Poèmes 115 Roméo Saganash Diom Roméo Saganash est né dans le Nord du Québec près du Lac Waswanipi en 1962. Il travaille à Québec comme directeur des Relations avec le Québecpour le Grand Conseil des Cris. Auteur de plusieurs poèmes et textes en prose inédits, Roméo Saganash est convaincu que la création littéraire et artistique est un moyen très efficace pour assurer le développement, l'autonomie intellectuelle et la réussite des Cris. Mahiganou a été lu publiquement pour la premièrefois lors dufestival Présence autochtone 2001, à Montréal, par Chloé Sainte-Marie, et rejoint par lefait même sa thématique principale : le métissage. Désemparée, une jeune Métisse crie dialogue avec Mahiganou, la louve, et partage avec elle ses réflexions, ses doutes, ses peurs, ses souffrances, la difficulté d'assumer les limbes dans lesquels Cris et Québécois la relèguent. Métissages biologiques et culturels sont aujourd’hui inévitables dans les communautés cries, et même si l'équilibre identitaire n'estpasfacile à atteindre, il estpossible, comme le suggère cettejeune métisse : « Queje suis belle, Mahiganou / Queje suis métisse». Mahiganou C’était durant la saison des longues nuits Jiwètin, le vent du nord, avait emporté les dernières [ traces de neige Mishigamish riest plus qu’un miroir encore de [ glace Mais je sais,je sais l Jne lune, deux au plus, et les rivières [ recommenceront à chanter. J’ai comme seul guide ce soir I ,cs esprits dansants dans le ciel boréal ht la lumière tamisée de la lune pleine. Ni-wanshin, ni-madoune Je suis perdue,je pleure. Icou-higan kiè ni-bètèn J’entends depuis toujours des échos de [ tambours cris n6 Littérature amérindienne du Québec Ces échos qui me pourchassent Viennent du nord, de la forêt, Nouchimich, Contrées d’origine de mon père. D’autres rythmes et mélodies me parviennent D’ailleurs Et m’attirent aussi Vers l’est, l’autre côté de la mer infinie, vers [ mon destin Patrie de ma mère. Je suis mêlée,je suis métisse Je pleure. Sommes-nous condamnés, Nous, peuple de sang rouge et de sang blanc A errer ? Ni visage pâle ni cuivré Je suis héritière des cultures millénaires En même temps Des problèmes centenaires. Majish, métisse, moitié-moitié, peau dorée Celle qui se donne Celle qui se rend. On m’accuse souvent du plus grand des crimes Pensez au sort de Louis Riel, pendu Aux enfants de Malintzin, ou encore Gonzaleo Guerrero. On m’accuse d’infidélité à un peuple Mais lequel, lequel? Le peuple cri, Nouchimi Innouch ? Le peuple blanc, Wè-mishtigoshiouch ? Ni de l’un ni de l’autre. Je suis mêlée, perdue, métisse Et je pleure. Ce soir, Mahiganou, je pense, répond à mes | lamentations Poèmes 117 Je l’ai croisée, là, au milieu du Mishigamish, [ Grand-petit lac Majestueuse et perpétuelle Vêtue de ses plus belles fourrures Et ses mocassins de soirées légendaires Mahiganou s’était mise sur son... 1492. Elle a le regard d’une louve Elle m’explique quelle vient des temps [ immémoriaux. Etrangement, les tambours ont cessé Un silence des plus silencieux s’installe entre nous Je me baisse la tête Je la regarde par la glace polie du Mishigamish. Ses yeux gris rendent sa beauté impardonnable Sa peau, elle aussi, n’est ni claire ni foncée « Caramel, me dit-elle devinant ce que je [ remarque, c’est encore meilleur.» « Dandè è touté-in ? Jè gon wè ji-madouin ? » Où vas-tu? Pourquoi tu pleures ? Moush ni-mayim-goun Majish ni-shingadi-goun Wèn ni, Mahiganou ? Wèn-ni ? Bèj-witamou. Mes sœurs cries me traitent de Majish Celle qui est laide Mes sœurs québécoises m’accusent De blanche manquée Dis-moi, Mahiganou, qui suis-je ? Car je ne m’aime pas. « Ne pas t’aimer, c’est cracher dans la glace [ par laquelle tu me regardes, ton propre miroir!» «Nimaii apatou innou, apatou wèm-shtigoushiou ji» n8 Littérature amérindienne du Québec Non, tu n’es pas la moitié de l’un et moitié de l’autre Tu es l’un ET l’autre Une Blanche avec une âme crie Une Crie avec une âme blanche C’est toi qui décides quoi en faire. Je suis l’héritière des beautés et des malheurs [ de deux mondes Je vois Notre grande Ile de la tortue Est devenue Un immense lit d’échange, d’amour, de métissage. Les échos de tambours reviennent me flatter [ doucement Mes larmes surgissent de nouveau Je me lève la tête Mahiganou n’est pas là Dans la glace, pourtant, elle y est toujours... Que je suis belle, Mahiganou Que je suis métisse. (inédit)