Denise Bombardier Line enfancc ä ľeau bénite MasarWjvaJUnivprjriiH v B:nt Filozo:io;a fWtula. Ofifednrknthouim Pfir.d Sign Syst.c. J'ai fait ma premiere communion en etat de peche mortel. I>n moins I'ai-je cru. La religieuse, en preparant notre confession, insisie beaucoup sur les peches d'impurete. J'ai i ■. .ms, je me sens impure et suis incapable de I'avouer au pretrc. Lc sentiment de culpabilite m'accompagncra jusqu'a lu fin de mon adolescence. Et, bien sur, avec cettc culpabi-lnc, une immense solitude. Je suis seulc a etre si mechante, i ,h commis un sacrilege qui s'amplifie au fur et a mesurc que les fausses confessions et les communions s'additionnent. Mais, de ce fait, je suis unique, exceptionnelle. La culpabi-liic, curieusement, ne produira pas sur moi d'effet paraly-HUlt. hlle s'averera, en un sens, stimulante. Si je suis la pire de* pecheresses aux yeux de Dieu, il me faut etre la mcilleurc face aux adultes qui m'importent: mes parents et mes mai-trcs. Par mes rcussites scolaires, je parviendrai a mon but. I .a honte fut un autre des sentiments qui m'habiterent l.ms I'enfance. Mon pere repete constamment que les An-t'.l.ns soni nos maitres. lis sont ses patrons et je comprends ires vite qu'ils sont Les Patrons. Deux families anglaises vtvent a cote de chcz nous. Nos jeux d'enfants se transformed souvent en bataille anglo-fran<,aisc. Mon camp est celui UNE ENFANCE A L'EAU BENITE des Anglais doni j'apprends rapidement la langue. Lorsque, avec ma mere, je me rends dans les grands magasins de 1'Ouest montrealais, je m'adrcsse a elle en anglais dans les ascenseurs bondes. Pour rien au monde, on ne doit devincr mon originc. II y a plus : je vis dechiree entre les valeurs de mon milieu et celles de mon pere. Dans !e Quebec de la fin des annees quarante, tout le monde pratique la religion catholique ro-maine. Et tout le monde considere les pretres corame intou-chables. Sauf mon pere. Non seulement il ne frequente pas I'eglise, mais il blaspheme et injurie les pretres. Je suis terrorisee a I'idce que quelqu'un I'apprenne et je crains la vengeance du bon Dieu sur nous. Ma mere contribuera, de son cote, a mon dephasage en m'eduquant dans les valeurs d'un milieu social superieur au mien. Cours de diction, de danse et de chant: je me trans-formerai en ce que les Americains appcllent une achiever. Entouree, dans ces ecoles privees, d'enfants dont les peres avaicnt des professions liberales, je reconvertis d'instinct le metier du mien. De technicicn en eleciricite a I'Hydro-Que-bec, j'en fais un ingenieur foresiier. Une de mes tantes preferees, ouvricre dans une entreprise manufacturiere, de-vient officiellcment une maitresse d'ecole. J'aime beaucoup I'ecole et les religieuses qui y enseignent. J'aime l'atmosphere de I'ecole avec son rituel: la sonnerie de la cloche a heures fixes, les rangs pris par ordre de grandeur, les recreations si precieuses parce que limitees dans le temps. Mais j'adore, avant tout, apprendre. En deph de notre education catholique fermee, la connaissancc rcussira a se fraycr un chemin. Je veux toujours en savoir davantage. Alors, le soir, ma mere me recite des noms de pays qu'on m'a appris: 10 tM ct UNE ENFANCE A L'EAU BENITE l.i I i.nice, noire mere patrie, la Russie qui m'effraie a cause des i'limmunistes, les Etats-Unis, notre riche voisin, l'ltalie Im'ine, pnurvoyeuse de papes, I'Angleterre, notre hautaine I luivjiierante, et j'essaie d'en deviner les capitales. I tel religieuses, j'aime I'odeur, seche et douce a la fois, qui vkiii, dit-on, de leur savon, fabrique par la communaute. lies sont parfois injustes envers les eleves pauvres, sales ou tcntcs d'esprit. Je degage le parftim du savon Camay, je leur parle de mes amies, filles de medecin, et j'apprends plus vite que les autres. Nous nous aimons. De plus, elles soni fem-mcs, et les hommes, mon pere blasphemateur au premier tliel, me font peur. Ainsi se deroulera mon enfance. Une cnlunce difficile, inquiete, pleine d'exaltations brusques et de ilouleurs a vif. Une enfance de petite Canadienne francaise, «tilturellement demunie mais desireuse, jusqu'a I'obsession, d'upprendre. Sans aucun livre a la maison et avec des biographies de saints a I'ecole, le defi est de taille.