Lai ignoree plutot que de lui grimper dans le visage, comme aurait dit papa. «Ah oui, autre chose, monsieur Lacasse. Si je vais acheter de la viande, a cote, et du pain chez les Careil, Louis peut me livrer tout ca ? — (^artain, ma belle fille! — Appelez-moi pas ma belle fille, monsieur Lacasse. Chuis pas une belle fille!» Madame Lacasse a ri et lui, Thvpocrite, a pris une mine offensee. «Pour moe, t'as toujours ete une belle fille, ma belle fille!» Je lui ai tourne le dos pour aller fureter dans It* reste de son vaste magasin, surtout dans les boiu de legumes frais toujours bien garnies. Avant de plonger la main dans une caisse dc tomates bien roses et bien dodues, je me suis retounn\ vers eux. «Et merci a vous deux, monsieur et madam* Lacasse, pour vos condoleances, 9a m'a beaucoup touchee...» ( Branlement de joues. Madame Lacasse s'est ton 1111 s vers son mari. Je l'ai entendue murmurer: « C'est quoi ca, des condolences, Louis ?» L'odeur de Ti-Ouis Lacasse n'avait pas chan depuis toutes ces annees. Un melange de sueur, dfl pipi seche et de cheveux jamais laves avait toujoins flotte autour de lui. Chez un homme qui depassail I • vingtaine, c'etait encore plus prononce et plus «1« 1 greable que chez le petit garcon avec qui il m'arri\ ill de jouer lorsque nous frequentions Fecole du vill.ip.r En montant dans la charrette ou il avait dq>n mes emplettes - un poulet et un roti de pore t he/ l< 72 boucher, du pain, quelques gateaux chez les Careil cn plus de tout ce que j'avais achete chez son pere cn fruits, legumes et conserves de toutes sortes -, je navais pas eu d'autre choix que de m'installer a cote de lui derriere la jument dont j'oubliais le nom et qui devait etre au bord de mourir de fatigue tant elle etait vicille et decatie. Je 1'avais connue jeune et fringante, |e la retrouvais a moitie morte d'avoir trop travaille. [e savais qu'elle portait un nom de femme, mais je ik' me rappelais pas lequel. Apres quelques minutes de silence - nous venions de depasser le coude du chemin ou, plus tot, j'avais cu ma crise —, j'ai du trouver un sujet de conversation parce que Ti-Ouis gardait la tete baissee, peut-etre iniimide par la religieuse qu'il croyait que j'avais failli dcvenir. Et aussi parce qu'il n'avait jamais eu grand-11 lose a dire, le pauvre. •< ()uel age elle a, la jument? — Pierrette? J'sais pus trop. Moe, j'voudrais qu'on l.i lache dans le pacage, qu'on la laisse se reposer un peu i \ ,int de mourir, aT a tellement travaille, mais popa dit qu'aT a encore quequ' bonnes annees de service devant Hi. Moe j'trouve ca cruel, lui y trouve ca normal.» fc retrouvais le petit garcon sensible que j'avais hl< i) aime sous sa couche de crasse et je me deman-iluis quelle vie il devait mener avec des parents iipe aux legumes ben epaisse comme...» II n'a pas continue. La meme image a dü nous frapper en meme temps tous les deux: la marmite de maman, les legumes qui l'ouillaient avec des morceaux de boeuf gros comme \v pouce... «J'vais t'en faire une pour le souper, Josaphat.» J'ai tout de suite remarque que lui aussi degageait une odeur forte. Mais tres differente de celle de Ti-Ouis Lacasse. (^a ne sentait pas la crasse ou les i lieveux gras. C'etait ä la fois piquant et sale. Et 9a montait un peu ä la tete. Je me suis demande si la sueur propre ca existait... Son torse etait mouille et 77