant les oeuvres d'Andre Chenier. Cofondateur du groupe Haiti Litteraire, certains de ses premiers poemes parurent dans Sentences et dans la revue Conjonction. Bientöt fascine par l'eloge demesure voue ä Dylan Thomas et ä Hölderlin, il en subit 1'influence. Emigre ä Montreal en 1965, enseignant pendant environ une trentaine d'annees ä la Polyvalente Pointe-aux-Trembles, il a publie plusieurs recueils de poesie: Cinq poemes de reconnaissance (1961), Germination d'espoir (1962), Clef du soleil (1963), La chanson de Roland (1979), un ouvrage regroupant des poemes datant de 1960 ä 1970, et La promeneuse au jasmin (1988). Une retrospective globale de son ceuvre, Poesie, a ete editee chez Guernica (Montreal) en 1993. Les poemes de Phare sont encore inedits. Quelques-uns de ses textes ont ete traduits en espagnol et en anglais. Roland Morisseau, poete, est decede ä Montreal le mercredi 28 juin 1995, ä Tage de 62 ans. NE RIEN DIRE DU TIMONIER Enfance maculee de givre fulgurante Laissez passer l'echo Les lueurs torrides du desastre Les soleils fertiles Encore harnachent lierre et deserts Au gre du jour l'eau nous regarde A mille lieues du voyage Laissez trembler le convoi funebre Des mers inspirees Les issues encrassees d'or Flancs de caravelles Venant mourir comme des oiseaux de proie Jusqu'au rituel lugubre de la douleur Forant demesurement la vie Jonchant de sang Les routes vierges du silence Et les villages d'eden Au-dela des ajoupas ou trona le guerrier L'heure du Zemes verdoie l'horizon Le fier hameau au front du Butios Eclate Lune et seve chantent L'oubli cendreux des fetes populaires 182 Laissez trainer la tige incisant le souvenir Le sillage du Timonier est peuplé de hontes Sa rapacité arbore des croquis de meurtres Laissez passer ľécho la tige le convoi Le socle de son corps maintenant Au gré des flots derive loin trěs loin Bien loin aux plis du vent II ne faut rien dire du Timonier Ä la barbe trouée Le timonier á la licorne Plus jamais ne reviendra (Phare) Felix MORIS SEAU-LEROY Felix Morisseau-Leroy, ne ä Grandgosier (Haiti) le 13 mars 1912. II s'adonne tres tot ä l'ecriture. A quatorze ans, il publia son premier texte, une lettre d'appui ä Jacques Roumain. En 1929, son premier poeme en francais: Debout les jeunes. Licencie en Droit en 1934, il se rendit aux Etatsunis pour se specialiser en education ä Colombia University. Creolophile consomme, Felix Morisseau-Leroy a d'abord publie en francais: Plenitudes (1940), Le destin des Caraibes (1941), Recolte (1946) et Natif-Natal (1948). II publia egalement, en collaboration avec Jean-Francois Brierre et Roussan Camille, Gerbe pour deux amis (1945). Des 1953, cependant, Felix Morisseau-Leroy se dedia definitivement au creole avec Diacoute-1 (1953), Antigone (1954), Diacoute-2 (1971), Jaden kreyol (1977), Kasamansa (1977), Roua Kreyon (1980), Ravinodyab (1982) egalement traduit en francais, Vilbone (1982), puis Diacoute-1,2,3 (1983). Felix Morisseau-Leroy a sejourne en exil (Nigeria, Ghana et Senegal) pendant plus de 20 ans (1960-1981). Au Ghana, il fut Directeur national de la section theatre et litterature au Conseil des Arts (1960-1967). Au Senegal, il fut Conseiller technique de la Federation senegalaise de theatre populaire pendant quatorze ans. En 1981, II quitta l'Afrique pour les Etats-unis, ä Miami, oü il mourut le 5 septembre 1998 ä Jackson South (Coral Reef). Une avenue de cette ville (Little Haiti, Miami) porte son nom. Felix Morisseau-Leroy a fait paraitre en 1996, chez L'Harmattan (Paris), Les Djons d 'Haiti Tonma. NATIF-NATAL (fragment) or en fan 1985 il y aura dans un village d'Haiti situe pres de la mer et des collines une filierte inquiete appelee Melanie eile souffrira voyagera reviendra deviendra la poetesse la pretresse bien-aimee de son peuple et puis ä la fin sans legerete ni fierte contera ceci on n'a jamais rien tant aime que cette mer que cette plage que ce sable que cette source froide 184 et cette multitude d'amis egaux rien autant que la maison natale que le cimetiere on n'a jamais rien tant aime que la mer elle repete la raeme insulte le meme defi jusque sous les fenetres des mourants et des bebes quand la pluie enveloppe les villages du plus grand des eperviers tu retiens ton souffle rien n'est alors plus insupportable pour nos populations que ton silence pour peur que dans l'ouragan sifflent les noms des camarades nous voici devant toi adolescents surgis de la legende ou Ton tranche la tete du soleil tenu par les cheveux d'azur rien autant que cet arbre marin que la montagne coupee droite avec quelle patience par tes dents de sel mais rien autant que cette pierre fidele au point de n'avoir pas attire sur soi le tonnerre pour le seul plaisir d'etre temoin de ce retour et sans avoir espere cette joie dont on va crier tout a l'heure (...) jetez de l'eau ma fille jetez de l'eau trois fois au pas des portes pour tous tes ancetres insultes Chambeau NELSON Chambeau Nelson, ne en Haiti (? - 1880). Homme de lettres. L'histoire litteraire n'a retenu ni son nom ni son oeuvre. C'est Semexan Rouzier qui, dans Le Nouvelliste du 23 mai 1911, a rappele pour la premiere fois son existence. II est, avant Emile Roumer, l'ancetre direct du Mulätrisme Culturel. AUX ZOMBIS1 Quand vous irez dormir sous les assorossis, Au cri lourd du coucou sous les verts bayahondes, Vous vous demanderez : etait-ce done ainsi Que nous devions mourir, nous, jaunes et griffonnes ! O Zombis ! A la brume du soir, lorsque dans les pingouins, On entend murmurer l'essaim des maringouins, Vous vous rappellerez la joyeuse bastringue Ou le farandoleur fendait dans votre dingue. O Zombis ! A l'heure de midi, quand le vert mabouya Sautille en fremissant sous le maribouya, Vous entendrez des vers au milieu de la boue, Traverser le bois sape pour mordre a votre joue, O Zombis ! A l'heure ou le Hougan cache dans son Houmfort Dit: Azibloguidi, appelle l'Assotor, Et rempli de l'esprit du Houanga fantastique Au mange-Marrassa fait inviter sa clique. O Zombis ! A l'heure de minuit, lorsque le medcignin Qu'au pays du soleil on nomme barachin, S'incline tristement sur la tombe blanchie Ou chacun vient prier en posant sa bougie, O Zombis ! 186 Vous vous ressouviendrez du brillant bamboula Ou la peau du cabrit si souvent vous hela Et du danseur Bozor aujourd'hui tout en larmes Dont le coeur fit zip-zip a l'aspect de vos charmes ! O Zombis ! (in Le Nouvelliste, 23 mai 1911) 1 Ce poěme a été auparavant attribué á Liautaud Ethéart (voir Panorama de la poesie haítienne de Carlos Saint-Louis et Maurice A. Lubin, 1950). 187 Emile OLLIVIER Emile Ollivier, né á Port-au-Prince (Haiti) en 1940. II a vécu á Montreal jusqu'a son décěs dans cette méme ville le 10 novembre 2002. II a publié plusieurs romans et nouvelles notamment Paysage de Vaveugle (1972), Měre-solitude (1983), La discorde aux cent voix (1986), Passages (1991), Les urnes scellées (1995), Mille eaux (1999), La brúlerie (2005). Et pourtant Emile Ollivier a débuté dans 1'écriture par la poesie. Son recueil de poěmes, Au tuyau de Voreille, dédicacé á Marie-José Glémaud, reste encore inedit. PAYSAGE DE L'AVEUGLE (extraits) Parmi les chenes, les peupliers et les mapous geants, la foule des grandes foires : siffiements, grondements, huees, hourrahs. Le charivari de la fete bat son plein: promenade des cranes fraichement rases, turgescence de seins nus, ronds sous le soleil, indecence de mamelles flasques protegees par des corsages aux teintes coruscantes, regards pieges, aiguille de bambou a travers la transparence des robes trop bavardes. Ah ! ce fou qui se prend pour un colonel a la retraite et sa moustache jaunie par le tabac de Virginie. Des corps s'enlacent pour la premiere fois, pour la derniere fois, ou tout simplement parce que l'amour est une chose merveilleuse. Une deesse vend des pamphlets et ramasse de l'argent pour combattre la tuberculose, la syphilis ou la lepre. Tambours. Concerts de poeles, de chaudrons, de bouteilles vides. Crecelles. Des fleurs naturelles, des bouffees d'encens, des glaces, des boissons fraiches. lis viennent du plus profond de l'ile, de l'autre versant des montagnes. Des filles a belles grappes, des femmes enceintes de neuf mois ou de l'avant-veille, des enfants a la mamelle, des avortons, des reves imprecis. Des sourires rose-bonbon, des complicites d'ceillade, des moues indelebiles. Salut nuit tropicale pleine de croassements de crapauds, de hurlements de cigales ! Salut tambour noctambule, pulsation lancinante de faim-vie ! Salut odeur de citronnelle, de jasmin et d'ilang-ilang ! Salut Caraibe étoilée, ballottée par les vents ! Salut Antilles de la Grande Blessure ! Salut gorgée de rhum blanc, cocotiers et ululation de Malheurs. Salut femmes de Siam vétues sous les tonnelles bancales des nostalgies crevées ! Salut fientes d'oiseaux clabaudeurs ! Salut Terre orpheline ! Ici, des hommes ont poussé jusqu'a un trěs haut point l'art et la science du mimétisme... 188 Anthony PHELPS Anthony Phelps, né á Port-au-Prince (Haiti) le 25 aout 1928. II fit des études élémentaires et secondaires á 1'institution Saint-Louis-de-Gonzague. Entre 1950 et 1953, il séjourna aux États-Unis et au Canada oú il étudia la chimie, la ceramique et la photographie. De retour en Haiti, il fonda en 1960, avec l'aide de quelques amis, le groupe Haiti Littéraire. II fut également co-fondateur de la revue Sentences (1961) et de la station Radio Cacique (1961), oú il réalisa des emissions hebdomadaires de poesie et de theatre. II mit également sur pied et anima le groupe de comédiens "Prisme". II avait publié entre-temps quatre plaquettes de poesie: Rachat, poéme radiophonique realise en 1953 á Radio Canada, Eté (1960), Presence (1961) et Eclats de silence (1962). En raison d'une vie culturelle et littéraire trop "chargée", mais surtout tendancieuse, il fit un bref séjour dans les geóles du président-á-vie. Force de quitter le pays, il s'etablit á Montreal, en mai 1964, y fit du theatre, du journalisme, se fit engager comme journaliste á Radio-Canada en 1966, puis fonda une petite entreprise spécialisée dans 1'édition de poesie sur disques. Ses premiers poěmes publiés á Montreal parurent dans Image et Verbe (1966), recueil de collages ďlrěne Chiasson. II fit également paraitre sous le sceau des Disques Coumbite quelques poěmes groupés sous le titre suggestif de Mon pays que void (1966), de méme que Les araignées du soir (1967). Puis vinrent ses Points cardinaux (1967) et Mon pays que void suivi de Les dits du fou-aux-cailloux (1968), édité á Paris. II produisit une piece, Le conditionnel, publiée également á Montreal en 1968. Un langage sans heurt, qui va du conte (Et moije suis une tie, 1973) jusqu'a son premier roman (Moins I'infini, 1973) édité á Paris, puis traduit en espagnol (1975), en russe (1975) et en allemand (1976). Au cours de cette méme année, les Editions Nouvelle Optique firent paraitre son Memoire en colin-maillard (roman). Pour accomplir cet itinéraire fabuleux qu'il s'etait propose, il publiera coup sur coup: Motifs pour le temps saisonnier (poesie, 1976), La béliěre caraibe (poesie, Prix Casa de las Americas, 1980), Méme le soldi est nu (poesie, 1983), Haiti! Haiti! (roman, 1985), en collaboration avec Gary Klang, Orchidée negre (poesie, prix Casa de las Americas, 1987), puis Les doubles quatrains mauves (poesie, 1995), Immobile voyageuse de Picas et autres silences (poesie, 2000), Femme Amérique (poesie, 2004), Une phrase leňte de violoncelles (poesie, 2005), La contrainte de l 'inachevé (roman, 2006), et finalement Le mannequin (nouvelles, 2009). Phelps travaille, á Cóte-des-Neiges oú il reside, á son cinquiěme roman, Les chiffonniers de l 'exil. II a été plusieurs fois boursier du Conseil des Arts du Canada et membre du jury des prix Casa de las Americas. Son roman Un negre special qui devait pourtant paraitre aux Editions La Presse á Montreal a vu le jour sous un autre nom (Mémoire en colin-maillard). 189 IL ETAIT UNE FOIS UNE MAIN II etait une fois une main la main-qui-etreint la main divine la main qui reprenait ce qu'avait donne 1'autre il etait une fois une main qui effacait les mots du decalogue et toute la surface du papier hantee du profil infernal sur fond de lave et ciel de rets liberait la vision de l'ceil unique les pitres d'eau sans nombril ni couture surgissaient de la ouate dotes de grace et de laideur des bras geants naissaient des radiolaires levant toujours plus haut le ton de la complainte preservez-nous de l'attraction du vide et du soleil d'Hiroshima soleil ma chair lepreuse soleil mes sept bourgeons d'arc-en-ciel soleil mon veneneux et le visage du negre lynche sur les sommets du Sinai dix mille fois elu dix mille fois trahi et le visage du negre illumine de l'interieur coulait en main de larme toutes les echelles ne menent pas a la femme le prophete a garde sa tres ancienne soif car il etait une fois une main qui cherchait 1'autre pour s'y confondre s'y resorber mais l'ceil de Cain dans l'orbite du mouton veillait ange exterminateur (in Image et Verbe, 1966) René PHILOCTĚTE René Philoctěte, jeune frěre de Raymond, né á Jérémie (Haiti) le 16 novembre 1932. II a fait partie du groupe Haiti Littéraire. Avec Jean-Claude Fignolé et Franck Etienne, il a créé le Spiralisme. René Philoctěte enseigna les littératures francaise et haitienne au College Jean Price-Mars qu'il dirigeait. II a publié plusieurs recueils de poésie: Saison des hommes (1960), Margha (1961), Les tambours du soleil (1962), Promesse (1963), Et Ccetera (1974), Ces ties qui marchent (1969, réédité en 1974 et en 1995), Caraľbe (1981), Herbes folles (1982) etPing-Pong politique (1987). Trois de ses quatre romans ont vu le jour: Le huitieme jour (1973, prix des Editions de ľan 2000), Lepeuple des terres mélées (1989) et line saison de cigales (1993). René Philoctěte a également publié un recueil de nouvelles et récits: // faut des fois que les dieux meurent (1992). Plusieurs de ses pieces de theatre (Rose morte, 1962; Boukman ou l'échappé des enfers, 1963; Les escargots, 1965; Monsieur de Vastey, 1975) ont été representees á Port-au-Prince. II mourut dans ľaprés-midi du 17 juillet 1995 á ľäge de 63 ans. Son dernier roman, Entre les saints des saints (deux volumes), est encore inedit. CES ÍLES QUI MARCHENT (fragment) Salut Haiti buveuse de legendes pavilion ä l'ecoute de la fete erzuleenne tes pas sonores tel un minerai tu te dehanches et dans le cercle de phosphore la tete dans les genoux le cceur sur les levres ballerine tu danses aux ailes de chandelle puis comme une braise d'un coup allumee par une main sortiere tu leches les etoiles Belle ô mon beau mystěre Heureuse ô ma chasseresse á la panoplie omée de branches et de lumiěre entends venir ľondée comme un baiser longtemps voulu ô belle comme un dimanche d'amoureux ! Des oiseaux de feu ont des ailes prises á 191 ton grand vertige 6 miroir ou flamboie ton visage de chansons et de pluies ! Des cloches de verre roulent sur les toits chantant a tue-tete 6 musique ou fleurit l'amour a la poussee des cceurs ! Tout un bonheur confie au peuple de geants et tant de suaves symphonies a l'oree des cultures ou tremblent de vertes narines Le temps noue ses secrets a l'avant-bras des tiges tout de prodige 6 mon pays lorsque la vie fait sa ronde de veilleuse de jour et de nuit! Qu'il fait bon parmi les rues parmi le ciel parmi les gens et que l'air a le chant d'une colombe heureuse de couver Comme on se dit bonjour et que Ton se comprend ! On dirait qu'une verte promesse elargit les paupieres II tourne dans les yeux d'etranges escaliers que montent et descendent des anges comme dans le livre de Jacob Qu'il fait bon sentir la terre parmi l'odeur des citronniers voir un enfant lácher un cerf-volant comme un don au ciel bleu ma femme sur sa jupe promener le printemps et mon amour dans tout cela qui voudrait l'apprivoiser ! Je salue la terre mienne du geste large de la resurgence et j 'invite mes délires tous les mots libérés á lui crier l'amour dont elle m'a nourri Le ciel va craquer sous la ruée vert d'eau des étoiles Les vierges qui circulent aux terrasses d'en haut ont vu le signe et jeté le jasmin légendaire de leur sourire Toute l'heure illuminée. Toute l'heure grave applaudit au réveil de la criniěre noble de la béte longtemps assoupie 6 migration des plus fortes voix ! Horizons ecartez-vous mercenaires des bleuites pour que les peuples passent vos bornes et viennent - Alleluia ! dans l'eclairage des jardins confondre les bannieres les chansons les baisers ! Un grand appel a traverse les nues pour que de toutes facons les cceurs soient embrases de la terre reconquise 6 que ma voix libere son climat de colombes et que l'homme demiurge en fasse son tresor personnel ! J'entends grandir cet age que je ne puis definir tant la majeste m'eblouit d'une beaute supreme pousser des levres comme en mai partout des tiges glorieuses comme dessus les vagues se pavaner des flammes Oh que marchent les couleurs ! Oh que ma poesie se taise car la fete depasse la magnificence de la prophetie. Max Freesney PIERRE Max Freesney Pierre, né le ler Mars 1962 á Chantal, commune aux environs des Cayes (Haiti). II a termine ses études secondaires au Lycée Alexandre Pétion de Port-au-Prince. II fut étudiant á l'ENARTS, une branche de l'lnstitut National Haitien de la Culture et des Arts. En 1987, il part pour Miami ou il fit des etudes en langues, en anthropologie culturelle, et en education. Actuellement, il enseigne á 1'Universitě, s'occupe de ses trois enfants, et écrit. Poete, journalists et éducateur, Max Freesney Pierre a publié trois recueils de poesie : Tambours de la mélée (1994), Fee Caraibe (1999) et Soul Traveler (2005). Le dernier recueil a été endossé par Maya Angelou, rimmense poétesse afro-américaine. Ses poěmes ont paru dans des revues comme Drumvoices Review, Asili The Journal of Multicultural Heartspeak, et ont fait l'objet d'articles publiés dans Le Nouvelliste, Le Matin, la French Review et le Sun-Sentinel. AMOUR Amour comme une riviere de claire image une longue journee pour la purete du corps de cette femme a la chevelure immergee comme la pierre dans l'etang L'homme a le cceur de metal a fondre dans la flamme qui sort de la compassion Le crepuscule accouchera la lune en arc naitre pour beler dans l'horreur et l'angoisse Arcs-en-ciel qui viennent de la musique melodrame des sons forts-faibles troubles du cceur allume des battements d'aquarelles au printemps de la seve des bougainvilliers L'homme detruit sa raison dans l'univers il refuse de deposer sa vie en lui-meme soleil sur la ville a la hauteur de la memoire de chacun dans la baie de soi-meme Les vagues ne disent rien aujourd'hui de la peine du sable en crue dans la gorge de tous les maux qui donnent un gout de fiel au bout de mes doigts brules d'amertume 194 Amour dans le cceur tel le soleil sur le port d'un village en fievre que je porte sur la tete et qui m'ecrase la carcasse et les reves de bätir la cite notre part de bonheur La brise calme pour un battement de cceur la douleur qui marche vers le degoüt vers le violent mystere d'outre-tombe une cor de attachee ä la ceinture de tous ILE NOUVELLE Le harpon de sa voix pour le phoneme du chant ä bannir le sang brut des chaines serrees ä ses pieds Colonnes d'etoiles erigees pour les cites eclatantes de l'ile illuminee les yeux inondes de tendresse De mes syllabes d'outre-mer nait un long regard des profondeurs de l'eau ou git Tame du totem L'ile a decode le Paradis qu'incarne « Langinen » les mots riviere limpide Eden de ses ruissellements SON D'ESPERANCE Ballade du passe dispersee dans le corps la corde des mots pour l'esperance qui claironne chaque matin dans le vide de nos faux pas Nous marchons rapidement vers l'arc du defaitisme vers l'inconnu cousu La fatalite dans la peau nous habite comme le sang Nous sommes des muets qui disent la souffrance les mots impavides du neant par les rapides de la flute que nous soufflons pour l'abondance de la seve nouvelle et pour l'elan du pean triomphal Wesley RIGAUD Wesley Rigaud, ne a Saint-Marc (Haiti) en 1949. II vit au Quebec depuis 1970. Retraite a la suite d'un anevrisme de la moelle epiniere (1978), il a commence a ecrire en 2005. Projet d'ecriture, DESALTERANCES, sera bientot publie. HAITI Mon restant d'ile Aux trois etes cardinaux Mon pays Mai aime De larmes et de cendres De ronces et de sang De tes mains meurtries Tu m'as petri Tu m'as petri Tu m'as petri Et tu souffres... Et tu souffres Et tu changes de sorciers Comme tu changes Les pansements de tes plaies Qui pourtant Ne guerissent jamais Oasis de mes peregrinations negrieres Apogee de mes cinquante-huit calvaires Quelles couleurs Quelles couleurs Quelles couleurs n'ajouterais-je A ma palette de mots Pour te peindre Mon amour Cet amour que je traine Comme une croix (Laval, septembre 2008) 197 LA VILLED'OÜ JEVIENS (ä Jacques Roche) Je viens d'une ville Oü ne mene Nulle autoroute Nul boulevard Nulle rue Pas meme une ruelle Je viens d'une ville Gravats de mille tempetes Dont il n'a plu que haine Misere Souffrance Et desespoir Si vous cherchez ma ville Elle est ä mi-chemin Entre l'indifference des vagues Et le mepris des regards Elle est derriere les barricades Elle est au fond des depotoirs Si vous cherchez ma ville Suivez les chars d'assaut Elle est au bout de leurs jumelles Elle est la cible de leurs canons Si vous cherchez ma ville Ma ville sang Ma ville sueur Ma ville jetable Ma ville Energie renouvelable Ma ville bouc emissaire Ma ville dommage collateral Si vous cherchez ma ville Ma ville restavek * Ma ville bönatoufi * Ma ville lacharite tanprisouple * Ma ville graslamizerikdd * Ma ville ainsi-soit-il Suivez mon regard Ma ville est lä-bas La-bas... Dans leurs comptes de ban que Dans le faste de leurs festins Ma ville est dans le beton de leurs chateaux Elle est dans le luisant de leurs planchers Ma ville est au fond de leurs piscines Elle est dans le moteur de leurs bagnoles Si vous cherchez ma ville Ma ville oubliee Ma ville abandonnee Ma ville meprisee Ma ville muselee Si vous cherchez ma ville Ma ville assiegee Ma ville occupee Ma ville dechaussee Ma ville analphabetisee (1) Si vous cherchez ma ville Ma ville saintanisee (2) Ma ville trompee Ma ville violee Ma ville assassinee Si vous cherchez ma ville Ma ville detestee Ma ville accusee Ma ville condamnee Ma ville... Coupable De pauvrete Suivez mes larmes Ma ville est ici Ici Dans ce coeur qui aime encore Ici Ou le soleil se terre Ici Ou le mal-air suffoque Ma ville est dans la cabane Qui abrite mon chagrin Elle est dans la marmite Ou etouffe ma faim Ma ville est dans ce poing D'ou guette ma col ere Elle est dans ces haillons Ou somnole ma patience Je viens d'une ville Ou ne mene Nulle autoroute Nul boulevard Nulle rue Pas raeme une ruelle Et pourtant C'est de ma ville Que jaillira L'etincelle de la revolte C'est de ma ville Que sonnera Le Iambi du ralliement C'est de ma ville Que partira La caravane de la liberte Car ma ville N'est pas Une ville bidon * En Creole dans le texte 1. Mot cree par I'auteur, designe ceux qui sont contraints a I'ignorance. 2. Mot cree par I'auteur, inspire d'un texte de Maurice Sixto (Ti Sentaniz). Signifie : Maintenu dans la servitude, I'ignorance et la maltraitance. (Laval, Mars 2006) Jacques ROUMAIN Jacques Roumain, ne ä Port-au-Prince (Haiti) le 4 juin 1907. Etudes classiques ä Saint-Louis de Gonzague (Haiti) et en Suisse. Souche d'une famille bourgeoise, il etablit par contre en Haiti, en 1934, le Parti Communiste Haitien, fit de la prison et s'exila. De retour au pays en 1941, il fonda le Bureau d'Ethnologie de Port-au-Prince et prit une part tres active au mouvement Indigeniste. De retour, malade, du Mexique, il est mort au pays en 1944. Jacques Roumain a publie: La proie et l'ombre (1930), La montagne ensorcelee (1931), Les fantoches (1931), Gouverneurs de la rosee (1944). Romancier celebre (traduit en une trentaine de langues), il est egalement poete. Son recueil de poemes, Bois d'ebene (1945), ainsi que le roman Gouverneurs de la rosee, ne parurent qu'apres samort survenue le 18 aoüt 1944. SALES NEGRES Et bien voila: nous autres les niggers les sales negres nous n'acceptons plus c'est simple fini d'etre en Afrique en Amerique vos negres vos niggers vos sales negres nous n'acceptons plus ?a vous etonne de dire : oui missie en cirant vos bottes oui mon pe aux missionnaires blancs oui maitre en recoltant pour vous la canne a sucre le cafe le coton l'arachide en Afrique en Amerique 201 en bon negres en pauvres negres en sales negres que nous etions que nous ne serons plus. Fini vous verrez bien nos yes Sir oui blanc si Senor et garde a vous, tirailleur, oui, mon Commandant, quand on nous donnera l'ordre de mitrailler nos freres Arabes en Syrie en Tunisie au Maroc et nos camarades blancs grevistes crevant de faim opprimes spolies meprises comme nous les negres les niggers les sales negres Trop tard jusqu'au cceur des jungles infemales retentira precipite le terrible begaiement telegraphique des tam-tams repetant infatigables repetant que les negres n'acceptent plus d'etre vos niggers vos sales negres trop tard car nous aurons surgi des cavernes de voleurs des mines d'or du Congo et du Sud-Afrique trop tard il sera trop tard pour empecher dans les cotonneries de Louisiane dans les Centrales sucrieres des Antilles la recolte de vengeance des negres 202 des niggers des sales negres il sera trop tard je vous dis car jusqu'aux tam-tams auront appris le langage de rinternationale car nous aurons choisi notre jour le jour des sales negres des sales indiens des sales hindous des sales indo-chinois des sales arabes des sales malais des sales proletaries des sales juifs Et nous voici debout tous les damnes de la terre tous les justiciers marchant a l'assaut de vos casernes et de vos banques comme une foret de torches funebres pour en finir une fois pour toutes avec ce monde de negres de niggers de sales negres. (Bois d'ebene) Emile ROUMER Emile Roumer, ne a Jeremie (Haiti) le 5 fevrier 1903. Etudes secondaires a l'lnstitution Saint-Louis de Gonzague et sa philosophie au Lycee Michelet a Paris. Attire tres tot par la poesie (des la septieme), Emile Roumer publiera plus tard dans la celebre revue parisienne, Les Annates. Apres la France, le poete a egalement etudie en Angleterre (Manchester). En 1925, parurent ses Poemes d'Haiti et de France. II a plus tard publie: Poemes en vers (1947), Le Caiman etoile (1963), Rosaire Couronne Sonnets (1964), et des dizaines d'articles de reflexion parus surtout dans le quotidien Panorama. Directeur de la Revue Indigene (1927-1928), il la fonda en collaboration avec Normil G. Sylvain, Carl Brouard, Philippe Thoby-Marcelin et Jacques Roumain. Emile Roumer fut une figure legendaire de l'Ecole Indigeniste. II est decede le 4 avril 1988, chez sa fille, a Francfort (Allemagne de l'Ouest) a l'age de 85 ans. MARABOUT DE MON COEUR... Marabout de mon coeur aux seins de mandarine, tu m'es plus savoureuse que crabe en aubergine. Tu es un afiba dedans mon calalou, le doumboueil de mon pois, mon the de z'herbe a clou. Tu es le boeuf sale dont mon coeur est la couane. L'acassan au sirop qui coule en ma gargane. Tu es un plat fumant, diondion avec du riz, des akras croustillants et des thazars bien frits. Ma fringale d'amour te suit ou que tu allies ; Ta fesse est un boumba charge de victuailles. (Poemes d'Haiti et de France) 204 PRENDS GARDE ! Prends garde ! J'ai le cceur changeant comme la mer qui martele mon nom de sa rumeur brutale. Tel un signe mortel, grave, mon nom s'etale et claque, flamme noire, aux souffles de la mer. J'ai, minaudant, le rire ambigu du Peau-Rouge, des amoureux subtils mais aptes aux combats; l'areytos fleurit aux levres du samba, ils me viennent, ces vers, d'un ancetre Peau-Rouge. Prends garde ! Exquisement tu te verses du the je te couvre des yeux, de ces yeux de pirate dont mes peres voyaient Carthagene ou Surate, les galions remplis de doublons et de the. Je suis le rejeton des «Hors la Loi» superbes qui dormaient sur les ponts, roules dans leurs cabans. Les sinistres drapeaux attaches aux haubans Flottaient sur le ciel morne en des frissons superbes. Effleurant d'un baiser l'ambre de tes colliers j'entends les corps tomber sous les arquebusades. Les forbans etreignaient avec l'or des cruzades les femmes se tordant au bruit de lourds colliers. Je songe a Saint-Domingue ou rugissent les flots, Je ne sais si vraiment je t'aime; des pensees fremissent sous l'ardeur d'ancestrales poussees qui viennent de mon cceur changeant comme les flots. Prends garde ! Sur Paris palpitent les etoiles, tu portes mon amour etrange dans tes yeux tandis que, t'oubliant je regarde, anxieux, les vaisseaux demates dans la paix des etoiles. (Poeme d 'Haiti et de France) ISABELLA Zemi cruel, aux mains de pourpre, 6 Sagittaire, ton visage impassible au crepuscule d'or s'adresse, enigmatique, au ciel qui s'indiffere. Ton visage impassible au crepuscule d'or, la lagune emeraude ou fume l'eau croupie devant que l'horizon engouffre un soleil mort. La lagune emeraude ou fume l'eau croupie... Oh ! la Ville si blanche aux tragiques couchants ; et l'orgie et le sang et le viol impie. Oh ! la Ville si blanche aux tragiques couchants : dans l'air d'angoisse une cloche sonne pour vepres plus de bugles et de tambours battant aux champs. Dans l'air d'angoisse une cloche sonne pour vepres et tinte comme un glas dans la mome cite ou pourrissent des cadavres manges de lepres. Et tinte comme un glas dans la mome cite... Sur des agonisants l'ombre des lauriers-roses ; les manguiers sont en fleurs dans l'enclos deserte. Sur des agonisants l'ombre des lauriers-roses et des manguiers aux fruits gonfles comme des seins ; des soldats gangrenes contre les portes closes. Et les manguiers aux fruits gonfles comme des seins balancent des pendus dans la brise legere. Et tu souris comme bruissent des essaims, Zemi cruel, aux mains de pourpre, O Sagittaire. (Ibid) Clement Magloire SAINT-AUDE Clement Magloire Saint-Aude, ne a Port-au-Prince (Haiti) le 2 avril 1912. II est le fils legitime de feu Clement Magloire, fondateur du journal Le Matin, et le demi-frere (aine) de Frank Magloire, l'actuel directeur du quotidien Le Matin. Saint-Aude a publie trois recueils de poemes: Dialogue de mes lampes (1941), Tabou (1941), Dechu (1956). II a egalement ecrit un roman: Farias (1949) et deux recits: Ombres et reflets (1952) et Veillee (1956). Une retrospective de ses oeuvres poetiques (60 pages) parut en France, en 1970, aux Editions Premiere Personne avec des illustrations de Wifredo Lam, Herve Telemaque et Jorge Camacho. Une autre retrospective de ses oeuvres completes parut en 1998 chez Jean-Michel Place a Paris. Plusieurs etudes academiques ont ete consacrees a l'ceuvre du poete et, en 1988, le Prix Deschamps, a titre posthume, lui a ete decerne. II est mort le 28 mai 1971. POEME pour Lorimer Denis Hors des dieux las de la sarabande Le repos blase qui lenifie le decor Voici l'offrande des colliers, morne fandango. Et le vide des phrases fatiguees, 6 voyageur vague ! Qu'avons-nous fait des ans, compagnons muets, Et des retours et des soleils condamnes ? LES ANGOISSES I Une cite morte ou, fleurs de l'eprouvante, Des hommes sages s'agenouillent. Tous les stades de vie sont en moi, Hymne necessaire, ou digne de ma haine ? 207 Toute ma pitie secrete, et muette, et vaste. Et ce chant du profane aux mains jointes. Or, les guides s'eloignent et leurs doigts sans bagues Ont recherche l'eau des temples du Barbare, Martyrs des ages futurs, ou amis des sables, Vieillis au seuil des mondes. II Qu'ont dit les femmes condamnees hors du mirage ? Non la parole qui blesse, Mais l'hymne qui rompt les liens. Les autels sont dresses ou la chair des parjures Recevra le baiser fraternel de Tinconnu Alors le seigneur-messager contera La grimace des accueils. Non la vaine palabre, Ni le Desespoir qui mord son mouchoir. Ill Sur la route monotone, et solitaire, et nue, La femme en bandeaux recherche son messager. Son chien insulte les dieux du Silence Et aussi toutes les betes gorgees de sang. Car les desirs hurlaient un chant sauvage Contre les flancs de ta sombre douleur, Methsabe Qu'avez-vous fait des impudeurs Des refus et des sommeils salvateurs ? VIDE De mon émoi aux phrases, Mon mouchoir pour mes lampes. Recroquevillé dans mes yeux effacées. La peine le poěme hormis les causes. Limite aux revers sans repos, Edith blanche ma face moi-méme. Rassasiant mes yeux Du convoi de mes yeux ressuscités... (Dialogue de mes lampes) LARME Sans dieux livide fragile cceur, Tranquille souple veilleur en cinq langues. Purifié, bas, sur ma clé. Au dormeur de face sans visage, Glacé néant par les fenétres Et seul sur ma gorge Cendres de peau aveugle en eternite (Ibid) REFLETS Lie, mince, aux relents de rien sur ma cravate, Mou comme l'inconnu et sur le chemin. Lamentations aux crachats des morts. Au port negligent adosse pour parier, Hors de mes manches, Comme un Arabe. L'extase le deuil la luxure Au gras des glas des räles. Au frisson des dentelles, mon bei emoi Au froid des lampes froides. Douces gelees les Magdeleines, Menthe des lampes boutonnees. (Ibid) DIMANCHE A l'horizon des fievres Pour la voix au bal du poete Le poete, chat lugubre, au rire de chat. Le cceur, leche, fele par les veilles. Dites aux litanies delacees Edith Le lieu le buste au gre de mon reflet. Cloue, incomplet aux eventails Dans ma douceur more. Torpeur dans mon sang degante sans amour. Apres-midi denues atire-d'aile Je descends, indecis, sans indices, Feutre, ouate, loue, au ras des poles... (Ibid) PAIX Mon coude en un envoi de biais, Aligne, Recherchant mes yeux, pieuses transparences. Mes doigts en echelle de pluie de lin, Plein de moi, et crochu dans mon cube. Si pardon Pour le beau halo de mes paupieres, Je glisse, je descends, je rrienlise Dans la laine de mon coma Bon comme le lait de la sieste Rien n'est moi, Hormis mes orbites en ogive, Et mon col d'ange d'image Comme mes yeux farcis froids de soie. Nier, retoumer Les plis de ma soif de Peul, Cavalier de tulle d'os de glace, Visiteur en guide ovale de nuit, Et En habits de gala de lord sans crane... (Ibid) 211 Henry SAINT-FLEUR Henry Saint-Fleur, poete, vit á Montreal. 11 SEPTEMBRE ... 11 septembre, disent-ils Une image mille maux Mille mots dits mille begaiements Milles maures mille silences 11 septembre, dira-t-on Mi-endeuille mi-joyeux Le temps a decoupe une lampe imaginaire Ce 11 septembre, « Je me suis rencontre ce jour-la, Jour de ma mort et ombre de ma naissance » J'ai martele, exergue hors champ dans matete Cette pensee si fort que j'en eus le vertige Le present simule souffle du passe l'avenir en deuil. Les evenements des dernieres vies, cri millenaire, traversent mes yeux de memoire de la raeme facon qu'au theatre. Avec autant de repetition J'ai vu et revu cette scene Je ne l'ai point corrigee. J'ai pris le telephone, ai compose un numero que moi et moi seul connait. Sans preoccupation aucune pour l'autre voix ; J'ai recite un discours interminable sur la seduction. La seduction est toujours realisee dans l'anonymat. Le temps d'une rencontre, le temps d'atteindre la confluence. J'ai repris le telephone. Mes doigts ont touche le cadran et ont pose exactement les memes gestes d'il y a dix secondes. Rien ne fut laisse au hasard. 212 L'appareil, habitué á ces mains douces aux ongles des doigts trop longues, a bruité avec la merne régularité que mon souffle aprés une nuit ď amour inachevé et insatisfait. Toujours á certe merne voix, j'ai parlé ď incantation, du moment privilégiá oú le cceur fait la moue, le corps suit des lors que la parole j ouit. J'ai depose le telephone et j'ai ri. D'un rire tellement rempli d'écho que j'encense le vertige. II La lumiére du matin traverse ľimmensité de la chambre de sa fenétre et est venue caresser son visage, ses lévres et puis, toute son arne. Elle glisse doucement son slip et á deux, Raccourci de l'index de leurs effluves, caressent son membre. Tranquillement, sa main droite realise le pas á pas Alternance de ses tympans vers la jouissance. Elle, cette voix non encore décrite par sa propre volonté, remplace le soleil et s'impose sur son corps. II se plie á ses désirs. II implore qu'elle lui fasse jouir une derniére fois et aprés . . . Aprés, ce sera fini pour de bon. Elle ne sera plus cet ange retrouvé. Elle sera oubli. Sa vie avec elle, sa vie avec lui, leur vie á eux ne sera plus. Sa main est fatiguée, son ancre a mal. La lumiére frappe de plein fouet. II voudrait tant jouir pour se débarrasser ď ails. II abandonne. II contemple ce phare épuisé et strie par tant de va-et-vient inutiles. Étendu sur ce lit qui connait tous ses secrets dans les moindres recoins, il ouvre les yeux, enfin. Le soleil est toujours lá, plus brulant et elle, elle est partie se reposer dans ce coin de sa tempe d'eau. II demeure sourd á la sonnerie du telephone. II referme les yeux si fort qu'on jurerait qu'il fasse nuit. III Moi, locataire du béton, j 'attends la neige de ľindépendance depuis la nuit des longues pluies. Mes rugissements anonymes traversent le pont de nuage á l'aube d'un papillon de metal. Laterre tourne et danse au crépuscule de mes pensées mi-joyeuse mi-endeuillée. Mes pas retrouvés á rebours de mon regard décousu habillent ma chemise de poussiére, je chausse gencives d'antan le dimanche de mon souffle. Inalterable. 213 IV Ce 11 septembre, jour comme nul autre. Une lampě imaginaire fut égarée. V Survivre Dans ce triomphe rasant d'une givre beante Assommant La plaie d'un amour fictif M'irrite Une larme seche Me tord les os : Mecanisme fatal d'une caresse Partie explorer le puits delebile divin J'ai invité mes réves á me suivre Vers le tiroir de l'appui J'ai volé la mystique d'une poesie contiguě En criant mort á moi-méme Pour découvrir Que mon ombre vivait Et Qu'elle m'ecrivait Dans un roman á resonance Moi, irradié de profondeur Ce 11 septembre, jour comme tout autre. (Transhumance) DES MOTS ET DES CHIENS, pour ne rien dire comme a l'accoutumee ... Les mille et une palpitations, Tambour battant 1'ombre profilee de ma ville Hantent le toit de ta nuque ; Remplissent de mots la page criarde de mes cils. Tes hanches de gratte-ciel Zero lune, mi-miel mais a temps partage Ensorcelent la mie de mes lanternes de toile. Voilá Que j e suis nu devant vous Crucifié á chaux par le titre cache de ma vie. Vie de rats et d'équinoxe Oú s'évapore au gré de mes paupiéres Le labyrinthe de mes habitudes. Me voici á nu devant vous, Dis-je; Respirant ľ aróme du bitume Assis entre le café d'un ciel bleu et le miroir d'un rendez-vous raté. Taisez-vous !!! Le silence vous parle. Cratere de maux ä la derive de mes pensees inedites, Ciassees pele-mele dans le tiroir de mes rizieres ephemeres J'etuve chaque grain de sable, Chaque pellicule de mon tympan A la recherche de l'ultime voie. Decidement, entre Dieu et moi, II y a une herbe qui taille ses ciseaux de feu Dans la baignoire de mes derisions. Hecatombe d'eau a la lisiere de mammaire D'ou jaillit le jeu des echecs vifs A la maniere de qui perd ... gagne. Le naufrage de mon coeur sonne six fois, Coup sur coup, Annoncant que l'aube du printemps precedera, Cette fois-ci, L'aurore de mes rejouissances. Dorenavant, Le millenaire crepitement du feu Desalterera ma conscience, Marquee au sceau de la penombre. Vient ensuite, la danse interminable de la resignation, Laquelle jadis, ameuta le troupeau. Vive le coude a coude martele au millimetre pres, L'espoir n'a pas d'oreilles, Ni insouciante gauche, Ni consciencieuse droite, Sauf qu'entre les deux, Je hurle l'empressement des mots A decrier la cle feuillue de l'agrement; Je hurle l'empressement des mots A decrier l'arnaque mythique de tes hanches. Ta moue, mille fois revisitee Au periptere de ma memoire soutenue par la delivrance du chemin de ta vie parsemee de multiples renaissances. Toi, dont la page rouge vif De tes levres Inonde de maux luminescents Le vin de mes cendres ; Danse incandescence dense Dans le creux de ma vie. Desormais, L'incontinence de ma memoire Engrange peu ä peu La nappe de mes emotions. Depuis, J'invente, Liminaire mobilite du feu ; Le cercle du cerceau de beton de mon histoire, Sans lanieres, ni fouet ni folie. J'accorde les notes de mes os d'ecrin Au son lascif de ton regard scelle au trombone infuse de marbre. Je liquide dos a dos les mots gommes de mon passe a venir dans les limbes du desespoir. J'ecris, Cöte intime de mes tempes, Le dire de mes lunettes d'aube. J'ecris aussi la douleur, Chuchotant la dictée sourde de mon čoude á dos Á chaque copulation. Conformité de l'encre á ma langue de nylon, Prise dans le garrot de mon miroir de papier Laissé á nu comme á 1'accoutumée dans le fin fond de mon enfance. J'habille la voute caverneuse de mes dix doigts jusqu'au nombril de ma chambre ouverte a l'enneigement tardif de tes reins, encenses par la confluence vertigineuse de ton absence. J'habite la hantise de mes chants d'amour, Hantise du lieu qui habite le cote avare du fil de tes hanches Chargees a bloc lors du careme onctueux De l'enfant que je suis et que je deviendrai. Je suis le bapteme de ma plenitude A mille lieux de mes talons de boue, Entoures d'idylles laconiques sur les changements passes et presents Du parcours de mes mots rescapes par l'ancre. Ode a la felicite du millesime cri de mes annees animees Par de flocons insidieux souffles par ton index Chagrine a perte de vue. Le cafe du matin bitume blanc comme neige La banquise acrylique du parquet aquilin Dont tes kilometres et des poussieres de gemissements Encerclent oeil pour oeil le ciel ardent De la page inedite de mon poeme. Je vois entendre clopin-clopant Le chariot de mes malheurs amenant avec lui son lot de sourires Et de bonheur lies a la vendange de mon sang. Toi, ma ville, Maintes fois arpentees en quadrille et en croix, Maintes fois souillees par nos pas bigarres, Maintes fois revees jusqu'a l'enlisement Maintes fois detestees et aimees Maintes fois caressees par des mots et des chiens, Pour ne rien dire comme a l'accoutumee. Gary SAINT-GERMAIN Gary Saint-Germain, ne a Port-au-Prince (Haiti) le 6 novembre 1956. II fit, dans cette ville, des etudes a l'Academie des Beaux-arts, et participa aux mouvements du groupe Les Differentialistes. Exposa ses premieres toiles en 1975. Emigre au Quebec en Janvier 1976. N'a pas encore publie ses Nosuds Coulants (poesie). D'UNE PETITE VOIX Le poete dechira son enfer Et son verbe s'illumina... Le poete dechira son enfer Et son vide s'illumina. Sa parole circula a l'interieur de son absence, Son silence claqua entre les entrailles de l'oubli. Mais malgre lui, il examina son corps. Ah! ce corps lache en parcelles incandescentes, aux membres figes dans le geste pour l'accomplissement d'un rituel de signes. Entre les parois du crane, Une lampe percee d'obscurite ressemblait a un feu d'artifice Puis son enfer se transforma en espace inoccupe comme une luminosite diffuse Et il n'y avait plus de feu. II n'y avait plus de feu. L'air s'etait immobilise dans le souffle d'un cri, Dans un effort de vociferer une sensation deja morte. Les mots, un a un se retirerent dans rantichambre de la memoire, ils ne laisserent que leur apparence, la charpente d'un sens deja perdu, ils ne laisserent qu'une volonte de dire Une envie mordante de chercher ce qui fut et qui n'est plus, C'est-a-dire le pourquoi du sens. Le poete dechira son enfer Et son vide s'illumina 219 Sa parole circula a l'interieur de son absence, Son verbe claqua entre les entrailles de l'oubli. L'air s'etait immobilise dans le souffle d'un cri. (Les nceuds coulants) DE L'AUTRE COTE DU MIROIR L'heure cinetique Cascade dans le bruit sec Du mouvement de l'horloge centrale Coeur a coeur sans nos masques Cieux contre cieux sans nos casques Unjour tu m'as dit Qu'importe l'heure? J'etais ates cotes Toi, tu etais en moi Et pour une nieme fois J'ai entendu des cloches Sans echo dans ta voix (Ibid) CHASSE-CROISE Les pentes lisses s'unissaient Aujour des voiles Chasse-croise, Les pentes s'unissaient Aujour des voiles brulees Voiles et etoiles de mers Les pentes lentes Incrustees dans l'air vide Ou le son etait sourd (Ibid) 220 REPĚRES Grand nenuphar de la mort Son excellence le hibou naissant Hyper alternateur honoris causa Sans masque á gaz... Metropolis aux ailes ďoiseaux mécaniquement pudiques Aux yeux trous noirs sans fond (Ibid) DEFIANT LE SILENCE POUR ENGENDRER L'ESPACE La beauté est surement cette femme que je n'ai pas connue Mořte isolée sans sa convulsion fantasque Mais que tout le monde appelait la folle L'autre, le vide insondable Et pourtant image balise Corps linceul Éclatements Court-circuit du désir Les autres, trains crispés Assoiffés de rage Rives sonores glissées á l'improviste Dans les coulisses de ma voix (Ibid) Lenous SUPRICE Lenous Suprice, ne ä Fond- des- blancs (Haiti) le 17 octobre 1955. II vit ä Montreal depuis 1976. A publie les recueils de poemes suivants : Reverrant (1990), Bwamitan (1993), Fails divers (1994), Pages triangulaires (1994), En enjambantle vent (1997), Llleen pages (1998), Rouge cueillaison (2000), Fictive Andalouse en ma memoire (2006) QtPawoli (2003). AUX ABORDS DES VENTS a Rosemay Eustache Alors qu'une bourrasque s'est cassee dans notre branche l'abattant des routes folles nous traversent des l'aube au plus fort d'un tocsin dans 1'entendement sans notre petite chanson en presence la plus vive a travers les coloris en berne d'un flamboyant. Et nous nous apercevons bien loin d'elle au plus profond d'une plainte ou meme d'une complainte a 1'extreme jouee en dent de scie avec les fausses notes d'un vieux piano de chagrin par de funestes musiciens malgre nous. Mais il y aura une nouvelle senteur a peindre dans nos chaumieres pour amoindrir le vacarme de 1'absence d'autres voiles ainventer des l'aurore a l'interieur de nos petits bateaux et tant de vents a sculpter pour leurs mouvements loin de la brume ou du desequilibre. II y aura des villes sans fracas a ouvrir dans nos raisons d'autres occasions de bonheur malgre tout a imaginer petit train par petit train en pourchassant tous les fantomes qui nous heurtent maintenant et tant de voies sereines par 1'entrain a retablir pour une reanimation des wagons de tendresse vers l'intime. (Polyphonie, inedit) 222 TOUT TON PARFÜM S'ANIME ENCORE Ta riviére a brúlé sa robe de marécage et vendu les cendres en débarras pour une plus neuve au boulevard des occasions insolites. II y a un an souvenir aujourd'hui de plus en plus ton passage il y a un an tout ton parfum s'anime encore comme si... Mise en train á nouveau de ce qui nous animait autrefois septembre revient tout en douceur j uché sur 13 juments en vol avec 6002 souvenirs bien comptés. Ä ľ autre bout du quai ta voix cherche encore dans la soeur du silence une nuit fardée ďétoiles pour me proposer quelque chose d'inavouable entre le parcours de mon fleuve et une courts joie. Laisse-moi verifier ma portance imprecise avant ton intérimaire atterrissage. Deux ou trois ruisseaux t'appartenant sont passes sous le pont de ma soif sans trop s'attarder. Ton vent porte encore mes feuilles á ľencolure et j'ai tant besoin d'ombrage pour calmer un vain enchantement... désabusé. II y a beaucoup plus d'horloges de basse-cour que 9a qui ont chanté des heures et des heures dans les replis de ton aube. 223 L'ete aura-t-il d'autres teintes que les anciennes averses ä peindre dans nos heures? Magiques lectrices des grimoires du bonheur tes iles debarrassees de leurs chapeaux de reine m'ouvraient le passage de leurs eaux silencieuses. Incommensurable le virage que prenait ma barque dans ta houle de maree haute. Par de longues enjambees l'une des betes de la crainte se fracassait dans le grand rire de tes yeux libertaires. Je me mets ä revivre les parfums le printemps l'ete parfois l'automne un peu moins souvent l'hiver apres les adieux de tes somptueux oiseaux devant le seuil d'un non-retour ä l'ensemencement de mon champ. J'ai la vue longue des sillons comme reperes pour retracer tes pas perdus dans le lointain. Dors-tu toujours avec ton insolence seul oreiller pour recueillir tes chutes quand tout autour de toi s'affirme par la fuite simple hors de tes attentes grandioses? Ä present je dis au diable le plaire devant l'insense vive les scies de l'impatience pour rendre aux bois de tes tempetes tous leurs mefaits sur le champ en la regle laide des coups de pas au bas des reins. (Payse imaginaire, inedit) Elsie SURENA Elsie Surena, nee en 1956 ä Port-au-Prince (Haiti). Elle compte plusieurs expositions (Photographie) et publications ä son actif dont des recueils de poesie : Melodies pour Soirs de Fine Pluie (2002), Confidences des Nuits de la Treizieme Lüne (2003), Lanmou se fle sezon (2011). Certains de ses textes ecrits/traduits en anglais, espagnol, portugais et japonais, figurent dans plusieurs revues ou anthologies. Son avant-dernier ouvrage, Tardives et Sauvages, parut en 2009 chez Rivarti (New York). Elle a remporte le prix Belleville Galaxie au 5e Concours international MARCO POLO de Haiku en 2009. ANGELUS DU SOIR Au bout dujour Le son gris D'une cloche Teinte le silence De regrets DOLCE VITA Le soc De ta charrue Lentement sillonne Mon humide parcelle Douceur inattendue Des pluies d'octobre Sur Port-Salut LONG VOYAGE « Fais-moi mal » L'ocean d'une phrase Ou larguer nos desirs insoumis Sans boussole 225 RETOUR D'EXIL Sitöt la porte refermee Je me jette contre toi Nos levres se heurtent, se happent S'agrippent et s'obstinent Certaines dejä de se reperdre Jusqu'ä la prochaine fois Survivants de 1'absence Nos corps trouvent ancrage En territoire mi inconnu mi familier Que nos mains arpentent sans fin Etonnees du miracle sans cesse renouvele De ce desir brut et rebelle Qui denonce l'exil au quotidien Des amants separes ABSENCE Insondable Desert sans manne A traverser jour et nuit Avec l'espoir de ton retour Comme seul viatique FANTASME DE HOUNSI T'accueillir Encore dans mon lit Aux blancs draps Embaumes de fwobazen Et en faire un temple A ta devotion RETOUR A CAMP-PERRIN a Enedland Je n'en n'ai pas dormi de lanuit: je pars pour Camp-Perrin. Interminable coulee des heures au bureau ce vendredi, les yeux aimantes par l'horloge. Ouf! Quatre heures, je laisse Torbeck. Partout le bruit Les mots orduriers du Carnaval Trouver des boutures Premiere escale, Les Cayes. Quelques petits achats au cas ou, surtout des bocaux de noix grillees de St Jean et aussi deux barres de chocolat: yes, je suis en conge ! Tout la-haut, la-bas Kepi de nuage pour la montagne Odeur de beignets On repart. Petite vexation de la vie : celui qui me voiture ne m'a pas reconnue alors qu'il frequentait notre maison quand j'avais dix-douze ans. Je lui mentionne les amis communs, surtout mon cousin Jab dont il fut le condisciple au Petit Seminaire de Mazenod ou il doit me deposer. Enfin, une lueur differente dans ses yeux : « Ah oui, les deux sceurs ! ». La conversation s'installe pour de bon. Depuis l'enfance Reve de sejour a Mazenod Braiments repetes II faut remettre une commission a Dexia. Je m'informe d'une amie habitant le coin. « II n'y a personne a la maison », me repond son jeune firere. « Et toi, t'es pas une personne ? » Grand sourire aux petites dents pointues. D'ou nous vient cette manie de repondre « personne » en pareille situation ? Lago d'oiseaux Rouge debauche de poinsettia Se sentir bien Nous croisons une bande carnavalesque a Laborde, drapeaux en tete et musiciens au milieu. II faut ralentir et attendre que les fetards se rangent d'un seul cote de la route. Chacun ses plaisirs, moi je vais a Mazenod ! Lumiere rasante Un ouanga-neguesse siphonne Une fleur de liane 227 Une fois de plus, je me trompe sur l'emplacement de l'etang Lachaux. C'est bien plus loin que Sovo, aux environs de Carrefour Lamartiniěre, une petite entrée sur la droite avec un bras de canal á traverser. Chassé d'une maison Un chien noir se gratte le cou Bambous de rara Au passage, j'ai une pensée reconnaissante pour mon hotel préféré á Levy. En effet, si j'avais pu réserver á l'Auberge de la Distribution, je n'aurais peut-étre jamais su qu'on hébergeait des visiteurs á Mazenod. Moralité : bénissons les contrariétés. Tresses cordonnettes D'une jeune fille vue de dos Deux cabris se suivent J'arrive au Bas-Camp sans tout á fait m'y retrouver ; j'ai l'impression d'etre en plein lit de la Ravine du Sud. Par bonheur, 9a change tout de suite au Pied-Camp. Nous penetrans en territoire de fraicheur grace á la verdure et au plus que centenaire Canal d'Avezac. Haies d'hibiscus rouges Sucrins, orangers et manguiers touffus Gratuité du luxe ! Nous atteignons Haut-Camp oú plein de souvenirs m'accueillent. La bibliothěque des Sceurs dont j'ai lu tant de romans sans jamais y mettre les pieds, la pelouse de chez Manmite Alfred ou j'ai exercé mes premieres touches de volley, le grand manguier de chez Mme Gabriel. Surtout, la galerie oú les garcons secouaient á longueur ďété la calebasse du bingo, le petit cimetiěre sans morts de notre cour á 1'entrée de Jonc-Champlois, les serenades parfois interrompues par nos parents et mes premieres amours... J'avais treize ans, lui dix-neuf. Une femme court En se soutenant les seins Peur qu'ils ne tombent ? Du coup, je crois revoir Mademoiselle Vanette au « balcon fleuri » comme diraient les Beiges. Nous nous demandions toutes, á 1'époque, oú elle achetait son soutien-gorge, vu sa volumineuse poitrine. Paix á son arne ! Pres du Calvaire, je repěre la maison d'une vieille connaissance. « II n'est pas chez lui á cette heure », m'apprend-t-on. Eh bien oui, on est en province : tous savent tout de tous. Mains dans les poches Un homme á lunettes se presse Fraiche odeur de lotion 228 Bouette a bien change aussi. Chez Aneze, c'etait avant ou apres cette zone ? Ah ! Ses tablettes lacolle ! De vrais peches mignons au sirop. Je cedais souvent a la tentation, sans remords. Et recommencais de suite, en me lechant les doigts. Ciel soudain gris Abat-jour de toiles d'araignees Au lampadaire Enfin, je vois se profiler la verte barriere metallique si esperee. Je ne peux encore croire a la chance de sejourner dans ce qui me semblait le saint des saints reserve aux elus de l'autre sexe dont Jab et ses condisciples. Comme je les ai envies ! Au niveau de la chapelle de pierres grises, nous toumons a droite. Elle me fait soudain penser a celle de Harvard qu'on depasse vers Prentice Hall, je crois. Pourquoi ? Mon subconscient fait encore des siennes... Socle de galets Pour statue en robe rouge et blanche Eugene de Mazenod ! Toujours incredule, je me tiens debout a cote de la jeep, attendant une invitation a entrer au Centre d'Accueil Siloe. Mes yeux font le tour et je me souviens... Bougainvillier surprise Sur ce terrain de foot de Mazenod Un but me fut dedie... Pas de doute, je peux rester. Une chambre m'attend, telle que je la souhaitais : au milieu de la vegetation, dote d'un bureau et d'une monacale tranquillite. Visite de la chambre Tiens, j 'herite d'une savonnette Appeler ma mere Au souper, je suis conquise des la premiere cuilleree par le veloute du potage de malanga. Encore un peu, je redeviens catholique pratiquante ! Une promenade sur la cour s'impose d'elle-meme apres le gratifiant repas. Une rumeur se precise. Bien sur, un groupe a pied reprenant a cceur joie un refrain grivois, comme d'habitude pendant les jours gras. Mes oreilles en recent mal de chastete, jugent 1'amusement. Paien. Influence du milieu... Frangipanier Aux longues branches toute nues Concert de criquets 229 Petite surprise, le nom se prononce « Mazno » par les prétres Oblats. N'empeche, je continuerai á dire « Maznód » comme les gens des environs. Désolée, Saint Eugěne. évangéliser les pauvres. ce n'est pas sans risques. Une victoire quand měme pour le patron des lieux : je me vois trěs bien terminer mes jours ici : salut assure, non ? Je vieillis mal, il me semble. Amas de feuilles sěches Tóle patinée du noviciát Alleluia en chceur Au retour vers ma chambre, je croise deux residents. Personne ne me pose de question. C'est officiel, je loge á Mazenod ! Respirations profondes. Sur ma porte á peine Entrebáillée, un anolis vert Premiere visite Cinq jours, rien que pour écrire. Jeudi arrivera de toute facon trop tot. En profiter au maximum. Place au carnaval des mots ! Zigzags de lucioles Stylo et page blanche m'invitent J'eteins mon portable 230 Philippe THOBY-MARCELIN Philippe Thoby-Marcelin, ne a Port-au-Prince (Haiti) le 11 decembre 1904. II fit ses etudes au Petit Seminaire College Saint-Martial et a l'Ecole de Droit de Port-au-Prince. II voyagea en France et a Cuba, et vecut aux Etats-unis (1948-1975) ou il mourut le 13 aout 1975 a Syracuse. II fut l'un des fondateurs de La Nouvelle Ronde et de la Revue Indigene. Philippe Thoby-Marcelin a publie plusieurs recueils de poemes : La negresse adolescence (1932), Dialogue avec la femme endormie (1941), Lago-Lago (1943), A fonds perdu (1953); et, en collaboration avec son firere Pierre Thoby-Marcelin, les romans suivants : Canape vert (1942), La bete de Musseau (1946), Le crayon de Dieu (1952), Contes et legendes d'Haiti (1967). Le premier roman du duo, Canape vert, avait obtenu en 1943 le grand Prix du Roman Panamericain. AUTORITE DE LA CHOSE JUGEE a Magloire Saint-Aude La souffrance en touche divisee Quelque part dans la fievre Des souris grignotant le sapolin On en recueillit quelques miettes Et ceci Que tu n'effaceras pas Les ventouses froides de la peur Sur la nuque Et ta pestilence tandis que Maille apres maille se composait Une mort insidieuse et convenable Mais on n'a pas voulu dormir en ce temps-la. Tout se confondait Et meme une forme hagarde Debout contre l'aube chancelante Dans l'atroce obsession De nuage buvant Comme d'un encrier renverse Par le talon fou de Septembre Le sang cruel de Guernica. (A fonds perdu) 231 LA MARRON PATHETIQUE Etait-ce de jour ou de nuit De joie ou de douleur Etait-ce d'hier ou de toujours II s'etait allonge Dans les herbes lyriques de l'annee Etirant son corps A la taille d'un guinnarou Etirant son sexe Dans la glissante amitie des couleuvres Jaillissant Comme une audace de bambou Etreignant L'immense Le secret Le terrible Et l'oreille au ras de la folie (Dieu ayant mis sa main Sur la bouche du vent) II ecoutait battre Au rythme elance De blessures pleines de cris Les pas de sang d'une dansante emeute. (Ibid) L'INNOCENCE ANALYTIQUE á René Balance Issues de la dehiscence sexuelle Les touffeurs de la nuit douce Étalée Dans la protection angulaire Et les rutilances de la cécité Et alors Et déjá, Goutant Dieu en toutes choses, La virginité froissée Entre les paumes vegetal es Et parcimonieuses D'un anolis squameux... On vous parle d'un age aboli Voyez-vous D'une aisance pléniěre Au temps des prophéties Et Ton avait franchi pourtant L'etape de la mue Et sa queue repoussait Pour la gloire initiale Du colt vert-pré Entrelacé Dans la cynique pertinence d'un dessin Concu á la louange des lignes. Mais déjá L'on savait Je savais Malgré 1'élégance de la conjonction Que rhomme-serpent (Cétait hélas un puritain) Se déprenait aux jointures D'indicibles craquements. (Ibid) 233 POUR ENCHANTER LA PEUR á Wifredo Lam La raisonnée de ľan neuf Ľheureuse année Sur les portées du désastre Pour la migration saisonniére Des cactus C'était écrit en toutes lettres Pendant ce temps Criminel Pétro En route pour des goéties Chevauchait la terreur de ľan mille (Par les bomes milliéres De poussiéreuses desolations Une vraie nostalgie d'Ile du Diable). II se tournait á droite Et c'était un lézard beat Ä gauche Et c'était un adieu solaire II se couchait Et la terre bougeait comme une femme II se levait Avec un doigt dans le nez. Mais de grace ne pleurez pas La danse est finie. (Ibid) EVIDENCE D'UN CABICHA Le canal d'aout faisait Barbu barbele Un songe d'herbes De bananeraie De coupole bleue. Des mangues persuasives Des goyaves aigrefines Mon bel ange revolts 6 Raisonneur C'etait la mode annuelle Mais on lynchait encore en Virginie Et j'avais grand gout de toi Liberte Une brise equivoque Trancha la question Elle m'induisit dans le vert de midi Et la nonchalance chevelue Et cette douceur de cuisses fraiches. Puis seche Au gre de la sucrerie Je m'enfoncai corps et biens Dans un lit de cafe doux Comme un sein de nourrice noire Je pensais t'enseigner la bienveillance Mais ce n'etait qu'un amour de fumee Au reveil on n'etait plus la Croyez-moi si vous avez souffert Au pays du Bondieu bon Ne le dites a personne. (Ibid) Evelyne TROUILLOT Nee ä Port-au-Prince (Haiti), Evelyne Trouillot part tres jeune pour les Etats-unis. Depuis son retour au pays natal en 1987, eile travaille dans le secteur de l'education. Apres un premier recueil de nouvelles, La chambre inter dite, paru chez l'Harmattan en 1996, eile recoit en 2004 le prix Soroptimist de la Romanciere Francophone pour son roman Rosalie l'infame. L'annee suivante, Evelyne Trouillot est laureate du prix Beaumarchais (ex a?quo) pour sa piece de theatre le Bleu de I lie. Elle a publie entre autres deux recueils de poesie, Sans parapluie de retour (2003) et Plidetwal (2005). Son dernier roman, Le mirador aux etoiles, a paru en 2007. Evelyne Trouillot a publie un essai sur l'enfance et droit de l'homme en Haiti, Restituer I'enfance, paru aux editions Haiti Solidarity Internationale. Elle elabore egalement des manuels et documents pedagogiques. Je passe et repasse ta voix sur ma peau siderale eile se prolonge äl'envers de lalune pour parier aux etoiles Qu'importe ä mon desir les noms et les brülures ? ni femme ni homme le besoin generique de t'aimer m'emplit de lumiere desesperee. Entre mots et neants l'encre trebuche devant l'angoisse de naitre comment garder le poids de ta main au chaud dans cette blessure exclusivement mienne ? 236 Amour des espaces interdits rej oins-moi en marge de ce qui fut. Amour des heures a perdre et des tendres annees Sablier aux langoureux delires le temps fait mal a la clarte nouvelle des choses (Sans parapluie de retour) Baiser ta voix jusqu'aux plus sanglantes zebrures Presser tes seins des douleurs qui chuchotent de leurs gouttes infideles Avoir mal par ou sans le savoir tu trembles Amour cheveux chagrin prends-moi par ce poeme avide de nos mains et simplement contre mes reins ecris ta metamorphose (Ibid) Une main a ma bouche oreiller pour un cri qui deraille Jour des cafards en serie et des fleurs sous la table enterres vivants sous une nouvelle absence mes gestes me quittent Le temps de pardonner a la vie Mes interstices heureux sont frappes d'interdit (Ibid) 238 Lyonel TROUILLOT Antoine Lyonel Trouillot, né á Port-au-Prince (Haiti) le 31 décembre 1956. Poete et romancier, il est également enseignant et fit des etudes de Droit. Fascine par la littérature depuis son plus jeune age, il a collaboré á différents journaux et revues d'Haiti et de la diaspora dans lesquels il publia plusieurs poěmes et textes de critique. Lyonel Trouillot a également écrit des textes de chansons interprétées par Tanbou Líbete, et par des artistes aussi reputes comme Manno Charlemagne, Toto Bissainthe, Jean Coulanges, etc. Professeur de littérature, journaliste, co-fondateur des revues Lakansyěl, Těm, Langaj, ses principales publications sont: Depale (poesie Creole en collaboration avec Pierre-Richard Narcisse), Association des Écrivains Haitiens, Port-au-Prince, 1980; Les Fous de Saint-Antoine: traversée rythmique (preface de René Philoctěte), Deschamps, Port-au-Prince, 1989 ; Le Livre de Marie, Memoire, Port-au-Prince 1993; La petite fllle au regard d lie, Memoire, Port-au-Prince, 1994 ; Zanj nan dlo, Memoire, Port-au-Prince, 1996; Rue des pas per dus, Memoire, Port-au-Prince, 1996; Actes Sud, Aries (France), 1998 ; Les dits du fou de Tile, Editions de l'lle, Port-au-Prince, 1997 ; Therese en mille morceaux, Actes Sud, Aries, 2000; Les enfants des héros, Actes Sud, Arles, 2002; Le testament du mal de mer, Actes Sud, Arles, 2002; Bicentaire, Actes Sud, Arles, 2004; L 'Amour Avec des mots ďamour cassés comme un crayon (des mots á la petite semaine, sans bagout ni chiffre d'affaires); Avec mon panier d'herbes folles et mes mains brulées par le vent; Avec mes enfances á venir ; Je ťai parlé ma langue d'aube, d'alcools et de lumiěre, ma langue de route ; Et tu m'as dit: « Je serai Ěve souveraine ; je t'ai choisi; sois mon serpent » ; Tu m'as coule comme un verset au pied de l'arbre qui riait Et nous nous sommes aimés au verso des croix blanches. 239 « Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire... » Refuge des grands noyes et des explorateurs, les yeux, tels un aimant, attirent la metaphore. Ce n'est point la matiere de l'autre que Ton regarde dans ses yeux. Les yeux, comme les miroirs, en appellent a la vanite. Un soir, dans un bar, nous parlions de la liberie. Tu buvais un rhum sour. Par besoin de miroir, je cherchais dans tes yeux des poemes a chanson. Mais quand tu portais ton verre a tes levres, je regardais ton coude. II n'y a qu'un coude dans un coude. La pointe de l'os sous la peau ne donne lieu a aucune image. Ton coude ne renvoie qu'a ton coude. J'aime ces parties de toi qui ne symbolisent rien. Je regarde ton coude dans son insignifiance, et tu deviens une fin en soi. (Eloge de la contemplation) 240 Antonio VIEUX Antonio Vieux, né á Port-au-Prince (Haiti) le 28 aoůt 1904. Avocat, professeur de lettres, sous-ministre d'Etat á la justice (1944-1946). Directeur du Lycée Toussaint Louverture (1948), ministře de l'Education Nationale (1948-1949), il s'est surtout consacré á l'enseignement. Antonio Vieux a publié dans diverses revues culturelles, mais n'a cependant laissé aucun recueil de poesie. II fonda á Port-au-Prince une librairie "Aux livres pour tous" ainsi qu'une maison d'edition. II a été arrété et fusillé dans sa cellule á Fort Dimanche, en 1961, par Francois Duvalier en personne. Ce poěmeMarine l'avait rendu célěbre. MARINE pour Jacques Roumain Grise, sale, Comme en ce jour de mon enfance ou je t'ai decouverte. (C'etait un matin fremissant de voiles hautes dans le ciel) Et comme aussi, plus tard, -nu tete, avec de gais compagnons qui chantaient fort, et portaient leurs vestes a la ceinture, (autre la joie bruissante des Cannes) puissante, tum'apparus, dressee, hargneuse. Je te reconnais. C'est bien toi, Cette rumeur qui est la voix de tes entrailles, tes broderies d'ecume, et le sel dont tu m'as tingle le sang, et cette facon brusque, stupide, dont tout a l'heure tu as fonce, et, cette barque, tu l'as prise, (deux bras s'y sont leves comme crucifies) et l'as chaviree... C'est bien toi. Tu as traine sous toutes les latitudes, flane, 241 muse, rugi. Et te revoici: plus grise et sale de tous les mondes laves! II y a eu des poetes pour te chanter, pour dire que tu es belle, et bleue Pour vanter tes ecailles roses dans les criques, et, derriere l'horizon prismatique, le mirage des Cytheres, tes Sirenes! Moi, je ne trouve pas. Moi, je n'ai jamais pu t'aimer Moi, je te vois comme tu es : Grande, "gueuse", fardee de bleu, Clamante, puante, et qui porte (et qui offre) sous le mensonge de sa tunique, les rires douloureux des dents mortes, la souillure des varechs et des algues -tous les dechets de tous les mondes. Etzer VILAIRE Etzer Vilaire, né á Jérémie (Haiti) le 7 avril 1872, cľune famille protestante. Études secondaires en partie au College Saint-Martial de Port-au-Prince. Enseignant plus tard au College des jeunes filles de Jérémie, il devint avocat en 1894. En 1905, il fut nommé Directeur du Lycée Nord Alexis de sa ville natale, á peine fonde. II y resta 17 ans. Etzer Vilaire, grace á Georges Sylvain, collabora, vers 1901, á la célěbre revue port-au-princienne La Rondě. II collabora également á Haiti Littéraire et Scientiflque ou il publia en partie son roman Thanatophobe. En 1930, il fut élu depute et, plus tard, nommé Juge au Tribunal de Cassation (1922-1928). Vice-president du Tribunal de Cassation, il y restera jusqu'en 1946. Etzer Vilaire mourut le 22 mai 1951, á ľäge de 79 ans. La littérature hai'tienne doit á Etzer Vilaire plus de 750 pages de vers. Ses poésies completes comprennent trois tomes: Années tendr es (Tome I), Poěmes de la mort (Tome II), Nouveaux poěmes (Tome III). On ne connaissait, jusqu'á ľannée 2005, que deux editions des oeuvres d'Etzer Vilaire: celle de 1913, dans la "Collection des poétes francais de ľétranger", parue chez G. Barral, et ľédition definitive de 1917 parue chez Albert Messein, á Paris. II a laissé plusieurs inédits, dont un roman historique (Ľesclave), des textes en prose (La vie solitaire), des essais et pensées (Essai sur le passé et I'avenir de la religion, Miettes pour I 'esprit), des discours et des conferences, et méme des oeuvres pour le theatre (Eveline, Le cas de Madame Favart). Etzer Vilaire est ľun des plus grands poétes d'Haiti de langue francaise. SAINT-DOMINGUE, SALUT Saint-Domingue apparait. Soudain les matelots Sortent ä son aspect de leur morne silence. Le vaisseau plus leger mollement se balance. Sa premiere colline offre au baiser des flots Les lianes, les fleurs, et la verte ramee Qui tombent en festons sur sa plage embaumee. Le vent tiede fraichit sur ses bords fortunes Et la vague d'azur croule en neigeuse ecume. Le bleu profond des vals se glace d'une brume, Et la file des monts, de foréts couronnés, Semble un vert reposoir, un escalier agreste S'etageant de la terre á la voute celeste, Eden que vont un jour consumer les enfers, Cette ile est une perle encor, plus convoitée Qu'a l'heure oú le Génois- modeme Prométhee Qui transforma le monde, et fut charge de fers-Vit sous les nouveaux cieux aux splendeurs inouies 243 Ses montagnes d'azur dans l'ombre epanouies. Saint-Domingue, salut! toi qu'un peuple ehonte Assujettit encore au douloureux servage! Un jour, on entendra la voix de l'Esclavage Retentir sur tes bords, dans l'air epouvante, Comme l'assaut des mers que l'ouragan souleve; Et l'Europe dira, stupefaite: " Est-ce un reve?" A l'Univers trouble montrant la Liberte, Dieu descendra vers toi, Dieu confondra le monde! Le sang doit effacer la servitude immonde! Le ciel imprimera l'elan de la fierte Aux esprits consternes qui pleuraient dans l'abime, Et la vengeance noire egalera le crime! Le ciel ne peut choisir un theatre plus beau Pour le drame etonnant dont s'emouvra l'Histoire. Comme un vaste incendie eclatera ta gloire!... Liberte! Liberte! c'est ici ton berceau, Ces sommets azures pleins d'ombre et de murmures Ou le printemps fremit dans les fortes ramures! C'est la que couleront pour toi des flots de sang, La que naitront, armes de la funebre pique, Les Spartacus vengeurs de tes martyrs d'Afrique; La qu'on verra bientot cet orgueil tout-puissant, Vainqueur des nations vingt fois coalisees, Reculer au seul bruit de nos chaines brisees!... Haiti, dussions-nous profaner nos exploits, Dussions-nous sous le poids d'un siecle de martyre, Flechir et chanceler comme un peuple en delire Fouler, ivres, la cendre eparse de nos lois Effeuiller nos lauriers sous un sombre nuage Voilant comme un linceul ta beaute qu'on outrage! Dusses-tu voir tes fils, ingrats a leurs aieux, Dissiper les tresors et, d'annee en annee, Dans la fange ou le sang s'asseoir...ta destinee N'en sera pas moins grande et ton nom glorieux: N'auras-tu pas jetant le cri de delivrance, Paru dans l'Amerique une nouvelle France? Que de maux ont germe sous ton royal soleil!... La brise qui soupire a l'ombre de tes anses, Ou la mer endormie assourdit ses cadences, Fremit et pleure encor sur l'eternel sommeil De la tribu suave, indolente et pensive Qui mangeait tes fruits d'or et buvait ton eau vive. Que sont-ils devenus, ces peuples d'autrefois? Comme une fleur, l'Espagne a fauche cette race! Leur musical accent etouffe dans l'espace Renait-il pour gemir aux echos de tes bois? La nuit voit-elle errer le mol aborigene, Une forme ondulante aux longs cheveux d'ebene?... Bientöt l'homme des mers voit Port-Republicain. La voile flotte encore sous la brise legere, Mais la proue a cesse de fendre l'onde amere. Le vaisseau mouille au loin...Sur le ciel du matin Pas un pli nuageux, dans le golfe splendide La mer au front d'argent s'etend sans une ride. Dans l'air ä peine un souffle; un silence profond Regne sur tout le port. Quelques barques agiles Sur le miroir poli des eaux glissent, tranquilles. On peut ä peine ouir le bruit furtif que font Les nonchalants rameurs...Mais des cris de detresse Eveillent dans l'air calme un frisson de tristesse Seuls, les esclaves noirs ont des accents plaintifs... Les bois harmonieux ecoutent leurs alarmes, Le sol tarit leur sang, leur sueur et leurs larmes. La maternelle Afrique ä ces lointains captifs Apparait et leur montre en d'errantes images Un vaste ondulement de lumineux rivages... (Le Flibustier) References essentielles sur Haiti et sa littérature ANTOINE (Yves) : La veillée, Impr. Serge Gaston, Port-au-Prince, 1964; Témoin oculaire, Impr. 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VAVAL (Duracine) : Histoire de la litterature haitienne ou l Arne noire, Edouard Heraux, Port-au-Prince, 1933. VIATTE (Auguste) : Histoire comparee des litteratures francophones, Nathan, Paris, 1980. VILAIRE (Etzer) : Poesies completes (Tomes I - III), Messein, Paris, 1914-1919; Presses Nationales d'Haiti, Port-au-Prince, 2005. 262 TABLE DES POĚTES • Yves ANTOINE...............................................................................13 • Coriolan ARDOUIN..........................................................................14 • Robert BAUDUY..............................................................................16 • René BÉLANCE..............................................................................18 • Franz BENJAMIN...........................................................................20 • Regnor C. BERNARD.......................................................................23 • Robert BERROUET-ORIOL...............................................................24 • Jeanie BOGART...............................................................................26 • Jean-Francois BRIERRE....................................................................30 • Richard BRISSON...........................................................................34 • Carl BROUARD..............................................................................36 • Frederic BURR-REYNAUD...............................................................39 • Roussan CAMILLE..........................................................................40 • Georges CASTERA..........................................................................41 • Jean-Claude CHARLES.....................................................................43 • Max CHARLIER.............................................................................45 • Jean CIVIL....................................................................................47 • Massillon COICOU..........................................................................50 • Jean André CONSTANT....................................................................53 • Joelle CONSTANT...........................................................................57 • Reginald Oswald CROSLEY...............................................................61 • Fritzberg DALÉUS...........................................................................63 • Alix DAMOUR...............................................................................67 • DAVERTIGE (Villard DENIS)............................................................70 • DÉITA (Mercedes Foucard GUIGNARD)................................................73 • René DEPESTRE.............................................................................78 • Joěl DES ROSIERS (DESROSIERS).....................................................80 • Marie Flore DOMOND.....................................................................84 • Gerard DOUGH..............................................................................89 • Jean Armoce DUGÉ.........................................................................92 • Oswald DURAND...........................................................................95 • Henri-Robert DURANDISSE...............................................................97 • Gérard V. ÉTIENNE........................................................................100 • Jean Claude FIGNOLÉ.....................................................................109 • FranckFOUCHÉ...........................................................................115 • Ruben FRANCOIS........................................................................117 • FRANKÉTIENNE (Franck ÉTIENNE).................................................120 • Eddy GARNIER...........................................................................123 • Hamilton GAROUTE.....................................................................128 • Claude GEORGES..........................................................................132 263 • Fayolle JEAN (Jean Léonce Sansaricq JEAN).........................................134 • Saint-John KAUSS (John NELSON)....................................................................137 • Gary KLANG ..............................................................................145 • Rassoul I.ABI (IHN (Joseph Yves MEDARD).......................................150 • Dany LAFERRIĚRE (Windsor Klébert LAFERRIĚRE).....................................153 • Michaele LAFONTANT (Marguerite DESCHAMPS)...............................156 • Jean-Richard LAFOREST................................................................159 • Leon LALEAU.............................................................................162 • Paul LARAQUE...........................................................................164 • Josaphat-Robert LARGE..................................................................166 • Serge LEGAGNEUR......................................................................169 • Roland MENUAU.........................................................................172 • Jean MÉTELLUS...........................................................................175 • Bel-Ami de MONTREUX................................................................177 • Roland MORISSEAU.....................................................................182 • Felix MORIS SEAU-LEROY.............................................................184 • Chambeau NELSON.......................................................................186 • Emile OLLIVIER...........................................................................188 • Anthony PHELPS..........................................................................189 • René PHILOCTĚTE.......................................................................191 • Max Freesney PIERRE....................................................................194 • Wesley RIGAUD...........................................................................197 • Jacques ROUMAIN........................................................................201 • Emile ROUMER...........................................................................204 • Clement Magloire SAINT-AUDE.......................................................207 • Henry SAINT-FLEUR.....................................................................212 • Gary SAINT-GERMAIN..................................................................219 • Lenous SUPRICE..........................................................................222 • Elsie SIRÉNA..............................................................................225 • Philippe THOBY-MARCELIN..........................................................231 • Évelyne TROUILLOT.....................................................................236 • Lyonel TROUILLOT......................................................................239 • Antonio VIEUX............................................................................241 • Etzer VILAIRE.............................................................................243 264 Saint-John Kauss. Ecrivain haitien. Vit au Quebec depuis plus de vingt-cinq ans. Ecrit en francais et en Creole. A publie plus d'une vingtaine d'ouvrages (poesie, essai, critique, anthologie). Sa poesie, saluee par ses contemporains, est traduite en plusieurs langues (anglais, espagnol, Creole, roumain, portugais et allemand). Elle fait aussi l'objet de travaux universitaires. Son ceuvre est marquee par l'exil, le pays, la famille, la tendresse et l'errance. Paroles de traversier dans le temps et l'espace, elle est enracinee dans la memoire. Saint-John Kauss est considere aujourd'hui comme le pere du Surplurealisme, mouvement litteraire permettent de visualiser le monde dans tous ses univers. Cette anthologie, Poesie Hai'tienne Contemporaine, ou Ton peut lire plus d'une soixantaine de poetes, est son 22e ouvrage. 265 266