Thème: culture Histoire d'une exception La culture n'est pas un bien marchand. C'est le fondement de l'idée d'« exception culturelle » que défend la France depuis vingt ans. Un modèle pétri de contradictions, et fragilisé par l'irruption du numérique. Clarisse Fabre Depuis un mois, l'expression est revenue en force dans le vocabulaire des artistes et des experts de la culture : l'exception culturelle, on ne parle plus que de ça. Le concept, qui n'est pourtant inscrit dans aucun texte juridique, a été brandi ces dernières semaines pour éviter que l'audiovisuel, le cinéma ou l'industrie musicale ne soient intégrés dans les futures négociations de libre-échange entre l'Europe et les Etats-Unis. Une première victoire a été remportée le 14 juin, lors de la réunion des ministres du commerce des 27 Etats membres de l' Union européenne (UE) : face à la Commission qui, dans une logique libérale, souhaitait intégrer ces secteurs aux discussions, Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur de François Hollande, a obtenu leur exclusion du futur traité bilatéral. Ce combat est fondé sur le principe que la culture n'est pas une marchandise comme les autres et ne peut donc être abandonnée aux seules règles du marché, sous peine de voir s'effondrer les politiques régulatrices patiemment construites depuis une soixantaine d'années en France. Parmi les dispositifs emblématiques de ces politiques, il y a d'abord le financement du cinéma. Assuré par un système de taxes sur les billets d'entrée en salles (dite « taxe spéciale additionnelle » ou TSA), il s'appuie sur la « chronologie des médias », expression sibylline qui désigne pourtant une pratique simple : des fenêtres d'exclusivité sont prévues pour l'exploitation des oeuvres - sortie en salles, en DVD au bout de quatre mois, puis passage à la télévision payante, etc. En contrepartie, les diffuseurs contribuent au financement de ces films. Dans le secteur de l'édition, le prix unique du livre a été imposé par la gauche, en 1981, sous l'impulsion du ministre de la culture Jack Lang, pour permettre aux librairies de résister face aux « grands » de la distribution - faute d'un tel outil, la Grande-Bretagne a perdu son réseau de librairies. Du côté de la musique enfin, une loi entrée en vigueur en 1996 oblige les radios privées à diffuser des quotas de 40 % de chansons d'expression française. Le directeur général de la Sacem, Jean-Noël Tronc, explique l'intérêt de ce dispositif : « La France est le seul pays d'Europe où la majorité de la musique diffusée est produite en France. » Pour la chanteuse Anaïs, 36 ans, l'une des 500 artistes de la musique ayant signé l'appel en faveur de l'exception culturelle (Keren Ann, Grand Corps Malade, Jean-Michel Jarre, Alain Souchon...), les quotas de diffusion à la radio sont cruciaux : « Avec la crise, les radios sont devenues frileuses, se sont formatées et diffusent ce qui marche. Un groupe comme Rita Mitsouko ne passerait plus aujourd'hui. Il y a aussi moins de ballades et de slows sur les ondes. Les quotas de 40 % sont le dernier rempart pour maintenir une certaine diversité culturelle » , dit-elle. A droite comme à gauche, personne n'entend remettre en cause ces outils. C'est d'ailleurs la volonté de préserver ces dispositifs qui est à l'origine de l'idée d'exception, puis de diversité culturelle. Car l'histoire est aussi une bataille de mots. Le terme d'« exception » est apparu en 1993, alors que s'ouvrait un nouveau cycle de négociations de l'accord du GATT autrement dit l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. Il s'agissait de libéraliser les services en plein essor, parmi lesquels les oeuvres cinématographiques et télévisuelles (fictions, documentaires, séries...). Comme le rappelle le juriste Serge Regourd dans son « Que sais-je? » intitulé L'Exception culturelle (2004), une jurisprudence importante de la Commission de justice des Communautés européennes, datant de 1974, avait classé les oeuvres audiovisuelles parmi les services. A ce titre, elles relevaient donc du principe de libre circulation. Ce raisonnement coïncidait avec la vision des Etats-Unis, qui assimilent l'audiovisuel à l'entertainment (« divertissement »). Or, au début des années 1990, l'audiovisuel et le cinéma constituaient le deuxième poste d'exportation aux Etats-Unis, derrière l'aéronautique. Très inquiets, les Français entreprirent de souligner un paradoxe : pourquoi abandonneraient-ils l'audiovisuel et le cinéma au libre-échange, alors même qu'ils protégeaient ces secteurs en interne, au moyen de leur politique culturelle? Certains experts plaidèrent pour une « exemption » culturelle, d'autres pour une « spécificité ». Finalement, le mot « exception » l'emporta, en vue de s'opposer à « l'invasion des produits venus d'ailleurs », selon la formule de l'ancien président de la République, François Mitterrand. Plus tard, au début des années 2000, le concept d'exception culturelle est apparu étriqué, très franco-français. Les professionnels lui ont préféré le vocable plus consensuel - venu du Québec - de « diversité culturelle », lequel permettait de rallier à la cause les pays dits émergents (africains, asiatiques, latino-américains), soucieux de défendre leur identité culturelle face aux Etats-Unis. « L'exception culturelle faisait trop gaulois. C'est resté un slogan médiatique. Mais il nous fallait un nouveau flacon, la diversité culturelle » , résume Pascal Rogard, le patron de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), qui a été de toutes les batailles depuis 1993. C'est l'époque où ont fleuri dans divers pays (Canada, France, Maroc...) les coalitions pour la diversité culturelle - Pascal Rogard préside la coalition française. En 2005, l'expression est consacrée par la Convention de l'Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Exit l'exception culturelle ? Serge Regourd déplore « la fascination des professionnels du cinéma français pour la diversité culturelle, un concept purement incantatoire » . L'exception culturelle est un véritable outil juridique, dit-il. « C'est le fait, en creux, de ne pas inscrire les dossiers culturels dans les négociations de libre-échange. » C'est aussi un outil qui produit de l'exclusion, poursuit le juriste : « La taxe sur les billets de cinéma, dite TSA, s'applique à tous les films, y compris américains. D'une certaine manière, les films hollywoodiens servent à alimenter le fonds de soutien français, mais celui-ci est réservé aux productions nationales. J'y suis tout à fait favorable, mais il faut être lucide, c'est un outil de discrimination. » Il pointe aussi les contradictions du système : « Certes, la France protège son cinéma du libéralisme; mais la majorité des films français sont décidés selon une logique de marché, en s'appuyant sur des acteurs «bankables», qui rapportent de l'argent! » D'autres dangers menacent l'exception culturelle. Progressivement, les négociations multilatérales, trop difficiles à gérer pour les Etats-Unis, ont cédé la place au bilatéralisme. La culture se retrouve au centre d'un marchandage : par exemple, un des pays diminue les barrières sur son cinéma, en contrepartie un autre lui ouvre les portes de son secteur automobile. Ainsi, au terme de l'accord bilatéral signé avec les Etats-Unis en 2007, la Corée du Sud a accepté de réduire de moitié ses quotas de films coréens - lesquels jouissaient d'un réel succès dans le pays, où ils représentaient 50 % des parts de marché. L'argument des libéraux fut le suivant : si le cinéma coréen se porte si bien, pourquoi a-t-il besoin de quotas élevés? Surtout, en vingt ans, l'ennemi a changé de visage. En 1993, ce sont les Etats-Unis et les studios hollywoodiens qui attaquaient la forteresse Europe. En 2013, la bataille est menée par les géants de l'Internet (Google, Amazon...), qui souhaitent pénétrer le marché européen et diffuser des contenus culturels (films, séries, musique...) sans contribuer à leur financement par la fiscalité. Le patron de la Sacem, Jean-Noël Tronc, dénonce cette « exception numérique » selon laquelle seules les plates-formes numériques échapperaient au financement des oeuvres. Quant à YouTube, par exemple, il n'est soumis à aucun quota de nationalité pour les artistes dont il diffuse les morceaux ou les clips. Le rapport de Pierre Lescure, également dénommé « Acte II de l'exception culturelle », vise à trouver de nouveaux outils à l'ère numérique. Remis le 13 mai, il prévoit, entre autres, une taxe sur les appareils connectés (tablettes, smartphones, consoles...). Ce document a beaucoup circulé pendant le Festival de Cannes, provoquant un certain étonnement chez les professionnels étrangers. La France, quel drôle de pays... Illustration(s) : Radu Mihaileanu, Jack Ralite, Jacques Fontaine, Thierry Frémont et Laurent Heynemann lors de la conférence de presse d'Aurélie Filippetti sur l'exception culturelle au ministère de la culture, le 17 juin. Photo : LAURENT BENHAMOU/SIPA Notes personelles : * Accords Blum-Byrnes sur le cinema * jack lang fête de la musique très populaire Retour Malraux sur Art . Politique culturelle de Malraux L’autre grande caractéristique de la politique malrucienne est son refus des dispositifs pédagogiques. Pour lui, l’action culturelle doit être fondée sur le « choc artistique », qui consiste à croire aux qualités intrinsèques de l’œuvre pour procurer une émotion au public, sans qu’il y ait besoin de médiation. L’éducation populaire est écartée du giron de la culture, alors que l’excellence artistique prime, d’où la mise en place d’un système fort de soutien à la professionnalisation des artistes. Malraux développe peu à peu son ministère, créant en 1961 la direction du Théâtre, de la Musique et des Spectacles. sur la langue : 1880 invention du terme francophonie 1989 1er jeux Francophones ( 38 pays ) 2eme langue la plus apprise dans le monde 5eme langue parléee Sources bibliographiques et autres : « L'EXCEPTION CULTURELLE » Serge Regourd (PUF, « Que sais-je? », 2004).