biei jou troi de ava sari ma dir ani qu' C'e le mui, 11UUS 11 uvuiia jaiuaio jjc ns la Is ne incés iui-ci qui, ani-sa le [S un ssion eux. onné notre pére du renard que Mike avait apertu le premier et que nous étions pour voir tour á tour, par aprés, Tim, Buck et moi. De la sorte nous nous sommes trouvés avec deux renards dans la famille, un qu'on voyait et dont on ne parlait pas, l'autre qu'on ne voyait pas et dont on parlait. Je fus longtemps á croire qu'ils n'étaient pas de merne espéce. Et cela nous divisait en deux groupes: les voyants et le bavard. Les voyants, c'était la fratrie; le bavard, notre pere. Quant á M'man, elle avait trop á faire pour s'occuper d'une histoire pareille. CD A Haffigan, dans ses bons moments, afin qu'ils lui fussent meilleurs, cherchait á sortir de son train-train minable, de son perpétuel quotidien d'affaires louches; tou-tes voiles déployées, il embouquait alors l'Atlantique, océan gaspillé, aussi étroit que la quille d'un brick, pour retrouver au delá, dans les brumes celtiques et ľimmensité de la mer d'Irlande, la saga de notre glorieux passé, les royaux Haffigan et le renard quasi sacré figurant sur toutes les effigies du clan, sur les armes, blasons et armoiries. II contait assez bellement, habile á sauver la confusion de son propos par la verve de sa parole et le briliant de ses mots. II n'était pas pour autant un évangéliste. S'il nous plaisait de ľécouter, nous avions grand mal á le croire. II ne nous avait jamais montré nos armoiries et ne les avait sans doute jamais vues, pas plus qu'il ne semblait avoir apercu son renard d'origine, sa bete mythique, dans la nature, mais cela lui paraissait parfaitement normal. — Votre grand-pére ne ľa jamais vu ni le courageux aieul qui, sur un ancien négrier 22 23 et les traces de saint Brendan, est passé d'Irlande dans les iles d'Amerique. — Ne serait-il pas reste lá-bas ? — Possiblement oui, possiblement non. D'ailleurs, mes pauvres enfants, ca n'a au-cune importance. S'il est reste lá-bas, dans File des Saints, son esprit a traverse, ca je puis le jurer. II vient á mon oreille si sou-vent que je ne m'en étonne méme plus. Quand il approche, je le pressens. Alors je ferme les yeux pour mieux l'ecouter. — Mon pére, étes-vous sůr que c'est lui? — Ca pourrait bien étre un crapaud. — Peut-étre, mes enfants. Ca pourrait étre aussi un rhinoceros, seulement voici: jamais je ne croirai que c'est un crapaud ou un rhinoceros. Pourquoi d'ailleurs un crapaud ou un rhinoceros viendrait-il me parler ? Rien ne l'attire vers moi. II ne figure pas sur nos armoires. Non, il ne peut s'agir que de lui, notre renard totémique. Mon pére m'a appris comment il procédait. Plus tard, quand viendra l'heure de mon testament, je vous l'apprendrai. Depuis le commencement de leur lignée, tous les Haf- 24 figan, qu'ils soient d'Irlande ou d'Amerique, qu'ils aient ou non un royaume, l'ont su, le savent ou le sauront. C'est lui, mes enfants, c'est lui! C'etait lui et ca le sera encore longtemps. Un prodigieux passe est garant d'un prodigieux avenir. Bon sang ne sau-rait mentir. CDA Haffigan, notre pere, possedait tou-tes les astuces de la foi, de la foi des saints et des rois, qui peut se faire une verite de rien en rendant impossible les verifications. Au fond, c'etait un pauvre homme. Nous ne lui enviions nullement sa credulite et nous ne cherchions pas a le desabuser. — Quand meme, disait Mike, quand meme n'avez-vous pas tente, n'eut-ce ete que par curiosite, de 1'apercevoir ? — Non, repondait mon pere, je ne l'ai jamais tente. Je m'en suis toujours garde. C'est une chose que m'a apprise votre grand-pere qui la tenait de l'aieul, une chose qui nous vient par consequent de la mere-pa trie, de l'lle des Saints, de Dieu peut-etre: quand le renard vous parle, detournez le regard ou bien fermez les yeux ; faites tout pour ne 25 pas le voir, tout du moins si vous tenez a continuer de vous entretenir avec lui; au-trement, quelle que soit sa familiarite, meme s'il vous sert d'embleme, il vous fuirait et que verriez-vous ? Bien peu, en verite, et vous le verriez pour la derniere fois: l'ani-mal deja sur la butte la plus proche, qui n'a qu'un bond a faire pour disparaitre; vous le verriez tourne vers vous, les oreilles dres-sees, la tete fine et penchee, vous lancant le regard de la disapprobation finale par-des-sous sa belle queue relevee et deja retom-bante; l'instant apres vous ne le verriez plus et jamais plus ensuite a votre oreille vous n'entendriez le doux haletement qui vous annonce qu'il va parler. CDA Haffigan, tel un prophete de l'Ancien Testament surgi dans la cuisine du Castel sous la defroque d'un pere sans auto-rite, donnait un coup de poing sur la table : « Plus jamais et c'est terrible, mes enfants: un Hatfigan sans renard, sourdaud, pour ne pas dire idiot, ne serait plus un Haffigan !» II restait assez impressionnant et je me souvins de ses menaces quand le renard an- glais m'appela par mon nom pour la premiere fois, alors que je rentrais á pied á la maison, venant du college de Longueuil. Je ne sus trop que faire, jubilant par en-dedans de moi et tout guindé par dehors, car autant je craignais de le perdre, autant j'ignorais comment le garder. Je n'étais pas surpris de l'entendre, il me prenait quand merne par surprise, et mon pere avait profite de cet embarras pour faire irruption dans mon esprit et me donner des coups de poing sur la téte pendant que le renard doucement derriére moi glapissait: — Haffigan ! Haffigan ! J'avais ralenti le pas. Je continuais néanmoins droit devant moi. Devina-t-il mes bonnes dispositions ? Je le crois mais je pense qu'il était surtout amuse par ma gau-cherie et qu'il me voyait rengorgé et inquiet, les oreilles chaudes ďémotion et failure maladroite, ou que du moins il me devinait. Pour ma part je n'osais pas le voir ni le de-viner. J'avais méme oublié qu'il était un renard anglais. — Haffigan, dit-il, ne pense pas á me voir. 26 27 La nuit etait fermee. Peut-etre lui etait-il donne de voir dans le noir, moi, pas. Merae si je m'etais retourne brusquement, je ne lui aurais merae pas apercu le bout de la queue. II se moquait de moi gentiment. — Haffigan, je te parle. — Non, repondis-je, je ne pense pas a vous voir. Je l'entendis rire. C'etait a peu de chose pres son haletement, avec quelque precipitation en plus, un rien de joyeux et d'aigu qui n'evoquait plus sa langue mais ses dents. Je me rappelai alors de sa nationality et qu'il s'agissait d'un renard nullement appa-rente a celui de mon pere, d'un renard dont la caracteristique etait d'etre reel, aussi parla-ble que visible, du moins le jour. J'apprenais a mes depens qu'il etait de plus malin, du moins la nuit quand on ne pouvait pas le voir. II riait, je n'en etais pas vexe, non, pas du tout: autrement qu'aurais-je eu a lui dire ? Je lui demandai done ce qu'il avait a rire. — Haffigan, je pleure. II etait meme tres malin. Je lui demandai pourquoi il pleurait. — Oh ! fit-il, pour rien. Pourquoi il me suivait ? — Je ne te suis pas, Haffigan : tu marches devant moi. Pourquoi il m'avait appele de mon nom ?... Avec toutes ces questions, au moins je ne me sentais pas trop niais. — Parce que e'est l'usage, je suppose, d'appeler les gens par leur nom. — D'habitude on me nomme Connie. — Ah oui? — C'est plus simple. Alors il me dit ceci qui me fit penser qu'il me confondait avec mes freres, il me dit: « Mais je t'ai toujours appele Haffigan ! » Et il ne riait plus, a cause de son flair sans doute. Je lui posai la question toute simple : pourquoi il m'avait appele ? II me repondit qu'il etait un peu mele dans sa chronologic — En quelle annee sommes-nous done au juste, Haffigan ? — En 1962, renard. 28 29 — Dejä ! Que le temps passe vite ! II se tut, puis apres quelques instants, comme-au terme d'une operation de calcul mental: « Mais ton maitre, Haffigan ? » — Mon maitre, renard ? — Oui, ton maitre, le vieux major. La, je fus embarasse pour lui. Je repris ma marche sans repondre. J'arrivais d'ail-leurs ä la maison, au Castle comme la desi-gnait mon pere. Cependant je m'appliquais ä ne pas aller trop vite car, pour radoter comme il le faisait, il devait etre un tres vieux renard. Je me disais aussi que s'il me cön-fondait avec Mike, il avait du confondre celui-ci avec Tim et avec Buck et qu'ä tout prendre, ä bien y penser, en nous passant le patronyme de Tun ä l'autre, sans jamais changer d'äge ni de nom, nous l'avions peut-etre aide ä s'empetrer dans sa chronologic — Tu ne me reponds pas, Haffigan. — Ca serait trop long... Une autre fois, demain, voulez-vous ? II fut tres correct. — A demain done, Haffigan. — A demain, renard. 30 Le Fosterage, vieille coutume irlandaise, consistait á confier l'enfant mále sur qui on fondait plus ďespérance que sur un autre, soit á son oncle maternel, soit á quelque per-sonnage auprés duquel il faisait son appren-tissage de la vie, apprenait les regies de la tribu, s'initiait aux metiers et plus particu-liěrement á celui des armes. Le major Bellow avait pu obtenir ce role traditionnel parce que l'honorable O'Sullivan et CDA Haf-figan, comme tous les Irlandais de la deuxiě-me ou de la troisiěme generation québécoise, avaient quelque confusion dans la téte, en particulier sur le sens de la tribu et de l'ap-partenance. Le Fosterage se pratiquait dans le sens du Sin-Fein. II ne s'agissait pas de confier son garcon á un étranger, voire á un ennemi. Or qu'etait au juste le major George Duncan Bellow ? C'etait une question qu'on ne s'etait pas posée et que le major lui-meme avec sa lampe Solaire, son petit so-leil permanent, son aureole, ne pouvait pas se poser lui-méme. D'ailleurs on ne vient pas en Canada, qui d'Irlande, qui d'Angleter- 49 re, pour se poser des questions. On laisse ce soin aux indigenes. Le Sin-Fein, le nous-memes, ne preoccu-pait pas encore CDA Haffigan. II ne prit pas ombrage au second pere que son fils s'etait trouve. Quand il passait par le Chemin du Coteau-Rouge, il ne manquait jamais de s'ar-reter pour le saluer et faire un bout de cau-sette. Chaque fois il invitait le major a le venir voir a Saint-Lambert. «Venez, nous vous ferons les honneurs d'un monument historique.» Mike se bouchait les oreilles pour ne pas entendre CDA Haffigan. Apres son depart il restait triste. Chaque fois le major pensait que par egard pour le garcon il devait rendre visite au pere. Chaque fois Mike souhaitait le contraire. Or, un samedi, comme la Cadillac pater-nelle s'eloignait et qu'il se tenait en dehors du kiosque, il avait apercu le renard. A cette vue, plein de melancolie, il s'etait senti im-puissant comme devant un animal fabuleux, un reve inaccessible. Soudain, il se rendit compte que le major Bellow etait derriere lui et il se mit a pleurer sans bruit, par de- cence, par dignite. Le major pour sa part, plein de respect pour cette peine juvenile, allait rentrer dans le kiosque, desole d'en etre sorti: il apercut le renard et ne rentra pas. C'etait en fin de journee. Le renard, captant les rayons du couchant, paraissait encore plus roux qu'il n'etait et comme lumineux a l'oree des noires broussailles qui couvraient l'ancien domaine de chasse. II evoquait le fastueux deploiement de chevaux, de chiens, de chasseurs et de dames qu'il avait naguere commande. C'etait en verite un bel animal fabuleux, le symbole de quelque chose de trop beau, devenu inaccessible, qui pour Mike con rait devant lui, vers l'avenir. Et le renard restait la, se pourlechant entre les deux. II ne chercha meme pas a se sauver. En meme temps que les larmes de Mike se-chaient, ce fut la nuit qui peu a peu l'eteignit. Mais il resta dans l'esprit du jeune homme et de son maitre, le vieil officier britannique. — En d'autres pays, Mike, ne prenant pas garde que chasseurs et chasses finissent tou-jours par se ressembler, on a chasse a courre le sanglier et le cerf avec le resultat que, dans 50 51 ces pays, les gentlemen se sont vus bientot aux abois, cernes par les meutes populaires et qu'ils ont entendu l'hallali sonner contre eux. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons prefere le renard. II y aurait beaueoup a dire surlui. Et le major Bellow ne s'en privait pas, meme que le renard lui servait de pretexte a tout. II disait les avantages de l'aristocra-tie dans la societe et les devoirs qui incom-bent a celui qui s'est distingue, soifpar lui-merae, soit par sa famille, d'entre les autres hommes, le devoir en particulier de se pre-munir eontre les dangers que sa distinction lui suscite. — II lui faut alors toute la finesse et la ruse du renard. En tuant celui-ci il les ac-quiert. De plus il rend service aux paysans et aux pauvres gens dont le renard mange les poules et les lapins. Et la chasse, plaisir de prince, devient ainsi symbole d'harmonie sociale. Le renard depuis avait pris l'habitude, chaque samedi soir, d'accompagner Mike a la maison. Le lendemain matin, quand il s'en i i j retournait au Coteau-Rouge, il entendait dans ' un leger haletement une voix derriere lui: «Haffigan ! Haffigan !» C'etait le renard qui avait passe la nuit du samedi au diman-j che sur le terrain de golf voisin du Castle et qui rentrait avec lui dans l'espoir que la chasse a courre allait bientot reprendre dans | le domaine du major Bellow. Cet espoir, | Mike n'osait pas le contrarier. II se conten- j tait de lui dire qu'il trouvait bien fou pour j un animal de sa reputation de vouloir etre | tue. — La mort m'importe peu, Haffigan, pourvu que je commande a toute cette grande chasse et la traine apres moi. — Tu as peut-etre raison, renard. — Et puis, si je voulais, je pourrais ne pas etre tue ; je n'aurais qu'a me sauver dans les champs cultives, jamais les gentlemen et les ladies n'oseraient sauter la cloture. — Mais les chiens? — Les chiens, on les rappellerait a grands cris. Mais je ne me sauverai pas dans les champs cultives, je resterai dans les 52 53 ! s broussailles du domaine de chasse. Ma vie n'est rien, Haffigan, aupres du grand jeu qu'on m'offre. Un grand jeu auquel il croyait toujours, raerae si le Montreal Hunt Club ne le pra-tiquait plus depuis vingt ans sur la Rive-sud. Mike n'osait pas lui dire que la courre etait finie pour toujours et qu'il restait comme le major parmi les restants, dans un domaine deja loti, a moitie vendu. C'etait un tres vieux renard. II devait savoir qu'il n'y a que les jeunes renards qui se font tuer et que l'age de la mort heroique passee, on reste dans l'impasse de sa vieille peau, bon a cre-ver seul et sans ceremonie. II devait le savoir, sans pouvoir s'y r.esoudre. A la place de la chasse a courre, qu'il attendait en vain, il devait trimer pour sa pitance comme un pauvre miserable, etre chasseur au lieu d'etre chasse. Les chats et les chiens du Coteau-Rouge, qui ne chassaient pourtant que par appoint, lui faisaient une rude concurrence. Ce fut la raison pour laquelle il se decida, apres deux ans de va-et-vient, sur la fin de celui de Mike, quand tous les lopins du major Bellow eurent ete vendus, d'abandonner le Coteau-Rouge et tout espoir d'etre tue pour venir s'installer entre Saint-Josaphat et Saint-Lambert, sur le terrain du golf. II s'y creu-sa plusieurs terriers dont l'un penetrait dans la cave du Castle. De la cave il pouvait mon-ter dans la cuisine et se servir au garde-manger, prenant soin d'eviter M'man. CD A Haffigan, avec qui il n'etait pas aussi prudent, le considerait comme une aimable hallucination ; il ne lui vint meme pas a l'esprit qu'il put s'agir de l'animal ancestral, pere de tous les Haffigan. Dans le golf, apres le depart de Mike pour l'armee, il suivra Tim comme une ombre tutelaire, puis il suivra Buck. Enfin je 1'aurai a mon tour a mes trousses. Douze ans s'ecouleront entre ses premieres et der-nieres manifestations. Pour le moment nous en restons a celle-la. Je n'ai pas encore de-crit la demeure familiale, le Castle comme la nommait mon pere, ni relate la visite que le major Bellow, par egard pour Mike, avait rendue a celui-ci. 54 55